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 prudence dans l'amour

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Narkissos

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MessageSujet: prudence dans l'amour   amour mort - prudence dans l'amour Icon_minitimeSam 22 Juil 2017, 12:03

Je vous en conjure, filles de Jérusalem,
par les gazelles et par les biches des champs,
n'éveillez pas, ne réveillez pas
l'amour, jusqu'à ce qu'il lui plaise.

Cantique des cantiques, 2,7; 3,5; 8,4.

La dernière discussion sur le thème de l'amour m'a rappelé ce "refrain" du Cantique des cantiques, que tout le monde s'accorde à trouver sublime mais dont personne ne peut être absolument certain de ce qu'il signifie. Par défaut ou par excès de contexte (trois contextes différents = aucun contexte déterminant), on ne sait pas vraiment qui parle à qui, de qui ou de quoi. Le lecteur de l'hébreu n'est pas plus avancé, il rencontre même des difficultés supplémentaires que la traduction escamote (p. ex.: "vous" est un masculin, assez insolite dans ce qui semble par ailleurs une adjuration -- toujours au masculin -- aux "filles de Jérusalem", et fait peut-être de celles-ci une sorte de chœur mixte). Mais surtout c'est "l'amour", 'hbh vocalisé 'ahava dans le texte massorétique, agapè bien sûr dans le grec de la Septante, féminin dans les deux langues, avec lequel semble s'accorder la proposition `d š-th, "jusqu'à ce qu'elle y prenne plaisir / en ait envie", dont le sens paraît indécidable. Est-ce un sentiment qu'il faudrait ne pas "éveiller" en le suscitant ou en le provoquant trop tôt, ou au contraire ne pas "réveiller" en le dérangeant ou en "rompant le charme" ? Est-ce quelqu'un (lui ou elle, le féminin qui dépend du genre du mot 'hbh n'étant plus décisif de l'éventuelle métonymie) qu'on appellerait "l'amour" comme on dit "mon amour" (cf. Vulgate, dilectam, "bien-aimée"; on n'aurait pas d'autre exemple d'un tel usage en hébreu biblique, mais le corpus est si restreint que ça ne prouve rien) ? Est-ce le "bon plaisir" de l'amour, ou de l'un ou l'autre des amants, qui devrait décider que l'amour s'éveille, ou qu'on s'en réveille ? Sans compter les innombrables hypothèses sur l'ensemble de ce "livret" érotique, ses possibles origines mythico-rituelles (amour d'une déesse ressuscitant un dieu mort, façon Isis-Osiris, Anath-Baal, Ishtar-Tammouz ou Cybèle-Attis), son éventuelle dramaturgie à deux ou trois protagonistes (bergère, berger et/ou roi-Salomon), et ses interprétations tardives, plus ou moins pieuses ou mystiques, juives (du Talmud à la Qabbale) et chrétiennes (Dieu / le Christ et l'Eglise ou l'âme, etc.).

Reste que l'indécision du sens n'entame en rien la poésie du texte -- bien au contraire, peut-être. Et qu'on y entend au moins une adjuration solennelle à la prudence face à la tentation de manipuler la "magie" ou le "sacré" de "l'amour", dont la conclusion rappelle qu'il est merveilleux et terrible "comme la mort" (8,6).
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MessageSujet: Re: prudence dans l'amour   amour mort - prudence dans l'amour Icon_minitimeVen 06 Oct 2017, 15:03

L'ensemble du poème, du début à sa fin, étant ainsi happé par le jeu du pur dialogue, rien ne permet d'identifier ceux qui se parlent au long des versets du Cantique. Le texte baigne dans l'évidence de l'intimité qui les lie. « il » est simplement ce que « elle » en dit, c'est-à-dire « mon bien-aimé ». « Elle » est « mon amie », ou encore « ma sœur, ma fiancée ». Certaines traductions interprètent ces deux rôles en termes d’ « époux » et d’ « épouse ». Mais le texte ne comporte pas d'éléments qui explicitent une dimension conjugale de la relation, au sens institutionnel du terme. D'ailleurs la désignation précise des partenaires du Cantique ne fait pas partie du texte lui-même, elle vient du traducteur et de l'interprète. En sa lettre, le texte désigne simplement un homme et une femme célébrant la merveille de l'amour qui les tourne l'un Vers l'autre.

On notera encore à propos de ce dialogue une caractéristique très remarquable: elle tient dans la quasi symétrie des deux rôles. Le Cantique est vraiment une célébration mutuelle où les voix s'entrelacent où les mots de l'un relaient les mots de l'autre, s'échangent dans une harmonieuse parité. Ainsi aux variations multiples de la femme célébrant la beauté du bien-aimé au point d'intriguer le chœur (« Qu'a donc ton bien-aimé de plus que les autres, ô la plus belle des femmes ? » 5,9), répond la reprise des exclamations : « Que tu es belle, ma bien-aimée, que tu es belle ! » (1,15, puis 4,1, repris avec des variantes en 4,7 et en 7,7). De même, à l'aveu de la bien-aimée : « ...je suis malade d'amour » (2,5) fait écho la déclaration du bienaimé : « Tu me fais perdre le sens, ma sœur, ô fiancée » (4, 9). Et encore, confirmant cette parité cette manière de déclarer les « amours » de l'autre « meilleures que le vin » qui se trouve formulée, identique, par l'un et par l'autre (1,2 parallèle à 4,10).

