|
| Exorcisme et Démons | |
| | |
Auteur | Message |
---|
Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Exorcisme et Démons Jeu 25 Mar 2021, 20:34 | |
| Article très instructif et beaucoup mieux documenté que le morceau de thèse précédent. Les considérations sur "l'aval" du NT (ce qui le suit, de la fin de l'Antiquité au moyen-âge) gagneraient toutefois à être éclairées par "l'amont" (ce qui le précède, dans la littérature juive ou "païenne" préchrétienne), car c'est déjà là qu'on voit l'interprétation des "esprits" se partager en (au moins) deux grandes catégories qui resteront pertinentes dans la tradition chrétienne, patristique ou monastique, liturgique ou ascétique. D'une part 1) les "esprits" qui habitent les hommes pour leur faire du mal ou les tourmenter, provoquant des symptômes pathologiques du type maladie ou infirmité, esprits qu'il s'agit d'exorciser, c'est-à-dire de chasser, par une délivrance qui a tout d'une guérison et qui est un acte d'autorité plutôt que de discernement (c'est de ce genre-là que relèvent les récits d'exorcisme des Synoptiques ou des Actes, où les "possédés" ne sont l'objet d'aucun jugement moral et d'aucune exigence, ils subissent leur libération comme ils ont subi leur aliénation); d'autre part 2) les "esprits" qui influencent les hommes dans un sens moral ou "spirituel" et s'assimilent à des "péchés" ou à des "défauts" de caractère, ceux sur lesquels portent surtout le "discernement" et le travail de la discipline collective et de l'ascèse individuelle, par des sujets qui en sont présumés capables (donc non "possédés" ou "aliénés" au sens 1). Ce ne sont pourtant pas nécessairement deux catégories d'"esprits" mais deux genres d'interprétation des mêmes "esprits", qui de fait se recoupent souvent, mais n'en sont pas moins distincts en principe -- leur distinction étant essentielle pour ne pas mélanger l'"exorcisme" stricto sensu, si l'on peut dire, avec un discours "parénétique", d'exhortation morale ou spirituelle, qui invite à discerner les "esprits" et à lutter contre les "mauvais" dans un tout autre sens, qu'on serait tenté de dire "figuré" si l'on ne retombait aussitôt sur l'impossibilité de départager clairement, en la matière comme en tant d'autres, le "propre" du "figuré". Je me permets de renvoyer une fois de plus aux textes cités dans mon petit article, certes bien plus sommaire que celui de Vecoli mais en partie complémentaire, du côté de l'"amont" justement (voir en particulier à partir de l'intertitre "Pneumatologies théoriques"). En ce qui concerne 1 Corinthiens, comme je l'ai dit plus haut, le texte paulinien ne parle pas d'"exorcismes", mais cela n'exclut pas qu'il y en ait eu dans la pratique "charismatique" des destinataires; en parlant toutefois de "discernement des esprits", il me semble assez probable que "Paul" tente de détourner les "charismes" du "miraculeux" ou du "sensationnel" vers une "spiritualité" plus "rationnelle" ou "intelligible", plus "morale" et "communautaire" aussi, ce qui est le sens de toute son argumentation aux chapitres 12--14 (privilégier la "prophétie" ou l'"interprétation" intelligibles, "utiles" ou "édifiantes-constructives" du point de vue du "corps", par rapport à la "glossolalie" inintelligible et présumée inutile, ou utile au seul individu). "Discernement", diakrisis, est déjà un terme "intellectuel", comme tout ce qui relève de la "connaissance", spécialement sous l'angle "judiciaire" du "jugement" ( krinô, krisis, d'où "critère", etc.); pour rappel, la Première aux Corinthiens est pleine de jeux sur cette famille de termes, cf. p. ex. 2,14ss ( anakrinô); 4,3ss ( krinô-anakrinô-diakrinô; 5,12s ( krinô); 6,1ss ( krinô); 11,29ss ( diakrinô-katakrinô); 14,29; ici 15.11.2017 ou là 15.5.2019. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Exorcisme et Démons Ven 26 Mar 2021, 13:17 | |
| - Citation :
- Je me permets de renvoyer une fois de plus aux textes cités dans mon petit article, certes bien plus sommaire que celui de Vecoli mais en partie complémentaire, du côté de l'"amont" justement (voir en particulier à partir de l'intertitre "Pneumatologies théoriques").
Merci Narkissos pour ce lien et cet article passionnant et original : La question fondamentale, à mon sens, que nous posent ces textes est la suivante : qu’est-ce qui parle et agit en l’homme ? Question objectivement sotte peut-être – pour autant qu’en dernière analyse c’est bien l’homme lui-même qui parle et agit : homme ou femme individuel(le) sur la scène sociale de l’humanité, dont la parole et les actes n’ont de sens qu’avec (ou contre) une culture et un langage donnés. Question subjectivement inévitable néanmoins, dans la mesure où je ne peux me penser que comme possesseur occulte, c’est-à-dire impensable, de « mon » corps, de « mon » âme, et même de « mon » esprit – ou bien comme possédé et « aliéné » par quelque chose ou quelqu’un d’autre – fût-ce « Dieu », « l’Esprit » ou la culture. L’obsession d’Artaud revient, lancinante : « Car c’est la logique anatomique de l’homme moderne (et peut-être de l’homme tout court) de n’avoir jamais pu vivre, ni pensé vivre, qu’en possédé. » L’identité humaine est d’emblée posée comme « esprit » – dans un sens qui n’est ni prioritairement ni essentiellement intellectuel (au moins dans la Bible, puisque les animaux sont sur le même modèle : la vie du vivant représentée par le souffle, la respiration). La relation est double : si « l’esprit » de l’homme a personnifié les « esprits » à son image, ceux-ci le lui ont bien rendu. L’homme « libre », celui qui n’est habité par rien ni personne d’autre que lui-même, est celui qui s’habite et se possède comme un « démon ». L’exorcisme comme modèle d’accès à la « liberté » aboutit ainsi à un éloge du vide et du propre (au double sens de propre à soi et de pur, « clean, » de toute influence extérieure) qui n’est pas sans rappeler la fameuse parabole de l’Evangile (Matthieu 12,43ss//) : « Lorsque l'esprit impur est sorti de l'être humain, il passe par des lieux arides, cherche du repos et n'en trouve pas. Alors il se dit: ‘‘Je vais retourner dans ma maison, celle d'où je suis sorti.’’ Quand il arrive, il la trouve vide, balayée et ornée. Alors il s'en va chercher sept autres esprits plus mauvais que lui; ils entrent là et s'installent, et la condition dernière de cet homme-là est pire que la première. » Entre occupation et infestation « étrangère » d’une part, stérilité du « propre » de l’autre, peut-être faudrait-il apprendre à vivre portes et fenêtres entrouvertes, pour laisser entrer et sortir l’esprit qui, tel le vent, n’est qu’en passant. Mais nous craignons sans doute trop les courants d’air... article |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Exorcisme et Démons Ven 26 Mar 2021, 15:06 | |
| Un ange expulsé du texte ???
« Après cela, et à l ’occasion d’une fête juive, Jésus monta à Jérusalem. Or, il existe à Jérusalem, près de la porte des brebis (Probatique), une piscine qui s’appelle en hébreu Bethesda. Elle possède cinq portiques, sous lesquels gisait une foule de malades, aveugles, boiteux, impotents, [qui attendaient l ’agitation de l’eau, car, à certains moments, l ’ange du Seigneur descendait dans la piscine ; l’eau s’agitait, et le premier qui y entrait après que l ’eau avait bouillonné était guéri, quelle que fût sa maladie.] (Jean 5, 3-4).
