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 L'acte de foi dans l'évangile de Jean

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MessageSujet: L'acte de foi dans l'évangile de Jean    L'acte de foi dans l'évangile de Jean  Icon_minitimeMar 26 Mar 2019, 11:44

Croire c'est recevoir : "mais à tous ceux qui l'ont reçue, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu — à ceux qui mettent leur foi en son nom" (1,12) ; "Amen, amen,  je te le dis, nous disons ce que nous savons, et nous témoignons de ce que nous avons vu ; et vous ne recevez pas notre témoignage" (3,11) et "il témoigne de ce qu'il a vu et entendu, et personne ne reçoit son témoignage. Celui qui a reçu son témoignage a certifié que Dieu est vrai" (3, 32-33).

L'acte de foi suppose une attitude de réceptivité, d'ouverture, de docilité.
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MessageSujet: Re: L'acte de foi dans l'évangile de Jean    L'acte de foi dans l'évangile de Jean  Icon_minitimeMar 26 Mar 2019, 12:51

Cf. aussi 17,8 (p. ex.).

Il me semble que c'est aussi vrai de "Paul", dans un certain sens (p. ex. rapport de la foi à l'écoute, Romains 10).

Mais dans "Jean" il faut tenir compte d'un jeu de signifiants beaucoup plus large et plus fluide: "croire c'est recevoir", oui, mais c'est aussi, selon les textes, "connaître", "aimer", "obéir", "voir", "entendre", "toucher", "goûter", "manger", "boire", "entrer", "sortir", etc.
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MessageSujet: Re: L'acte de foi dans l'évangile de Jean    L'acte de foi dans l'évangile de Jean  Icon_minitimeMar 26 Mar 2019, 13:16

Citation :
Mais dans "Jean" il faut tenir compte d'un jeu de signifiants beaucoup plus large et plus fluide: "croire c'est recevoir", oui, mais c'est aussi, selon les textes, "connaître", "aimer", "voir", "entendre", "toucher", "goûter", etc.

Effectivement chez Jean tous ces verbes ("voir", "entendre", "connaitre", "recevoir" ...) sont des synonymes de "croire" :

"Jésus lui dit : Il y a si longtemps que je suis avec vous et tu ne me connais pas, Philippe ? Celui qui m'a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire, toi : « Montre-nous le Père ! » Ne crois-tu pas que, moi, je suis dans le Père, et que le Père est en moi ? Les paroles que, moi, je vous dis, je ne les dis pas de ma propre initiative ; c'est le Père qui, demeurant en moi, fait ses œuvres. (...) de la vérité, que le monde ne peut pas recevoir, parce qu'il ne le voit pas et qu'il ne le connaît pas ; vous, vous le connaissez, parce qu'il demeure auprès de vous et qu'il sera en vous." (14 : 9,10 et 17)



"Elle est venue chez elle, et les siens ne l'ont pas accueillie ; mais à tous ceux qui l'ont reçue, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu— à ceux qui mettent leur foi en son nom. Ceux-là sont nés, non pas du sang, ni d'une volonté de chair, ni d'une volonté d'homme, mais de Dieu. La Parole est devenue chair ; elle a fait sa demeure parmi nous, et nous avons vu sa gloire, une gloire de Fils unique issu du Père ; elle était pleine de grâce et de vérité." (1,11-14)

"Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont palpé, — il s'agit de la parole de la vie (car la vie s'est manifestée, nous avons vu, nous rendons témoignage et nous vous annonçons la vie éternelle, qui était auprès du Père et qui s'est manifestée à nous) —  ce que nous avons vu et entendu, nous vous l'annonçons, à vous aussi, pour que vous aussi vous soyez en communion avec nous. Or notre communion est avec le Père et avec son Fils, Jésus-Christ" (1 Jean 1,1-3)

 



J'ai le sentiment que que toutes ces capacités à entendre, à voir, à connaitre ..., ne sont pas le résultats d'une démarche intellectuelle mais la conséquence d'une origine commune divine, donc d'une "évidence", le croyant "doit" voir, connaitre .... d'une manière intuitive, car il connait déjà ces choses, "Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu". Je trouve l'expression "que nos mains ont palpé" est très belle.
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MessageSujet: Re: L'acte de foi dans l'évangile de Jean    L'acte de foi dans l'évangile de Jean  Icon_minitimeMar 26 Mar 2019, 13:35

J'ai rallongé la liste, et on pourrait continuer...

Bien sûr il y a des signifiants plus fréquents que d'autres, mais le jeu de permutation -- la danse -- de tous fait qu'aucun ne s'érige au rang de signifiant-signifié central (comme l'est assurément la "foi" dans l'épître aux Romains, sinon dans tout le corpus paulinien).

On pourrait d'ailleurs se demander si ou plutôt en quel(s) sens la "foi" est ou non un "acte" (autodafé ?), autrement dit une "œuvre" (quel genre d'acte, acte de qui, etc.): même de cela "Jean" joue (p. ex. 6,27ss).
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MessageSujet: Re: L'acte de foi dans l'évangile de Jean    L'acte de foi dans l'évangile de Jean  Icon_minitimeMar 26 Mar 2019, 14:34

"Voir", "entendre", "toucher" ... sont des sens "basiques" de perception, il ne demande pas un effort d'intériorisation et d'analyse, comme peut le supposer l'expression franzienne "exercer la foi". L'emploi de ces verbes implique une certaine "docilité" du croyant, il accepte de percevoir certaines réalités, juste en étant "ouvert", sans que cela requière d'accomplir certains actes particuliers ou un travail intérieur particulier. Le croyant doit être sans résistance devant Dieu et dans l'acceptation du révélateur.


Citation :
On pourrait d'ailleurs se demander si ou plutôt en quel(s) sens la "foi" est ou non un "acte" (autodafé ?), autrement dit une "œuvre" (quel genre d'acte, acte de qui, etc.): même de cela "Jean" joue (p. ex. 6,27ss).


