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 la vie éternelle

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Narkissos

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MessageSujet: Re: la vie éternelle   la vie éternelle - Page 2 Icon_minitimeVen 17 Fév 2017, 15:46

"Paul" en effet c'est autre chose: il ne cherche pas à faire danser les mots et les concepts, surtout pas en rond, mais à les enchaîner logiquement et rhétoriquement dans une direction déterminée et déterminante, d'un progrès ou d'une avancée irréversible, sans retour; c'est un penseur linéaire, pas forcément rectalinéaire ni monolinéaire, de la ligne droite ou de la ligne unique, mais d'une linéarité ouverte qui ne devrait pas se mettre en boucle, sauf par accident (car évidemment ses raisonnements se recoupent et s'emmêlent souvent, et ça se voit, mais c'est toujours un mauvais pas dont il essaie de se dégager violemment, par dénégation interjective, mè genoito, "jamais de la vie", "à Dieu ne plaise"; ce n'est pas un effet voulu, bien au contraire). Pensée historique, dialectique, progressiste, tous ces adjectifs manifestement anachroniques en disent quand même quelque chose de profondément juste. Le geste paulinien, hegelien, marxiste est fondamentalement le même, qui dit que l'histoire ne tourne pas en rond mais va quelque part, que son avenir n'est pas réductible ni reconductible à son passé (que ce geste se répète n'en est pas la moindre ironie).

La vie et la mort, la chair et l'esprit, le bien et le mal, toutes les dualités se laissent si naturellement construire en cercle et en cycle qu'il faut une certaine violence héroïque pour les arracher au cercle et leur imposer, même provisoirement, la direction artificielle d'un progrès irréversible: d'une victoire décisive de la vie sur la mort, de l'esprit sur la chair, du bien sur le mal. Je dis provisoirement car au bout du bout la pensée "progressiste" de Paul se laisse quand même recycler par un horizon circulaire (le très stoïcien "Dieu tout en tous"). Mais en attendant il y a là un moment de bravoure, que le recyclage final n'annule pas sans lui conférer aussi une certaine "gloire", "éternelle" à sa manière (et "Paul" tient peut-être plus à la "gloire éternelle" qu'à la "vie éternelle").
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MessageSujet: Re: la vie éternelle   la vie éternelle - Page 2 Icon_minitimeVen 17 Fév 2017, 16:11

Merci Narkissos.

comme l’écrivait A. Gesché, en écho à saint Augustin, « dans la vie éternelle, ce n’est pas nous d’abord que nous allons retrouver, mais lui [Dieu] que nous allons rencontrer . Ce qui donne de la substance à cette vie, l’empêche de se diluer dans une simple subsistance, c’est la grâce d’une rencontre, d’une alliance, d’une communion. L’homme n’y est pas seul. Sa vie est comblée par Dieu. Ce qu’il a cherché, souvent dans l’obscurité, et qu’il trouvera en définitive, ce n’est pas lui mais l’Autre. Le nouveau monde vécu, qu’on me pardonne l’expression, annonce un monde de vie avec Dieu et en Dieu, un monde qu’il est donné au croyant d’éprouver déjà, selon les fortes paroles de Paul : « Oui, j’en ai l’assurance, ni la mort ni la vie […] rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus Christ notre Seigneur » (Rm 8,38-39); « soit que nous vivions, soit que nous mourions, nous sommes au Seigneur » (14,Cool.

https://www.cairn.info/revue-des-sciences-philosophiques-et-theologiques-2007-4-page-693.htm
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Narkissos

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MessageSujet: Re: la vie éternelle   la vie éternelle - Page 2 Icon_minitimeVen 17 Fév 2017, 18:14

Très beau texte -- qui m'a curieusement fait penser après coup à cette remarque de Guitry: "Ô privilège du génie ! Lorsqu'on vient d'entendre un morceau de Mozart, le silence qui lui succède est encore de lui."

Avec ou sans génie, faisons-nous jamais autre chose, en philosophie ou en théologie comme par n'importe quel discours, pensée, activité ou inactivité, que de tenter de marquer, d'impressionner ou d'aménager le silence qui suit, comme s'il s'agissait d'y laisser une empreinte imperceptible (oxymore), ou de se rendre à soi-même habitable ce qu'il n'est pourtant pas question d'habiter ? Silence indifférent dans un sens, toujours différent dans tant d'autres.

Aucun rapport avec le sujet ? Pas sûr.

Je serais même tenté de parodier ainsi le paradoxe évangélique: qui veut inscrire son nom ou son identité dans "la vie éternelle" n'y parviendra jamais, qui voudrait au contraire l'en effacer le verra malgré lui s'y réinscrire. (Variante: l'imagination de "soi" après "soi" est toujours décevante, l'imagination d'un "après" sans "soi" est toujours frauduleuse: on n'imagine rien sans s'y réintroduire en douce, ne serait-ce qu'à la place du spectateur.)
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le chapelier toqué

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MessageSujet: Re: la vie éternelle   la vie éternelle - Page 2 Icon_minitimeVen 17 Fév 2017, 19:42

L'idée de rencontrer d'abord Dieu avant de nous retrouver (éventuellement) est intéressante et belle, ce n'est pas ce que j'ai entendu chez les TJ et pas souvent mis en valeur chez les catho.
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Narkissos

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MessageSujet: Re: la vie éternelle   la vie éternelle - Page 2 Icon_minitimeVen 17 Fév 2017, 21:09

Même chez les TdJ l'idée n'est pas complètement absente: je me souviens d'un argumentaire (qui a dû ressortir régulièrement avec quelques variantes formelles) en réponse à la question "la vie éternelle (comprise au degré zéro comme prolongation infinie de l'existence humaine, individuelle, terrestre, corporelle, de frère Dugenou ou de sœur Tartempion) ne serait-elle pas ennuyeuse ?" (Question d'autant plus pertinente qu'il s'agirait effectivement de "se faire chier" sans fin, au sens non seulement figuré, mais aussi propre, si l'on peut dire, de l'expression populaire.) Après avoir épuisé en vain les platitudes (il y aura ceci et cela à faire, mais l'éternité c'est toujours plus long que ceci et cela: c'est bien le "vers la fin" qui pose problème), on en arrivait enfin, tout à la fin, à la seule chose qui avait quelque chance d'être à la hauteur, ou plutôt à la longueur, de l'éternité: connaître Jéhovah, Dieu donc comme infini et inépuisable.

Dans le catholicisme c'est une réponse très classique, d'autant qu'elle se combine heureusement avec une conception plus grecque, a-temporelle, de "l'éternité" (cf. saint Augustin, entre autres). Mais ce n'est pas pour autant une réponse populaire, parce que la question populaire présuppose quand même la "vie éternelle" comme continuation de la vie présente, quoique sous une "forme" un peu moins corporelle (malgré la croyance officielle à la "résurrection de la chair"), en tout cas moins "terrestre".

---

Je reviens un peu sur mon post précédent: il n'y a certes aucune raison de tourner en dérision les espérances de survie-après-la-mort, quelles qu'elles soient, dans la mesure où ceux qui ne les partagent pas sont bien obligés d'envisager aussi un "après-la-mort", en s'imaginant ce temps où ils ne seront plus comme s'ils devaient y être encore. Mais cela qui peut paraître justifier tous les discours sur l'au-delà doit être compensé par ceci: il y a aussi un grand mérite et une grande utilité, y compris théologique, à s'efforcer de penser autant que possible l'évidence impensable, la mort comme fin de soi, fin de sujet et fin d'identité, irréversible, indépassable, incontournable -- autrement dit, à tâcher de prendre la mort au sérieux. Les discours sur la "vie éternelle", si subtils, dialectiques et raffinés qu'ils soient (ils ne le seraient d'ailleurs pas tant s'ils ne se heurtaient pas à la réalité de la mort), sont trop souvent prétextes à l'évitement de la pensée de la mort. En ce sens un "matérialisme" qui rappelle sobrement, sévèrement et prosaïquement ce qu'est la mort, ce qu'on en sait parfaitement et même trop bien, rend un grand service à la "spiritualité": pour autant que celle-ci ne se laisse pas aller à l'évitement ou au déni de la mort comme fin de "soi", elle a quelque chance de devenir vraiment "spirituelle", et de retrouver par la même occasion le sens et la vitalité paradoxale de ses sources traditionnelles (où "la vie éternelle" est précisément corollaire d'une mort comprise et anticipée comme fin de "soi").

---

Je me suis souvenu (un peu tard) de ce fil.

