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| Comment considérer les Apocryphes ? | |
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Auteur | Message |
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Frere toc
Nombre de messages : 285 Age : 52 Date d'inscription : 24/08/2011
| Sujet: Re: Comment considérer les Apocryphes ? Mar 4 Mar 2014 - 22:01 | |
| Désolé, j'ai posté au mauvais endroit.
Dernière édition par Frere toc le Jeu 6 Mar 2014 - 0:37, édité 1 fois |
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Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Comment considérer les Apocryphes ? Mer 5 Mar 2014 - 9:36 | |
| - pimprenelle a écrit:
- Tout ça pour conclure que les bibles sont toutes le choix des hommes et non de Dieu!
C'est l'homme qui en fixe les divers contenus!
Dès lors qu'est-ce que la bible?comment la considérer ?puisque les bibles sont toutes le fruit des hommes!
Cconnais-tu un écrit qui ne soit pas le fruit des hommes ? En ce qui me concerne, je trouve le canon actuel fascinant et passionnant ... Quels compromis ont du réaliser les divers conciles pour mettre dans une même bibliothèque des livres aussi éloignés que les épîtres de Paul et l'évangile de Matthieu ... l'évangile de Jean et les évangiles synoptiques ... ? |
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Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Comment considérer les Apocryphes ? Ven 7 Mar 2014 - 9:54 | |
| Que pouvons-nous apprendre de l'Évangile de Thomas ?La première de ces particularités est la présence dans l'Évangile de Thomas de certaines paroles qui ne figurent pas dans le Nouveau Testament, mais qui présentent une parenté frappante avec l'enseignement de Jésus tel que nous le font connaître les évangiles synoptiques. C'est le cas, par exemple, du logion 82 : - Citation :
- Jésus a dit : « Celui qui est près de moi est près du feu, et celui qui est loin de moi est loin du Royaume ».
Cette parole, citée également par Origène, pourrait bien remonter à Jésus lui-même. Sa construction antithétique est bien dans le style de la prédication de Jésus. De même, son contenu évoque un aspect central de cette prédication : la présence de Jésus est le signe de l'avènement imminent du Royaume de Dieu ; elle place les hommes devant un choix décisif: se tenir loin de Jésus, c'est s'exclure du Royaume; se tenir près de lui, devenir son disciple, c'est s'exposer au feu, être prêt à marcher comme lui sur la voie de l'épreuve et du don de soi. Un autre exemple de parole de Jésus peut-être authentique nous est donné par le log. 98, la parabole de l'homme qui veut commettre un attentat : - Citation :
- Jésus a dit : « Le Royaume du Père est semblable à un homme qui veut tuer un grand personnage. Il dégaina l'épée dans sa maison, il perça le mur pour savoir si sa main serait (assez) ferme. A lors il tua le grand personnage ».
Ici, la parenté est évidente avec les paraboles jumelles de Luc 14, 28-32, la parabole de l'homme qui veut bâtir une tour et celle du roi qui veut partir en guerre. Chez Luc comme dans l'Évangile de Thomas, l'auditeur de Jésus est placé devant la même question : la condition du disciple est difficile; avant de s'y engager, il faut donc bien calculer les risques et s'examiner soi-même, pour ne pas être de ceux qui mettent la main à la charrue et qui ensuite regardent en arrière. Ces deux exemples montrent que l'Évangile de Thomas conserve quelques paroles de Jésus qui sont de fort bon aloi et appartiennent à un état très ancien de la tradition. Il se rattache donc à une autre filière de transmission que les évangiles synoptiques. [...] L'évangile de Thomas, témoin d'un genre littéraire et d'un courant de pensée original remontant aux premiers temps du christianisme J'en viens à une troisième particularité de l'Évangile de Thomas qui parle en faveur de son indépendance par rapport aux synoptiques. C'est le fait qu'il ne transmette que des paroles de Jésus, à l'exclusion de tout élément narratif. L'un des apports les plus remarquables du nouvel évangile est de prouver l'existence, dans les premiers temps du christianisme, d'un genre littéraire particulier : les recueils de paroles de Jésus. Du même coup, il nous permet de cerner l'identité d'un courant religieux original, qui a interprété l'enseignement et ]a figure de Jésus dans les catégories de la sagesse. En fait, l'Évangile de Thomas est venu confirmer une des hypothèses les plus célèbres de la critique des sources du Nouveau Testament. Vous savez sans doute que, pour expliquer la parenté entre les évangiles synoptiques, on postule l'existence d'un recueil de paroles de Jésus, ordinairement appelé source des loggia ou source Q. C'est ce recueil qui a fourni aux évangélistes Matthieu et Luc les nombreuses paroles de Jésus qu'ils ont en commun et qui ne se retrouvent pas dans leur deuxième source, l'évangile de Marc. L'existence et la reconstitution du document que l'on appelle la source Q demeurent hypothétiques - nous n'en avons aucune trace en dehors des évangiles de Matthieu et de Luc. Or la découverte de l'Évangile de Thomas est venue renforcer considérablement cette hypothèse. La source Q et Thomas appartiennent en effet au même genre littéraire du recueil de loggia. Cette identité de genre ne peut pas être due au hasard : l'auteur de notre apocryphe n'a pas créé de toutes pièces un nouveau type d'évangile ; il n'a fait que s'inscrire dans la continuité d'un genre qui plonge ses racines dans les premiers temps du christianisme et qui l'apparente à la source commune à Matthieu et à Luc. Le témoignage conjugué de l'Évangile de Thomas et de la source Q permet de faire un pas de plus. Il apporte la preuve que certains milieux du christianisme primitif se sont intéressés avant tout à l'enseignement de Jésus et qu'ils l'ont conservé sous la forme de collections de sentences ou de dits. Ce faisant, ils ont repris à leur compte un genre traditionnel de la littérature antique, juive et gréco-romaine : le recueil de sentences d'un sage. http://protestantsdanslaville.org/gilles-castelnau-libres-opinions/gl187.htm |
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| Sujet: Re: Comment considérer les Apocryphes ? Ven 7 Mar 2014 - 16:50 | |
| Le Conseil de Jamnia .... se fixa la tâche de déterminer comment le Judaïsme pourrait survivre au Temple (on se souvenait de ce qui s’était passé 5 siècles auparavant, lors de la conquête babylonienne). L’une des réponses à cette question fut la clôture du canon juif – en particulier en fixant les limites desכתובים, « les autres écrits ». Il parut alors indispensable à ces Pharisiens – jusqu’alors accueillants à tous les « autres écrits » – de « purifier », et de fixer de façon définitive le contenu de cette troisième partie de la Bible hébraïque. Les minutes du Conseil / Concile de Jamnia n’ayant pas été tenues, nous en ignorons son déroulement exact. Nous savons seulement : 1. que la date supposée de rédaction de chaque livre fut un critère essentiel ; en effet, la croyance qu’il n’y avait plus eu de prophète en Israël après la mort d’Esdras s’était répandue : aucun livre écrit après cette date ne pouvait donc être inspiré ; 2. qu’il y eut de grandes divergences d’opinion sur l’Ecclésiaste, קהלת - Qohélèt, et le Cantique des Cantiques,שיר השירים , qui furent finalement adoptés – sans doute parce qu’on les attribuait à Salomon ; 3. qu’aucun livre ne fut adopté qui ne fût déjà reconnu et populaire, ce qui fait que le Concile de Jamnia entérina un canon déjà fixé de façon informelle au travers de générations de croyants. Vers 100,
le canon de la תנך TaNaCh était définitivement clos,
et
le Judaïsme devint alors la religion d’un Livre. http://www.y-mailliet-le-penven.net/FIXATION-DU-CANON-DE-LA-TANAKH.html |
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| Sujet: Re: Comment considérer les Apocryphes ? Lun 10 Mar 2014 - 9:42 | |
| En lisant ce que tu as écrit ces derniers jours sur les "apocryphes", et plus particulièrement sur Jamnia-Yabné, je crains de n'avoir pas été suffisamment clair sur ce sujet quand il m'est arrivé de l'évoquer par le passé sur le forum.
