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| méditations islamiques | |
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Auteur | Message |
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Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: méditations islamiques Jeu 03 Déc 2015, 12:12 | |
| Sans doute un peu par réaction à une certaine islamophobie qui m'horripile autant que "l'islamisme", je me suis mis à relire -- à petites doses et en traduction -- le Coran, que j'avais lu trop vite il y a très longtemps. J'ai vu hier dans Le Canard enchaîné que Mordillat et Prieur, dont j'avais naguère apprécié le travail de vulgarisation sur les évangiles (notamment dans Corpus Christi), s'y sont aussi intéressés, sous l'angle particulier des traditions coraniques et islamiques relatives à Jésus (une émission à venir ces jours-ci sur Arte, "Jésus et l'islam", et un livre déjà publié au Seuil, Jésus selon Mahomet).
Même en dehors d'une "actualité" qui rend le sujet particulièrement brûlant, un lecteur venu du christianisme ou d'une laïcité post-chrétienne doit surmonter pas mal de préjugés pour aborder le Coran ou l'islam en général. Dans la séquence historique des "monothéismes", judaïsme-christianisme-islam, la position du milieu n'est pas celle de la neutralité. La pratique de "l'Ancien Testament" nous rend le judaïsme affectivement plus proche, malgré toute la polémique anti-judaïque du Nouveau Testament et l'antisémitisme qu'elle a nourri au fil des siècles -- dont l'apogée nazi nous aurait d'ailleurs plutôt rendus, par contrecoup, plus "judéophiles" qu'avant. Dans le même temps, le rapport politique de l'Occident à l'Islam a été tantôt guerrier, diplomatique ou colonial, le rapport affectif oscillant entre fascination exotique (dont l'"orientalisme" fut un peu la version "savante") et supériorité condescendante, sans compter la xénophobie ordinaire. Du point de vue strictement religieux, la chrétienté percevait naturellement l'islam comme une hérésie: seule son incapacité politique et militaire à la réprimer comme tant d'autres hérésies l'a obligée à lui concéder le statut externe d'"autre religion" (avec peut-être la désagréable impression, plus ou moins consciente, de rejouer la scène mythique de sa propre "origine" dans l'autre rôle, le "mauvais" rôle de la "vieille religion" repoussant en plus d'un sens la "jeune"). Pour le protestantisme occidental, plus marqué que d'autres branches du christianisme par le paulinisme des épîtres aux Romains et aux Galates, l'"hérésie" présentait en outre le caractère aggravant d'une rechute dans un régime à la fois "légaliste" (charia = Torah) et "rituel", de la "liberté de l'Esprit" à la "servitude" d'une "lettre" qui n'était même pas authentiquement divine.
Bref, il est quasiment impossible à un chrétien "naïf", je veux dire dépourvu de distance critique à l'égard de sa propre "religion" et de son propre "livre", de considérer Mahomet autrement que comme un "faux prophète" et les musulmans comme des "égarés". Ce qui est plus curieux, c'est que même la distance critique et l'éloignement du christianisme, de la part de "chrétiens libéraux", de "post-chrétiens" et de "laïques", n'arrangent pas immédiatement les choses: le préjugé d'inauthenticité et d'infériorité demeure, même lorsqu'on n'est plus convaincu de l'authenticité et de la supériorité de sa propre référence religieuse et/ou culturelle, par le simple fait de la généalogie historique: en tant que dérivé du judaïsme et du christianisme, on peut continuer longtemps à considérer l'islam comme un "sous-produit", moins noble ou digne d'intérêt (même "académique") que ses "ancêtres".
Il faut des rencontres et des épiphanies pour que ça change (un peu). La "prédication" (porte-à-porte) jéhoviste offrait beaucoup d'occasions, mais on n'y écoutait guère que pour mieux fourguer sa propre camelote, avec un chouïa de mauvaise conscience à l'idée de faire passer sa propre foi pour plus "muslim-friendly" qu'elle n'était en réalité (en insistant par exemple sur son unitarisme, ou plutôt son anti-trinitarisme).
Je me souviens par exemple, vers la fin de ma période jéhoviste, d'une très intéressante discussion avec un étudiant musulman africain rencontré à Paris, sur la question de Jésus "Fils de Dieu" (ou pas). Il m'avait raconté une "parabole" dont j'ignore la provenance, tout à fait dans le style midrash rabbinique -- je la reproduis telle que je me la rappelle, sous toutes réserves donc, car ça remonte à une trentaine d'années: un prophète demandait à Allah pourquoi il (Allah) n'avait pas de fils. Allah ne lui répondit pas, mais il lui confia un objet (disons: un fruit) merveilleux, en lui demandant de le garder précieusement jusqu'à ce qu'il vienne le reprendre. Le temps passa, et Allah voulut que le prophète prît femme et eût un fils. Le fils grandit, et il demanda le fruit. Le père d'abord refusa, puis finit par céder. Le soir même Allah vint réclamer son fruit. Le prophète, penaud, expliqua ce qui s'était passé: il n'avait pas pu le refuser à son fils. Allah lui dit: Maintenant tu sais pourquoi je n'ai pas de fils ! J'avais trouvé cette histoire excellente, d'un point de vue chrétien bien sûr: le "Fils de Dieu", l'"unique", le "bien-aimé", c'est justement celui à qui Dieu ne peut rien refuser, envers qui il est irréversiblement engagé (c'est plus largement l'idée de la promesse, du serment, de l'alliance irrévocables). Mais en même temps je comprenais son point de vue (musulman): pour que Dieu soit Dieu, il faut qu'il ne soit jamais engagé à rien, qu'il puisse toujours refuser -- qu'il soit et reste celui qui peut toujours détruire et (re-)créer (ou non) comme bon lui semble, ainsi que le répète le Coran. L'autre versant de la même "grâce", en somme, sans quoi elle n'est plus "gratuite". Le motif du désaccord paraissait en tout cas beaucoup plus profond ainsi que dans beaucoup de discussions au ras des pâquerettes entre chrétiens et musulmans, sur le caractère réel ou métaphorique de la notion de paternité divine et de la "relation sexuelle" qu'elle implique à la lettre. Bref, nous avions tous deux compris la complémentarité de nos "points de vue" sur une question théologique extrêmement intéressante, quoique exprimée en termes extrêmement simples. D'ailleurs mon interlocuteur avait volontiers concédé qu'on ne s'était jamais approché autant qu'avec Jésus de l'amour de Dieu. Mais à ses yeux "l'amour" n'était pas tout. D'où le cliché de l'apologétique musulmane: le judaïsme était l'enfance, le christianisme l'adolescence, l'islam l'âge adulte, la synthèse de la maturité.
Quelque temps plus tard, dans une faculté de théologie évangélique, une conférence d'un théologien musulman exceptionnellement invité par un chargé de cours, sur le thème de la "parole de Dieu": à partir du simple concept de prophétie, du Qur'an (Coran) parole écrite-lue-récitée (même racine qr' en hébreu pour "appeler", "crier", "lire"), mais foncièrement incréé comme la Torah dans le judaïsme rabbinique, une théologie de la révélation qui n'avait rien à envier, question profondeur, à nos méditations sur le logos johannique.
Encore un peu plus tard, un voyage d'études organisé par la Société biblique française en Israël / Palestine: notre guide, Israélien, juif et archéologue de son état, sur l'esplanade des mosquées à Jérusalem: "si vous voulez vous faire une idée de ce à quoi ressemblait le judaïsme du Second Temple, c'est ici qu'il faut regarder et pas en bas (sc.: le mur des Lamentations)." C.-à-d.: l'islam contemporain était à ses yeux beaucoup plus proche, au point de vue rituel et sociologique, du judaïsme ancien que le judaïsme "orthodoxe" actuel. Ce voyage m'a d'ailleurs fait prendre conscience, en les renversant, de plusieurs préjugés qui me restaient sur le judaïsme et l'islam. Par exemple, c'est le même guide qui a attiré pour la première fois mon attention sur la notion rabbinique de piqquah nephesh et son équivalent islamique (déjà coranique, dès les premières sourates): tout risque pour la vie ou la santé de quelqu'un suspend l'application de la loi (petit détail qui avait échappé à la Watchtower légiférant sur les transfusions sanguines, autrement dit construisant de toutes pièces un interdit spécifiquement lié à des cas d'urgence sanitaire, contresens absolu pour le judaïsme ET l'islam).
Il y a aussi eu des lectures, bien sûr: d'abord de Gibrân, chrétien mais fortement influencé par la culture et la mystique islamiques; puis de plusieurs auteurs à la réputation ambivalente en Islam, entre "saints" et "hérétiques": Hallâj et Khayyâm surtout avec lesquels je me suis aussitô senti "de plain-pied". Mais au Coran même je n'étais pas revenu depuis que je l'avais lu, dans une perspective plutôt "utilitaire", en tant que jeune "pionnier" TdJ, pour l'"utiliser" afin de mieux "prêcher" aux musulmans.
Deux idées générales pour conclure ce premier post anecdotique, dont j'espère qu'il pourra lancer une discussion positive, ou au moins équilibrée, sur ce sujet dont ma connaissance personnelle est très limitée:
1) L'islam nous ramène, me semble-t-il, à l'intuition incroyablement simple et vertigineuse de ce que j'appelle le "monothéisme pur", celui qui affleure dans le deutéro-Isaïe et qui trouve peut-être un équivalent philosophique dans le néo-platonisme de Plotin: l'Un comme fondement et abîme immédiat du multiple. On y retrouve, comme dans le zoroastrisme qui a tant influencé le deutéro-Isaïe et par celui-ci le judaïsme "biblique" et ultérieur, un jeu dialectique subtil entre monisme et dualisme. D'un côté, "Dieu fait tout", le "bien" et le "mal": il y a là un aspect "fataliste", comme Pasolini le faisait dire à un de ses personnages dans les Mille et une nuits: "si ça arrive, Dieu le veut". C'est à la fois une fascination et une relativisation de "l'être" et de "l'événement". La "création" n'est pas seulement initiale mais continue (comme dans de nombreux textes bibliques et antérieurs, même polythéistes), sans cesse menacée par la possibilité de destruction et de recréation au gré de la volonté ou de l'arbitraire divins. Cette idée, destructrice dans un sens de toute notion de "responsabilité", de "morale" et de "loi" (parce que le "créateur" ne paraît jamais assez séparé d'un acte quelconque pour pouvoir le prescrire, l'interdire ou le juger), est immémoriale: on la retrouve, bien avant la Bible et le monothéisme proprement dit, dans de nombreux textes du Proche-Orient ancien, de l'Egypte à la Mésopotamie. Et cependant elle s'articule toujours, d'une articulation impossible à penser en principe (autrement dit "aporétique"), à des préceptes moraux, et à une notion de responsabilité et de jugement. Le même problème se pose en fait à toute pensée, monothéiste ou non: l'islam a le mérite de le poser simplement (voire crûment et nûment, comme dirait Calvin).
2) Une chose qui me frappe en ce début de relecture du Coran, c'est que l'antagonisme affiché à l'égard notamment du judaïsme et du christianisme est essentiellement négatif et défensif. L'islam ne se donne généralement pas pour but de convertir les juifs et les chrétiens, il revendique face à eux le droit d'être ce qu'il est, un rapport "simple" au Dieu unique qui n'est ni juif ni chrétien: de là la référence centrale à Abraham (qui est d'ailleurs aussi contre le judaïsme celle du christianisme primitif, notamment chez Paul): celui-là n'était ni juif ni chrétien, simplement soumis à "Dieu seul". Les préceptes "spécifiquement islamiques" ou qui nous apparaissent aujourd'hui comme tels ne sortaient pas, dans leur contexte originel, de cette "pieuse simplicité" considérée comme un "bien" allant de soi: prière, jeûne, aumône, justice, modestie, ce sont aussi les "évidences" de Matthieu par exemple. Du reste, ce qui apparaît de plus en plus clairement à la recherche de ces dernières années, c'est que le Coran et les traditions islamiques ont recyclé un vaste fonds "judéo-chrétien", nazôréen, ébionite, elkasaïte, etc., qui avait été marginalisé ou rejeté par la grande Eglise, parce qu'il faisait passer la pratique d'une "piété" consensuelle (cf. la "règle d'or" des évangiles ou la "religion des veuves et des orphelins" de l'épître de Jacques) avant la doctrine spécifiquement "chrétienne".
Je crois en tout cas que si l'on veut comprendre quelque chose à l'attrait actuel de l'islam (y compris sur son versant "nihiliste" et "violent", qui est réel même s'il n'en est qu'un versant) sur une jeunesse provenant de générations désislamisées ou déchristianisées, il faut lire: d'abord le Coran, en tant que premier "recueil" de cette tradition, et pas seulement "à charge". |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: méditations islamiques Jeu 03 Déc 2015, 17:39 | |
| Merci Narkissos d'avoir levé un pan de voile sur une religion méconnue, non pas inconnue, mais que l'on pas veut pas connaître, de l'avoir fait de façon si respectueuse.
Ce qui nous surprend, je dis nous en pensant à nos conception occidentales de la pensée et de la spiritualité, c'est sans doute cette radicalité affichée ou non mais assumée même par ceux que nous considérons comme des musulmans modérés.
Cependant, c'est oublier un peu vite que le christianisme a présenté un front aussi dur face à l'inconnu, à l'étranger (je devrais dire à l'exotique), puis sous les coups de buttoir de l'humanisme c'est petit à petit dilué pour devenir acceptable au sein de nos sociétés. Pendant des dizaines d'années la religion islamique a été très discrète, du moins dans nos pays, puis avec l'arrivée d'une première génération d'ouvriers prêts à travailler dans les usines en France, elle est a commencé sa lente quête en vue d'être acceptée comme une religion non exotique. Plus tard, le choix des pays formant l'Union européenne de ne plus mentionner la culture judéo-chrétienne comme seule culture européenne a donner un second souffle à de nombreuses religions non chrétiennes dont l'Islam.
