Obscurité et clarification - épitres de Pierre

Nombre de messages : 9641 Age : 62 Date d'inscription : 21/03/2008

Une obscurité inévitable mais provisoire : 1 P 1,10-12

¹⁰Ce salut, les prophètes qui ont parlé de la grâce qui vous était destinée en ont fait l’objet de leurs recherches et de leurs investigations. ¹¹Ils se sont appliqués à découvrir quelle époque et quelles circonstances désignait l’Esprit du Christ qui était en eux, Esprit qui, d’avance, attestait les souffrances du Christ et les gloires qui s’ensuivraient.¹²Il leur fut révélé que ce n’était pas pour eux-mêmes, mais pour vous, qu’ils étaient ministres de ces choses, qui maintenant vous ont été annoncées par l’entremise de ceux qui vous ont communiqué la bonne nouvelle, avec l’Esprit saint envoyé du ciel ; c’est en ces mêmes choses que les anges désirent plonger leurs regards.

Les prophètes ont été aux prises avec la relative obscurité de leurs propres écrits. Cette thèse originale (le texte le plus proche est Lc 10,24 : « Beaucoup de prophètes ont voulu voir ce que vous voyez et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l’ont pas entendu ») s’accompagne d’une mise en valeur de l’ardeur de la recherche ; bien qu’habités par l’Esprit et pressentant toute la valeur de ce qu’ils communiquaient (la grâce !), ils ne parvenaient pas à en saisir toute la portée, en dépit de leurs efforts persévérants, comme l’indiquent les imparfaits exedzètèsan, exèraunèsan et le participe présent eraunôntes, « scrutant » (cf. Jn 5,39 : même verbe pour l’investigation des Écritures par les Juifs) Il leur fut révélé, est-il précisé, que ce n’était pas pour eux-mêmes « qu’ils étaient ministres de ces choses ». Peut-on déduire de ce passage que la parole des prophètes était obscure ?

Pour eux, en une certaine mesure, mais pas vraiment en elle-même. Car « ces choses » (tauta) sont précisément celles qui sont annoncées par « les porteurs de la bonne nouvelle ». Ce passage préserve la qualité du message prophétique, même si la compréhension de celui-ci en était autrefois incomplète. La thèse est hardie, celle d’une identité du message prophétique et du message apostolique. Dans les deux cas, il s’agit de « la grâce qui vous était destinée », « des souffrances du Christ et des gloires qui s’ensuivraient », de « ces choses » qui, maintenant, sont annoncées. En un sens, le message du salut dans le Christ mort et ressuscité (souffrances et gloires) était déjà présent dans la parole prophétique. La différence qui, pour ce qui concerne les destinataires de l’Épître, explique l’accès sans réserve à ces richesses est le nun (« maintenant »), le maintenant de « la grâce apportée par la révélation de Jésus-Christ » (1,13b), auquel s’ajoute l’action illuminatrice de l’Esprit Saint « envoyé du ciel » (1,12). L’on pourrait être tenté de limiter le rôle de l’Esprit à la qualification des diffuseurs de l’Évangile et à l’autorité de leur parole mais, puisque le contexte est celui de l’acquisition de nouvelles clartés, il y a de bonnes raisons de penser aussi à l’illumination du cœur des auditeurs. Pierre Prigent le note : « Le Saint Esprit révèle clairement l’Évangile qui était caché au creux des prophéties ». https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2018-1-page-1.htm

Nombre de messages : 11946 Age : 64 Date d'inscription : 22/03/2008

Ça me touche beaucoup de lire Samuel Bénétreau, disparu l'année dernière juste avant la publication de cet article, et dont j'ai suivi les (derniers ?) cours à Vaux-sur-Seine à la fin des années 1980. Le sujet me fait tendrement sourire: sa prudence légendaire (qu'une personne de sa famille résumait en ces termes: quand il regarde à la fenêtre et voit qu'il tombe des hallebardes, il dit "je crois qu'il pleut"), qui faisait de lui un des professeurs les plus fins et les plus nuancés de cette Faculté "évangélique", l'empêchait notamment de se prononcer sur l'"authenticité pétrinienne" de 2 Pierre, au grand dam de ses collègues qui refusaient par principe toute "pseudépigraphie". Et de fait son successeur à peine nommé s'était empressé de "montrer patte blanche" par un article prenant fait et cause pour ladite "authenticité"...

