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| Les pauvres vous,..., vous les avez toujours avec vous,... | |
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Auteur | Message |
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Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Les pauvres vous,..., vous les avez toujours avec vous,... Jeu 04 Aoû 2022, 13:49 | |
| L'abondance des citations, qui n'en finissent pas de se recouper dans tous les sens, fait cruellement ressortir l'absence d'une pensée tant soit peu organisée (et la nouvelle manie des publications de "sciences humaines" qui datent les références de la dernière édition n'arrange rien: le lecteur ignorant des disciplines concernées a l'impression que Weber, Troeltsch, Mauss ou Ellul sont contemporains); dans ce fatras on se demande bien d'où, de quel point de vue, de quel droit, à partir de quelle autorité normative (chrétienne, catholique, protestante, laïque, humaniste ?) l'auteur se permet des jugements de valeur (bien ou mal, danger, etc.) comme s'ils devaient aller de soi pour tout le monde...
A mon sens, la contradiction logique que je tentais d'énoncer ci-dessus (2.8.2022) ne doit pas être émoussée ou affaiblie, quand même elle traverse à peu près tous les textes "bibliques" (tels que nous les lisons) et ne permet pas de les opposer simplement les uns aux autres. Le "don sans retour" qui se traduirait par un "trésor dans le ciel" ne serait évidemment plus sans retour, il ne serait pas désintéressé mais suprêmement intéressé, sa logique s'auto-annule indéfiniment (comme "les premiers seront les derniers" ou "qui veut sauver son âme la perdra"): c'est une logique perverse (double bind) que tout "évangile" ne peut mettre en évidence qu'en y (ou en) participant, en la jouant pour ainsi dire jusqu'au bout alors qu'elle est sans fin, comme un retournement permanent...
La contradiction, en outre, ne peut être entendue comme telle que si on n'édulcore pas (non plus) les expressions les plus extrêmes de ses différents termes: ainsi il y a, notamment chez Matthieu, des formulations quasi matérialistes (au sens marxiste du mot, malgré l'anachronisme): quand on dit "là où est ton trésor, là aussi sera ton coeur" (et non le contraire !), on signifie bien qu'une situation matérielle conditionne et détermine un état "spirituel" (mental, affectif, idéologique, selon toute la sémantique du "coeur") -- donc qu'aucun "esprit de pauvreté" (au sens bourgeois-chrétien) ne saurait se substituer à une pauvreté réelle... Et dans cette perspective, ce n'est pas non plus l'action caritative, sociale, politique, et encore moins ses résultats qui sont décisifs.
Je rappelle par aileurs que Jacques Derrida a consacré une bonne partie des enseignements (publications et séminaires) des quinze ou vingt dernières années de sa vie à cette question du "don", notamment par une critique assez radicale de la thèse "classique" de Marcel Mauss, dans un sens que je dirais quasi platonicien (ce serait très ironique par rapport à la trajectoire de Derrida, qui a commencé par "déconstruire" Platon): le don, s'il y en a, c'est sans retour, sans reconnaissance, sans trace, autrement dit l'impossible, impossible à systématiser dans la circulation d'une économie mais qui peut toujours arriver, on ne sait d'où... |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Les pauvres vous,..., vous les avez toujours avec vous,... Mar 09 Aoû 2022, 13:37 | |
| Parallélismes avec les lois du Proche-Orient ancien et les prescriptions du Code de l’Alliance et du Code deutéronomique et mise au jour de la spécificité de Lv 25
Dans le code deutéronomique
Dt 15,12s traite de la libération des esclaves hébreux. Ceux-ci sont qualifiés de « frères ». Cette dénomination sous-tend la législation du code deutéronomique, dont la visée est de permettre le retour à la liberté du frère tombé en esclavage dans les meilleures conditions possibles, si celui-ci le désire, lors de la septième année de servitude. L’appartenance à un même peuple apparaît ainsi première par rapport aux droits du propriétaire, que privilégiait le texte d’Ex 21,2s. Les dispositions du code deutéronomique reprennent et élargissent les dispositions du code de l’alliance. Ici, aucune exception ne vient remettre en question le caractère systématique de la loi. Celle-ci, contrairement à la législation du code de l’alliance, établit un traitement identique entre esclaves hommes et femmes, et insiste sur le libre-arbitre de celui qui s’est vendu (l’usage du verbe mâkar au niphal – se vendre –, et non plus du verbe qânah – acheter – déplace le centre de gravité de la loi, par rapport au texte parallèle du code de l’alliance, de la personne du propriétaire à celle de l’Israélite qui a été contraint de se vendre). Par ailleurs, la dotation dont bénéficie l’esclave libéré permet à celui-ci d’éviter de retomber en esclavage (cf. Dt 15,14).
