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| UNE RELIGION OU UNE PHILOSOPHIE | |
| | Auteur | Message |
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Admin Admin
Nombre de messages : 483 Age : 77 Date d'inscription : 20/03/2008
| Sujet: UNE RELIGION OU UNE PHILOSOPHIE Dim 05 Mar 2017, 21:38 | |
| Nombreux sont ceux et celles qui pensent que le Bouddhisme n'est soit qu'une religion, soit qu'une philosophie voire les deux tout à la fois.
Voilà donc le sujet lancé.
Bonne soirée Admin |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: UNE RELIGION OU UNE PHILOSOPHIE Lun 06 Mar 2017, 01:49 | |
| Je me permets de citer ici ce que j'avais écrit là: - Citation :
- Dans la mesure où nous définissons "la philosophie" d'après son modèle grec, qui résulte d'une distinction de principe (pas forcément antagoniste et encore moins hostile) avec la "religion", tant au plan du discours (logos vs. muthos, raison[nement] "logique" ou "rationnel[le]" vs. "mythe" à "croire" ou à "croire sans croire") que de la pratique (éventuellement morale ou thérapeutique mais pas rituelle ni cultuelle), il est évident que "le bouddhisme" ne peut pas entrer tout entier dans cette catégorie -- même si par ailleurs il y a des affinités possibles entre telle philosophie et tel aspect de la doctrine bouddhique, comme il peut y avoir une lecture "philosophique" d'à peu près n'importe quelle doctrine "religieuse" (et, de ce point de vue, l'inspiration religieuse de la philosophie occidentale moderne reste très majoritairement chrétienne, Hegel fournissant l'exemple le plus brillant d'une interprétation philosophique du dogme chrétien). L'intérêt de Schopenhauer pour le bouddhisme, par exemple, reste "philosophique" en ce qu'il ne concerne qu'un aspect de l'enseignement bouddhique, et qu'il ne se traduit (au moins en principe ou en droit) ni par une "croyance" ni par un "rite" (ce qui en ferait une "religion"). Bien entendu, toutes ces distinctions n'ont rien d'absolu ni d'universel, si ce n'est par l'effet contingent de la "mondialisation" de la culture occidentale (qui fait que même dans une université chinoise ou japonaise, "le bouddhisme" en tant que tel n'entrera jamais dans un cours de "philosophie" à côté de Platon ou de Kant).
Qu'une religion puisse être "athée" (ou, plus précisément, que son concept ou principe suprême ne soit pas celui d'un "Dieu" personnel, ce qui ne l'empêche pas d'être aussi "théiste" et même "polythéiste" à des niveaux inférieurs) surprend naturellement ceux qui viennent d'une religion et d'une culture monothéistes; si cela a d'indéniables affinités "philosophiques" (quand les "philosophies" antiques ou modernes ont un "principe suprême", il n'est pas "personnel" non plus, et quand elles le désignent du nom de "Dieu" c'est en lui retirant toute "personnalité"), ce n'est pas si original qu'on pourrait le croire dans le champ "religieux": dans beaucoup de polythéismes antiques, les dieux personnels ne sont pas non plus ce qu'il y a de plus transcendant ni de plus originaire; le chaos, l'océan ou l'indéterminé qui les précèdent, la loi, le destin, la nécessité de justice ou d'équilibre qui président à leur propre existence, tout cela est aussi "impersonnel" (malgré des personnifications secondaires) et supérieurement "transcendant".
Pour répondre un peu plus directement à la question: étant entendu que les catégories de "religion" et de "philosophie" sont de toute façon nos catégories à nous (Occidentaux-modernes), héritières d'une double (ou quadruple) tradition, gréco-romaine d'une part et judéo-chrétienne d'autre part, il me semble que nous n'avons aucun problème à reconnaître le bouddhisme comme une religion -- une religion non monothéiste bien sûr, mais une religion quand même à cause de ses rites et de ses doctrines traditionnelles; qu'en revanche nous ne pouvons y voir une philosophie que dans un sens radicalement différent de la philosophie grecque antique et de la philosophie occidentale moderne, et qui paraîtra toujours un abus de langage à un philosophe. L'aspect du bouddhisme que nous qualifions parfois de philosophie relèverait peut-être mieux du concept plus vaste de sagesse ( sophia en grec, sapientia en latin), antérieur à la détermination de la philosophie grecque et qui est aussi une composante importante de la tradition religieuse juive (cf. les livres dits "sapientiaux", Proverbes, Job, Qohéleth, Siracide, Sagesse, etc.). Par-delà ces questions de vocabulaire qui sont de toute façon conventionnelles, il me semble aussi que la réception occidentale du bouddhisme comme "philosophie" ou "sagesse" (ou encore "spiritualité") traduit ou trahit surtout un intérêt sélectif: ce qui nous intéresse dans le bouddhisme, ce ne serait justement pas la religion -- les rites et les doctrines, qui nous sembleraient ou trop "exotiques", ou au contraire trop "semblables" aux "religions" occidentales -- mais une "partie" de la "religion" qui nous paraîtrait séparable du reste, et adaptable ou assimilable "à part". On peut débattre sans fin de la légitimité d'un tel tri: il paraîtra toujours illégitime du point de vue d'un bouddhisme "authentique", il sera toujours légitime d'un autre point de vue. Pas de culture ni de culte (hindou, bouddhique, grec, romain, juif, chrétien, et même "moderne") qui ne soit syncrétique en dernière analyse, puisant à toutes les "sources" disponibles ce qui lui convient, malentendus et contresens inclus, et le combinant selon son "génie" propre, et laissant le reste. |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: UNE RELIGION OU UNE PHILOSOPHIE Lun 06 Mar 2017, 12:47 | |
| Merci Narkissos de ton éclairage qui a le mérite de poser la discussion de façon bien ordonnée.
Lorsque j'ai abordé pour la première fois le Bouddhisme en discutant avec un moine dans un temple ici à Genève(en fait un appartement dont le salon a été transformé en lieu de prières), ce qui m'a surpris avait trait aux rites que j'avais observé quelques années auparavant.
Le terme "prière" me paraissait incompréhensible à ma compréhension puisque les Bouddhismes ne croient pas en un dieu personnel. Et puis en observant les rites et en écoutant la traduction des termes de la langue pali prononcés lors de ces prières j'ai mieux saisi qu'il ne s'agissait en fait que de ... prières, mais non selon notre conception juive, chrétienne voire musulmane.