Ce qui est à peu près sûr, c'est que Yabné est un centre important (voire le principal) de ce qu'on peut appeler la refondation pharisienne du judaïsme entre les deux guerres juives (de 70 à 132, de Johanan ben Zakkaï à Gamaliel II), qui prend la relève du "sanhédrin" (mot qui est lui-même une hébraïsation du grec sunedrion = "conseil") de Jérusalem. Que des questions canoniques y aient été discutées parmi beaucoup d'autres (il y en a de beaucoup plus fondamentales, comme l'abandon des sacrifices et donc la mise hors-service de la prêtrise), ça ne fait guère de doute, quoique les sources talmudiques ne rattachent guère à ce lieu que des discussions sur Qohéleth (l'Ecclésiaste) et le Cantique des cantiques aboutissant à la "canonisation" de ces derniers (en termes rabbiniques ils "souillent les mains", c.-à-d. qu'il faut se laver les mains après les avoir touchés => ils sont "sacrés"). Par contre, il est très douteux qu'il y ait jamais eu là un "concile" ou un "synode" pour décider officiellement de ces sujets (hypothèse du XIXe siècle, par extrapolation abusive du modèle des "conciles" de l'Eglise ancienne, largement réfutée depuis mais toujours répétée sur internet, peut-être aussi à la faveur de l'ambiguïté de l'anglais "council" qui peut désigner un "conseil", institution permanente, ou un "concile", assemblée extraordinaire). La délimitation précise du "canon juif" est plus probablement le résultat d'un processus long et informel qui consacre progressivement la prépondérance des vues pharisiennes qu'une "décision officielle" qu'a priori personne n'aurait été habilité à prendre. (Spermologos) |
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| Sujet: Re: Comment considérer les Apocryphes ? Lun 10 Mar 2014 - 16:09 | |
| Question : Que penses-tu de l’idée qui veut que le conseil de Jamnia-Yabné aurait réfuté (entre autre) les écrits grecs comme le livre de la Sagesse, les Maccabées … en réaction au fait que les chrétiens utilisaient la Septante, plus propice à leur messianisme ?
Réponse :
Le "canon" habituellement rapporté (mais la chose est discutée, surtout à cause de la référence anachronique à Boniface qui ne deviendra évêque de Rome qu'en 418) au troisième concile de Carthage (397) représente tout au plus un consensus régional (Afrique du Nord; une variante précise d'ailleurs que la liste est soumise à la confirmation de l'Eglise "transmarine", c.-à-d. romaine). Il concerne autant l'AT (où il inclut nommément Tobit, Judith, et les deux [premiers] livres des Maccabées, ainsi que cinq livres "de Salomon", donc très certainement la Sagesse et l'Ecclésiastique/Siracide en plus des Proverbes, du Cantique des cantiques et de l'Ecclésiaste) que le NT (dans la même liste que le nôtre apparemment, avec une formulation un peu bizarre pour l'épître aux Hébreux: "treize épîtres de l'apôtre Paul, une du même aux Hébreux", où l'attribution à Paul paraît secondaire). Cf. http://www.bible-researcher.com/carthage.html
Il faut bien comprendre que ce genre de liste est surtout intéressant à la marge, c.-à-d. pour les livres inclus dans certaines listes et exclus par d'autres -- ce qui ne doit bien sûr pas occulter l'accord général sur la plupart des livres, déjà acquis de longue date.
Quant à Jamnia-Yabné, le problème est qu'aucune source (talmudique) ne lui attribue explicitement le rejet de quoi que ce soit. Un tel rejet a bien eu lieu dans l'histoire du judaïsme rabbinique, puisque de fait la bible juive est devenue ce qu'elle est, ce qui implique a minima le choix 1) d'une langue (l'hébreu, avec un chouïa d'araméen, contre le grec), 2) d'un canon (où même des livres originellement écrits en hébreu comme le Siracide ne figurent pas, bien qu'ils soient quelquefois cités dans le Talmud), et 3) d'une édition (pré-massorétique). Que le processus qui a abouti à ce résultat ait commencé à Jamnia, vers la fin du Ier siècle, c'est probable, dès lors qu'on ne s'imagine plus un "concile" légiférant d'autorité une fois pour toutes. De plus les "chrétiens", pour autant qu'ils soient à cet époque identifiés comme tels, ne sont pas les seuls "adversaires", tant s'en faut: le consensus rabbinique se fait aussi au détriment partiel d'autres "écoles" juives, sadducéenne, essénienne, alexandrine, qui ne se retrouveront pas (ou très partiellement) dans le "christianisme". P. ex., la non-inclusion du livre d'Hénoch peut difficilement passer pour un acte anti-chrétien -- bien que ce livre soit manifestement reçu dans certaines composantes chrétiennes, cf. l'épître de Jude. (Spermologos) |
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| Sujet: Re: Comment considérer les Apocryphes ? Mar 11 Mar 2014 - 10:19 | |
| - Citation :
- La phrase suivante m’a énormément éclairé :
« La délimitation précise du "canon juif" est plus probablement le résultat d'un processus long et informel qui consacre progressivement la prépondérance des vues pharisiennes qu'une "décision officielle" qu'a priori personne n'aurait été habilité à prendre. » En effet les pharisiens et leur conseil ne représentaient pas en 90 une autorité reconnue et acceptée par l’ensemble du judaïsme, comme tu le soulignes, « le consensus rabbinique se fait aussi au détriment partiel d'autres "écoles" juives, sadducéenne, essénienne, alexandrine ».
