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 Une pensée du langage dans la Bible?

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le chapelier toqué
Narkissos
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seb

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MessageSujet: Re: Une pensée du langage dans la Bible?   Une pensée du langage dans la Bible? - Page 3 Icon_minitimeMer 22 Aoû 2012, 10:55

Je pose une question philosophique : si les hommes n'avaient pas la parole, croiraient-ils encore en Dieu ? La croyance en Dieu peut-il se transmettre sans paroles, et si oui, comment ?

En tout cas, pour ce qui me concerne, j'ai reçu "Dieu" par de nombreuses paroles (pas toujours vraies d'ailleurs), et je l'ai "perdu de vue" (ou en tout cas il s'est grandement transformé) lorsque la parole transmise a fait place à mes propres réflexions.

Séb

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Ami

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MessageSujet: Re: Une pensée du langage dans la Bible?   Une pensée du langage dans la Bible? - Page 3 Icon_minitimeJeu 23 Aoû 2012, 06:26

Salut Seb,
Je pense que Oui. Prenons l'exemple des chamanes avec la nature. Le Dieu sans parole devient évidemment un dieu qui se transforme. Il est logique ,pour moi aussi ,de perdre de vue celui que nous connaissions avant .
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le chapelier toqué

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MessageSujet: Re: Une pensée du langage dans la Bible?   Une pensée du langage dans la Bible? - Page 3 Icon_minitimeJeu 23 Aoû 2012, 10:56

Seb tu as perdu une certaine "forme" de Dieu, qui n'est pas forcément Dieu.
Le problème du dieu révélé vient du transmetteur succeptible de partager avec d'autres, le Dieu qu'il a imaginé à défaut de l'avoir vu et entendu de façon certaine.
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seb

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MessageSujet: Re: Une pensée du langage dans la Bible?   Une pensée du langage dans la Bible? - Page 3 Icon_minitimeJeu 23 Aoû 2012, 16:49

Ce que je veux dire, c'est que l'on ne peut partager le même "Dieu" sans avoir accès à de nombreuses explications écrites ou orales. Les civilisations qui ne se basent pas (ou peu) sur l'écrit se retrouvent rapidement avec une multitude de "dieux", car chacun a sa propre conception du divin (qui représente en fait ce qui dépasse l'homme). Le "dieu-nature" du chamane qui vit dans la jungle n'est pas le même que celui du chamane qui vit dans la plaine, ni le même que celui qui vit dans la montagne. Ce n'est qu'avec un langage et une transmission orale ou écrite, que le divin se standardise. Cette standardisation implique ensuite aussi que le divin devient plus lointain et plus mystérieux, ses attributs se mélangeant et perdant de leurs significations "naturelles" premières. Et à la fin de ce processus, il ne reste plus qu'un Créateur distant qui attend on ne sait pas bien quoi pour se décider à nous aider...

Séb

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MessageSujet: Re: Une pensée du langage dans la Bible?   Une pensée du langage dans la Bible? - Page 3 Icon_minitimeJeu 23 Aoû 2012, 20:11

Le point commun de tous les chamans ? La transe. Quelle que soit leur origine, ils sont capables de modifier leur état de conscience ordinaire pour entrer dans un autre monde où ils reçoivent l’enseignement des "esprits". Ainsi accèdent-ils à une sorte de quatrième dimension où tout pouvoir leur est donné pour guérir, interpréter les rêves, voir l’avenir, garantir l’harmonie entre les hommes et la nature.( citation ).

Je ne pense pas que Dieu sois distant.
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VANVDA




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MessageSujet: Re: Une pensée du langage dans la Bible?   Une pensée du langage dans la Bible? - Page 3 Icon_minitimeJeu 23 Aoû 2012, 21:02

Citation :
Je pose une question philosophique : si les hommes n'avaient pas la parole, croiraient-ils encore en Dieu ? La croyance en Dieu peut-il se transmettre sans paroles, et si oui, comment ?

Si ma tante en avait, on l’appellerait "mon oncle"; et si mon oncle en était, on l’appellerait "ma tante", disait Chépuki (Guitry ou Tristan Bernard, ou un autre gus mal famé de cet acabit ). Wink

Si l'Homme n'avait pas de langage, il commencerait surtout par ne plus être l'Homme, et la question ne se poserait plus. Désolé d'être si prosaïque, mais je ne vois pas comment répondre autre chose.

Sur le langage lui-même, que TOUTE vérité soit une construction du langage, c'est pour moi d'une évidence parfaite. Ceci dit, je ne pense pas du tout que la langage empêche les "malentendus". Lorsque Dieu(x) est le sujet du langage, il n'en est pas moins ambigu, insaisissable, indicible... Les humains, pour en parler utilisent bien des mots, et entre eux les mêmes mots (à commencer par "Dieu"), mais j'ai bien l'impression qu'ils n'emploient par contre jamais le même "signe".

"Dieu est une personne". C'est la phrase la plus primaire qu'on puisse faire: un sujet-un verbe-un complément. Or, je crains bien qu'il n'y ait pas deux personnes sur terre pour qui:
- "Dieu" signifie exactement la même chose,
- ni deux humains qui donne exactement la même définition de ce que peut vouloir dire "personne", dans ce contexte (parce qu'une personne, avant tout: c'est un être humain)
- ni même qui comprennent exactement la même chose lorsqu'ils emploient le verbe "être" dans une formulation comme celle-ci.