Le passage que nous avons mis entre crochets (v. 3b-4) est absent dans un certain nombre de manuscrits. Il est parfois considéré comme une glose très ancienne qui n’aurait pas fait partie du texte primitif. Mais il faut reconnaître qu’en l ’absence de ces lignes le texte est peu compréhensible. Certains pensent qu’elles sont originales, mais auraient été ensuite « supprimées par des esprits soucieux de ne pas favoriser quelque dévotion suspecte ». En tout cas, la plupart des auteurs anciens qui ont commenté la guérison du paralytique connaissent les versets en question.
1) Fréquence de l ’interprétation baptismale de Jn 5
La descente de l’ange était la condition nécessaire pour que l’on pût être guéri dans la piscine. Cela enseignait que son eau n’avait pas de vertu en soi, ce qui était vrai aussi de l’eau baptismale. Comme le dit Tertullien, c’est « par l ’intervention de l’ange que les eaux ont reçu un pouvoir de guérison » ; c’est parce que l’eau est « sanctifiée dans sa nature par l’Esprit Saint qu’elle est devenue elle-même sanctifiante ». L’eau de Bethesda n’a pas de pouvoir de guérison par elle-même, dit Jean Chrysostome, sinon elle guérirait toujours et non par intermittence ; c’est l’ange qui lui communique ce pouvoir ; de même, ce n’est pas par elle-même que l’eau du baptême est efficace : elle reçoit ce pouvoir de l’Esprit Saint. https://www.brepolsonline.net/doi/pdf/10.1484/J.REA.5.100940
cinq portiques : les dégagements archéologiques à cet endroit (Église sainte Anne) ont mis à jour l'existence de deux grands bassins (pour les besoins d'eau du Temple), entre lesquels passe une digue (ce qui a pu donner lieu à l'existence de cinq portiques). Les malades du récit sont censés séjourner sous ces portiques, mais ce n'est pas dans ces bassins, trop profonds, qu'ils pouvaient se plonger ; par contre il y a, à proximité, une série de petits bassins sous roche, alimentés par des ruissellements d'eaux, qui se prêtaient à des bains de guérison. Cela est confirmé par l'existence en ce lieu, à l'époque romaine au IIe s. après la destruction du Temple, d'un sanctuaire de Sérapis, parallèle égyptien du dieu grec guérisseur Asclépios ; ce qui peut bien refléter une installation analogue au temps de Jésus, mais dont la vertu de guérison était attribuée à « l'ange de Dieu », au moment où « il fait bouillonner les eaux ». D'où l'addition des v. 3b-4, considérés comme inauthentiques d’après les règles de la critique textuelle : les impotents « attendaient le bouillonnement de l'eau. Car l'ange du Seigneur descendait à certains moments dans la piscine et agitait l'eau ; le premier qui y entrait après que l'eau avait été agitée recouvrait la santé, quelle que fût sa maladie » ; cette addition veut expliquer ce que dit le paralytique au v. 7 et doit correspondre aux croyances populaires du moment. https://marseille.catholique.fr/IMG/pdf/venez_et_voyez_st_jean.pdf |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Exorcisme et Démons Sam 27 Mar 2021, 09:42 | |
| Cette fois-ci, je renvoyais à mon article (qui avait déjà été cité ou référencé plusieurs fois dans ce fil, depuis le 17.9.2012 !) surtout pour la littérature juive (mal) dite "intertestamentaire", où l'on voit apparaître la divergence d'interprétation entre 1) "esprits" possesseurs, plus exactement habitants ou occupants étrangers, pillards ou squatters des corps qu'ils tourmentent, objets potentiels d'"exorcisme" au sens propre, si l'on peut dire, susceptibles d'être chassés ou expulsés (p. ex. dans 1 Hénoch et les Jubilés); et 2) "esprits" compris au sens "moral" comme dispositions, penchants, tendances, inclinations, traits de caractère, désirs, passions, vices ou vertus de l'homme (p. ex. dans les Testaments des Douze patriarches), qui appelleraient, dans le cas des "mauvais penchants", autre chose que des "exorcismes" au sens propre; mais cet(te) "autre chose" (ascèse, combat spirituel, mortification, prière, jeûne, décision, résolution, etc.) ressemblerait encore à un exorcisme: ce serait, si l'on veut, un "exorcisme" métaphorique ou figuré. Cette différence de "sens", bien entendu, rejoindrait aussi celles de la "religion" et de la "philosophie" (spécialement hellénistique, stoïcienne, médio- ou néo-platonicienne, qui insiste sur l'éthique et l'ascèse comme hygiène de l'"âme"), du "rituel" et de la "sagesse", du "littéral" et de l'"allégorique" (p. ex.). Mais il ne s'agit surtout pas d'opposer ou de séparer définitivement ces deux types de "sens" comme on serait tenté de le faire du "propre" et du "figuré": de fait, dans la littérature juive et chrétienne (sur celle-ci l'article de Vecoli est une mine), ils ne cessent de se distinguer et de se confondre, de se décaler et de se superposer; l'effet de bougé, de flou, de vague ou d'hésitation qui en résulte ouvre sur une métonymie ou une "spectralité" générale de tout le lexique des esprits, de la hantise, de la possession et de l'exorcisme -- comme dit l'expression triviale, quand on parle des "esprits" on ne sait jamais si c'est du lard ou du cochon, du "premier" ou du "second degré", si c'est "réaliste" ou une "façon de parler"; ce qui rendrait le "discernement", en plus d'un sens, à la fois crucial et infiniment délicat, pour ne pas dire impossible. D'autant que la diakrisis qui dit le "discernement" dit aussi le "doute" ou l'"hésitation".
En ce qui concerne Jean 5,3b-4, les documents que tu cites sont très riches et instructifs (en particulier l'article de Martine Dulaey sur l'interprétation patristique), mais je ne suis pas du tout convaincu (leurs auteurs non plus, me semble-t-il) qu'il s'agisse d'une "expulsion" ou d'une disparition de "l'ange". Les éditions critiques ont d'excellentes raisons matérielles (datation et situation des manuscrits) de juger cette portion de texte "inauthentique", autrement dit de la considérer plutôt comme une glose ou un ajout tardif à vocation explicative que comme une omission ou une soustraction, accidentelle ou délibérée, au texte "original". Le quatrième évangile, du reste, ne montre guère plus d'intérêt pour les "anges" (1,51, allusion littéraire à la Genèse; 12,29, interprétation populaire aussitôt corrigée; 20,12, scène de genre héritée des traditions synoptiques du "tombeau vide") que pour les "démons". Mais comme on l'a souvent remarqué, l'écriture johannique, par son caractère ironique ou humoristique, a le (malin) génie de tourner ses "corrections" potentielles ou futures à son avantage: tout le comique du passage repose en effet sur le contraste d'une impuissance complexe qui s'invalide elle-même à force d'obstacles logiques et pratiques (il faudrait pouvoir descendre dans l'eau au bon moment, mais je ne peux pas, je n'ai personne, c'est toujours un autre qui passe avant moi) et la simplicité enfantine et absurde du commandement (lève-toi, prends ton grabat et marche): de fait, plus on rajoute d'explications à la complexité (p. ex. avec l'interprétation populaire de "l'ange" qui agite l'eau), mieux le contraste fonctionne... Avec l'idée fondamentale, claire ou du moins sensible à tout lecteur, que le "salut", la "vie", la libération, l'occasion, etc., est toujours plus proche qu'on ne l'imagine quand on réfléchit à des problèmes et à des solutions, à des causes ou à des moyens, "rituels", "magiques" ou "rationnels": au propre comme au figuré, tôt ou tard, on ne sort d'une paralysie qu'en bougeant -- comme dans la tradition philosophique le cynique répond sans un mot, en marchant, à l'éléate qui vient de démontrer logiquement l'impossibilité du mouvement... |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Exorcisme et Démons Lun 29 Mar 2021, 10:29 | |
| - Citation :
- 2) "esprits" compris au sens "moral" comme dispositions, penchants, tendances, inclinations, traits de caractère, désirs, passions, vices ou vertus de l'homme (p. ex. dans les Testaments des Douze patriarches), qui appelleraient, dans le cas des "mauvais penchants", autre chose que des "exorcismes" au sens propre; mais cet(te) "autre chose" (ascèse, combat spirituel, mortification, prière, jeûne, décision, résolution, etc.) ressemblerait encore à un exorcisme: ce serait, si l'on veut, un "exorcisme" métaphorique ou figuré.