C’est la prédominance des pharisiens, acquise avec les années qui a fait du concile de Jamnia-Yabné, la référence. Si une autre « écoles juives » avait acquise la prépondérance, le canon aurait été différent, je suppose. Commentaire : Peut-être (que le canon aurait été différent), mais il ne faut pas s'exagérer non plus la portée des "décisions" qui interviennent tout à la fin d'un processus de canonisation de fait qui s'étend sur plusieurs siècles: elles ne jouent plus qu'à la marge d'un corpus dont l'essentiel est acquis depuis longtemps. Il n'y a plus de discussion possible sur la Torah, les Prophètes, ou les Psaumes, mais il peut encore y en avoir sur des "bricoles" comme le Cantique, Qohéleth ou Daniel (ou sur le Siracide, Judith, Tobit, Hénoch, etc.). De sorte que le parti qui a la haute main sur la phase finale du processus n'est pas pour autant en mesure de produire un livre "à son image". La Bible juive n'est pas un "livre pharisien", le Nouveau Testament n'est pas non plus un "livre orthodoxe". D'ailleurs il faut noter que même dans cette marge où un certain pouvoir de décision s'exerce, ce ne sont pas toujours des critères partisans qui l'emportent. On peut difficilement imaginer plus anti-pharisien que Qohéleth, pourtant il est "canonisé", alors que le Siracide, Judith ou Tobit, beaucoup plus proches des vues pharisiennes, ne le sont pas. C'est dire que l'idéologie ne fait pas tout; le "parti pharisien", dès lors qu'il n'a plus d'opposition externe et doit assumer tout seul le devenir d'un "judaïsme" extrêmement divers, retrouve à l'intérieur une bonne partie des débats qui l'opposaient précédemment à l'extérieur. Par la force des choses il est lui-même moins homogène, moins "idéologiquement pur", et ses décisions résultent de négociations et de compromis entre des tendances qui reflètent au moins en partie la diversité antérieure, laquelle d'ailleurs ne disparaît pas du jour au lendemain de la communauté, en Palestine et dans la diaspora. Aucune "orthodoxie" au pouvoir ne peut éliminer tous ses hérétiques. Il y en a qui "pèsent trop lourd" et avec qui elle doit composer en les intégrant. (Mutatis mutandis, ça vaut aussi pour l'"orthodoxie" chrétienne de la "grande Eglise".) (Spermologos) |
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| Sujet: Re: Comment considérer les Apocryphes ? Mar 11 Mar 2014 - 17:00 | |
| La canonisation des Écritures chrétiennes opéra une sélection parmi d'autres écrits déjà existants. Ne furent pas retenus les écrits des Pères apostoliques (Clément de Rome, Ignace d'Antioche, la Didachè, Hermas, etc.), considérés comme témoins de traditions postérieures à celles conservées dans le Nouveau Testament. Ne furent pas retenus non plus plusieurs écrits, tous rédigés avant la fin du IIe siècle, que l'on se mit à appeler apocryphes, c'est-à-dire " cachés " : cinq Évangiles et une Apocalypse. Trois de ces Évangiles sont nés en milieu chrétien de langue araméenne : Évangile des Ebionites, Évangile des Nazaréens, Évangile des Hébreux. On n'en connaît que quelques fragments par des citations chez les Pères de l'Église. Les deux autres furent originellement rédigés en grec : l'Évangile de Pierre, dont on a retrouvé une section assez importante en 1884 ; l'Évangile de Thomas, dont on connaissait quelques fragments grecs et dont une traduction copte complète a été retrouvée en 1947 à Nag Hammadi, en Égypte. Une Apocalypse de Pierre, difficile à dater avec précision, ne fut pas, elle non plus, retenue dans le Canon chrétien des ÉEcritures. Évangile de Pierre, Évangile de Thomas et Apocalypse de Pierre sont des écrits pseudépigraphes. Il existe de très nombreux autres écrits chrétiens apocryphes, mais ils sont postérieurs à la fin du IIè siècle. La question de leur introduction dans le canon ou de leur exclusion ne se posa pas.
