Des pierres vivantes pour former une maison spirituelle- 1 Pierre 2

C'est en fait un mélange d'Isaïe 28,16 et du Psaume 118,22 qui se retrouve aussi en Matthieu 21,42 etc. -- comme on l'a souvent noté, la récurrence des mêmes groupements de citations, d'allusions ou de réminiscences littéraires dans différents textes du NT suggère que l'"Ancien Testament", si l'on peut utiliser cette appellation anachronique, est surtout connu en milieu "chrétien" sous forme d'anthologies plus ou moins thématiques (florilèges, testimonia), plutôt qu'en "texte intégral" (même en traduction grecque); ce qui rend tout à fait vaines la plupart des tentatives d'"éclairer" une citation par son contexte original, dans la Septante et a fortiori dans la "Bible hébraïque".

L'oxymore ou paradoxe explicite de la "pierre vivante" (lithos zôn, à l'accusatif singulier lithon zônta v. 4, au nominatif pluriel lithoi zôntes v. 5) est propre à 1 Pierre (que le jeu de mots ou plutôt d'idées avec petros-petra, cf. Matthieu 16, y soit sous-entendu ou non). Mais son principe est assez commun (cf. le "sacrifice vivant" de Romains 12 qui est tout autant une "contradiction dans les termes"), et l'image générale (édifice-temple et fondation) dérive surtout de l'épître aux Ephésiens (2,20ss; 4,12ss).

Le télescopage des métaphores est encore plus impressionnant quand on tient compte de ce qui précède (1,22--2,3), où la "parole" divine (logos, rhèma) est semence  (spora) puis lait (gala) -- là encore du "vivant", végétal puis mammifère. Ce qui échappe sans doute le plus à la traduction est encore, dans la citation du Psaume 34,9 (33,9 LXX) en 2,3, que le "bon" du "Seigneur" se dit khrestos, dans une quasi-homophonie avec khristos = Christ.

La succession des images est telle que les liens "logiques" entre elles, ou l'absence de lien, sont laissés à la discrétion du lecteur (ou de l'auditeur). On peut (comme tu le fais) voir une "progression" entre le statut de nouveau-né allaité et celui de pierre vivante, mais à la lettre rien n'y oblige: ni l'état de nourrisson, ni le lait ne sont ici connotés négativement comme ils le sont (relativement) en 1 Corinthiens 3 ou Hébreux 5. Au contraire, dirais-je: "désirer" le lait (qui ne serait pas ici quelque "doctrine élémentaire" mais la parole éternelle de Dieu, cf. 1,23.25), "s'approcher" du Christ pierre vivante et "se construire" comme des pierres vivantes sont autant d'injonctions au présent (effectif sinon grammatical) pour l'ensemble des destinataires. Des choses encore et toujours à faire, même si on les a déjà faites.

La multiplication et la juxtaposition des métaphores (métonymies, etc.) ont le grand avantage d'empêcher chacune d'elles de s'enfermer sur elle-même et de se développer en allégorie cohérente (ex: être semé, engendré, germer ou naître appelleraient une "croissance" et une "maturité" subséquentes --  mais aussi, on l'oublie plus facilement, une pourriture ou une mort, et une poursuite du processus au-delà du "sujet" de départ). Dans un autre sens, on n'en a jamais fini avec aucune image (pas plus la naissance ou la germination que la croissance, la mort ou la dissémination, la construction ou la dé-struction).