Saül apparait comme étant dans l'AT le type même du "possédé" :"A partir de ce jour, Saül regarda David avec malveillance. Le lendemain, un mauvais souffle de Dieu s'empara de Saül, qui se mit à faire le prophète au milieu de la maison. David jouait, comme les autres jours, et Saül avait sa lance à la main. Saül brandit sa lance en disant : Je vais clouer David au mur. Mais David l'évita par deux fois" (1 Sam 18,9-11).Saül avait déjà été "possédé" par "un esprit mauvais" qui le tourmentait :" Le souffle du SEIGNEUR s'éloigna de Saül, tandis qu'un souffle mauvais venant du SEIGNEUR le remplissait d'effroi. Les gens de la cour de Saül lui dirent : Un mauvais souffle de Dieu te remplit d'effroi. S'il te plaît, parle, notre maître ! Nous sommes à ton service. Nous chercherons un homme qui sache jouer de la lyre ; il en jouera quand un mauvais souffle de Dieu sera sur toi, et tu iras mieux. Saül leur répondit : Trouvez-moi, je vous prie, un homme qui joue bien, et amenez-le-moi. L'un des serviteurs dit : J'ai vu un fils de Jessé, le Bethléhémite, qui sait jouer ; c'est aussi un combattant, un vaillant guerrier ; il parle bien, c'est un bel homme, et le SEIGNEUR est avec lui. Saül envoya des messagers à Jessé, pour lui dire : Envoie-moi ton fils David, qui est avec le troupeau. Jessé prit un âne, qu'il chargea de pain, d'une outre de vin et d'un chevreau, et l'envoya à Saül par l'intermédiaire de David, son fils. David arriva et se présenta devant Saül ; celui-ci l'aima beaucoup, et il fit de lui son porteur d'armes. Saül fit dire à Jessé : Je te prie de me laisser David, car il a trouvé grâce à mes yeux. Lorsque le souffle de Dieu était sur Saül, David prenait la lyre et en jouait ; Saül respirait alors et se trouvait mieux ; le souffle mauvais s'éloignait de lui" (1 Sam 16,14-23). La musique de David apaise les angoisses du roi qui est possédé par un mauvais esprit.Un extrait :Saül et ses démonsUn personnage biblique à la croisée des discours, de la fin du Moyen Âge à la Renaissance20 Chez les théologiens, le passage où il est dit que « L’esprit du Seigneur s’était retiré de Saül » et qu’« un esprit mauvais, venu du Seigneur, le tourmentait » (I S 16, 14) donne lieu à des commentaires qui insistent sur la soumission des démons à Dieu. Flavius Josèphe donne des précisions sur l’état physique de Saül en proie au démon :Saul tomba en griefves passions, et devint démoniaque, en sorte qu’il sembloit qu’on l’estoufast ou estranglast […]Saül est présenté par Nider comme un « lunatique ». C’est un cas de possession « pour grave crime personnel » où « les démons exercent leur pouvoir sur les hommes, mais seulement pour autant que Dieu le leur permet » et « en châtiment, ils les privent pour un temps seulement de l’usage de la raison». Selon Nider, si, lorsque David jouait de la cithare, l’esprit malin s’éloignait de Saül, c’est que la musique guérissait celui-ci de sa disposition à subir l’action du démon. Nider cite Paul de Burgos (ca 1351-1435) :Il ne s’accorde pas avec la lettre de dire que cela venait du mérite de David ou était le fait de ses prières ; car il n’est pas vraisemblable que l’Écriture s’en tairait, du moment que ce serait notoirement à la louange de David, chose dont pourtant elle ne fait nulle mention.25 Ainsi quatre caractéristiques majeures de Saül se dégagent : une tient à sa position historique – il a été un tyran – ; les trois autres ressortissent à son idiosyncrasie : c’est un mélancolique, un envieux et un démoniaque. Nous nous concentrerons sur ces trois dernières, et nous déterminerons si ces figures sont indépendantes ou s’il est possible de les articuler. https://journals.openedition.org/crm/770 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Exorcisme et Démons Lun 29 Mar 2021, 11:40 | |
| Jolie promenade au temps jadis, aussi dépaysant pour nous par sa pensée que par ses langues...
On notera la consonance, c'est le cas de le dire, de la notion d'harmonie avec les textes judéo-hellénistiques (cf. la citation du pseudo-Philon, Livre des Antiquités bibliques, dans mon article): elle n'a rien d'un hasard puisque la période qui s'étend de la fin du moyen-âge à l'humanisme de la Renaissance et aux Réformes est précisément marquée par la "redécouverte" en Occident de la pensée grecque, successivement aristotélicienne, néo-platonicienne ou stoïcienne. Tout le "problème" et ses "solutions" étant alors pensés sous le rapport de l'Un au multiple, qui peut donner le "pire" comme le "meilleur", selon une règle esthétique et spécialement musicale (harmonie ou dissonance, dans toutes leur métonymie de l'acoustique à l'optique et du sensible à l'intelligible). Impossible dans un tel contexte de ne pas comprendre ainsi le rapport de "l'Esprit" au singulier (saint, divin, et surtout unique) aux "esprits" au pluriel (purs ou impurs, angéliques ou démoniaques, personnels ou impersonnels, au sens "propre" ou "figuré") -- qu'il s'agisse des évangiles, des "puissances" pauliniennes, ou du cycle de Saül. En ce qui concerne ce dernier on ne peut pas manquer, au risque de l'anachronisme (car naturellement le livre hébreu de Samuel, sous sa forme pré-massorétique ou pré-septuagintique, est bien antérieur à l'hellénisme), de remarquer qu'il implique *déjà* une différence similaire entre "l'esprit-souffle (unique) de Yahvé" (état construit déterminé par le nom propre, qui justifie en français l'article défini, comme pour "l'ange de Yahvé") qui fait le "bien" (du point de vue du narrateur) et "un esprit (venant) de Yahvé" (m-'t de provenance ou d'origine qui appelle l'"indéfini") qui cause le trouble (trouble que nous dirions, au gré du récit, tantôt "moral" sous la forme de la "jalousie", encore compliquée par le triangle homoérotique Saül-David-Jonathan, tantôt "psychiatrique" sous la forme de la crise de folie meurtrière, contre David ou contre Jonathan d'ailleurs). Reste que s'il y a *déjà* un rapport de l'un au multiple, il n'y a pas *encore* de "dualisme": le "bon" esprit comme le(s) "mauvais" viennent de Yahvé, ce ne sont pas encore des "anges" ni des "démons" autonomes et encore moins hostiles au "divin". Mais du coup c'est le "divin" lui-même qui demeure irréductiblement ambigu. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Exorcisme et Démons Lun 29 Mar 2021, 14:35 | |
| "Après cela, tu arriveras à Guibéa-Elohim, où se trouve une garnison de Philistins. En entrant dans la ville, tu rencontreras une troupe de prophètes descendant du haut lieu, en train de faire les prophètes, précédés du luth, du tambourin, de la flûte et de la lyre. Le souffle du SEIGNEUR s'emparera de toi, tu feras le prophète avec eux et tu seras changé en un autre homme" (1 Sam 10,5-6).