Le rapport entre 1) "l'éternité" comme non-temps, comme indifférence au temps, à la réalité des "choses" et à l'actualité des "événements", telle qu'elle se pense exemplairement à partir des vérités mathématiques, qui ne meurent pas parce qu'elles ne naissent ni ne vivent, parce qu'elles "sont" sans "arriver" ni "se produire", éternité donc opposée en principe au vivant et à l'événement en général, et 2) la "vie éternelle" est singulièrement complexe. Dans un sens il n'y a aucun rapport et pourtant il ne cesse d'y avoir rapport, collusion secrète et contamination de toutes les éternités pensables, si étrangères et irréductibles qu'elles soient les unes aux autres. L'éternité graphique et grammaticale de l'accompli, du parfait, du passé ou du futur antérieur qui est intrinsèquement liée au concept d'"être", s'il y a rien de tel qu'un concept d'être (cela a été, cela aura été, personne, pas même Dieu, ne pourrait faire que ce qui a été n'ait pas été), capture bien de l'événement, du mouvement, du vivant, du temporel dans une sorte de vitrification intemporelle ou transtemporelle, "objective" ou "factuelle". Et cette éternité-là est présente dans le plus banal de nos constats (c'est arrivé, ça arrive, c'est comme ça, on n'y peut rien, etc.). L'événement, le vivant s'inscrit, s'éternise en s'inscrivant, dans notre tête ailleurs que dans notre tête, nulle part peut-être mais comme dans un livre, un livre de vie par exemple; on peut appeler ça la mémoire, mais une mémoire à laquelle l'oubli même ne changerait rien, au contraire: l'oubli serait en un sens plus fidèle à la vérité indélébile de l'accompli que la mémoire "vive" qui la menace toujours de transformation et de déformation. Et puis, irréductible a priori à tout ce qui précède, il y a l'éternité du présent toujours présent, du présent curseur où tout arrive et rien n'arrive, où rien ne rentre et dont rien ne sort jamais. Toutes ces éternités se distinguent en principe et communiquent subtilement, étant toujours suspectes, "quelque part", de n'en faire qu'une. Mais je radote. Décidément. Beaucoup.
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MessageSujet: Re: la vie éternelle   la vie éternelle - Page 2 Icon_minitimeLun 20 Fév 2017, 15:14

Citation :
Je reviens un peu sur mon post précédent: il n'y a certes aucune raison de tourner en dérision les espérances de survie-après-la-mort, quelles qu'elles soient, dans la mesure où ceux qui ne les partagent pas sont bien obligés d'envisager aussi un "après-la-mort", en s'imaginant ce temps où ils ne seront plus comme s'ils devaient y être encore. Mais cela qui peut paraître justifier tous les discours sur l'au-delà doit être compensé par ceci: il y a aussi un grand mérite et une grande utilité, y compris théologique, à s'efforcer de penser autant que possible l'évidence impensable, la mort comme fin de soi, fin de sujet et fin d'identité, irréversible, indépassable, incontournable -- autrement dit, à tâcher de prendre la mort au sérieux. Les discours sur la "vie éternelle", si subtils, dialectiques et raffinés qu'ils soient (ils ne le seraient d'ailleurs pas tant s'ils ne se heurtaient pas à la réalité de la mort), sont trop souvent prétextes à l'évitement de la pensée de la mort. En ce sens un "matérialisme" qui rappelle sobrement, sévèrement et prosaïquement ce qu'est la mort, ce qu'on en sait parfaitement et même trop bien, rend un grand service à la "spiritualité": pour autant que celle-ci ne se laisse pas aller à l'évitement ou au déni de la mort comme fin de "soi", elle a quelque chance de devenir vraiment "spirituelle", et de retrouver par la même occasion le sens et la vitalité paradoxale de ses sources traditionnelles (où "la vie éternelle" est précisément corollaire d'une mort comprise et anticipée comme fin de "soi").


- L’être humain comporte aussi une dimension spirituelle, et cette dimension spirituelle n'est pas atteinte par la mort physiologique. Par contre, l'homme peut être vivant biologiquement, et être atteint de mort spirituelle. Celle-ci consiste en une « mort-vivante de l'être », en une « absence », un vide, un non-être, une mort avant la mort, une mort avant même de vivre (cf. Mt 8, 22). Mais si nous sommes vivants spirituellement, la mort biologique n'est alors que la rupture du cordon ombilical qui nous relie à l'univers physique. Cette mort, mettant un terme à la gestation qu'est l'existence terrestre, apparaît comme une naissance à la vie définitive, un passage du monde visible au monde invisible faisant continuer sous une forme transfigurée la vie déjà commencée ici-bas.

        Selon Zundel, la vie éternelle, ou sur-vie, commence sur cette terre: nous ne serons vivants éternellement que si nous sommes réellement vivants aujourd'hui. La vie éternelle commence en ce monde, elle est au-dedans de nous, tout comme le Royaume de Dieu (Lc 17, 20-21):

« La vie éternelle: on y est déjà ou pas du tout; on y est ou on n'y sera jamais. [...] "La vie éternelle est au-dedans de vous"». « Il ne s'agit pas, en effet, de connaître le lieu où nous irons après la mort, il ne s'agit aucunement d'un après dans le temps ou dans l'espace, il s'agit d'un au-delà qui est au-dedans. Cela veut dire qu'il s'agit de vaincre la mort ici-bas, dès aujourd'hui, tellement que le vrai problème n'est pas de savoir si nous vivrons après la mort, mais si nous serons vivants avant la mort ».

Cette vie éternelle n'est pas un rallongement de notre vie biologique, elle est dépassement de la biologie qui est en réalité un au-dedans de soi-même. Il s'agit d'une intériorité permettant d'être présents à une Présence en nous.

« Le véritable au-delà est un au-dedans »

http://www.cenaclesauges.ch/diary9/25LaVieEternelle.htm



Citation :
J'ajoute que ce n'est pas rien ni peu de chose: montrer qu'il n'y a jamais qu'une seule et même chose à comprendre, à connaître, à croire, à aimer, à contempler, à expérimenter sous tous les noms, tous les mots et tous les énoncés, c'est ce que cherche à faire depuis toujours le discours religieux, monothéiste en particulier, et à quoi il échoue chaque fois qu'il se systématise en corps de doctrine de plus en plus compliqué, avec toujours des choses et encore d'autres choses à apprendre, à retenir, à distinguer, à organiser.

Pour revenir à l'évangile de Jean 6 :

En vérité, en vérité, je vous le dis :
Si vous ne mangez pas la chair du fils de l’homme
et ne buvez son sang,
vous n’aurez pas la vie en vous.
Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle,
et je le ressusciterai au dernier jour.
Car ma chair est vraiment une nourriture,
Et mon sang est vraiment une boisson.
Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi,
et moi en lui.
De même qu’envoyé par le Père, qui est vivant,
moi je vis par le Père,
De même celui qui me mange
vivra, lui aussi, par moi

 La chair du Christ est présentée comme nourriture imprégnée de vie et que le croyant doit ingérer pour recevoir la vie éternelle. Je trouve qu'il y a yn paradoxe dans le texte, "Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi", c'est en mangeant la chair et en buvant le sang du Fils que les élus demeurent en lui, alors qu'on imaginerait le contraire, c'est celui qui est ingérer qui est intégré dans celui qui mange.
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Narkissos

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MessageSujet: Re: la vie éternelle   la vie éternelle - Page 2 Icon_minitimeMar 21 Fév 2017, 01:01

Ta première citation illustre bien la difficulté inhérente à tout enseignement positif sur ce genre de sujet. Quels que soient les termes qu'on choisit ("dimension spirituelle" au lieu d'âme ou esprit, par exemple) et la prudence avec laquelle on les emploie, la réification ou chosification (res = chose, d'où "réel", "réalité", "réalisme") est quasiment inévitable: il y a, il peut ou il doit y avoir quelque chose (localisée) en "nous" (où ça ?), (une "partie") de "nous", qui ne meurt pas, sorte d'"objet transitionnel" qu'on peut bien qualifier de "spirituel" mais qui fonctionne de façon tout à fait "matérielle" ou "substantielle", par quoi "nous" échapperions, en définitive, à la mort comme perte irréversible de "nous". Il n'en faut pas plus à l'imagination du sujet-substance (subjectum-substantia) pour éviter de s'affronter à la pensée de sa mort comme fin de "soi" -- alors que c'est seulement dans cette épreuve de pensée impensable que j'ai quelque chance, moi, de me rapporter à ce qui me précède, me succède et m'excède -- "la vie éternelle", par exemple.

Pour rappel, Jean 6,53-58 est sans doute un ajout secondaire et "sacramentel" à un texte où, jusque-là, le Christ se présentait sous les traits classiques de la Sagesse (se) donnant à manger et à boire. L'insistance soudaine (et très lourdement "matérielle" et "substantielle" aussi) sur la "chair" (qui sera discréditée dès la reprise du récit, v. 63) et le "sang", en référence directe à l'"eucharistie" par ailleurs absente du quatrième évangile, n'appartenait vraisemblablement pas au discours initial. Le paradoxe que tu relèves (ingérer pour être intégré, intégrer dans ses deux sens opposés) est plus paulinien (cf. 1 Corinthiens 10--12) que johannique -- tout du moins dans la première partie de l'évangile en dehors de ce passage; car dans la seconde les inclusions réciproques, "moi en vous et vous en moi" (etc.), présentent bien un paradoxe analogue, mais d'une manière moins facilement représentable ou imaginable, plus réfractaire à la "chosification réaliste" que le langage paulinien (du corps du Christ rompu et mangé aux membres ou parties du corps du Christ).

Je repense au fameux v. 68: "Tu as les paroles de vie éternelle." Subtile distinction, mais parfaitement reconnaissable, du discours qui produit en effet une expérience de "vie éternelle", par lequel quelque chose comme "la vie éternelle" se donne à "entendre", à "voir" ou à "sentir", par rapport à tous ceux qui se contentent de l'enseigner comme une doctrine, une "chose" à "savoir" et à "croire" (ou pas). Question de goût (goûter la vie, goûter la mort), qui tient toujours à un "je ne sais quoi", et pourtant on ne s'y trompe pas. Et en même temps question de style et de "forme" -- poétique, de la "magie" au "performatif", le faire d'un dire.
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MessageSujet: Re: la vie éternelle   la vie éternelle - Page 2 Icon_minitimeMar 21 Fév 2017, 16:50

Dieu a-t-il mis le désir d'éternité dans le coeur de l'homme ?