Bref, je pense que c'est tout au contraire dans sa version apophatique que "Dieu" a paradoxalement le plus de chance de "vouloir dire" quelque chose, et de mettre à peu près tout le monde d'accord...
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Narkissos

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MessageSujet: Re: Une pensée du langage dans la Bible?   Une pensée du langage dans la Bible? - Page 3 Icon_minitimeMar 11 Aoû 2015, 17:24

Je lisais il y a quelques semaines avec grand intérêt, dans les œuvres de Walter Benjamin, un texte de jeunesse (1916) publié à titre posthume (par G. Scholem) et intitulé Sur le langage en général et sur le langage humain (extraits lisibles ici). L'une de ses idées-clés, tirée d'une lecture de la Genèse (et notamment de la nomination des animaux par l'homme dans le récit de l'Eden), était celle de l'antagonisme et de la complémentarité entre les fonctions verbales et nominales du langage. Au risque de simplifier (et de détourner le texte de Benjamin en le prolongeant à ma façon): le verbe est de Dieu qui fait ("agit" et/ou "crée", de l'action, de l'événement, du phénomène), le nom est de l'homme qui connaît, reconnaît, désigne, définit, distingue, mais par là même sépare et fixe (des "choses" ou des "êtres", des "essences" ou des "quiddités", cela, qu'est-ce que c'est). Il y a une parole divine du flux ininterrompu de l'être en devenir, qui fait continuellement mais ne connaît jamais rien de ce qu'elle fait, et une parole humaine de la connaissance qui définit et distingue des "id-entités" dont la provenance et le devenir lui échappent toujours. Les deux fonctions distinctes dans le second récit (ce que Dieu fait, l'homme le nomme) sont unies, mais différées, dans le premier (c'est la même parole de Dieu qui fait et ensuite appelle les "choses" et les "êtres" -- mais c'est là aussi que l'homme apparaît comme l'image ou l'ombre de Dieu). Du point de vue exégétique ça vaut ce que ça vaut, mais je trouve que c'est un exemple intéressant d'une "pensée du langage" qui peut être tirée (par un penseur de premier ordre en l'occurrence) de la Genèse, à défaut d'y être tout à fait.

[En relisant ce fil (p. 1, 19.1.11), je m'aperçois qu'un court extrait de ce texte de Benjamin était repris dans un post de free, sans indication de citation, et que faute de contexte je ne l'avais pas compris.]
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MessageSujet: Re: Une pensée du langage dans la Bible?   Une pensée du langage dans la Bible? - Page 3 Icon_minitimeJeu 13 Aoû 2015, 09:19

Suis-je hors sujet en pensant à l'intervention divine présentée comme une création dans le livre de la Genèse, lorsque Dieu créé visiblement par sa parole, par exemple Genèse 1.6,7:

6 ¶  Dieu dit : Qu’il y ait une étendue entre les eaux, et qu’elle sépare les eaux d’avec les eaux.
7  Et Dieu fit l’étendue, et il sépara les eaux qui sont au-dessous de l’étendue d’avec les eaux qui sont au-dessus de l’étendue. Et cela fut ainsi.

C'est par la parole que Dieu semble créé du moins c'est l'idée qui semble ressortir de ces versets.

Je pense également au moment ou du haut "du ciel" on entend une voix déclarer: "Celui-ci est mon fils..."
C'est au moment ou cette voix prononce ces paroles que ce fils devient celui de Dieu, donc il est "créé" à partir de cette déclaration.
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MessageSujet: Re: Une pensée du langage dans la Bible?   Une pensée du langage dans la Bible? - Page 3 Icon_minitimeVen 14 Aoû 2015, 09:38

Dans la bible, le langage est présupposé comme une réalité dernière, inexplicable, mystique. Il y a deux récits de la création. Dans le premier chapitre de la Genèse, Dieu crée par le Verbe, directement, sans intermédiaire : Dieu dit... et cela fut. Dans le second chapitre, au moment où il est question de l'homme, il crée par l'intermédiaire de la terre (Adonaï façonna l'homme, poussière détachée du sol, fit pénétrer dans ses narines un souffle de vie, et l'homme devint un être vivant, Gn 2.7). L'homme n'a pas été créé directement à partir du Verbe, car c'est à lui qu'est accordé le don du langage.
Dieu est identique au verbe créateur. En donnant un nom aux choses, il les rend connaissables. Pour l'homme le rapport est plus indirect : c'est dans la mesure où il les connaît que l'homme leur donne un nom. Dieu ne l'ayant pas directement créé, mais seulement à partir de la terre, il détient un pouvoir créateur "à la ressemblance de Dieu". Pour lui aussi le langage est infini, mais son accès est limité et analytique.
De tous les êtres, l'homme est le seul auquel Dieu n'a pas donné de nom, et il est le seul qui donne un nom à son semblable [et aux animaux]. Le verbe humain est le nom des choses, qui repose sur la manière dont elles se communiquent à lui. Tandis que Dieu crée le langage des choses même, dans la muette magie de la nature, l'homme doit les traduire dans son langage.

http://www.idixa.net/Pixa/pagixa-1006031731.html
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MessageSujet: Re: Une pensée du langage dans la Bible?   Une pensée du langage dans la Bible? - Page 3 Icon_minitimeDim 16 Aoû 2015, 17:44

le chapelier toqué a écrit:
... l'intervention divine présentée comme une création dans le livre de la Genèse, lorsque Dieu créé visiblement par sa parole, par exemple Genèse 1.6,7:
6 ¶  Dieu dit : Qu’il y ait une étendue entre les eaux, et qu’elle sépare les eaux d’avec les eaux.
7  Et Dieu fit l’étendue, et il sépara les eaux qui sont au-dessous de l’étendue d’avec les eaux qui sont au-dessus de l’étendue. Et cela fut ainsi.
C'est par la parole que Dieu semble créé du moins c'est l'idée qui semble ressortir de ces versets.
En effet, et ce dès le v. 3 ("Dieu dit", 10 fois en tout dans le texte); quant à l'autre fonction (nominale) du langage (selon la distinction de Benjamin), celle qui est réservée à l'homme dans le second récit (2,19s.23; 3,20), on la voit assumée ici également par "Dieu" mais dans un deuxième temps, après la "création-proprement-dite", si on lit jusqu'au bout: "Et Dieu appela l'étendue / la voûte 'ciel'" (de même v. 5 pour le "jour" et la "nuit", v. 10 pour la "terre" et la "mer", 5 fois). Entre les deux types de parole divine, celle qui "fait" et celle qui "nomme", la phrase du constat et de l'évaluation, du regard qui juge (en silence ?): "Dieu vit que cela était bon" (v. 4 etc., 7 fois en tout).
(Les répétitions et leurs variations forment dans ce texte une structure rythmique tout à fait remarquable.)