Il est vrai qu'à certains égards, c'est la voix féminine qui semblerait parler le plus haut, ouvrant et fermant le poème, conduisant son déroulement. Mais on doit bien constater aussi que c'est « il » qui bondit, qui tire le désir et le poème en avant. On notera, du reste, que cette symétrie de la parole amoureuse masculine et féminine a pour effet de brouiller l'attribution de certaines répliques. Les manuscrits et les traductions sont loin de s'accorder toujours sur la répartition des propos. Ainsi, par exemple, pour les uns, c'est la femme qui recommande : « N'éveillez pas, ne réveillez pas l’amour » (2,7; 3,5; 8,4); pour d'autres, c'est une exhortation de l'homme, d'autres enfin considèrent qu'il s'agit d'un leitmotiv à porter au compte du chœur. Cette indécision un peu troublante pourrait en fait comporter un enseignement positif. Elle manifeste qu'en sa pointe et en sa perfection, l'expression de l'amour est une, elle se résout en une seule et unique parole. Elle refait l'unité, sans pour autant - le Cantique en est un témoignage - effacer la différence, l'écart de l'un à l'autre, sans lesquels le dialogue disparaîtrait.

https://www.bible-service.net/extranet/current/pages/200423
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MessageSujet: Re: prudence dans l'amour   amour mort - prudence dans l'amour Icon_minitimeVen 06 Oct 2017, 17:22

"L'amour" subvertit, bouleverse, met sens-dessus-dessous, dérange et disloque le langage comme l'image, la grammaire et la logique, le verbe, le nom, le genre et le nombre comme les règles, les codes, les conventions et les convenances de la représentation: c'est le principe (arkhè) an-archique et ir-responsable par excellence, qui est aussi par excellence créateur et poétique. Quand ce qui arrive entre deux (?) "sujets" fait que l'un sort de soi vers l'autre pour entrer en lui (ou en elle), ou l'accueillir en soi de manière à ne faire qu'un, il n'y a plus de "sujet" (sub-jectum) ni de sub-stance qui tienne, on ne distingue plus l'ek-stase de l'hypo-stase ni de la méta-stase; l'état d'amour, si l'on peut dire, renverse tout état (stasis c'est aussi l'insurrection !) et affole le sens de toute essence, le sens propre et figuré de toutes les métaphores, de toutes les métonymies, de tous les transports et de tous les transferts (metaphora, comme on peut encore le lire sur les autocars grecs). Cf. p. ex. ce qui arrive quand "l'amour" se mêle de théologie, ou l'inverse, dans le De Trinitate de saint Augustin.

D'où (peut-être) "prudence", et à double sens au moins: n'éveillez pas, ne réveillez pas; crainte panique de tout ce qui est tant soit peu constitué et établi en "soi", de tomber dans cet "état" qui rend tout "état", toute institution et toute constitution impossible; mais aussi effroi de "l'amour" de se réveiller de lui-même et de s'évanouir comme un rêve, dans une "réalité" sans lui ou sans elle, qu'il ne peut appréhender, en son aveugle lucidité, que comme un vide absolu. Autant de spectres de la mort en ce jardin.
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MessageSujet: Re: prudence dans l'amour   amour mort - prudence dans l'amour Icon_minitimeLun 09 Oct 2017, 10:18

Citation :
D'où (peut-être) "prudence", et à double sens au moins: n'éveillez pas, ne réveillez pas; crainte panique de tout ce qui est tant soit peu constitué et établi en "soi", de tomber dans cet "état" qui rend tout "état", toute institution et toute constitution impossible; mais aussi effroi de "l'amour" de se réveiller de lui-même et de s'évanouir comme un rêve, dans une "réalité" sans lui ou sans elle, qu'il ne peut appréhender, en son aveugle lucidité, que comme un vide absolu. Autant de spectres de la mort en ce jardin.

Fuir le bonheur (ou l'amour) de peur qu'il ne se sauve, chantait,  il me semble, Gainsbourg.

Ce leitmotiv, "ne réveillez pas l'amour, jusqu'à ce qu'il lui plaise", souligne peut-être un "danger" (je n'ai pas trouvé d'autre mot), celui d'aimer d'être aimer. Lorsqu'une personne manifeste un empressement hors du commun, des marques et des paroles d'amour troublantes, on peut aimer toute cette attention et le fait de se sentir un être unique aux yeux de l'autre et finir par aimer  le fait d'être entouré et désiré, sans pour autant aimer l'être à l'origine de tout cet amour, aimer de se sentir aimé.


Dernière édition par free le Lun 09 Oct 2017, 11:11, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: prudence dans l'amour   amour mort - prudence dans l'amour Icon_minitimeLun 09 Oct 2017, 10:48

Gainsbarre, Napoléon, même combat, même débâcle (ou débandade) ?

Du côté "n'éveillez pas", on peut en effet entendre une sorte de scrupule, une exigence d'authenticité, de sincérité ou de synchronicité de l'amour qui refuse le malentendu, l'asymétrie, le décalage ou le désajointement des sentiments ("je t'aime, moi non plus", eût dit le même).

Le Cantique des cantiques aussi s'achève (8,14) sur une fuite, dont l'interprétation, faute de contexte, reste grand ouverte (comme une plaie incurable ?).