"Il fait toute chose belle en son temps ; à leur cœur il donne même le sens de la durée sans que l’homme puisse découvrir l’œuvre que fait Dieu depuis le début jusqu’à la fin" Ecc 3,11 (TOB)

"Toute chose, il l’a faite belle en son temps. Même les temps indéfinis, il les a mis dans leur cœur, pour que les humains ne découvrent jamais l’œuvre que le [vrai] Dieu a faite du début à la fin" (TMN)

"Dieu fait toute chose belle en son temps. Il a implanté au tréfonds de l’être humain le sens de l’éternité. Et pourtant, l’homme est incapable de saisir l’oeuvre que Dieu accomplit du commencement à la fin"(La Bible du Semeur)

"tout ce qu'il fait convient en son temps. Il a mis dans leur coeur l'ensemble du temps, mais sans que l'homme puisse saisir ce que Dieu fait, du commencement à la fin."(BdJ)
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MessageSujet: Re: la vie éternelle   la vie éternelle - Page 2 Icon_minitimeMer 22 Fév 2017, 00:26

C'est encore l'hébreu `ôlam (et le grec aiôn dans la Septante): le temps, la durée ou l'âge du monde, temps qui n'est pas forcément infini (il l'est peut-être pour Qohéleth) mais excède très largement la vie humaine individuelle (d'où la suite); pas du tout "l'éternité" au sens intemporel ou a-temporel (celle de la "vérité" des "idées" ou des axiomes mathématiques, p. ex.).

[A l'époque romaine, `ôlam va évoluer, comme aiôn, du sens d'âge-du-monde au sens d'âge-monde, voire de monde tout court; son sens temporel passe à l'arrière-plan, c'est l'espace et le contenu du "monde", si l'on peut dire, que le mot désigne; dans l'hébreu rabbinique auquel saint Jérôme a été plus ou moins initié, comme dans le judaïsme actuel, on appelle Dieu melek ha`ôlam, "roi du monde". D'où la Vulgate, et mundum tradidit disputationi eorum, "il a livré le monde à leurs considérations", qui évite (au prix d'un anachronisme sémantique) l'alternative entre saeculum et aeternitas.]

En tout cas il n'est nullement question de désir (sauf à se méprendre sur le sens du "cœur"). N'oublions pas que Qohéleth est par ailleurs l'adversaire le plus impitoyable de toutes les doctrines de "survie-après-la-mort" (cf. déjà v. 18ss).
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MessageSujet: Re: la vie éternelle   la vie éternelle - Page 2 Icon_minitimeSam 30 Déc 2017, 21:15

De façon assez improbable, une réflexion d'une tout autre discussion m'a rappelé celle-ci: en tâchant de suggérer comment "les choses changent", en-deçà et au-delà de ce que nous décrivons, racontons et pensons quand nous parlons de "choses" (objets/sujets; en l'occurrence "le christianisme") qui "changent" ou "deviennent" (verbes, d'action ou d'état, mais présumés d'un "sujet"), je pensais en effet à (ce qu'on appelle) "la vie".

"La vie" est métonymique. En plus d'un sens. Et cet excès de sens (et de sens du "sens", "signification", "acception" ou "direction" p. ex., mais aussi "sensation" ou "perception") n'est peut-être pas sans rapport avec son éventuelle "éternité".

Je dis métonymique plutôt que polysémique: entre "l'apparition de la vie sur terre", "la vie des galaxies", "la vie des animaux", "la vie des entreprises" ou "c'est la vie", on peut sans doute distinguer des "sens" (significations-acceptions) légèrement différents du mot "vie"; mais on remarquera aussitôt que ces divers usages sont en relation, qu'ils ne cessent de se référer au moins implicitement les uns aux autres, de dire l'un pour l'autre -- ce qui est la définition même de la "métonymie" et, peut-être, la meilleure description du jeu du langage (un mot pour une chose, un mot pour un autre, une chose pour une autre, ça n'en finit pas de tourner comme au bonneteau: "où qu'est-y, où qu'est-y ?", comme dit Michel Simon dans Fric-frac).

Nous sommes habitués à lire la métonymie de "la vie" dans un sens (direction) déterminé: à partir d'un sens (signification-acception) "propre" vers des sens "figurés" ou "métaphoriques". "La vie" au sens propre, premier, originaire, ce serait ce dont s'occupe la "biologie", entre "botanique" et "zoologie". Pourtant la biologie moderne ne parle pas du tout de "la vie", si ce n'est en l'identifiant au "vivant". "La vie" et "le vivant", pour elle, c'est la même chose, le même "phénomène" si diversifié soit-il: on ne s'imagine plus "la vie" comme "quelque chose", un "principe" logé quelque part dans "le vivant" (contrairement aux conceptions anciennes et pré-scientifiques de "l'âme" ou de "l'esprit", ou plus loin encore du "sang") ou qui passerait comme un objet d'un "vivant" à un autre; encore moins l'imagine-t-on ailleurs. Pour cette vision scientifique de "la vie" (<=> "le vivant", espèces, individus, comportements, histoires, naissance, sexualité, métabolisme, mort inclus), toutes nos vieilles expressions comme "avoir, donner, recevoir, prendre, perdre, rendre, entretenir la vie" ne sont que des façons de parler, figurées et proprement inadéquates: dans la procréation, personne ne "donne" rien à personne (d'autant que le "donataire" supposé ne préexiste pas au "don" supposé de "la vie" pour le "recevoir"). Entre un tel langage et des expressions (encore plus) "figurées" -- une personnalité, une société, un spectacle "vivants" -- il n'y a que des degrés de métonymie ou d'analogie, plus ou moins éloignés par rapport à "la vie" au sens biologique, qui n'est rien d'autre que "le vivant".

Cela n'est pas sans poser de sérieux problèmes à la théologie: pour nous un "Dieu vivant" n'est plus qu'une métaphore ou une façon de parler. Le croyant n'imagine certes pas "Dieu" comme un "vivant" au sens biologique, un phénomène fondé sur une certaine chimie de l'hydrogène, de l'oxygène et du carbone -- ce serait un "anthropo-zoo-bio-morphisme" tout aussi caractérisé, si l'on y réfléchit un peu, que "la face", "les yeux", "les oreilles", "le nez", "la bouche", "le bras", "la main", "le doigt" ou "les pieds" de Dieu. (Chose à laquelle ne pensent guère les créationnistes modernes qui croient expliquer "la vie", au sens propre, par un "Dieu vivant"... au sens figuré. Autrement dit, un "fait scientifique" par un "effet de langage".)

A partir de la même biologie moderne (XIXe s. surtout) qui trace entre "le vivant" et "l'inanimé" ou "l'inerte" une frontière encore plus nette -- mais pas infranchissable, si "la vie" est effectivement apparue d'une manière ou d'une autre dans un univers "inerte" -- qu'entre le "végétal" et l'"animal", nous comprenons aussi, par exemple, une expression "biblique" ou "classique" comme "l'eau vive" (= "vivante", au sens de "courante" par opposition à "stagnante") comme une métaphore ou une métonymie: un sens "figuré" et dérivé de "la vie" au sens "propre". Pour le scientifique, l'eau, contrairement aux poissons ou aux amibes qui s'y trouvent éventuellement, c'est "inerte" et "inanimé" -- même sous forme d'averse ou de torrent. L'emploi "figuré" s'explique, si on tient à l'analyser, comme extrapolation d'une caractéristique du "vivant" (en l'espèce: le mouvement) au "non-vivant" (l'eau et son mouvement "physique"). De même pour le "souffle" ou "esprit" qui désigne indifféremment, dans la Bible, le "vent" (pour nous: "non-vivant") et la "respiration" (d'un "vivant"). On se représentera ainsi des dieux, des "anges" ou des "esprits" présumés "vivants" (quatre par exemple, comme les "points cardinaux") qui soufflent comme des hommes ou des animaux (cf. Ezéchiel, Apocalypse, et toute l'imagerie mythologique ou allégorique de l'Antiquité "païenne" à la Renaissance ou à l'époque baroque).

Mais la métonymie peut aussi bien se lire en sens inverse: ce que précisément on a nommé "la vie" dans "le vivant", chez l'homme et l'animal, autrement dans le végétal (en hébreu: pas npš comme les deux précédents qui "respirent" mais bien comme eux hyh, cf. emblématiquement l'"arbre de vie"), n'est-ce pas précisément ce qu'on reconnaissait tout autant dans le cours du torrent ou de la rivière, le souffle de la brise ou des tempêtes, le cycle du soleil, de la lune et des étoiles ? En termes plus ou moins abstraits: mouvement, changement, devenir, altération, métamorphose, transformation, événement, temporalité ? De ce point de vue-là il n'y a plus de sens "propre" ni "figuré" qui tienne: "la vie" (<=> mouvement, changement, etc.) est partout, tout est "animé", rien n'est "inerte" -- conformément aux intuitions "primitives" que l'Occident désignait naguère, du haut de sa science, sous le nom d'"animisme", avant de s'apercevoir que sa "matière inerte" était tout sauf "inerte". Ça n'empêche pas toutes les distinctions et taxonomies verbales et phénoménales de "règnes", de "natures", de "genres" et d'"espèces" qu'on voudra, mais ça en ouvre une tout autre lecture. Et par la même occasion cela invite à une relecture attentive des nombreux textes religieux et philosophiques qui ont situé "la vie" (npš, hyh, psukhè, zôè, bios, etc.) ailleurs que là où la biologie nous a appris à (ne plus) la voir.