Citation :
Je pense également au moment ou du haut "du ciel" on entend une voix déclarer: "Celui-ci est mon fils..."
C'est au moment ou cette voix prononce ces paroles que ce fils devient celui de Dieu, donc il est "créé" à partir de cette déclaration.
C'est d'autant plus évident (quoique avec un vocabulaire distinct de celui de la "création" et qui finira même par lui être opposé dans la théologie chrétienne, cf. "engendré, non créé") si l'on considère la variante (en Luc 3,22 p. ex., mais aussi dans l'Evangile des ébionites, cf. Epiphane, Panarion, XXX, xiii, 7s) qui étend à ce point la citation du psaume 2,7, "aujourd'hui je t'ai engendré" (formule rapportée à la résurrection en Actes 13,33, cf. Romains 1,4; Hébreux 1,5; 5,5; noter a contrario les dénégations de l'évangile de Jean qui ne comporte ni baptême ni transfiguration, 5,37; 12,28-30).
[On se rappellera aussi la tradition pittoresque, très répandue dans toute l'iconographie du moyen-âge, mais d'origine patristique et orientale puisqu'on la trouve déjà chez saint Ephrem le Syrien au IVe siècle, de la Vierge concevant par l'oreille. On peut la rapprocher de la formule de saint Augustin sur le Christ conçu par la foi de Marie, "dans l'esprit (au sens "intellectuel" du mot) avant que dans le sein" (prius mente quam ventre, Sermon 215). Par-delà son application strictement christo-mariologique, ce langage s'enracine dans les métaphores du NT, sur la parole semence, p. ex. 1 Pierre 1,23ss.]
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MessageSujet: Re: Une pensée du langage dans la Bible?   Une pensée du langage dans la Bible? - Page 3 Icon_minitimeLun 17 Aoû 2015, 14:54

De fait, la parole de Dieu assigne un rôle à chacun des êtres créés. Les « luminaires » doivent servir de « signes, tant pour les fêtes que pour les jours et les années », « éclairer la terre », « commander au jour et à la nuit ». Les êtres vivants sont appelés à « grouiller », à « être féconds », à « se multiplier ». L'homme est investi en outre de la fonction de « soumettre la terre ».
Ce que Dieu dit encore, c'est que chaque être créé produise ce qu'il peut produire : « Que la terre verdisse de verdure, herbes et arbres portant eux-mêmes leur semence »; « que les eaux grouillent d'êtres vivants » et les airs d'oiseaux, et qu'ils se multiplient; « que la terre produise des êtres vivants ».

http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/200174.html
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MessageSujet: Re: Une pensée du langage dans la Bible?   Une pensée du langage dans la Bible? - Page 3 Icon_minitimeMar 18 Aoû 2015, 12:35

On peut noter également ici combien ce texte, malgré toute la distance qu'il prend déjà par rapport aux mythes cosmogoniques du Proche-Orient ancien, est encore loin de la notion de création (ex nihilo) telle qu'elle va s'imposer (à partir de ce texte pourtant !) dans le judaïsme ultérieur et le christianisme. "Dieu", par sa parole, fait apparaître les "choses-telles-qu'elles-sont", selon leur "essence" ou leur "nature" (leur "espèce") qui d'emblée est ce qu'elle est sans avoir à être "inventée" (ou alors dans le sens étymologique du mot: trouvée, découverte, dévoilée et non "conçue" et "fabriquée"); il constate leur "valeur intrinsèque" (c'est "bon") et leur "puissance naturelle", y compris "créatrice" (les astres éclairent, le ciel, la mer et la terre "produisent" des êtres), il les appelle de leur nom, qui leur est "propre" et ne leur est pas simplement collé de l'extérieur comme une étiquette. Comme il n'y a pas de distance entre les "mots" et les "choses" (symptomatiquement, le terme hébreu davar se traduira par "parole", "mot", "chose" ou "événement" , selon les nécessités du français), il n'y a pas d'"arbitraire" dans la création parce qu'il n'y en a pas non plus dans le langage. On ne voit pas "Dieu" se gratter la tête pour inventer l'"idée" ou le "concept" de lumière, de terre, d'eau, de ciel, d'astre, d'arbre, d'animal ou d'homme -- et encore moins d'"être" et de "langage" (pour ne rien dire de notions classiques ou modernes comme "l'espace et le temps", "la matière et l'énergie"): tout cela va de soi, sinon tout à fait sans dire.
A cet égard, c'est l'impensé de la Genèse qui est à nos yeux le plus fascinant (qui nous donne le plus à penser, comme dirait Heidegger). Non que nous le pensions "mieux", ou que notre pensée à nous n'ait pas aussi son impensé, qui est peut-être d'ailleurs foncièrement le même quoique nous ayons une façon différente de ne pas le penser...
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MessageSujet: Re: Une pensée du langage dans la Bible?   Une pensée du langage dans la Bible? - Page 3 Icon_minitimeDim 04 Juin 2017, 15:11