(Je repense à l'étymologie contradictoire du mot "fugue" en musique, selon qu'on le rapporte à l'allemand fugen ou à l'italien fuga: ajointement, accord ou raccord de parties disparates, ou/et fuite.)
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MessageSujet: Re: prudence dans l'amour   amour mort - prudence dans l'amour Icon_minitimeLun 09 Oct 2017, 11:27

Ce refrain du Cantique des cantiques, souligne l'aspect mystérieux et angoissant de l'amour, pourquoi tel être, m'attire, me trouble, au point de perdre la raison et de devenir le "pantin" de mes sentiments ?
On subi les émois de son cœur et sans saisi les raisons qui nous poussent à aimer, désirer passionnément et à fusionner avec un être en particulier (pourquoi lui et pas un autre), d'où une certaine réticence à plonger dans l'inconnu et le vide. La peur de confondre amour et passion (même si l'un ne s'oppose pas à l'autre) ou de se laisser tromper par son cœur, soucions de trouver le "vrai" amour. Le "véritable" amour, selon le Cantique, vient progressivement (pas de coup de foudre), il s'identifie clairement, il de tisse et se construit.
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MessageSujet: Re: prudence dans l'amour   amour mort - prudence dans l'amour Icon_minitimeLun 09 Oct 2017, 12:57

Il faut à mon avis beaucoup de bonne volonté ou d'habitude homilétique (pour ne pas dire sermonneuse) pour voir dans le Cantique des cantiques autre chose que de la "passion" -- tout y est, jusqu'à la passivité et à la pathologie de l'amour pâti ou subi comme un "mal" (cf. 2,5; 5,8 ). Il y manque peut-être le gallicisme du "coup de foudre", et encore (les "flammes" de 8,6 sont-elles infernales, comme le parallélisme le suggère, ou célestes, comme l'implique la lecture massorétique qui y introduit du Yah "baaliste" ou "jupitérien" ?). Quant à l'anglicisme correspondant, il y a du "love at first sight" dans toutes les descriptions du ou de la bien-aimé(e) -- comme dirait Antoine Doinel, ce n'est pas une femme, c'est une apparition...
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MessageSujet: Re: prudence dans l'amour   amour mort - prudence dans l'amour Icon_minitimeLun 09 Oct 2017, 13:49

Narkissos a écrit:
Il faut à mon avis beaucoup de bonne volonté ou d'habitude homilétique (pour ne pas dire sermonneuse) pour voir dans le Cantique des cantiques autre chose que de la "passion" -- tout y est, jusqu'à la passivité et à la pathologie de l'amour pâti ou subi comme un "mal" (cf. 2,5; 5,8 ). Il y manque peut-être le gallicisme du "coup de foudre", et encore (les "flammes" de 8,6 sont-elles infernales, comme le parallélisme le suggère, ou célestes, comme l'implique la lecture massorétique qui y introduit du Yah "baaliste" ou "jupitérien" ?). Quant à l'anglicisme correspondant, il y a du "love at first sight" dans toutes les descriptions du ou de la bien-aimé(e) -- comme dirait Antoine Doinel, ce n'est pas une femme, c'est une apparition...




Narkissos, tu as "parfaitement" raison !

D'ailleurs, l'expression, "je suis malade d'amour" (2,5), traduit bien la passion brulante qui suscite désir et souffrance dû à la  séparation ou de l'absence de l'être aimé. La Cantique nous offre une déclaration passionnée de l’amoureuse qui s’enflamme à la pensée des baisers de l'être aimé, le vin donne moins d’ivresse que ses baisers. Le Bien-aimé éveille un désir irrésistible chez la Sulamite , ce qui la fait défaillir et qui lui fait dire : 

"Mon bien-aimé est semblable à la gazelle, au faon des biches. Le voici ; il se tient derrière notre mur, il regarde par la fenêtre, il épie par le treillis." (2,9)


Le cri, "je suis malade d'amour", me fait penser à la chanson de Serge LAMA, "Je suis malade" :

Je ne rêve plus je ne fume plus
Je n'ai même plus d'histoire
Je suis sale sans toi je suis laid sans toi
Je suis comme un orphelin dans un dortoir
Je n'ai plus envie de vivre ma vie
Ma vie cesse quand tu pars
Je n'ai plus de vie et même mon lit
Se transforme en quai de gare
Quand tu t'en vas
Je suis malade complètement malade
Comme quand ma mère sortait le soir
Et qu'elle me laissait seul avec mon désespoir
Je suis malade parfaitement malade
T'arrives on ne sait jamais quand
Tu repars on ne sait jamais où
Et ça va faire bientôt deux ans
Que tu t'en fous
Comme à un rocher comme à un péché
Je suis accroché à toi
Je suis fatigué je suis épuisé
De faire semblant d'être heureux quand ils sont là
Je bois toutes les nuits mais tous les whiskies
Pour moi…

Cette chanson relate l’histoire d’un homme qui vit l’humiliation de ne se trouver aucune qualité si la femme qu’il aime n’est pas là pour les lui rappeler.
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MessageSujet: Re: prudence dans l'amour   amour mort - prudence dans l'amour Icon_minitimeLun 09 Oct 2017, 20:56

Le jeu de la négation (je ne veux plus aimer, je ne veux plus me faire avoir... mais je me fais avoir quand même) est une des constantes de la "chanson d'amour"...
Voir ici, là ou là. Ou, en version plus sarcastique, ici (traduction approximative de la première phrase: "Tout le monde dit je t'aime, mais je n'ai jamais compris pourquoi: il cherche vraiment les emmerdements, le pauvre crétin qui dit je t'aime").
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MessageSujet: Re: prudence dans l'amour   amour mort - prudence dans l'amour Icon_minitimeMar 10 Oct 2017, 09:08

L'amour est donc une maladie, avec comme symptômes, une fièvre brulante, la perte de la raison, souffrance intérieure en cas d'absence de l'être aimé, tendance suicidaire (mourir d'aimer), perception faussée (idéaliser l'être aimé), jalousie maladive, le sentiment de ne plus exister (les amoureux fusionnent, le "je" n'existe plus, seul le "nous" subsiste, obsession, désir incontrôlé   ... Donc seule prescription pour les candidats à l'amour : "ne réveillez pas l'amour, avant qu'il le désire".
L'amour est une maladie, que l'on désire contracter, malgré tous ces symptômes connus, notre vide affectif, nous pousse vouloir aimer (surtout, être aimé).