(Pour la petite histoire: ce fut un de mes premiers désaccords, tout intuitif au départ, avec les "évangéliques". Entendre dire "je suis né de nouveau, je suis devenu chrétien" à telle date ou depuis tant d'années -- exactement comme les TdJ disaient "je suis dans la vérité depuis tant d'années" -- m'arrachait les oreilles. S'il y avait rien de tel qu'une "nouvelle naissance", "naissance d'en haut" selon le jeu de mots de Jean 3 dans la ligne du "devenir-enfant" des Synoptiques, ce n'était pas pour moi un "événement" ordinaire susceptible d'être passé et dépassé dans le cours du temps, mais un rapport du temps même à l'éternité qu'il n'était pas question d'avoir "derrière soi". Le langage de 1 Pierre me semble au moins compatible avec une telle vision des choses, mais je dois bien avouer que je ne suis pas également sensible à toutes ses images: je me méfie de la "croissance" et de la "construction", peut-être parce que j'en ai vu de près certaines applications désastreuses -- auto-confirmation d'une "histoire" personnelle ou collective et de ses "acquis" doctrinaux et institutionnels.)

Même si la Première épître (dite) de Pierre s'inscrit dans le sillage immédiat des (deutéro-)pauliniennes et en particulier d'Ephésiens, la vision théorique et cosmique de ces dernières y est considérablement réduite et atténuée (on en trouve à peine quelques échos, p. ex. 3,22). La perspective de l'auteur est surtout "communautaire", dans un contexte probablement marqué par la souffrance (en tout cas l'épître offre la concentration maximale de ce thème, comme nous l'avons déjà remarqué) et dans une certaine mesure par la persécution. Dans un tel cadre, il est assez logique que les "grandes idées" sur le devenir du monde et en particulier des "incroyants" passent à l'arrière-plan, si elles ne sont pas complètement perdues de vue.

L'expression "maison spirituelle" exprime l'idée d'une communauté de croyants ou d'une assemblée de fidèles qui formeraient une famille (une maisonnée), par contre la formule, "un saint sacerdoce" pourrait nous amener à assimiler la "maison" à un "temple", ou les croyants seraient des prêtres, une classe sacerdotale. Peut-on rapprocher la métaphore de la "maison spirituelle" de 1 Pierre et celle de 1 Cor 12, ou les croyants sont les membres du  "corps du Christ" ou de 1 Cor 3:  "vous êtes le temple de Dieu" ? La métaphore de 1 Pierre a-t-elle un côté ecclésial, plaçant l'Eglise au cœur de la vie du croyant ?


Les traductions de la Bible nous propose différentes versions de 1 P1 2,5 :

"Vous-mêmes, comme des pierres vivantes, construisez-vous pour former une maison spirituelle, un saint sacerdoce, afin d'offrir des sacrifices spirituels, agréés de Dieu, par Jésus-Christ" (NBS)

"Vous-mêmes, comme des pierres vivantes,  entrez dans la construction de la Maison habitée par l’Esprit,  pour constituer une sainte communauté sacerdotale,  pour offrir des sacrifices spirituels,  agréables à Dieu par Jésus Christ." (TOB)

Il me semble que nous pouvons établir une certaine différence entre les formules : "une maison spirituelle" ET "la Maison habitée par l’Esprit" ; "un saint sacerdoce" ET "une sainte communauté sacerdotale". L'expression  "la Maison habitée par l’Esprit" renvoie à celle de 1 Cor 3,16 : "vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous". La formule: "une sainte communauté sacerdotale", insiste plus sur la notion de "communauté" que sur la "fonction" sacerdotale et souligne d'avantage l’élection de l’Eglise

Les notions de "maison" (dérivant vers la "maisonnée", la famille, la parenté, la domesticité, l'hospitalité, etc.) et de "temple" sont très distinctes pour nous, elles le sont beaucoup moins dans l'intertextualité "biblique", sous l'influence directe ou indirecte de l'hébreu où (comme dans d'autres langues sémitiques) "temple" se dit "maison de dieu" (byt-bayith-beth, cf. "Béthel"); même le mot qui est parfois traduit par "temple" dans l'AT, hykl-hékal, désigne aussi bien le "palais" d'un roi ou d'un personnage important -- entre ces deux termes il y a une distinction socio-politique, non une opposition "divin-humain" ou "sacré-profane". Dans le grec du NT il n'est donc pas étonnant que ces notions se confondent; le vocabulaire grec distinctif du temple (hiéron = "sacré", naos habituellement traduit par "sanctuaire" et désignant soit le "Saint-des-saints", le temple intérieur ou le bâtiment central), hormis des références concrètes ou symboliques au temple de Jérusalem ou à un temple "païen", est plutôt rare (ainsi naos en Ephésiens 2,21, dans l'ascendance directe de 1 Pierre, mais déjà 1 Corinthiens 3,16s; 6,19; 2 Corinthiens 6,16).