Du choix du sujet à son traitement, on retrouve là -- à près de 92 ans ! -- toute la clarté, le discernement, la subtilité de l'auteur, avec une certaine malice et un goût inlassable de la lecture et du commentaire, y compris de la lecture des commentaires des autres (trait d'autant plus remarquable qu'il lui était arrivé d'avouer comme son principal défaut une certaine "paresse" -- requiescat in fine).

En ce qui concerne 1 Pierre, où l'"obscurité" porte sur les "prophéties" de l'AT relatives aux souffrances du Christ (en 2 Pierre elle porte aussi sur les épîtres de Paul, sans doute déjà objet de la controverse "marcionite"), il faut reconnaître que c'est là le "point faible" scripturaire du christianisme, par rapport au "messianisme" pharisien (dont le "Messie", en tout cas royal et davidique, n'est pas souffrant mais exclusivement triomphant). Il faut aller chercher le "Serviteur" du deutéro-Isaïe (surtout 52--53), qui n'est précisément pas décrit comme un "Messie" ou "Christ" (= "oint"); et en tout cas il faut que la foi (chrétienne) présente "éclaire" l'écriture (juive) passée. Présente et à ce titre "existentielle", mais pas strictement "individuelle" (c'est tout l'enjeu de 2 Pierre 1 et de la conclusion de l'article; et toute la difficulté d'une interprétation protestante de l'Ecriture que d'échapper à la fois à l'autorité d'un "magistère" et au caprice de l'interprétation "privée").

Nombre de messages : 9641 Age : 62 Date d'inscription : 21/03/2008

De même encore, en 1 Pierre 1,10-12 — phrase embrouillée au possible! — il paraît possible de comprendre que les prophètes de l’ancien Israël sont bien les porte-parole de l’Esprit du Christ qui « témoignait en eux au sujet des souffrances du Christ et des gloires conséquentes ». Or, cette fois encore, le charisme de l’interprétation est énoncé, non pour rendre compte de l’origine de la parole prophétique , mais pour affirmer sa pertinence en tant qu’elle touche l’événement de salut en Christ, lequel fait aussi l’objet d’une proclamation exercée par les prophètes chrétiens, qui eux-mêmes annoncent l’évangile « dans » ou « par »—les manuscrits autorisent les deux lectures—« l’Esprit Saint qui a été envoyé du ciel, lui devant qui les anges désirent se prosterner ». Citons rapidement la fin du texte (verset 11), dans une traduction aussi littérale que possible :
1« Il leur fut révélé — aux prophètes de l’Ancien Testament — que le service qu’ils rendaient—litt : la diaconie—n’était pas pour eux-mêmes mais pour vous, puisqu’ils [annonçaient] ce qui de nos jours vous a été annoncé par ceux qui vous ont évangélisés, dans/par l’Esprit Saint envoyé du ciel, lui devant qui les anges désirent se prosterner ».
On le voit, l’inspiration est double : elle atteint aussi bien les missionnaires chrétiens de la première génération, donc le Nouveau Testament en son stade embryonnaire, que les prophètes de l’Ancien Testament . Dans les deux cas, l’inspiration n’est rien d’autre que l’accompagnement par l’Esprit, reconnaissable à la conjonction de l’un et l’autre Testaments, en quelque sorte réunis ou articulés dans la proclamation—a priori ou a posteriori — du commun événement central, le mystère pascal de Jésus, littéralement : « les souffrances du Christ et les gloires conséquentes ». https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2005-4-page-497.htm#re22no22

Mis à part 1 Cor 10,4 et 1 Pierre 1,10-12 ; existent-ils d'autres textes qui indiquent explicitement que le Christ est intervenu dans l'histoire de l’ancien Israël ?

L'auteur fait référence à "l'Esprit du Christ", pas à l'Esprit de Dieu, cette formule se retrouve aussi en Rm 8,9, mais elle associée et assimilée à "l'Esprit de Dieu". En Pi 1,12 , il est question de "l'Esprit saint envoyé du ciel" pour aider la première génération de chrétien a "communiqué la bonne nouvelle", ce qui autorise a confondre l'Esprit du Christ et l'Esprit Saint.