La Pentecôte -- et le récit d'Actes 2 qui combine plus ou moins habilement en mythe fondateur de "l'Eglise" la fête juive de Shavou`oth ou des (sept) Semaines (7 x 7 = 49 --> 50e, pentekostes en grec), fête immémoriale de la moisson devenue commémoration du don de la Torah; la légende de la Tour de Babel (Genèse 11); et la pratique historique de la "glossolalie" dans certaines composantes du proto-christianisme (cf. 1 Corinthiens) -- n'est peut-être pas un trop mauvais prétexte pour réveiller ce fil. Dans le "parler en langue(s)" on peut voir poindre en effet un certain pessimisme quant au langage "humain" ou "ordinaire"; et notamment quant à sa capacité de parler de Dieu et a fortiori de communiquer une parole de Dieu. Le langage n'y est peut-être pas atteint dans son essence (le glossolale parle encore une langue, la langue de Dieu ou des anges, et cette langue est présumée "traductible" et "interprétable", même si le souci de la traduction-interprétation est clairement plus celui de Paul que des Corinthiens), mais c'est quand même un doute beaucoup plus radical que la vieille critique sapientiale des abus ou des défauts de l'usage de la langue (des Proverbes à l'épître de Jacques) -- doute qui rejoint par ailleurs l'antique tradition opposée des transes "prophétiques": pour parler (de la part) de Dieu, ou des dieux, il faudrait parler tout autrement (c'est déjà le principe de la poésie); à la limite, parler sans parler. On ne peut pas dire -- c'est une litote -- que ce pessimisme ait beaucoup inhibé l'usage de la parole prosaïque, de la "logique", de la "rhétorique" dans le christianisme (tous les textes du NT et des bibliothèques entières sont là pour prouver le contraire), mais il l'a quand même suffisamment marqué pour ressurgir, non seulement sous forme "charismatique" ou "pentecôtiste" (déjà dans le montanisme au IIe siècle), mais aussi sous les formes apparemment contraires de la mystique du silence ou de la théologie négative. ("Comment ne pas parler", c'est le sous-titre que Derrida donne à un article intitulé "Dénégations" et consacré en grande partie à cette dernière, dans le recueil Psyché.)
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MessageSujet: Re: Une pensée du langage dans la Bible?   Une pensée du langage dans la Bible? - Page 3 Icon_minitimeMer 07 Juin 2017, 11:30

"Après le tremblement de terre, il y eut un feu ; le SEIGNEUR n’était pas dans le feu. Et après le feu une voix de fin silence. " 1 R 19,12

Après des manifestations bruyantes, Dieu s'exprime par une  « une voix de fin silence ». Il ne s'agit pas ici d'un silence absolu mais de paroles habillées de silence (Monique Lise Cohen, philosophe juive et écrivain) ou d'une  voix à la limite du silence, "une voix ténue" (NBS). Parler de Dieu, nécéssite peut-être l'écoute du silence de Dieu. 

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MessageSujet: Re: Une pensée du langage dans la Bible?   Une pensée du langage dans la Bible? - Page 3 Icon_minitimeMer 07 Juin 2017, 12:11

Il y a quelques réflexions intéressantes sur le silence dans les premières pages de ce fil (que j'avais un peu oublié).

Dans 1 Rois 19, le "silence" ou le calme (relatif à ce qui précède) marque le passage du bruit à la parole -- c'est d'autant plus significatif qu'en hébreu le même mot, qol, signifie indistinctement "bruit", "son" et "voix". Si les dieux comme Baal-Hadad, Mardouk, Yahvé ou Zeus "parlent" par le tonnerre ou le vent (= "esprit"; l'orage ou la tempête fournissant le modèle classique des théophanies, dans la Bible comme ailleurs), c'est dans le passage de ce type de "voix-bruit" à une "voix-parole", comme dans l'oracle intelligible du prophète, que réside tout le mystère.

Notre lecture de ce texte (qui cherche peut-être surtout à distinguer Yahvé de Baal, fût-ce contre une grande partie de la tradition yahviste) est forcément un peu décalée dans la mesure où pour nous c'est surtout à la "parole" (et spécialement à la "logique", à la "rhétorique", au "discours" et au "bavardage" théologiques) que le "silence" s'oppose. (A la limite, nous serions presque déçus que la "voix silencieuse" débouche sur un oracle ordinaire et même pas particulièrement sublime.) Comme souvent, le potentiel d'inspiration du texte dépasse de très loin son "sens original".
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MessageSujet: Re: Une pensée du langage dans la Bible?   Une pensée du langage dans la Bible? - Page 3 Icon_minitimeMer 07 Juin 2017, 16:39

L’expression « voix de fin silence » renvoie à une citation du Livre des Rois, et à l’expérience que fait le prophète Élie, abrité dans sa caverne, d’une étrange théophanie. (...)
La traduction de l’hébreux « Qol demama daqqa » reprise par Guy Rosolato est celle proposée par Emmanuel Lévinas. Le passage a donné lieu à des dizaines de traductions différentes, qui parfois s’évertuent à gommer le paradoxe, comme celle de la Vulgate, sibilus aurae tenuis, c’est-à-dire « le murmure d’une brise légère », ou qui au contraire tentent d’en restituer la force. On trouvera un inventaire très riche, à ceci près qu’il ne mentionne pas la traduction proposée par Lévinas, dans l’article de Michel Masson sur « L’expérience mystique du prophète Élie ». Je me contenterai de citer, parmi les traductions qui sont très proches de celle de Lévinas, celle de Martin Buber (1955), dont il ne semble pas impossible qu’elle ait influencé directement Lévinas, et dont la forme progressive nous intéressera : « eine Stimme verschwebenden Schweigens, c’est-à-dire littéralement : "Une voix de silence qui va s’amenuisant" »

http://www.univ-brest.fr/digitalAssets/33/33868_cc8-4Chamerois.pdf
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MessageSujet: Re: Une pensée du langage dans la Bible?   Une pensée du langage dans la Bible? - Page 3 Icon_minitimeMer 07 Juin 2017, 22:55

Narkissos a écrit:
La traduction de l’hébreux « Qol demama daqqa » reprise par Guy Rosolato est celle proposée par Emmanuel Lévinas. Le passage a donné lieu à des dizaines de traductions différentes, qui parfois s’évertuent à gommer le paradoxe, comme celle de la Vulgate, sibilus aurae tenuis, c’est-à-dire « le murmure d’une brise légère »,

