1. L'Apocalypse (dite) de Jean est presque entièrement, comme beaucoup d'autres "apocalypses" juives ou chrétiennes, un "patchwork" de citations, de réminiscences et d'imitations (pastiche) de l'AT (en particulier d'oracles "prophétiques" ou déjà "apocalyptiques"). Ce n'est pas la provenance des pièces qui détermine le sens de leur réutilisation (on peut faire un collage de morceaux de photos de tracteurs qui représente une poule, on peut utiliser les pierres d'une église pour construire une écurie, ou le contraire). Apocalypse 17--18 récite ou parodie plein d'autres textes qui se rapportent à d'autres villes que Jérusalem: Babylone (notamment Jérémie 50--51), Tyr (Ezéchiel 26--28), etc. Il suffit de suivre les références d'une bible d'étude pour constater, verset par verset, la diversité des provenances, qui n'affecte guère le "sujet" du texte.
2. La référence à Jérusalem est beaucoup plus claire au chapitre 11, comme je l'ai dit dans l'autre fil (et aussi dans celui-ci quelques années plus tôt). Elle n'exclut d'ailleurs pas, même dans ce chapitre, une autre visée (un document source visant originellement Jérusalem a très bien pu être utilisé dans un texte anti-romain, c'est le cas dans de nombreuses autres "apocalypses" juives qui appliquent à Rome les références ethno-géographiques les plus variées, non seulement Babylone sur l'Euphrate mais aussi Kittim = Crète, Edom, etc.). Surtout, ce n'est pas Jérusalem qui persécute les Eglises destinataires de l'Apocalypse (ou du moins certaines d'entre elles) en Asie Mineure, qui a exilé l'auteur à Patmos, qui exécute par décapitation, etc. L'enjeu des persécutions (sporadiques) en cours n'est pas l'adhésion au judaïsme mais la participation au culte impérial (l'image de la Bête), très développé en Asie Mineure, notamment sous Domitien identifié par ses adversaires à Néron ressuscité,
Nero redivivus (cf. la liste des rois = empereurs qui situe chronologiquement le texte au chapitre 17; tout cela a déjà été discuté plus haut dans ce fil). [Il peut y avoir toutefois un rapport marginal, dans la mesure où la rupture avec le judaïsme "officiel", dominé par le pharisaïsme après 70, prive les chrétiens du statut de
religio licita qui dispense les juifs du culte impérial.]
3. Les eaux (déjà v. 1) viennent de Jérémie 51,13 (sur Babylone en Mésopotamie) et surtout d'Ezéchiel 26ss (sur Tyr, ville portuaire, "capitale" d'un "empire" phénicien essentiellement maritime et commercial). Ce ne sont pas seulement les sept collines, mais aussi la femme assise qui proviennent de l'imagerie romaine (représentation extrêmement courante de la déesse Roma). A elle seule, la phrase qui conclut
l'interprétation de la vision -- qui est donc censée être parfaitement claire pour les lecteurs/auditeurs contemporains -- "cette femme, c'est la grande ville qui règne sur les rois de la terre" (17,18), ne laisse guère de doute dans le contexte historique de la fin du Ier siècle.
Quant à ceci (de l'autre fil):
- Paraclet a écrit:
- Si j'espérais rencontrer des exégètes ici, ce n'est pas pour être renvoyée vers d'autres...
Une "discipline" aussi vaste et diversifiée que l'exégèse biblique suppose la mise en commun (le partage, la discussion, à tout le moins la publication et la lecture) de beaucoup de savoirs et de recherches. Chacun peut avoir ses opinions, plus ou moins bien informées selon le temps et les moyens qu'il a consacrés à un sujet donné, mais pour ma part il me semble honnête de signaler, quand j'exprime les miennes, s'il s'agit d'un quasi-consensus (ainsi dans le cas présent), d'une opinion majoritaire, minoritaire, marginale ou isolée, ou d'une idée qui vient de me passer par la tête... Je ne suis pas spécialiste de l'Apocalypse, mais il y en a (p. ex. Pierre Prigent en français) qui méritent d'être lus. Si d'autre part je parlais ici d'exégèse (ou d'interprétation)
ancienne, c'est parce qu'il ne me semble pas inintéressant, en l'occurrence, de savoir comment l'Apocalypse était comprise à une époque où ses "clés" étaient beaucoup plus largement accessibles qu'aujourd'hui, en particulier quand l'empire romain "païen" était encore debout. Or à cette époque, l'identification de la Babylone de l'Apocalypse à Rome est unanime: elle va de soi (cf. p. ex. http://www.babylonforsaken.com/churchfathersprophecy.html). Quand lesdites "clés" sont perdues pour le commun des lecteurs et ne peuvent plus être retrouvées -- en partie -- que par un travail "scientifique", exégétique et historique, l'interprétation "populaire" est privée de tout repère et de tout garde-fou: on peut effectivement lire à peu près n'importe quoi dans l'Apocalypse, surtout si, pour des raisons religieuses, on ne se résout pas à y voir une prophétie
ratée... ainsi des protestants y liront une condamnation (évidemment anachronique) de
l'Eglise romaine, des catholiques au contraire voudront prouver qu'il n'y a jamais été question de Rome; et, selon le "grand méchant" du moment et du milieu de la lecture, Babylone, la Bête, etc. deviendront d'autres "empires" au sens propre (romain germanique, britannique, ottoman, américain, soviétique, etc.) ou figuré (et alors le choix est encore plus vaste: religieux, politique, financier...).