Je me rappelle combien il était difficile de se faire servir un café à 10h du matin, le dimanche, dans le canton du Valais (pratiquement catholique à 90 pour cent) jusque vers le milieu des années 1960. Seuls les hôtes séjournant à l'hôtel pouvaient prendre leur petit-déjeuner tranquillement et sans restriction. Dès lors il conviendrait de regarder les mœurs et usages de religion évoluant moins vite dans notre société avec plus de compréhension et de tolérance. Il ne s'agit pas de basculer et de se convertir tous sans état d'âme, mais de continuer de proposer notre modèle que nous considérons comme ouvert et tolérant au risque de passer pour des hypocrites. En faisant preuve de prudence et d'attention afin d'assurer au mieux notre sécurité. 70 années sans être en guerre avec nos voisins nous a fait perdre de vue notre statut de créatures fragiles et soumises aux éléments contraires, naturels ou humains |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: méditations islamiques Jeu 03 Déc 2015, 20:53 | |
| Il y aurait beaucoup à démêler dans la notion de "pratique religieuse" -- pas seulement en islam, du reste.
C'est, dans un sens, l'aspect à la fois le plus "superficiel" et le plus "visible" d'une religion (le dire relève d'ailleurs plus de la lapalissade que du paradoxe: on ne voit jamais que la surface des choses, c'est par là -- leur aspect précisément -- qu'elles se montrent, apparaissent, sont "phénomènes"): "essentiel" pourtant parce que c'est lui qui fait son "unité", en rassemblant une "communauté" ou un "peuple", avec des "fidèles" individuellement différents, plus ou moins convaincus, profonds ou sincères, comprenant peut-être très différemment leur "croyance commune", mais unis quand même en apparence. Il n'y a pas d'"intériorité" sans extérieur, mais il y a toutes sortes de rapports possibles de l'extérieur à l'intérieur.
Et comme cet "extérieur" est aussi une surface de contact avec "l'extérieur" (les gens du dehors, la société environnante, les autres religions ou communautés, les autres en général), il est en même temps le lieu -- sensible, épidermique, à fleur de peau -- de tous les contresens, notamment lorsqu'il change de contexte. Des "règles" rituelles, alimentaires ou vestimentaires par exemple, qui n'avaient rien d'extraordinaire ni même de distinctif à l'époque et dans le milieu où elles ont été formulées (qui relevaient de cette "piété consensuelle" dont je parlais plus haut, et exigeaient plutôt moins que le judaïsme et le christianisme contemporains -- le Coran y insiste, c'est d'autant plus remarquable que le judaïsme et le christianisme avant lui avaient insisté tour à tour sur la "légèreté" relative de leur "joug"), se trouvent fixées à jamais par le fait même qu'elles sont écrites (ou "inscrites" dans une "tradition orale") et deviennent d'elles-mêmes, dans un autre contexte, étrang(èr)es et distinctives (cf. le costume des juifs hassidiques ou des Amish, frappé de pérennité jusqu'à en devenir "folklorique"). Elles se trouvent ainsi chargées d'un enjeu exorbitant qu'elles n'avaient nullement à l'origine, dans la mesure où elles sont désormais le moyen principal pour les croyants (quelle que soit par ailleurs la qualité, la sincérité ou la profondeur de leur croyance) de se marquer (voire de s'afficher) comme tels et/ou de se "démarquer", soit des "autres", soit de leur propre "communauté". Il apparaît là une alternative qui n'était nullement dans la pratique originelle, mais qui finit par capter toute l'attention, et des "fidèles", et des "infidèles", et par faire écran et obstacle à l'intériorité ou à la profondeur "mystiques", dont la foi se trouve détournée au profit d'un zèle d'autant plus intense qu'il est aussi superficiel et conflictuel.
Il suffit de penser aux christianismes primitifs et à leur rejet diversifié des règles "extérieures" du judaïsme, notamment pharisien, au nom d'une authenticité "intérieure" (attitude qui ne faisait d'ailleurs que prolonger la critique "prophétique" du rituel "sacerdotal" à l'intérieur même du judaïsme "biblique": non pas les sacrifices mais la miséricorde, déchirez vos cœurs et non vos vêtements, circoncision du cœur, etc.): il n'a pas fallu très longtemps (voir déjà la Didachè et sa codification des prières quotidiennes, des jeûnes hebdomadaires, etc.) pour que le christianisme devienne aussi une religion formelle et superficielle, où "être chrétien", ce serait ne pas travailler et aller à la messe le dimanche, ne pas manger de viande le vendredi, faire carême, prier à l'angélus, etc. Peut-être pas seulement ni même principalement ça, mais "ça" serait néanmoins le plus visible. (La Réforme a pu envoyer balader tout "ça" et refaire une ou deux générations plus loin la même chose en plus terne, cf. les règles de vie à Genève sous et après Calvin.)
D'où la nécessité vitale, à l'intérieur d'une religion, d'un "principe prophétique" qui pointe sans cesse, ou régulièrement, vers le "fond", au risque de briser la "forme". Il n'a jamais fait défaut à l'islam, pas plus qu'au judaïsme ni au christianisme, mais il ne peut opérer que dans la contradiction et la tension, par à-coups conflictuels et non de façon stabilisée ou institutionnalisée. Enième version de la métaphore de l'esprit (ou de l'âme) et du corps, si l'on veut: jamais l'un sans l'autre, et pourtant ils font rarement bon ménage.
---- Pour revenir à la lecture du Coran (en traduction), je constate (à nouveau) qu'elle est difficile à un lecteur occidental moderne, même plus familiarisé que la moyenne, par la pratique de la Bible, avec la littérature sémitique ancienne. Ça ne tient pas seulement à ses obscurités "objectives" (les problèmes d'exégèse que signalent les notes des éditions savantes, à défaut de les élucider), ni à l'étrangeté de ses notions (dont on retrouve très souvent des équivalents dans la Bible), mais à un "style" particulier qui est moins celui d'un ou de plusieurs auteurs que celui de toute une culture dominée par l'oralité: répétitif, lancinant, sans "progression" apparente d'un récit ou d'un raisonnement au-delà de quelques brèves péricopes, tout en variations subtiles sur un petit nombre de "thèmes". Notre genre d'"esprit" n'y trouve guère de prise, il en subit plutôt un effet berçant et soporifique, qui affecte même la mémoire: je peux relire un passage que j'ai lu la veille sans me souvenir vraiment si je l'ai lu ou non. J'ai souvent éprouvé la même impression avec la littérature "parabiblique" ("apocryphes" de l'AT ou du NT, textes de la mer Morte), surtout non narrative -- par exemple les Odes de Salomon, que j'ai lues plusieurs fois avec beaucoup de plaisir sur le moment, mais que je n'arrive guère à "retenir" et où j'ai le plus grand mal à me "repérer". Et je pense que je ressentirais à peu près la même chose avec de nombreux textes "bibliques" (p. ex. les passages non narratifs de la Torah, certains psaumes, les Proverbes, etc.) sans l'effet "canonique" qui m'y a exposé beaucoup plus qu'à d'autres dont le "style" général n'est pourtant pas très différent. En un mot, c'est un type de texte qui nécessite une longue et patiente imprégnation -- ce qui devrait au moins dissuader de la discussion "pour" ou "contre" à coups de citations. C'est peut-être aussi pour ça que je m'en suis tenu, jusqu'ici, à des "impressions" générales.
---- Une première grappe de remarques thématiques pourrait se rassembler autour des notions de jugement et de châtiment -- dont j'ai déjà souligné combien elles étaient paradoxales dans la perspective d'un monothéisme absolu, où Dieu sujet universel ne paraît jamais assez absent d'aucun acte pour pouvoir le juger comme s'il n'y avait pris aucune part, dans la mesure où il guide, inspire et soutient les fidèles et égare les égarés. (C'est d'ailleurs le même problème que Paul ne cesse d'écarter à coups de mè genoito, "en aucun cas", "jamais de la vie", "à Dieu ne plaise", dans l'épître aux Romains: comment "Dieu" pourrait-il être juste ou juger ?)
Une chose qui me frappe à force de répétition, c'est l'insistance sur le caractère strictement individuel du jugement (du super-Ezéchiel-18, en quelque sorte): personne ne répond de personne, ni les pères des fils ni les fils des pères, ni les meneurs des suiveurs ni les suiveurs des meneurs, ni les dieux des adorateurs ni les adorateurs des dieux, ni les hommes des anges ni les anges des hommes. Le jugement désolidarise, dissout les solidarités, les liens, les enchaînements de causalité, et les constructions intersubjectives du multiple, que celles-ci résultent de la création ou de l'histoire (et bien sûr, dans la mesure où la création est continue, il n'y a pas de différence radicale entre l'une et l'autre).
Une autre est la réfutation, assez remarquable au VIIe ou VIIIe siècle, du caractère provisoire de l'enfer ou du châtiment des impies, dont on devine qu'elle répond à des conceptions juives et/ou chrétiennes contemporaines (et compatriotes): les impies disent, "le châtiment ne sera que pour un temps". Vestige de l'apocatastase d'Origène ou d'un équivalent rabbinique que j'ignore, ou déjà concept de "purgatoire" en construction ? Toujours est-il que pour le Coran (comme plus tard pour la Réforme) le jugement est définitif. Ce qui paraît plus original (ou du moins plus pittoresque) est la métaphore horizontale du sort ultime: couche détestable pour les réprouvés, couche de délices (c'est plus connu, surtout pour ses images sexuelles) pour les fidèles. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: méditations islamiques Mar 08 Déc 2015, 17:07 | |
| D'un autre côté, Jésus/'Isa reçoit beaucoup d'honneur dans le Coran. On pourrait plaider que, dans la lettre, il se trouve exalté plus haut qu'aucun autre. Pour lui seulement la naissance virginale !
Pour lui seulement le titre de Messie ! Pour lui seulement la conduite irréprochable, alors que Dieu commande à Mahomet d'implorer le pardon matin et soir (Sourate « le Croyant », XL, 57)). Pour lui aussi, d'après une tradition fortement établie, fondée sur la Sourate « Ornements d'or », XLIII,61, « Il sera l'indice de l'approche de l'heure », le retour glorieux sur la terre avant le jugement dernier.
.http://flte.fr/pdf/pdf75.pdf |
| | | VANVDA
Nombre de messages : 1610 Date d'inscription : 09/05/2008
| Sujet: Re: méditations islamiques Mar 08 Déc 2015, 20:41 | |
| Pour des raisons que tu as fort bien expliquées, Narkissos, ma lecture du Coran il y a une quinzaine d'années (pas du tout à des fins prosélytes, en ce qui me concerne, mais motivée "bêtement" par une banale curiosité culturelle) fut très laborieuse, et a même tourné assez franchement à la corvée (mais remarque que ma lecture de la Bible, dans les conditions téjies, l'était aussi). Il m'a fallu me forcer à le finir, presque par "défi". D'autant que, n'ayant évidemment pas ta sensibilité littéraire, ni tout le background culturel qui est le tien en la matière (la littérature en général, et la littérature antique en particulier), je n'ai même pas souvenir de ces moments de plaisir de lecture que tu as pu rencontrer, en "initié". Mais lire ce que tu as écrit ici m'a fait vraiment du bien, pour des raisons que tu imagines facilement, et m'a en outre donné envie de relire. Je ne le ferai sûrement pas comme la première fois, de la page 1 jusque la dernière, je le ferai probablement plutôt par "picorage" de sourates, mais sans doute mieux armé, et avec plus d'intérêt et de plaisir. Je n'ai pas de méditation à partager, au moins pour l'heure, mais je veux dire : merci ! |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: méditations islamiques Mar 08 Déc 2015, 23:35 | |
| @ free: l'article est intéressant, aussi parce qu'il indique "en creux" (sans vraiment le dire) les affinités profondes entre les théologies islamique et calviniste (dont Blocher est un des représentants les plus fins). De part et d'autre la même fascination pour l'arbitraire (autrement dit la liberté) de "Dieu", sous des constructions théologiques très différentes. J'ignore si l'auteur a (re)lu le Coran pour l'écrire, puisqu'il se réfère surtout à des sources secondaires, mais il semble que celui-ci lui ait fait à peu près le même effet qu'à moi ("beauté grisante"). Par ailleurs, "on" (qui se reconnaîtra ) a attiré mon attention sur les contributions du "refondateur" Ghaleb Bencheikh (plusieurs liens vers des textes et vidéos à partir de cette page), qui sont souvent de grande qualité. Dans l'un de ces documents il insiste sur la nécessité d'une déjuridisation de l'islam, concept qui me paraît particulièrement juste -- mais infiniment problématique. Une des différences majeures entre l'islam et le christianisme que nous avons souvent évoquée par le passé, c'est précisément le "projet politique" (juridique y compris). Le christianisme au départ n'en a aucun, pour la bonne raison qu'il se développe dans le cadre de l'empire romain, sous une juridiction étrangère et lointaine, et en rupture avec la législation "ethnique" du judaïsme, notamment pharisien: hormis sa "discipline" interne, il n'a aucun espace pour ce type de projet. C'est un avantage immédiat et perpétuel dans un sens, parce qu'il en résulte une littérature "purement religieuse", merveilleusement irresponsable (cf. le Sermon sur la montagne), susceptible de conserver sa validité "spirituelle" sous toutes sortes de régimes politiques -- mais c'est aussi un inconvénient, car les "christianismes" vont être contraints d'improviser sans aucune directive concrète dès qu'ils vont se trouver en charge d'une population et d'un Etat (fût-ce une simple cité), sans avoir rien d'"original" à proposer ni rien de ferme à opposer à des "pouvoirs séculiers" auxquels, en pratique, ils vont se plier avec une servilité quasi totale. L'islam, en revanche, est tout de suite en charge de l'organisation d'une communauté, d'une cité, d'un Etat, en situation de guerre de surcroît: il est absolument indispensable à son existence et à sa survie qu'il légifère, dans tous les domaines, y compris sur la guerre -- mais sa législation (embryonnaire au stade coranique, développée plus tard et selon des orientations très diverses dans la charia, comme l'explique fort bien Bencheikh) va fatalement devenir un boulet de plus en plus lourd à traîner et quasiment impossible à "réformer" dans la mesure où son "principe", sinon l'intégralité de son corpus législatif, se confond avec ses origines. On pourrait, mutatis mutandis, trouver la même différence de principe entre luthéranisme et calvinisme. Luther peut être "spirituel" parce qu'il réforme sous l'aile des princes allemands et ne se mêle que très peu de "politique" (ce qu'il théorise même dans la doctrine dite des "deux royaumes"). Cinq cents ans plus tard, les luthériens habitués à ce partage strict des pouvoirs "spirituel" et "temporel" vont se trouver assez désemparés quand les princes seront nazis. De son côté, Calvin empiète beaucoup plus sur le "politique" avec son "troisième usage de la Loi" et sa notion de "discipline ecclésiastique" qui embrasse vie privée et vie publique. Il peut participer activement à l'organisation politique (quasiment théocratique) de la cité (Genève), pour le meilleur et pour le pire; mais grâce à cela les calvinistes, là où ils sont minoritaires, auront toujours une capacité supérieure (voire un réflexe) de résistance à l'autorité politique (cf. les huguenots français). Dans ce domaine du rapport ou du non-rapport entre "religion" et "politique", il n'y a pas de formule sans avantage et sans inconvénient, l'avantage même tournant à l'inconvénient et réciproquement. [Le judaïsme est encore infiniment plus complexe en raison de la diversité des situations politiques (et donc des rapports au pouvoir et à la législation effective) qui ont produit ses différents textes: religion localisée, polymorphe et encore polythéiste de l'ancien royaume d'Israël, monarchie monolâtrique autoritaire du royaume de Juda, exils et déracinements, organisation semi-autonome de la Judée sous l'empire perse, communautés ethniques de la diaspora sous la loi d'un autre lieu, insurrection anti-hellénistique sous Antiochos IV, autonomie d'abord très large puis de plus en plus réduite sous les hasmonéens et les Hérode, nationalisme anti-romain, repli pharisien sur la piété domestique et communautaire... Le genre (apparemment) juridique et législatif y recouvre, du coup, des réalités extrêmement différentes -- de la conservation purement documentaire de législations coutumières archaïques à la législation-fiction qui produit des "lois" idéales et inapplicables (Ezéchiel, Lévitique, Qoumrân). Le jeu de juridisation et de déjuridisation, l'interprétation normative ( halakha) de textes non juridiques et l'interprétation allégorique, mystagogique ou édifiante ( aggada) de textes juridiques, c'est là une pratique immémoriale.] @ VANVDA: Merci à toi ! |
| | | VANVDA
Nombre de messages : 1610 Date d'inscription : 09/05/2008
| Sujet: Re: méditations islamiques Mer 09 Déc 2015, 00:43 | |
| "On s'est reconnu" (comme dans le Tourbillon de la vie.) Je n'étais pas allé consulter la page Wiki du Monsieur... (on ne se moque pas.) Je l'avais découvert dans "son" émission du dimanche matin, puis dans un certain nombre de vidéos sur YouTube ou DailyMotion. Peut-être en retrouverai-je certaines parmi celles que l'on trouve en lien sur WP, et vais en découvrir d'autres. Prions (qui de droit) pour que des voix comme celle-là restent audibles... |
| | | free
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| Sujet: Re: méditations islamiques Mer 09 Déc 2015, 13:43 | |
| - Citation :
- J'ai vu hier dans Le Canard enchaîné que Mordillat et Prieur, dont j'avais naguère apprécié le travail de vulgarisation sur les évangiles (notamment dans Corpus Christi), s'y sont aussi intéressés, sous l'angle particulier des traditions coraniques et islamiques relatives à Jésus (une émission à venir ces jours-ci sur Arte, "Jésus et l'islam", et un livre déjà publié au Seuil, Jésus selon Mahomet).