Il ne s'agit ni plus ni moins de vénérer un homme, Siddhârta Gautama, ayant réussi à s'émanciper (je me permet ce verbe, car il est bien difficile d'évoquer le Nirvana dans nos langues occidentales), de la même façon que l'on honore les hommes et les femmes ayant une position dans la vie publique d'une part, ou de personnes qui lors d'un conflit ont sacrifié leur vie afin de sauver celle d'autre personne. En s'inclinant devant la statue de Bouddha le pratiquant démontre avoir de la reconnaissance envers cet homme qui a définit le chemin menant à la libération des contingences de ce monde.
Les formules récitées sont plutôt une longue suite de recommandations et d'encouragements que l'on déclame afin de retrouver en son for intérieur la force de progresser et de pouvoir également aider autrui à se libérer à la suite d'un long processus de méditation, d'observation de son corps et des réactions qui en découlent.
La majeur partie des efforts reposent sur la personne elle-même et les prières sont plus une introversion qu'une suite de demandes adressées à un dieu personnel à l'écoute de tout un chacun. La vie actuelle ne se prête pas à ce cheminement spirituel si tant est qu'elle se soit prêtée un jour plutôt qu'un autre.
L'approche permet de retrouver un peu de calme et aide le méditant à mieux se connaître ce qui n'est qu'une infime partie d'un processus demandant beaucoup de patience et de persévérance. Il n'est pas facile de se concentrer sur un seul sujet, par exemple suivre la respiration et l'expiration de l'air; très vite l'esprit se perd ou vagabonde et il faut le rappeler à l'ordre; personnellement je compare mon esprit en balade à un petit singe qu'il faut ramener à sa place avec fermeté mais sans méchanceté. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: UNE RELIGION OU UNE PHILOSOPHIE Lun 06 Mar 2017, 13:32 | |
| L'avantage d'une religion, surtout d'une grande religion qui fait corps avec une communauté, une société, une culture depuis des siècles, c'est qu'elle constitue forcément une économie entre un rite commun et fédérateur -- ce que j'appellerais un texte corporel en un double sens, parce qu'il implique le corps des fidèles comme le "corps" de la société -- et une multitude d'interprétations. Il y a place pour une réception "populaire", "vitale", "spontanée" et "eudémoniste" du rite (on peut prier le Bouddha comme n'importe quel dieu ou Dieu, pour lui demander quelque chose quand on en a besoin), et aussi pour un approfondissement qui aboutit à la limite à l'exact contraire (on prie pour expérimenter un détachement de "soi", de ses désirs et de ses craintes, etc.). On peut au gré des circonstances et des âges passer d'une compréhension à l'autre, à la faveur d'un enseignement qui avertit déjà la religiosité superficielle d'une profondeur qui lui échappe (p. ex.: si tu rencontres le Bouddha, tue-le !), mais qui l'attend patiemment; et qui rend en même temps le "sage", l'"initié" ou l'"éveillé" attentif à ne pas mépriser une piété populaire par laquelle il a lui-même dû passer pour en arriver là (et dans laquelle il est d'ailleurs toujours susceptible de "retomber").
Cette polysémie est celle de la religion même: quand Kurosawa adapte Dostoïevski à la culture japonaise, il n'a aucune peine à traduire le Christ orthodoxe russe en Bouddha, ça "fonctionne" parfaitement car les deux figures présentent le même genre de stratification herméneutique: on peut aussi prier Jésus pour soi et méditer sur Jésus pour se défaire de "soi". Mais la volonté de réduire la religion à son sens le plus "profond" (ou ésotérique) en discréditant les sens "populaires" (ou exotériques) comme "superficiels" ou "superstitieux", sous prétexte que le premier seul serait "authentique", aboutit toujours à un appauvrissement de type sectaire.
J'aborde naturellement ce genre de question sous l'angle d'une comparaison avec le christianisme, tout en étant conscient des limites de cette approche en ce qui me concerne (du fait que ma connaissance des deux termes de la comparaison est pour le moins inégale). Cela étant, il serait intéressant d'approfondir autant les similitudes (p. ex. un détachement de "soi" qui passe peut-être par des "méthodes" assez différentes) que les dissemblances (p. ex. entre la vision occidentale de l'"histoire" où une certaine eschatologie judéo-chrétienne a eu sa part, et les conceptions moins "historiques" du monde qui sous-tendent peut-être le bouddhisme comme d'autres religions ou philosophies orientales). |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: UNE RELIGION OU UNE PHILOSOPHIE Lun 06 Mar 2017, 16:03 | |
| Tu as raison, Narkissos, il y a des ressemblances et des dissemblances entre le christianisme et le bouddhisme. Il me vient à l'esprit le passage de la 1ere lettre de Jean chap. 2 versets 15 ss et le détachement prôné par le Bouddha notamment dans la Seconde Noble Vérité: Samudaya = L'apparition de Dukkha (souffrance, attachement, illusion) - L'enseignement du Bouddha a écrit:
- C'est cette soif (ardent désir, tanhā) qui produit la re-existence et le re-devenir qui est liée à une avidité passionnée et qui trouve sans cesse une nouvelle jouissance tantôt ici, tantôt là, à savoir + la soif des plaisirs des sens, 2 la soif de l’existence et du devenir et 3 la soif de la non-existence.
Bien sûr les textes peuvent se ressembler et en même temps présenter des différences. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: UNE RELIGION OU UNE PHILOSOPHIE Lun 06 Mar 2017, 20:33 | |
| La difficulté de retracer ta citation au-delà de l'article de Wikipédia et de ses "sources" modernes me fait penser qu'une des grandes différences formelles entre les traditions bouddhiques et judéo-chrétiennes consiste précisément dans leur rapport aux textes, là très secondaires par rapport à la tradition orale, ici fondateurs et déterminants -- nos sempiternels problèmes de canon, d'exégèse et de traduction semblent affecter relativement peu les bouddhistes.
[P.S.: en cherchant un peu mieux je crois retrouver ici le texte source du canon pali, dont l'écriture daterait du Ier siècle avant ou après J.-C. (soit tout de même un bon demi-millénaire après l'époque attribuée à Gautama).]
Concernant cette analytique du désir -- je suis par coïncidence en train de lire un cours du jeune Heidegger sur les Confessions de saint Augustin qui s'en rapproche beaucoup -- on peut aussi penser à Romains 7 et à Jacques 1 (p. ex.). A propos de Jacques, ça me rappelle également qu'on y retrouve une formule de consonance très "bouddhique" (même si c'est un pur hasard) en 3,6: la langue (expression du "cœur" et donc du "désir" selon le topos évangélique) qui "enflamme la roue du devenir" (voire de la naissance, trokhos geneseôs)...