Sur l'aspect "charnel" et "érotique" du Cantique des cantiques, j'ai trouvé cette analyse assez surprenante mais intéressante  :



  

Le poème ignore cette erwah, dans le sens où il en fait quelque chose de proprement humain et banal, si familier qu’il serait ridicule de l’ignorer. De cette nudité découle le langage des corps, la sexualité comme rapport entre deux êtres. Les allusions sexuelles les plus frappantes sont présentes en V, 4 et en VII, 9. La figure vaginale du trou est importante car elle incarne la féminité face à l’acte sexuel :


"Mon Bien-aimé a passé la main
par le trou de la porte
et du coup mes entrailles ont frémi.
Je me suis levée
pour ouvrir à mon Bien-aimé,
et de mes mains a dégoutté la myrrhe,
de mes doigts la myrrhe vierge,
sur la poignée du verrou."

L’allusion est ici très claire : la main représente la force de l’homme, le membre. La dimension phallique du passage est euphémisée par l’emploi du substantif « main », mais l’acte sexuel est ici bien réel puisque lorsque l’amant retire sa main, le ventre de la Sulamite frémit, ce qui correspond à la frustration du désir, de la jouissance. L’évocation de la myrrhe symbolise le liquide féminin de la passion, liquide dont les doigts viennent calmer l’ardeur impatiente provoquée par la présence de l’amant. La force et le désir sexuel sont également suggérés dans la description du nombril : "Ton nombril forme une coupe / où le vin ne manque pas." Le nombril est au centre du corps, il reçoit toutes les énergies symbolisées par le vin, il est donc le réservoir de toute l’énergie vitale du corps. Le nombril est l’Eros biblique, l’énergie charnelle et érotique.  

L’aspect proprement charnel du Cantique des Cantiques donne au poème toute son humanité. Mais il ne se focalise pas uniquement sur l’aspect corporel de l’érotisme, il sait faire intervenir le sensualisme des éléments pour donner douceur et volupté à son contenu.

 http://www.mythes-bibliques.mom.fr/cantique.htm
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MessageSujet: Re: prudence dans l'amour   amour mort - prudence dans l'amour Icon_minitimeMar 10 Oct 2017, 10:18

Les suggestions du texte sont assez claires et efficaces, je trouve; et sa poésie ne gagne rien à l'explic(it)ation -- comme dirait Boby Lapointe, comprend qui peut !

Surtout, il me semble que le concept d'euphémisme ne rend pas compte de la richesse, de la complexité et de la subtilité du jeu des images et des métonymies: ce n'est pas (seulement, directement) un mot prononçable pour un autre imprononçable (grossier, vulgaire, obscène), c'est une image (la main, la porte, la serrure, etc.) qui fonctionne pour et par elle-même tout en en évoquant discrètement mais irrésistiblement une autre; qui dévoile en voilant, qui ne révèle rien sans le transfigurer en même temps. L'explication prosaïque ou anatomique, évidemment, produit l'effet contraire: elle détruit à la fois la poésie et l'érotisme.

Si tout langage est métonymique par essence (parler c'est toujours dire une chose pour une autre: non seulement un mot pour une chose, mais aussitôt un mot pour un autre et une chose pour une autre), le langage de la "sexualité" l'est par excellence: les mots qui nous paraissent les plus "directs" ou les plus "crus" sont des euphémismes étymologiques défunts, ensevelis, stratifiés ou sédimentés. (Cf. l'évolution de "baiser" en français ou de "making love" en anglais depuis les années 1950.)

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MessageSujet: Re: prudence dans l'amour   amour mort - prudence dans l'amour Icon_minitimeMar 10 Oct 2017, 14:19

Citation :
Si tout langage est métonymique par essence (parler c'est toujours dire une chose pour une autre: non seulement un mot pour une chose, mais aussitôt un mot pour un autre et une chose pour une autre), le langage de la "sexualité" l'est par excellence: les mots qui nous paraissent les plus "directs" ou les plus "crus" sont des euphémismes étymologiques défunts, ensevelis, stratifiés ou sédimentés. (Cf. l'évolution de "baiser" en français ou de "making love" en anglais depuis les années 1950.)
 
Mon bien-aimé est à moi, et je suis à lui" (2,16) 

On retrouve dans cette expression une notion caractéristique de l'amour/passion, l'appartenance mutuelle sans réserve et la communion. Les amoureux/amants s'ils sont éloignés, se cherchent désespérément en manquent l'un de l'autre :

"mon lit, pendant les nuits, j'ai cherché celui que mon cœur aime ; je l'ai cherché et je ne l'ai pas trouvé... Je vais me lever, et je ferai le tour de la ville, dans les rues et sur les places ; je chercherai celui que mon cœur aime...Je l'ai cherché et je ne l'ai pas trouvé.Les gardes qui font le tour de la ville m'ont trouvée : Avez-vous vu celui que mon cœur aime ? A peine les avais-je dépassés que j'ai trouvé celui que mon cœur aime ; je l'ai saisi et ne le lâcherai plus, jusqu'à ce que je l'aie introduit dans la maison de ma mère, dans la chambre de celle qui m'a conçue. Autres ? Je vous en adjure, filles de Jérusalem, par les gazelles, par les biches de la campagne, n'éveillez pas, ne réveillez pas l'amour, avant qu'il le désire." (3,1-5)