Nombre de messages : 11946 Age : 64 Date d'inscription : 22/03/2008

Dire que "le Christ est intervenu dans l'histoire de l’ancien Israël" ne rend pas forcément bien compte de ce que disent ces textes (je pense aussi, spontanément, à Apocalypse 19,10, là encore sous réserve de son interprétation). Dans un tel énoncé, "le Christ" sujet de la proposition (et d'un verbe d'action !) suggère une "personne" qui existerait comme telle avant d'exister comme telle et serait susceptible d'"intervenir", d'agir et de faire quelque chose dans l'histoire qui la précède, ce qui, au sens moderne des mots "personne" et "histoire", ne peut être qu'une absurdité.

Le langage néotestamentaire est beaucoup plus flou et plus souple à tous égards. Rien que dans les génitifs il y a un flottement (entre les sens dits "subjectif", "objectif" ou "épexégétique" p. ex.) qui ne se laisse pas facilement "trancher" ni "arrêter": ainsi "l'esprit du Christ" (cf. aussi Actes 16,7; Philippiens 1,19) peut être à la fois ou indifféremment celui qui émane de "lui" et qui se rapporte à "lui", voire "lui"-même; chose plus importante encore, tout ce discours joue dans une perspective temporelle qui n'est pas aussi platement linéaire que la nôtre (avant/après), puisque le "temps" est en rapport à un "autre", à une forme ou une autre d'"éternité" contiguë qui le surplombe ou le sous-tend. Le "passé" et l'"avenir" ne sont pas simplement "avant" ou "après", devant ou derrière sur une ligne droite, ils "sont" pour ainsi dire toujours, "au-dessus" et éventuellement "au-dessous" (dans le cas des morts et autres puissances souterraines qui -- par rapport aux vivants de la "surface de la terre" -- connaissent aussi "l'avenir"), de sorte qu'un rapport (médiat) du présent avec eux ne paraît nullement impensable. C'est la "double scène" commune à des choses aussi différentes que l'apocalyptique juive et l'idéalisme platonicien (dont on a vu notamment la combinaison dans l'épître aux Hébreux, où toute l'histoire terrestre n'est que l'ombre d'un ciel qui se confond avec l'éternité). Et qui permet donc la "prophétie" même au sens de "prédiction", la "typologie", l'"allégorie", etc., selon une "logique" plus profonde que les Modernes ne peuvent la concevoir.

Quand de plus on se réfère théologiquement à une figure aussi "centrale" que "le Christ", comme révélation de "Dieu", il va de soi que l'aspect "éternel" de l'"événement" l'emporte sur son aspect "historique" ou "narratif". Dès lors qu'il y va de "Dieu", il y va, même au beau milieu de "l'histoire", de quelque chose qui précède et excède toute histoire (premier et dernier, alpha et oméga, avant la fondation-jeter du monde et pour les siècles des siècles).

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Dans l'article précité (et par ailleurs intéressant) de Y.M. Blanchard, je trouve extrêmement contestable la traduction (non argumentée) de 1 Pierre 1,12, notamment pour les anges qui désireraient "se prosterner devant le Saint-Esprit". La traduction habituelle, "les choses dans lesquelles les anges même désirent plonger leur regard", me paraît bien préférable jusqu'à preuve du contraire (sur le verbe parakuptô, cf. au sens concret Luc 24,12; Jean 20,5.11, se pencher pour voir, à ne pas confondre avec proskuneô se prosterner / adorer; et au sens métaphorique ou figuré Jacques 1,25, texte également en étroite relation avec 1 Pierre: plonger ses regards dans la loi comme dans un miroir). L'idée de base est manifestement celle d'Ephésiens 3,10 ("source" principale de 1 Pierre): les "puissances" et "autorités" apprennent de l'Eglise ce qu'elles n'étaient pas en mesure de comprendre toutes seules (cf. 1 Corinthiens 2 etc.).

Nombre de messages : 9641 Age : 62 Date d'inscription : 21/03/2008

Il leur fut révélé que ce n'était pas pour eux-mêmes, mais pour vous, qu'ils étaient ministres de ces choses, qui maintenant vous ont été annoncées par l'entremise de ceux qui vous ont communiqué la bonne nouvelle, avec l'Esprit saint envoyé du ciel ; c'est en ces mêmes choses que les anges désirent plonger leurs regards." 1 Pi 1,12

Ce texte concernant les "anges" semble laisser supposer que les anges désirent en vain scruter le plan divin du salut et que cette connaissance leur est refusée tandis qu’elle est accordée aux croyants qui bénéficieraient ainsi d'un privilège unique :

"afin que la sagesse de Dieu, dans sa grande diversité, soit maintenant portée, par l'Eglise, à la connaissance des principats et des autorités dans les lieux célestes" Ep 3,10

Nombre de messages : 11946 Age : 64 Date d'inscription : 22/03/2008

Cf. le dernier paragraphe de mon post précédent ajouté pendant que tu écrivais le tien (nous avons pensé à peu près la même chose en même temps).