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Je me disais par ailleurs que devant cette problématique "centrale" du bouddhisme (le nœud du soi ou de l'identité, du désir, de l'attachement et de la souffrance) et tout ce qui lui ressemble (dans le christianisme mais aussi dans le stoïcisme et l'épicurisme p. ex.) nous ne sommes absolument pas égaux: c'est une question radicalement individuelle (au sens où elle s'adresse à l'individu, fût-ce pour questionner la notion d'individu) qui se pose très différemment (un peu, beaucoup, à la folie ou pas du tout) à chaque individu ou type d'individu -- selon l'époque et la civilisation, chez les riches et les pauvres, en ville et à la campagne, dans une famille nombreuse ou à un enfant unique par exemple (la légende du jeune prince tenu à l'écart de la souffrance et découvrant brutalement la condition humaine est à cet égard symptomatique). D'où l'importance que ce genre de question qui n'est ni forcément nécessaire ni accessible ni bénéfique à tout le monde, toujours et partout (encore le problème du pharmakon, remède et poison) soit enveloppée d'une "religion populaire" qui à la fois la préserve et en préserve ceux à qui elle ne convient pas (ou pas encore). |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: UNE RELIGION OU UNE PHILOSOPHIE Mar 07 Mar 2017, 17:41 | |
| La citation que j'ai donnée dans mon dernier message ne provient pas de Wikipedia mais d'un ouvrage écrit par Walpola Rahula (révérend cingalais) dans la collection Points Sagesse édition de 1961. Extrait du second chapitre sous le titre: "La Seconde Noble Vérité: Samudaya L'apparition de Dukkha - Narkissos a écrit:
- [P.S.: en cherchant un peu mieux je crois retrouver ici le texte source du canon pali, dont l'écriture daterait du Ier siècle avant ou après J.-C. (soit tout de même un bon demi-millénaire après l'époque attribuée à Gautama).]
C'est souvent le problème de ses prêcheurs qui soit ne jugeait pas nécessaire de mettre par écrit leur enseignement, soit pensait n'en avoir pas le temps. De plus de nombreux auditeurs de l'époque ne lisaient pas, d'où peut-être l'absence de corpus écrit. Je me demande si le Bouddhisme en tant que religion peut être un poison. Il n'y a pas d'obligation ni de sentiment de culpabilité qui est porté sur les épaules du méditant, certes il s'agit de se libérer par ses propres moyens de nombreux attachements, mais est-ce qu'avec l'âge certains-es n'en arrivent pas à la même conclusion? |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: UNE RELIGION OU UNE PHILOSOPHIE Mer 08 Mar 2017, 01:29 | |
| Wikipédia citait le même auteur (et apparemment la même phrase, bien que les deux citations ne soient pas exactement identiques).
Je ne pense pas que ce rapport différent à l'écriture soit un "problème", il convient certainement très bien à l'enseignement bouddhiste -- je le note simplement comme une différence dont il convient de tenir compte dans les "comparaisons".
En parlant de "poison" (et de "remède" !), je voulais seulement suggérer que le "fond" (sapiential ou "philosophique") de l'enseignement bouddhiste (ou chrétien d'ailleurs, dans l'appel à un certain "détachement" qui leur est parfois commun sous des formes assez différentes) ne convient pas forcément à tout le monde ni à tout moment de la vie (chose que j'avais tenté de souligner ici, entre autres, du côté chrétien). Il y a des gens (et des âges ?) qui ont besoin d'attachements, de "passions" et d'"illusions", et qui supportent très bien la souffrance qui en résulte -- faut-il les exhorter à se détacher, peuvent-ils seulement entendre une telle exhortation ? Cela dit, je suis convaincu que l'enseignement bouddhiste (au sens de la pratique de l'enseignement, de la "pastorale" si l'on veut) peut se montrer tout à fait attentif à ces différences et ne pas forcer les choses (je repense à la façon très intelligente dont le bouddhisme est dépeint dans certains films du cinéaste coréen Kim-ki-Duk, p. ex. Printemps, été, automne, hiver... et printemps -- l'auteur a d'ailleurs aussi des influences chrétiennes).
Une autre référence qui me revient à l'esprit est le roman Siddhartha de Hermann Hesse, qui m'avait beaucoup marqué il y a fort longtemps: malgré son nom, le protagoniste n'est pas le Bouddha, mais il le rencontre -- et renonce finalement à le suivre. L'énoncé du problème (le lien du désir et de la souffrance) lui suffit, il n'a pas besoin de la "solution". Réponse plutôt "hindoue" -- vue par un Occidental évidemment. A lire ou à relire. |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: UNE RELIGION OU UNE PHILOSOPHIE Mer 08 Mar 2017, 11:44 | |
| Merci de tes précisions, Narkissos, à propos de poison et de remède de l'enseignement de Bouddha. Tu as raison certaines personnes ont besoin et peut-être nous tous, d'une certaine façon, avons besoin des attachements et de la souffrance qu'il peut en résulter, c'est sans doute ce qui rend si difficile la pratique et confine le pratiquant lambda a de grands efforts et à une certaine mélancolie en pensant à sa vie. Avec le temps je me rends compte que le seul bien qui m'appartient réellement, c'est le temps et c'est celui que j'ai tendance à galvauder alors qu'il ne m'est pas possible d'en acheter; il n'y a pas de magasins vendant du temps dont on pourrait disposer sans compter. Cela me rappelle un passage de la Bible dans lequel le rédacteur demandait à Dieu de lui apprendre à bien compter ses jours Ps 90.12 Oui le roman de Herman Hesse est magnifique je l'ai lu avec grand plaisir. - Herman Hesse a écrit:
- Je le sais, dit Siddhartha dont le sourire brilla comme l'or. Je le sais, Govinda. Et nous voilà maintenant en plein dans le fourré des opinions, dans la dispute sur les mots. Je ne saurai le nier ; ce que je dis de l'amour est en contradiction, contradiction apparente, avec les paroles de Gautama. C'est pour cela que je me méfie tant des mots, car je sais que je suis d'accord avec Gotama. Comment admettre que lui n'ait pas connu l'Amour ; Lui qui avait reconnu la faiblesse et la fragilité de la nature humaine et qui pourtant poussa l'amour de l'humanité au point de se consacrer à elle pendant toute sa longue et pénible existence pour lui venir en aide et l'instruire ! Même chez Celui-là, qui fût ton maître, le plus grand parmi les maîtres ; la chose a plus de valeur à mes yeux que les paroles, sa manière de vivre et d'agir a plus de poids que ses discours, le seul geste de sa main plus d'importance que ses opinions. Ce n’est pas dans les discours ni dans le penser que réside sa grandeur ; mais dans ses actes, dans sa vie.