Hier j'ai regardé l'émission sur Arte. Les spécialistes ont abordé et analysé le texte suivant : « Et parce qu’ils ont dit : Nous avons tué le Messie, Jésus, fils de Marie, le Messager de Dieu, alors qu’ils ne l’ont pas tué et qu’ils ne l’ont pas crucifié, mais ce n’était qu’un faux semblant ! Ceux qui sont en désaccord sur son sujet, restent dans le doute, ils n’en ont aucune connaissance certaine, ils ne font que suivre des conjectures ; il est certain qu’ils ne l’ont pas tué. Mais Dieu l’a élevé vers Lui. Dieu est Puissant et Juste » s4 v157-158 Selon le Coran Jésus n’a pas été crucifié et il fut élevé au ciel. Une autre personne lui ressemblant fut crucifiée à sa place et on a cru que c’était Jésus. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: méditations islamiques Mer 09 Déc 2015, 14:39 | |
| Je n'ai toujours pas la télé ! Mais ce trait coranique est bien connu des biblistes, parce qu'il rejoint une vaste tradition judéo-chrétienne et/ou gnostique dont les traces sont encore (ou déjà) décelables dans les évangiles canoniques eux-mêmes: outre l'interprétation strictement "docète" (le corps de Jésus n'est qu'une apparence) qui à première vue ne convient pas très bien à l'islam (puisque le Jésus islamique est un homme; mais plus profondément pourrait lui convenir quand même, puisque tout est possible à Dieu en matière de création et de transformation), les "doubles" du Christ et les figures de substitution potentielles se multiplient autour des récits de la Passion: Judas (qui se confond souvent dans la tradition apocryphe avec Thomas-Didyme, "le Jumeau"), Jésus Barabbas (le "Fils du Père" libéré en lieu et place du "roi des Juifs"), Simon de Cyrène ( The Life of Brian joue très bien sur ce point, comme sur beaucoup d'autres, d'une ambiguïté réelle du récit, au moins chez Marc). Dans le même ordre d'idées, il faut peut-être rappeler que les motifs de la "résurrection" (du corps) et de l'"élévation" (de l'âme) sont souvent concurrents dans l'eschatologie juive de l'époque gréco-romaine: l'élévation post mortem du juste "fils de Dieu" dans le livre (grec et alexandrin) de la Sagesse de Salomon, qui semble avoir beaucoup inspiré les récits de la Passion, n'implique aucune résurrection corporelle; la notion pharisienne de résurrection à la fin des temps, en revanche, est bien corporelle, même quand elle se combine avec l'idée d'un "état intermédiaire" heureux ou malheureux dans l'attente de cette résurrection (cf. le "sein d'Abraham" ou l'"hadès" dans Luc 16). (Sans oublier que jusqu'en 70 au moins les sadducéens, qui représentent le judaïsme le plus "officiel", restent parfaitement hermétiques à ces "nouvelles idées" eschatologiques.) Les (proto-)christianismes ont sans doute utilisé les deux motifs séparément avant que ceux-ci soient superficiellement réconciliés dans la synthèse chronologique de Luc-Actes: d'abord la résurrection, ensuite l'"ascension". Le johannisme joue encore plus profondément (et paradoxalement) avec la notion d'"élévation", en identifiant celle-ci à la crucifixion même (le Fils de l'homme élevé de la terre, comme le serpent dans le désert, cf. Jean 3 et 12). ----- Pour revenir aux grands thèmes coraniques qui s'imposent par la répétition, le principal, me semble-t-il, tellement omniprésent qu'on risquerait même de l'omettre tant il paraît aller de soi, peut-être encore plus répété que celui de l' unicité divine, c'est la miséricorde. Dieu est le bienfaiteur miséricordieux ( er-rahman er-rahim, même racine sémitique rhm qu'en hébreu), toujours prêt à pardonner, à remettre les péchés, à révoquer ses jugements en faveur de celui qui revient à lui, jusqu'à la mort du moins où le jugement devient irréversible et le châtiment éternel. C'est sans doute le trait qui contrebalance le mieux, en l' orientant dans un sens essentiellement bienveillant, "l'arbitraire" qui découle de l'unicité divine, de la position d'origine absolue et "libre" que "Dieu" occupe par rapport à toute chose. Si "inconnaissable" qu'il soit et demeure en son "fond", "Dieu" se révèle avant tout sous l'aspect de la grâce ( rahma) -- son "bon côté" en somme, comme à Moïse au Sinaï. Cela se reflète jusque dans la charia: une victime (ou un ayant-droit, en cas d'homicide p. ex.) peut toujours pardonner au coupable et atténuer sa peine (notamment lui éviter la peine capitale) -- et cependant ce pardon ne sera jamais exigé d'elle (cf. Les enfants de Belle Ville, film iranien d'Asghar Farhadi, qui met en scène une telle situation). Cette place faite au pardon dans la législation judiciaire, civile et pénale, m'a toujours paru remarquable, autant par rapport à la Torah juive que par rapport à nos législations modernes où la justice exclut la grâce (à l'exception de l'ultime recours, cf. la grâce présidentielle en France, qui n'intervient qu'après -- donc en dehors de -- la procédure judiciaire proprement dite et n'est pas le fait de la victime). --- Je reviens par ailleurs sur la question très importante et complexe des rapports entre "écriture" et "oralité" (ou "parole"). Il serait tout à fait évident, même si son titre ne l'indiquait pas ( qur'an = récitation, lecture à haute voix, "leçon" au sens de la lectio latine: qr' est foncièrement phonique), que le "texte" du Coran provient de l'oralité et qu'il n'est écrit que pour y retourner -- et de ce point de vue je conçois que la langue (arabe) lui soit essentielle, autrement dit qu'en traduction et même en multipliant les traductions on ne le "lise" pas vraiment comme il devrait être "lu", d'une "lecture" qui est toujours un événement acoustique, comme l'"interprétation" d'une "partition" musicale. Il y a naturellement des variantes textuelles dans les manuscrits, et des hésitations quant à la vocalisation et donc au sens du texte comme dans la Bible hébraïque, donc un certain "champ" pour la critique textuelle et l'exégèse (ce qui bien sûr requiert une excellente connaissance de la langue). Mais la critique littéraire manque pour ainsi dire de matière, parce que l'élaboration proprement littéraire (le travail de l'écriture sur elle-même en quelque sorte) y est minimale. Contrairement aux textes bibliques qui sont le fruit d'un travail d'écriture (et souvent de réécriture) considérable, le recueil coranique s'est manifestement astreint (il y a là une sorte d'ascèse) à "enregistrer" une tradition orale au sens le plus "acoustique" du terme, en la "corrigeant" le moins possible selon le "sens" et même la "grammaire" (d'où -- à nos yeux -- obscurités, contradictions, coq-à-l'âne, etc). L'élaboration orale du "texte" ou de la "leçon" coranique implique également des "sources" orales. On le voit bien dès que le Coran se rapproche ce que nous connaissons par voie écrite (la Bible et ses "apocryphes", le Talmud, ou les "confessions de foi" chrétiennes). "Le judaïsme" et "le christianisme" avec lesquels le Coran dialogue ne sont pas vraiment ceux des livres juifs et chrétiens -- bien que "le Livre" et "l'Ecriture" leur soient régulièrement référés -- mais ceux de la "discussion" effective avec des "communautés" contemporaines et compatriotes, malentendus linguistiques y compris (ainsi quand des "citations" d'origine hébraïque y sont "mal interprétées" par référence à l'arabe, p. ex. "nous entendrons et nous ferons", réponse d'Israël à Yahvé au Sinaï devenue dans le judaïsme rabbinique un argument antichrétien central, qui devient "nous entendrons et nous désobéirons"). A propos des "gens du Livre" (ou "de l'Ecriture"), il faudrait d'ailleurs, me semble-t-il, rectifier une idée reçue, à la limite du contresens: si le Coran (et l'islam en général) désigne ainsi les juifs et les chrétiens, il ne se range pas, lui, dans la même "catégorie". Le "Livre" (ou l'"Ecriture") référé aux juifs et aux chrétiens est ambigu: c'est à la fois le témoignage d'une "révélation" authentique du Dieu unique et un "accident" de cette révélation, objet de fierté de ses bénéficiaires (sous-entendu: les musulmans n'ont rien de tel à faire valoir, ils ont des "paroles" qui sont aussi des "signes", aya) et susceptible de dégradation. Il faut bien comprendre qu'aux yeux de l'islam, tawrat, zabur, 'injil sont avant tout des révélations orales à l'instar du qur'an (la tawrat "descend" sur Moïse, le zabur sur David et l' 'injil sur Jésus comme le qur'an sur Mahomet). Par rapport à cette référence, le fameux reproche d' altération (surtout adressé aux juifs) n'est pas à entendre (du moins au départ) au sens de la falsification d'un texte: c'est plutôt l'idée d'une "mauvaise lecture" qui ne restituerait pas le message oral présumé "original". Ce rapport de la "parole" nouvelle à l'"Ecriture" ancienne (qui est aussi l'Ecriture des autres) peut apparaître comme un remake des origines chrétiennes. Dans le NT, à l'exception des textes les plus tardifs (2 Pierre 3), "l'Ecriture", la "lettre", la "loi", est toujours celle des juifs, et ce qui lui est opposé ce n'est pas une "nouvelle Ecriture", mais une "parole" vivante, ou carrément "l'Esprit". Mais ce qui s'opposait à "l'Ecriture", disons "l'évangile", finira par être écrit à son tour (pour le NT d'abord sous forme épistolaire et rhétorique, dans le corpus paulinien, puis narrative, dans les "évangiles" ou les Actes des Apôtres). Les mots-concepts d'"évangile = bonne nouvelle" ou de "nouveau testament = nouvelle alliance" deviendront des titres de textes complexes, où "la bonne nouvelle" ou "la nouvelle alliance" ne sont, dans le meilleur des cas, que des "sujets" ou des "thèmes" parmi d'autres. Le Qur'an proclamé-récité va aussi passer à l'écriture, mais sur un mode très différent, puisqu'il s'agit davantage (au moins quant à l'objectif visé) d'une "simple consignation" de traditions orales que d'une élaboration strictement littéraire (au sens de travail d'écriture délibéré et conscient; ce qui naturellement n'empêche pas l'écriture de travailler malgré lui le texte coranique). -- Dans le judaïsme, ce passage "en contrebande" de l'oral à l'écrit se joue aussi continuellement, mais d'un autre côté l'écriture se met davantage en scène: Dieu écrit lui-même (les "dix paroles") et il ordonne d'écrire (il n'y a guère que dans l'Apocalypse qu'on en trouve un équivalent néotestamentaire). Et en même temps on n'écrit jamais tout, il y a toujours une réserve pour la parole (d'où la notion de torah orale dans le pharisaïsme -- qui passera à son tour à l'écriture dans le Talmud). ---- Cela conduit à une autre notion critique pour les trois "monothéismes" et leurs relations, celle de la "clôture" (ou non) de la révélation: rien que la répétition de la défense d' ajouter (et de retrancher, mais c'est surtout celle d'ajouter qui est ici déterminante) dans le corpus biblique (du Deutéronome à l'Apocalypse en ce qui concerne la Bible chrétienne) en offre une illustration presque comique: la clôture est à la fois requise (à chaque fois sous peine de terribles malédictions) et impossible. N'empêche que chaque clôture effective d'un texte "fondateur" (oral ou écrit), même partielle et provisoire, entraîne en aval un changement de genre littéraire. Un texte fixé, qu'on ne peut plus "changer" ni "développer", devient un texte qu'on commente, qu'on explique et qu'on interprète (exégèse et herméneutique). Les "prophètes" cèdent la place aux "savants" ("docteurs", etc.). Il y a là une différence fondamentale, car les "prophètes", "savants" ou "illettrés", savaient faire parler directement la divinité, ce que les "savants" ne savent plus faire. On passe de la parole "apodictique", de l'autorité absolue et originaire de la "parole de Dieu", à la discussion où des autorités relatives et secondes s'affrontent sur le sens, l'explication et l'application de la "parole de Dieu". En proclamant x (Jésus, les apôtres ou Mahomet) dernier prophète on barre (en principe) toute possibilité future d'une "parole de Dieu" du même ordre -- en somme, on enjoint désormais à "Dieu" de se taire. Et bien sûr ça ne marche jamais -- pas plus en islam que dans le christianisme ou dans le judaïsme. Sous une forme ou sous une autre le prophétisme resurgit -- soit qu'on invente de nouvelles paroles au fondateur (les évangiles "apocryphes" ou les hadith), soit qu'on théorise autrement la possibilité pour "Dieu" de parler encore (ainsi dans le montanisme et les innombrables résurgences "charismatiques" du christianisme, ou dans le chi'isme musulman). |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: méditations islamiques Ven 11 Déc 2015, 13:39 | |
| - Citation :
- En proclamant x (Jésus, les apôtres ou Mahomet) dernier prophète on barre (en principe) toute possibilité future d'une "parole de Dieu" du même ordre -- en somme, on enjoint désormais à "Dieu" de se taire. Et bien sûr ça ne marche jamais -- pas plus en islam que dans le christianisme ou dans le judaïsme. Sous une forme ou sous une autre le prophétisme resurgit -- soit qu'on invente de nouvelles paroles au fondateur (les évangiles "apocryphes" ou les hadith), soit qu'on théorise autrement la possibilité pour "Dieu" de parler encore (ainsi dans le montanisme et les innombrables résurgences "charismatiques" du christianisme, ou dans le chi'isme
Narkissos, Merci infiniment pour ces "méditations" que tu nous offres, un enrichissement incroyable. Je trouve interessant l'idée d'un "Dieu" à qui l'on enjoint de se taire, à travers la notion de dernier prophète. Parmi les "nouvelles paroles" dans l'Islam, ne peut-on pas ajouter le soufisme :Souvent mis en opposition avec l'islam traditionnel par les Occidentaux et les musulmans, et bien qu'en réalité les anciennes « voies » soufies aient fait l'intense promotion d'un enseignement très orthodoxe, le soufisme cultive volontiers le mystère, l'idée étant que Mahomed aurait reçu en même temps que le Coran des révélations ésotériques qu'il n'aurait partagées qu'avec quelques-uns de ses compagnons. https://fr.wikipedia.org/wiki/Soufisme |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: méditations islamiques Ven 11 Déc 2015, 16:50 | |
| @ free: Très bon article (on a quelquefois d'excellentes surprises dans Wikipedia) !