La différence entre les deux formulations (Ephésiens / 1 Pierre) est surtout de connotation, et probablement plus sensible pour nous que pour les premiers lecteurs: nous sommes habitués à voir dans les "anges" des créations ou des émanations divines toutes bonnes, ou alors toutes mauvaises quand l'angélologie bascule dans la démonologie. Le vocabulaire gnostico-paulinien des "puissances" (etc.) nous paraît plus exotique, plus obscur et moralement ambigu. Ce n'est ni du "tout bon" ni du "tout mauvais", mais du subalterne susceptible d'incompréhension et de résistance, capable de s'opposer au Christ mais aussi d'être vaincu, soumis et "récapitulé" en lui.

Nombre de messages : 9641 Age : 62 Date d'inscription : 21/03/2008

Je découvre avec surpris ce texte d'Ep 3,10, qui donnent à l'Eglise un rôle majeur dans la compréhension du dessein divin.

L'article de Samuel Bénétreau attire notre attention sur 2 Pi 1, 16-21, voici ce qu'affirme le v 19 :

"Et nous estimons d'autant plus ferme la parole prophétique, à laquelle vous faites bien de prêter attention comme à une lampe qui brille dans un lieu obscur, jusqu'à ce que le jour commence à poindre et que l'étoile du matin se lève dans votre cœur."

Le commentaire de Samuel Bénétreau :

"Notons que l’estimation de la valeur de « la parole prophétique » est nuancée. D’un côté sa fermeté est assurée (bebaioteron), mais elle est aussi « une lampe brillant dans un lieu obscur » (auchmèros – hapax – « dur, triste, obscur », avec une connotation d’insatisfaction). La lampe éclaire vraiment, mais sa lumière n’est pas encore assez puissante pour chasser les ténèbres qui assombrissent le lieu où elle est placée."

La compréhension des prophéties est une notion intellectuelle qui est reliée au cœur du croyant : "l'étoile du matin se lève dans votre cœur", ce qui fait penser au verset suivant :
"car tout ce qui devient manifeste est lumière. C'est pourquoi il dit : Réveille-toi, toi qui dors, relève-toi d'entre les morts, et le Christ t'illuminera." Ep 4,15

Nombre de messages : 11946 Age : 64 Date d'inscription : 22/03/2008

On peut en effet percevoir un obscurcissement certain par rapport aux deutéro-pauliniennes (Colossiens-Ephésiens; sur Ephésiens 5,14, cf. ici), où l'eschatologie future se réduisait à la manifestation, "extérieure" par définition (epiphaneia etc.), d'un "mystère" actuel, déjà pleinement vécu "de l'intérieur" (cf. notamment Colossiens 3). D'un autre côté, le johannisme ne se départit jamais d'une conscience des ténèbres environnantes -- Jean 1,5, la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont pas "comprise": elles ne l'ont pas éteinte ni arrêtée mais elles n'en ont pas été éclairées pour autant; cf. 1 Jean 2,8, les ténèbres passent et la vraie lumière brille déjà. Images crépusculaires dans toute l'ambiguïté du terme, crépuscule du soir ou du matin (cela peut rappeler ceci). En 2 Pierre, c'est l'intérieur même qui s'assombrit: jusque "dans les cœurs" l'"étoile du matin" (phôsphoros = lucifer = Vénus, en-deçà et au-delà de toute intertextualité biblique !) reste à venir.