http://eduscol.education.fr/cid46350/la-formation-des-textes-bibliques -le-nouveau-testament.html |
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| Sujet: Re: Comment considérer les Apocryphes ? Ven 21 Mar 2014 - 11:33 | |
| En très bref, la formation du canon du NT est un processus de stabilisation progressive qui a pris plusieurs siècles, en fonction de l'évolution des rapports de force et des négociations entre les Eglises incluses dans le "pool" catholique et de l'exclusion d'autres groupes. S'il est vrai que Marcion a joué un rôle essentiel en proposant une première synthèse doctrinale autour d'un premier canon, en revanche ni Constantin ni le Concile de Nicée n'y sont pour grand-chose (contrairement à des affirmations souvent réfutées, mais encore plus souvent répétées sur internet). Le canon est une concrétion historique qui résulte d'une longue série de compromis, et non le fruit d'une décision purement idéologique prise un beau jour et sans contrainte par la concertation d'une "poignée d'hommes". Sur le deuxième, il y a autant de réponses que de "familles d'apocryphes"; les éléments centrifuges qui se retirent ou sont exclus de ce que j'appelais le "pool" de négociation catholique emportent avec eux certains de "leurs" textes et en écrivent d'autres, d'autant plus marqués par leurs idéologies respectives qu'ils n'ont plus de compromis à faire avec "l'Eglise" et qu'au contraire ils s'y opposent. La bibliothèque de Nag Hammadi donne un bon exemple de l'éventail "gnostique", mais il y a des trajectoires tout à fait différentes (p. ex. chez les judéo-chrétiens, "ébionites" et autres). P.S.: j'ai oublié de préciser qu'un grand nombre d'"apocryphes" chrétiens (c.-à-d. de livres qui n'ont finalement pas été retenus dans le canon du NT) étaient parfaitement " orthodoxes", au sens où l'Eglise émergente n'avait rien à leur reprocher du point de vue idéologique. Ainsi la Didachè, l'épître de Barnabé, l'évangile et l'apocalypse de Pierre, le Pasteur d'Hermas, la troisième épître aux Corinthiens, le protévangile de Jacques (qui est le prototype des évangiles de l'enfance, un genre qui fleurira dans l'Eglise catholique jusqu'au moyen âge, cf. l'évangile de l'enfance de Thomas ou du pseudo-Matthieu), et bien d'autres évangiles et Actes d'Apôtres; même les Odes de Salomon qui reflètent un protognosticisme "soft", plutôt en retrait de l'Evangile de Jean dans cette veine. Certains d'entre eux ne sont probablement pas passés loin de la canonisation, si l'on en juge par leur présence dans les codex chrétiens du IVe siècle. Tout cela pour dire qu'on se tromperait lourdement à considérer l'idéologie (orthodoxie vs. hérésie) comme unique critère de canonisation. https://etrechretien.1fr1.net/t414p30-redaction-du-nouveau-testament |
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Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Comment considérer les Apocryphes ? Lun 13 Juin 2016 - 15:37 | |
| - Citation :
- j'ai oublié de préciser qu'un grand nombre d'"apocryphes" chrétiens (c.-à-d. de livres qui n'ont finalement pas été retenus dans le canon du NT) étaient parfaitement "orthodoxes", au sens où l'Eglise émergente n'avait rien à leur reprocher du point de vue idéologique. Ainsi la Didachè, l'épître de Barnabé, l'évangile et l'apocalypse de Pierre, le Pasteur d'Hermas, la troisième épître aux Corinthiens, le protévangile de Jacques (qui est le prototype des évangiles de l'enfance, un genre qui fleurira dans l'Eglise catholique jusqu'au moyen âge, cf. l'évangile de l'enfance de Thomas ou du pseudo-Matthieu), et bien d'autres évangiles et Actes d'Apôtres; même les Odes de Salomon qui reflètent un protognosticisme "soft", plutôt en retrait de l'Evangile de Jean dans cette veine. Certains d'entre eux ne sont probablement pas passés loin de la canonisation, si l'on en juge par leur présence dans les codex chrétiens du IVe siècle. Tout cela pour dire qu'on se tromperait lourdement à considérer l'idéologie (orthodoxie vs. hérésie) comme unique critère de canonisation.
" Certains d'entre eux ne sont probablement pas passés loin de la canonisation", je trouve que cette phrase illustre combien il n'est pas fondé de récuser les livres dits "apocryphes". Les auteurs des livres dits "apocryphes", au même titre, que ceux des livres dits "canoniques" se réclament de Jésus et prétendent retransmettre fidèlement son enseignement. Les évangiles du Nouveau Testament ne sont pasplus fiables que les autres. Dans le processus de sélection des évangiles, ce n’est pas la véracité historique des textes qui a joué. Tous ces livres prétendent rapporter la véritable tradition de Jésus et tentent de légitimiser la foi de leurs auteurs, qui n'étaint en rien inférieure à celle des auteurs des évangiles "canoniques". |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12461 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Comment considérer les Apocryphes ? Lun 13 Juin 2016 - 18:44 | |
| J'ai souvent insisté sur ce point mais il faut peut-être y revenir (sous un angle un peu différent j'espère): la "canonisation" de tel livre plutôt que de tel autre, dans le judaïsme et le christianisme anciens, n'est pas exactement un "jugement de valeur". La question est d'abord fonctionnelle et liturgique, à savoir quels textes vont être lus (à haute voix; récités, chantés, psalmodiés) et commentés dans le cadre d'une assemblée cultuelle (sunagogè ou ekklèsia), à une époque où pour l'immense majorité des présents c'est le seul contact possible avec des textes. Comme il a été dit plus haut, il y a accord d'office des communautés concernées sur la plupart des textes: ceux-ci ne font pas débat puisqu'ils sont déjà utilisés ainsi par tout le monde. La discussion significative se situe à la marge du "canon" et porte sur quelques textes controversés (admis par les uns et pas par les autres). C'est dans ce cadre restreint que des arguments de type "objectif" peuvent intervenir: notamment, dans l'Eglise ancienne (à partir du milieu du IIe siècle, donc "post-apostolique"), le caractère "apostolique" (dans un sens très large, puisque ni Marc, ni Luc, ni même Paul ne font partie des "Douze apôtres") reconnu ou non -- toujours traditionnellement ! -- à tel ou tel écrit.
Au XVIe siècle, le problème du canon est complètement différent, et ses enjeux aussi: la Bible, le Livre, surtout depuis qu'il est imprimé, s'est affranchi de son usage liturgique, au point de jouer un rôle externe d'autorité doctrinale opposable à la Tradition et au Magistère de l'Eglise (catholique romaine, puisque ce débat-là est presque exclusivement occidental). (Autre aspect du même phénomène, la controverse théologique, avec son usage polémique de l'Ecriture, passe du cercle fermé de l'Université à la place publique.) Du côté des Réformateurs surtout, l'accent ne porte plus sur la validation traditionnelle des écrits bibliques (s'ils doivent éventuellement servir contre la tradition, il faut les valider autrement que par la tradition !) mais sur leur "valeur" intrinsèque présumée: c'est donc le concept d'inspiration divine (censé ne rien devoir à la tradition, sinon comme témoin accessoire) qui passe au premier plan, bien qu'il soit d'appréciation plus que délicate (à quoi reconnaîtrait-on un livre "inspiré-de-Dieu", si personne ne nous avait dit qu'il l'est ?).
Au XIXe siècle, la "critique historique" héritière des Lumières et du scientisme aura encore déplacé le problème. La question brûlante n'est plus celle de la réception traditionnelle ni de l'inspiration divine des textes, mais du rapport de leur contenu (surtout narratif) à l'histoire, autrement dit: ce qu'ils racontent correspond-il à ce qui s'est effectivement passé, est-ce que Jésus a bien dit ce qu'on lui fait dire, etc. Et chez les "conservateurs" (anti-modernistes), par réaction (c'est le cas de le dire), la notion clé deviendra celle d'inerrance (ou d'infaillibilité du côté catholique).