Il est à peine besoin de souligner la convergence de fond (qui n'a rien à voir avec une influence historique) entre le soufisme et d'autres "mysticismes", juifs, chrétiens, mais aussi hindous, bouddhistes ou taoïstes. Au passage, je sais que certaines écoles soufies iraniennes reconnaissent volontiers leur parenté avec le bouddhisme, en dépit de l'athéisme théorique de celui-ci (la notion d'éveil, comprise comme révélation à l'instar de la "prophétie", compense cette différence "[a-]théologique" pourtant centrale en islam).
Quant à la justification "ésotérique" de ces mouvements (par un "enseignement caché" du "fondateur"), on la retrouve aussi partout où ils existent à l'intérieur d'une "religion extérieure" (exotérique): la qabbale se réclame d'un enseignement caché de Moïse, les textes gnostiques d'un enseignement caché de Jésus, etc. C'est à la fois indispensable à leur survie et tout à fait accessoire par rapport à leur "voie" propre (pas si "propre" que ça, d'ailleurs, vu la convergence susdite).
Tu fais bien par ailleurs de relever le mot "méditations": je n'ai de ce sujet (l'islam en général et le coran en particulier) aucune "connaissance" sérieuse, et mes "réflexions" sont hétéroclites et désordonnées, en tout cas sans autre prétention que d'exprimer des "impressions" et des "réactions" à partir du point de vue "étranger" mais "voisin" qui est le mien (surtout nourri de Bible et de théologie chrétienne). Mais je serais ravi qu'il y en ait d'autres que les miennes ! |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: méditations islamiques Ven 11 Déc 2015, 17:51 | |
| - Citation :
- Tu fais bien par ailleurs de relever le mot "méditations": je n'ai de ce sujet (l'islam en général et le coran en particulier) aucune "connaissance" sérieuse, et mes "réflexions" sont hétéroclites et désordonnées, en tout cas sans autre prétention que d'exprimer des "impressions" et des "réactions" à partir du point de vue "étranger" mais "voisin" qui est le mien (surtout nourri de Bible et de théologie chrétienne). Mais je serais ravi qu'il y en ait d'autres que les miennes !
Narkissos, Tes "méditations" n'en sont pas moins très pertinentes et interessantes. Nos connaissances de l'Islam ne nous permmet pas une telle analyse. Ainsi, par rapport au judaisme et au christianisme, la spécificité de l'islam est, du moins dans son principe, sa prétention à être une religion universelle. Et cette universalité, ce n'est pas seulement une manière de caractériser le champ du monde qu'il veut couvrir (le christianisme aussi a une prétention à l'universalité), c'est aussi la caractéristique de ses dogmes et de ses rituels. La confession de foi de l'islam et ses rituels se veulent universellement accessibles et signifiants. Au contraire, le christianisme est fondé et limité par une confession de foi spécifique qui n'a pas de sens universel et par des sacrements spécifiques dont la sémantique ne peut être reconnue par tous les croyants, et à plus forte raison par l'humanité entière. Pour l'islam, il n'y a pas comme pour Israël de signe de la différence entre « le peuple élu » et le reste de l'humanité. Il n'y a non plus de baptême qui, comme dans le christianisme, délimiterait la limite entre l'Eglise et le reste de l'humanité. Entre la verticalité de la transcendance de Dieu et l'horizontalité de la pratique rituelle, il n'y a aucune médiation, aucun intermédiaire, aucun sacrement. La révélation de l'islam ne s'effectue pas dans une histoire particulière, comme dans le judaisme, ni dans et par une incarnation comme dans le christianisme. L'islam insiste sur le caractère limité de la mission de Jésus tandis que Mohamed a été envoyé au monde entier et que l'islam est valable jusqu'à la fin des temps [size=undefined] (15)[/size]. Les cinq piliers de l'islam ont un caractère absolument universel : la confession de l'Unique, la prière, le jeûne, l'aumône. Le dernier, le pèlerinage à La Mecque, peut apparaître plus spécifique, mais rappelons que Jérusalem (le nombril du monde tout entier et le centre de tout monothéisme) était le premier lieu saint des musulmans. http://protestantsdanslaville.org/documents-archive/M5.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: méditations islamiques Ven 11 Déc 2015, 20:42 | |
| Houziaux, lui, ose tout ! Si l'on veut comprendre l'affinité toute particulière du chi'isme et du soufisme, il faut surtout lire Henry Corbin (cf. ce petit article publié peu après sa mort) -- au passage, je me suis aperçu, longtemps avoir lu (partiellement) ses travaux sur l'islam iranien, qu'il avait traduit Heidegger dans sa jeunesse, et ce rapprochement bi(bli)ographique m'a paru lumineux. --- Il faudra sans doute risquer de reparler ici du "sujet qui fâche", à savoir la "violence" (inégale d'une sourate à l'autre, mais réelle et explicite) du texte coranique. Outre ce qui a déjà été dit de son contexte historique (voir supra mon post du 8.12), elle me semble relever d'une différence de sensibilité par rapport au christianisme qui s'exprime aussi dans un autre domaine, à savoir la sexualité. Le Coran se distingue clairement de la (relative) "non-violence" du NT comme de son (relatif) "ascétisme sexuel" -- alors que sur ces deux points il ne détonne pas du tout par rapport à l'AT en général. Autrement dit, dans la fameuse généalogie ou arborescence des "monothéismes abrahamiques", c'est plutôt le christianisme et son NT qui font en ces matières figure d'intrus (se rattachant en revanche à des philosophies morales contemporaines, notamment stoïcienne et épicurienne: contrairement à une idée reçue, l'épicurisme était en pratique tout aussi "ascétique" que le stoïcisme, quoique sur des bases théoriques opposées). Bien entendu, cette différence ne vaut, en ce qui concerne la "violence", que pour le christianisme primitif (dépourvu de pouvoir et de responsabilité politiques dans le cadre de l'empire romain "païen"): avec la christianisation puis la débâcle de l'empire, le christianisme assumera bon gré mal gré l'exercice de la violence d'Etat à laquelle ses origines ne l'avaient pas préparé. Mais la différence en matière de sexualité demeurera sensible. L'idéal chrétien de la virginité, du célibat, de la continence restera totalement étranger à l'islam comme il l'était au judaïsme "biblique", en amont de sa rencontre avec l'hellénisme, et comme il le sera encore dans une large mesure au judaïsme rabbinique, qui rejette d'un même geste l'ascétisme hellénistique et chrétien. Du fait de l'évolution des moeurs, la modernité post-chrétienne qui juge sévèrement la "violence islamique" (surtout quand elle en est la cible) aurait plutôt tendance à applaudir à la "sexualité islamique", assumée et "décomplexée" -- sauf bien sûr quand celle-ci heurte ses nouvelles "valeurs", notamment en matière de féminisme ou d'homosexualité (voire de "pédophilie" pour ceux qui méconnaissent les critères de nubilité de l'Antiquité). Mais même là-dessus la lecture du Coran est bénéfique, car elle oblige à remettre en question les caricatures, à condition bien sûr de ne pas juger anachroniquement un texte du VIIe/VIIIe siècle selon des critères modernes. Il y a dans les dispositions relatives au divorce-répudiation un véritable souci du sort des femmes qui me paraît "supérieur" à celui de la Torah, et plus "réaliste" que l'interdiction absolue qui prévalait dans le christianisme. Même "l'adultère" (de l'épouse) est susceptible de pardon, ce qui n'est pas le cas dans la lettre de la Torah, que celle-ci l'envisage sur le plan de la loi "civile" (atteinte à la "propriété" du mari, comme dans le Décalogue) ou de la loi "sacrale" (souillure à purifier absolument par l'exécution des coupables, peine que le Coran, à ma connaissance, n'envisage même pas). Et cela me semble tenir au fait que pour l'islam la sexualité n'est jamais "sacrée". ---- Une tout autre chose qui me frappe à mesure que j'avance (lentement) dans ma relecture, c'est que la connaissance (toujours orale, voir supra 9.12) des récits "bibliques" ou "traditionnels" relatifs à des personnages de l'"histoire sainte", juive ou chrétienne, varie considérablement d'une sourate à l'autre. Cela me paraît suggérer que l'élaboration du Coran par la communauté islamique primitive (disons "Mahomet") s'effectue dans un dialogue avec les communautés juive et/ou chrétienne. Il y a d'ailleurs un verset énigmatique où le prophète est accusé par ses détracteurs de tenir son enseignement en la matière d'un étranger, un "barbare" (autrement dit un non-Arabe -- ce qu'une partie de l'exégèse traditionnelle rattache à un prosélyte persan, mais pourrait aussi bien désigner un juif ou un chrétien araméophone: les emprunts à l'araméen sont particulièrement nombreux dans le texte coranique, si j'en crois les notes de traduction de Blachère). Un cas très intéressant du point de vue "biblique" (je crois m'y être déjà référé à propos de l'épître aux Hébreux) est celui d'Adam, créé à l'origine supérieur aux anges (sa supériorité étant parfois rattachée, chose remarquable pour un "moderne", à sa capacité de nommer les choses et en particulier les animaux): les anges sont invités à se prosterner devant lui (comme devant Jésus "fils de l'homme" dans l'épître aux Hébreux), seul le diable (Iblis) refuse et c'est cela qui cause sa perte, en même temps que son destin de persécuteur/tentateur de l'humanité. On y retrouve aussi l'idée (commune à de nombreux textes non canoniques, juifs et chrétiens) d'une chute ou descente du "jardin" ( janna = gan, identifié au "paradis" des fidèles) vers la terre, en conséquence de la désobéissance, et d'une repentance ultérieure d'Adam qui lui vaut le pardon divin. ---- Je me suis abstenu jusqu'ici de références et de citations parce que je préférais au départ m'en tenir à des "impressions" générales. Je n'ai pas pris de notes, mais je commence à le regretter (d'autant que la traduction de Blachère online n'est pas "searchable"). Pour changer, voici (selon la traduction de Blachère) les trois derniers versets (107ss) de la sourate XVIII, dite "la Caverne" (à cause de l'histoire des "sept dormants" qui ressemble à de nombreuses légendes médiévales, sur un ou plusieurs personnages que Dieu fait dormir pendant des siècles à leur insu; il en existe au moins une variante dans les sourates précédentes -- à noter que les héros se réveillent en ayant l'impression d'avoir dormi "une journée ou une fraction d'une journée", ce qui est aussi régulièrement dit des morts à la résurrection): "Ceux qui auront cru et pratiqué des œuvres pies auront, en partage, les Jardins du Paradis où ils seront immortels et ne rechercheront aucun changement*. Dis: Si la Mer était une encre [pour écrire] les décrets de mon Seigneur, et si même nous lui ajoutions une Mer semblable pour la grossir, la Mer serait tarie avant que ne soient taris les décrets de mon Seigneur. [Cf. la dernière conclusion du quatrième évangile.] Dis: Je suis seulement un mortel comme vous. Il m'est révélé que votre Divinité est une divinité unique. Que quiconque espère rencontrer son Seigneur, fasse œuvre pie et qu'il n'associe personne au culte de son Seigneur." *Dans la foulée, autre description "sobre" du Paradis en XIX,63/2: "Ils n'y entendront nul verbiage mais 'Salut!', et ils y auront leur subsistance matin et soir." |
| | | free
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| Sujet: Re: méditations islamiques Mer 16 Déc 2015, 16:46 | |
| Merci Narkissos, pour ces pensées tes interessantes.