En 1 Pierre 2,5, la TOB tente d'expliciter par des périphrases ce que la NBS traduit mot à mot, le nom par un nom (oikos = maison, hierateuma = sacerdoce) et l'adjectif épithète par un adjectif épithète (pneumatikos = spirituel, hagios = saint); à mon avis on n'y gagne pas grand-chose, mais on n'y perd pas beaucoup plus...

Je serais surpris que la révision de la TOB n'ait pas abandonné la "race"...

La Première de Pierre est un lieu d'émergence remarquable -- non le seul, cf. Matthieu 21,43 etc. -- de ce qu'on a longtemps appelé la théorie de la "troisième race", qui s'est surtout développée au IIe siècle. A savoir que les "chrétiens", très majoritairement non juifs, ne se satisfont plus d'une qualification foncièrement négative (en grec ethnè, "nations" d'après l'hébreu goyim, désigne d'abord les "non-juifs" comme tels, d'un point de vue juif, ce qu'on a aussi appelé les "Gentils" d'après l'équivalent latin gentes, et plus tard les "païens"), et éprouvent d'autre part un besoin croissant de se distinguer des (autres) "païens", sans pour autant s'assimiler aux juifs. D'où l'importance croissante du vocabulaire "ethnique" (emprunté naturellement à l'AT et au judaïsme) dans l'auto-définition et l'auto-représentation de l'Eglise qui se comprend comme  une "nation" (ethnos au singulier), un "peuple" (laos), une "race" (genos; tout au moins au sens ancien du mot "race", lignée, descendance, genre, espèce qui peut s'appliquer aussi bien à une "famille" qu'à une "nation") -- ni "Juifs" ni "païens". Cf. aussi 2,12 et 4,3 (et, dans l'ascendance directe de 1 Pierre, Ephésiens 2,11; 3,1.6.8; 4,17, où l'on voit se dessiner la problématique: selon le contexte, vous êtes et vous n'êtes pas des ethnè, "nations-gentils-païens").

"Bien-aimés, je vous encourage, comme des exilés et des étrangers, à vous abstenir des désirs de la chair qui font la guerre à l'âme. Ayez une belle conduite parmi les gens des nations, pour que, sur le point même où ils vous accusent de faire le mal, ils voient vos belles œuvres et glorifient Dieu au jour de son intervention." (2,11-12)

"Comme des exilés et des étrangers", les croyants sont invités à une "bonne conduite" "au milieu des païens", de manière à faire taire les calomnies et les mauvais témoignages. 




L?idée de sacerdoce universel implique l?engagement de tout croyant au service de Dieu, dans tous les domaines y compris la prêtrise.

La divergence la plus radicale de Luther avec l?Église catholique était son discours sur les sacrements. Dans son traité sur La captivité babylonienne, Luther en a supprimé cinq. Il n?en restait plus que deux : la Cène (ou communion) et le baptême. Lorsqu?Erasme a pris connaissance du traité de Luther, il s?est dit que la brèche était irréparable. Pour Erasme, si les sacrements sont mis en cause, la doctrine de prêtrise, le clergé et tout le système clérical s?effondrent. En effet, les sacrements constituent pour l?Église catholique le moyen de communiquer la grâce et sont exclusivement rendus par des prêtres.
Pour Luther, c?était une bonne nouvelle car il adhérait à une vision plus large de l?engagement avec Dieu. En effet, pour lui, tous les baptisés  sont des prêtres, et non juste quelques uns.  C?est la prêtrise universelle ou sacerdoce universel.

