L’intercession pour tous les hommes - 1 Timothée

On a dit assez de mal des Pastorales (Timothée-Tite) et du "proto-catholicisme" en général (d'Ephésiens à 2 Pierre, en passant notamment par les Actes des Apôtres), surtout à cause de leur côté autoritaire (censure des "hérétiques"); mais c'est aussi par là que le christianisme, ou l'Eglise, sort de l'état de "secte" hostile ou indifférente à son entourage (le "monde") pour assumer au moins symboliquement (la prière) le souci de la société au sens large, laquelle se confond, via l'"oecuménisme" de l'empire romain, avec l'"humanité". Comme dans le temple de Jérusalem avant les guerres juives il y avait eu des sacrifices pour César, substitut agréé du culte impérial. Ce n'est certes pas encore une religion "officielle" ni même "dominante", mais c'est déjà une religion assez importante et établie pour se sentir responsable au-delà de sa "communauté".

Pour les sacrifices offerts au nom de la maison impériale et d'autres officiels romains au temple de Jérusalem (cf. mon post précédent), voir notamment ici Josèphe, BJ II,xvii,2 = 408.

Pour ce qui est du "conformisme social", les Pastorales sont tout de même bien préparées par les "tables domestiques" des deutéro-pauliniennes (Colossiens-Ephésiens, et leur dérivées formellement extra-pauliniennes, comme 1 Pierre) qui règlent de façon parfaitement consensuelle les rapports entre mari et femme, parents et enfants, maîtres et esclaves; et déjà par le paulinisme antérieur, cf. Romains 13 et les "autorités" ou, dans une perspective eschatologique très différente mais avec le même effet (ou absence d'effet) de statu quo éthique et social, 1 Corinthiens 7 (que chacun reste dans sa condition). L'ensemble du paulinisme apparaît ainsi comme le paradoxe d'une théorie extrêmement radicale, originale et audacieuse, à l'incidence pratique quasiment nulle, qui change tout sans rien changer -- c'est bien ce que lui reproche l'épître de Jacques.

On peut aussi noter au passage que les éléments "autobiographiques" -- authentiques ou pseudépigraphiques -- disséminés dans cet ensemble varient selon les besoins rhétoriques de la démonstration: "Paul" est toujours un "converti", mais tantôt d'une hyper-justice légaliste et tantôt de "péchés" très ordinaires...

L'"universalisme" non plus n'est pas nouveau en soi, mais il change de perspective: eschatologique et cosmique en Romains 8, myst(ér)ique et cosmique en Ephésiens, l'Eglise y tient de plus en plus de place, et dans un sens de plus en plus concret, voire "institutionnel"; elle est déjà "catholique" (<=> universelle, même si le mot n'est pas dans le NT) en puissance, avec l'ambition d'offrir un "salut pour tous".

L'éthique du "juste milieu" est naturellement taillée sur mesure pour les "classes moyennes", qui voient tout aussi naturellement les "excès" et les "scandales" au-dessus ou au-dessous d'elles (bien entendu, chaque "milieu" voit le "juste milieu" comme midi à sa porte); mais son histoire est aussi vieille que la "sagesse", toujours en quête d'équilibre, et elle joue aussi à l'époque romaine un rôle central dans les philosophies populaires d'influence stoïcienne ou épicurienne, avec le même vocabulaire (sophrosunè etc., que la NBS traduit par "pondération"; cf. déjà Qohéleth, ni trop juste ni trop mauvais, dont nous avons évoqué l'analogie formelle avec la "voie du milieu" bouddhique). Semblent particulièrement visés dans les Pastorales les "gnostiques", décrits tantôt comme hyper-ascétiques et tantôt comme "libertins", notamment en matière sexuelle, dans les textes patristiques -- par confusion plus ou moins volontaire avec le refus du mariage et de la procréation qui répondait à de tout autres logiques (revoir éventuellement ici).

Le souci de la réputation individuelle, familiale et communautaire auprès des "gens du dehors" n'est pas vraiment neuf dans la tradition paulinienne (cf. 1 Corinthiens 5--6; 14,23; Romains 2,24 etc.), mais dans les Pastorales il tourne à l'obsession... il est assez tentant de lui opposer certains logia évangéliques comme Luc 6,26 (d'autant plus étonnant que l'ensemble Luc-Actes fait aussi grand cas de la réputation du christianisme, surtout auprès de la "bonne société" romaine).

Excellent article, qui mérite une lecture complète et attentive (j'avais apprécié jadis le commentaire de Rédalié sur les Pastorales, mais je n'en avais pas gardé le souvenir d'une telle précision dans l'analyse et la documentation).

Il n'est pas besoin d'aller très loin (v. 16ss) pour voir que le discours des Pastorales joue sur le registre de l'autorité brutale comme sur celui de la douceur et de la persuasion (good cop, bad cop ?). Reste dans les deux cas l'idée d'une doctrine qui ne se discute pas, mais s'impose d'une manière ou d'une autre.