"Œuvrez, non pas en vue de la nourriture qui se perd, mais en vue de la nourriture qui demeure pour la vie éternelle, celle que le Fils de l'homme vous donnera ; car c'est lui que le Père — Dieu — a marqué de son sceau. Ils lui dirent : Que devons-nous faire pour accomplir les œuvres de Dieu ? Jésus leur répondit : L'œuvre de Dieu, c'est que vous mettiez votre foi en celui qu'il a lui-même envoyé." (6, 27-29) 

Jean inverse la logique de la foi qui produit des œuvres, c'est la foi qui est une œuvre, en réalité  "L'œuvre de Dieu".
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MessageSujet: Re: L'acte de foi dans l'évangile de Jean    L'acte de foi dans l'évangile de Jean  Icon_minitimeMar 26 Mar 2019, 15:54

En effet, "Jean" paraît ici très proche d'un certain (deutéro-)paulinisme (dans une trajectoire, disons, de Romains à Ephésiens), pour lequel, après avoir opposé "foi" et "œuvres", il faut encore montrer que la foi n'est pas une "œuvre", mais un "don de Dieu". Mais pour lui ("Jean") ce n'est pas une idée fixe ni centrale, ce n'est qu'un moment et un passage d'un jeu beaucoup plus varié.

Pour "exercer la foi", la TMN a une excuse partielle: tous les traducteurs (en français comme en anglais) sont embarrassés par la rupture formelle (qui remonte au latin) entre "foi" et "croire" (fides/credere, faith/believe) qui obscurcit l'évidence du grec (pistis-pisteuô). Mais la solution retenue est catastrophique, surtout dans les textes pauliniens: faire de la "foi" un "exercice", c'est vraiment prendre le paulinisme (au moins depuis Romains) à contresens. Le plus étonnant, qui témoigne à mon sens d'une totale insensibilité théologique, c'est que le contresens n'a même pas de cohérence idéologique: la TMN fait de l'anti-paulinisme avec "exercer la foi", mais de l'hyper-paulinisme avec "faveur imméritée" (pour kharis, "grâce").

Il me semble que cette traduction gêne moins le johannisme, justement à cause de la grande diversité ou mobilité thématique de ce dernier: que la "foi" soit aussi un "exercice", une "pratique", à la limite un jeu, pourquoi pas ? L'ironie johannique triomphe des traductions sectaires et fantaisistes comme elle a triomphé de ses "corrections" orthodoxes.
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MessageSujet: Re: L'acte de foi dans l'évangile de Jean    L'acte de foi dans l'évangile de Jean  Icon_minitimeMar 26 Mar 2019, 16:39

Après la multiplication des pains, la foule ne comprend pas (et les disciples pas davantage) que ce prodige est un signe, comme l’interpellation de Jésus le fait remarquer : Ce n’est pas parce que vous avez vu des signes que vous me cherchez, mais parce que vous avez mangé des pains à satiété (Jn 6,26). Les interlocuteurs de Jésus s’en tiennent à ce qu’ils ont vu, c’est-à-dire du pain. Or, le signe est une réalité visible, c’est-à-dire accessible aux sens, qui fait accéder à une réalité qui ne se voit pas, c’est-à-dire qui n’est pas telle quelle accessible aux sens. Il s’agit en fait de la même réalité, mais considérée dans la totalité qu’elle constitue du fait de l’action de la résurrection sur elle. Bien sûr, Jésus dans le récit évangélique n’est pas encore ressuscité. Mais l’évangéliste présente la puissance agissante du Ressuscité comme déjà à l’œuvre durant sa vie terrestre, car elle lui appartient par ce qu’il est : Celui qui vient d’auprès du Père pour accomplir son dessein (Jn 6,38). C’est pourquoi, le pain dans ce passage de Jean renvoie à l’eucharistie . L’élément créé qui est touché par la puissance de Jésus, qui n’est autre que celle de l’Esprit, c’est le pain qui n’est plus du pain ordinaire, mais le Pain de la Vie éternelle (Jn 6,35 et 51), c’est-à-dire le Christ Jésus lui-même. Le pain que l’on voit et mange est à la fois ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas. Il est à la fois signe de la Vie éternelle et cette vie même. Pour entrer dans cette compréhension, et par conséquent pour savoir qu’il y a un signe, il faut « croire ». Alors la réalité dans son appréhension première devient signe de la réalité dans sa dimension nouvelle, due à l’action de la résurrection de Jésus. Le pain est en fait le pain de Vie, c’est-à-dire le Pain qui est devenu la Vie.

Le signe johannique n’est pas donné d’emblée au sens où, pour être compris, il demande de se situer par rapport à Jésus. Les signes accomplis par Jésus appartiennent aux œuvres que le Père lui donne de faire; Ils constituent un ensemble qui coïncide avec la vie publique de Jésus et donnent à voir la relation de Jésus au Père de sorte à engager à croire. La vue du signe à la fois suscite et suppose le croire.

Cependant, l’accès aux réalités comme signes suppose de se situer en disciple de Jésus. Le signe en effet n’est pas parlant en lui-même. Il demande d’être interprété. Selon l’évangéliste, si l’on n’est pas disciple de Jésus, le signe est ambigu, voire il devient un obstacle et conduit au rejet de Jésus et par conséquent de ses disciples. L’interprétation du signe est commandée par l’attitude que l’on a par rapport à Jésus. En reprenant l’exemple de la multiplication des pains, on mesure l’écart entre l’interprétation des disciples et celle de la foule. Celle-ci s’arrête à la matérialité du signe (Jn 6,26). Pour comprendre, il faut travailler à l’œuvre de Dieu (Jn 6,27), c’est-à-dire croire en Jésus qui est son envoyé (6,29). Les signes ne constituent pas un système sémantique clos où un signifiant renvoie à d’autres signifiants. Tous renvoient à Jésus, et le signe le plus topique est la croix. On peut y voir le crucifié, un cadavre. On peut aussi y découvrir la manifestation suprême de la gloire de Dieu, ce qui suppose de croire en Jésus et de comprendre les Écritures. https://www.cairn.info/revue-des-sciences-philosophiques-et-theologiques-2006-2-page-297.htm
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MessageSujet: Re: L'acte de foi dans l'évangile de Jean    L'acte de foi dans l'évangile de Jean  Icon_minitimeMar 26 Mar 2019, 17:53

[Fichtre ! Il y a désormais un catholicisme intergalactique... -- c'est après tout dans la logique de sa dénomination ("universelle"). Smile ]

Par contraste, Raymond E. Brown -- l'un des principaux exégètes catholiques de son temps, et plutôt "modéré" dans sa discipline -- faisait sobrement remarquer, dans son commentaire sur Jean, que le concept de "résurrection" est totalement inutile à cet évangile, comme d'ailleurs (pour des raisons un peu différentes, plus "platoniciennes") à l'épître aux Hébreux. Il en joue comme d'autres éléments de la tradition proto-chrétienne, mais il n'en a nul besoin puisque son Christ est tout entier révélation ou manifestation de la divinité; sa "croix" et sa "gloire" sont une seule et même chose, et la "résurrection" n'est qu'une répétition supplémentaire et superflue de cette même chose...