« Nous mourrions ainsi, sans séparation Ne formant qu’un à jamais, sans fin, sans réveil, sans angoisse, anonymes, confondus dans l’amour, l’un à l’autre totalement, pour vivre uniquement pour l’amour. » Wagner, Tristan et Isolde


L'amour est une forme d'aliénation.
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MessageSujet: Re: prudence dans l'amour   amour mort - prudence dans l'amour Icon_minitimeMar 10 Oct 2017, 14:57

Ben oui, mais c'est une étrange aliénation (alienus, alius, c'est toujours l'autre, l'altération de l'altérité et l'itération de l'étrangeté, avec toutes leurs allitérations étymologiques ou non) que celle qui est plus vieille, plus profonde, plus originaire et plus "essentielle" que toute "identité", plus propre en somme à chacun que "lui-même". Avant et pour que tu "sois" toi, il en a fallu d'autres, au moins deux, en fait un nombre incalculable d'autres: ce qui t'exproprie ou te dépossède de "toi" sous la figure de "l'amour" -- qui n'est jamais que la traduction affective et ambiguë d'une sexualité qui ne se cantonne pas à l'espèce humaine, ni même (au moins pour la biologie moderne) à l'animal -- c'est cela qui te revient d'une origine plus originaire que ta naissance, dont celle-ci dépend. Ce n'est donc pas une aliénation parmi d'autres, c'est l'aliénation absolue, l'aliénation de toutes les aliénations et de toutes les identités; et aussi bien tout le contraire d'une aliénation, puisque ce qui te dépossède est aussi ce qui te constitue.
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MessageSujet: Re: prudence dans l'amour   amour mort - prudence dans l'amour Icon_minitimeJeu 30 Juin 2022, 11:10

L’un et l’autre amour


Chant des chants

Comme l’analyse des piyyoutim le suggère déjà, le Cantique des Cantiques constitue ainsi l’une des matrices bibliques par excellence du chant lyrique de tout fidèle, qu’il se déploie dans la poésie liturgique ou dans des œuvres plus personnelles, comme celle de Claude Hopil, dont quelques vers concluent ce cahier. La richesse des interprétations que suscite l’épithalame est en effet indissociable de sa dimension poétique : pour dire la nécessité de son propre dépassement, le langage amoureux s’y fait essentiellement métaphorique ; comme le souligne Jean-Pierre Sonnet, c’est parce qu’il est « irréductible à la nécessité du besoin » que le « désir sexuel “parle” en métaphores ». Un tel langage ne saurait être celui qui identifie, classe et caractérise pour épuiser le réel mais au contraire celui qui utilise la totalité des réalités créées pour chanter ce qui n’aura jamais fini de l’être, dans un élan et une course toujours renouvelés, comme ces chevreaux et ces faons qui bondissent de colline en colline : c’est sur cette course que s’achève le Cantique (8, 14).

Le phénomène est d’autant plus sensible que nul autre livre biblique n’est composé ainsi, comme un pur dialogue dont aucun récit ne vient vraiment réguler l’interprétation, tant la trame narrative semble fragile : tout au plus une action dramatique tient-elle lieu d’histoire, comme chez Origène qui reconnaît cependant qu’il s’agit d’un « quasi historicus ordo». Ces fragments de discours amoureux semblent résonner hors du temps, dans un jardin idéal et un éternel présent : « D’où chantent, soudain, l’homme et la femme, sinon de ce paradis d’où on les croyait expulsés ?». Ils offrent à tout lecteur le modèle par excellence d’une parole échangée entre un Je et un Tu, un jeu dans lequel se conjuguent heureusement – et avec quelle virtuosité ! – ressemblance et altérité. Chanter l’accomplissement dans l’amour, c’est aussi chanter, comme le note Benoit Sibille, le « devenir poème du monde».

Reprendre les paroles du Cantique en première personne, c’est donc aussi les ré-inscrire dans une histoire : quand et en quel lieu ce chant peut-il devenir le nôtre ? Comment ce chant de paradis peut-il résonner dans nos chairs marquées par le péché ? Lorsque Claudel contemple la « violence » de la passion à la lumière de l’épithalame biblique, il a aussi sous les yeux deux des pièces qu’il composa pour comprendre le sens spirituel du désir amoureuxShocked Partage de Midi et Le Soulier de Satin. « L’amour a achevé son œuvre sur toi, ma bien-aimée » s’exclame Rodrigue devant Prouhèze, sans vraiment comprendre, au moment où il prononce ces paroles, qu’elle lui offre la vraie réalisation de ce qu’il désire ; Rodrigue ne voit que l’union impossible entre ces deux amants que tout va séparer, la soif brûlante qui le dévore, « cette absence essentielle » qu’est sa Passion. Comme un gibier blessé, il acceptera enfin d’être pris, de reconnaître sa joie dans cet arrachement de lui-même ; il consentira alors aux paroles de la Bien-Aimée qui lui dit : « Je suis ta joie  ». La pièce raconte cette traversée du désir qui renonce à ses illusions et s’ouvre, lentement, douloureusement mais radicalement, à sa propre plénitude.

Cette intelligence spirituelle du langage amoureux n’est donc pas d’abord, on l’aura compris, l’affaire des spécialistes de l’exégèse. Grégoire de Nysse attire l’attention sur le « paradoxe » éminent d’un tel poème : « La nature elle-même purifie ses propres passions ! ». Conjoindre l’érotique et la mystique n’est pas les confondre mais chercher inlassablement le sens plénier de l’amour : l’intelligence du texte biblique, pour qu’elle s’accomplisse, impose au lecteur cette purification.

https://www.cairn.info/revue-communio-2022-1-page-8.htm
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MessageSujet: Re: prudence dans l'amour   amour mort - prudence dans l'amour Icon_minitimeJeu 30 Juin 2022, 12:56

Bel éditorial de ce qui semble un excellent numéro de Communio: il donne en tout cas envie de le lire (c'est généralement le but d'un éditorial, mais il n'est pas toujours atteint pour autant).