Dans un article de l'Express mais aussi dans certaines émissions de la télévision, des commentateurs (Onfray dans l'émissions "les terriens" par exemple) expriment cette demande :
"Il faut que les religieux disent haut et fort que certains versets doivent être mis de côté"
Je suis assez dubitatif quant au fait que l'on demande à des croyants de mettre de côté certains versets du Coran. Fait-on la même demande au judaisme face à certaines parties de la Torah ?
Peut-on "amputer" un livre que l'on considère comme sacré ?
On devrait encourager les musulmans comme les autres croyants à proceder à une actualisation de leur compréhension de leur livres sacrés car ils ont été écrit dans un contexte culturelle différent du notre.
Voici un extrait de l'article en question qui a pour thème :
Les femmes - Un statut d'infériorité
"Mais, de véritable égalité juridique, point. L'islam naît dans un monde patriarcal, qui tient la femme pour faible et vulnérable. Certains hadith - les actes et les paroles du Prophète - la présentent même comme physiologiquement inférieure. Dans le classement juridique des catégories de l'humanité, elle arrive en fin de liste, après les hommes et les adolescents. Toute épouse vit sous la menace de la répudiation. L'homme est libre de convoler avec une croyante d'une autre confession, alors que la femme doit épouser un musulman. En cas de divorce, l'ex-mari obtient la garde des enfants, ainsi que la jouissance du domicile familial. L'homme protège les siens et subvient intégralement aux besoins de la famille - même si son épouse travaille de son côté. Aussi est-il maître en son foyer et dans son lit, comme le stipule le verset 34 de la sourate IV : « Admonestez [les femmes] dont vous craignez l'infidélité ; reléguez-les dans des chambres à part et frappez-les. Mais ne leur cherchez plus querelle si elles vous obéissent. » L'épouse, n'ayant pas à partager les frais du ménage, ne peut bénéficier des mêmes droits. S'avise-t-elle de commettre l'adultère, c'est la lapidation, pour elle et son amant. Sur ce point, Mahomet est allé plus loin que le Coran - qui ne prévoit pas un tel châtiment contrairement à l'Ancien Testament. « Dans une époque aussi difficile, il valait tout de même mieux que les femmes eussent un statut, fût-il infériorisant, que pas de statut du tout », relève l'intellectuel réformiste Ghaleb Bencheikh, président de la Conférence mondiale des religions pour la paix."
http://www.lexpress.fr/actualite/societe/religion/les-femmes-un-statut-d-inferiorite_510604.html |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: méditations islamiques Mer 16 Déc 2015, 20:08 | |
| @ free:Ce sujet gagnerait à être rapproché de celui-là. La première chose dont il faudrait prendre conscience, à mon sens, c'est que ce n'est pratiquement jamais une "morale" ni une "législation" qui constitue à elle seule un "problème", mais la confrontation, l'affrontement, le conflit, en tout cas le rapport de force, sur un même "terrain" (époque et territoire), entre plusieurs "morales" et plusieurs "législations" incompatibles. Pour le dire autrement -- ce n'est jamais qu'une question de traduction -- nous aussi nous avons notre "torah" ou notre "charia" que nous considérons à notre manière comme "sacrée", construction progressive et provisoire d'une série de "révélations" (des bien-nommées "Lumières" du XVIIIe siècle aux tout derniers "acquis sociétaux" qui se réclament aussi d'une "prise de conscience" morale, p. ex. le "mariage pour tous"). Et en face il n'y a pas "l'islam" comme un bloc monolithique, mais des constructions ou reconstructions diverses (p. ex. salafiste ou wahhabite) de la charia islamique. Le problème se complique du fait que les "lignes de front" sont multiples et se superposent partiellement à d'autres clivages: ce n'est pas simplement un rapport territorial entre "Occident" moderne-laïque (et généralement post-chrétien) et "pays musulmans" (souvent ex-colonies ou ex-protectorats), car il y a d'importantes minorités musulmanes en "Occident" et des classes depuis longtemps conquises à la "charia occidentale-moderne-laïque" dans les "pays musulmans", avec une sociologie quasiment symétrique. Le point commun, si l'on veut, c'est que la charia islamique, dans ses versions les plus rigoristes, est ici comme là-bas la référence préférentielle des "pauvres", de classes "défavorisées" sur un plan économique, social, et éducatif. La grosse différence, c'est qu'en tant que telle elle est ici minoritaire, et là très largement majoritaire. Rien que pour cette dernière raison, le problème se pose en termes très différents "ici" et "là". Au nom de son "évangile" du moment, l'Occident applaudit quand des pays musulmans renversent des "dictatures" et deviennent "démocratiques", mais il fait la gueule quand une démocratie musulmane se donne démocratiquement aux "islamistes" (scénario éprouvé depuis la Révolution iranienne il y a bientôt quarante-cinq ans jusqu'aux récents "Printemps arabes"), alors qu'en raison des rapports de force numériques il ne peut guère en être autrement. Il se trouve dès lors en situation de devoir choisir (pour les autres !) entre ses propres "valeurs", par exemple "démocratie" d'une part et "libertés individuelles" d'autre part, parce que ce qui va de pair chez lui (pour le moment: les sueurs froides électorales de la semaine dernière en France ont montré combien la chose demeure fragile) se trouve être incompatible chez d'autres. Et ainsi il se retrouve dans l'embarras de devoir soutenir aujourd'hui des régimes autoritaires dont il réclamait hier le renversement, parce que ce qui se dessine en face lui paraît "pire". Tout autre est la situation des "communautés" musulmanes dans les Etats occidentaux, auxquelles ceux-ci peuvent imposer un strict confinement de "l'islam" à la sphère "religieuse" et "privée" selon leurs propres critères de partage (énième mouture du principe cujus regio ejus religio, chacun organise son territoire selon ses règles, que l'islam avait su appliquer bien avant les "guerres de religion" occidentales, en distinguant entre "terre d'islam" et "terre étrangère"). L'islam en pareil cas se déjuridise naturellement, comme le judaïsme en diaspora. Dans la mesure où (p. ex.) les musulman(e)s comme les catholiques se marient et divorcent en France selon un droit laïque et égalitaire, le caractère "normatif" de la législation islamique ou du droit canon perd de facto tout caractère contraignant et devient un objet d'étude et d'interprétation relativement abstrait -- dépourvu en tout cas de toute conséquence concrète nécessaire. Mais cela n'est pas exportable ailleurs, là où le souverain (qu'il s'agisse d'un "prince" ou d'un "peuple") entend fonder sa loi sur l'islam. L'ennui, c'est qu'"ici" et "là" ne sont pas séparés par des frontières étanches. Dans le "communautarisme" islamique qui rêve de vivre ici selon la charia, si minoritaire soit-il dans la minorité religieuse musulmane, il y a une part de solidarité avec des majorités d'ailleurs, qui renforce le ressentiment contre la majorité moderne-laïque d'ici, d'autant que celle-ci fait cause commune avec des minorités ou "élites" modernes-laïques dominantes ailleurs. Dans un tel sac de nœuds, comment des intellectuels musulmans qui se posent en "réformateurs" ou "refondateurs" de l'islam ne passeraient-ils pas pour des traîtres, avant même d'ouvrir la bouche ? -- traîtres à leur "communauté" d'ici et à sa classe sociale, traîtres à des "peuples opprimés" ailleurs, complices de la société "laïque" = "infidèle" ici et d'une minorité dominante ailleurs. Je ne vois guère d'issue à l'impasse politico-juridique de l'islam qu'un retour (c'est normal pour une impasse) à son intuition première, à ce fond mystique ou métaphysique de la shahada (témoignage-confession) du monothéisme absolu, "pas d'autre dieu que Dieu, le bienfaiteur miséricordieux", en-deçà de toute charia, de tout précepte moral ou légal, pour (re-)fonder à partir de là un autre type de discours. Ce "principe" fondateur (et aussi destructeur, c'est peut-être sa "chance" en même temps que son "risque") est en lui-même dépourvu d' orientation, il peut "inspirer" aussi bien le mystique, le philosophe ou le poète que le législateur, le guerrier ou le "terroriste". C'est dire que le combat sur ce terrain-là est plutôt de nature prophétique et créatrice qu'exégétique et savante. Si l'on veut s'y faire entendre, il faut oser parler et inventer "au nom de Dieu" ( bi-smi-llâh) -- et donc au risque du sacrilège ou du blasphème: toute "prophétie" court ce risque qui fait dire à la divinité autre chose que (= qui ne se contente pas d'"interpréter") ce qu'elle a déjà dit. D'où la question théologique cruciale de la clôture de la révélation (sur laquelle, jusqu'ici, je n'ai rien remarqué de très net dans le Coran). |
| | | free
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| Sujet: Re: méditations islamiques Jeu 17 Déc 2015, 16:24 | |
| - Citation :
- Tout autre est la situation des "communautés" musulmanes dans les Etats occidentaux, auxquelles ceux-ci peuvent imposer un strict confinement de "l'islam" à la sphère "religieuse" et "privée" selon leurs propres critères de partage (énième mouture du principe cujus regio ejus religio, chacun organise son territoire selon ses règles, que l'islam avait su appliquer bien avant les "guerres de religion" occidentales, en distinguant entre "terre d'islam" et "terre étrangère"). L'islam en pareil cas se déjuridise naturellement, comme le judaïsme en diaspora. Dans la mesure où (p. ex.) les musulman(e)s comme les catholiques se marient et divorcent en France selon un droit laïque et égalitaire, le caractère "normatif" de la législation islamique ou du droit canon perd de facto tout caractère contraignant et devient un objet d'étude et d'interprétation relativement abstrait -- dépourvu en tout cas de toute conséquence concrète nécessaire. Mais cela n'est pas exportable ailleurs, là où le souverain (qu'il s'agisse d'un "prince" ou d'un "peuple") entend fonder sa loi sur l'islam.
Narkissos, Un grand merci pour cette analyse pertinente et nuancée (on devrait t'inviter sur les plateaux TV). - Citation :
- Si l'on veut s'y faire entendre, il faut oser parler et inventer "au nom de Dieu" (bi-smi-llâh) -- et donc au risque du sacrilège ou du blasphème: toute "prophétie" court ce risque qui fait dire à la divinité autre chose que (= qui ne se contente pas d'"interpréter") ce qu'elle a déjà dit. D'où la question théologique cruciale de la clôture de la révélation (sur laquelle, jusqu'ici, je n'ai rien remarqué de très net dans le Coran).
Pourquoi la question de l’interprétation du Coran apparaît-elle aussi centrale et urgente dans les débats sur l’ancrage de l’islam dans la modernité ?
Avant tout parce qu’elle est nouvelle. L’islam souffre d’un déficit de plusieurs siècles durant lesquels la non-interprétation du Coran a prévalu. Alors que l’exégèse coranique a été d’actualité tout au long de son histoire première. Pour adapter l’islam à notre temps, il nous faut retrouver la créativité des anciens. Cette nécessité a été ressentie avec la même urgence par les intellectuels qui ont suscité la Nahda, le réveil de la pensée musulmane, à la fin du XIXe siècle. Il faut, à chaque période, forger les outils de réflexion appropriés aux enjeux contemporains, dans un double mouvement d’adaptation et d’accommodation : adapter le Coran à la modernité et lire la modernité en fonction de ce que dit le ... http://www.scienceshumaines.com/adapter-le-coran-a-la-modernite_fr_23302.html Une telle déconstruction remettrait d'abord en cause l'idée très répandue selon laquelle les premières générations de musulmans, les "pieux anciens" (as-salaf as-sâlih), avaient une meilleure connaissance et une meilleure application des préceptes de l'islam. En effet, les premiers musulmans qui avaient en charge de mettre en application ce qu'ils comprenaient de l'islam ne pouvaient le faire que dans le cadre des systèmes cognitifs et sociaux à leur disposition. Leurs solutions étaient dictées par des impératifs qui ne sont plus les nôtres. S'y conformer aujourd'hui revient en définitive à couper le lien entre la religion et la vie. En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/savoirs-et-connaissances/article/2007/10/11/l-islam-aujourd-hui-face-a-la-modernite-par-abdelmajid-charfi_965794_3328.html#Td8vGD0gwpWZkEDR.99 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: méditations islamiques Jeu 17 Déc 2015, 20:12 | |
| La Nahda musulmane a eu un pendant (et un précédent) dans la Haskala juive, intégration des "Lumières" européennes (et américaines) qui a commencé dès le XVIIIe siècle en Europe et s'est étendue aux communautés juives d'Afrique du Nord au XIXe (avec la colonisation) -- du reste la Nahda est elle-même consécutive à la Campagne d'Egypte (de Bonaparte). Ces mouvements étaient tributaires d'une confiance générale (voir aussi des gens comme Tagore en Inde) en la "modernité" (occidentale) que le XXe siècle a largement ruinée (par la Shoah aux yeux du judaïsme, par la répression coloniale et le sionisme aux yeux de l'Islam) -- excepté dans une "élite" intellectuelle qui était aussi une "classe dominante" au point de vue socio-économique, et souvent politique, et qui est devenue extrêmement suspecte aux yeux des "communautés" et des "peuples" concernés. D'où le succès populaire (et donc démocratique) de leur antithèse, les "fondamentalismes" anti-modernes. -- L'Occident n'est d'ailleurs pas moins atteint par cette "crise de la modernité" qui est aussi une crise de confiance envers les "élites" dépositaires de l'héritage rationaliste et scientiste des XVIIIe et XIXe siècles: le succès sur son propre "territoire" des fondamentalismes chrétiens, des populismes politiques et des conspirationnismes en tout genre en est un symptôme flagrant. Seule la poésie, qui n'appartient à personne, me paraît capable (peut-être, paradoxalement, par ce qu'elle a d' intraduisible) de passer les frontières religieuses, politiques et sociales, bien plus que le débat "rationnel", exégétique, juridique ou herméneutique. Elle est en islam -- et peut-être partout -- l'expression privilégiée de la mystique. --- C'est l'occasion de revenir sur le rapport profond entre deux traits qui ont été relevés séparément à la p. 1 de ce fil -- entre le "fond" abyssal (autrement dit le sans-fond) de la prédication coranique, la "grâce" ( rahma) absolument arbitraire du "Dieu" unique, toujours créateur et toujours destructeur, et sa "forme" incroyablement répétitive, où le style poétique se loge dans l'in-fini des variations (on serait tenté de parler d'arabesques) sur le même thème. Pour le dire simplement quoique paradoxalement, voilà ce qui arrive quand on n'a qu'une seule chose à dire et qu'on ne peut rien en dire (ce qui n'est pas sans rappeler la conclusion énigmatique de Tractatus de Wittgenstein: ce dont on ne peut pas parler, il faut le taire). "Dieu" est "l'Inconnaissable", et "Mahomet" (ou l'ange Gabriel) ne prétend pas connaître ni faire connaître l'inconnaissable. Ce qui est dit est comme le rayonnement divergent d'un foyer in-visible, obscur parce qu'éblouissant, aveugle parce qu'aveuglant. Comme chez Platon, l'image solaire s'impose d'autant qu'elle est explicitement niée ou surmontée. Ce type de discours, par sa modestie même, fournit des armes redoutables au moralisme, au légalisme, au ritualisme, à l'exotérisme contre la "mystique": plutôt que de fixer la (source de) lumière in-visible au risque de s'en aveugler, il faut se concentrer sur ce qu'elle éclaire -- et ce qu'elle éclaire, ce n'est pas une "doctrine théologique" positive comme dans le christianisme "ecclésiastique", du corpus paulinien à l'élaboration trinitaire (où l'on a plein de choses à dire sur "Dieu"), mais exclusivement une "pratique" (et en cela l'islam rejoint le judaïsme phariséo-rabbinique et le judéo-christianisme anti-paulinien, par exemple celui de Matthieu ou de l'épître de Jacques: c'est ce qu'on fait qui compte; cf. aussi ceci). Toutes les propositions du Coran sur "Dieu" sont négatives, autant que celles de la "théologie négative" du moyen-âge chrétien, soit formellement (dans leur syntaxe: pas d'[autre] dieu, pas d'image, pas d'enfant, pas d'associé, etc.) soit "au fond" (parce que le lexique apparemment "positif" désigne des concepts négatifs: l'un c'est le non-multiple, la grâce la non-nécessité, la justice la non-faveur, etc.). |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: méditations islamiques Ven 18 Déc 2015, 12:32 | |
| - Citation :
- Ce type de discours, par sa modestie même, fournit des armes redoutables au moralisme, au légalisme, au ritualisme, à l'exotérisme contre la "mystique": plutôt que de fixer la (source de) lumière in-visible au risque de s'en aveugler, il faut se concentrer sur ce qu'elle éclaire -- et ce qu'elle éclaire, ce n'est pas une "doctrine théologique" positive comme dans le christianisme "ecclésiastique", du corpus paulinien à l'élaboration trinitaire (où l'on a plein de choses à dire sur "Dieu"), mais exclusivement une "pratique" (et en cela l'islam rejoint le judaïsme phariséo-rabbinique et le judéo-christianisme anti-paulinien, par exemple celui de Matthieu ou de l'épître de Jacques: c'est ce qu'on fait qui compte).