Tous élus, tous consacrés

Le texte fondateur de son développement théologique est tiré de l?épître de Pierre (1). Le but est de sortir le chrétien de la tutelle d?une oligarchie cléricale. Luther veut rappeler que les baptisés sont tous élus, tous consacrés par la parole de Dieu. La question suivante est donc : comment le chrétien peut-il entrer en service ?
Pierre l?explique au chapitre 2 de son épître : « Comme des pierres vivantes, entrez dans la construction de la Maison habitée par l?Esprit, pour constituer une sainte communauté sacerdotale » (2). Puis : « Vous êtes, la descendance élue, la communauté sacerdotale du roi, la nation sainte, le peuple que Dieu s?est acquis, pour que vous proclamiez les hauts faits de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière ».

L?autorité de Dieu

Pierre ne s?adresse pas ici à une élite mais à l?ensemble de la congrégation. Le chrétien tire la légitimité de son action, de sa vie, de sa prêtrise en référence à Jésus, « la pierre de l?angle », selon les termes de l?apôtre Pierre. Le Christ a ouvert le chemin, lui le réformateur par excellence. Car il aussi a tout réformé, sans avoir l?appui des autorités ? même s?il avait celui de l?autorité la plus éminente : son père du ciel.
Le texte souligne qu?il a été élu, lui aussi, comme pierre angulaire, que les humains ont rejetée mais que Dieu a considéré comme précieuse (3). Là-dessus s?est fondé le ministère de Jésus et se fonde le ministère de chaque croyant. https://www.reforme.net/religion/protestantisme/2019/07/10/quest-ce-que-le-sacerdoce-universel-chez-les-protestants/

L'idée de la "troisième race" (cf. mon post précédent) combine en effet -- de façon théologiquement et politiquement risquée si l'on veut, mais historiquement inévitable -- plusieurs éléments disparates des christianismes primitifs: aussi l'"étrangeté au monde" associée aux notions de "nouvelle naissance" ou de "naissance d'en haut", d'"adoption" ou d'"engendrement divin" dans le johannisme, le paulinisme, la gnose ou même le médio-platonisme de l'épître aux Hébreux (cf. 11,13); en 1 Pierre, voir 1,1.23. Un "on n'est pas d'ici" qui va paradoxalement se transformer, dans l'histoire longue de l'antisémitisme chrétien, en un "on est chez nous", en passant notamment par une certaine "fierté d'être païen" (Heiden) dans le luthéranisme germanique, opposée d'abord à Rome puis aussi aux juifs...

Concernant le "sacerdoce universel", il est évident que l'enjeu de 1 Pierre n'est pas originalement celui qu'y verront Luther et les autres Réformateurs. Dans le contexte de la fin du Ier siècle, du reste, l'idée générale est plutôt commune: la reprise en main pharisienne du judaïsme après la destruction du temple suppose également chez celui-ci une sorte de "sacerdoce universel", qui réduit quasiment à rien la fonction spécifique des prêtres, ou plutôt la laïcise et l'universalise, dans le contexte du culte synagogal et familial, à l'ensemble de la communauté juive.

"Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ qui, selon sa grande compassion, nous a fait naître de nouveau, par la résurrection de Jésus-Christ d'entre les morts, pour une espérance vivante, pour un héritage impérissable, sans souillure, inaltérable, qui vous est réservé dans les cieux, à vous qui êtes gardés par la puissance de Dieu, au moyen de la foi, pour un salut prêt à être révélé dans les derniers temps." (1,3-5) 

"Comme vous vous êtes purifiés, par l'obéissance à la vérité, en vue d'une affection fraternelle sans hypocrisie, aimez-vous les uns les autres avec ferveur, d'un cœur pur.
Vous êtes en effet nés de nouveau, non pas d'une semence périssable, mais d'une semence impérissable, par la parole vivante et permanente de Dieu ;
car tout être qui vit est comme l'herbe, toute sa gloire comme la fleur de l'herbe ; l'herbe se dessèche et la fleur tombe" (1,22-24) 