Ces problématiques successives se mélangent allègrement quand on parle aujourd'hui d'"apocryphes" (d'autant que le nombre de ces derniers a augmenté considérablement en raison des découvertes archéologiques depuis la fin du XIXe siècle: Qoumrân, Nag Hammadi, etc.): qu'est-ce qu'on leur reprocherait au juste, de ne pas être reçus par la tradition synagogale ou ecclésiastique (problème de l'Antiquité tardive), de ne pas être "inspirés" (problème du XVIe siècle), ou de ne pas être historiquement fiables (problème du XIXe) ? Va-t-on les justifier en affirmant a contrario qu'ils correspondent à une tradition (ésotérique) authentique, qu'ils sont "inspirés" ou "inerrants" ? A vrai dire il me semble que ce "problème" de plus en plus mal posé (par excès de problématiques décalées) n'intéresse en rien le lecteur moyen du XXIe siècle, dont la bibliothèque (matérielle ou virtuelle) n'est plus limitée par le "canon", la liturgie ou le dogme d'une Eglise ou d'une confession quelconque, même s'il est croyant et pratiquant. Les livres dits "apocryphes" (ça voulait dire "cachés", par opposition aux textes lus publiquement en assemblée !) lui sont désormais aussi facilement accessibles que les textes "canoniques" (et, par la même occasion, que mille autres textes religieux ou philosophiques de toute provenance, y compris étrangers aux traditions juives ou chrétiennes): il lit ce qu'il lit, il comprend ce qu'il comprend, il aime ce qu'il aime, et c'est très bien comme ça.
--- Autre remarque: si les décisions canoniques du judaïsme et du christianisme anciens sont cultuelles par leur intention et leur portée immédiate et n'ont, en principe, aucune signification hors de la liturgie des synagogues et des Eglises qui les appliquent, elles ont cependant un effet culturel considérable à long terme. Les livres "canonisés", lus et relus, commentés dans le moindre détail et analysés sous toutes les coutures, bénéficient d'un surcroît (et souffrent parfois d'un excès) de "lumière" tandis que les autres ("apocryphes"), passant dans l'ombre, sont rapidement ignorés par la masse des lecteurs qui sont surtout des auditeurs, même quand il n'y a pas (comme il y a eu quelquefois) de volonté active de les cacher ou de les détruire. Même parmi les "savants", la génération qui "canonise" connaît à peu près aussi bien ce qu'elle exclut de son "canon" que ce qu'elle y inclut, mais ce n'est plus le cas des générations suivantes. Le livre d'Hénoch est manifestement bien connu dans le judaïsme et le christianisme vers la fin du Ier siècle, peu après il est ignoré partout sauf en Ethiopie où la pratique liturgique l'a conservé. Les livres "deutérocanoniques" sont dans la tête des Réformateurs du XVIe siècle, même s'ils se refusent à en tirer des arguments dogmatiques, ils ne sont plus dans celle des protestants du XVIIe. J'ai beau avoir lu et même relu pas mal de textes "apocryphes", ils ne me seront jamais "présents" comme les textes canoniques (du canon "protestant" en l'occurrence), bien que la notion même de canon n'ait, depuis longtemps, plus aucune signification pour moi. |
| | | free
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| Sujet: Re: Comment considérer les Apocryphes ? Mar 14 Juin 2016 - 13:47 | |
| Merci Narkissos pour ces précisions.
Des réponses aux besoins identitaires des chrétiens. Répondre à cette question impose de s’interroger sur la fonction, pour les chrétiens, des histoires sur Jésus, sa famille, ses disciples et ses devanciers. Pour ce faire, il n’est pas inutile de prendre connaissance d’acquis de la sociologie : les récits et légendes ne sont pas des aspects secondaires de l’identité religieuse, au contraire, ils enrôlent le fidèle dans une histoire collective qui les dépasse largement et leur donne la possibilité de s’y inscrire ; ils fondent la possibilité, pour le croyant, de communiquer avec son Dieu ; ils lui donnent une identité en l’inscrivant dans une tradition. Nombre d’apocryphes permettent de percevoir à l’œuvre ce processus de construction symbolique. Ainsi, la présence de chrétiens dans des contrées non visitées par Jésus posait problème ; il y avait une solution de continuité entre les chrétiens d’Arménie, de Gaule ou d’Inde et leur fondateur. Les actes apocryphes des apôtres ont permis de trouver le lien manquant et d’inscrire ces fidèles dans la geste chrétienne. De façon similaire, les récits de la fuite de la sainte famille en Égypte ont permis au christianisme égyptien de trouver une identité dont il vit toujours. L’ « Évangile du Pseudo-Matthieu », qui fait de Marie la mère des moniales, peut aussi être perçu comme une construction symbolique permettant au monachisme bénédictin de s’inscrire dans l’histoire fondatrice des chrétiens.
http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/882.html |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12461 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Comment considérer les Apocryphes ? Mar 14 Juin 2016 - 18:24 | |
| Pour ceux qui n'auraient pas la curiosité de cliquer sur ton lien, le paragraphe que tu reproduis parle des "apocryphes" tardifs, ceux qui ont continué de s'écrire au sein de la "grande Eglise" ("catholique" et "orthodoxe") après la fixation quasi définitive du canon. Il est vrai, globalement, que ces textes-là sont de moins en moins "originaux" (dans tous les sens qu'on voudra) en ce qui concerne la "doctrine" (et pour cause) et de plus en plus inventifs sur le plan narratif (on glisse tout doucement vers le genre de la "légende" médiévale). Mais contrairement aux textes plus anciens, ils ne nous renseignent guère sur la diversité réelle des "christianismes" primitifs.