Mais une théologie qui ne suit aucun texte à force de les mélanger tous peut bien voir de la "résurrection" où il n'y en a pas, comme naguère tout s'expliquait par le "mystère pascal"... En Jean 6, Fantino ignore les contradictions entre le discours "sapiential" sur le "pain de vie" et l'ajout "eucharistique" des v. 51ss (pourtant bien mises en évidence par Brown), il ne remarque pas qu'à la fin même les "disciples" s'en vont à l'exception des Douze (v. 66ss), qui s'en iront aussi à l'exception du "bien-aimé" dans le récit de la Passion. Le rapport de la "foi" (<=> connaissance, <=> amour, etc.) au Christ johannique n'est précisément pas "ecclésiastique", ni "traditionnel" ni "sacramentel". Plus grave pour l'ensemble du discours, la négativité radicale du "monde" johannique se prête très mal à une théologie "évolutionniste" ou "progressiste" de l'histoire et a fortiori de l'univers, façon Teilhard de Chardin (qui n'est d'ailleurs même pas mentionné alors que tout ça lui ressemble tant)... décidément "science et foi" ne font pas bon ménage, et encore moins avec l'exégèse.
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MessageSujet: Re: L'acte de foi dans l'évangile de Jean    L'acte de foi dans l'évangile de Jean  Icon_minitimeMer 27 Mar 2019, 11:06

Narkissos a écrit:
En Jean 6, Fantino ignore les contradictions entre le discours "sapiential" sur le "pain de vie" et l'ajout "eucharistique" des v. 51ss (pourtant bien mises en évidence par Brown)


Cet ajout eucharistique ne commencerait-il pas de puis le 48?
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MessageSujet: Re: L'acte de foi dans l'évangile de Jean    L'acte de foi dans l'évangile de Jean  Icon_minitimeMer 27 Mar 2019, 12:12

Tout dépend de ce qu'on entend par "eucharistique": au sens le plus large, ou le plus lâche, on peut dire que tous les récits évangéliques de "multiplication des pains" (ou repas miraculeux, inspiré plus lointainement du cycle d'Elisée comme beaucoup de miracles synoptiques, cf. 2 Rois 4,42ss), depuis ceux de Marc, ont quelque chose d'"eucharistique", non seulement à cause du verbe eukharistô pour "rendre grâce", mais surtout parce qu'ils font écho à l'"institution de la Cène" (ou "Eucharistie"). Il va de soi que le récit similaire du quatrième évangile relève, à la base, de ce même "intertexte" général; mais l'économie particulière du livre en modifie considérablement la portée, déjà par le fait que celui-ci NE comporte PAS d'"institution eucharistique" (pour ainsi dire remplacée par le "lavement des pieds" au chapitre 13).

Les développements spécifiquement johanniques du chapitre 6, sur la manne et le pain de vie, sont de type "sapiential" jusqu'au v. 51 (si l'on excepte les micro-additions eschatologiques "je le ressusciterai au dernier jour", qui s'opposent plutôt à l'"eschatologie réalisée" caractéristique de l'ensemble du livre, cf. p. ex. 5,24; 11,24s). "Jésus" parle comme "la Sagesse" de Proverbes 8--9 (qui est le début d'une longue tradition du "banquet de la Sagesse", comparer notamment le v. 35 avec Siracide 24,21). On peut aussi, si l'on veut, appeler ce discours "eucharistique", mais par référence à une "eucharistie" sapientiale et non "sacrificielle", comme celle de la Didachè où le pain et le vin représentent connaissance et sagesse divines, NON le corps et le sang du Christ comme dans la tradition paulinienne et synoptique (1 Corinthiens 11 -> Marc 14//). C'est seulement à partir de la fin du v. 51, avec l'introduction de la "chair" et du "sang", que le texte ressemble vraiment, ostensiblement et même outrageusement (parodie, caricature anthropo- ou théo-phagique), à ce dernier modèle d'"eucharistie".

Accessoirement, selon qu'on lit le texte AVEC ou SANS l'addition présumée (v. 51[b?]-58), les "disciples" n'ont pas du tout les mêmes raisons de s'en aller. Dans une lecture superficielle du texte "final", on peut les imaginer "choqués" par le langage "gore" (littéralement "cru", "saignant") des v. 51ss; mais si on enlève (même hypothétiquement) cette "cause immédiate", le motif apparaît bien plus profond: "Jésus" ne sera pas le "Messie" hyper-royal (cf. v. 15) de toutes les victoires et de tous les miracles eschatologiques, il est la "Sagesse" éternelle (d'où, mais probablement plus tard dans la composition du livre, le logos du Prologue) dont les paroles donnent une "vie (éternelle)" d'un tout autre genre...


---
Pour revenir au sujet principal de ce fil, on peut rappeler que l'Evangile selon Jean réussit l'exploit (dans le NT c'en est un !) de ne JAMAIS employer le substantif pistis (= "foi") -- celui-ci n'apparaît qu'une fois dans la Première épître, 5,4. L'interprétation de ce fait textuel (qui a forcément un côté fortuit, ne serait-ce qu'en raison du nombre de rédactions successives) est évidemment délicate, mais à tout le moins on peut en déduire, négativement, que les auteurs ne font pas de "la foi" un "concept" ou un "thème" central et décisif, et encore moins une "chose".