Très loin en marge de cette discussion, on peut se demander si cette ambiance crépusculaire, étrangement commune à des textes que par ailleurs tout distingue, hormis le fait qu'ils se donnent pour des "testaments" d'apôtres ou de témoins du Christ (Pastorales et surtout 2 Timothée, 1 Pierre et surtout Jude et 2 Pierre, mais aussi épîtres johanniques: c'est la dernière heure, l'antéchrist vient, etc.), n'a pas contribué pour une bonne part au mythe de l'"âge des ténèbres" (Dark Ages), comme regard rétrospectif porté par la Renaissance, les Réformes, les Lumières et la "modernité" en général sur la fin de l'Antiquité et le haut-moyen-âge; avec la variante adventiste et darbyste, au XIXe siècle, de la "grande apostasie" renversant le schéma eusébien des "hérésies" post-apostoliques pour le retourner contre l'Eglise même (Eglise orthodoxe-catholique, et par extension les Eglises protestantes "historiques"). On a en effet le sentiment que tous ces "apôtres" au bout du rouleau, ne voyant pas venir la parousie ou l'épiphanie attendue, n'attendent plus rien de bon de l'avenir immédiat; soit une "fin de Nouveau Testament" plutôt sinistre, ou un sérieux "coup de mou" du christianisme, toutes tendances confondues, au début du IIe siècle.

(Plus loin encore: ce texte me rappelle toujours la citation de Tagore par laquelle le prêtre qui officiait à l'enterrement de ma grand-mère -- alors que son fils unique et toute sa famille TdJ n'étaient pas entrés dans l'église -- avait introduit son sermon: approximativement, "la mort ce n'est pas éteindre la lumière, c'est éteindre la lampe parce que l'aube est venue".)

Nombre de messages : 9641 Age : 62 Date d'inscription : 21/03/2008

"... jusqu’à ce que le jour commence à poindre et que l’étoile du matin se lève dans vos cœurs"

Des études récentes vont nettement dans le sens de la thèse d’une illumination intérieure. Ainsi Martin Ruf procède à un minutieux examen de l’arrière-plan éventuel et des liens possibles avec d’autres textes Il rapproche 2 P 1,19-21 et 1 P 1,10-12. Les différences entre les deux textes ne doivent pas voiler le fait qu’ils se rencontrent au sujet de la prophétie ; on peut admettre un prolongement d’un thème abordé dans la première. Le lever du jour et l’expression phôsphoros anateilè indiquent un temps qu’il dénomme « messianique-eschatologique ». L’illumination qui s’y inscrit est « dans les cœurs ». Ruf retrouve ici la pensée de Paul, qui fonde sa mission auprès des Corinthiens sur « un resplendissement de la connaissance de la gloire de Dieu sur le visage du Christ » ; « Dieu a brillé dans notre cœur » (2 Co 4,6). https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2018-1-page-1.htm

Le thème d'une intériorisation est-il incompatible avec une eschatologie ?
Ce texte est difficile a interpréter, d'abord il y a une inversion chronologique, entre le jour qui point et l'étoile du matin qui devrait normalement précéder l'aurore et ensuite à cause de la formule "dans vos cœurs" qui pourrait revêtir un caractère individuel et intérieur déconnecté de toute allusion à l'avènement du Christ. A quoi devons nous associer l'expression : "jusqu’à ce que ... ". Dans le temps présent les croyants doivent prêter attention à la parole prophétique, en attendant de connaitre illumination intérieure au jour de la parousie.

Nombre de messages : 11946 Age : 64 Date d'inscription : 22/03/2008

Concernant l'allusion possible à 4 Esdras (12,42, cf. la note 34 de Bénétreau), je signale en passant que le texte se réfère au personnage d'Esdras et combine en fait trois images: "car de tous les prophètes toi seul nous est resté, comme une grappe de la vendange, comme une lampe dans un lieu obscur, comme un port pour un navire rescapé de la tempête".

La formule de 2 Pierre 1 ne me paraît du tout incompatible avec une eschatologie "extérieure" et "futuriste", que le chapitre 3 affirme ostensiblement malgré son "retard" et auquel il donne de surcroît un aspect de conflagration cosmique (dans les termes de l'ekpurôsis stoïcienne; l'ensemble de l'épître, depuis la "vertu" et la "divinisation" du chapitre 1, est de très loin le texte du NT le plus marqué par le vocabulaire théorique du stoïcisme). Comme Vénus étoile du matin précède et annonce l'aurore, l'illumination intérieure précède et annonce la parousie extérieure, mais il est d'autant plus remarquable que même celle-là (l'illumination intérieure) est conçue comme encore à venir, et non plus comme l'expérience présente des textes pauliniens (au sens large).