Il est clair en tout cas que la qualification purement négative d'"apocryphes" (= non-canoniques) rassemble des textes tellement disparates à tous égards (époque, sujet, milieu, idées, genre, forme) qu'il n'y a strictement rien à en dire en général. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Comment considérer les Apocryphes ? Mer 15 Juin 2016 - 16:13 | |
| L'intérêt principal des "apocryphes" est de mettre en évidence l'incroyable diversité du christianisme primitif. Les écrits canoniques nous offrent une diversité d'images de Jésus mais au 1er siècle, il existait d'autres "figures" ou "représentations" de Jésus. Le processus d’uniformisation du christianisme amène de nombreux croyants à récuser ces livres dits "apocryphes", les traitant comme des ouvrages daiboliques, qui auraient tenter d'obscucir le message de la Bible, par des contrefaçons : - Citation :
- Évangiles canoniques et apocryphes
Entre 41 et 98 de notre ère, Matthieu, Marc, Luc et Jean ont mis par écrit “ l’histoire de Jésus Christ ”. (Matthieu 1:1.) On appelle parfois ces récits évangiles concernant Jésus Christ, le mot évangile signifiant “ bonne nouvelle ”. — Marc 1:1. Il n’est pas exclu qu’aient existé des traditions orales ainsi que d’autres écrits concernant Jésus, mais ces quatre Évangiles sont les seuls qui soient considérés comme inspirés de Dieu et dignes de faire partie des Saintes Écritures ; ce sont ces seuls écrits qui nous livrent “ la certitude des choses ” concernant les enseignements de Jésus et sa vie sur terre (Luc 1:1-4 ; Actes 1:1, 2 ; 2 Timothée 3:16, 17). Ces quatre Évangiles sont mentionnés dans tous les catalogues anciens des Écritures grecques chrétiennes. Il n’existe aucune raison de remettre en question leur canonicité, c’est-à-dire leur statut d’écrits appartenant à la Parole inspirée de Dieu. Mais le temps passant, d’autres écrits ont eux aussi été baptisés évangiles. Ils ont été qualifiés d’apocryphes*. À la fin du IIe siècle, Irénée de Lyon affirmait que les apostats du christianisme se référaient à “ une multitude infinie d’Écritures apocryphes et bâtardes ”, dont des évangiles, “ confectionnées par eux pour faire impression sur les simples d’esprit et sur ceux qui ignorent les écrits authentiques* ”. C’est pourquoi on a finalement estimé qu’il était néfaste de lire les évangiles apocryphes et même de les posséder.
http://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/2012248 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12461 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Comment considérer les Apocryphes ? Mer 15 Juin 2016 - 16:52 | |
| - free a écrit:
- L'intérêt principal des "apocryphes" est de mettre en évidence l'incroyable diversité du christianisme primitif. Les écrits canoniques nous offrent une diversité d'images de Jésus mais au 1er siècle, il existait d'autres "figures" ou "représentations" de Jésus.
Ça c'est l'intérêt "objectif" ou "neutre" de l'historien (des religions, des idées ou des littératures), professionnel ou amateur. Celui du "croyant" (fidèle, ecclésiastique, mystique, gnostique, etc.) est assez différent, plus "utilitaire" et plus "intéressé" (ou plus "engagé") si l'on peut dire -- comme celui qui regarde une carte pour se rendre d'un point à un autre ne la regarde pas exactement de la même façon qu'un collectionneur. Il a, lui, des choix à faire, tant à l'intérieur du canon (le fameux "canon dans le canon") qu'en dehors, et qui se feront d'ailleurs tout naturellement en fonction de ses aspirations. Le reste du corpus (canonique ou apocryphe) n'en restera pas moins là pour lui rappeler qu'il y a d'autres voies que la sienne (ce qu'il n'aura peut-être pas envie d'entendre tout de suite, mais qui pourrait bien lui être quand même utile un jour ou l'autre). |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Comment considérer les Apocryphes ? Jeu 16 Juin 2016 - 15:14 | |
| Le croyant qui attache une grande importance à la notion de "canonique", oublie qu'aux 1er et 2eme siècle (et plus tard), de nombreux écrits de références circulaient parmi les communautés les chrétiennes, les uns entreront dans le canon et les autres non, mais dont aucun n’est écrit en vue de former un canon. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12461 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Comment considérer les Apocryphes ? Jeu 16 Juin 2016 - 16:01 | |
| - free a écrit:
- les uns entreront dans le canon et les autres non, mais dont aucun n’est écrit en vue de former un canon.
En tout cas, de le former avec les autres: il est assez clair, par exemple, que chaque évangile a été écrit pour être L'évangile (unique) -- pour se canoniser tout seul, en somme -- et non pour finir comme "l'un des quatre" ou davantage... à cet égard, la canonisation effective (le cas échéant) est aussi décevante par rapport aux "intentions" des auteurs. Le rejet (parfois un tantinet hystérique: je n'oublierai pas cet étudiant en théologie évangélique qui avait arraché les "deutérocanoniques" de sa Bible -- catholique -- "de Jérusalem") de l'"apocryphe" comme différent occulte le fait que la même différence est à l'œuvre dans le "canon". Moins étendue en fait, mais la même en puissance ou en germe. Le canon de ce point de vue ne sert pas seulement de rempart contre un "extérieur" menaçant, il sert aussi de prétexte à nier ou à niveler les différences "internes" des textes canoniques: puisqu'ils sont tous dans le canon, ils ne peuvent pas se contredire, et on les interprétera dès lors de telle sorte qu'ils ne se contredisent pas, que ça leur plaise ou non. Indépendamment de cette attitude "dogmatique", l'effet "culturel" du canon dont je parlais plus haut peut se traduire en termes un peu plus "psychologiques" de familiarité. A un lecteur issu d'une pratique religieuse, même s'il se veut "ouvert", les textes "apocryphes" ne seront jamais aussi familiers que les textes de son "canon": qu'il les aborde avec une méfiance "orthodoxe" ou avec le frisson exotique ou anticonformiste d'une "hérésie" désirée, le passage de la "frontière" canonique ne lui sera jamais indifférent. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Comment considérer les Apocryphes ? Jeu 16 Juin 2016 - 16:32 | |
| - Citation :
- Indépendamment de cette attitude "dogmatique", l'effet "culturel" du canon dont je parlais plus haut peut se traduire en termes un peu plus "psychologiques" de familiarité. A un lecteur issu d'une pratique religieuse, même s'il se veut "ouvert", les textes "apocryphes" ne seront jamais aussi familiers que les textes de son "canon": qu'il les aborde avec une méfiance "orthodoxe" ou avec l'enthousiasme exotique ou anticonformiste de l'"hérésie", le passage de la "frontière" ne lui sera jamais indifférent.