L'emploi johannique du verbe pisteuô, "croire" (ou "avoir foi", si l'on veut faire le lien avec pistis) est par contre (d'autant plus) abondant. Comme on l'a vu plus haut, ce qui le distingue c'est que pisteuô y est souvent équivalent, ou complémentaire, d'autres verbes auxquels il est ailleurs opposé: voir (le cas de Thomas, au chapitre 20, est à cet égard un contre-exemple), entendre, toucher, goûter, recevoir, connaître, savoir, aimer, faire, obéir (à), etc. On peut aussi remarquer l'importance des constructions avec la préposition eis (au sens concret et local, à peu près équivalent de l'anglais into, mouvement de l'extérieur vers l'intérieur), notamment à l'aoriste qui dénote d'ordinaire une action ponctuelle (bien sûr "croire" n'est pas n'importe quel genre d'"action"). Elles ne sont pas réservées aux textes johanniques, elles sont sans doute généralement dérivées de sémitismes comme "au nom de x" (eis to onoma x), il n'empêche que leur usage johannique paraît bien en renforcer l'aspect "dynamique", voire "mystagogique": comme si la "foi", ou plutôt le "croire", était avant tout décrit comme un mouvement d'accès, ou une porte d'entrée vers l'intérieur de quelque chose (que je serais tenté d'appeler "mystère", mais que "Jean" se garde bien de nommer ainsi: chez lui c'est "Dieu", "le Père", "le Fils", "la lumière", etc.). Nuance que les traductions tentent de rendre, tant bien que mal, par des formules plus ou moins dynamiques comme "mettre sa foi en/dans" (avec d'autres inconvénients, forcément). Cf., p. ex., 1,12; 2,11.22ss; 3,16.18.36; 4,39; 5,24; 6,29.35.40.47; 7,5.31.38s.48; 8,30; 9,36; 10,42; 11,25s.45.48; 12,11.36s.42; 12,42.44.46; 14,1.12; 16,9; 17,20; 1 Jean 5,10.13.
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MessageSujet: Re: L'acte de foi dans l'évangile de Jean    L'acte de foi dans l'évangile de Jean  Icon_minitimeJeu 28 Mar 2019, 12:21

Citation :
il n'empêche que leur usage johannique paraît bien en renforcer l'aspect "dynamique", voire "mystagogique": comme si la "foi", ou plutôt le "croire", était avant tout décrit comme un mouvement d'accès, ou une porte d'entrée vers l'intérieur de quelque chose (que je serais tenté d'appeler "mystère", mais que "Jean" se garde bien de nommer ainsi). Nuance que les traductions tentent de rendre, tant bien que mal, par des formules plus ou moins dynamiques comme "mettre sa foi en/dans". Cf., p. ex., 1,12; 2,11.22ss; 3,16.18.36; 4,39; 5,24; 6,29.35.40.47; 7,5.31.38s.48; 8,30; 9,36; 10,42; 11,25s.45.48; 12,11.36s.42; 12,42.44.46; 14,1.12; 16,9; 17,20; 1 Jean 5,10.13.


"Il leur dit encore : Moi, je m'en vais ; vous me chercherez, et vous mourrez dans votre péché ; là où moi, je vais, vous, vous ne pouvez pas venir. Les Juifs dirent : Va-t-il se tuer lui-même, pour qu'il dise : « Là où, moi, je vais, vous, vous ne pouvez pas venir. » Il leur disait : Vous, vous êtes d'en bas ; moi, je suis d'en haut. Vous, vous êtes de ce monde ; moi, je ne suis pas de ce monde. C'est pourquoi je vous ai dit que vous mourrez dans vos péchés ; en effet, si vous ne croyez pas que, moi, je suis, vous mourrez dans vos péchés" Jean 8, 21 ss


Croire c'est percevoir la véritable origine de Jésus, cette perception permet un "passage" d'une existence à une autre, nous "étions de"  l'"en-bas" , de "ce monde", maintenant comme le Fils nous pouvons participer à cette origine divine, être comme le Fils  d'"en-Haut" (8,23), "du ciel" (3, 31), "de Dieu" (8, 42, 47).   
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MessageSujet: Re: L'acte de foi dans l'évangile de Jean    L'acte de foi dans l'évangile de Jean  Icon_minitimeJeu 28 Mar 2019, 13:24

Digression: ce "passage" est justement celui où les interprétations se séparent (logiquement et historiquement): si l'on schématise (avec les risques de toute schématisation), il y en a au moins quatre modèles possibles:
1) "éthique" ou "pratique": on devient effectivement par ce qu'on fait (exemplairement Matthieu et le Sermon sur la montagne: on est "fils de Dieu" si on se comporte comme "Dieu");
2) "juridique": on est déclaré, et on devient "légalement" (forensiquement), ce qu'on n'était pas, et ce qu'on ne sera jamais "naturellement" (c'est le cas typique de la "justification" selon l'épître aux Romains, mais aussi de l'"adoption" -- ou de la "naturalisation");
3) "myst(ér)ique" ou "sacramentelle": on devient effectivement (ontologiquement, et quasi-"magiquement") ce qu'on n'était pas, par assimilation à la mort et à la résurrection du Christ (second aspect du paulinisme, non réductible au premier); ce qui débouche sur une véritable "divinisation".
4) "gnostique": on ne "devient" rien du tout, ou on ne devient que ce qu'on est (même sans le savoir); le Christ est avant tout le révélateur, pour les "croyants" qui sont ipso facto aussi des "connaissants", de leur propre origine, naissance et essence divines (véritables, authentiques, ontologiques), qu'ils reconnaissent en lui.
Il est évident qu'aucun de ces "modèles" n'est représenté dans sa "pureté" par aucun des textes du NT, ils y sont combinés dans des proportions et selon des articulations variables. Mais il n'est pas difficile de constater celui qui domine dans chacun des textes (n° 1 dans Matthieu ou Jacques, n° 2 dans la première partie de Romains, n° 3 dans la seconde et plus encore dans Colossiens-Ephésiens, n° 4 dans les textes johanniques). Et bien sûr ces différences "théoriques" sont grosses de ruptures et de  nouvelles combinaisons futures (la prédominance du modèle n° 1 va marquer successivement les "judéo-christianismes" et un certain "catholicisme", qui le combinera avec le n° 3; n° 2, le marcionisme et beaucoup plus tard le protestantisme; n° 4, les "gnosticismes", mais aussi dans une certaine mesure les christianismes d'Orient (qui participent également du n° 3, notamment par la "divinisation"), et une certaine "mystique" occidentale qui, comme son nom ne l'indique pas, a plus à voir avec la "gnose" qu'avec le "mystère".