Ce qui est intéressant dans ce livre c'est cette idée, qui existe déjà dans le Bouddhisme, que le chemin enseigné par le Maître n'est pas unique et que l'on peut cheminer à ses côté sans nécessairement copier chaque pas de Bouddha. En fait l'enseignement premier veut que chacun-e puisse devenir également un Bouddha selon son interprétation, son vécu de l'enseignement primordial. (Si j'ai bien compris ce que je lis et entends). Bouddha ne parle pas d’amour et encourage celui ou celle suivant son enseignement à se détacher de toutes choses, même du détachement. Cela peut ainsi conduite le lecteur, l’auditeur à penser que Bouddha méprise l’amour, le fuit ; je pense qu’il rejetait une certaine forme d’amour mais qu’au contraire il mettait en valeur l’amour détaché de la possession qui nous a fait et qui nous fait encore tant souffrir. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: UNE RELIGION OU UNE PHILOSOPHIE Mer 08 Mar 2017, 15:59 | |
| Je me réjouis que tu aies lu et aimé Siddhartha ! (Pardon si nous en avions déjà parlé.) Pour les autres, le chapitre auquel je me référais est lisible ici (p. 35ss). (Ta citation est p. 126.)
Je croyais l'avoir déjà mentionné plus haut, mais apparemment non: Nietzsche est aussi à (re)lire sur ce sujet, en particulier là où il "critique" le "bouddhisme philosophique" de Schopenhauer. Il ne faut évidemment chercher ni chez l'un ni chez l'autre une représentation "exacte" du bouddhisme, mais les analyses nietzschéennes des analogies et des différences entre bouddhisme et christianisme (et stoïcisme et épicurisme) n'en sont pas moins intéressantes (à mon avis, souvent géniales). |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: UNE RELIGION OU UNE PHILOSOPHIE Mer 08 Mar 2017, 21:16 | |
| Petit écart j'ai découvert Herman Hesse à travers Siddhartha puis en lisant un second ouvrage de cet écrivain venu s'installer en Suisse, dans le canton du Tessin avant la 2e guerre mondiale: Le Jeu des perles de verre. fin de la digression.
Le Bouddhisme est une découverte, je devrais dire une redécouverte puisque avant mon passage chez les Témoins je m'étais déjà intéressé à cette religion-philosophie, mais de façon légère et sans sérieux. Apprendre à me détacher ne peut que m'être positif, même si cela parait assez compliqué pour mon esprit très occidentalisé et christianisé. Mais il ne me semble pas contraire de m'intéresser à ces deux courants qui présentent des points de convergence et des ruptures très nettes. Oublier la culpabilité que le christianisme a mis sur les épaules des croyants depuis des siècles et que certains systèmes religieux ne cessent d'utiliser pour tenir leur ouailles, voilà une démarche à laquelle je souscris sans difficulté tout en étant prudent quant à l'engagement demandé.
Bouddha a encouragé ces disciples de ne pas faire quelque chose qu'ils ne comprenaient pas, mais de continuer de pratiquer ce qu'ils comprenaient et de progresser dans ce domaine. Il déclara qu'avec le temps il viendrait un moment où ce qu'ils ne comprenaient pas au début deviendrait clair pour eux-aussi. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: UNE RELIGION OU UNE PHILOSOPHIE Mer 08 Mar 2017, 23:23 | |
| (Je rouvre la parenthèse sur H. Hesse pour y glisser ceci que j'ai sûrement déjà raconté: je l'ai découvert au Béthel -- sur le conseil judicieux d'un ami -- avec Le loup des steppes que j'ai relu aussitôt après l'avoir terminé, tant le choc avait été profond -- l'impression bouleversante de lire à bien des égards ce que je vivais et pensais sans vraiment le savoir; puis Narcisse et Goldmund; après seulement Siddhartha, le Glasperlenspiel et tout ce que j'ai pu trouver de lui.)
Ce que j'ai appelé (peut-être imprudemment) le côté "poison" du bouddhisme (à mes yeux indissociable de sa "vertu" ou de son "pouvoir", au sens où ce qui ne peut pas faire de "mal" ne peut pas non plus faire de "bien") est certainement beaucoup moins violent que son équivalent chrétien (ce qui ne veut d'ailleurs pas dire que sa "vertu" thérapeutique ou spirituelle soit moindre, cela même ferait un riche sujet de méditation). Au-delà du bouddhisme, c'est peut-être un trait commun de nombreuses religions et/ou sagesses orientales (cf. aussi la Bhagavad Gita ou le Tao te King, qui m'ont sans doute encore plus marqué que le bouddhisme; peut-être aussi parce que ce sont des textes que j'ai pu lire, alors que le bouddhisme ne m'était accessible que par des présentations encyclopédiques ou vulgarisatrices) que de cultiver un rapport aux dualismes très différent de notre logique exclusive (malgré quelques exceptions occidentales et chrétiennes remarquables, mais confidentielles, dans la mystique médiévale). Rien que cette leçon-là est extrêmement précieuse. |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: UNE RELIGION OU UNE PHILOSOPHIE Jeu 09 Mar 2017, 00:50 | |
| De nombreux ouvrages ont paru ces dernières années présentant les diverses tendances et écoles à l'intérieur du Bouddhisme, ce n'est pas seulement le fait de Vénérables asiatiques mais également occidentaux. Ainsi les explications et approches du Bouddhisme sont présentées par des personnes ayant notre perception des choses et notre approche des religions orientales. Cela a donné un élan de nouveauté, de plus les confessions et philosophies orientales ont un peu plus la côte que par le passé, sans doute du fait que de nombreux occidentaux ne se définissent plus comme religieux mais plutôt spirituels. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: UNE RELIGION OU UNE PHILOSOPHIE Jeu 09 Mar 2017, 16:05 | |
| Sans doute parce que mon rapport privilégié au christianisme passe par les textes (anciens), j'ai tendance à préférer aborder aussi les autres religions par leurs textes (anciens) -- même si j'ai toutes les chances de les comprendre de travers. Je me méfie (probablement à l'excès) des présentations modernes, parce que je me sens incapable d'y faire la part de la "tradition" et de l'"adaptation". Cela dit, à l'époque où mon intérêt était plus "religieux" que "philosophique", les textes bouddhiques anciens étaient moins accessibles que d'autres, aujourd'hui je vois bien que ce n'est plus le cas.