Par exemple (mais on trouverait des exemples tout à fait similaires chez Platon ou Aristote, où à l'autre bout chez Nietzsche ou Bergson): "Tout est devenu/advenu par lui (le logos); hors de lui rien n'est devenu/advenu; ce qui est devenu/advenu en lui était vie (zôè), et la vie était la lumière des hommes." (Jean 1,3s). Pour une analyse moderne, tout est ici "figuré": le texte rétro-projette le logos "humain" (parole-langage-pensée-raison-propre-de-l'homme), la "vie" ou zôè "animale", et même la "lumière" (phôs) "physique" sur l'écran noir d'une origine mythologique. En amont de l'univers, si l'on peut dire, on ne peut rien imaginer de tel qu'une linguistique ou une logique, une biologie ou une zoologie, une photologie ou une optique. Logos, vie, lumière, cela doit signifier autre chose que ce que cela signifie "au sens propre" (en fait: à peu près n'importe quoi, autrement dit rien de particulier). Mais si on prend la métonymie dans l'autre sens: ce qui se joue dans le logos ("humain"), dans la "vie" ("animale"), dans la "lumière" ("physique"), malgré toutes leurs différences considérables, c'est au fond la continuité et le développement d'un même "phénomène", d'un même "événement", qui aussi loin qu'on remonte (au "commencement") a toujours déjà commencé, et auquel rien ne saurait être étranger.
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MessageSujet: Re: la vie éternelle   la vie éternelle - Page 2 Icon_minitimeJeu 04 Jan 2018, 11:08

Citation :
Cela n'est pas sans poser de sérieux problèmes à la théologie: pour nous un "Dieu vivant" n'est plus qu'une métaphore ou une façon de parler. Le croyant n'imagine certes pas "Dieu" comme un "vivant" au sens biologique, un phénomène fondé sur une certaine chimie de l'hydrogène, de l'oxygène et du carbone -- ce serait un "anthropo-zoo-bio-morphisme" tout aussi caractérisé, si l'on y réfléchit un peu, que "la face", "les yeux", "les oreilles", "le nez", "la bouche", "le bras", "la main", "le doigt" ou "les pieds" de Dieu. (Chose à laquelle ne pensent guère les créationnistes modernes qui croient expliquer "la vie", au sens propre, par un "Dieu vivant"... au sens figuré. Autrement dit, un "fait scientifique" par un "effet de langage".)

Il y avait aussi un grand dragon, et les Babyloniens le vénéraient
Le roi dit à Daniel: " Diras-tu encore que celui-ci est d'airain? Vois, il vit, il mange et boit. Maintenant, tu ne pourras pas dire que ce n'est pas un dieu vivant. "
Daniel répondit: " J'adore le Seigneur, mon Dieu, car lui est un Dieu vivant; mais celui-ci n'est point un dieu vivant. Toi, ô roi, donne-moi la permission, et je tuerai ce dragon sans épée ni bâton. "
Le roi dit: " Je te la donne. " Alors Daniel prit de la poix, de la graisse et des poils, fit bouillir le tout ensemble et en fit des boules qu'il jeta dans la gueule du dragon. Et le dragon creva. Et il dit " Voilà celui que vous vénériez! " Dn 14, 22

Ce récit tente de contourner la difficulté liée à l'expression "Dieu vivant", en définissant "le Dieu vivant" comme étant celui, sur qui, la mort n'a pas de prise.



Même si cela n'a pas un lien direct avec notre sujet, j'aimerai partager avec vous cette analyse :

Cette lutte constante entre la puissance d'être et le non-être vivifie, au sens propre, l'être. Elle définit et structure la vie divine, et la vie du monde. Sans elle, il n'y aurait qu'une réalité inerte et statique, «une identité morte» ou «immuable». Cette confrontation fait de Dieu un Dieu vivant. Elle le conduit à créer, à sauver, à se révéler. Elle l'empêche d'être une masse immobile et immuable. Quand on qualifie Dieu d'«être-même», il faut bien comprendre qu'être ne désigne pas un «état», c'est à-dire un repos, une immobilité, une fixité. Il s'agit, au contraire, d'un «processus dynamique», d'une activité continuelle, d'un travail et d'un combat incessants. Dieu ne demeure pas en son être; il sort de lui-même et revient à lui-même. On pourrait dire à la rigueur qu'il se repose, en comprenant qu'il ne cesse de se poser à nouveau, de se re-poser. Dans une formule qu'il qualifie lui-même de paradoxale, Tillich écrit que «Dieu se crée sans cesse lui-même», ce qui indique bien qu'il agit à tout moment, sans jamais s'arrêter, que sa puissance d'être s'exerce constamment, qu'elle constitue son être. Il faut écarter ou corriger ce qui conduirait à imaginer un Dieu pétrifié, stationnaire, figé dans sa perfection, oisif. Pour Dieu comme pour nous, être signifie bouger, se démener, lutter, faire quelque chose. La déclaration biblique que Dieu est vivant exprime et traduit cette dynamique : « Une réalité dernière statique et le Dieu vivant sont de toute évidence incompatibles», écrit Tillich. Dans cette perspective, Tillich s'oppose à la thèse scolastique (dont il donne une interprétation contestable) qui voit en Dieu un actus purus. En affirmant une parfaite coïncidence entre l'acte et l'être de Dieu, elle supprime l'élément de puissance, et aboutit à une notion figée et statique de la divinité; elle élimine la vie divine: «Le dieu qui est actus purus, écrit Tillich, n'est pas Dieu vivant». Une des plus belles pages de Le courage d'être explique que s'il n'y avait pas en Dieu cette lutte entre la puissance d'être et le non-être, «rien ne se manifesterait, rien ne s'exprimerait, rien ne se révélerait.
https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/1991-v47-n1-ltp2139/400579ar.pdf
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MessageSujet: Re: la vie éternelle   la vie éternelle - Page 2 Icon_minitimeJeu 04 Jan 2018, 13:48

Malgré toute la sympathie que j'ai éprouvée pour ce genre de théologie moderne qui s'efforce de réintroduire de la "vie", du mouvement, du changement, du devenir et du "dynamisme" en "Dieu" après sa vitrification dogmatique, je dois bien constater que le type de récit qu'elle produit n'arrive pas à la cheville, question intérêt, des vieilles mythologies polythéistes avec leur foisonnement de personnages, de situations, d'événements et de rebondissements. Ça ressemble beaucoup plus à la description du fonctionnement régulier d'une "machine" ou d'une réaction physico-chimique -- ce n'est d'ailleurs pas une surprise puisque ça correspond au modèle techno-scientifique de l'époque qui a pris la relève de l'onto-théologie classique. A propos de "Dieu" comme de "la vie" la question n'est plus "qu'est-ce que c'est" mais "comment ça marche"...
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MessageSujet: Re: la vie éternelle   la vie éternelle - Page 2 Icon_minitimeVen 22 Mar 2019, 14:05

Je viens de relire avec plaisir ce fil, et l'article de Gounelle cité en dernier lieu -- auquel ma réaction à l'emporte-pièce était loin de rendre justice, quoique la question de la "technologie" dans la "théologie" (ou de la machina dans le deus) reste à mes yeux une bonne question (et je me remercie de l'avoir posée).

J'y suis revenu en repensant à la conclusion de la Première de Jean (5,20s, cf. post initial), sous un aspect sur lequel je n'ai guère insisté ici parce qu'il était accessoire par rapport au titre ("la vie éternelle") -- bien qu'aussi loin que je me souvienne il m'ait frappé à chaque lecture. C'est le contraste saisissant entre la théo-christologie originale, profonde, sublime, du "johannisme", qui dans un sens culmine en 5,20, et le v. 21 qui paraît retomber d'un coup (chute, catastrophe, anti-climax, précipice après le sommet, nadir après le zénith) dans une banalité navrante, un cliché ou un lieu commun, une platitude du degré zéro du monothéisme, juif, chrétien, ou même musulman par anticipation: gardez-vous des idoles.

Evidemment cette "chute" n'a rien d'un accident: le contraste est voulu, c'est précisément à la "vérité-vraie" du v. 20, le "vrai-Dieu-vie-éternelle-révélé-en-Christ-par-l'intelligence-donnée-aux-élus-croyants-fidèles-connaissants-gnostiques-pneumatiques-spirituels-qui-sont-de-lui-et-en-lui" que s'opposent les "idoles", en contrechamp et en contrepoint, en faire-valoir, en repoussoir ou en épouvantail. (Le "sommet" est d'ailleurs encadré de deux précipices, si l'on considère l'évocation "diabolique" du v. 19: "nous savons que nous sommes de Dieu, mais [que] le monde entier gît au pouvoir du Mauvais", ou "du Malin"; la lecture neutre, "du mal", très improbable en raison du masculin "personnel" du v. 18, n'y changerait pas grand-chose.) Tout se passe comme si le contraste était nécessaire, comme si la révélation la plus "authentique", non seulement crue mais connue, comprise, goûtée, vue, entendue, touchée, expérimentée comme telle (cf. 1,1ss), devait être bordée et inquiétée par le risque commun et toujours imminent de "l'idolâtrie" la plus crasse; un risque qui en l'occurrence viendrait moins de l'extérieur que de l'intérieur, de sa propre falsification ou contrefaçon, si l'on peut dire, ou de son propre "simulacre" (ce que dit aussi et d'abord eidolon, "l'idole": copie, reproduction, réplique visible mais différente du "modèle", de l'idéalisme platonicien à l'optique épicurienne). Tout peut devenir "idole", même "Dieu", "Jésus-Christ", "l'Esprit", "la vie éternelle", "la vérité", "la connaissance", "l'intelligence", l'"amour", dès lors que cela sort d'une certaine entente essentielle où cela seulement s'éprouve et se sait vrai.

On l'a dit cent fois: sitôt qu'un concept négatif ou péjoratif comme l'"idolâtrie" (ou le "paganisme", la "superstition", la "magie", le "fétichisme", le "polythéisme", etc.) est forgé comme antithèse de la (vraie) "religion", il ne cessera plus de la hanter; elle entendait sans doute par là se "purifier", se "corriger", se "réformer", s'"exorciser" et/ou se distinguer de ses autres, mais tout cela se retourne inéluctablement contre elle et menace de la détruire, de la dévorer sans aucun "reste".

Il suffit de regarder une "religion" de l'extérieur et d'un sale œil, en "mauvaise part" et avec un brin de "mauvaise foi", pour y voir une "idolâtrie" (etc.). Je dis "mauvaise foi", ce qui n'exclut d'ailleurs pas une certaine "bonne foi", parce que le reproche est essentiellement contradictoire: ce qu'on reproche à l'"idolâtre", c'est de réduire le divin à un objet, mais tout aussi bien le contraire: de ne pas regarder l'objet comme un simple objet, mais d'y voir, justement, le divin. Double bind, "pile je gagne et face tu perds", fantasme malveillant des "dieux de pierre et de bois" qu'aucun présumé "idolâtre" n'a jamais regardés comme tels -- il n'y a d'"idolâtrie" (etc.) que pour ceux qui s'en défendent en en accusant les autres.