Pour la lecture des textes johanniques, le modèle n° 4 s'impose à coup sûr comme "dominant", mais non exclusif des autres qui lui sont combinés et subordonnés. Le Christ est avant tout révélateur pour des "élus" qui le reconnaissent en se reconnaissant en lui, la foi débouche directement sur la (re-)connaissance et l'amour mutuel, mais ça n'empêche pas le langage de l'action (faire, obéir, garder les commandements) ou du devenir (p. ex. dans l'expression du Prologue, le pouvoir de devenir enfants de Dieu), ni même du jugement (p. ex. le Paraclet-avocat, de la défense et de l'accusation).
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MessageSujet: Re: L'acte de foi dans l'évangile de Jean    L'acte de foi dans l'évangile de Jean  Icon_minitimeJeu 28 Mar 2019, 15:49

"parce que tout ce qui est né de Dieu est vainqueur du monde ; et la victoire qui a vaincu le monde, c'est notre foi.  Qui est vainqueur du monde, sinon celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu" 1 Jean 5, 4-5

 Celui qui "vainc ", c'est "celui qui croit", mais c'est la victoire du Père, du Fils, et voir de l'Esprit Saint : 

"Vous, mes enfants, vous êtes de Dieu, et vous les avez vaincus, car celui qui est en vous est plus grand que celui qui est dans le monde" 1 Jean 4,4

L'homme ne remporte la "Victoire de la foi"  que s'il est né de Dieu et  d'en-Haut et non parce qu'il est doté d'une force particulière. 
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MessageSujet: Re: L'acte de foi dans l'évangile de Jean    L'acte de foi dans l'évangile de Jean  Icon_minitimeJeu 28 Mar 2019, 16:14

Tous les thèmes se nouent admirablement depuis le v. 1: "foi-croire" au Christ, "naissance" (engendrement/enfantement) et "essence" divines (être de Dieu), "amour" de l'engendrant (géniteur, générateur) et de l'engendré (ou généré, enfanté), "connaître-savoir" et "faire" (= pratiquer, garder, observer les commandements), "vaincre" (cf. déjà 2,13, et Jean 16,33). (Comme on l'a noté plus haut, le v. 4 est l'unique usage -- hapax ! -- du substantif pistis = "foi" dans le corpus "johannique" -- sans compter, bien sûr, l'Apocalypse où la curiosité statistique s'inverse: il y a de la "foi" mais pas de "croire"...)
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MessageSujet: Re: L'acte de foi dans l'évangile de Jean    L'acte de foi dans l'évangile de Jean  Icon_minitimeJeu 28 Mar 2019, 16:35

L'épisode ou Jésus Christ ressuscité apparaît à Thomas semble contredire notre propos, concernant le "croire c'est voir" :
  

"Huit jours après, ses disciples étaient de nouveau dans la maison, et Thomas avec eux. Jésus vient, alors que les portes étaient fermées ; debout au milieu d'eux, il leur dit : Que la paix soit avec vous ! Puis il dit à Thomas : Avance ici ton doigt, regarde mes mains, avance ta main et mets-la dans mon côté ! Ne sois pas un incroyant, deviens un homme de foi ! 
Thomas lui répondit : Mon Seigneur, mon Dieu ! Jésus lui dit : Parce que tu m'as vu, tu es convaincu ? Heureux ceux qui croient sans avoir vu !" Jean 20,  26 ss


Le "voir" semble être un élément déterminant du "croire", pourtant à Thomas qui demande à "voir", Jésus dit : "Ne sois pas un incroyant, deviens un homme de foi !", or a près avoir "vu" le ressuscité Thomas clame la profession de foi par excellence : "Mon Seigneur et mon Dieu" qui constitue le sommet de la révélation de l'évangile de Jean. Le ressuscité conclut par ce célèbre adage : " Heureux ceux qui croient sans avoir vu !"
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MessageSujet: Re: L'acte de foi dans l'évangile de Jean    L'acte de foi dans l'évangile de Jean  Icon_minitimeJeu 28 Mar 2019, 17:01

C'est bien pour ça que je parlais de contre-exemple...

Mais ce qui est une exception (tardive, puisque l'apparition à Thomas fait écho au Prologue dans un stade déjà très avancé de la composition, quoique avant l'ultime addition du chapitre 21) dans le quatrième évangile est une banalité ailleurs: opposer la "foi" à la "vue", c'est un réflexe généralisé, qu'on retrouve aussi bien chez "Paul" (emblématiquement 2 Corinthiens 5,7, mais déjà 4,18 p. ex.; ou Romains 4) que dans l'épître aux Hébreux (11,1ss).

Il faut aussi tenir compte dans cette affaire de l'aspect "générationnel" et "traditionnel" du johannisme (qui apparaît notamment dans la[dite] "prière sacerdotale" du chap. 17, v. 20: pas seulement pour eux = les apôtres, mais pour ceux qui croiront par leur parole). Le johannisme avait beau, comme on l'a souvent remarqué, court-circuiter les médiations (ecclésiastiques, sacramentelles, traditionnelles ou scripturaires), il a dû aussi, bien qu'il n'ait pas survécu très longtemps, se transmettre d'une génération à l'autre -- même s'il s'agissait essentiellement d'une expérience, il devait en passer quelque chose de ceux qui l'avaient (déjà) faite à ceux qui ne l'avaient pas (encore) faite. Mais il n'en résulte aucune hiérarchie, même diachronique, car toutes les médiations s'annulent dans l'immédiateté de l'expérience: dans le Christ tous sont un, le dernier néophyte au même titre que le disciple bien-aimé (qui, lui, croit comme il voit et inversement, 20,4ss). Ce que dit aussi remarquablement l'introduction de la Première épître (ce que nous avons vu, etc., nous vous l'annonçons...). Au bout du compte tout le monde voit, entend, touche ce qui était dès le commencement, mais cela passe pour les derniers arrivés par un moment de "croire sans voir" -- d'où la "foi" comme porte d'entrée.
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MessageSujet: Re: L'acte de foi dans l'évangile de Jean    L'acte de foi dans l'évangile de Jean  Icon_minitimeVen 29 Mar 2019, 11:13

Merci Narkissos pour ces précisions qui nous permettent de lire ce récit sous angle nouveau.