Pour clarifier un peu ma "position": ça fait très longtemps que je n'attends plus d'aucune de mes "lectures" (religieuses, philosophiques, littéraires, cinématographiques même) rien qui ressemble à une "vérité" absolue, ni une "solution" ou un "remède" à aucun "problème" ou à aucun "mal". Mais plutôt ce qu'on appelle des "clés de lecture", des "points de vue" ou des "perspectives" d'où les choses deviennent provisoirement lisibles et intelligibles -- des "vérités" si l'on veut, des "productions de vérité", mais relatives et situées. D'un tel point de vue (passant justement d'un point de vue à l'autre) je constate que tout est intéressant et rien n'est jamais décevant (et je remarque, puisqu'on en reparle, combien je suis pour ma part redevable de ce point de vue à H. Hesse, même si je ne l'ai pas relu depuis fort longtemps; point de vue auquel on peut bien sûr arriver par de tout autres chemins -- ou ne jamais arriver du tout, ce qui n'a, de ce point de vue, aucune importance). Reste que pour ma part et de ce point de vue particulier je ne peux que témoigner ou confesser mon infinie reconnaissance aux textes que j'ai eu la chance de lire (bien ou mal, peu importe pour autant qu'ils ont eu sur moi de l'effet). |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: UNE RELIGION OU UNE PHILOSOPHIE Sam 11 Mar 2017, 11:35 | |
| Je comprends bien ton point de vue; et ne me relisant je constate que je ne me suis pas bien exprimé. Ce qui me parait intéressant dans les ouvrages sortis ces dernières décennies, c'est qu'ils proviennent d'occidentaux qui savent combien il est difficile pour un "chrétien" de bien saisir la pensée de Bouddha aussi nous offrent-ils des passerelles pour mieux saisir la pensée indo-asiatique. Le texte lui-même, afin de fixer la pensée de Bouddha, écrit en pali est sans doute traduit le mieux possible sans trop de trahisons...
Cela ne change pas le fait qu'il est important de comprendre que le Bouddha ne cherche pas imposer une vérité puisque chaque pratiquant doit trouver de par ses efforts la manière de vivre, ce qu'il va découvrir en méditant c'est sa vérité. Il s'agit plus d'une explication sur la même meilleure façon de méditer plutôt que la description d'une vérité unique à découvrir. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: UNE RELIGION OU UNE PHILOSOPHIE Sam 11 Mar 2017, 16:24 | |
| Les "problèmes de traduction" ne sont jamais seulement ou strictement "linguistiques". Ils impliquent de proche en proche tout le tissu culturel qui constitue et conditionne le(s) sens d'un texte (écrit ou non) -- à la limite, on ne traduit que de l'intraduisible.
Dans le cas du bouddhisme, nous sommes à la fois aidés et trompés par une analogie évidente et grossière: celui-ci serait un "rejeton" de "l'hindouisme", comme le "christianisme" du "judaïsme" -- avec les idées de prolongement, de rupture et déplacement (géographique et culturel, autant que thématique et doctrinal) que cette "métaphore" (par excellence, puisque le mot méta-phore signifie justement déplacement, trans-lation, trans-port ou trans-fert) convoque.
Pour "comprendre le bouddhisme", il faudrait "comprendre l'hindouisme" (et en particulier les types d'hindouismes du Ier millénaire avant J.-C. avec et contre lesquels les premiers bouddhismes se sont constitués) -- et bien sûr tous les développements et ramifications ultérieurs du bouddhisme lui-même qui ont modifié sa doctrine et sa pratique d'un bout à l'autre de l'Asie, en attendant les "traductions" occidentales.
Pourtant toute expérience de lecture (ou d'écoute) court-circuite les médiations "savantes" que requiert une telle connaissance (paradoxalement nécessaires à la "compréhension" d'un phénomène qui n'a précisément pas eu besoin d'elles pour se manifester). Avec et malgré les contresens ou les malentendus, le texte nous "parle" (expérience que nous faisons tout aussi bien avec les textes bibliques, à ceci près qu'ils font partie de notre culture).
Cela étant, une différence majeure de la pratique bouddhique par rapport à la tradition judéo-chrétienne (qui en fait aussi tout l'attrait pour les Occidentaux) réside dans l'attention à l'immédiat-concret (posture du corps, respiration, etc.) par opposition aux "idées". Le plus lointain (culturellement) nous ramène au plus proche (existentiellement) -- à condition de ne pas se perdre dans l'exotisme. Et c'est certainement beaucoup plus "original" pour nous que ça ne l'était dans un contexte "original" (car c'est aussi le fond de la pratique hindoue, yogas etc.).
Mais là encore, il y a mille manières d'y réagir, et c'est peut-être aussi une question d'âge. Quand j'étais plus jeune, toute découverte d'une langue ou d'une culture étrangère suscitait en moi un désir d'assimilation, de moi à elle (désir et impossibilité d'être anglais, espagnol, portugais, allemand, juif, grec, indien, chinois ou japonais; et d'être de telle ou telle "religion" ou "philosophie" de la même manière); aujourd'hui je me réjouis plutôt de constater que ces divers contacts, plus ou moins superficiels, ont un peu changé mon regard -- que je me les suis un peu assimilés tout en restant fondamentalement ce que j'étais à l'intérieur de ma "propre" culture (chrétienne-occidentale-moderne). Il y a peut-être un âge où la "conversion" n'a plus de sens. (Je remarque d'ailleurs que cela rejoint les propos du Dalaï-Lama, et reste un peu plus perplexe à l'égard des Matthieu Ricard au crâne rasé et en robe safran, même si cela n'a au fond aucune importance.) |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: UNE RELIGION OU UNE PHILOSOPHIE Dim 12 Mar 2017, 02:27 | |
| Une religion, une philosophie continue son chemin amenant des modifications au corpus primordial. Il nous est bien difficile de connaître ce qui existait au moment ou Bouddha enseignait ses disciples. Cela est valable pour le christianisme que nous connaissons de nos jours, il n'est déjà plus le même que celui pratiqué à la fin du 19e siècle. Est-ce un mal ou un bien?
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| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: UNE RELIGION OU UNE PHILOSOPHIE Dim 12 Mar 2017, 12:09 | |
| Le Bouddhisme se différencie de l’Hindouisme notamment dans son absence de castes comme elles existent dans l’Hindouisme, mais aussi par le fait de ne pas adorer de Dieux personnels ce qui est une particularité de la grande religion de l’Inde. Je n’ai pas étudié l’Hindouisme non par manque d’intérêt mais plus par manque de temps. Le temps étant ce seul bien que l’on ne peut acheter dans aucun magasin et qui s’échappe avec la régularité d’un sablier.
Les premiers contacts avec le Bouddhisme sont très agréables tant cette religion ne semble énumérer de préceptes, lois à suivre ; en fait le pratiquant doit suivre 5 préceptes que l’on peut résumer brièvement ainsi :
Ne pas porter atteinte à la vie de tout être vivant, Ne pas voler (ne pas prendre ce qui ne nous est pas donné) Se garder de paroles inutiles et grossières (bavardages, mensonges) Avoir une conduite sexuelle correcte, juste (pas d’adultère ) Eviter les substances pouvant atteindre l’esprit et tromper le jugement (abus d’alcool, pas de drogues)
De plus nous autres occidentaux sommes attirés par la pratique de la méditation qui apporte de grands bienfaits à nos corps et esprits stressés par notre mode de vie, d’ailleurs des médecins américains ont mis au point en partant de la méditation bouddhiste une méthode dépourvue de toute référence religieuse, mind fullness, la pleine conscience, pratique consistant à se concentrer sur un sujet, une image afin d’atteindre un calme nous procurant un apaisement et de découvrir la force de notre esprit.