Tu touches un point essentiel, quand j'étais TdJ, je rejetais systématiquement les écrits apocryphes qui m'inspiraient une certaine répulsion (alors que je ne les connaissais pas) mais c'est vrai que même aujourd'hui, je ne ressens pas une véritable attirance pour l'étude de ces livres inconnus et "lointains". Une paranthèse, je note que la WT est obligé de citer un père de l'Eglise pour justifier le canon qu'elle a choisi (protestant) : - Citation :
- À la fin du IIe siècle, Irénée de Lyon affirmait que les apostats du christianisme se référaient à “ une multitude infinie d’Écritures apocryphes et bâtardes ”, dont des évangiles, “ confectionnées par eux pour faire impression sur les simples d’esprit et sur ceux qui ignorent les écrits authentiques* ”. C’est pourquoi on a finalement estimé qu’il était néfaste de lire les évangiles apocryphes et même de les posséder.
http://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/2012248 J'ai lu un article interessant : Histoire de la réceptionLes écrits apocryphes sont également intéressants du point de vue de l’héritage dont ils témoignent. Le prolongement d’une tradition, même si elle a connu des transformations, renseigne sur les origines auxquelles elle remonte, en ce sens qu’elle privilégie et développe un aspect qui était peut-être effectivement présent au départ. Le même Évangile selon Thomas insiste sur la figure de Jésus en tant que maître de sagesse, ce qui permet de compléter, de manière tout à fait légitime, le portrait que l’on s’en fait. Les actes centrés sur Paul, en particulier les Actes de Paul et Thècle qui sont une forme de la réception de la figure de cet apôtre, corrigent, peut-être de manière non moins légitime, l’image que l’on s’en fait à partir des lettres Pastorales (1 et 2 Tm et Tt). À ce propos, on peut relever que les écrits apocryphes, et les réécritures qu’ils ont connues, reflètent des oppositions théologiques et pratiques, ainsi que des conflits d’interprétation qui devaient être assez vifs aux époques où ils ont été rédigés. C’est ce que s’efforcent de mettre en évidence les recherches féministes, en particulier américaines, sur les actes apocryphes. http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/873.html |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12461 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Comment considérer les Apocryphes ? Jeu 16 Juin 2016 - 18:09 | |
| Je pensais aussi à cette idée (image) de "prolongement". Le canon, c'est un peu un tronc d'arbre élagué qui porte encore les traces de ses "départs", de ses branches retranchées sans lesquelles -- mais aussi sans le retranchement desquelles -- il ne serait pas ce qu'il est (M. de La Palice n'aurait pas dit mieux). Et dans son "principe", la différenciation (embranchement, ramification, bifurcation) n'en finit pas de se reproduire, plus tard, plus haut, tant que l'arbre est vivant, et même au-delà, à peine un peu plus loin (rejeton, bouture). Les questions des origines, celles des judaïsmes et des christianismes "écartés" par exemple, ressurgissent et se reposent, changées, déplacées mais parfaitement reconnaissables, dans de nouveaux contextes (dans la théologie et la mystique chrétiennes du moyen-âge, chez les bogomiles ou les cathares, en islam, dans la qabbale p. ex.). |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Comment considérer les Apocryphes ? Ven 17 Juin 2016 - 10:09 | |
| Un des problème que représentent les apocryphes ne vient-il pas du fait que pour certains courants du christianisme les textes de la Bible constituent la Parole de Dieu?
Il est ainsi bien difficile pour ces personnes d'accepter les différences qui apparaissent déjà, comme le mentionne Narkissos, entre les textes considérés comme faisant partie du canon, ce qui obligent ces mouvement a pratiquer la marche en zigzag si ils veulent rester cohérent avec leur lecture du Nouveau Testament; mais si de plus ils devaient accepter les apocryphes alors là la mesure serait comble.
Pourtant n'est-ce pas la diversité qui était maitresse en ces débuts de l'écriture du Nouveau Testament? |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12461 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Comment considérer les Apocryphes ? Ven 17 Juin 2016 - 11:59 | |
| - le chapelier toqué a écrit:
- Un des problème que représentent les apocryphes ne vient-il pas du fait que pour certains courants du christianisme les textes de la Bible constituent la Parole de Dieu?
L'idée qu'on se fait de la relation entre "(les textes de) la Bible" et "la Parole de Dieu" est en effet déterminante -- il ne va déjà pas de soi, pour beaucoup de "fondamentalistes", de penser qu'entre ces deux termes si souvent utilisés de façon interchangeable il y a, forcément, une différence à faire et une relation à établir, sinon à définir, parce que l'un désigne un "objet" concret (un livre, des textes) et l'autre énonce un "concept" théologique en forme de métaphore à interpréter (Dieu "parle", comme nous parlons, mais pas tout à fait de la même manière, donc: comment ?). Quand ce premier pas est posé (mais il l'est rarement), on ne trouve pas d'antinomie (bien au contraire) entre "parole de Dieu" et "diversité" -- surtout si l'on qualifie celle-là, par une autre "métaphore", de vivante. Tout dépend ensuite de l'utilisation qu'on fait de l'"Ecriture" (même avec majuscule, c.-à-d. délimitée par un "canon" plus ou moins formellement défini). L'usage "liturgique" de l'Eglise ancienne supporte à coup sûr plus de diversité que l'usage "dogmatique" de la fin du moyen-âge ou des Réformes (voir supra): c'est pour ce dernier surtout que les divergences et les contradictions des textes sont problématiques. - Citation :
- Pourtant n'est-ce pas la diversité qui était maitresse en ces débuts de l'écriture du Nouveau Testament?
A mon sens la diversité est toujours maîtresse (dans toute l'ambiguïté de ce mot), avec ou sans le consentement des "auteurs" (et beaucoup plus souvent sans qu'avec). Dès qu'on écrit, ce qu'on écrit diffère de ce qu'on "veut dire", et ce qu'un autre (ou soi-même, un peu plus tard) y lira aussi; quand l'écriture mobilise en outre des auteurs, des langues, des temps, des lieux et des milieux différents, elle n'en diffère que davantage (ou plus évidemment). |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Comment considérer les Apocryphes ? Ven 17 Juin 2016 - 14:48 | |
| - Citation :
- L'idée qu'on se fait de la relation entre "(les textes de) la Bible" et "la Parole de Dieu" est en effet déterminante -- il ne va déjà pas de soi, pour beaucoup de "fondamentalistes", de penser qu'entre ces deux termes si souvent utilisés de façon interchangeable il y a, forcément, une différence à faire et une relation à établir, sinon à définir, parce que l'un désigne un "objet" concret (un livre, des textes) et l'autre énonce un "concept" théologique en forme de métaphore à interpréter (Dieu "parle", comme nous parlons, mais pas tout à fait de la même manière, donc: comment ?).