NarKissos, Je retiens deux phrases importantes de ton analyse, il est primordiale que l'on ai plein de choses à dire sur "Dieu" plutôt que de croire que c'est ce qu'on fait qui compte (c'esr un raccourci, je sais). La question suivante se pose : Le fanatisme est il une dérive de la pratique religieuse ? |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: méditations islamiques Ven 18 Déc 2015, 13:04 | |
| - free a écrit:
- Je retiens deux phrases importantes de ton analyse, il est primordiale que l'on ai plein de choses à dire sur "Dieu" plutôt que de croire que c'est ce qu'on fait qui compte (c'esr un raccourci, je sais).
A vrai dire, je n'entendais pas du tout choisir entre ces deux formules -- c.-à-d. entre 1) une "théologie" positive ou affirmative, systématique ou dogmatique, explicite ou bavarde (au nom de laquelle on a aussi beaucoup massacré par le passé) et 2) la "pratique" morale ou rituelle plus ou moins réglée par une "loi" religieuse. L'une et l'autre à mon sens peuvent passer à côté de "l'essentiel", comme on dit, mais la seconde a quelquefois le mérite de le faire délibérément, par respect pour "l'essentiel". Je serais plutôt partisan de courir le risque de l'expression "mystique" et "poétique": parler (ou écrire) quand même de ce dont on ne peut parler, mais en parler de manière -- tout est dans la manière -- à ne rien en dire, ou du moins à ne rien en dire qui tienne ou qui reste en se suffisant à soi-même; rien qui fasse "système", doctrinal, éthique ou juridique. Cela implique un travail ou un jeu de la contradiction, de l'affirmation et de la négation, qui doit se méfier continuellement des ruses (paradoxales ou dialectiques) de la contradiction elle-même, pour se défaire presque aussitôt qu'il se fait (l'image de l'écriture sur le sable, toute abusive qu'elle soit par rapport à son contexte évangélique, reste très éloquente). Ce travail-là est toujours déjà commencé et jamais fini: on en a toujours déjà trop dit et pas assez, ce qui a été dit doit encore et encore être corrigé et raturé, et on ne saurait le clore sans le continuer. A cet égard le dire répétitif et subtilement différencié du Coran, sa façon de dire toujours et jamais la même chose, son principe même d'"abrogation" des textes les uns par les autres (sans qu'on puisse jamais dire avec certitude ce qui abroge quoi), tout cela me paraît intéressant au-delà de ce qu'il "dit" effectivement. - Citation :
- Le fanatisme est il une dérive de la pratique religieuse ?
Une dérive, sans doute, dans la mesure où il confond le dire et le dit: le "fond", la "source" éternelle, et même le "cours" in-fini de la révélation religieuse, avec ses concrétions ou résidus historiques. C'est un "amour de Dieu" frustré de son "objet" (parce que celui-ci n'est précisément pas un "objet") qui se reporte sur les "objets" qui en restent (commandements, préceptes, traditions). Ironiquement, le "fanatisme" peut être lu comme un fétichisme et une idolâtrie, non pas tant parce qu'il s'attache à de tels objets, mais parce qu'il les charge d'un "sacré" qui ne reviendrait qu'à "Dieu". J'insiste néanmoins sur le fait que le Coran me semble a priori très peu propice à cette "pente", pour toutes les raisons que j'ai énoncées depuis le début de ce fil: ses préceptes sont ceux de la "piété consensuelle" du lieu et de l'époque, ils se veulent d'emblée minimaux -- c'est un repli sur le "monothéisme par défaut" du hanif, emblématiquement Abraham, en-deçà des "suppléments" que sont à ses yeux la Torah de Moïse et l'Evangile de Jésus. Le Coran souligne à maintes reprises que la Torah juive est plus sévère (il reproduit d'ailleurs plusieurs fois, sans doute à son insu, le fameux argument d'Ezéchiel 20 sur les sacrifices des premiers-nés: c'est pour le châtier de son manque de foi ou d'obéissance qu'Allah aurait donné à Israël une "loi" particulièrement difficile). Du christianisme (tel qu'il le connaît) il se distingue plutôt (mais toujours en retrait) en matière de croyance que de pratique, et il reste totalement étranger à sa tendance "ascétique". Tout précepte religieux connaît des exceptions (plus larges que la piqquah nephesh rabbinique, et surtout inscrites dans le texte même du Coran et pas seulement dans une tradition secondaire): prier, jeûner, faire l'aumône ou le pèlerinage, c'est toujours si on peut et comme on peut. On est sur toutes ces questions de pratique religieuse aux antipodes d'un "fanatisme". Ce qui en revanche conduit facilement au fanatisme, et de la pire espèce, c'est le discours guerrier, surtout si on perd de vue ses limites. Le "combat" ( jihâd), même lorsqu'il est littéral, est d'abord défensif; et même quand il devient offensif il ne se propose pas de conquérir le monde ni de convertir qui que ce soit par la force -- les communautés explicitement mentionnées, juifs, chrétiens, zoroastriens, sabéens, doivent demeurer jusqu'au jugement dernier où "Allah les informera de ce sur quoi elles s'opposent" -- une autre phrase qui revient très souvent, c'est (en substance) "si Allah l'avait voulu, il aurait fait de vous une seule communauté". La préservation de nombreuses communautés religieuses, notamment juives et chrétiennes, en "terre musulmane" (de la péninsule ibérique à la Perse) depuis l'hégire témoigne que ce principe, dans l'ensemble, a plutôt bien résisté à ses perversions. Le "problème" tient au fait que "l'énergie" du "principe" religieux fondamental, de la "confession-témoignage" centrale ( shahada) du Dieu créateur, destructeur et re-créateur, et son rapport particulièrement immédiat à la mort (le shahid, comme le martus grec, peut être le "témoin" et le "martyr"), peut être en pratique canalisée au profit de n'importe quel programme politique -- mais cela vaut, malheureusement, de tous les "principes", et pas seulement religieux. ---- Il est remarquable que la shahada principielle (et, semble-t-il, originale, puisque "Mahomet apôtre-envoyé [ rasul] d'Allah" passe pour une addition ultérieure) consiste en une double négation -- pas de dieu sinon dieu, sans rien qui différencie formellement un "dieu" de l'autre -- profession d' athéisme nécessaire et préalable à celle du (mono-)théisme. On peut d'ailleurs en dire autant du deutéro-Isaïe, hormis la concision de la formule. Monothéisme ou monolâtrie ? On pourrait hésiter dans la mesure où les dieux (ou les "associés", šariq, notion qui rappelle encore le deutéro-Isaïe: personne avec moi, cf. 43,11; 44,6.8; 45,5s.14.21s; 46,9) tantôt ne sont rien (ne font ni bien ni mal, cf. Isaïe 41,23; 44,10; 45,20), tantôt existent assez pour se désolidariser de leurs adorateurs à l'heure du jugement, comme des "égarés" qui en ont égaré d'autres. Mais, là encore, ce flottement se retrouverait, sinon dans le deutéro-Isaïe, à coup sûr dans l'AT. Quelquefois (p. ex. xxxiv) ce sont les djinns qui représentent la part de "réalité" des "faux dieux" (ou des "associés"), comme les "démons" dans le Deutéronome ou 1 Corinthiens 10. Etonnante (et belle) idée que celle de la prière de Dieu, xxxiii,42/3 (cf. 56/7): "C'est Lui qui prie sur vous ainsi que Ses Anges, pour vous faire sortir des Ténèbres vers la Lumière. [C'est lui] qui est miséricordieux envers les Croyants." Surtout quand on la rapproche du fréquent rejet de l'intercession (qui a aussi des parallèles bibliques, p. ex. Jérémie 7,16; 11,14; 14,11 et 1 Jean 5,16), notamment (mais pas seulement) à l'heure du jugement. -- A propos de la "désolidarisation" générale en cette heure, je relève la fomulation terrible de xxxi,32/3: "Craignez un jour où nul père ne vaudra pour son enfant et où nul enfançon ne vaudra rien pour son père." Si les versions coraniques de la "chute" (ou descente, voir supra) de l'Eden ignorent le thème-clé du "vol" de la connaissance (du moins je ne l'y ai pas trouvé jusqu'ici), cette lacune trouve peut-être une compensation en xxxii,72: "Nous avons proposé la confiance ( al-'amanata, cf. hébreu 'amen, 'emouna) aux cieux, à la terre et aux montagnes. Ils ont refusé de s'en charger et s'en sont effrayés, alors que l'Homme s'en est chargé, car il est injuste et ignorant de toute loi." Ici ce qui différencie (dangereusement) l'homme (du reste) de la création, ce n'est pas exactement la "connaissance", ce serait plutôt la responsabilité d'un rapport indirect (de foi-fidélité) au Créateur qui implique à la fois distance et jugement (il faut pouvoir être, dans une certaine mesure, "sans Dieu" pour avoir à "Dieu" un rapport de "foi-fidélité"). -- Le trait rappelle par ailleurs la légende rabbinique selon laquelle Dieu aurait proposé en vain la Torah à toutes les (70) nations et seul Israël l'aurait acceptée. Autre relativisation de la "supériorité humaine" en xl,59/7: "Créer les cieux et la terre est certes plus grandiose que créer les Hommes, mais la plupart des Hommes ne savent point." |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: méditations islamiques Mer 06 Jan 2016, 19:43 | |
| Je reprends (toujours dans le plus grand désordre thématique) mes notes au fil de la lecture du Coran. La "désolidarisation" générale au jour (ou à l'heure) du Jugement (voir supra) atteint le corps même des réprouvés en xli,19/20ss: "... leurs oreilles, leurs regards, leurs peaux témoigneront contre eux de ce qu'ils faisaient. Et ils demanderont à leurs peaux: 'Pourquoi avez-vous témoigné contre nous ?' [Leurs peaux] répondront: 'Allah nous a donné la parole, [Lui] qui donna la parole à toute chose, Lui qui vous créa une première fois et vers qui vous serez ramenés. [Sur terre] vous ne pouviez vous cacher [au point] que ni vos oreilles, ni vos regards, ni vos peaux ne témoignassent contre vous [à la résurrection]. Vous pensiez toutefois qu'Allah ne connaîtrait pas un grand nombre de vos actions. Cette pensée qui était en vous, sur votre Seigneur, vous a perdus et vous vous trouvez parmi les Perdants." (Ailleurs ce sont les anges qui inspectent et écrivent les œuvres de chacun dans des livres-rôles qui seront présentés aux intéressés au Jugement dernier, cf. Apocalypse 20.) Blachère signale que cette idée du corps-témoin est d'origine talmudique, sans donner de référence. Dans la Bible hébraïque on peut penser à des expressions similaires, quoique d'un sens assez différent (Isaïe 3,9; Osée 5,5; 7,10). Ce texte renvoie aussi, par sa façon de prendre à la lettre le "témoignage" (au sens verbal), à la notion ancienne de l'universalité potentielle du langage, dont nous avons déjà parlé ici: que "nos" corps mêmes se mettent à parler de "nous" sans "nous", voire contre "nous", voilà qui pourrait donner à penser. -- Variante en l,15/16ss: "Certes, Nous avons créé l'Homme. Nous savons ce que lui suggère son âme. Nous sommes plus près de lui que sa veine jugulaire lorsque recueillent [son discours] les deux [Anges] Recueillants, assis à droite et à gauche. L'Homme ne profère aucune parole [cf. Matthieu 12,36s !] sans que soit auprès de Lui un Observateur préparé. Vienne l'ivresse de la Mort, avec la Vérité ! Voilà, [Homme], ce dont tu t'écartais ! Qu'il soit soufflé dans la Trompe ! Voilà le Jour de la Menace ! Que chaque âme vienne avec un Conducteur et un Témoin ! Certes, tu étais dans l'insouciance de cela. [Mais] nous t'avons ôté ton voile et, aujourd'hui, ta vue est perçante." (Suit un dialogue entre l'ange-Témoin [à charge, façon "satan" de Job ou de Zacharie] qui rapporte les faits qu'il a constatés et le Conducteur qui décline toute responsabilité dans l'égarement du réprouvé.) Un autre point qui revient souvent et qui est également lié (qu'est-ce qui ne l'est pas dans le Coran ?) au Jugement dernier, c'est l'idée que Dieu a créé le monde "avec sérieux" et "non par jeu" (toujours selon la traduction de Blachère) -- et que pour cette raison même il doit y avoir jugement. Sous réserve du texte arabe qui est derrière ces expressions françaises, cela me fait penser à une formule du deutéro-Isaïe (45,18, qui consonne et contraste avec Genèse 1,2 par l'utilisation du même mot hébreu tohou[-et- bohou]: Yahvé n'a pas créé la terre "pour rien", "en vain", "au hasard" ou "pour [le] chaos"). Le monothéisme moral semble moins vulnérable