Effectivement cet épisode pose la question de la transmission de la foi aux générations futures : Peut-on devenir croyant sans avoir "vu" Jésus et sans avoir rencontré personnellement le ressuscité ?




discours eucharistique aux versets 51 à 58 du chapitre 6 fournit une belle occasion pour développer un thème très important de l’évangile de Jean : le rapport entre les miracles et la foi. Pour l’évangile de Jean, la vue des ‘signes’ effectués par Jésus ne suffit pas à affermir la foi en sa mission. En effet, beaucoup ont vu Jésus sans nécessairement croire en lui. Même des disciples de Jésus, après le discours eucharistique, disent au verset 60 : « Cette parole est trop forte, qui peut l’entendre? »

     De quelle « parole » prononcée par Jésus s’agit-il? Pas la parole sur sa « chair » qu’il va donner à « manger » (v. 51), mais la parole où il déclare qu’il est descendu du ciel (Jn 6,38.42.51) et qu’on retrouve, en écho, au verset 58, à la fin du discours eucharistique. L’affirmation de Jésus selon laquelle il est descendu du ciel, c’est cela qui provoque le scandale d’abord des Juifs (Jn 6,41-42), et ensuite d’un bon nombre de disciples qui décident de se retirer et cessent de faire route avec Jésus (Jn 6,66). Voir Jésus, ce n’est donc pas, par le fait même, croire en lui.

      L’évangile de Jean répond ainsi à une objection que pouvaient faire les gens de la deuxième génération chrétienne. Cette objection est la suivante : il était facile aux disciples de Jésus de croire en lui puisqu’ils voyaient les ‘signes’ qu’il accomplissait. Mais nous qui n’avons pas vu ces miracles, comment pouvons-nous donc croire en lui?

     Pour l’évangile de Jean, le miracle ne précède pas la foi, de sorte que s’appliquerait ici l’affirmation devenue une sorte de formule proverbiale : ‘il faut le voir pour le croire!’ Au contraire – et c’est d’ailleurs aussi ce que la tradition synoptique souligne, c’est-à-dire les trois autres évangiles – c’est la foi qui précède le miracle : il faut croire en Jésus pour obtenir le miracle espéré. C’est ce que montre le récit de la résurrection de Lazare auquel je faisais allusion la semaine dernière. Au chapitre 11, versets 25 et 26 de l’évangile de Jean, Jésus dit à Marthe, la soeur de Lazare : « Qui croit en moi, fût-il mort, vivra; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. » Cette conviction ferme de l’évangile de Jean, elle s’exprime très clairement dans les paroles de Jésus ressuscité qui apparaît à ses disciples en présence de Thomas l’incrédule et qui dit à celui-ci : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru. » (Jn, 20,29)

     Croire et voir – et non : voir, et ensuite croire – constitue la toile de fond, pour ainsi dire, du dialogue sur l’eucharistie aux versets 22 à 59 du chapitre 6 de l’évangile de Jean dont on vient d’entendre un extrait, celui des versets 51 à 58. http://www.interbible.org/interBible/source/lampe/2008/lampe_081114.html
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MessageSujet: Re: L'acte de foi dans l'évangile de Jean    L'acte de foi dans l'évangile de Jean  Icon_minitimeVen 29 Mar 2019, 12:00

Evidemment, l'évangile "selon Jean" joue du paradigme générique du genre (narratif) "évangile": il y a eu un "Jésus-Christ" (terrestre), il n'est plus là mais des "apôtres" sont là pour le raconter. Mais il le déjoue aussi par la façon dont il en joue. Et, comme on l'a souvent remarqué (cf. p. ex. ici, début juin 2016), la notion de témoignage (oculaire, auriculaire) en est tout particulièrement affectée.

Peut-être plus profondément qu'à toute autre chose, le christianisme "johannique" s'oppose à l'idée d'une "foi (= croyance) de seconde main". C'est le "court-circuit des médiations" qui résulte en grande partie de sa dimension "expérientielle" ou "expérimentale": une "expérience", par définition, ne peut pas être "de seconde main", chacun ne peut la faire que pour son propre compte, même s'il y est invité et préparé (voire "conditionné") par des prédécesseurs (initiateurs, mystagogues, etc.) et toute une "communauté". Le johannisme n'a certes pas le monopole de l'expérience (les christianismes "charismatiques" ou "éthiques" sont aussi "expérimentaux" à leur manière), mais son "expérience" à lui est avant tout "gnostique" (proto-gnostique si l'on veut s'en tenir aux distinguos d'une taxinomie "historique"): il y va d'une "connaissance" ou d'un "savoir" révélés, non seulement à un ou quelques "fondateurs-médiateurs" mais im-médiatement à tous et à chacun, à la énième génération comme à la (présumée) première; cette "connaissance" ne peut pas être simplement le produit d'un "enseignement", d'une "tradition" ou d'une "doctrine", parce qu'elle est indissociable d'un "sentiment" (l'"amour") et de "sensations" qu'on n'éprouve pas par procuration: voir, entendre, toucher, dans le jeu infini de leur métonymie; bien sûr il y a voir et voir, et "voir Jésus" comme l'aveugle-né du chapitre 9 ou comme le Philippe du chapitre 14, au sens où on ne peut pas le "voir" sans "voir le Père", n'est pas n'importe quelle "vue"; mais justement par là l'"expérience" n'est plus tributaire d'une situation "historique" particulière (être contemporain du Jésus terrestre), elle devient accessible à n'importe quelle situation historique -- ce n'est pas pour rien que la "synthèse" deutéro-paulinienne d'Ephésiens, qui comporte plus de "johannisme" qu'il n'y paraît, va parler des "yeux du cœur" ("cœur" avant tout cognitif, sans exclure le "sentiment" mais sans non plus s'y limiter comme dans notre opposition de la "tête" et du "cœur").