Plus tard, ils entendirent la voix de Jéhovah Dieu se promenant dans le jardin, vers le moment du jour où souffle la brise, et l’homme et sa femme se cachèrent de devant la face de Jéhovah Dieu parmi les arbres du jardin Gen. 3.8  Traduction du monde nouveau

Genèse 1.2. 2 La terre était sans forme et vide, et l'obscurité couvrait l'océan primitif. Le souffle de Dieu se déplaçait à la surface de l'eau,...  Bible en français courant


Je n'ai pu m'empêcher de rapprocher ces passages de ta citation, on y trouve Dieu se promenant dans  le jardin au moment ou la brise du soir souffle d'une part, le souffle de Dieu qui se déplace à la surface de l'eau d'autre part.
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Narkissos

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MessageSujet: Re: Une pensée du langage dans la Bible?   Une pensée du langage dans la Bible? - Page 3 Icon_minitimeJeu 08 Juin 2017, 01:04

@free:

Je ne reprocherai pas à quelqu'un qui s'intéresse à un auteur (Joyce), à un livre (Dubliners), à un cinéaste (Huston) et à un film (The Dead) que je vénère, et qui en dit de surcroît des choses fort intéressantes, de ne rien connaître à la Bible ! Eût-il seulement lu le chapitre 19 des Rois, dans n'importe quelle traduction, qu'il y aurait trouvé d'autres éléments utiles à sa réflexion, notamment en matière d'hypnagogie (les endormissements successifs d'Elie, v. 4ss, donnent à la suite du récit un caractère quasi onirique).

A mon sens la Vulgate (et avant elle la Septante, qui traduisait sensiblement de la même manière, ajoutant seulement, selon certains mss, que "le Seigneur était là" -- dans la "voix-son de brise légère") ne "gomme" aucun "paradoxe", pour la bonne raison que le texte hébreu n'est pas paradoxal; ou, si l'on préfère, il y a paradoxe quantitatif et relatif (Yahvé se révèle dans l'expérience la moins bruyante, la moins spectaculaire -- less is more -- mais qui se présente quand même comme un phénomène acoustique positif, quelque chose, presque rien mais pas rien; ainsi le "murmure d'une brise légère"), et non qualitatif ou absolu (comme dans l'idée d'un "silence" total qui "parle", idée tout à fait intéressante aussi mais qui relève de l'interprétation ultérieure du texte et non de son "sens original"; de même, par exemple, des rapprochements "désert/parole", mdbr-dbr, dont le texte biblique ne joue quasiment jamais, contrairement à ses commentaires).

@lct:

Dans ces deux textes en effet on retrouve en hébreu le mot rouah, "vent, souffle, esprit"; par contre, il y a un vrai problème de traduction en 3,8 du fait de l'étendue du champ sémantique de qôl (dont je parlais plus haut: "voix" mais aussi "bruit" ou "son") qui le rend ambigu par rapport au français: est-ce la "voix de Yahvé" (ce qui supposerait qu'il parle, avant même d'appeler l'homme) ou, par exemple, le "bruit de ses pas" puisqu'il "se promène" (et, à ce point du récit, n'a encore rien dit), comme la brise dans les arbres du jardin (cf. les multiples associations des oracles aux arbres, dans l'AT et ailleurs) ?


Dernière édition par Narkissos le Jeu 08 Juin 2017, 10:14, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Une pensée du langage dans la Bible?   Une pensée du langage dans la Bible? - Page 3 Icon_minitimeJeu 08 Juin 2017, 10:08

Je ne pensais pas seulement au début du texte mentionnant la voix de Dieu, mais également au passage mentionnant la brise qui souffle à un certain moment (peut-être le soir).
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MessageSujet: Re: Une pensée du langage dans la Bible?   Une pensée du langage dans la Bible? - Page 3 Icon_minitimeJeu 08 Juin 2017, 10:25

J'ai un peu modifié mon post précédent pendant que tu postais le tien: dans le texte hébreu, "voix" ou "bruit" (qôl) de Yahvé se confondent en effet volontiers avec le "vent du jour", rouah ha-yom (habituellement identifié à la "brise du soir" pour des raisons à la fois externes -- c'est effectivement l'heure de la promenade, "à la fraîche", dans un jardin -- et internes au récit -- après les événements de la journée, où Yahvé n'était manifestement pas là).

---

A propos de la traduction "progressive" de daqqa (1 Rois 19,12) attribuée à Buber, qui donnerait l'idée d'une extinction graduelle du son (fading out/away, une voix "mourante"), il me semble qu'elle résulte d'une confusion entre le sens du verbe dqq et celui de l'adjectif dâq, daqqa au féminin: celui-ci ne me paraît impliquer aucune notion de progressivité (ni de dégressivité) -- c'est l'adjectif employé pour les vaches ou les épis "maigres" des rêves de Joseph en Genèse 41, pour la "fine" couche de manne en Exode 16, pour la poussière "fine" d'Isaïe 29,5 ou 40,15, entre autres. Bien sûr l'effet général est dans le texte qui fait succéder un phénomène discret à des phénomènes spectaculaires et bruyants, mais pas dans le mot.
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MessageSujet: Re: Une pensée du langage dans la Bible?   Une pensée du langage dans la Bible? - Page 3 Icon_minitimeJeu 31 Déc 2020, 14:07

Je reviens à ce fil dont je ne me sens jamais très éloigné...

Au-delà de l'étonnement que suscite chez nous le manque apparent d'étonnement des textes bibliques (et plus généralement antiques) quant au fait ou au phénomène du langage (il semble aller de soi que par défaut tout parle, les dieux et les animaux comme les hommes; autrement dit, il n'y a aucune conscience explicite de la langue comme invention, production et construction spécifiquement humaines, culturelles et sociales, requérant l'activité collective de générations à perte de vue, outre une anatomie particulière de l'espèce et les conditions physiques d'une acoustique), nous aurions peut-être dû nous interroger davantage sur la manière dont les récits de "création", par exemple, introduisent la parole (dont à l'évidence ils relèvent intégralement) -- moins sur le fait que le dieu parle (ce qui est affirmé sans être expliqué ni questionné) que sur ce qu'il dit, à qui et comment il le dit.