Nombre de messages : 9641 Age : 62 Date d'inscription : 21/03/2008

"Considérez que la patience de notre Seigneur est votre salut, comme Paul, notre frère bien-aimé, vous l’a aussi écrit selon la sagesse qui lui a été donnée. C’est ce qu’il fait dans toutes les lettres où il parle de ces sujets ; il s’y trouve des passages difficiles à comprendre, dont les gens ignorants et mal affermis tordent le sens, comme ils le font aussi avec les autres Écritures, pour leur propre perdition." 2 P 3,15-16

– La clarification suppose une double intervention : la révélation de Jésus-Christ dans l’histoire (2 P 1,16-17) et une action spécifique de l’Esprit. Certes, l’Esprit n’était pas passif autrefois puisqu’il inspirait les prophètes, mais les termes et la précision de 1 P 1,12 (« envoyé du ciel », même si la référence à la Pentecôte n’est pas certaine) évoquent une opération de l’Esprit liée à la clarification des anciennes paroles (2 P 1,20-21) et à la proclamation de l’Évangile (1 P 1,11). La formule de 2 P 3,15, à propos de Paul (« selon la sagesse qui lui a été donnée ») semble être une façon d’évoquer l’inspiration. La part d’explicitation du sens des Écrits et celle de la clarification de l’esprit des destinataires ne sont pas précisées, mais elles ne sont guère séparables ; il y a certainement une double action. « La puissance divine », autre nom de l’Esprit, fournit « tout le nécessaire pour la vie et la piété », selon 2 P 1,3. C’est l’action globale de l’Esprit qui est valorisée. La notion de jaillissements ponctuels de lumière, de surgissements d’événements de Parole imprévus, n’apparaît pas. https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2018-1-page-1.htm

Nombre de messages : 11946 Age : 64 Date d'inscription : 22/03/2008

Ce qui est évidemment en jeu ici, c'est la tension récurrente, sinon constante, entre une religion de l'expérience et de l'inspiration immédiate(s) et une religion médiatisée (par une tradition et/ou une écriture, un sacerdoce et/ou un magistère, toutes ces différences si importantes qu'elles soient sont de ce point de vue secondaires). Tout peut changer dans ce rapport antithétique, les méthodes et les modes d'inspiration d'une part, le corpus scripturaire ou traditionnel et les institutions officielles d'autre part, les mythes et les rites, les croyances et les pratiques, mais le schéma fondamental se reproduit invariablement d'une crise à l'autre -- "prophétisme" vs. "sacerdoce" en amont de l'AT, "gnostico-charismatiques" vs. tradition paulinienne dans le NT, montanisme vs. grande Eglise aux IIe-IIIe siècle, "mystiques" populaires vs. scolastique universitaire à la fin du moyen-âge, "anabaptismes" et autres "enthousiasmes" vs. Réformes "savantes" au XVIe siècle, "pentecôtisme" ou "renouveau charismatique" vs. Eglises protestantes "historiques" ou hiérarchie catholique au XXe...

Ecriture et tradition génèrent au fond la même "obscurité" (ici, symptomatiquement, les épîtres chrétiennes et relativement récentes de "Paul" comme les plus vieux livres "prophétiques" du judaïsme) qui requiert "éclaircissement" et "interprétation"; toute la question est de savoir qui est en droit et en capacité d'interpréter. A toutes les légitimités institutionnelles, traditionnelles, académiques ou autres, l'inspiration immédiate opposera toujours, ou du moins chaque fois qu'elle (res-)surgit ou "jaillit" n'importe où -- "l'esprit souffle où il veut" ! -- sa légitimité (à ses yeux) supérieure, justement parce qu'elle est im-médiate. Même l'autorité de "Jésus" contre l'Ecriture ou la tradition pharisienne, dans les évangiles, ressortit à la même antithèse, qu'elle tranche dans un sens et nullement dans l'autre (selon qu'on considère ensuite Jésus comme fondateur d'une nouvelle tradition qu'il faut désormais suivre, ou bien comme exemple d'une religion immédiate toujours à réinventer).

(A titre tout à fait personnel, j'ai trouvé chez S. Bénétreau un exemple rare d'équilibre heureux à cet égard, dans son contexte "évangélique": conservateur intelligent, sans dureté ni sécheresse, aussi peu dogmatique que possible, avec une vraie "foi", y compris dans la "foi" des autres même lorsqu'ils ne pensaient pas comme lui, et une bonne dose d'humour qui ne gâchait rien...)