Le problème du rapport entre l'"érotique" et la "mystique", ou plus largement (?) entre la "sexualité" et la "religion", dont on a parlé maintes fois (parle-t-on jamais d'autre chose ?) et dont le Cantique des cantiques est en quelque sorte le lieu exemplaire, me paraît ici aussi bien posé que possible: c'est la même "chose" qui n'est pas une "chose", qui s'offre et se dérobe, se voile et se dévoile, avec autant d'effets de plis, de déploiements et de replis, de développements et d'enveloppements, de voilements et de dévoilements qu'on voudra, puisqu'en définitive tout "sujet" s'y perd comme il s'y sauve, s'y constitue comme il s'y destitue, sexus-plexus-nexus (comme dirait Henry Miller) de "la vie la mort" (on peut relire ce fil, entre autres)... Un "sens" recouvre l'autre, la (ou le) "mystique" occulte l'"érotique" et inversement, mais l'occulté(e) ne tarde pas à reparaître, jeu et danse sans fin puisque ça ne s'arrête ni à un, ni à deux, ni à trois, ni à un genre ni à un nombre...

Petit détail: le mot piyyoutim (que je ne connaissais pas, ou dont je ne me souvenais pas) est une "hébraïsation" artificielle du grec poiètès: poète, faiseur, créateur...


Dernière édition par Narkissos le Jeu 30 Juin 2022, 17:57, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: prudence dans l'amour   amour mort - prudence dans l'amour Icon_minitimeJeu 30 Juin 2022, 13:05

L’amour dans le Cantique des cantiques : « juste une comparaison »

Rosenzweig a voulu reprendre cette démarche allégorique traditionnelle dans ses commentaires du Cantique : on en verra pour preuve sa traduction, déjà évoquée ci‑dessus, de la poésie de Juda Halevi, qui comprend un commentaire des vers 2, 14 et s. du Cantique ; mais aussi et surtout la troisième partie de L’Étoile, intitulée « De la possibilité d’obtenir le Royaume par la prière », dans laquelle il reprend une lecture adoptée aujourd’hui encore par beaucoup de Juifs pratiquants qui se déclarent de façon véhémente antisionistes : s’élevant contre tous ceux qui, « illuminés par la prière », aimeraient bien « amener le Royaume des cieux par violence, avant le temps prévu », il lit en effet dans la « conjuration » trois fois répétée du Cantique (II, 7 ; III, 6 ; VIII, 4 : « N’éveillez pas, ne provoquez pas l’amour, avant qu’il le veuille ») le sens allégorique que l’on trouve déjà dans la tradition talmudique, qui enjoint de ne pas « monter en muraille » – c’est‑à-dire, avait expliqué Rachi, par la force – en terre d’Israël ; et de ne pas se rebeller contre les nations du monde ; les nations devant aussi jurer de ne pas opprimer Israël trop durement. Dans la troisième partie de L’Étoile, c’est alors une lecture allégorique du Cantique qu’il reprend. Les exemples qu’il donne de lectures allégoriques des textes bibliques étant empruntés au Nouveau Testament aussi bien qu’à l’Ancien, cette allégorie est très certainement mâtinée chez lui de réminiscences du Nouveau Testament, ici de Mathieu.

https://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2019-2-page-299.htm
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MessageSujet: Re: prudence dans l'amour   amour mort - prudence dans l'amour Icon_minitimeJeu 30 Juin 2022, 15:32

J'ai trouvé cet article vraiment passionnant (merci, encore). Il faut sans doute être un peu familier des auteurs de référence (Rosenzweig surtout, mais aussi Cohen, Benjamin, Buber, Scholem, et plus anciennement jusqu'à Schelling, Herder ou Goethe) pour l'apprécier (je n'y suis venu moi-même que très tardivement, progressivement et partiellement); à défaut c'est de nature à donner des pistes et des envies d'excellentes lectures.

Il est en effet assez amusant, si l'on peut dire tant cette histoire est triste et n'en finit pas de l'être, de remarquer que le "refrain" du Cantique que j'avais précisément choisi pour ce fil était devenu, dans la première moitié du XXe siècle, un couplet "antisioniste", de la part du judaïsme le plus traditionnel (je l'ignorais, je n'y avais pas pensé, mais quand on le montre c'est évident).

Il ne faut pas oublier, bien sûr, le point d'interrogation au titre de Myriam Bienenstock, ni l'hésitation de la traduction (Gleichnis = comparaison, mais aussi parabole au sens "évangélique", et à l'autre bout l'indifférence du es ist mir gleich, "ça m'est égal") sur quoi porte précisément la question.

Reste qu'entre "la vie (le sexe) la mort" et le "langage" (la langue ou la parole, tout ce qui se confond aussi dans die Sprache) le rapport ne peut pas être de "simple comparaison" parce qu'il n'est pas de "simple extériorité": tout locuteur est aussi un individu biologique, vivant, sexué, mortel, d'avance subverti, destitué, dépossédé par "la vie le sexe la mort" comme par "le langage", toutes choses qu'ensemble il s'approprie et qui le constituent provisoirement, comme tous les mots glissent insensiblement d'un sens prétendu "propre" à des sens prétendus "figurés" au gré d'une métonymie continue (espace lisse, dirait Deleuze)... Qu'en est-il d'un "comme" quand les éléments de la comparaison s'entr'appartiennent et ne sont nullement séparables les uns des autres, quand ils sont d'avance engagés dans la relation qu'ils devraient établir et définir entre eux, ce qui fausse d'emblée toute identité, toute différence et toute comparaison ?