Le souffle de Dieu peut "posséder" ou s'emparer d'un individu au point de la transformer en quelqu'un d'autre et de lui enlever toute volonté :
"Dès que Saül eut tourné le dos pour quitter Samuel, Dieu changea son cœur, et tous ces signes se réalisèrent le même jour. Comme ils arrivaient là, à Guibéa, une troupe de prophètes vint à sa rencontre. Le souffle de Dieu s'empara de lui, et il se mit à faire le prophète au milieu d'eux. Tous ceux qui le connaissaient virent qu'il se comportait en prophète avec les prophètes ; les gens se disaient les uns aux autres : Qu'est-il arrivé au fils de Qish ? Saül est-il aussi parmi les prophètes ? Quelqu'un de l'endroit répondit : Et qui est leur père ? — De là le proverbe : Saül est-il aussi parmi les prophètes ?" (1 Sam 10,9-12).
Les oracles extatiques apparaitrait à de nombreux chrétiens modernes comme des possessions démoniaques :
Il est vrai qu'à la première heure l'inspiration prophétique nous apparaît comme un ensemble de phénomènes d'enthousiasme orgiastique. Les nebiim tels qu'ils sont décrits dans I Samuel X 5 à 12 XIX 18 à 24 s'en vont en chœur à travers monts et vallées, s'exaltant au son des nébels et des tambourins avec des danses étranges et des hurlements. Leur délire est contagieux. Quand un homme rencontre les bandes de prophètes, il est entraîné et cède à la fureur sacrée. Au IXe siècle les histoires d'Elie et d'Elisée nous décrivent les nebiim groupés en ghildes autour de leurs chefs et s'exerçant à l'inspiration. Ici encore le prophétisme est un phénomène de foule. Ce n'est qu'exceptionnellement qu'on rencontre des prophètes isolés.
En somme, nous savons assez peu de chose sur ces premiers prophètes. Les documents qui nous renseignent sur leurs expériences sont plus qu'incertains. Ils y apparaissent dans un clair-obscur de légende, thaumaturges mystérieux et redoutés des foules, qui savent commander à la nature, qui peuvent jeter des sorts, susciter ou arrêter des fléaux. Mais ce n'est pas avec les quelques traditions conservées par l'historiographie israélite que nous pouvons tenter de reconstituer la psychologie du prophétisme ancien. https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1922_num_2_4_2384 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Exorcisme et Démons Lun 29 Mar 2021, 16:16 | |
| Quand on lit un texte qui date d'un siècle ou presque (A. Causse, 1922), on voit tout de suite à quel point il est conditionné par l'"esprit" de son temps, parce que ce temps n'est plus le nôtre: scientisme, historicisme, progressisme, évolutionnisme, moralisme qui vont de soi, tout cela marque à nos yeux une "époque", d'autant qu'elle est lointaine, et nous fait tout au plus deviner à quel point nous sommes aveugles à ce qui détermine autrement, mais tout autant, ce que nous lisons de contemporain, et a fortiori ce que nous disons ou écrivons nous-mêmes le cas échéant.
Le regard des "chrétiens modernes" (contemporains de maintenant) sur l'extase prophétique me semble toutefois assez diversifié, pour plusieurs raisons: les différentes formes de "pentecôtisme" ou de "renouveau charismatique" ont réintroduit entre-temps des pratiques et des expériences similaires chez nombre d'entre eux; les "fondamentalistes" qui ne connaissent pas ce genre d'expérience (les "évangéliques secs", comme disait un pasteur de mes amis) s'interdisent, par respect pour la "révélation biblique", de mettre sur le même plan les transes "prophétiques" et "démoniaques", quand même rien ne les distinguerait au plan du "phénomène"; enfin les (plus ou moins) "savants" ont appris à se méfier, fût-ce superficiellement, de l'ethnocentrisme qui dévalorise les pratiques d'avant ou d'ailleurs...
Ce qui semble intéressant sous ce rapport dans le cycle de Saül, c'est une certaine correspondance entre les "bons" et les "mauvais" côtés de l'extase ou transe: Saül qui se montre sensible à l'"esprit-souffle prophétique" se montre aussi vulnérable au "mauvais esprit", il est en tout les cas un "bon sujet", un agent ou un patient réceptif aux influences "bonnes" ou "mauvaises"; il ne s'agit cependant pas d'opposer les "esprits" selon la nature ou l'origine, puisque tout est "de Yahvé". |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Exorcisme et Démons Mar 30 Mar 2021, 10:54 | |
| - Citation :
- Mais du coup c'est le "divin" lui-même qui demeure irréductiblement ambigu.
"Alors un esprit sortit, se présenta devant le SEIGNEUR et dit : Moi, je le duperai. Le SEIGNEUR lui dit : Comment ? — Je sortirai, dit-il, et je serai un souffle de mensonge dans la bouche de tous ses prophètes. Il répondit : Tu le duperas, tu réussiras ! Sors et fais ainsi ! Et maintenant, le SEIGNEUR a mis un souffle de mensonge dans la bouche de tous tes prophètes que voici ; le SEIGNEUR, lui, a décrété un malheur contre toi !" (1 Rois 22,21-23) - Voir aussi Chr. 18:20-22. Parmi les "esprits" qui entourent Dieu, certains possèdent la capacité de faire mentir. Il y a divers esprits, de bons et de mauvais esprits ... Dans l'article que j'ai cité précédemment, la Watch pose une question qui interpelle et reste sans réponse : D’où vient l’efficacité apparente de l’exorcisme ? |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Exorcisme et Démons Mar 30 Mar 2021, 13:11 | |
| Dans la scène de 1 Rois 22 (qui est mise à distance et/ou en abyme par un double effet de cadrage, récit de vision dans un récit "prophétique", comme la pièce de théâtre dans la pièce de théâtre de Hamlet, "the play's the thing", plus vraie que vraie par un double artifice de fausseté qui dit en plus d'un sens le vrai du faux) il n'est pas dit que l'"esprit" soit "mauvais" ni même "menteur", mais qu'il peut le devenir au besoin...
Je trouve pour ma part que la Watch répond très clairement à sa propre question, mais elle le fait précisément sur le mode des "pharisiens" selon les Synoptiques, en contredisant ouvertement "Jésus": Satan chasse bel et bien Satan (comme disent les "pharisiens"), et sa maison n'est nullement divisée (contrairement à ce que dit "Jésus")... |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Exorcisme et Démons Mar 30 Mar 2021, 14:33 | |
| Jésus arrive. L’homme exclu voit Jésus, il crie, hurle, se lacère le corps avec des pierres, mais il sent un espoir naître du sein de son automutilation. Comme un pressentiment d’une santé inouïe alors que l’on s’éprouve condamné à mort par une maladie incurable. Bref, le malheureux se précipite sur Jésus. À un moment donné, Jésus parvient à l’apaiser. Toutefois, comme souvent lorsqu’un thérapeute a réussi une guérison, celui qui est guéri veut devenir, d’une manière ou d’une autre, l’adepte du guérisseur ; il est animé d’une telle reconnaissance qu’il veut absolument devenir le disciple de celui qui l’a guéri, avec ce que cela comporte comme risque de récidive (le thérapeute prenant alors la place d’un nouveau double, de la force diabolique qui revient plus forte qu’avant la guérison). Certes, lorsqu’un médecin nous a guéri d’une simple maladie, nous éprouvons une reconnaissance légitime vis-à-vis de lui, mais quand c’est une maladie à la mort, mentale, sociale, psychique, la reconnaissance est parfois poussée jusqu’à la soumission. Or, le malheureux de Guérasa se déchirait lui-même, par automutilation. Quand vous avez quelqu’un qui vous sauve de cela, il vous semble n’être plus qu’un appendice du thérapeute ! Et lorsqu’il expulse le double morbide, il laisse une place vide à remplir, sauf à former le cœur ainsi livré désormais à lui seul. Il faut qu’il soit inhabité par un esprit nouveau, un esprit de vie : non plus celui des morts, mais des vivants ! Sinon, c’est la récidive assurée et aggravée – les vieux démons reviennent plus nombreux après avoir été balayés de la maison avec succès. Une certaine guérison sans affermissement intérieur prépare une aggravation de l’affection !