Dans le premier récit de la Genèse on pourrait distinguer plusieurs étapes: d'abord une parole qui est tout à la fois de l'"être" ou de l'"événement", inséparables l'un de l'autre, avec le verbe hyh (être, devenir, advenir) au jussif: voeu ou ordre sans sujet ni destinataire explicites, ce qui faute de troisième personne de l'impératif en français se traduit par un subjonctif: "que x soit", "qu'il y ait x" (en premier lieu "[de] la lumière"): la parole qui produit les "choses" en même temps que leur "être" ou leur "place" (le "y" d'"il y a") naît avec elles en les nommant; le locuteur ne s'y présente pas encore, la nomination même ne s'explicite que plus tard et au discours indirect, autrement dit sur le mode du récit, après d'autres étapes également narratives: axiologie ou "jugement de valeur" qui n'est même pas un acte de parole, mais un constat de perception: "dieu vit que x (était) bon" (la qualité ou la valeur est pour ainsi dire dans les "choses" mêmes, à même celles-ci); puis un acte de séparation qui n'est pas expressément de parole (dieu sépare x de y non créé ni nommé précédemment, ainsi la lumière des ténèbres); enfin seulement, et toujours au discours indirect, la nomination ou plutôt re-nomination par un verbe de parole à double objet nominal, complément d'objet direct et attribut de l'objet, "dieu appela x x'" (p. ex. la lumière "jour").

On pourrait suivre ainsi l'évolution des énoncés: en passant du jussif absolu au jussif relatif ou médiat, ordre indirectement donné (toujours à la troisième personne) à des "choses" de produire d'autres "choses" (que la terre ou la mer produisent des plantes et des animaux); par la "bénédiction" adressée à divers "êtres", mais seulement racontée et non exprimée au discours direct (dieu les bénit), l'ordre exprès de "reproduction" directement adressé à ceux-ci à la deuxième personne de l'impératif (soyez féconds etc.); tout cela AVANT que le dieu locuteur lui-même entre dans le jeu de sa (propre) parole, mais encore au pluriel du cohortatif (première personne du pluriel de l'impératif en français: faisons l'humain à notre image). On aurait là, certes pas une "pensée du langage" au sens moderne, mais une certaine procédure grammaticale par laquelle le dieu même vient au langage avec tout le reste, progressivement, pas d'un seul coup même si la parole lui est donnée d'entrée de jeu.

On trouverait bien sûr une tout autre économie dans le second récit, où Yahvé-dieu ne commence à parler qu'au moment de parler à l'homme pour permettre et interdire, avant de parler tout seul pour une axiologie négative en aparté (il n'est pas bon que l'homme soit seul), la nomination opérée par l'homme sans discours exprès (nommer les animaux à mesure qu'ils se présentent), la poésie spontanée à l'apparition de la femme, ou encore le mode interrogatif qui arrive par le serpent (dieu a-t-il vraiment dit ?) avant de contaminer gravement Yahvé-dieu lui-même (où es-tu ? qui t'a révélé ? as-tu mangé ? qu'as-tu fait ?)...

Tout cela pour dire qu'il y aurait, de ce point de vue aussi, à relire attentivement les textes, pour y relever autant de préalables narratifs, logiques ou pré-logiques sinon chronologiques, à l'idée d'un dieu qui parle "comme tout le monde", à la première personne du singulier -- idée qui sera autrement interrogée dans l'"explication" tautologique du nom divin selon Exode 3, par le jeu du même verbe hyh qui exprime l'"être", le "devenir" ou l'"advenir" des "choses", des "êtres" ou des "événements": 'ehyeh 'asher 'ehyeh, "[je] serai-deviendrai-adviendrai qui / [ce] que [je] serai-deviendrai-adviendrai", en écho de la promesse 'ehyeh `immak, "[je] serai avec toi".
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MessageSujet: Re: Une pensée du langage dans la Bible?   Une pensée du langage dans la Bible? - Page 3 Icon_minitimeDim 03 Jan 2021, 08:49

Merci pour ces explications passionnantes.

La maîtrise douce de la parole se prolonge dans la nomination des éléments : « il appela la lumière “jour” »). Le Dieu biblique surgit d’emblée comme logon echōn, et voilà qui met l’ensemble du récit de la création en perspective. Au terme de la geste créatrice, l’homme, à qui Dieu s’adresse dans la parole (1,28), apparaît comme celui qui prolonge la nomination divine (2,20). Il a reçu de Dieu, et lui seul, une nišmat hayyîm (« haleine de vie » [2,7]) — point de départ d’un subtil jeu de mot sur la capacité de l’homme à donner des noms (šĕmôt) aux vivants de son biotope : « L’homme désigna par leur nom tout bétail, tout oiseau du ciel et toute bête des champs » (2,20). La puissance créatrice n’était donc pas dans l’ouragan, ou dans quelque arme violente, mais dans la discrétion du langage articulé, et la transcendance de l’homme par rapport au reste de la création (cf. 1,28) est à chercher également dans son être de parole. La Bible s’ouvre dès lors sur un étonnant moment de réflexivité. Si le chapitre initial de la Genèse raconte une « poétique » divine — la fabrique du monde par la parole —, il se révèle partie prenante de cette poétique : ce chapitre est fait lui-même de paroles, analogues à celles dont le monde est fait. En d’autres termes, ce chapitre est le manifeste narratif de l’intelligibilité profonde du monde, articulé par la parole de Dieu et destiné à l’être par celle de l’homme.