Il faudrait par ailleurs souligner, ce que le début du XXe siècle était peut-être moins en mesure de faire, que l'excès de tout cela, langage et sexualité, sur l'"humain", vers le divin dans les interprétations classiques, allégoriques et mystiques, joue aussi bien en sens contraire si l'on peut dire, vers l'animal, le végétal, le physique, à même la "poésie" qui réunit tous les "règnes", tous les "domaines", tous les "genres" et toutes les "espèces". Les amoureux se découvrent rois ou dieux, ils se découvrent aussi chevreuils, bouquetins, renards, oiseaux, montagnes, collines, ruisseaux, arbres, fleurs ou fruits, toute axiologie ou jugement de valeur impliquant un haut et un bas, un plus et un moins, en est par là même bouleversé(e), sens dessus-dessous.
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MessageSujet: Re: prudence dans l'amour   amour mort - prudence dans l'amour Icon_minitimeJeu 30 Juin 2022, 15:55

Citation :
 « N’éveillez pas, ne provoquez pas l’amour, avant qu’il le veuille »)

L'amour/passion échappe à notre volonté, c'est lui qui décide pour nous : "jusqu'à ce qu'il lui plaise", on peut essayer d'attiser le sentiment amoureux mais en réalité l'amour "possède" les amoureux, c'est lui qui prend la place de la "raison" et qui rend irrationnel, qui impose ses "désirs" et sa folie. Peut-être que le refrain : "n'éveillez pas, ne réveillez pas l'amour" est une façon d'éviter de perdre la "raison" et d'être un "possédé",  une manière d'"exorciser" l'amour qui rend fou.
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MessageSujet: Re: prudence dans l'amour   amour mort - prudence dans l'amour Icon_minitimeJeu 30 Juin 2022, 16:59

Comme j'avais essayé de l'expliquer dans le premier post de ce fil, même le sens du "réveil de l'amour" n'est pas clair -- aussi peu que la formule "le réveil de l'amour" en français, bien que l'ambiguïté passe par d'autres chemins syntaxiques: on pourrait imaginer que l'amour se réveille d'un sommeil, d'une torpeur ou d'une latence vers plus de vie, d'action, de manifestation ou d'intensité, OU BIEN, au contraire, qu'il se réveille de son rêve, du rêve qu'il est, vers la "réalité" qu'il n'est pas, ou qu'il ne serait que très partiellement. Et en tout cas, "réveiller l'amour", c'est ce qu'il NE faudrait PAS faire, pas avant qu'*il* ou *elle* ('hbh-'ahava / agapè étant du féminin) le veuille ou n'y prenne plaisir (h)...

Quoi qu'il en soit il ne faut certainement pas chercher une différence de sens entre deux verbes (comme "réveiller / provoquer" dans la traduction précitée), puisqu'en hébreu il s'agit du même verbe (`wr) à deux conjugaisons différentes (hiphil / polel), dans un parallélisme manifestement synonymique, avec un effet d'intensification (comme dans "éveiller / réveiller") mais non de changement de sens.

La dépossession des "sujets" humains ne fait aucun doute, sans qu'il faille pour autant forcer la personnification corollaire de l'"amour" sujet -- dans 1 Corinthiens 13 aussi l'agapè est sujet des verbes. "L'amour" est à la fois la chose la plus et la moins importante quand on aime (c.-à-d. quand on aime quelqu'un ou quelque chose, et non "l'amour", mais l'"amour" est peut-être aussi l'impossibilité de faire la différence; cf. encore la trinité augustinienne où "l'amour" fait nombre avec "l'a(i)mant" et "l'aimé").
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MessageSujet: Re: prudence dans l'amour   amour mort - prudence dans l'amour Icon_minitimeVen 01 Juil 2022, 11:33

2. Le poème met en œuvre des sentiments ou plus exactement les «mouvements de l’amour», selon l’expression d’Origène reprise par P. Ricœur. Le Cantique est toujours en mouvement. Pas de repos; quand on croit que les amoureux vont être ensemble, tout doit recommencer.

«A mesure que le poème se déploie, on comprend que cette mobilité, parfois déconcertante à suivre dans ses sautes d’humeur, est l’indice d’un jeu, qui est celui du désir même, ou plutôt de deux désirs entrecroisés. Or la texture du désir est faite d’éloignements, de rapprochements et de nouveaux éloignements. À cet égard, la scène de la porte, au chapitre 5, est particulièrement troublante: le bien-aimé frappe et demande à entrer. Il passe la main par le trou de la porte, et voilà: “J’ai ouvert à mon bien-aimé, mais, tournant, le dos, il avait disparu”. Et le chœur, un peu plus loin de déplorer: “Où est parti ton bien-aimé, ô la plus belle des femmes, que nous le cherchions avec toi ?” Et encore le chœur: “Reviens, reviens, Sulamite, reviens que nous te regardions”. Et c’est de nouveau le départ: “Viens, mon bien-aimé, allons aux champs !”

Ce jeu de la distance rehausse les moments de mutuelle possession, que le poème, encore une fois, ne décrit pas, ne montre pas, mais seulement évoque, au sens le plus fort du mot: “Son bras gauche est sous ma tête et sa droite m’étreint” (2, 6 et 8, 3); et encore: “Mon bien-aimé est à moi, et moi à lui. Il paît son troupeau parmi les lys” (2, 16; 6, 3). L’amour charnel est peut-être consommé en 5, 1 ou en 6, 3; or cela n’est pas dit sous le mode descriptif, mais chanté; on peut alors se demander si la véritable consommation n’est pas dans le chant lui-même » (p. 418-419).