Or, précisément, Jésus dit : non, tu ne peux pas être mon disciple ! Autrement dit : je ne veux pas être ton nouveau double, remplir le vide créé par la guérison elle-même, devenir un substitut du diable. Il faut guérir la guérison, la poursuivre, en perfectionner le symbole. Voilà la guérison véritable, le salut venant de Dieu renouvelant toutes choses, y compris la santé, la guérison ou la fermeté intérieure (firmitas) ; le guérir ne vient pas de sa propre force ou d’une énergie neutre, tantôt bienfaisante, tantôt malfaisante, ambivalente, sacrale. Au lieu d’en profiter, d’aliéner autrement celui qui se présente à lui, ayant surmonté son infirmité, désormais dans son bon sens, Jésus lui oppose un refus. Mais il lui dit aussi affirmativement : oui, retourne chez les tiens, va témoigner de ce que Dieu a fait pour toi. Il ne lui dit pas : romps avec ta famille, romps avec la société qui ne t’a pas reconnu et qui t’a condamné à vivre comme un mort vivant ou un porc impur dans la cité des morts. Il lui dit le contraire. Va, retourne témoigner à la ville de ce que Dieu vient de faire : te libérer de la cité des morts pour te rendre à celle des vivants. Retourne chez toi et évangélise les tiens par le seul témoignage de ta sagesse ! (...)
Ce ne fut pas le cas, et pourquoi ? Parce qu’il y aurait confusion possible : souvent, dans l’Antiquité, lorsqu’un guérisseur délivre de la présence aliénante d’une maladie ou de ce que l’on appelle le démon, on a volontiers l’impression que celui qui chasse le satan (l’adversaire) est lui-même doté d’un pouvoir proche de celui qu’il expulse. Si tu expulses le démon, s’entend dire Jésus, c’est que toi aussi, tu en es ! Bon, mais alors, réplique-t-il, ce serait la maison divisée contre elle-même. Bref, dès lors que quelqu’un est guéri, il y a toujours une ambiguïté par rapport à celui qui guérit. S’agit-il véritablement d’un homme de Dieu ou d’une force ténébreuse capable de rejeter le démon parce qu’elle-même se tient du côté de la force obscure maîtrisée mystérieusement ? Quelle est la force qui a été utilisée pour la guérison ? Qui m’a guéri ? C’est la question critique, celle du Malin Génie cartésien. Le Christ lève cette ambiguïté : c’est Dieu qui est guérisseur, en vérité. Si c’était le satan, il se retournerait contre lui-même d’une manière incompréhensible, précisément diviseuse, littéralement diabolique et non pas symbolique ; précisément comme la volonté humaine qui, justement dans sa liberté spirituelle la plus vive, est susceptible de se fasciner elle-même, jusqu’à vouloir se démettre elle-même, dipsychique suivant l’épître de Jacques (1, 8 ; 4, 8 : dipsychos) et saint Augustin. https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2011-4-page-71.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Exorcisme et Démons Mar 30 Mar 2021, 23:19 | |
| Trop bavard pour moi (c'est dire)... Que le diable soit diabolique, ça ne devrait étonner personne, mais la pointe de l'argument synoptique c'est qu'une telle diablerie ou diabolicité comme principe de division s'effondrerait d'elle-même, avec le dualisme qu'elle suppose et sous-tend comme un cercle vicieux. Par quelque bout qu'on le prenne, le "diable" est vaincu d'avance, presque par définition. La logique est du reste bouclée par une quasi-contraposée, dans la "parabole de l'homme fort" (Marc 3,27//) que Forthomme n'aurait pas dû oublier : si le diable est divisé, il est perdu (conséquence logique, dans l'ordre de l'être ou des faits: chasser les démons, pour lui, ce serait aller à sa perte), s'il ne l'est pas c'est qu'il est vaincu (déduction logique, dans l'ordre de la connaissance: les exorcismes prouvent qu'il a été vaincu). D'une manière ou d'une autre c'en est fini de son "pouvoir" comme "contre-pouvoir" de "Dieu" ou de "l'esprit-saint". (Bien sûr, tout cela repose aussi sur l'identification du "prince des démons", "Beelzeboul" selon les scribes / pharisiens, à "Satan": comme on l'a déjà dit, originellement ce sont sans doute deux figures distinctes, mais dans le texte des Synoptiques ou dans la bouche de Jésus ils -- ou elles -- ne font qu'un.) Par ailleurs, le refus d'admettre parmi les disciples le "possédé délivré" (seulement chez Marc, chap. 5) peut s'interpréter de bien des façons (p. ex.: on est en terre ostensiblement "païenne", la Décapole et ses cochons, et à ce stade Jésus ne veut pas ramener un "païen" en Israël, selon une logique qu'on retrouvera plus loin avec la Syro-phéncienne, chap. 7); mais l'interprétation "psychologique" paraît excessivement douteuse, en tout cas rien dans le texte ne me semble la justifier. Du reste elle n'est pas généralisable ni exportable aux autres Synoptiques, si l'on en juge par le contre-exemple de "Marie-Madeleine" et ses "sept démons" en Luc 8,2 (qui rappelle d'une part la pluralité de "Légion" en Marc 5, péricope totalement omise par Luc, d'autre part le logion de Matthieu 12,45 // Luc 11,26). |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Exorcisme et Démons Mer 31 Mar 2021, 12:04 | |
| Les démons, ancêtres des virus et des microbes
Les mots
L’hébreu parle de « souffle impur ». Le mot « impur » n’a rien à voir avec la morale, il est tiré du vocabulaire cultuel. Le prêtre est chargé de protéger la société de ce qui pourrait menacer sa santé. Il va donc lui indiquer les réalités dont elle doit se garder : moisissures ou champignons toxiques sur les murs des maisons, malades dont les symptômes sont contagieux, animaux dont il faut éviter de consommer la chair, etc. Tout cela est « impur » au sens de menaçant, nocif, malsain, antisocial. Le grec a choisi de rendre l’expression « souffle impur » par daimôn, un mot désignant une puissance dangereuse pour les humains; de lui vient, évidemment, notre mot « démon ». Pour ma part, j’ai choisi de traduire l’hébreu par « souffle malfaisant ». Les scribes, auteurs des évangiles et des traditions qui s’y trouvent, utilisent l’un ou l’autre terme sans différence de sens.
Une réalité de ce monde
Dans les évangiles, les souffles malfaisants ou démons, sont responsables de la maladie. Ils sont l’explication que les humains se donnent – qu’ils soient judéens, païens ou chrétiens – pour rendre compte de leurs maladies. Les démons sont terrestres, d’ici-bas, concrets. Ils ont un rôle à jouer, et ils le jouent bien. Ils viennent du désert, lieu par excellence hostile aux humains, mais ils préfèrent demeurer dans la civilisation :
Q 11,24 Une fois sorti de quelqu’un, le souffle malfaisant s’en va errer dans des lieux arides. Il cherche la paix, mais n’en trouve pas. Eh bien ! je n’ai qu’à retourner à la maison d’où je viens. 25 Il s’y rend, et la voilà balayée, bien rangée. 26 Il s’en va donc chercher sept autres souffles, encore plus malfaisants que lui, et ils entrent s’y installer. La fin est alors pire que le commencement. [1] (Ce texte est une reconstruction tirée d’une source du nom de Q, que les évangélistes Matthieu et Luc ont utilisée chacun à leur façon - voir Mt 12,43-45; Lc 11,24-26).