à la contradiction interne qui résulte de son déterminisme absolu (Dieu jugerait des êtres que non seulement il aurait créés ex nihilo mais qu'encore il aurait dirigés ou égarés pas à pas) qu'à l'hypothèse dévastatrice que Dieu, la création, l'histoire, puissent ne pas être tout à fait "sérieux" -- qu'il puisse y avoir dans tout cela du jeu (au sens ludique, scénique, mécanique, etc.), de la légèreté, de la plaisanterie et du rire, comme il y en a depuis toujours chez les dieux. Ce qui renverrait à cet autre fil dont je regrette qu'il n'ait encore inspiré personne. :) -- A la réflexion toutefois, une part de jeu se réinscrit dans les multiples récits coraniques de jugements divins "historiques" en provenance de la tradition juive (le déluge de Noé, Abraham confondu [comme Saül] avec Gédéon dans le rôle de briseur d'idoles, Lot et Sodome, Moïse et Pharaon puis le veau d'or, Jonas et Ninive, etc.) ou arabe (les `Ad, les Tamoud, les Saba, tous réputés punis pour ne pas avoir écouté un prophète), où Allah détruit une génération impie et la remplace par une autre, avec la menace constante: il pourrait en faire autant de vous. Comme on l'a souligné précédemment, le schème création-destruction-résurrection/re-création a aussi pour effet de dé-réaliser le réel, de le rendre en un sens aussi factice et artificiel qu'une scène de théâtre. Le "sérieux" ne tient ici (et jamais, du reste) qu'à la perspective des acteurs ou des spectateurs (c'est de mon sort qu'il s'agit). Un autre motif rabbinique se retrouve dans la notion de "présence divine", "transcendance dans l'immanence" ( sakina manifestement emprunté à l'araméen shekina, qui a aussi curieusement fait son chemin jusque dans les publications de la Watchtower bien qu'il ne soit pas strictement "biblique"), p. ex. en xlviii,4: "C'est Lui qui a fait descendre la Présence Divine dans les cœurs des Croyants, afin qu'ils ajoutent une foi à leur foi". Cette dernière expression rappelle l'énigmatique formule paulinienne de Romains 1,17 (cf. 2 Corinthiens 2,16; 3,18 ); elle pourrait être éclairée en contexte coranique par l'image du serment qu'on trouve un peu plus loin dans la même sourate, v. 10: "Ceux qui te prêtent serment d'allégeance prêtent seulement serment d'allégeance à Allah, la main d'Allah étant [posée] sur leurs mains" -- ce qui suggère qu'Allah s'engage (malgré tout ce qui a été dit plus haut de la préservation jalouse de sa liberté dans la grâce) dans l'engagement de foi-fidélité du (bien-nommé) "fidèle". Il semble qu'en arabe comme en hébreu ou en araméen, la "foi" (de la même racine sémitique 'mn) reste indissociable de la "fidélité", davantage en tout cas qu'elle ne l'est en grec ( pistis): penser aux expressions médiévales comme "jurer sa foi" = "promettre fidélité". Petit détail: toute "fatigue" d'Allah après les six (ailleurs huit) jours de création est expressément niée (p. ex. l,37/8) -- mais on retrouve la même tension avec Genèse 1--2 dans le deutéro-Isaïe (40,25ss) |
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| Sujet: Re: méditations islamiques Mar 19 Jan 2016, 17:33 | |
| Pour l'Islam, Marie est un modèle Dieu est le seul point de référence pour les Musulmans. Mais Marie vient immédiatement à sa suite, car elle reflète sa sainteté. C'est pourquoi on peut considérer Marie comme une excellente source du dialogue entre chrétiens et musulmans. C'est la seule femme dont le nom figure 34 fois dans le Coran. Sa foi radicale et sa parfaite soumission à la volonté de Dieu en font le grand modèle du croyant. Parlant des musulmans, la déclaration Nostra Aetate de Vatican II s'exprime ainsi: « Ils honorent Marie, la mère virginale de Jésus, et souvent ils l'invoquent avec dévotion ». C'est pourquoi, les musulmans entreprennent souvent des pèlerinages aux sanctuaires mariaux, spécialement à Fatima. D'ailleurs le nom de Marie est fréquent chez les femmes musulmanes. D'après le Coran, un ange, par l'ordre de Dieu, annonça à Marie qu'elle donnerait naissance à un fils très pur. Le message troubla Marie. Toujours selon le Coran, elle donna naissance à Jésus, sous un palmier qui la nourrit miraculeusement. Elle était vierge et pure. Elle sauvegarda sa virginité et Dieu lui donna son Esprit, la faisant, elle et son fils, un signe pour les humains . On lit toujours dans le Coran que Marie « est préférée, purifiée et choisie par Dieu au-dessus de toutes les femmes de la terre ». Il est sûr cependant que certains points du Coran sur Marie diffèrent de la tradition chrétienne. C'est ainsi que le refus de la divinité de Jésus Christ chez les musulmans affecte leur vision de Marie. Il reste un fait positif, c'est que la tradition musulmane propose Marie comme un modèle pour le croyant de l'Islam. http://maranatha.mmic.net/Marie-Islam.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: méditations islamiques Mar 19 Jan 2016, 20:15 | |
| Détail: sous le même nom de "Mariam", il y a aussi une certaine confusion dans le Coran entre la soeur de Moïse et d'Aaron et la mère de Jésus (celle-ci étant notamment rattachée à Imran = Amram); cf. déjà l'apparentement avec la "sainte famille bis", sacerdotale et prophétique (Zacharie-Elisabeth-Jean), dans Luc, qui s'inspire de celle de 1 Samuel (Elqana-Hanna-Samuel). Rien d'étonnant bien sûr en contexte de tradition orale: il suffit de penser au nombre de personnages évangéliques qui se sont fondus dans la Marie-Madeleine du moyen âge.
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En arrivant au bout, je conseillerais peut-être au lecteur novice de commencer par la fin: les dernières sourates, très brèves (l'ordre canonique est grosso modo celui du volume décroissant, avec beaucoup d'irrégularités, comme c'est aussi le cas de certaines portions du canon biblique, p. ex. les épîtres pauliniennes) et d'expression poétique concise et imagée, "passent" beaucoup mieux en traduction que les longs développements fastidieux et répétitifs des premières (à l'exception de la toute première qui est aussi parmi les plus courtes et les plus connues), et elles sont souvent très belles. P. ex. xciii: "Par la Clarté diurne ! Par la Nuit quand elle règne ! ton Seigneur ne t'a ni abandonné ni haï. Certes, la [Vie] dernière sera meilleure pour toi que la [Vie] première ! Certes, ton Seigneur te donnera et tu seras satisfait ! Ne te trouva-t-Il point orphelin si bien qu'Il [te] donna un refuge ? Ne te trouva-t-Il point égaré si bien qu'Il [te] guida ? Ne te trouva-t-Il point pauvre si bien qu'Il [t']enrichit ? L'orphelin, ne le brime donc pas ! Le mendiant, ne le repousse donc pas ! Du bienfait de ton Seigneur, parle [à autrui] !" -- On notera au passage - la fréquence (supérieure, me semble-t-il, dans les dernières sourates) des adjurations "cosmiques" (par le Jour et la Nuit, le Soleil, la Lune et les étoiles, le Ciel et la Terre, les montagnes ou les lieux sacrés, la Mecque mais aussi le Sinaï ou le mont des Oliviers), qui "font" à la fois (à nos yeux, du moins aux miens) très "poétique", "polythéiste" et "biblique"; cf. aussi xci: "Par le Soleil et sa clarté ! Par la Lune quand elle le suit ! Par le Jour quand il le fait briller ! Par la Nuit quand elle le couvre ! Par le Ciel et Ce (sic) qui l'a édifié ! Par la Terre et Ce qui l'a étendue ! Par l'Âme (nafs = nepheš) et Ce qui l'a formée harmonieusement et lui a inspiré son libertinage et sa piété ! heureux celui qui aura purifié cette âme, malheureux celui qui l'aura abaissée !" - l'importance que prend la morale, en particulier sociale (ainsi dans l'énoncé des "deux voies" de la sourate xc, qui rappelle à la fois Matthieu et le trito-Isaïe: la "voie ascendante" et "droite", celle qui aboutit au jugement favorable de la main droite d'Allah, c'est "affranchir un esclave / ou bien, un jour de disette, nourrir / un orphelin proche parent / ou un pauvre dans le dénuement"). |
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| Sujet: Re: méditations islamiques Jeu 08 Fév 2024, 15:51 | |
| Rûmî, poète de l’amour mystique
Un poète soufi du XIIIe siècle
Mohammad Jalal al-dîn Balkhî, plus connu en Occident sous le nom de Rûmî, est un poète musulman du Moyen-Âge, de langue persane (farsi), qui vécut au XIIIe siècle au Moyen-Orient. Selon Leili Anvar, sa poésie toute entière découle d’une rencontre bouleversante avec un maître spirituel, Shams de Tabriz, qui fut comme une révélation. Rûmî, qui était déjà alors un religieux respecté, fut subjugué par cette rencontre qui lui inspira ses poèmes mystiques, depuis devenus des textes majeurs du soufisme.
Si Leili Anvar parle de « religion de l’amour », c’est qu’en effet l’amour est omniprésent sous la plume du poète. Un amour spirituel que Rûmî éprouvait pour son maître et, au-delà, pour Dieu lui-même. Il faut ici imaginer un amour enflammé, incandescent, qui transporte l’être tout entier. Aussi, le premier point de comparaison qui m’est venu, en lisant les poèmes de Rûmî, a été le Cantique des Cantiques, poème biblique où l’amour pour Dieu s’exprime avec la même ardeur. C’est dire que la relation à Dieu, loin d’être uniquement intellectuelle, se manifeste avant tout sous la forme d’un amour spirituel.
« Ô Bien-Aimé »
Aussi le champ lexical du sentiment amoureux est-il abondant dans ce choix de poèmes, notamment sous la forme de l’interjection « Ô Bien-Aimé » qui revient à plusieurs reprises et qui définit le registre de la louange. Le poème inscrit en tête de la préface de Leili Anvar est à ce titre caractéristique :
« Il est survenu, l’Amour Comme le sang, il coule dans mes veines Il m’a vidé de moi Il m’a rempli de l’Aimé L’Aimé a envahi Chaque parcelle de mon être De moi ne reste qu’un nom Tout le reste, c’est Lui »
Ce quatrain 325 (que la traduction étend sur huit vers) montre à quel point l’Amour divin emplit la totalité de l’individu. Il y produit une transformation, chassant ce qu’on pourrait appeler l’ego, les particularités individuelles bassement humaines, au profit du sentiment du divin. Dans la poésie mystique, s’exprime une relation personnelle, directe, avec Dieu. Leili Anvar, reprenant des expressions employées par Rûmî lui-même, parle de l’amour divin comme d’un feu qui embrase l’individu tout entier.
Et Shams de Tabriz répond à cet amour, à travers des poèmes qui nous sont restés :
« C’est toi que je veux Toi, tel que tu es Je veux un désirant Un assoiffé Un affamé L’eau pure recherche l’assoiffé »
La douleur de la séparation Leili Anvar raconte la grande détresse de Rûmî quand celui-ci dut affronter la disparition de son maître. Par ses explications, on comprend que cette disparition est, en somme, une énième leçon dispensée à l’élève. Rûmî écrivit de magnifiques poèmes où il dit la douleur de la séparation, dont plusieurs sont cités.
« Ô toi collyre de l’œil de l’âme, où donc es-tu parti ? Reviens »
La disparition de Shams dans le livre de Rûmî fait l’objet de magnifiques poèmes où s’exprime la douleur de la perte. On peut penser que cette disparition est en elle-même une leçon spirituelle : le maître s’éclipse volontairement, et oblige en quelque sorte à retrouver à l’intérieur de soi-même sa présence. Du moins est-ce comme cela que je l’ai compris, comme une leçon d’autonomie, consistant à apprendre à se passer du maître. Il me semble, quoique je n’en sois pas certain car je fais appel à des souvenirs anciens, que le Christ, de même, enseigne à ses apôtres, par sa mort, à ce que ceux-ci surmontent la douleur de la séparation physique pour poursuivre son oeuvre. Je me demande aussi s’il n’y a pas une leçon semblable dans le moment où Mentor, chez Fénelon, disparaît, laissant Telemaque puiser dans ses propres ressources.
Concision et intensité du quatrain
L’intérêt du choix de poèmes présenté par Leili Anvar réside aussi dans l’aperçu de la diversité des formes pratiquées par Rûmî. Cela va de quatrains, parfois traduits sur huit vers, qui offrent une expression très concise de cet amour mystique, jusqu’à des extraits longs de plusieurs pages, issus du Masnavî, longue œuvre de plus de 25000 distiques, et du Fîhi ma fîhi, transcription de propos oraux tenus par le maître soufi, ici traduits en prose.