Non seulement ceux du dehors sont des convertis potentiels, mais il sont d'ores et déjà des juges compétents du comportement "chrétien" qui ipso facto ne se distingue plus de celui du (meilleur) "monde".

Quant à l'alternance de la dureté et de la douceur à l'égard des dissidents selon qu'ils sont jugés récupérables ou non, c'est un trait tellement commun de toute "discipline" qu'on ne s'étonne pas de le retrouver non seulement dans les textes de l'orthodoxie tardive (cf. aussi Jude et 2 Pierre), mais aussi dans des textes plus anciens, dans le paulinisme dès la correspondance corinthienne (cf. 1 Corinthiens 5 ou 2 Corinthiens 2) et ailleurs (p. ex. dans les traditions de Matthieu 18).

En 1 Timothée 6,17ss "disposé(s) à partager" = eu-meta-dotos (où l'on peut entendre le "bonheur" ou le "bon vouloir" du "don" ou "partage", "avec" autrui ou "au-delà de" soi; cf. meta-didômi en Luc 3,11; Romains 1,11; 12,8; Ephésiens 4,28; 1 Thessaloniciens 2,8 ), "solidaires" = koinônikous, de koinônia, "communion" ou "communauté".

Il n'y a effectivement ici rien d'autre que l'appel le plus classique à la générosité, commun à l'éthique juive et gréco-romaine, qui ne remet absolument pas en cause le statut du riche en tant que tel (contrairement à l'épître de Jacques d'une part, à certains traits des Synoptiques et surtout Matthieu d'autre part).

Pour rappel, ce conservatisme social découle directement de la structure socio-économique des Eglises pauliniennes (entre autres, sans doute) qui dépend depuis le départ du "patronage" (au sens du "clientélisme" romain) de convertis relativement aisés (ceux qui accueillent "l'Eglise" dans leur "maison", lui offrant non seulement un lieu de réunion, mais un certain statut quasi officiel). Si les Pastorales s'en distinguent, c'est par l'ébauche d'une hiérarchie en partie autonome (l'"épiscope" qui n'est plus forcément le "maître de maison" et le sera de moins en moins, à mesure que l'Eglise grandit et devra trouver des lieux de culte "neutres"). Mais ça n'empêchera évidemment pas les plus riches de jouer un rôle essentiel dans l'Eglise...

Citation :

Non seulement ceux du dehors sont des convertis potentiels, mais il sont d'ores et déjà des juges compétents du comportement "chrétien" qui ipso facto ne se distingue plus de celui du (meilleur) "monde".

L’expression "ceux du dehors" est appliquée globalement à tous ceux qui ne sont pas dans l’Église et le comportement de ces personnes "extérieures" ne préoccupent pas les croyants car "Ceux du dehors, c'est Dieu qui les jugera"  :

"Est-ce à moi, en effet, de juger ceux du dehors ? Et ceux du dedans, n'est-ce pas vous qui en êtes juges ? Ceux du dehors, c'est Dieu qui les jugera. Expulsez le mauvais du milieu de vous." 1 Co 5,12-13



Il est intéressant de noter que l'auteur de 1 Tm considère Paul comme celui qui a inauguré l'histoire du salut de "ceux du dehors" qui vont croire en Christ, puisque Paul est présenté comme  "le premier d'entre eux" :

"C'est une parole certaine et digne d'être pleinement accueillie : Jésus-Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs ; je suis, moi, le premier d'entre eux." (1,15)


Paul est également présenté comme le prototype du croyant fidèle qui aime la présence du Christ et l'héritier d'une lignée de fidèles des temps anciens ; 

"Désormais la couronne de justice m'est réservée ; le Seigneur, le juge juste, me la donnera en ce jour-là, et non pas seulement à moi, mais aussi à tous ceux qui auront aimé sa manifestation." (2 Tm 4,

"Je suis plein de gratitude envers Dieu à qui, à la suite de mes ancêtres, je rends un culte avec une conscience pure, et je fais continuellement mention de toi dans mes prières, nuit et jour" (2Tm 1,3)

Le paulinisme de la correspondance corinthienne, comme le proto-christianisme de ses destinataires, s'inscrit encore dans une logique qu'on pourrait appeler "sectaire", dans la mesure où sa "pneumatologie" déterminante disqualifie d'office "ceux du dehors": qui n'a pas "l'esprit" de Dieu, du Christ et de son corps ne peut comprendre ce qui se joue dans l'ekklèsia, il ne peut donc en juger valablement (cf. 1 Corinthiens 2 sur le "principe" de base et chap. 6 sur l'une de ses conséquences pratiques, le refus de soumettre des litiges internes à des tribunaux externes). Cela n'empêche évidemment pas qu'on se soucie de ne pas choquer ceux du dehors et même de les attirer dedans -- y compris par le discours paradoxal du mystère: "vous ne pouvez pas comprendre" donne souvent plus envie de "comprendre", et pour cela de "s'initier", de passer de l'extérieur à l'intérieur, qu'une "explication" parfaitement compréhensible de l'extérieur...