Reste que tout "chrétien" au sens johannique du terme l'est "de première main", et que son "témoignage" n'est pas un vain mot si on l'entend tel qu'il se donne: oculaire, auriculaire, et même "tactile" (ce que nos mains ont touché ou palpé de la parole de vie) -- dans un sens "spirituel" si l'on veut mais ce n'en est pas moins une expérience, que le "témoin" rapporte non pour que d'autres le croient, même si l'expérience doit aussi passer par là, mais pour qu'ils la fassent eux-mêmes.

Sur le "voir" équivalent à "croire", mais plus encore à "connaître" ou "aimer", cf. p. ex. 1,14.50s; 3,3.11.32.36; 5,19; 6,36.40.46.62; 8,38.56; 9,37ss; 11,40; 12,41.45; 14,7ss.17.19; 16,22; 17,24; 20,5ss; 1 Jean 1,1ss; 3,6; 4,14; 3 Jean 11.


Dernière édition par Narkissos le Ven 29 Mar 2019, 12:47, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: L'acte de foi dans l'évangile de Jean    L'acte de foi dans l'évangile de Jean  Icon_minitimeVen 29 Mar 2019, 12:44

Le chapitre 20 de l'évangile de Jean joue avec le verbe "voir" et "croire".  Pierre et l'autre disciple courent au tombeau  pour vérifier le témoignage de Marie-Madeleine. La découverte du tombeau vide suffit à l'autre disciple pour croire à la Résurrection de Jésus : "il vit et il crut" (20,Cool. Marie-Madeleine voit le Christ ressuscité sans le reconnaître : "elle voit Jésus, debout ; mais elle ne savait pas que c'était Jésus" (20,14), ensuite en utilisant sa vision et son écoute, elle le reconnaît : "Jésus lui dit : Marie ! Elle se retourna et lui dit en hébreu : Rabbouni !  — c'est-à-dire : Maître !" (20,16). Marie le reconnaît et elle veut le toucher ("Cesse de t'accrocher à moi"). Le témoignage de Marie est basé non seulement sur la vue et l'ouïe mais aussi sur le toucher.
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MessageSujet: Re: L'acte de foi dans l'évangile de Jean    L'acte de foi dans l'évangile de Jean  Icon_minitimeVen 29 Mar 2019, 13:03

(J'ai rajouté à mon post précédent une liste, non exhaustive, de références remarquables -- plus ou moins et à divers titres -- au "voir" dans les textes "johanniques".)

A sa façon, l'épisode de Thomas joue aussi, et ostensiblement (c'est le cas de le dire), du "toucher".

Quant au fameux noli me tangere ("ne me touche pas", à Marie Madeleine), sa traduction, comme on sait, est délicate: l'impératif aoriste autorise à y voir la fin d'une action commencée (cesse de me toucher, etc.), ce qui n'est pas idiot compte tenu du contexte (il y a d'ailleurs une variante "elle courut vers lui pour le toucher"), mais ce n'est pas non plus une obligation... dans le cas contraire il s'agirait bien d'une interdiction de toucher (mais elle serait alors inversée en ordre -- ironique ? -- pour Thomas, même si celui-ci ne s'exécute pas...)

Plus généralement, il faut remarquer que les caractéristiques spécifiquement "johanniques" du texte sont beaucoup plus diluées et mêlées à d'autres éléments du "fonds commun évangélique" dans le récit de la Passion (+ résurrection, apparitions; depuis le chapitre 18) que dans le corps du livre (sans préjudice des différences internes de ce dernier). Comme le notait Brown (cf. supra 26.3.2019), ce récit qui est le "sommet" des synoptiques (surtout chez Marc) est pour Jean accessoire: l'"essentiel johannique", qui consiste dans les paroles du Christ révélateur, s'est dit avant, et la rédaction ne s'y réfère plus que par "touches" allusives.
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MessageSujet: Re: L'acte de foi dans l'évangile de Jean    L'acte de foi dans l'évangile de Jean  Icon_minitimeLun 01 Avr 2019, 12:53

Il retourna donc à Cana de Galilée, où il avait changé l'eau en vin. Il y avait à Capharnaüm un officier royal dont le fils était malade. Ayant entendu dire que Jésus était venu de Judée en Galilée, il alla le trouver pour lui demander de descendre guérir son fils, qui était sur le point de mourir.  Jésus lui dit : Si vous ne voyez pas des signes et des prodiges, vous ne croirez donc jamais ! L'officier royal lui dit : Seigneur, descends avant que mon enfant ne meure. — Va, lui dit Jésus, ton fils vit. L'homme crut la parole que Jésus lui avait dite et il s'en alla." - Jean 4, 46 ss

Les "signes "ou miracles sont des gestes révélateurs, un moyen d'identifier l'envoyé de Dieu :


"Jésus a encore produit, devant ses disciples, beaucoup d'autres signes qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ceux-ci sont écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et que, par cette foi, vous ayez la vie en son nom." Jean 20,30-31 

Dans le cas de l'officier royal, il est remarquable de constater qu'il "croit" sans assister à la guérison de son fils, c'est une "foi" spontanée et intuitive.   


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MessageSujet: Re: L'acte de foi dans l'évangile de Jean    L'acte de foi dans l'évangile de Jean  Icon_minitimeLun 01 Avr 2019, 13:23

A l'exception de la conclusion rétrospective (et provisoire) de 20,30, tous les "signes" (sèmeia) sont dans les chapitres 1--12 (2,11.18.23; 3,2; 4,48.54; 6,2.14.26.30; 7,31; 9,16; 10,41; 11,47; 12,18.37) -- à telle enseigne qu'on a souvent appelé cette première partie, ou ce premier "état" de l'Evangile, ou sa "source" hypothétique, le "Livre des signes" (sans préjudice des rédactions et déplacements internes à cette section, cf. 4,54 où le "deuxième signe" n'est visiblement pas à sa place, cf. 2,23; 3,2 -- la précision "en Galilée" soulève plus de problèmes qu'elle n'en résout; mais justement ce début de numération décalé a donné lieu à la tradition exégétique des "sept signes", qui a fait couler beaucoup d'encre plus ou moins savante).