"Rejetez donc toute malfaisance et toute ruse, l'hypocrisie, l'envie et toute médisance ; comme des enfants nouveau-nés, aspirez au lait non frelaté de la Parole, afin que, par lui, vous croissiez pour le salut, si vous avez goûté la bonté du Seigneur. " (2,1-3)


Peut-on établir un parallèle entre ces textes et :  "Il faut que vous naissiez de nouveau — d'en haut" de Jean 3 ; "il nous a sauvés par le bain de la nouvelle naissance et du renouvellement procédant de l'Esprit saint" (Tt 3,5) ; "nous avons été créés en Jésus-Christ" (Ep 2,10) ? 

Le vocabulaire est différent mais étroitement apparenté (ana-gennaô 1 Pierre 1,3 et 23, arti-gennètos 2,3; anôthen gennaô Jean 3; paliggenèsia = palin-genèsia Tite 3,5, même composé en Matthieu 19,28 dans un contexte cosmique et eschatologique -- "nouvelle naissance", "nouvel engendrement" ou "nouvel enfantement" du monde); plus largement, le thème général est aisément reconnaissable, même si l'usage qui en est fait peut être très différent et à certains points de vue contradictoire -- p. ex. de type "gnostique" et "spirituel" ou "ésotérique" chez Jean, "ecclésiastique" et "sacramentel" dans Tite; 1 Pierre se tiendrait quelque part entre les deux: on y a longtemps vu une "catéchèse baptismale", mais tout dépend comment on l'entend; d'ailleurs le même rite d'initiation peut être compris et vécu très différemment d'un "baptisé" à l'autre, et pensé et repensé encore tout autrement au cours de leur existence ultérieure... n'empêche que ce jeu tourne toujours autour des mêmes mots, des mêmes idées, des mêmes images, qui en l'occurrence constituent le fonds le plus commun du christianisme: appeler Dieu "Père", Jésus "Fils" (unique), soi-même "enfants de Dieu", "frères et soeurs", etc., cela implique déjà ce que les formules ci-dessus et bien d'autres ne font qu'expliciter, développer, déployer dans tous les sens.

Sur le lexique, on peut noter que "semence" traduit spora en 1 Pierre et sperma en 1 Jean (mais là encore les deux mots sont apparentés, dérivant du même verbe speirô, "semer"); que 1 Jean emploie le verbe simple gennaô (faire naître, engendrer, enfanter) dont proviennent les composés relevés plus haut, dans 1 Pierre et ailleurs (ana-gennaô etc.); que Jacques en revanche emploie apokueô qui est a priori plus "féminin" (enfanter, accoucher), aussi du reste pour le "péché" (féminin en grec) qui enfante la mort au v. 15.

Il est peut-être plus intéressant d'observer et de comparer l'emploi qui est fait de ces tropes (métaphores, métonymies, etc.), par leur association, leur combinaison et leur enchaînement (ainsi, comme on l'a montré en 1 Pierre 1,23ss, la "semence" balade le lecteur-auditeur du végétal, la chair comme l'herbe, à l'animal-humain-mammifère, naissance et allaitement); mais c'est surtout leur utilisation rhétorique qui diffère: la même "symbolique", le même "imaginaire" (qu'on prenne ou non ces termes en leur sens lacanien) se prêtent à un approfondissement qu'on pourrait qualifier de "mystique" ou de "gnostique" dans les textes johanniques, tandis que dans l'épître de Jacques ils ne sont qu'un bref pré-texte (encore relativisé par un indéfini, tis, tina, "en quelque sorte", "façon de parler" en 1,18) à une exhortation essentiellement éthique, sociale et communautaire.

Article instructif, en particulier sur l'histoire de la notion de "sacerdoce universel" avant et après Luther.