(…)

 Dans leur séquence, les jours de la création amplifient la successivité déjà liée à la parole . Dès le premier jour, les actes divins, tout immédiats qu’ils soient, se manifestent de manière discursive. En hébreu, l’ordre divin « Que la lumière soit » se dit dans la succession de deux mots, et le rapport du narrateur « Dieu sépara la lumière de la ténèbre » s’énonce dans un syntagme formé de six mots. La successivité est bien sûr une loi du langage et notamment du discours narratif, qui ne peut dire les choses que l’une après l’autre. Dans un réflexe de « réalisme » théologique, le récit de Genèse 1 prend soin de faire remonter cette successivité à la liberté divine elle-même. C’est l’initiative divine qui est au départ de chacun des jours et qui assure leur succession (ils s’ouvrent tous par la formule : « Dieu dit : “…” »). « Dans une correspondance significative », écrit Meir Sternberg, « le maître du discours biblique marche sur les traces du Seigneur de la réalité biblique, comme si le narrateur, dans sa manière de raconter, devait guetter le signal de Dieu dans sa manière de faire progresser l’intrigue . » https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-theologique-2009-3-page-529.htm
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MessageSujet: Re: Une pensée du langage dans la Bible?   Une pensée du langage dans la Bible? - Page 3 Icon_minitimeDim 03 Jan 2021, 10:06

Les premières pages (de la Genèse, de la Torah, de la Bible juive ou chrétienne comme de n'importe quel "grand livre", que ce soit ou non un gros livre) sont naturellement les plus lues (parce qu'on commence et recommence toujours par là même et surtout si l'on n'arrive jamais au bout), aussi les plus mal lues parce qu'on finit par les connaître "par coeur" et par ne plus les lire qu'en diagonale... n'empêche que chaque relecture, même partielle, fait découvrir des choses, détails ou effets d'ensemble, qu'on n'avait pas remarquées auparavant (ou qu'on avait oubliées, ce qui revient à peu près au même).

A défaut d'une "pensée du langage", on a bien affaire à un "langage de (la) pensée"; et aussi de la "science", dût-on entendre par là l'aspect restreint de la "connaissance" qui s'est spécialisé et considérablement développé sous ce nom dans la modernité occidentale. De ce point de vue (rétrospectif et anachronique par définition) le premier récit de création apparaît clairement comme le plus (pré-)"scientifique" des deux, par son souci d'ordre et de classification "logiques" ou "rationnels", d'organisation de la diversité du réel en catégories et en processus, bien que ce souci ait apparemment de tout autres motivations (sacerdotales, sacrales, rituelles: le monde comme ordre "sacré" dont dépend aussi le "profane", à la condition de leur "séparation") -- Westermann avait déjà à peu près tout dit là-dessus. Mais il est d'autant plus remarquable que ce soit le second récit, d'allure beaucoup moins "scientifique" mais "sapiential", qui thématise et conceptualise jusqu'à un certain point la "connaissance", pour en faire un "objet" ambivalent (objet de possession, de jouissance, d'interdit, de désir, de vol, de consommation, de discorde et de déception aussi). Et ce, pour revenir à notre thème, par un tout autre usage du langage: à la faveur d'un "conte naïf", moins "solennel" et plus "vivant" (dialogue, questions, réponses, délibérations, malédictions, qui impliquent d'emblée plusieurs acteurs et inter-locuteurs -- Yahvé-dieu, l'homme, la femme, le serpent). Mutatis mutandis, on retrouverait là un débat très moderne (cf. notamment Heidegger): le langage "scientifique", ou "technoscientifique", a besoin d'un autre langage que le sien (mythique, mystique ou poétique) pour se comprendre, y compris "comme tel" (c.-à-d. comme scientifique ou technoscientifique); sous ce rapport il ne peut rien arriver de pire à la "philosophie" que de passer pour une "science" comme les autres, fût-elle dite "humaine"; bien qu'il ne manque pas de "philosophes" pour y voir une promotion, ou la sécurité d'un domaine ou d'un champ spécialisé et délimité, sans voir que lorsque la philosophie ne parle plus que de philosophie elle ne philosophe plus du tout.
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MessageSujet: Re: Une pensée du langage dans la Bible?   Une pensée du langage dans la Bible? - Page 3 Icon_minitimeMar 28 Déc 2021, 10:42

La question du "nom" (nom propre et nom commun, nomination, appellation, don et changement de nom, désignation ou signification, mais aussi appel, interpellation ou invocation) a déjà été pas mal traitée (et, ce me semble, n'a pas été trop maltraitée) dans ce fil; j'y reviens en partie, c'est de saison, à cause de la place qu'elle occupe dans les récits évangéliques de la Nativité ("Emmanuel" et "Jésus" chez Matthieu, "Jean" et "Jésus" chez Luc), et surtout à cause de ses liens avec tout ce qui se noue autour de l'"un" (nom, adjectif, article indéfini en français, mais aussi nom et nombre, unité et multiplicité, identité et différence, même et autre, etc.).

Nous ne connaissons a priori du nom propre que le hasard et/ou l'arbitraire de l'histoire générale et/ou particulière qui nous assigne un "nom de famille" (patronyme) et un (ou plusieurs) prénom(s), dont la fonction est de nous désigner, comme unique et distinct de tout autre, malgré les homonymes "accidentels"; non de signifier quoi que ce soit, bien que les parents se penchent souvent sur la signification présumée des prénoms, et que nous puissions toujours nous y intéresser après coup. La pseudonymie naguère réservée à quelques situations, métiers, ministères ou vocations (nom de plume, nom de scène, surnom de scout, de partisan ou de gangster, changement de nom à l'entrée dans un ordre religieux ou pour l'intronisation d'un pape) tend à se banaliser, voire à s'inverser, par l'usage des pseudonymes sur Internet et dans les réseaux sociaux (tout le monde finit par "signer" beaucoup plus d'un "faux nom" que d'un "vrai", ce sont au contraire les "célébrités" qui se distinguent en utilisant leur "vrai nom", même s'il est "faux"). Ce que nous avons perdu de vue, en revanche, c'est que le "prénom" comme "nom de baptême" était, du moins dans la tradition catholique, religieux ou sacré, et non strictement familial, nom de saint ou de sainte (en plus de celui du père ou de la mère, d'un grand-père ou d'une grand-mère), équivalent du "nouveau nom" ou du "nom chrétien" que recevait, en plus ou à la place de son nom "païen", un converti (il me semble d'ailleurs que, mutatis mutandis, c'est aussi vrai dans le judaïsme ou l'islam où une conversion implique souvent l'octroi d'un nouveau nom, juif ou musulman). L'importance dans "la Bible", juive ou chrétienne, des noms donnés, interprétés ou changés par la divinité frappe le lecteur moderne au moins par son étrangeté -- Philon, qui se bornait pour l'essentiel à la Torah (Pentateuque), y consacre un de ses principaux traités, Peri tôn metanomazomenôn, en latin De mutatione nominum; le sujet est d'autant plus essentiel pour sa méthode "allégorique" (et médio-platonicienne) qui tend à interpréter tous les noms propres, qu'ils soient ou non donnés ou changés par Dieu, comme des "signifiants" d'"idées" ou de concepts, en particulier de "vertus" ou de "vices" intellectuels ou moraux. Jusque dans l'Apocalypse le thème du nom (nouveau, secret, caché, révélé) est remarquable.