Merci Narkissos d'avoir établi cette nuance entre la Bible et "la Parole de Dieu". Ce qui me semble remarquable c'est que l'on ne peut pas établir de différence littéraire entre les écrits canoniques et les apocryphes, ces deux sortes d'écrits expriment des croyances plutôt que des faits historiques. Les uns comme les autres comprennent des légendes et l’identité de leurs auteurs est inconnue. Or les fondamentalistes s'évertuent à prouver une vraie différences entre ces 2 groupes d'écrits. Ce qui différencie ces 2 groupes d'écrits c'est que certains sont devenus canoniques et que les autres pas. la différence majeure réside dans la fait que les écrits apocryphes ont été "fidèlement" recopié, alors que les apocryphes ont été retouché. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12461 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Comment considérer les Apocryphes ? Ven 17 Juin 2016 - 15:51 | |
| Comme je le disais plus haut (14.6 16 h 24), il n'y a pour moi aucun sens à parler des textes "canoniques" ou "apocryphes" en général, donc à les opposer globalement sur des critères objectifs de contenu, de forme, de genre, etc.: la diversité est sensiblement la même dans les deux ensembles, à proportion de leurs dimensions respectives. Les deux premiers livres des Maccabées, (deutéro-)canoniques pour l'Eglise catholique depuis le Concile de Trente et "apocryphes" pour les protestants, ne sont pas moins "historiques" (au sens de l'historiographie ancienne) que les Rois, le Premier livre d'Esdras de la Septante (non canonique pour les catholiques comme pour les protestants) ne l'est pas moins non plus que l'Esdras-Néhémie canonisé. Pour prendre des exemples comparables selon d'autres critères, Tobit n'est pas plus manifestement "légendaire" que Jonas, Judith n'est pas plus manifestement "anachronique" que Daniel ou Esther, la sagesse du Siracide n'est pas plus manifestement "humaine" que celles des Proverbes ou de Qohéleth. Ce genre de comparaison des textes canoniques et apocryphes, même quand elle se veut "objective", ne fait guère que conforter les présupposés de celui qui la mène, par le sentiment de "familiarité" ou d'"étrangeté" qu'il éprouve au contact d'un texte "connu" ou "inconnu".
Quant à la transmission (copie plus ou moins "fidèle"), là encore il faut traiter au cas par cas: même si les textes canoniques ont bénéficié d'un surcroît d'attention et de compétence parce qu'ils ont été protégés par une "institution" solide (c'est vrai pour la Bible hébraïque au temps du Second Temple et après la réorganisation synagogale et pharisienne du judaïsme, et pour le NT à partir du IVe siècle, mais pas avant), les apocryphes souffrant au contraire du statut précaire de leurs détenteurs, il y a aussi des textes très mal transmis dans le canon (p. ex. Job ou même le quatrième évangile, si l'on compte les remaniements "orthodoxes" comme cas de "mauvaise transmission"). |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Comment considérer les Apocryphes ? Mar 21 Juin 2016 - 15:07 | |
| J'ai eu la curiosité de chercher l'argumentation des chrétiens fondamentalistes, qui pensent que c'est Dieu qui a supervisé l'élaboration du "canon" :
Il faut d'abord déblayer le terrain d'un échafaudage érigé à des fins apologétiques et qui a toujours manqué de fondation dans les faits : la théorie selon laquelle un canon différent, « alexandrin », était reçu parmi les Juifs résidant en Égypte, Alexandrie surtout, et de langue grecque. Ceux-ci, prétend-on selon l'hypothèse, s'étaient décidés pour d'autres limites canoniques que leurs frères palestiniens, de langue hébraïque ou araméenne : le canon des Alexandrins comprenaient la Sagesse et l'Ecclésiastique (Sir), Tobit et Judith, etc., qui n'ont pas été retenus dans la Bible hébraïque. Aucun savant de quelque renom, en particulier depuis que A. C. Sundberg l'a réfutée, ne soutient plus la conjecture du canon alexandrin6 – bien que certains, à l'occasion, se laissent aller à reprendre la formule.7 Il n'y a pas la moindre trace de désaccord, sur la canonicité, entre les décisions du judaïsme officiel et les Juifs d'Alexandrie, ces derniers participant régulièrement aux fêtes à Jérusalem et maintenant des échanges nourris et constants avec leurs compatriotes de Judée. Philon, leur éminent philosophe, qui cite plus de mille fois le Pentateuque, ne cite jamais les Apocryphes. Flavius Josèphe, dont l'information était de première qualité, affirme le canon hébraïque – et non pas comme une innovation – et ne dit rien d'un choix plus large de la part de certains. E. Earle Ellis énonce fort sagement : « Il n'y a pas deux codex de la LXX qui contiennent les mêmes apocryphes, et l'Église patristique n'a jamais eu à débattre d'une "Bible LXX" à contenu fixé. Au vu de ces données, il apparaît que les codex de la LXX ont été réalisés pour servir de livres liturgiques plutôt que pour refléter un canon scripturaire normatif »
http://flte.fr/wp-content/uploads/2015/08/ThEv2004-3-Apocryphes_et_theologie_evangelique.pdf |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12461 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Comment considérer les Apocryphes ? Mar 21 Juin 2016 - 16:38 | |
| Les "apocryphes" dont parle ici Blocher -- au sens protestant traditionnel du terme "apocryphes" -- ne sont que les "deutérocanoniques" des bibles catholiques (1-2 Maccabées, Judith, Tobit, Baruch, Lettre de Jérémie, Siracide ou Ecclésiastique, Sagesse de Salomon, outre les extensions grecques de Daniel et d'Esther). C.-à-d. une toute petite partie (textes juifs reçus dans les grands codex ou codices chrétiens de la Septante grecque, bien que plusieurs soient d'origine hébraïque) des "apocryphes" juifs et chrétiens dont parle ce fil.
Cela dit, son texte est -- comme toujours -- d'excellente qualité, et son attitude intelligente, bien qu'il ne cède jamais rien sur le dogme (calviniste en l'occurrence), tranche avec le rejet "épidermique" de beaucoup d'"évangéliques". |
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