Chacun a sa tâche, mais ils savent s’organiser en commandos pour arriver à leurs fins.
http://www.interbible.org/interBible/decouverte/comprendre/2019/comprendre_20190325.html |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Exorcisme et Démons Mer 31 Mar 2021, 13:26 | |
| Le rapprochement avec le "sanitaire" est difficilement évitable par les temps et les virus qui courent (je n'y ai pas résisté non plus, cf. supra 25.3.2021). En l'occurrence la médecine est encore très loin de l'"exorcisme", puisqu'elle ne sait pas "chasser" (ça part si ça veut et quand ça veut), on en reste à la prophylaxie (des "gestes-barrières" aux vaccins, c'est encore "empêcher de rentrer et/ou de s'installer"), ce qui ressemblerait en effet davantage à l'office du prêtre qu'à celui du thaumaturge. On peut aussi se rappeler l'ironie évangélique par laquelle Jésus renvoie les lépreux guéris aux prêtres, pour qu'ils constatent une "purification" qu'ils sont incapables d'effectuer.
L'"esprit-souffle impur" est plutôt rare et tardif dans la Bible hébraïque (Zacharie 13,2, esprit-souffle d'impureté, au singulier et dans un passage anti-prophétique; on peut en dire presque autant de son quasi-antonyme, l'"esprit-souffle de sainteté-sacralité" ou "esprit saint", Isaïe 63,10s; Psaume 51; cf. Daniel 4,8ss etc.); ce genre de locution se développe surtout dans la période (toujours mal) dite "intertestamentaire", mais au moins en partie dans une continuité "sacerdotale" (notamment dans les textes "sectaires" de Qoumrân et apparentés). En revanche, dans les textes "sacerdotaux" plus anciens où le vocabulaire de la "pureté" (impureté, souillure, etc.) ou de la "sainteté" (sacré, profane) est omniprésent, les "esprits" sont rares (p. ex. l'esprit de jalousie de Nombres 5).
La question de la quantité dénombrable ou indénombrable est très intéressante, mais elle nous entraînerait très loin (plus ou moins d'esprits ou d'esprit, mais aussi plus ou moins de péché[s] ou de foi, d'amour, de justice...). |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Exorcisme et Démons Mer 31 Mar 2021, 14:33 | |
| "Alors Dieu envoya un souffle mauvais entre Abimélek et les notables de Sichem : les notables de Sichem trahirent Abimélek" (Jg 9,23)
Notes : Juges 9:23 un souffle mauvais : c.-à-d., en l’occurrence, un esprit de discorde, cf. 1S 16.14ss ; 1R 22.21-23 ; Es 19.14 ; 29.10.
Le "souffle mauvais" désigne beaucoup plus qu'un simple revirement de sentiment ou une saute d'humeur, il s'interpose entre Abimélek et les notables de Sichem, une sorte de "vent" contraire qui occupe tout l'espace intermédiaire. C'est Dieu qui déclenche l'esprit d'hostilité ou mandate l'esprit mauvais. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Exorcisme et Démons Mer 31 Mar 2021, 15:17 | |
| Je ne saurais dire si c'est "plus" ou "moins": il me semble que chaque époque, chaque langue, chaque culture et chaque milieu a sa façon de décrire sa "météorologie" métonymique qu'on ne peut autrement qualifier (p. ex. d'affective, d'émotionnelle, de psychologique, de sociale, de relationnelle, etc.) qu'à partir d'un point de vue donné. Ce que nous disons en disant "le vent tourne", à propos d'une situation politique ou de relations "interpersonnelles", n'est pas moins intense ni plus rationnel, ni plus saisissable ou maîtrisable, que ce que l'hébreu dit en l'occurrence en parlant d'"esprit-souffle mauvais" (rwh r`h). Tout au plus peut-on remarquer, qu'ici l'"esprit" en question n'est pas sur ou dans un "individu", comme dans le cas de Saül, mais "entre" plusieurs. Et que sa perception "prophétique" (au sens des "Premiers Prophètes" qui incluent les livres des Juges et de Samuel-Rois, ou des "prophètes"-inspirés qui y apparaissent, ou des "Derniers Prophètes" qui représentent les livres d'Isaïe, Jérémie, etc.) est encore différente des concepts ultérieurs qui sous-tendront les récits néotestamentaires de "démons" ou d'"exorcismes" (où les "esprits impurs" ne sont plus "de Dieu"). |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Exorcisme et Démons Mer 31 Mar 2021, 15:39 | |
| Comment comprendre symboliquement le processus à faire sortir un "souffle mauvais" d'une personne ?
Le possédé se trouve envahi tout entier par un souffle hostile qui le souille et qui déstructure toute sa personnalité. L'exorciste qui agit au nom de Dieu arrive en fait à ventiler tout l'intérieur du possédé en chassant l'air pollué qui l'habite à l'aide d'un air pur et frais qui vient d'en haut, air mis en mouvement par l'expiration de l'exorciste mandaté et surtout air porteur de paroles autoritaires destinées à conjurer le mal. Cet air n'est en définitive que le "Souffle Saint" (dit Esprit Saint). D'où l'affirmation explicite de Jésus, dans sa controverse avec les pharisiens : "Mais si c'est par l'Esprit de Dieu que, moi, je chasse les démons ... ", symbole divin. Blasphémer contre l'Esprit Saint dans ce contexte, c'est prendre le souffle bon pour le mauvais et vice-versa. Le souffle bon est destiné à faire respire l'homme en profondeur. Quant au souffle mauvais, au terme de l'exorcisme, il doit retourner symboliquement dans le désert ("Lorsque l'esprit impur est sorti de l'être humain, il passe par des lieux arides" Mt 12,43 et Luc 11,24) ou dans les porcs ou dans la mer.
L'auteur de l'épitre aux Ephésiens rappelle aux croyants : "vous vous adonniez autrefois sous l'empire de ce monde, le prince de l'autorité de l'air, cet esprit (souffle) qui est maintenant à l'œuvre chez les rebelles" (Ep 2,2), le chef des esprits mauvais détient un certain pouvoir sur l'air en mouvement (le vent). Ici, "air " et "souffle" sont des synonymes. cet auteur souligne également que la lutte continue contre "les souffles du mal parmi les êtres célestes" (Ep 6,12). L'originalité du texte consiste à localiser les démons dans l'air, c'est à dire l'espace intermédiaire entre la terre et la lune.
Apocalypse 16,13-14 : "Je vis sortir de la bouche du dragon, de la bouche de la bête et de la bouche du prophète de mensonge trois esprits impurs, semblables à des grenouilles. Ce sont des esprits de démons qui produisent des signes et qui s'en vont vers les rois de toute la terre habitée afin de les rassembler pour la guerre du grand jour de Dieu, le Tout-Puissant".