La concision des formes brèves permet de feuilleter le recueil à la recherche d’une pépite spirituelle qui se lit en quelques secondes et qui se médite beaucoup plus longtemps. L’expression de l’amour y est très intense :
« Te dire par des mots, c’est faire obstacle à la vision Ô mon Aimé L’éclat de ta face met un masque sur ton visage Ô mon Aimé Le souvenir de tes lèvres me parle de tes lèvres Ô mon Aimé Le souvenir de tes lèvres forme un voile sur tes lèvres »
La répétition de l’interjection souligne l’intensité du sentiment amoureux, tandis que la mention des « lèvres » donne des contours presque charnels à cet amour divin. Il faut y voir une métaphore : c’est par le lexique de la passion que s’exprime l’amour mystique, qui reste ineffable et ne peut se dire qu’indirectement. Le poète évoque ici une vision ineffable, qui donc ne saurait se traduire en mots. D’où le motif de l’obstacle et du voile.
https://litteratureportesouvertes.wordpress.com/2018/10/20/rumi-poete-de-lamour-mystique/ |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: méditations islamiques Jeu 08 Fév 2024, 16:09 | |
| Pour qu'on s'en souvienne quand on l'aura oublié, nous venions aujourd'hui de là où cette belle citation eût été tout aussi pertinente -- la "poésie", au sens étroit ou large, relativise beaucoup les différences de surface entre les "religions", en approfondissant les différences linguistiques et culturelles. Une des choses qui m'avaient marqué quand j'avais un peu fréquenté ces textes persans (d'abord Hallaj, puis aussi Hafez, Khayyâm, etc.), c'est que leur érotique mystique (à la différence du Cantique des cantiques dont nous parlions de l'autre côté) est volontiers, voire de préférence homosexuelle, comme l' erôs grec du Banquet de Platon (avec d'ailleurs ici la même différence d'âge et de statut entre l'aimant et l'aimé, le maître et le disciple, Socrate et Alcibiade ou Shams et Rûmî). Cela, qui est certainement d'origine pré-islamique (tradition persane du shahed bazi, le jeu de l'amoureux témoin de la beauté unique et transcendante -- c'est bien le même shahed ou shahid, araméen avant l'arabe jusque chez le Laban de la Genèse, qui est devenu "martyr", comme le martus grec, fût-il aussi "terroriste"), ainsi que le rôle du vin dans cette poésie (le Banquet de Platon est sum-posion, boire-ensemble, comme le mishteh hébreu, p. ex. ceux d'Esther en Perse), est tout à fait étonnant quand on voit ce qu'est devenu l'islam moderne, notamment iranien, aussi alcoolophobe qu'homophobe et érotophobe... Anachronisme cultu(r)el: ce qui a pu paraître à un Houellebecq "la religion la plus con" était à son apogée culturelle quand l'Europe chrétienne était dans les choux, dans son "moyen âge" selon sa propre périodisation ultérieure. Il pouvait encore paraître "supérieur" au catholicisme aux yeux de la modernité occidentale du XIXe siècle, de Napoléon à Jules Ferry (p. ex.). C'est son tournant antimoderne, paradoxalement inspiré du "fondamentalisme" protestant et anglo-saxon, qui a été le moteur de son regain non moins paradoxal, à la fois en bêtise et en puissance politique... |
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| Sujet: Re: méditations islamiques Ven 09 Fév 2024, 11:21 | |
| Foi chrétienne et versets coraniques Maurice Borrmans
Tous, fils d’Adam
Même si le double récit de la création qui inaugure le texte biblique n’a que de faibles échos, plus ou moins dispersés dans le Coran, il n’empêche que celui-ci, à l’instar du premier, insiste tout autant sur la création d’Adam. Le premier homme a été façonné de la glaise, « créé d’une argile tirée d’une boue malléable » (15, 26), mais Dieu dit, en même temps, que « J’aurai en lui insufflé de Mon esprit (rûh) » : humilité de ses origines et harmonie de sa constitution, car, ajoute le texte coranique, « Nous avons créé l’homme en la plus belle prestance » (95, 4), thèmes que théologiens et mystiques ont longuement médités, tant dans le christianisme que dans l’islam. Bible et Coran semblent ainsi se rejoindre, d’autant plus qu’Adam est le père du genre humain. Chrétiens et musulmans auraient-ils donc, avec les juifs, une même anthropologie, marquée par un même dessein divin ? Tous, en effet, découvrent dans leurs Ecritures qu’Adam, leur modèle et leur père, se révèle être faible et versatile, impatient et disputeur, réfractaire à la foi et ingrat envers son Seigneur (14, 34 ; 33, 72, 70, 19), en même temps qu’il se voit, par celui-ci, promu à une dignité sans pareille au milieu des créatures qui sont toutes comme mobilisées (taskhîr) à son service (14, 32-34, 16, 12-14 ; 45, 13). Curieux destin, donc, que celui que le Coran et la Bible assignent à l’être humain, « être béni » entre toutes les créatures ! « Nous avons certes honoré les Fils d’Adam, dit le Coran… Nous les avons placés bien au-dessus de beaucoup de ceux que nous avons créés » (17, 70). Comment n’y point trouver, comme en écho, ce qu’en dit le psalmiste s’adressant à Yahvé : « Qu’est donc le mortel que Tu en gardes mémoire, le fils d’Adam que Tu en prennes souci ? A peine le fis-Tu moindre qu’un dieu ! » (Ps 8, 5-6). Eminente dignité de l’homme que, bien vite, musulmans et chrétiens commentent et précisent dans des directions plus ou moins opposées. Pour les premiers, c’est Dieu qui proposa à l’homme « le dépôt » (al-amâna) (3 3, 72) que celui-ci accepta, c’est lui qui « apprit à Adam tous les noms » (2, 3 1) et qui en fit son représentant (khalîfa, calife) sur la terre : dignité certes, mais tout simplement humaine, qui ne saurait en rien attenter à l’unique et universelle grandeur du Maître des Mondes. Pour les seconds, c’est « l’homme [qui] donna des noms » à toutes les créatures (Gn 1, 28) ; c’est encore à lui et à Eve que Dieu dit : « Emplissez la terre et soumettez-la » (Gn 1, 28) ; c’est toujours avec lui que se nouent les alliances successives au cours de l’Histoire ; et c’est enfin à une adoption filiale qu’il le destine, se révélant à lui, par Jésus-Christ, comme un Père « déterminant d’avance que nous serions pour Lui des fils adoptifs par Jésus-Christ » (Ep 1, 5).
Tous les monothéistes affirment néanmoins, et ensemble, que l’homme est « objet et sujet de droits » et peuvent ainsi, avec bien d’autres, fonder par là une philosophie et une théologie des droits de l’homme qui transcendent les idéologies et les cultures. Nombreuses ont été les rencontres islamo-chrétiennes qui en ont précisé le contenu et détaillé les implications, malgré des divergences qui demeurent parfois insurmontables — les chrétiens renvoyant à une « loi naturelle » que Dieu met dans le cœur de tout homme et les musulmans à une « loi positive divine » (la Sharî‘a) dont réformistes et intégristes disent qu’elle est valable pour tous « les fils d’Adam ». Double différence fondamentale qui sépare en partie les anthropologies chrétienne et musulmane : pour les disciples de Jésus, « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu Il le créa » (Gn 1, 27), tandis que, pour les croyants de l’islam, selon un hadîth, « Allâh créa Adam à l’image » qu’il s’en était faite dans son projet créateur, et sans plus, car le Coran répète inlassablement que « rien ne lui est semblable » (laysa ka-mithli-hi shay’) puisque Allâh est le « Tout Autre ». Seule la tradition judéo-chrétienne a développé, en philosophie, les multiples implications de cette « analogie de l’être » à laquelle chacun participe à des degrés divers, en cohérence avec sa foi, dans l’incarnation du Verbe de Dieu : Jésus n’est-il pas, pour les chrétiens, « l’image du Dieu invisible, le Premier Né de toutes créatures » (Col 1, 15), et sa manifestation ultime et parfaite ?
Ensemble, chrétiens et musulmans
Les rapports entre les disciples de Jésus et les fidèles de l’islam dépendraient-ils particulièrement de ces profonds malentendus à propos d’une histoire sainte dont les personnages prennent des profils contrastés et dont l’islam serait comme le point final et parfait ? Il est vrai que les chrétiens du Coran (ne seraient-ils que « Nazaréens » ?) y sont présentés avec sympathie et leurs vertus exaltées : « Tu trouveras, certes, que les hommes les plus proches des croyants par l’amitié sont ceux qui disent “Oui, nous sommes chrétiens !”, et cela parce qu’on trouve parmi eux des prêtres et des moines, et parce qu’ils ne s’enflent pas d’orgueil » (5, 82), alors que juifs et polythéistes n’éprouveraient qu’inimitié pour les musulmans. Et il est bien vrai que ce monachisme (rahbâniyya) des chrétiens est des plus appréciés par le Coran : Dieu n’a-t-il pas mis « dans le cœur de ceux qui l’ont suivi [Jésus] compassion, miséricorde et vie monacale » (57, 27), même si beaucoup y voient, non un ordre divin, mais une innovation chrétienne due à de bonnes intentions ? Et le magnifique verset où Dieu est décrit comme « lumière des cieux et de la terre…, lumière sur lumière » (24, 3 5), lumière comparée à celle des lampes des sanctuaires, n’est-il pas l’expression merveilleuse de ce qu’on découvre en des lieux, ermitages ou couvents, « où des hommes célèbrent les louanges de Dieu à l’aube et au crépuscule : nul négoce et nul troc ne les distraient du souvenir de Dieu » (24, 36) ? Comment ne pas envisager alors avec joie cette amitié possible entre musulmans et chrétiens, si ces derniers vivent intégralement leur idéal évangélique ?
Et pourtant, voici que d’autres versets détournent les premiers de ces relations amicales et, par suite, laissent le chrétien perplexe quant au désir de tous de « vivre ensemble ». « Ô vous qui croyez, y est-il dit, ne prenez point les juifs et les chrétiens comme alliés ; ils sont alliés les uns avec les autres. Quiconque, parmi vous, les prendra comme alliés sera des leurs » (5, 5 1), car « ils prennent votre religion en raillerie » (5, 57). D’autant plus qu’il est dit, ailleurs : « Combattez… ceux qui, parmi les Gens du Livre, ne pratiquent pas la vraie religion, jusqu’à ce qu’ils payent personnellement le tribut tout en étant humiliés » (9, 29). N’est-ce pas à partir de ce verset que les jurisconsultes de l’islam ont élaboré le statut de dhimmitude pour les minoritaires non musulmans qui vivent en terre d’islam ? Alors, comment renouveler les rapports souhaitables entre les uns et les autres ? En relisant peut-être ensemble et en réinterprétant plus largement des versets en faveur d’un pluralisme respectueux, sinon amical, puisqu’il est aussi dit : « Nous vous avons constitués en peuples et en tribus pour que vous vous connaissiez entre vous » (49, 13) ; et qu’il est également affirmé : « Si Dieu l’avait voulu, il aurait fait de vous une seule communauté. Mais [il ne l’a pas fait] pour vous éprouver par le don qu’il vous a fait. Concurrencez-vous donc dans les bonnes actions » (5, 48).
Et n’en est-il pas de même du sort ultime que Dieu réserve à ses créatures ? Chrétiens et musulmans croient en une résurrection des corps et en un jugement général où Dieu sera tout à la fois justice et miséricorde ; mais le paradoxe, ici, veut qu’ils s’en fassent des représentations contrastées. Le Coran abonde en descriptions apocalyptiques de ce grand tremblement où « la terre restituera ses poids » (99, 2) et fonde, chez les musulmans, leur foi en la résurrection sur la puissance toujours créatrice du Tout-Puissant. L’Evangile rappelle aux chrétiens que tout se fonde sur cette victoire sur le péché et la mort qu’est la résurrection de Jésus-Christ lui-même, « Premier Né d’entre les morts » (Col 1, 18) et donc prémices du Royaume qui vient, dont on sait qu’il est tout autre que cette « première vie ». C’est pourquoi les chrétiens s’entendent dire : « Ressuscités [en espérance] avec le Christ, recherchez les choses d’en haut, là où se trouve le Christ, à la droite de Dieu » (Col 3, 2). Croyances communes, donc, vocabulaires semblables ou analogues, et pourtant visions bien différentes quand il s’agit de comparer cette « vie éternelle » qui attend musulmans et chrétiens, avec tous les autres. Mais certains versets coraniques semblent vouloir rassurer les uns et les autres, puisqu’il y est dit : « Ceux qui croient, ceux qui pratiquent le judaïsme, ceux qui sont chrétiens ou sabéens, ceux qui croient en Dieu et au dernier jour, et qui font le bien, voilà ceux qui trouveront leur récompense auprès de leur Seigneur. Ils n’éprouveront alors plus de crainte, ils ne seront pas affligés » (2, 62 ; 5, 69). Pourquoi cette « largeur d’esprit » du texte devrait-elle être abrogée par un verset subséquent où Allâh décrète qu’« aujourd’hui… j’agrée l’Islam comme votre religion ! » (5, 3 ; 3, 19), alors que l’islâm ici évoqué pourrait s’appliquer à tous ces croyants qui se sont « soumis » à Dieu, en quelque tradition religieuse que ce soit. Le succès (falâh ou fawz) des musulmans et le salut (khalâs) des chrétiens ne sont-ils pas à la portée de tout homme sincère dans sa religion ? D’autant plus que le Coran, à l’instar de la Bible, insiste beaucoup sur la foi et les œuvres, nécessaires toutes deux pour obtenir cette « satisfaction » (ridwân) de Dieu qui n’est peut-être pas sans analogie avec la « grâce » (ni‘ma) qu’espèrent les chrétiens. Qui plus est, il existe un hadîth sacré (qudsî) qui propose aux musulmans de dépasser toute description sensible du paradis et qui reproduit étrangement un texte de saint Paul (1 Co 2, 9) où Dieu dit : « J’ai préparé pour mes bons serviteurs ce que l’œil n’a jamais vu, ce que l’oreille n’a jamais entendu et ce qui n’est jamais advenu au cœur de l’être humain. » Musulmans, juifs et chrétiens ne peuvent qu’assentir à ce même dessein divin !
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