Dans ce même ordre d’idées, l’oscillation entre la veille et le sommeil est un élément important du texte. On passe du sommeil à la veille et la frontière est incertaine comme dans la formule qui a valeur de refrain: “Je dors, mais mon cœur veille”.

«Ces alternances de sommeil, de veille, de rêve et de réveil, appartiennent à la même dynamique des désirs croisés et au jeu de la distance tour à tout comblée et creusée » (p. 420).

https://sites.google.com/site/cantiquedescantiquesdesalomon/interpretations/epoque-contemporaine/3--paul-ricoeur
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MessageSujet: Re: prudence dans l'amour   amour mort - prudence dans l'amour Icon_minitimeVen 01 Juil 2022, 12:26

Les analyses de Ricœur sont, comme toujours, justes et fines -- ici sur les jeux de poursuite et de fuite, d'approche et d'éloignement, de sommeil, de rêve et de réveil. Par contre, je ne vois pas trop ce qu'il gagne à substituer la notion de "nuptial" à celle d'"érotique": j'en devine bien l'avantage stratégique -- favoriser le passage ou la communication entre le Cantique et la littérature prophétique, puis ecclésiastique ou mystique, qui représente le rapport de Yahvé / Jésus à Israël / Juda / Jérusalem / l'Eglise / l'âme avec des traits "érotiques" ET "matrimoniaux", ou plutôt patrimoniaux et patriarcaux, mari et père propriétaire et seigneur, Baal aussi dans ce double sens. En ce qui concerne le Cantique lui-même, le "nuptial" (même rapporté à l'événement des "noces" plutôt qu'à l'état de "mariage" subséquent, c'est le sens apparent du distinguo entre "nuptial" et "matrimonial") ne me paraît pas présenter de "progrès" conceptuel par rapport à l'"érotique", bien au contraire: il y a un côté "officiel" et "public", instituant (une fois pour toutes) sinon institutionnel du "mariage" même au sens de "noces", qui me semble à contresens de nombre de "mouvements" du Cantique: secret, perte, fuite, cachette, recherche, poursuite, tout cela a aussi un côté "clandestin" -- que peut certes mimer à son tour un rituel nuptial, par exemple dans un simulacre de rapt, mais il me semble qu'un tel "contexte" imaginaire est tout à fait superflu pour les "cantiques" du Cantique...
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MessageSujet: Re: prudence dans l'amour   amour mort - prudence dans l'amour Icon_minitimeMer 27 Juil 2022, 14:12

Comme un rêve

Cette interprétation du Cantique des cantiques comme un rêve est aussi celle que propose la théologienne Marina Poydenot, enseignante au Centre Sèvres à Paris. À 21 ans, au moment de sa conversion, cette musicienne qui compose des chansons, par ailleurs engagée dans la communauté du Chemin-Neuf, a découvert le Cantique. Elle en perçoit alors le sens doublement allégorique (amour entre Dieu et les siens, et entre l'âme et Dieu), mais le sens littéral, celui du désir mutuel entre l'homme et la femme, ne lui parle pas.

Après plusieurs années de travail, guidée notamment par les travaux des juifs américains, du salésien italien Gianni Barbiero, ou encore du jésuite Paul Beauchamp, elle en propose une réflexion personnelle, partant de l'hypothèse qu'il s'agit d'un rêve.

Un rêve éveillé de la bien-aimée qui se remémore ses unions amoureuses avec le bien-aimé. Pour preuve de cette « écriture nocturne », la jeune théologienne relève divers « marqueurs oniriques » (« Ne réveillez pas l'amour », « Sur les lèvres de ceux qui sommeillent » ) évoquant ce qui échappe à la maîtrise. « Ce songe tourne autour d'un même objet sans jamais le montrer entièrement, poursuit-elle. On ne sait si le bien-aimé est là ou pas ; quant à la bien-aimée, c'est dans son imagination qu'elle est portée vers lui. »

Si la plupart des exégètes s'accordent aujourd'hui pour considérer que des rédacteurs différents ont écrit les divers poèmes du Cantique et qu'une main unique les a ensuite rassemblés en leur donnant « une touche stylistique finale », certains - tels le Canadien André LaCocque - font l'hypothèse que cette main pourrait être féminine. « Qui peut parler aussi bien le langage de l'intériorité, si ce n'est une femme ? », interroge aussi Marina Poydenot, soulignant l'alternance des pronoms personnels et l'importance du décor indices de féminité.

https://www.la-croix.com/Religion/Actualite/Un-Cantique-des-cantiques-etudie-et-interprete-_NG_-2008-05-16-671358
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MessageSujet: Re: prudence dans l'amour   amour mort - prudence dans l'amour Icon_minitimeMer 27 Juil 2022, 14:56

Comme les jeux différentiels du sommeil, du rêve et de l'éveil d'une part, du masculin et du féminin d'autre part, sont explicites dans le(s) texte(s) (du Cantique des cantiques, au moins), dont ils articulent et animent le jeu, je ne vois pas trop l'intérêt de ramener l'ensemble à une seule "catégorie", (quasi) onirique et/ou féminine, sinon d'en paralyser le jeu d'une manière ou d'une autre... mais à chaque époque ses marottes, celles-ci ne sont pas plus idiotes, ni beaucoup moins, que les "allégories" d'antan.

Tout le décisif a plus ou moins le caractère du rêve -- cf. p. ex. ici. Dans le récit de l'Eden déjà le jeu des sexes commence par le sommeil...
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