Mais la différence principale qui sépare Dt 15,12-18 d’Ex 21,2-11 est la motivation théologique de la loi : elle prend appui sur l’événement fondateur de la libération d’Égypte (Dt 15,15 : Tu te souviendras qu’au pays d’Égypte tu étais esclave et que le Seigneur ton Dieu t’a racheté ; c’est pourquoi je te confie cette parole aujourd’hui.) La traduction « souvenir », proposée pour zâkar, rend insuffisamment compte de la signification de ce concept : l’événement de salut advenu en Égypte a une fonction critique vis-à-vis de toutes les situations ultérieures de servitude que pourraient rencontrer les Israélites. L’acte de mémoire auquel les Israélites sont invités est efficace et opératoire dans la vie de la société.
La comparaison des lois concernant la libération des esclaves dans les deux corpus envisagés fait apparaître une évolution sensible : l’obéissance à la loi acquiert une dimension théologale. Au droit coutumier d’Ex 21 se substitue, dans le code deutéronomique, une loi fondée sur la mémoire de l’action libératrice de Yahvé en faveur de son peuple. L’enracinement théologique de la loi a comme corollaire l’évolution de la législation, désormais plus favorable aux Israélites conduits à l’esclavage pour dettes. Ainsi, une situation sociale ancienne régie par un droit coutumier donne lieu à une réflexion théologique qui conduit, certes, à garder en Dt 15 le « cadre » de la prescription législative (libération des frères esclaves la septième année), mais en modifie la finalité en lui apportant un fondement théologique.
D’autre part, en Dt 15,1-11, la loi de šmittah expose les modalités d’une remise des dettes chaque septième année. L’opposition formelle entre v. 4 et 11 (suppression de la pauvreté selon le v. 4, et caractère incontournable de la question de la pauvreté, selon le v. 11) illustre peut-être la tension qui existe entre la réalité et un objectif « utopique » poursuivi par la loi.
https://www.cairn.info/revue-transversalites-2014-1-page-7.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Les pauvres vous,..., vous les avez toujours avec vous,... Mar 09 Aoû 2022, 16:35 | |
| Belle prise ! Tout cet article -- dont l'objet principal est Lévitique 25 (associé à ce qu'on appelle "Code de Sainteté", à partir du chap. 17), par comparaison avec Exode 21 (= "Code de l'Alliance") et Deutéronome 15 d'une part, avec les textes mésopotamiens d'autre part -- mérite d'être lu très attentivement.
Sur Exode 21 et Deutéronome 15, je m'étonne un peu qu'Artus ne rappelle pas, fût-ce pour la réfuter, la thèse plus ancienne qui rattache le qualificatif "hébreu" (`bry-`ivri, de `br = passer, au-delà, etc.), dans les contextes où il est question d'esclavage (aussi Jérémie ou le "roman de Joseph", p. ex.), à une "classe sociale" (travailleurs "détachés" dirait-on aujourd'hui dans un sens similaire, a priori non liés à un maître ou à un domaine, éventuellement petits propriétaires ayant perdu leur terre, susceptibles de se déplacer et de s'engager n'importe où comme "salariés", mais aussi, quand les choses tournent mal pour eux, de s'endetter et d'être vendus comme esclaves), plutôt qu'à une définition "ethnique" (équivalente à "israélite" ou éventuellement plus large, d'après l'éponyme Héber de Genèse 10) ou géographique (la "Transeuphratène", `br [h-]nhr[ym], "au-delà du ou des fleuves", du point de vue des empires mésopotamiens successifs, soit la région à l'ouest et au sud-ouest de l'Euphrate). Du coup les recommandations correspondantes joueraient d'une sorte de "conscience de classe" (ou de proximité de classe) plutôt que de (com-)patriotisme, ce qui ne serait pas sans intérêt...
En tout cas ce que tu soulignes, "la tension qui existe entre la réalité et un objectif « utopique »", est bien ce que signifie, volontairement ou non, la "contradiction" que je relevais dans Deutéronome 15 en rouvrant ce fil. Les pauvres, comme disait la formule populaire, quand y en a plus y en a encore...