Des personnes sont devenues bouddhistes et même ont revêtues l’habit de religieux, certainement parce qu’elles étaient attirées non seulement par le côté philosophique du Bouddhisme mais également par le cultuel. Seraient-elles devenues un jour religieuses si elles étaient demeurées chrétiennes ?
Chacun va selon son pas et son chemin passe là où il se sent attiré quel qu’en puisse être la difficulté, la particularité ; ce n’est pas une question d’âge, de culture, voire d'instruction mais plutôt de ressenti. C’est vrai des autorités religieuses bouddhistes, telles le Dalaï-Lama, n’encouragent pas les occidentaux à changer de religion, d’ailleurs aucun bouddhiste ne fait de prosélytisme au contraire de la religion chrétienne.
Je me suis posé la question quant aux religions qui existaient au début de l’ère chrétienne dans nos contrées. Le christianisme n’a-t-il pas paru exotique aux yeux des habitants de l’Europe ? |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: UNE RELIGION OU UNE PHILOSOPHIE Dim 12 Mar 2017, 12:55 | |
| - le chapelier toqué a écrit:
- Une religion, une philosophie continue son chemin amenant des modifications au corpus primordial. Il nous est bien difficile de connaître ce qui existait au moment ou Bouddha enseignait ses disciples. Cela est valable pour le christianisme que nous connaissons de nos jours, il n'est déjà plus le même que celui pratiqué à la fin du 19e siècle. Est-ce un mal ou un bien?
Ça devrait en tout cas moins gêner une doctrine de l'impermanence (celle du Bouddha comme celle d'Héraclite ou d'Anaximandre) que beaucoup d'autres ! Il n'y a pas de corpus, si primordial soit-il, qui ne soit traversé de différ ance au sens où l'écrit Derrida (en un sens qui ne se laisse justement ni réduire ni ramener à un sens): pas même de texte, si court soit-il, où une "pensée" se tienne du début à la fin sans s'échapper à elle-même, sans différer d'elle-même, sans s'altérer (devenir autre), ne fût-ce que par sa réitération (la deuxième fois n'étant pas la première, ni la première première sans la deuxième, etc.), de telle façon que rien n'y revienne jamais au même. Mon goût "idiosyncrasique" (manie perso-professionnelle) pour les textes "originaux" ne se résume plus à une recherche d'"autorité" (le préjugé de l' arkhè, selon lequel en principe le "commencement" vaudrait mieux que la suite -- comme si un commencement était jamais séparable de ses suites et de ce qui le précède), même s'il en dérive: c'est sans doute une certaine recherche d'"autorité" qui m'a porté au départ vers "la Bible" et ses langues "originales", mais le sens de cette démarche s'y est comme renversé. C'est plutôt pour apprécier le mouvement qui remonte au-delà ou en-deçà de toute trace et ne s'arrête jamais que les moments où se constituent des "originaux" relatifs, où apparaissent des phénomènes relativement "nouveaux", sont relativement "privilégiés" -- même si l'originaire est coextensif à toute l'histoire, et accessible ici et maintenant autant que n'importe où et n'importe quand (qui est à chaque fois un ici et maintenant). - Citation :
- De plus nous autres occidentaux sommes attirés par la pratique de la méditation qui apporte de grands bienfaits à nos corps et esprits stressés par notre mode de vie, d’ailleurs des médecins américains ont mis au point en partant de la méditation bouddhiste une méthode dépourvue de toute référence religieuse, mind fullness, la pleine conscience, pratique consistant à se concentrer sur un sujet, une image afin d’atteindre un calme nous procurant un apaisement et de découvrir la force de notre esprit.
Il y a toujours un risque de "contresens", comme celui que Jung dénonçait à propos de l'usage occidental du yoga: la perte de "soi" passant du statut de "fin" à celui de "moyen" en vue d'un développement de "soi". Mais d'une part ce contresens fait probablement partie intégrante du jeu, même "original" (comme dans l'évangélique "perdre son âme pour la sauver"), d'autre part il peut très bien constituer une expérience authentique pour les Occidentaux-modernes qui la vivent -- et peut-être d'autant mieux que ceux-ci, contrairement aux "croyants" des religions traditionnelles, se considèrent effectivement comme des "êtres finis", sans espoir ni crainte d'un "soi après la mort" (mais se considèrent-ils vraiment ainsi ? cf. infra). - Citation :
- Seraient-elles devenues un jour religieuses si elles étaient demeurées chrétiennes ?
Probablement pas, en effet. Et à mon sens cela interroge surtout les traditions chrétiennes. Cela = qu'un tel "dépaysement" culturel soit effectivement nécessaire à beaucoup pour trouver ce qu'ils auraient pu aussi trouver dans leur propre "tradition", mais qui leur était finalement moins accessible dans cette tradition que dans une tradition "étrangère". C'est d'autant plus vrai si l'on étend la tradition occidentale à sa "modernité": a priori, une vision strictement "matérialiste" ou du moins "scientifique" du monde est beaucoup plus propice à une expérience de l'"impermanence" de "soi" et des "choses" qu'un imaginaire "judéo-chrétien" ou que l'imaginaire hindou sur lequel se détache l'enseignement bouddhique (réincarnation, karma etc.). L'extinction y apparaît en effet comme le sort inévitable de tout vivant (pour parodier Céline: le nirvana à la portée des caniches), qu'il suffirait de regarder sobrement pour accéder à une pensée de l'impermanence. Mais c'est trop simple pour une "spiritualité" qui doit faire un détour (et parfois le tour du monde) pour en revenir là. Le phénomène de la mort (qui apparaît à chacun sous l'espèce de la mort des autres, à soi promise aussi mais toujours incroyable, inappropriable, inassimilable en profondeur) nourrit toute religion, toute philosophie, toute spiritualité, toute pensée, qui ne s'y affronte qu'en l'évitant d'une manière ou d'une autre (parabole). Tout est dans la manière: celle du bouddhisme paraît à coup sûr moins détournée que celle du christianisme (au moins dans ses versions populaires), en ce que la "perte de soi" n'y est pas seulement présentée comme "moyen", mais aussi comme "fin" (heureuse). Mais il y a encore du détour pour autant qu'il y a un moyen, une médiation rituelle, morale ou spirituelle, et que la fin heureuse est distinguée de l'évidence commune de la mort, qu'elle doit être de quelque façon "gagnée" et "méritée". La "grâce" chrétienne se lirait mieux dans un "matérialisme" post-chrétien, mais il lui faut quand même un petit détour (par une réception partielle de l'intuition bouddhique, p. ex.) pour rendre la fin "heureuse". (Voir aussi ici.) - Citation :
- ... d’ailleurs aucun bouddhiste ne fait de prosélytisme au contraire de la religion chrétienne.