A défaut de "pensée du langage", il y a donc bien une forte pensée du "nom" (šm-shem / onoma) dans la Bible, qui dessine un concept d'"identité" qu'on peut dire "artificiel" et "arbitraire", mais nullement "fortuit" -- implicitement ou explicitement, c'est d'un arbitraire divin qu'il est question. Mais cette insistance sur le "nom" se produit au détriment du "verbe", de la "phrase" ou de l'"énoncé" (tout ce que les grammairiens grecs appellent plutôt logos, fondateur de "relation": relation sujet / objet dans le cas du verbe d'action transitif, sujet / attribut ou prédicat dans le cas du verbe d'état ou copule, d'ailleurs généralement absent de l'hébreu; symptomatiquement, le logos du Prologue de Jean, même quand on le traduit par Verbe, est un nom).
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MessageSujet: Re: Une pensée du langage dans la Bible?   Une pensée du langage dans la Bible? - Page 3 Icon_minitimeMar 28 Déc 2021, 14:00

Les nombreuses attestations bibliques de l’expression « nom de Dieu » ou « nom du Seigneur » font ressortir la différence entre Dieu considéré en tant que personne et le nom de Dieu. Elles soulignent aussi le respect qui est dû à ce nom divin, caché et pourtant révélé. La sanctification du nom de Dieu et la crainte de le profaner sont centrales dans la religion d’Israël, comme l’exprime le Décalogue, particulièrement le troisième commandement donné aux partenaires de l’alliance : « Tu ne prononceras pas à tort le nom du Seigneur ton Dieu, car le Seigneur n’acquitte pas celui qui prononce son nom à tort » (Ex 20, 7 et //). De même, la première requête de la prière du Seigneur, « que ton nom soit sanctifié » (Mt 6, 9 et //), entre parfaitement dans ce cadre religieux, tout comme la vénération du « nom de Dieu » par les premiers chrétiens (par ex., Jn 17, 6).

 Selon le livre de l’Exode, Moïse, le chef admiré, avait besoin de l’aide de son frère Aaron (Ex 4, 10-17). Les juifs de langue grecque, particulièrement Philon d’Alexandrie, se sont interrogés sur la nécessité d’une telle aide. Philon conclut que Moïse représente l’expérience de la présence de Dieu, tandis qu’Aaron représente le besoin de parole, particulièrement le besoin de noms pour exprimer l’expérience religieuse. En tant que personne, Dieu demeure transcendant ; le vrai nom de Dieu, sa vraie nature et sa personne ne peuvent être connus, mais l’expérience de Dieu peut être accessible et elle a besoin d’être exprimée. C’est pourquoi il y a une corrélation entre la réalité religieuse et l’expression religieuse. Les mots sont si importants que quelques textes stipulent que cette expérience spirituelle doit être exprimée en hébreu, la langue divine de la création, une langue que l’on croyait avoir perdue après la chute mais qui est redécouverte à l’époque d’Abraham.

Le texte de Gn 2, 19-20 situe l’importance de la nomination dans le temps de la création : Dieu amène à Adam les animaux qu’il a créés pour voir quel nom il leur donnera. Aujourd’hui encore, donner un nom revêt une importance particulière (un nom doit s’accorder à ce qu’il désigne et il doit être bien choisi). Si le nom qui est donné semble artificiel ou s’il ne s’accorde pas à ce qu’il désigne, on choisit souvent un surnom. Dans l’Antiquité, on apportait plusieurs solutions à la question du lien entre res et verbum. Certains philosophes présocratiques et tous les sophistes pensaient que les noms étaient donnés non par nature (phusis) mais par convention (thesis). Au contraire, les stoïciens postulaient une relation intrinsèque entre les noms et la réalité. Fondés sur leur théorie du logos universel, ils insistaient sur l’aspect naturel des noms. La tradition platonicienne choisit une position moyenne. Les noms sont attribués par convention, mais ils sont aussi le moyen, le seul moyen, d’atteindre la réalité. Ils sont comme l’ombre projetée par un corps. À partir de leur doxa, l’esprit industrieux peut trouver un chemin pour remonter jusqu’à la réalité qu’ils expriment. Philon entra dans la discussion en disant qu’Adam avait joué un rôle décisif dans le premier acte de nomination. Adam fut le premier et le seul individu à donner leurs noms aux animaux, alors que les Grecs de l’Antiquité croyaient que, dans le passé, plusieurs sages avaient participé à cet acte qui consiste à choisir des noms. Dans l’épisode du baptême de Jésus, les mots énigmatiques kai ên meta thêrion, « il était avec les bêtes sauvages » (Mc 1, 13), se réfèrent probablement à la figure d’Adam et à cet épisode (Gn 2, 19-20).

https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2007-3-page-337.htm
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