[url=https://books.google.fr/books?id=FiZxaxqHxLgC&pg=PA376&lpg=PA376&dq=souffle+impur+d%C3%A9mon+th%C3%A9ologie&source=bl&ots=C9o5PtM9x9&sig=ACfU3U3WiGcqrzt5bxakNA603-VsvxaWgw&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwj9vLGfxtrvAhWIyIUKHQNBBFo4FBDoATAEegQIBxAD#v=onepage&q=souffle impur d%C3%A9mon th%C3%A9ologie&f=false[/url]https://books.google.fr/books?id=FiZxaxqHxLgC&pg=PA376&lpg=PA376&dq=souffle+impur+d%C3%A9mon+th%C3%A9ologie&source=bl&ots=C9o5PtM9x9&sig=ACfU3U3WiGcqrzt5bxakNA603-VsvxaWgw&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwj9vLGfxtrvAhWIyIUKHQNBBFo4FBDoATAEegQIBxAD#v=onepage&q=souffle%20impur%20d%C3%A9mon%20th%C3%A9ologie&f=false[/url][/url] |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Exorcisme et Démons Mer 31 Mar 2021, 16:28 | |
| Ce que j'essayais de dire, et que cette dernière citation illustre à merveille, c'est la sempiternelle aporie de la traduction-trahison, à la fois impossible et inévitable: si les démons et les exorcismes ne font pas partie de notre imaginaire, tout au moins de sa part dite "réaliste", celle que nous appelons justement "la réalité" (même s'ils n'ont pas disparu de sa part "fantastique", autrement "imaginaire", au même titre que les fantômes, et les vampires, zombies ou extra-terrestres qui sont venus les y rejoindre dans la littérature moderne), nous sommes bien obligés de les y "traduire" en des termes qui ont une place et un sens dans cette "réalité imaginaire" mais qui ne leur conviennent pas vraiment, ou leur font violence (comme on traduit ou on traîne quelqu'un en justice): en l'occurrence des concepts psychologiques comme l'inconscient, les pulsions, le désir, l'aliénation, la névrose, la psychose, la démence, l'obsession, l'hystérie, la schizophrénie, etc., saupoudrés au petit bonheur d'analogies technoscientifiques, physiques ou physiologiques, de la respiration à la dynamique des fluides, aspiration, ventilation ou pompage, à la faveur d'un rapprochement superficiel avec l'étymologie de rwh-pneuma-spiritus par exemple. Ce genre de démarche ne nous fait pas avancer d'un pas dans la lecture des textes, elle nous en éloignerait plutôt -- on peut remarquer, a contrario, que PLUS les textes parlent des "esprits" de façon "réaliste" et quasi-"personnelle", à nos yeux "fantastique", notamment les Synoptiques et les Actes, MOINS la "métaphore" ou "métonymie" du "souffle", respiration ou vent, y est apparente, sensible et exploitée (c'est en partie pour cette raison que la NBS a traduit rwh par "souffle" dans l'AT et pneuma par "esprit" dans le NT, tout en indiquant la correspondance en note; il aurait fallu affiner davantage, mais on y aurait perdu en intertextualité ce qu'on y aurait gagné contextuellement); c'est précisément le quatrième évangile, celui qui ne connaît ni "esprits impurs" ni "exorcismes" au sens "propre", qui peut la mettre en valeur (le vent-souffle-esprit souffle où il veut, chap. 3). Autrement dit le "symbole" requiert une certaine distance: plus on croit (ou croit croire) à quelque chose "au premier degré", moins on est disposé à y voir un "second degré", une "figure" ou un "symbole". Mais les textes "bibliques" ont eux-mêmes une distance variable à l'égard de leurs énoncés, et on ne leur rend guère justice quand on y voit des "figures" ou des "symboles" là où ils ne les présentent pas comme tels, au moins par quelques indices; nous ne pouvons sans doute pas faire autrement, mais nous ne pouvons plus guère éviter d'en être conscient(s), ce qui nous rend les explications rationalisantes sur les "esprits" presque aussi difficiles à "croire" que les "esprits" eux-mêmes. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Exorcisme et Démons Jeu 01 Avr 2021, 11:02 | |
| "ce sont les habitants du désert qui s'y coucheront ; les hiboux rempliront ses maisons, les autruches y demeureront et les boucs y bondiront. Les hyènes entonneront leur complainte dans ses palais, et les chacals dans ses demeures luxueuses. Son temps est près d'arriver, et ses jours ne se prolongeront pas" (Ésaïe 13:21-22).
Notes : Ésaïe 13:21 habitants du désert 23.13n ; 34.14 ; Jr 50.39 ; Ps 72.9 ; 74.14 ; il s’agit peut-être d’animaux (cf. 14.23 ; 27.10 ; 32.14 ; 34.11 ; Jr 10.22 ; So 2.4 ; beaucoup traduisent chats sauvages) ou de démons. – les boucs : litt. les poilus (Lv 16.5,10 ; 17.7n). Le terme désigne probablement ici une espèce de démon censée hanter le désert (cf. les satyres de la mythologie gréco-romaine). Cf. Ap 18.2n.
Notes : Ésaïe 13:22 hyènes : traduction incertaine (cf. 23.13 ; 34.14 ; Jr 50.39) ; certains préfèrent chacals, d’autres rapprochent le mot correspondant d’un terme apparenté rendu par faucon en Lv 11.14 ; Dt 14.13 ; Jb 28.7, d’autres encore pensent qu’il désigne ici une sorte de démon.
"Les habitants du désert y rencontreront les hyènes, et les boucs s'y appelleront les uns les autres ; là le spectre de la nuit séjournera tranquille, il trouvera son lieu de repos" (Es 34,14)
Notes : Ésaïe 34:14 habitants du désert / hyènes 13.21n,22n. – le spectre de la nuit : hébreu lilith, nom propre d’un démon femelle chez les Babyloniens, proche du mot hébreu pour nuit (layla). |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Exorcisme et Démons Jeu 01 Avr 2021, 13:43 | |
| On voit bien en tout cas que dans ces textes la "démonologie" se distingue difficilement de la zoologie, d'autant que la traduction de celle-ci reste largement aléatoire, ainsi que l'indiquent les notes (dans un corpus aussi restreint que celui de l'hébreu "classique", dont l'essentiel est fourni par les textes "bibliques", l'identification des animaux ou des plantes, surtout ceux qui ne sont mentionnés qu'une fois ou deux, relève de la devinette: on ne peut que conjecturer en s'appuyant sur la tradition rabbinique, les traductions anciennes et la comparaison avec des langues voisines comme l'araméen ou l'arabe, où il y a à peu près autant de "faux amis" qu'entre les langues latines p. ex. -- des mots qui se ressemblent, qui sont effectivement "apparentés" mais désignent tout autre chose d'une langue à l'autre, p. ex. la langouste et la sauterelle, toutes deux langosta en espagnol).
Toujours est-il que l'association des "démons" (si c'en sont) aux "animaux sauvages" d'une part, au désert et aux ruines d'autre part, est significative: les "esprits" ont autant de rapport avec les "animaux" et les "lieux" (zoologie, topologie) qu'avec les hommes, ça se retrouve aussi dans les évangiles (les cochons, les lieux arides où erre l'esprit chassé de l'homme); et l'association à la mort ne l'est pas moins, bien que les "esprits des morts" mobilisent en hébreu biblique un autre vocabulaire: dans la tradition hénochienne, les "esprits" sont bien des "fantômes", ceux des géants défunts; et les ruines qu'ils hantent ici, vestiges de villes détruites, sont aussi des tombeaux (comme en Marc 5//). |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Exorcisme et Démons Jeu 01 Avr 2021, 15:31 | |
| "Comme nous allions au lieu de prière, une servante qui avait un esprit pythique et qui, par ses divinations, procurait un gain important à ses maîtres est venue au-devant de nous. Elle s'est mise à nous suivre, Paul et nous, en criant : Ces gens sont des esclaves du Dieu Très-Haut, ils vous annoncent la voie du salut ! Comme elle faisait cela depuis plusieurs jours, Paul, excédé, a fini par se retourner pour dire à l'esprit : Par le nom de Jésus-Christ, je t'enjoins de sortir d'elle ! Et il est sorti à ce moment même" (Ac 8,16-18).