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« Comme une lampe brillant dans un lieu obscur » (2 P 1, 19) Quelle mémoire de Jude dans la deuxième lettre de Pierre ?

Cet avertissement est donné par un témoin fiable, ce que rappelle la mention de l’épisode de la Transfiguration (2 P 1, 16-18), à laquelle Pierre a participé ; il s’appuie sur la parole prophétique donnée par l’Esprit Saint (2 P 1, 19-21). En face de ces envoyés de Dieu, prophètes et apôtres, Pierre annonce que se lèveront des « faux enseignants » (pseudodidaskaloi - 2 P 2, 1) qui perturberont la communauté. C’est alors que l’auteur de la deuxième lettre de Pierre, pour dénoncer et disqualifier ceux qui introduisent des « hérésies de perdition » (2 P 1, 1) reprend pas après pas la structure argumentative de la lettre de Jude ainsi qu’un certain nombre de ses expressions (2 P 2, 1-3,3// Jude 4-18),tout en les reformulant dans son propre style et en réduisant le nombre d’exemples utilisés. Il peut alors
conclure en expliquant le retard de la Parousie (2 P 3, 4-18), objet probable de controverse avec les « faux enseignants », par la patiente miséricorde de Dieu :« [Le] Seigneur ne tarde pas pour [ce qui est de la] promesse, comme quelques-uns [l’] estiment en retard ; mais il use de patience envers vous, ne voulant pas que certains [viennent à] périr, mais que tous [puissent] parvenir à la repentance » (2 P 3, 9).

Les fortes modifications que la deuxième lettre de Pierre opère sur le texte de la lettre de Jude, qui est proprement réécrite et altérée font aussi évoluer l’appel à la mémoire lancé par cette « deutérose » de Jude, phénomène qui inscrit nos deux lettres parmi d’autres couples de texte s du Nouveau Testament, tels Gal-Rm, Col-Eph ou 1 Th-2 Th, où le deuxième ouvrage amplifie (et modifie) les arguments de la première, la parenté étant cependant tout à fait reconnaissable.

https://www.academia.edu/43748142/Comme_une_lampe_brillant_dans_un_lieu_obscur_2_P_1_19_Quelle_m%C3%A9moire_de_Jude_dans_la_deuxi%C3%A8me_lettre_de_Pierre

Nombre de messages : 11946 Age : 64 Date d'inscription : 22/03/2008

L'article initial de S. Bénétreau (2018) comparait les deux épîtres (dites) de Pierre sur son thème (plus ou moins) "lumineux"; d'autres aspects de la Seconde, notamment son rapport au stoïcisme, ont été traités ici. Ce nouvel article (Lestang, 2016) se concentre sur la relation littéraire entre 2 Pierre (surtout chap. 2) et Jude (voir les tableaux comparatifs ou synoptiques)...

Question "mémoire", puisque c'est le thème de Lestang, il faut remarquer que les références à "Pierre" (à la fois comme "auteur" présumé de la "Première épître", 2 Pierre 3,1, et au personnage des Synoptiques, pour la Transfiguration) sont explicites et soulignées (sans oublier qu'avec la pseudépigraphie tout ce qui paraît "probant", "convaincant" ou "fiable" relève d'un artifice et d'une illusion: c'est précisément quand elle veut prouver quelque chose que la pseudépigraphie s'approche le plus d'une tromperie, ce dont on l'accuse souvent à tort mais dont on la disculpe quelquefois un peu vite); au contraire, la référence à Jude, bien qu'évidente pour celui qui dispose des deux textes, est passée sous silence. On retrouve ce qu'on disait de la plupart des textes "parallèles", "doublets" (etc.): l'auteur de 2 Pierre (à tout le moins du chapitre 2) comptait bien que son texte annule et remplace celui de Jude, il ne s'attendait pas à ce qu'il puisse lui être comparé; seule la canonisation (tardive) des deux épîtres en a décidé autrement... La "mémoire" ne fonctionne pas du tout de la même manière dans les deux cas, dans un (pseudo-)souvenir qu'on veut mettre en évidence et dans une réminiscence réelle (si ce n'est pas un texte qu'on a sous les yeux pour le ré-écrire) qu'on essaie plutôt de dissimuler.