Resterait à méditer le sens stratégique ou rhétorique de ces législations inapplicables, soit parce qu'elles requièrent le miracle (dans le cas du jubilé, il faudrait vivre trois ans de la dernière récolte), soit parce que le législateur "religieux" ne dispose d'aucun pouvoir politique et n'est pas en situation de faire appliquer (enforce, comme dit l'anglais, rappelant que si l'on peut superficiellement opposer le droit à la force il n'y a pas de droit sans force) quelque règle ou norme que ce soit (ce qui est le cas de toute la période du "Second Temple", sous empire perse ou hellénistiques, jusqu'aux hasmonéens). Elles produisent sans doute de l'"utopie" et de la "conscience morale" (plutôt mauvaise que bonne conscience, faute de réalisation possible), mais aussi, fatalement, beaucoup d'hypocrisie. On aurait d'ailleurs tort de croire que c'est l'apanage du "religieux", puisque la même attitude de législation idéale et imaginaire se retrouve, mutatis mutandis, aussi bien chez les philosophes (de Platon à Nietzsche au moins) et les politiques, révolutionnaires, réformistes ou conservateurs. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Les pauvres vous,..., vous les avez toujours avec vous,... Jeu 11 Aoû 2022, 10:48 | |
| Deutéronome 15 : la remise
Il faudrait encore parler longuement du chapitre 15 du Deutéronome qui commence par ces mots : « Au bout de sept ans, tu feras la remise (shemitah en hébreu, aphésis en grec). Voici en quoi consiste la remise : tout créancier qui aura fait un prêt à son prochain en fera remise » (Deutéronome 15, 1-2). Une discussion séculaire porte sur la nature exacte de cette rémission : est-elle une annulation pure et simple des dettes ou un répit laissé au débiteur pendant l’année de shemitah ? En tout cas, la législation développée dans ce chapitre affleure à plusieurs reprises autour du Notre Père en Matthieu 5 et 6 : ne pas se refuser à prêter à celui qui le demande (Matthieu 5, 42), éviter de n’avoir d’yeux que pour l’argent et d’obscurcir son regard (Matthieu 6, 19-24), tout cela rappelle l’esprit de la rémission tel qu’il est développé en Deutéronome 15 (voir en particulier les v. 7-9 qui informent précisément les versets matthéens que nous venons de citer).
https://www.cairn.info/revue-communio-2018-2-page-25.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Les pauvres vous,..., vous les avez toujours avec vous,... Jeu 11 Aoû 2022, 12:11 | |
| N.B.: C'est avec un autre Lefebvre, Jean-François et non Philippe, que dialoguait (notamment) Olivier Artus dans l'article précédemment cité (9.8.2022).
Le substantif shemitta n'apparaît que dans le Deutéronome (15,1ss et 31,10), mais le verbe correspondant (šmt) est aussi dans Exode 23,11 ("Code de l'Alliance"), et son sens concret de "faire ou laisser tomber" semble bien attesté (cf. 2 Samuel 6,6 // 1 Chroniques 13,9, pour l'arche, dans l'épisode d'Ouzza; 2 Rois 9,33, pour Jézabel défenestrée; voir aussi Jérémie 17,4; Psaume 141,6). L'équivalence grecque aphièmi-aphèsis (aussi pour les "péchés-dettes") paraît excellente, surtout du point de vue de l'idiome français où elle rejoint nombre d'expressions en "laisser" (laisser tomber, laisser aller, laisser faire, laisser courir, laisser filer, laisser pisser...). Le contexte du Deutéronome n'exige sans doute pas davantage qu'une "rémission" ou un "répit" provisoires (revoir si besoin les parallèles mésopotamiens présentés par Artus), en revanche le Lévitique (avec un autre vocabulaire) suppose bien des actes définitifs et néanmoins réguliers, qui pour ainsi dire annulent (au double sens du nul et de l'anneau, cycliquement) l'histoire, du moins économique: tout se passe comme si ce qui est advenu, enrichissement ou appauvrissement, n'était pas advenu.
Il faut bien comprendre que toute "économie" (conçue par définition comme viable, durable, selon un "système" lui-même cyclique de circulation des biens entre les personnes et les collectivités) suppose la préservation de traces: l'écriture sous toutes ses formes est d'abord faite pour ça, les premiers "livres" sont comptables et juridiques (ventes, achats, contrats, inventaires, factures, reçus) autant que narratifs, comptes et contes; l'effacement ou la perte de la trace, comme la "grâce" par rapport à la "justice", n'a de sens qu'en tant qu'exception à la règle, contre la règle même d'une économie mémorielle qui arraisonne le temps par le calcul et permet l'anticipation, la projection, la planification, la spéculation aussi -- tout ce que nos économies modernes fondées sur le "crédit" et le "fiduciaire" (deux fois la foi, credo / fides) ont porté à un niveau de sophistication et de virtualité inédit, sans vraiment changer la nature circulaire et circulatoire de l'"économie" (loi, nomos, toujours rapportée au point de vue d'une "maison" ou d'un "domaine", oikos, d'un "compte" en somme, qui règle ce qui en sort et ce qui y rentre, débit, crédit, et à cette fin en conserver la trace, écrite d'une manière ou d'une autre).
Bien sûr la règle a besoin d'exceptions, qui la débloquent chaque fois que son application stricte la paralyse (de ce point de vue les textes mésopotamiens, antérieurs au textes bibliques de plus d'un millénaire parfois, sont tout à fait éclairants). Mais il est doublement problématique de vouloir faire de l'exception la règle, ou même une règle -- comme dans le cas de la régularisation périodique, tous les trois, quatre, sept ou cinquante ans, qui se prête à son tour au calcul: c'est tout à fait clair dans les textes "bibliques" où l'esclavage provisoire deviendrait une sorte de CDD, et la vente ou l'achat provisoires (dans le domaine foncier du moins) une location, dont les intérêts se calculeraient aussi, au prorata des périodes d'une "grâce" à l'autre... |
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