Notes : Actes 16:16 – un esprit pythique : litt. un esprit python. Ce terme, d’abord nom du dragon associé à l’oracle de Delphes (= Puthô) inspiré par Apollon, avait fini par s’appliquer à toute sorte de divination. –
Une petite remarque, dans le cas de cette servante, l'esprit pythique ne la fait pas souffrir mais lui octroie un pouvoir, elle est douée d'une clairvoyance particulière. Paul ne cherche pas a soulager la femme mais il agit parce qu'il est excédé par cette esprit qui le harcèle en criant une "vérité" : "Ces gens sont des esclaves du Dieu Très-Haut, ils vous annoncent la voie du salut !". |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Exorcisme et Démons Jeu 01 Avr 2021, 21:33 | |
| A part les traits typiquement grecs que l'auteur des Actes met en avant pour faire couleur locale et étaler sa culture, le procédé est le même que dans les Synoptiques (depuis Marc où les "esprits impurs" disent tout de suite QUI est "Jésus", bien avant que Pierre ou le centurion ne viennent à le reconnaître comme tel -- et où "Jésus", ostensiblement, les fait taire), et il est retors: le récit bénéficie doublement du "témoignage" des esprits, démons, etc., qui de fait valident d'emblée l'"autorité" du protagoniste (Jésus, Pierre ou Paul), en faisant mine de ne pas en vouloir, de le rejeter ou de le censurer (par l'exorcisme en l'occurrence): le lecteur sait d'entrée de jeu, grâce aux "démons", ce qu'il va devoir faire semblant d'ignorer et de redécouvrir plus loin par d'autres moyens. Un peu comme dans les tribunaux à l'américaine on récuse tel argument ou tel témoignage pour des raisons formelles, en disant au jury de ne pas en tenir compte: évidemment les jurés ne vont pas oublier ce qu'ils ont entendu, et cela influencera d'autant plus leur jugement "en leur âme et conscience" qu'on leur a dit que ça ne devrait pas l'influencer (double bind caractérisé). Ou comme la "célébrité" qui affecte d'être importunée par les journalistes et de vouloir les chasser ou leur échapper prend d'autant mieux la pose... les ficelles de la "communication" sont vieilles, mais inusables. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Exorcisme et Démons Mar 13 Avr 2021, 11:16 | |
| "ils sacrifient à des démons, qui ne sont pas Dieu, à des dieux qu'ils ne connaissent pas — des nouveaux venus, arrivés depuis peu, que vos pères ne vénéraient pas" (Dt 32,17).
"ils ont sacrifié leurs fils et leurs filles aux démons" (Ps 106,37)
Trois groupes de passages, d'après le texte original, mentionnent des esprits démoniaques au sens païen. C'est tout d'abord Deut. 32,17 et Ps. 106, 37, où les Israélites sont accusés d'avoir sacrifié aux Shedim. Terme employé dans la langue babylonienne pour désigner parfois des esprits ibons, mais surtout des esprits mauvais. A ces deux textes il faut très probablement ajouter Os. 12, 12 où on lit le même reproche au sujet des shevarim; car shevarim est sans doute une leçon fautive pour, shedim. https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1933_num_13_3_1596 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Exorcisme et Démons Mar 13 Avr 2021, 11:44 | |
| Sur ces deux passages (Deutéronome 32; Psaume 106; à quoi on pourrait ajouter en effet Osée 12,12, si on le corrige, comme le suggère l'apparat critique de la BHS: "ils sacrifient aux démons [plutôt que "des taureaux"] au Guilgal") et l'allusion qui y est faite en 1 Corinthiens, voir supra 25.3.2021: même si ces textes empruntent leur vocabulaire à la démonologie mésopotamienne, ils ne se réfèrent pas à des "démons" au sens des exorcismes mais bien à des dieux, objets d'un culte, destinataires de sacrifices, etc. -- contrairement aux passages d'Isaïe où les "démons" des déserts et des ruines sont plus près de la zoologie que de la théologie. Appeler des dieux "démons" est seulement une des multiples façons dont les rédactions "bibliques" dévalorisent les dieux et leurs images en général, en les appelant aussi 'elilim (qu'on traduit "faux dieux" ou "idoles" mais qui déforme surtout les noms communs pour "dieux", 'elohim ou 'elim, cf. "Götze" pour "Gott" en allemand), mais encore (selon les traductions) "vanités", "ordures", etc., par un inépuisable lexique de l'insulte qui s'étend de la démonologie à la scatologie.
Cette recension de 1933 mélange un peu tout (notamment "diable" et "démons"), d'autant qu'elle porte sur deux livres très différents (Kaupel sur la démonologie de l'AT, Rigaux sur l'Antéchrist); bien entendu les "sciences bibliques" ont beaucoup évolué depuis, grâce à la masse de textes anciens découverts et/ou étudiés dans l'intervalle -- l'ouvrage de référence classique sur le sujet reste le "DDD", Dictionary of Deities and Demons in the Bible (1995), sous la direction de l'excellent Karel van der Toorn. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Exorcisme et Démons Ven 01 Oct 2021, 12:13 | |
| Liage et déliage : guérison et pouvoir spirituel dans le Nouveau Testament
« Femme, tu es déliée de ton infirmité » (apolelusai tès astheneias sou, Lc 13,12 : mot à mot, avec la valeur de constat du parfait et l’accentuation marquée par le préfixe apo-, « te voilà débarrassée par déliage… »). Parmi d’autres, mais de manière frappante, l’épisode de la femme courbée par l’infirmité fait ressortir le caractère délieur, selon la tradition, de la parole et du geste de Jésus à l’égard des « liés » rencontrés sur son chemin : liens d’un corps déformé ou paralysé, chaînes de la prison, de la langue ou des oreilles (chez les muets, sourds, bègues…), tous handicaps souvent associés à la possession par un esprit impur. Présentés par les évangiles comme des expulsions de démons, voire comme une libération du pouvoir de Satan (ainsi dans l’exemple analysé à l’instant), ces déliages ne doivent pas être séparés des séquences par lesquelles Jésus est amené à remettre à ses disciples, et d’abord à Pierre, ce qu’on a appelé le « pouvoir des clefs ». Une rapide analyse de ce moment évangélique décisif peut éclairer l’usage ultérieur fait par les premiers chrétiens du motif qui retient notre attention.
Dans la version donnée par Matthieu, 16,19 – et dans celle-là seule –, le commentaire du fameux « Tu es Pierre » est le suivant : « Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux ; tout ce que tu lieras (ho ean dèsèis) sur la terre demeurera lié (estai dedeménon) dans les cieux, et tout ce que tu délieras (ho ean lusèis) sur la terre demeurera délié (estai leluménon) dans les cieux »6. La cohérence du thème lieur/délieur est manifeste chez Luc dans le passage qui conduit à l’annonce du pouvoir confié aux apôtres : « Ayant convoqué les Douze, il leur donna puissance et autorité sur tous les démons » (Lc 9,1). Ces lignes introductives (Lc 8,29-34 ; cf. Mt 8,28-34 ; Mc 5,1-20) évoquent le possédé de Gérasa en déployant à peu près tout le vocabulaire dont dispose le grec : « à maintes reprises l’esprit [impur] s’était emparé de lui ; on le liait alors, pour le garder, avec des chaînes et des entraves, mais il brisait les liens (edesmeueto halusesi kai pedais os, kai diarrèsôn ta desma…) et le démon l’entraînait vers les solitudes… ».
Un passage de l’Apocalypse évoque le ligotage pour un millénaire symbolique de Satan, avant son anéantissement final (Ap 20,1-3 : « Alors je vis un ange qui descendait du ciel, Il avait à la main la clef de l’abîme et une lourde chaîne (echonta tèn klein tès abussou, kai halusin megalèn epi tèn cheira autou). Il s’empara du dragon, l’antique serpent, qui est le Diable et Satan, et l’enchaîna pour mille ans (kai edèse auton chilia etè). Il le précipita dans l’abîme qu’il ferma et scella sur lui ([…] kai ekleise kai esphragisen epanô autou. Ce passage – thème et vocabulaire – jette quelque lumière sur l’épisode à venir de Pierre et du « dragon du Forum romain ». Dans l’épisode gérasénien, toute tentative pour attribuer au déliage une valeur positive, au liage une valeur péjorative, ou inversement, est mise à mal par une dialectique dont l’Antiquité, biblique autant que classique, n’est pas avare. Le possédé est lié par les démons, entrés en lui par effraction (« déliage »), qui le poussent à échapper à toutes les règles de la communauté : cette fuite dangereuse se confond avec un déliage qui est l’œuvre des démons, et auquel Jésus ne met fin qu’en « déliant » des démons le corps du possédé, pour les entraîner « à l’abîme ». Ils y seront définitivement liés : anéantis.
https://journals.openedition.org/pallas/7585 |
| | | Contenu sponsorisé
| Sujet: Re: Exorcisme et Démons | |
| |
| | | | Exorcisme et Démons | |
|
| Permission de ce forum: | Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
| |
| |
| |