C'est peut-être un peu vite dit. Au fond le prosélytisme est un comportement très naturel: communiquer, partager, attirer, séduire, influencer, argumenter, convaincre, ça fait partie des relations humaines, je ne vois pas comment on pourrait ni pourquoi il faudrait en exclure cette dimension. Mais pour des raisons historico-politiques les religions sont plus ou moins prudentes à cet égard (les Eglises d'Orient plus prudentes que les évangéliques américains p. ex.). - Citation :
- Je me suis posé la question quant aux religions qui existaient au début de l’ère chrétienne dans nos contrées. Le christianisme n’a-t-il pas paru exotique aux yeux des habitants de l’Europe ?
Sûrement. Mais c'était précisément une époque où l'exotisme était à la mode, surtout dans les "classes moyennes" et "cosmopolites" des grandes villles (culte d'Osiris ou de Mithra à Rome, p. ex.). "Bobos" avant la lettre ? C'est en tout cas un certain déracinement géographique et culturel qui a fait, dans de tels milieux, la fortune des "cultes à mystères" (dont le christianisme paulinien) qui proposaient justement un "enracinement" symbolique et artificiel (et néanmoins susceptible d'"authenticité" comme n'importe quelle "expérience"). --- P.S.: après coup, les "cinq préceptes" m'ont fait repenser à la banalité de la morale du NT (en particulier dans ses écrits les plus tardifs). La "nouveauté" de la doctrine est essentiellement négative -- comme la négation des dieux dans le premier monothéisme juif, d'ailleurs à peu près contemporain du bouddhisme, ou la théologie de la croix chez Paul: c'est à chaque fois la négation qui est "radicale" et (paradoxalement) "fondatrice" (d'où l'analyse nietzschéenne qui y discerne autant d'avatars du "nihilisme"). Mais quand il s'agit de "faire de la morale", la nouveauté n'a rien de nouveau à dire, et elle se replie tout naturellement sur le consensus de son temps et de son milieu: les différences entre une "morale chrétienne" et une "morale bouddhiste" sont à peu près celles qui existent aussi entre une morale juive ou gréco-romaine d'une part et hindoue d'autre part (un plus grand respect de l'animal ici que là, notamment; à part ça -- qui n'est certes pas rien -- pas grand-chose). --- Autre piste, battue et rebattue mais à mes yeux toujours intéressante: une différence fondamentale (d'esprit, de tonalité, de méthode, de tout ce qu'on voudra) entre le christianisme occidental (ce serait beaucoup moins vrai des christianismes orientaux, et encore moins des christianismes gnostiques) et le bouddhisme s'exprime peut-être par le contraste de deux images: le Christ souffrant et le Bouddha souriant. |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: UNE RELIGION OU UNE PHILOSOPHIE Sam 14 Mar 2020, 15:48 | |
| Pratiquant bouddhiste depuis un peu plus de 3 ans il m’apparait de plus en plus combien il s’est avéré nécessaire pour les porteurs de l’enseignement de Bouddha de s’adapter.
Celles et ceux qui ont reçu cet enseignement pratiquaient déjà une autre forme de culte dès lors les moines partageant leurs connaissances n’ont pas voulu éradiquer ce qui existaient avant leur venue. Ils se sont mis à enseigner les sutras de l’éveillé tout en aidant leurs auditrices, leurs auditeurs à saisir qu’il existait une vérité conventionnelle et une vérité absolue.
Ainsi certaines choses nous apparaissent comme définitives alors qu’elles sont le résultat d’un long processus de changements. Pensons au livre que nous pouvons tenir dans notre main. Il n’existe pas en tant que tel dans la nature. Il est le fruit d’une longue transformation depuis la fabrication du papier, de l’écriture après réflexion de son auteur, autrice, puis il a été imprimé et mis en page et enfin s’est trouvé sur le rayon d’une librairie ou nous avons pu l’acquérir.
En lui-même il contient une vérité, son texte, que nous pouvons apprécié ou ne pas aimer, il nous apporte quelque chose que nous pouvons partager à notre tour. Mais sans toutes les diverses étapes qui ont conduit à son écriture, puis son impression et enfin son édition, il ne représenterait rien. Nous nous trouvons aux confins de la vérité conventionnelle qui nous fait approcher du livre et de la vérité absolue qui nous aide à comprendre que peu de choses sont vraies, absolues telles que nous les voyons. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: UNE RELIGION OU UNE PHILOSOPHIE Sam 14 Mar 2020, 17:30 | |
| [Rien n'est vrai : tout est vrai (et inversement), c'est une formule à laquelle on peut arriver par beaucoup de chemins, ou n'arriver jamais, et qu'on peut aussi bien répéter sans la comprendre, sur un mode (plutôt) "religieux" ou "philosophique". Cela ne s'enseigne ni ne s'apprend, même si cela s'enseigne et s'apprend, de sorte qu'il n'y a pas plus de risque que d'intérêt à le dire ou à le taire.] |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: UNE RELIGION OU UNE PHILOSOPHIE Dim 15 Mar 2020, 14:59 | |
| J’ai peur de m’être mal exprimé.
Ce qui m’aparaît en parlant de vérité conventionnelle et vérité absolue ne se réfère pas seulement à la métaphysique, mais a un étroit rapport avec le fait que nous sommes ainsi que les choses interdépendants.
Une table (en bois par exemple) est un objet bien pratique pourtant on ne s’attend pas dans l’absolu à la trouver tel que nous la découvrons au magasin. Il a fallu d’abord que le bûcheron abatte un arbre puis débite un tronc d’arbre ensuite que ce tronc soit découpé et les pièces composant la table usinées et enfin montées ensemble. Cela peut sembler banal à énoncer, à lire pourtant nous parlons d’une table comme s’il s’agissait de quelque chose existant en tant que tel.
Être conscient de ce fait permet de prendre du recul, de se détacher des idées, des concepts que notre esprit tant à modéliser. Dans la philosophie bouddhiste ce processus de « démontage » aide à la réflexion se rapportant à la souffrance, à l’insatisfaction (Dukkha) que nous pouvons ressentir en de nombreuses occasions. Lorsque nous ne pouvons pas éviter une situation que nous redoutons, ou lorsque nous quittons des amis que nous aurions continués de côtoyer avec plaisir. La naissance est une source de souffrances tant pour la mère et l’enfant puis vient la maladie, la vieillesse et enfin la mort. Méditer sur notre interdépendance, sur la réalité conventionnelle des choses, de la vie libère et aide à mieux vivre maintenant à l’instant présent.