(Soit dit en passant, selon la taxonomie classique des tropes, quand on dit "comme" c'est une "comparaison", non une "métaphore"; d'autre part, même si la lecture d'oikodomeisthe au "passif divin" est probable, je ne suis pas sûr qu'il soit très judicieux d'y insister, car l'image est trop rare pour qu'on puisse déduire quoi que ce soit de l'usage ordinaire du verbe: au sens "propre" on construit, à l'actif, un bâtiment est construit, au passif, mais dès qu'on passe au sens "figuré" de l'"édification" la contamination d'un sens de participation à la voix dite "moyenne-passive" ne me semble pas à exclure, comme dans notre pronominal réfléchi ou réciproque, "s'édifier"; cf. 1 Thessaloniciens 5,11, à la voix active mais avec complément de réciprocité, "édifiez-vous les uns les autres"; il faudrait examiner l'usage du verbe dans la littérature patristique pour en avoir le coeur net.)

Il ne faudrait pas oublier (même si c'est culturellement difficile pour nous) que le vocabulaire de la "sainteté" (qdš -> hagios etc.), comme négativement celui du "péché", n'est pas d'abord "moral" mais rituel (sacerdotal, cérémoniel, lié aux temples, aux prêtres, aux sacrifices, au "sacré" opposé au "profane", au "pur" opposé à l'"impur" de ce point de vue très particulier qui n'a a priori aucun rapport avec un "bien" et  un "mal" au sens où nous l'entendons, surtout d'une oreille moderne, humaniste, immanentiste et relationnelle: bien ou mal fait à autrui). Et si dans l'AT même ce concept est largement "moralisé", notamment sous l'influence de l'éthique sociale des Prophètes régulièrement opposée à l'ordre purement rituel des prêtres et du temple, il reste toujours quelque chose de son aspect "sacral" originel, jusque dans le NT. C'est ainsi que Paul peut appeler "saints", dès la correspondance corinthienne, des gens à qui il adresse pourtant beaucoup de reproches "éthiques". Il faut bien sûr l'entendre au sens de "consacrés", comme un statut (de prêtre notamment) qu'on a ou qu'on n'a pas (on est prêtre ou on ne l'est pas), mais qu'il n'est pas question d'avoir "plus ou moins". On ne cesse pas d'être prêtre ou consacré, on ne l'est pas "moins" parce qu'on se conduit mal à tel ou tel point de vue; pas même si -- chose plus grave dans cette perspective -- on enfreint les règles rituelles, mais on court alors un risque supplémentaire au contact du "sacré" (cf. Nadab, Abihou, Coré, Ouzza, etc.). Il y a donc dans l'ensemble du NT (dans 1 Pierre comme ailleurs) un jeu très fréquent et plus ou moins subtil sur les mêmes mots, entre cette "sainteté-consécration", "sainteté-état" qui se confond avec le statut même de chrétien, de baptisé ou de membre de l'Eglise, et la "sainteté" morale qui fait l'objet d'exhortation et d'efforts. Ces deux aspects de la "sainteté" n'étant pas pour autant distingués explicitement (ce serait difficile avec les mêmes mots) mais diversement articulés l'un à l'autre -- p. ex. sur le mode de la déduction parénétique de l'indicatif à l'impératif (puisque vous êtes saints-consacrés, soyez saints-justes-bons-moraux-irréprochables) ou de la menace dissuasive (puisque vous êtes saints-consacrés, vous risquez gros à ne pas êtres saints-justes-bons-moraux-irréprochables).

Quant aux images "royales" appliquées aux chrétiens (hormis le "royaume" ou "règne" de Dieu ou du Christ dont ils peuvent être compris comme "sujets" plutôt que comme "rois"), elles sont sans doute plus rares et plus discrètes (ne serait-ce que pour des raisons politiques) dans le NT en général, mais il serait abusif de les restreindre à 1 Pierre et à l'Apocalypse. Cf. l'emploi (y compris ironique) du verbe "régner" (basileuô etc.) dans le corpus paulinien (1 Corinthiens 4,8; Romains 5,17; 2 Timothée 2,12) ou des "trônes" des apôtres en Matthieu 19,28//Luc 22,30.