Mais tôt ou tard ce regard méprisant ou condescendant sur l'"idolâtrie" y trouvera un miroir qui le retournera contre soi. Il ne suffit pas de proclamer son dieu unique et invisible et d'en interdire la représentation picturale ou sculpturale pour le mettre à l'abri du risque de l'"idole". Une fois lancé le soupçon de l'"idole", aucun "dieu", aucune "religion" ne résiste à son choc en retour (même si celui-ci met des siècles ou des millénaires à lui revenir, au plan de l'histoire des civilisations). Tout nom, toute doctrine, toute "idée" (image ou représentation mentale) de "Dieu", a fortiori tout ce qui a une dimension "matérielle", lieu ou objet de culte, rite ou liturgie, texte, livre, parole ou symbole est en principe suspect d'"idolâtrie". Au bout du compte, le Dieu né de la négation des dieux ne peut que se nier lui-même.

Une "vraie religion" n'y échappe qu'à reconnaître avant tout qu'elle n'y échappe pas; et peut-être de là par un certain repli sur soi, son "mythe", son "rite", son "mystère" ou sa "gnose" -- ce que dit éminemment le leitmotiv johannique du menein, "demeurer" (en Dieu, en Christ, dans l'amour, dans la foi, dans la connaissance, dans la vérité, dans la vie éternelle, c'est tout un pour qui y "demeure"). En habitant, en vivant "intérieurement" ou "profondément" ce qui de l'extérieur ou à la surface gardera toutes les apparences de l'"idole" (etc.) -- ce qui devrait logiquement dissuader tout jugement des autres. De fait, quand l'épître parle des "idoles", ce n'est pas pour condamner des idolâtres extérieurs, mais bien pour inviter ses propres destinataires à "s'en garder". (Un pas de plus, que le texte ne franchit pas mais dont il est peut-être moins loin que beaucoup d'autres, ce serait de se demander si dans toute "idolâtrie" présumée il n'y aurait pas une "vraie religion" possible, quoique inaccessible de l'extérieur; tout comme la sienne, en somme.)
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MessageSujet: Re: la vie éternelle   la vie éternelle - Page 2 Icon_minitimeLun 25 Mar 2019, 11:49

On peut dès lors procéder par exclusions successives. On ne peut guère penser aux idoles païennes, dont on ne trouve nulle trace dans l'épître ". A première vue il ne saurait non plus s'agir simplement du « péché » comme tel, qui est mentionné au v. 18, car ce péché est un état : la disposition où se trouvent ceux qui se sont opposés au Véritable, et non pas la force capable de s'opposer à lui. Si Jean n'a pas répété en 5, 21 le terme « péché » (hamartia) ou « iniquité » (anomia : 3,4, ou adikia : 1,9 et 5, 17), c'est qu'il devait avoir en vue quelque chose de différent. Il est en effet très conséquent avec lui-même dans son vocabulaire. De plus, à supposer ici la notion de péché, on ne tient pas assez compte de la progression de la pensée dans les w. 18 à 21. Il sera également difficile de voir ici le Mauvais. Outre le fait que ce dernier est régulièrement désigné d'un nom particulier, au singulier (2, 13s. et 3, 12 : le Mauvais ; 3, 8-10 : le Diable), il demeure, comme Dieu, toujours invisible. Or le v. 20 a parlé de l'Incarnation, d'une présence agissante parmi les hommes. Quant au monde, il n'entre pas plus aisément en ligne de ompte, puisqu'il est constitué par tous ceux qui s'opposent à Dieu. Dans notre contexte, on s'attend à voir nommer ce qui rassemble le monde, ce qui recrute une sorte de groupe d'opposition face à la communauté que le « Véritable » réunit autour de lui.

Reste une solution : sont en cause les faux prophètes, les antichrists et leurs doctrines. Ils remplissent exactement les conditions requises pour s'insérer dans le contexte : forces directement opposées au Christ (2,22), d'où leur nom choisi par Jean: antichrists, ils propagent le mensonge au lieu de la vérité (2, 21.22),
ils sont venus dans le monde comme le Christ {4, 1-2) et ils sont écoutés par le monde {4,5 en contraste avec 4, 6) ils œuvrent au milieu de la communauté {2, 18-19) et leur présence nécessite un discernement (4.\). En tant que réalité eschatologique (2,18), directement inspirés par l'esprit de l'erreur (4,3-6), ils incarnent
le pôle négatif du dualisme eschatologique. Ils sont donc bien à la base du recrutement de ce qui forme le « monde ». Cette prédication des faux prophètes constitue également un événement neuf, qui requiert de la part de la communauté une vigilance toute nouvelle. C'est une apparition récente, signe des derniers temps (2. 18 ; 4,3) et qui risque de semer le trouble et la zizanie dans les communautés. Elle est décrite par les mêmes verbes que ceux qui sont employés par Jean pour décrire la venue du Christ (erchomai — venir — 1 Jn 2. 18 ; pour le Christ : 4.2'. 5,6 ; 2 Jn 7 ; exerchomai — sortir — 1 Jn 2, 19 ; 4, 1 ; 2 Jn 7). Voilà pourquoi l'apôtre met en garde sa communauté : il assiste à un phénomène qui fait antithèse à l'Incarnation.


Et enfin, ces doctrines des faux prophètes sont proprement de type christologique. Ils en viennent à nier le mystère de l'Incarnation (2,22-23; 4,2-3). De même, les idoles de 5,21 sont opposées au Christ de 5, 20. La venue du Christ nous a permis d'avoir accès à l'intelligence (5,20), mais cette venue est aussi une lutte victorieuse contre le diable et ses œuvres, qu'on soupçonne derrière les idoles (3. 18). https://www.nrt.be/docs/articles/1979/101-6/1053-%c2%abPetits+enfants,+prenez+gardes+aux+idoles%c2%bb+1+Jean+5,21.pdf
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MessageSujet: Re: la vie éternelle   la vie éternelle - Page 2 Icon_minitimeLun 25 Mar 2019, 13:03

A mon avis, c'est déjà un contresens que de vouloir identifier (précisément) ces "idoles" dont la désignation vaut au contraire par sa généralité, qui met "dans le même sac" tout ce qu'elle rejette: l'adversaire immédiat visé au premier chef (qu'on l'imagine plutôt "gnostique", ou au contraire "orthodoxe", ou autre chose encore, en tout cas au contact direct de la "communauté johannique"), le pire ennemi qui est toujours le plus proche, est justement discrédité parce qu'on le met au même niveau que ce qui fait l'objet (dans le milieu en question) d'une réprobation unanime ("les idoles païennes", qu'on méprise en théorie bien qu'on n'ait pas ou peu de contact avec elles). C'est aussi comme ça que les références à l'"idolâtrie" fonctionnent dans les textes de Qoumrân (voir la suite de l'article de Ska): que les adversaires réels des textes "sectaires" soient la prêtrise hasmonéenne ou sadducéenne du temple de Jérusalem, ou leurs opposants (proto-)pharisiens, en les taxant (outrageusement et outrancièrement) d'"idolâtrie" on les met au niveau du "pire", de ce qu'ils considèrent eux-mêmes comme "le pire".

C'est une logique exclusive et excessive du "tout ou rien" qu'on ne connaît que trop bien, dans les milieux les plus divers: qui n'est pas avec moi est contre moi, qui n'est pas tout à fait dedans est complètement dehors, hors de l'Eglise pas de salut, l'hérétique ou l'apostat est pire que le païen, etc. Entre la "vérité-vraie" et "les idoles", il n'y a pas de moyen terme, ni de zone neutre, ni de gradation quelconque. Mais cette logique se renverse d'elle-même, et d'autant plus sûrement qu'on la prend au sérieux.
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MessageSujet: Re: la vie éternelle   la vie éternelle - Page 2 Icon_minitimeLun 25 Mar 2019, 13:57

Au contraire de ces images feintes, «les Images saintes ne sont pas représentations de fausses Déités, mais des serviteurs de la vraie Déité». Car elles sont «semblance d'une chose vraie et solide», c'est-à-dire qu'elles «représentent une chose qui est ou qui a été». Ainsi, les images du Christ, de la Vierge et des saints peuvent être dites véridiques au même titre que celle d'un homme ou d'un cheval, autant d'êtres doués d'une existence passée ou présente. En tenant
compte de cette différence fondamentale, les auteurs catholiques peuvent conclure qu'il y a autant de différence entre l'image et l'idole «qu'entre le jour et la nuit, la lumière et les ténèbres, Christ et Bélial, l'être et le non-être».


Toutes les critiques adressées aux simulacres papistiques par les protestants sont, on le voit, intelligemment rapportées à cette fausse et diabolique image qu'est l'idole, laissant de la sorte indemne le champ de l'image sacrée où la matière est rédimée par le Sens. Mais afin d'asseoir plus solidement sa légitimité, les théologiens catholiques avancent un argument d'ordre anthropologique et théologique: faire de toute image une idole reviendrait à disqualifier comme mensonger et donc nuisible tous les relais visibles mis par Dieu à la disposition des hommes et multipliés par l'Église. En poussant jusqu'à l'absurde cette logique iconoclaste, ils tirent la conclusion que l'homme, créé à l'image et à la ressemblance de Dieu (Gn 1,26)23, comme le Christ, «Image du Dieu invisible» (Col 1,1 S)24 peuvent être qualifiés d'idoles. Du principe aristotélicien selon lequel «rien n'entre en l'âme que par les sens», ils déduisent également qu'il «faudrait défaire tout l'Univers, et anéantir toutes les Créatures, puisque ce sont autant de glaces où Dieu peut être contemplé [...]. Il faudrait ensuite crever tous les yeux, tant des hommes que des animaux, puisque ce sont autant de miroirs où des images se forment, par la réception des espèces». Et de conclure que «qui voudrait abolir les images aurait à mettre le monde au néant».