L'épisode de 4,46(b)ss a (exceptionnellement) un "parallèle" synoptique approximatif en Matthieu 8,5ss//Luc 7,1ss (l'enfant/serviteur/esclave du "centurion"), avec la même particularité de "guérison à distance" (mais là c'est le centurion qui introduit la distance, "je ne suis pas digne..."). Dans Jean, Jésus parle de telle façon qu'on le croit.

Le concept de "signe", que le johannisme n'a pas inventé (en-deçà du christianisme, c'est aussi une tradition juive vaste et diversifiée depuis le plus ancien prophétisme où les "signes" ne sont pas forcément des "miracles", en passant par le récit épique, mythico-historique, des "signes et prodiges de Yahvé", les "signes des temps" de l'apocalyptique, etc.), le sert admirablement: un "signe" c'est avant tout quelque chose à comprendre, qui outre une certaine "foi" initiale requiert lecture, intelligence, interprétation, connaissance et reconnaissance. Le signe n'est signe que parce qu'il ne coïncide jamais avec lui-même, il signifie autre chose que ce qu'il est, il ne signifie pas une chose sans pouvoir en signifier d'autres: la lettre ou le mot tracé dans l'écriture ne signifie par sa forme que parce qu'on y voit autre chose que sa forme, et autre chose à chaque fois (contextes en cascade). Emblématiquement le tombeau (sèma en grec) est le "signe" absolu, pierre qui ne signifie pas pierre mais quelqu'un au-delà de quelqu'un, un mort, un vivant qui n'en est plus un, et qui continue à signifier de l'autre par-delà toute mémoire. Appeler "signes" les "miracles" que la tradition chrétienne appelait le plus souvent dunameis, "puissances", avec une signification toute tracée qui était aussi bien le contraire d'une signification (la puissance ne signifie rien d'autre qu'elle-même, à proprement parler elle ne signifie rien), en faire ainsi quelque chose à penser, ce n'est certainement pas anodin.

Le mouvement du signe dont la signification ne s'arrête jamais nulle part est paradoxalement corollaire à celui des médiations qui se résorbent les unes après et dans les autres (poupées russes), sans jamais constituer de hiérarchie. In-fini <=> im-médiat, bien que l'infini soit aussi le contraire de l'immédiat.
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MessageSujet: Re: L'acte de foi dans l'évangile de Jean    L'acte de foi dans l'évangile de Jean  Icon_minitimeMar 02 Avr 2019, 10:59

"Que votre cœur ne se trouble pas. Mettez votre foi en Dieu, mettez aussi votre foi en moi" Jean 14,1

Sur la foi, nous devons mentionner les recherches du R. P. Huby fe), et l'article d'un théologien déjà cité tout à l'heure, O. Schaefer, qui s'attache à un point particulier : la demande adressée par Jésus aux disciples de « croire en Dieu et en lui » te). D'ordinaire le quatrième évangile propose Jésus comme seul objet de foi. Ici le Maître annonce aux siens son départ. Mais en s'en allant, il ne fait que changer de demeure ; sur la terre et dans le ciel le Fils est toujours dans la maison du Père. Cette certitude doit gagner les disciples, puisque par le Fils ils connaissent le Père. Cette double connaissance présuppose une double foi. C'est pourquoi les mots « Croyez en Dieu et croyez en moi » sont le motif central des versets xiv, 1-7.
https://www.e-periodica.ch/cntmng?pid=rtp-003:1943:31::291
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MessageSujet: Re: L'acte de foi dans l'évangile de Jean    L'acte de foi dans l'évangile de Jean  Icon_minitimeMar 02 Avr 2019, 11:50

La principale hésitation exégétique en 14,1 porte sur le mode du verbe, impératif ou indicatif, ce qui donne en principe quatre combinaisons possibles:
- vous croyez au dieu, vous croyez aussi en moi
- vous croyez au dieu, croyez aussi en moi
- croyez au dieu, croyez aussi en moi
- croyez au dieu, vous croyez aussi en moi
(et davantage si l'on s'amuse à insérer des points d'interrogation).
(Reste -- par rapport à la discussion parallèle ! -- qu'il ne s'agit pas de distinguer, au contraire...)
Pour ce qui est du "croire", remarquer comme il prend la relève du "voir" (l'un dans l'autre, le Père dans le Fils, etc.) aux v. 8ss.
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MessageSujet: Re: L'acte de foi dans l'évangile de Jean    L'acte de foi dans l'évangile de Jean  Icon_minitimeMer 03 Avr 2019, 15:30

La confession de foi atteste l’appartenance à la vie même de Dieu. Or cette vie se définit par l’agapè: c’est donc l’amour mutuel des frères qui à la fois révèle et en quelque sorte actualise la vie de Dieu — ou qui la révèle en l’actualisant — selon le fameux passage du chapitre 4: «Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l’amour est de Dieu et que quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour. En ceci s’est manifesté l’amour de Dieu pour nous: Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde afin que nous vivions par lui» (1 Jn 4, 7-9). Ici se dévoilent, du même mouvement, l’itinéraire de la communauté (qui doit «croire pour aimer», selon le beau titre de l’ouvrage) et sa fondation dans l’être même de Dieu qui est amour — qui «n’est qu’amour», comme disait volontiers le Père François Varillon. La relation du Père au Fils se définit donc tout entière comme relation de Celui qui aime à Celui qui est aimé (et réciproquement) — et comme l’amour ne se replie jamais sur lui-même mais cherche toujours à se communiquer davantage, cette relation entre le Père et le Fils est elle-même orientée vers les croyants qui en sont bénéficiaires et qui sont appelés à s’aimer eux-mêmes de l’amour de Dieu. Tel est l’amour dans son accomplissement — ou, selon la traduction d’Y. Simoens, l’amour «parachevé» (1 Jn 4, 17-18). https://www.nrt.be/docs/articles/2012/134-3/2062-Y.+Simoens:+%c2%abCroire+pour+aimer.+Les+trois+lettres+de+Jean%c2%bb.+%c3%80+propos+d'un+livre+r%c3%a9cent.pdf
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