Rendre compte de l'espérance qui est en nous

Pour une époque troublée comme la nôtre, la première épître de Pierre prend une résonance toute spéciale, en raison de la place que cet écrit fait à l'espérance. S'adressant à des destinataires inquiets et humiliés Pierre les invite à relever la tête : « Honneur â vous les croyants ! » (2,7), non sans doute à cause de leurs mérites personnels, mais en raison de la grande espérance que Dieu leur a ouverte par la résurrection de son Fils (1,3s). La première exhortation invite donc à diriger toute son espérance vers la grâce de Dieu (1, 13 et 21). Cette espérance doit transfigurer toute l'existence au point d'étonner les gens du dehors. De façon typique, Pierre invite à rendre compte non de la foi, comme on s'y attendrait, mais de l'espérance qui est en nous (3,15). C'est donc cette espérance, faite de dignité et de courage, qui attire l'attention et provoque le questionnement. Tout chrétien doit être prêt à répondre au défi, par sa conduite de chaque jour plus encore que par ses paroles (ainsi 3,1s).
L'espoir d'un retour prochain du Christ soutient certes, l'espérance des communautés, mais ne la conditionne pas. Le centre de gravité, c'est la résurrection glorieuse (1,3), si bien que même si les délais se prolongent (voir la seconde épître de Pierre), l'espérance chrétienne ne perd rien de sa joyeuse certitude. L'héritage promis ne craint pas les atteintes du temps (1,4). Surtout l'intensité de l'amour permet de rejoindre déjà Celui à qui nous appartenons en raison de notre baptême. Il n'y a donc pas à décrire à l'avance le bonheur de l'au-delà. Sur ce point, la première épître de Pierre est d'une grande discrétion. Il suffit d'entrevoir que pourra être l'épanouissement de notre attachement actuel au Christ, « Lui que nous aimons sans l'avoir vu; en qui nous croyons sans le voir encore (1,. https://www.bible-service.net/extranet/current/pages/200546.html

Non seulement la souffrance et l'espérance vont de pair, mais leur relation est au moins à double sens (cf. déjà l'ambiguïté d'elpis, l'espérance, dans le mythe de Pandore, chez Hésiode p. ex.)...

Même dans le cadre restreint de l'histoire "biblique", force est de constater que des espérances de plus en plus démesurées (d'abord politiques et nationales, puis eschatologiques et sotériologiques, messianiques, cosmiques) répondent crescendo à une série de malheurs (guerres, sièges, destructions, exils, persécutions), et qu'elles appellent aussi, à chaque fois, de nouveaux malheurs -- malheurs qui, eux, ne sont pas nécessairement croissants par l'étendue ni par la gravité, mais de plus en plus choisis ou provoqués par l'espérance même: les souffrances des Judéens lors de la répression babylonienne étaient imputables au suzerain devenu ennemi, et tout au plus à la politique de leurs propres rois ou de leur classe dirigeante; les souffrances des "martyrs", de la révolte maccabéenne aux zélotes ou aux chrétiens, n'ont pas d'autre cause que les choix des individus et des groupes concernés, dont le premier motif est précisément leur "espérance" (en une "résurrection" p. ex.).

J'ai croisé jadis A. Nisus à Vaux-sur-Seine, il y entrait quand j'en sortais -- ça lui a visiblement mieux réussi qu'à moi...

Aucun rapport avec le sujet, quoique... même si l'opposition weberienne entre "secte" et "Eglise" mérite d'être nuancée d'un groupe et d'une situation à l'autre, l'antithèse entre le point de vue du migrant ou de l'exilé ("on n'est pas d'ici") et celui du résident ou du citoyen ("on est chez nous") demeure foncièrement irréductible, et elle assure la pérennité d'un dialogue de sourds, aussi bien dans les sectes et les Eglises que dans "la société" en général.