Avec Metta. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: UNE RELIGION OU UNE PHILOSOPHIE Dim 15 Mar 2020, 15:50 | |
| J'avais mis mon post entre crochets parce que j'étais bien conscient que ce n'était pas une réponse, mais c'est tout ce qui m'est venu sous les doigts, sinon à l'esprit, à la lecture du tien et à la relecture de ce fil. J'ai failli le supprimer ensuite et je me suis dit que ça aussi pouvait être interprété de travers...
En fait je me sens foncièrement d'accord avec ce que tu écris, même si je le comprends à ma manière: le langage, les noms et les nombres, les verbes, les sujets et les objets, le symbolique et l'imaginaire au sens de Lacan, tout cela nous coupe radicalement du réel dans la mesure même où cela nous permet de le manipuler. C'est peut-être une "vérité", et "absolue" comme tu dis, mais par là même tout aussi bien le contraire d'une "vérité", si une "vérité" c'est précisément un énoncé conventionnel, définissable et relatif à quelque "chose". Méditer sur cette limite, limite du langage et de la représentation et aussi de toute "réalité" telle que nous pouvons la dire et la concevoir, "bord" sans autre côté pensable, c'est en effet à peu près tout ce que "nous" pouvons faire, en attendant que l'illusion même du "nous" passe... |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: UNE RELIGION OU UNE PHILOSOPHIE Jeu 08 Juil 2021, 15:08 | |
| - Narkissos a écrit:
- En fait je me sens foncièrement d'accord avec ce que tu écris, même si je le comprends à ma manière: le langage, les noms et les nombres, les verbes, les sujets et les objets, le symbolique et l'imaginaire au sens de Lacan, tout cela nous coupe radicalement du réel dans la mesure même où cela nous permet de le manipuler. C'est peut-être une "vérité", et "absolue" comme tu dis, mais par là même tout aussi bien le contraire d'une "vérité", si une "vérité" c'est précisément un énoncé conventionnel, définissable et relatif à quelque "chose". Méditer sur cette limite, limite du langage et de la représentation et aussi de toute "réalité" telle que nous pouvons la dire et la concevoir, "bord" sans autre côté pensable, c'est en effet à peu près tout ce que "nous" pouvons faire, en attendant que l'illusion même du "nous" passe...
On pourrait également parler de réalité ultime plutôt que de vérité absolue. Cela me parait plus approprié pour décrire ce que le Bouddha envisageait à propos du regard que l'on peut poser sur les gens et les choses qui nous entourent. Je reconnais que c'est un peu déstabilisant de raisonner ainsi car nous sommes trop habitués à imaginer que tout reste en l'état alors que c'est le contraire qui se déroule sous nos yeux. Nous voilà donc contraints de tenter de trouver de nouveaux repères auxquels nous accrocher. Certes, nous sommes habitués à voir les personnes vieillir, les enfants prendre de l'assurance en prenant de l'âge, mais cela semble se passer dans un temps suffisamment long nous permettant de nous habituer aux changements comme si nous les acceptions sans difficulté; alors qu'il s'agit là d'un exercice d'équilibre tenaillés que nous sommes entre le désir de retenir le temps afin d'en profiter les plus possible et d'accepter de voir les gens et les choses évolués comme cela peut nous paraitre possible et acceptable. Sans doute est-ce cela que le Bouddha dénommait Dukkha soit la souffrance, l'insatisfaction, le mal-être. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: UNE RELIGION OU UNE PHILOSOPHIE Jeu 08 Juil 2021, 16:56 | |
| "Réalité" est un mot tout aussi piégé que "vérité": déjà parce qu'il renvoie à la "chose" (res en latin, d'où realis etc.) -- or ce qui est en question dans la notion d'"impermanence" c'est bien la "chose" même, ce qui fait d'une "chose" une "chose", toujours la même "chose", distincte de toutes les autres "choses" et identique à elle-même (X = X), que ce soit comme "objet" ou comme "sujet" d'une action ou d'un état, y compris le "devenir". Rien (autre dérivé de res, aucune "chose") n'est en ce sens que rien n'est exactement ni simplement "soi-même", séparable de tout "le reste" et demeurant "soi-même" tout en devenant "autre chose".
Lacan distinguait la "réalité" qui pour lui relevait de "l'imaginaire", c'est-à-dire d'une construction quasi visuelle (de l'image, comme les "idées" platoniciennes de l'eidos, forme sensible: video est en latin de la même famille indo-européenne, comme en grec oida "savoir", on pourrait presque écrire "ça-voir") subsumant le verbal ou le "symbolique" et le "réel" et les organisant comme sur une carte ou un plan cohérent où chaque "mot-chose" a sa place -- (il distinguait donc cette "réalité") du "réel" précisément, le "symptôme" répétitif ou la "chose" sur laquelle on bute maintes fois avant de pouvoir lui donner un nom (symbole) et éventuellement une place dans une "réalité" imaginaire (pour prendre un exemple classique mais simplificateur, le "réel" c'est la table contre laquelle je me cogne dans l'obscurité, sans pouvoir la nommer, sans savoir que c'est "une table", contrairement à "la table" de la réalité-imaginaire, dont je sais ce qu'elle est qu'il y en ait "réellement" une ou non, et à partir de laquelle je peux reconnaître et nommer n'importe quelle "table" comme "une table").
Reste au-delà comme en-deçà de toute construction ou dé(con)struction de "réalité-imaginaire" l'évidence qu'il y a -- autrement dit "l'être", à condition qu'on ne se le figure pas comme un "étant", c'est-à-dire comme "quelque chose". Et cela peut aussi bien ou aussi mal se nommer "réalité ultime" puisque aucun nom, par (in-)définition, ne lui convient.
---
L'idée de dukkha, pour ce que j'en comprends, me semble intéressante, s'il y va bien d'une sorte de métonymie du "frottement" au sens physique du terme, comme dans notre "dys-fonctionnement". Même si l'on parvenait à ne plus rien imaginer de "permanent", rien que du "devenir" ou de l'"événement" sans "sujet" ni "objet" constant, il n'en résulterait pas un "flux" uniforme, mais une différence (différance) infinie du ou des flux même(s): le rythme et le tempo des montagnes ou des constellations ne sont pas ceux des vagues, ni des nuages, ni des saisons, ni des arbres ni des hommes; effets de différence, de surfaces, de contact et de frottement, non seulement toute "souffrance" ou toute "gêne", mais aussi bien toute perception, toute conscience, tout plaisir, tout désir; la caresse comme le supplice. |
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