Plus concrètement, supprimer tout signe visible c'est condamner la religion chrétienne à disparaître: «l'abolition des images est tacitement miner et ôter la connaissance de Jésus-Christ et de sa religion, et conséquemment la voie du salut»27. Renouant avec l'iconophilie des théologiens byzantins, une telle attitude est parfaitement conforme à une pensée fondamentalement incarnationnelle garantissant la coalescence du sensible et du spirituel. Car ce n'est pas seulement la partie charnelle de l'homme qui justifie le recours aux images, mais l'union en Jésus du visible et de l'invisible. Refuser l'image reviendrait donc, comme le pensait déjà un Nicéphore le Patriarche, à nier l'Incarnation et, par conséquent, tous les relais sacrés de la révélation divine. Le Christ et la création tout entière n'ayant d'autre réalité qu'imaginale, il s'ensuit que la connaissance qu'on en a ne peut se passer de l'image, celle-ci s 'imposant comme la condition même de toute pensée. La vérité est toute présence visible, et seule cette vérité sensible est à la portée de l'homme. https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_2004_num_35_2_3365
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MessageSujet: Re: la vie éternelle   la vie éternelle - Page 2 Icon_minitimeLun 25 Mar 2019, 14:52

Article passionnant.

Ce qui pouvait difficilement se concevoir de la Renaissance aux Lumières, du fait de leur optimisme rationaliste qui tendait vers une définition de plus en plus ferme, autonome, mais aussi étroite, de la Raison, est devenu pour nous une sorte d'évidence (peut-être autrement aveuglante): 1) que la "transitivité" opposée à l'"idolâtrie" (l'image représente autre chose qu'elle-même, le culte est adressé par son intermédiaire à un autre) est le principe même de l'"idolâtrie" présumée et donc ne lui est nullement opposable: même dans la "magie" ou le "fétichisme" les plus "grossiers" (j'emploie à dessein ce vocabulaire méprisant ou condescendant, ostensiblement ethno-culturo-centrique) l'image est toujours "plus" ou "autre chose" qu'"une (simple) image"; autrement dit, on a exactement les mêmes raisons de dire qu'une chose est une "idole" et qu'elle n'en est pas une (d'où "mauvaise foi"); 2) qu'il est impossible d'établir entre les différentes formes de "représentation" une frontière étanche (p. ex. entre images "matérielles" et "mentales" ou "intellectuelles", dont l'opposition est toujours déjouée par le langage et l'imagination qui jouent sans cesse sur les deux "plans" et du renvoi même d'un "plan" à l'autre; un rite, un signe, un symbole, une formule, un texte, un livre, une doctrine, une croyance, une foi, un concept, une idée, un signifié, cela aussi peut être une "idole" -- si "idole" il y a, il y en a partout).

Pour revenir au texte de 1 Jean, ce qui me paraît surtout déterminant c'est ce qu'il oppose aux "idoles": une sorte d'"expérience totale" qui co-implique "connaissance", "intelligence", "foi", "amour", "obéissance" autant que "Dieu", "Christ", "vérité" et "vie éternelle" (autrement dit et selon des catégories de plus en plus anachroniques, du "divin" et de l'"humain", du "sensible" et de l'"intelligible", du "subjectif" et de l'"objectif", du "cognitif" et de l'"affectif", du "théorique" et du "pratique"). Cela sonne très "romantique" et du point de vue exégétique ce n'est sans doute pas bon signe, à moins que le "romantisme" ne se soit précisément rendu sensible, à sa façon, à ce qui se disait là.

On pourrait le dire tout autrement: il n'y a pas d'"idolâtrie" (ni de "faux", ni de "mal", ni de "négatif") vu(e) de l'intérieur -- d'où "demeurez (dedans)". Et là on rejoindrait plutôt Matthieu (ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés, l'œil simple etc.) -- quoique lui-même ne se tienne pas toujours à cette profondeur.
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MessageSujet: Re: la vie éternelle   la vie éternelle - Page 2 Icon_minitimeVen 29 Mar 2019, 16:53

"Or la vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ." Jean 17,3

Je suppose que la connaissance dont il est question dans ce texte n'a aucun rapport avec la connaissance intellectuelle (et doctrinale) mais elle se rapporte  au "mystique"  et à l'"expérimental", c’est la connaissance concrète de Dieu et de Jésus-Christ, expérimenter la divinité du Père et du Fils, partager leur gloire, leur intimité et leur amour. Les disciples deviennent "ceux que tu m'as donnés" (versets 2, 6, 9, 11, 12, 24), dorénavant" ils ont vraiment su que je suis sorti de toi" (v la vie éternelle - Page 2 Icon_cool.


Ils ont gardé la parole, ils ont reçu, accepté et ont réellement reconnu  « que je suis sorti de toi, et ils ont cru que tu m'as envoyé» (Jn 17, la vie éternelle - Page 2 Icon_cool. «Aucun d'eux ne s'est perdu» (Jn 17, 12). Leur situation nouvelle est qu'ils possèdent la vie éternelle, et ils la possèdent dès maintenant parce qu'ils « te connaissent, toi, le seul véritable Dieu et ton envoyé Jésus Christ» (Jn 17, 3). Puisqu'ils ont reconnu « que tu m'as envoyé, je leur ai révélé ton Nom et le leur révélerai, pour que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux et moi en eux » (Jn 17, 26 ;  17, 6).
https://www.persee.fr/docAsPDF/thlou_0080-2654_1970_num_1_3_1036.pdf
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MessageSujet: Re: la vie éternelle   la vie éternelle - Page 2 Icon_minitimeSam 30 Mar 2019, 00:45

Cf. le post initial de ce fil (1 Jean 5,20 est de toute évidence une variation sur Jean 17,3).

Le "connaître" (gi[g]nôskô, d'où gnôsis, de même dans ce chapitre v. 7, 8, 23, 25 + gnôrizô v. 26) johannique n'est à coup sûr pas réductible à une connaissance "intellectuelle" (et encore moins à ses caricatures: livresque, scolaire, studieuse, etc.), mais je ne dirais pas non plus qu'il n'a aucun rapport (le "parallèle" direct de 1 Jean 5,20 le lie bien à une dianoia, "pensée" ou "intelligence"). Il a une dimension affective (connaître <=> "aimer", agapè etc.) et vitale (ici C'EST "la vie éternelle", hè aiônios zoè, déjà mentionnée v. 2 et identifiée au "connaître"*), il a aussi une dimension "intellectuelle" (<=> comprendre, ce que disent également à leur façon les équivalences sensorielles, notamment "voir" et "entendre"). La vraie différence entre cette "connaissance" et d'autres, c'est la "source", le "moyen" ou le "mode" et le "contenu" conjoints de la "révélation": elle n'est pas "extérieure" ou "exotérique", c.-à-d. communicable, explicable et accessible en principe à n'importe qui par la médiation d'une "doctrine" qui s'enseigne et s'apprend; mais "intérieure" ou "ésotérique", en ce sens qu'elle dépend d'une "initiation", qu'elle passe en effet pour chacun par une expérience im-médiate du divin qui est aussi une expérience de sa propre origine (ils étaient à toi, ils ne sont pas du monde, etc.); en ce sens elle ne "communique" rien du tout, si l'on entend par là une "communication externe" (à "Dieu"); sa "communication" reste interne de part en part, même si elle s'étend finalement à l'horizon du "monde" avec lequel pourtant elle ne "communique" pas (relire le chapitre).

Comme on l'a souvent remarqué, il y a une bizarrerie évidente à ce que "Jésus" s'appelle lui-même "Jésus-Christ", et parle de lui à la troisième personne (depuis le v. 1), surtout dans une prière. Sauf inattention de ma part, l'article de Rigaux ne la relève pas, mais il l'éclaire indirectement en soulignant que le locuteur, pour ainsi dire, n'est déjà plus là (cf. notamment v. 11, "je ne suis plus dans le monde"; la "sanctification" ou "consécration" des v. 17,19 peut être lue dans un sens analogue: il se "met à part", s'excepte, s'efface, disparaît). La mission du "révélateur" est, en un sens, terminée (v. 4 etc.), même si elle se poursuit autrement par les disciples (et/ou par le "paraclet" des chapitres précédents). "Jésus-Christ", de ce point de vue, est déjà "un autre".

---
* On peut hésiter sur le sens de la préposition hina (+ subjonctif), qui a d'ordinaire une fonction "finale" (but, conséquence, etc.): d'où le "pour" que j'ai inscrit entre parenthèses dans la traduction, au premier post de ce fil (je suis quasiment certain d'en avoir déjà parlé quelque part dans ce forum, mais je ne retrouve plus la discussion; c'était peut-être dans une correspondance privée en marge). D'après la syntaxe de la koinè en général et des textes johanniques en particulier (cf. p. ex. 2,25; 4,34; 6,29.39; 8,56; 11,50; 13,34; 15,13; 16,2.7.30.32; 1 Jean 2,27; 5,3), il est beaucoup plus probable que cette nuance "finale" disparaît totalement (hina + subjonctif devient alors à peu près équivalent à hoti + indicatif), surtout dans une telle construction qui s'annonce comme une sorte de "définition" (équation, équivalence), introduite par un démonstratif (idem en 6,29 p. ex.), de la "vie éternelle" présentée au v. précédent: "or CECI (ou TELLE, mot-à-mot CETTE) est la vie éternelle: qu'ils te connaissent..." Autrement écrit, et sous un certain aspect au moins, "vie éternelle" = (ou <=>) "connaissance". De même dans le "parallèle" de 1 Jean 5,20 qui démultiplie ou généralise l'équation/équivalence sous l'espèce du "vrai" ou "véritable" (alèthinon comme en Jean 17,3): "connaissance" <=> "être dans le vrai" <=> "être dans le Fils" <=> "vrai Dieu" <=> "vie éternelle".

Accessoirement, il n'y a peut-être pas de rapport étymologique entre le monos (= seul, unique, d'où "monothéisme", "monisme", etc.; ici le "seul vrai Dieu", cf. 5,44; 6,15.22; 8,[9].16.29; 12,24; 16,32) et le fameux verbe menô, "demeurer", qui donne aussi le substantif monè pour "demeure" (cf. Jean 14.2.23, et menô v. 10). Mais ça n'empêche pas les rapprochements auditifs et thématiques (jeux de mots, allitérations, assonances, résonances, consonances) qui peuvent être, en l'occurrence, très riches de sens. Ainsi dans le monakhos (d'où "moine") de l'Evangile selon Thomas, habituellement traduit par "solitaire". Demeurer dans l'Unique, l'Unique pour seule demeure, c'est le fond même d'une pensée "moniste" ou "monothéiste" -- et peut-être même une condition essentielle de toute "pensée".
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MessageSujet: Re: la vie éternelle   la vie éternelle - Page 2 Icon_minitimeLun 01 Avr 2019, 10:41

Citation :
La vraie différence entre cette "connaissance" et d'autres, c'est la "source", le "moyen" ou le "mode" et le "contenu" conjoints de la "révélation": elle n'est pas "extérieure" ou "exotérique", c.-à-d. communicable, explicable et accessible en principe à n'importe qui par la médiation d'une "doctrine" qui s'enseigne et s'apprend; mais "intérieure" ou "ésotérique", en ce sens qu'elle dépend d'une "initiation", qu'elle passe en effet pour chacun par une expérience im-médiate du divin qui est aussi une expérience de sa propre origine (ils étaient à toi, ils ne sont pas du monde, etc.); en ce sens elle ne "communique" rien du tout, si l'on entend par là une "communication externe" (à "Dieu"); sa "communication" reste interne de part en part, même si elle s'étend finalement à l'horizon du "monde" avec lequel pourtant elle ne "communique" pas (relire le chapitre).

En Jean 17, la vie éternelle n'est pas une promesse eschatologique et future, on y est introduit maintenant : "il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés." (17,2). Les croyants expérimentent une situation nouvelle, ils possèdent dès maintenant la vie éternelle parce qu'ils « te connaissent, toi, le seul véitable Dieu et ton envoyé Jéus Christ» (Jn 17, 3).

Citation :
Il a une dimension affective (connaître <=> "aimer", agapè etc.) et vitale (ici C'EST "la vie éternelle", hè aiônios zoè, déjà mentionnée v. 2 et identifiée au "connaître"*), il a aussi une dimension "intellectuelle" (<=> comprendre, ce que disent également à leur façon les équivalences sensorielles, notamment "voir" et "entendre").

On retrouve cette "dimension affective" dans le texte suivant : "Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître encore, afin que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux, et moi en eux."(17,26)

Un texte dans ce chapitre me parait énigmatique : "Et pour eux je me consacre moi-même, afin qu’ils soient eux aussi consacrés par la vérité" (17,19), en quel sens le Fils se "consacre"-t-il, lui même (sanctifie-t-il) ?
 L'explication que fournit l'article cité ci-dessus : "Jésus se sanctifie en se présentant devant le Père pour être un avec lui, et devant les hommes comme le Révélateur et la révélation parfaite. Le disciple est sanctifié parce qu'il est porté dans cette sphère du divin où par une qualité de son être il participe à la sainteté du Père et du Fils avant d'être à son tour instrument du Révélateur et de la révélation parfaite. En un mot, le thème de sainteté et de sanctification marque une unité d'être dans la révélation, dans la mission au monde."


Dernière édition par free le Jeu 06 Jan 2022, 16:46, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: la vie éternelle   la vie éternelle - Page 2 Icon_minitimeLun 01 Avr 2019, 11:49

Par "im-médiat" j'entendais surtout "sans médiation" -- il ne suffit pas, bien sûr, de rajouter un trait d'union pour éviter la confusion avec l'usage temporel du mot qui est de loin le plus courant, mais comme nous avions récemment parlé (ailleurs !) du "court-circuit des médiations" caractéristique des textes johanniques, j'ai cru pouvoir m'y référer allusivement.

Dans un christianisme traditionnel, de type catholique ou orthodoxe, la relation à "Dieu" passe par une ou plusieurs séries de médiations: entre le "croyant" et "Dieu", il y a "Jésus-Christ" et "le Saint-Esprit", mais il y a aussi le "sacrement" qui lui confère le Saint-Esprit et tient sa validité sacramentelle d'avoir été transmis par Jésus aux apôtres, puis par une chaîne censément ininterrompue d'évêques, jusqu'à l'ordination du prêtre qui administre le sacrement; il y a la médiation de l'Ecriture, de la Tradition et du Magistère qui enseigne dans l'Eglise. Au bout du compte il y a sans doute de l'"immédiat" (Dieu en nous, nous en Dieu, la "présence réelle" du sacrement), mais conditionné à toutes les médiations mythico-historico-institutionnelles et les consolidant en retour. (Le protestantisme allège considérablement les médiations historiques et institutionnelles, mais il surcharge d'autant plus la médiation de l'Ecriture, et par conséquent de l'interprétation qui relève théoriquement de la responsabilité de chacun, mais en pratique des "docteurs" = "enseignants", à commencer par les Réformateurs.) Dans le johannisme, comme on l'a vu, l'im-médiateté de l'expérience prime et résorbe les médiations à mesure qu'elle les génère: le croyant de la énième génération historique, parce qu'il n'est pas seulement croyant mais connaissant, aimant, voyant, etc., est introduit à la place même du Christ, les premiers "disciples" ne sont pas plus avancés que lui...

Néanmoins cela n'est pas sans rapport avec l'"immédiat" au sens temporel (= l'"eschatologie réalisée") qui caractérise aussi le johannisme (la "vie éternelle", c'est maintenant -- ou jamais). La carotte et le bâton d'une récompense ou d'un châtiment futurs sont aussi des "médiations", des "instruments" et des "moyens" (de pression) considérables au service des "médiations" institutionnelles, qu'il neutralise (dans une certaine mesure).

Pour ce qui est du verbe "sanctifier - consacrer" (hagiazô, aussi 10,36) dans ce contexte précis (17,17.19), j'ai exprimé (encore un peu trop allusivement) mon sentiment dans le 3e paragraphe de mon post précédent (entre parenthèses, ce qui n'arrange rien !): ici (ce n'est pas toujours le cas dans le NT, loin de là, et encore moins dans l'AT pour le qdš correspondant), il me semble bien que c'est le sens "négatif" de mise à part qui domine. Le Christ se consacre en disparaissant, en n'étant plus disponible au sens ordinaire ou "profane" (ce qui rejoint la tradition du noli me tangere, "ne me touche pas"). Il devient "tout" en devenant "rien", pour être "en" tous et tous "en" lui il faut qu'il cesse d'être "un autre", "un de plus" ou "à côté", qu'il se fonde ou se résorbe dans l'"un" en cessant de faire nombre -- qu'il annule en quelque sorte sa propre "médiation". On est là tout près, je crois, du concept de "perfection" qui se confond avec la mort et le passage du visible-temporel à l'invisible-éternel (passage du "voile" de la "chair") dans l'épître aux Hébreux -- et même de l'idée du Christ qui après avoir soumis tous ses ennemis se soumet à son tour "pour que Dieu soit tout en tous", en 1 Corinthiens 15.
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MessageSujet: Re: la vie éternelle   la vie éternelle - Page 2 Icon_minitimeMer 10 Avr 2019, 15:33

"C'est en ceci que l'amour de Dieu s'est manifesté parmi nous : Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde pour que nous vivions par lui. Et cet amour, ce n'est pas que, nous, nous ayons aimé Dieu, mais que lui nous a aimés et qu'il a envoyé son Fils comme l'expiation pour nos péchés. Bien-aimés, si Dieu nous a tant aimés, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres" 1 Jean 4,9-11

Le chapitre 4 permet de comprendre que la manifestation de l'amour en nous (4, 9), par l'envoi du Fils, correspond au don de la vie : "pour que nous vivions par lui". Nous comprenons mieux l'affirmation du chapitre 3 ( v 11 et 14) : 

"Voici le message que vous avez entendu dès le commencement : aimons-nous les uns les autres (...) Nous, nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons les frères. Celui qui n'aime pas demeure dans la mort."

L'auteur relie l'amour et la vie éternelle, aimer son  frère n'est pas acte moralement recommandé et apprécié mais une condition pour obtenir la vie éternelle, cette exhortation à l'amour et à la communion a été lancée "dès le commencement". 1 Jean 1, 2-3 ;  établit une relation entre "la vie s'est manifestée" et la communion avec Dieu et  la communion fraternelle.
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MessageSujet: Re: la vie éternelle   la vie éternelle - Page 2 Icon_minitimeMer 10 Avr 2019, 16:02

Je résisterais seulement à la formule "une condition pour obtenir la vie éternelle" -- qui risque fort de se comprendre, et alors ce serait à contresens du johannisme, comme "une condition x à remplir (une case à cocher) en vue d'un résultat y (qui serait autre chose que x)". Il y a (je me répète, mais "Jean" aussi !) une équivalence générale et circulaire des signifiants positifs: "la vie éternelle" C'EST "l'amour" et C'EST aussi "Dieu", "le Père", "le Fils", "l'Esprit", "la foi", "la connaissance", "l'obéissance", etc. Chaque terme est, si l'on veut, une "condition" de tous les autres et tous les autres sa "condition", mais dans une logique circulaire qui n'a plus aucune finalité dernière, où chaque "mot" ou "chose" est à la fois origine et cause, moyen, but et fin de tous les autres (question de l'"entame du cercle": peu importe par où on commence, on finira toujours où l'on a commencé, mais le cercle, lui, ne commence ni ne finit nulle part).

Ex.: en 1 Jean 3,14, "passer de la mort à la vie" est une variation sur Jean 5,24, ici "conditionnée" à "croire", là à "aimer"...
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MessageSujet: Re: la vie éternelle   la vie éternelle - Page 2 Icon_minitimeVen 31 Déc 2021, 13:30

Une petite réflexion (sur la mort comme dernière idole, dont il faudrait encore faire le deuil, ou faire son deuil) m'a ramené à ce fil, surtout à sa dernière partie (depuis 2019) davantage consacrée, si l'on peut dire, aux "idoles" (de 1 Jean 5,21); elle fait pour moi écho à un titre célèbre de Jean-Luc Marion, L'Idole et la distance -- qui tendrait, dans la ligne de Levinas, à comprendre l'"idolâtrie" comme tentative et tentation de réduire, sinon de franchir ou d'abolir, la distance à la divinité (mais je ne prétends pas résumer Marion que j'ai peu lu et il y a trop longtemps).

Toujours est-il que le johannisme, à première vue, ne semble pas du tout aller dans cette direction: c'est plutôt une présence et un présent qui s'opposent aux "idoles" -- présence divine constamment affirmée, mais aussi différenciée, par l'inclusion réciproque (Dieu-Christ-Père-Fils-esprit-souffle-semence-onction-lumière-vie-vérité-foi-amour-connaissance-commandements etc. en "nous" ET "nous" en lui[-elle-cela]), présent de la "vie éternelle" qui n'est pas ou n'est plus un "futur", quelque chose à gagner, à obtenir ou à recevoir, à attendre ou à espérer, mais qu'on a (ou n'a pas), où on est ou n'est pas, qui est ou non en "nous" au temps "présent" de la conjugaison, même s'il y a toujours en elle de l'à-venir, de la provenance et du devenir, donc un certain mouvement ou une certaine dynamique, par définition "temporels". Cela demeure (c'est le cas de le dire, car il y va justement du "demeurer" johannique, menein, qui à défaut de mouvement implique de la durée, sinon de la tenue) éminemment paradoxal, ou aporétique: on pourrait parler de "présence sans présence", mais ça n'en ferait pas une "absence" et encore moins une "distance", ou alors aussi une "distance sans distance" (sur le problème particulier de la "distance" comme notion spatiale appliquée au "temps", voir éventuellement ici 17.12.2021; sur la métonymie tout à fait spatiale de l'intériorité ou de l'extériorité que présuppose la notion même de "distance", ). Cette "présence présente" qui est "ici et maintenant" mais déborde aussi bien tout horizon temporel ou spatial (le commencement, la fin, le monde) génère ou régénère sans doute à sa façon, en "nous" et hors de "nous", de l'"espace" et du "temps", mais sans mesure (cf. Jean 3,34, ou... ek metrou, à propos du "don de l'esprit-souffle", pneuma: on pourrait rapprocher cette "démesure", excès ou im-mensité, de la "plénitude" ou "plérôme", cf. ici 10 et 14.12.2021, comme de l'"abondance", perisseuô etc., cf. 6,12s; 10,10) et (donc) sans "distance" (qu'on pense à l'"intime" de saint Augustin, interior intimo meo, comparatif d'un superlatif, "plus intérieur que mon plus intérieur", ou à l'"extime" de Jean-Luc Nancy). La Première épître de Jean insiste (j'allais dire: comme nul autre texte, mais ce serait probablement trop dire, car d'autres textes le disent probablement autant quoique autrement) sur cette "non-distance" qui neutralise en quelque sorte tout effet de "surprise", toute espérance et toute crainte de l'"inconnu" ou de l'"étranger": n'est à attendre que ce que "nous" connaissons déjà, qui est en "nous" et en quoi "nous" sommes, bien que cela aussi "nous" dépasse et dans cette mesure (sans mesure) reste encore "à venir", ou "à revenir" (cf. p. ex. 3,1ss.19ss; 4,16ss).

On pourrait (à nouveau) parler de "mystique", bien que les textes johanniques évitent le vocabulaire du "mystère" (ils seraient plutôt "gnostiques" que "mystiques" dans ce sens-là): le "mystère" au sens de l'Antiquité gréco-romaine implique une réduction ou une abolition de la "distance" -- ce serait le mouvement même de l'"initiation", ou en sens contraire de la "révélation" ou "manifestation" de la divinité aux élus -- s'il ne restait "mystère", même "révélé", pour ses "initiés", s'il n'était paradoxalement encore plus "mystérieux" de l'"intérieur" que de l'"extérieur", pour les "initiés" que pour les "profanes" (ceux du dehors).
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MessageSujet: Re: la vie éternelle   la vie éternelle - Page 2 Icon_minitimeJeu 06 Jan 2022, 16:46

Dieu, notre vie éternelle

Pour la foi chrétienne, l’au-delà de la mort est compris comme l’accomplissement de notre communion avec Dieu, le Vivant. Réciproquement, cette communion, que nous ouvre pleinement le Christ, est dès à présent vie éternelle.

Au début de la prière de Jésus, telle que Jean la rapporte dans son évangile, on trouve les mots suivants, les dernières paroles du Christ avant son arrestation: « Père, l’heure est venue, glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie et que, selon le pouvoir sur toute chair que tu lui as donné, il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés« . « Or« , ajoute Jésus, « la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jn. 17, 1-3).

Ces quelques versets offrent un condensé de ce qu’est la vie éternelle pour la foi chrétienne. La vie éternelle, c’est connaître Dieu – tout simplement, oserait-on dire. Cette « connaissance » désigne non pas d’abord un savoir, mais une connaissance relationnelle, intime, amoureuse – bien que, dans toute relation, il importe également de se connaître mutuellement, de savoir qui est l’autre, fût-il Dieu.

Comment connaître Dieu qui, pour la foi biblique, est …l’Inconnaissable? A Moïse qui lui demande de voir sa gloire, Dieu répond que l’homme ne saurait voir Dieu et vivre (Ex. 33, 18.20). « Personne n’a jamais vu Dieu« , écrit Jean; mais il ajoute: « Dieu Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l’a dévoilé » (Jn. 1, 18). Le Fils de Dieu, « resplendissement de sa gloire et expression de son être » (He. 1, 3), met Dieu, l’Inaccesible, à notre portée. « Celui qui m’a vu a vu le Père« , dit Jésus à Philippe (Jn. 14,9). « En venant dans le monde » (Jn. 1, 9), le Verbe de Dieu, Jésus-Christ, ouvre l’humanité à une relation immédiate avec Dieu, que la tradition théologique et spirituelle chrétienne appellera « communion ».

La gloire de l’Amour

Notre communion avec le Père se réalise de manière décisive dans le Mystère pascal, qui est le passage du Christ par la mort et son retour au Père. C’est le sens de la « glorification » dont parle le quatrième évangile: c’est dans son don-de-soi jusqu’à l’extrême, dans son amour-jusqu’au-bout que le Christ, sur la croix, révèle de manière définitive qui est Dieu, son identité la plus intime, autrement dit: sa gloire, qui est celle de l’Amour. Par là-même, le Fils est également glorifié, « élevé », en ce qu’il manifeste, justement, son être de Fils envoyé par le Père. Cette gloire du Fils, c’est aussi celle de l’Amour qui s’est donné jusque dans la mort, don que le Père a accueilli en lui faisant traverser l’abîme, en lui re-donnant sa Vie, sa gloire, son Amour.

C’est ainsi que, à son tour, le Christ ressuscité « a le pouvoir » de nous partager cette vie de Dieu, cette vie éternelle qui est le Père, avec lequel il est en communion. Cette vie éternelle, nous la recevons par le Ressuscité, avec lui et en lui, à travers notre communion avec lui. La vie éternelle c’est vivre en communion avec Jésus-Christ, mort et ressuscité et, à travers lui, en communion avec le Père. « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jn. 17, 3).

Au-delà de la mort

Cette vie éternelle dont nous sommes invités à vivre n’est pas réservée à l’au-delà de cette vie. Nous sommes destinés à vivre dès à présent de la vie éternelle, qui est, déjà maintenant, vie en plénitude. Et même si la plénitude est loin d’être notre lot quotidien… la vie éternelle commence, en germe, dans tout ce qui fait notre vie, y compris dans ses aspects les plus quotidiens. Cette semence est appelée à grandir comme notre communion avec Dieu et, comme le levain, à imprégner, toujours plus, toutes les dimensions de notre existence, qui sont comme transformées de l’intérieur par la Présence de Dieu. Quant à notre vie dans l’au-delà de la mort, elle peut être comprise comme le prolongement de notre communion avec Dieu, qui atteindra alors sa plénitude, son accomplissement.

C’est donc également la notion de communion qui nous donne à comprendre ce qu’est l’au-delà pour la foi chrétienne. L’au-delà, c’est Dieu, tout simplement. Être dans l’au-delà, c’est être auprès de Dieu, être en Dieu, demeurer en communion avec Dieu après notre mort. L’idée de communion implique aussi que tous les humains, vivants ou défunts, gardent un lien, une relation par-delà la mort. Et ce lien est possible, bien plus, il est réel, dans la mesure où tous, vivants et morts, sont en communion avec Dieu, le Vivant.

Christophe HERINCKX, docteur en théologie

https://www.cathobel.be/2019/10/dieu-notre-vie-eternelle/
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