C'est toute cette économie qui change à mesure que l'Eglise grandit, et qui a clairement changé dans les Pastorales: même si elle garde les formes et les formules du "mystère", le mystère ne fait pas mystère, il s'ouvre de fait à tous -- et tous les "sésame" qui en gardent l'entrée, l'initiation rituelle comme nouvelle naissance ou engendrement de l'esprit, mais aussi la rhétorique simili-juridique de la justification par la foi deviennent un peu des secrets de Polichinelle, glissant du langage ésotérique de reconnaissance mutuelle des "élus" vers une doctrine exotérique, compréhensible du dehors (presque) comme du dedans, et ouverte aussi à la "superstition" populaire.

Quant aux notations autobiographiques plus ou moins contradictoires (cf. supra 16.10.2019), elles sont d'autant moins gênantes que "l'apôtre" est désormais une figure fondatrice et fédératrice à vocation universelle (exemple de toutes les "fidélités" et de tous les "péchés" dont on peut "se convertir").

Citation :

Quant aux notations autobiographiques plus ou moins contradictoires (cf. supra 16.10.2019), elles sont d'autant moins gênantes que "l'apôtre" est désormais une figure fondatrice et fédératrice à vocation universelle (exemple de toutes les "fidélités" et de tous les "péchés" dont on peut "se convertir").

Le discours d’adieu fictif que le corpus paulinien transmet dans la Seconde épître à Timothée nous oblige à un deuxième saut. La pseudépigraphie est explicitement liée cette fois au travail de la mémoire. Le « je » qui, pour la troisième fois, parle de Paul comme d’un autre, s’efforce cette fois de bâtir une suite de ponts entre les générations.

Il imagine d’abord un premier pont entre Paul et ses ancêtres. Le premier accent ne porte en effet plus sur le caractère événementiel de la révélation et de sa vocation apostolique (cf. Ga 1, 11-16), mais sur la continuité dans laquelle s’inscrit son ministère (2 Tm 1, 3).

Il construit un deuxième pont, dans le temps, entre Paul et Timothée, comme si les deux étaient devenus les représentants de deux époques différentes (2 Tm 1, 4).
Et, parallèlement, il en ajoute un troisième, généalogique, qui rattache la foi de Timothée, c’est-à-dire son appartenance chrétienne, à celle de sa mère, Eunice, puis, en remontant l’histoire de sa transmission, à celle de sa grand-mère Loïs (2 Tm 1, 5).

Ces trois ponts doivent permettre à Timothée de remonter à une origine mythique, celle d’une flamme originelle qu’il s’agit de ranimer par l’intervention d’une nouvelle incarnation littéraire (2 Tm 1, 6-7).

Le « je » pseudépigraphe de l’Épître aux Éphésiens pouvait encore donner le change. Pour le « je » de la Seconde épître à Timothée, ce n’est plus possible. Visiblement Paul est absent. Non seulement il est absent, mais sa présence est devenue lointaine, et la distance constitue le problème que vient résoudre la fiction pseudépigraphique : la fiction littéraire permet en effet à l’apôtre, sans doute déjà disparu depuis une ou deux générations, celles de la grand-mère et de la mère, de revenir vers un pseudo-Timothée de la troisième génération pour l’inviter à un retour de la mémoire créatrice vers les origines.

On voit donc la pseudépigraphie mise en œuvre pour remplir une troisième fonction, qui n’est plus de libérer l’universalité de l’Évangile de la personne de Paul, comme dans l’apologie destinée par Paul à Corinthe, ni seulement, comme dans l’Épître aux Éphésiens, de rendre présent et actuel pour les générations ultérieures l’Évangile de l’apôtre désormais absent, mais qui consiste maintenant à aborder de manière frontale la difficulté résultant de la perte d’un contact personnel possible avec les origines : la génération des apôtres, qui est aussi celle de ceux et de celles qui les ont entendus, n’est plus accessible, et la seconde génération chrétienne ne l’est vraisemblablement plus non plus. La pseudépigraphie permet donc de reconstruire, par la fiction, le lien de continuité en train de se perdre.

 https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2013-4-page-529.htm

Article passionnant (merci encore).

Les penseurs sont rares parmi les exégètes; c'est tout sauf un accident parce qu'une pensée exégétique digne de ce nom (et tout spécialement du nom de François Vouga) relève de deux mouvements contradictoires: il faut s'éloigner des textes, prendre du recul, de la hauteur, de la distance pour en dégager une vision d'ensemble et des schèmes intelligibles, ce qui ne se fait pas sans un rapport avec une autre pensée (philosophique, psychanalytique, etc.). -- et revenir sans cesse au détail du texte où l'intelligibilité schématique se perd.

Pour revenir aux Pastorales, on aura noté que Vouga, dans la ligne d'autres études qui distinguaient de l'ensemble pseudépigraphique des fragments d'apparence "authentique" dans 2 Timothée, y discerne deux "types" de pseudépigraphie successifs (ce qu'il appelle respectivement trito- et quarto-Paul). Cela peut paraître compliqué mais à mon sens ça ne l'est pas encore assez, car l'examen du corpus paulinien au sens large selon les mêmes critères ferait apparaître bien d'autres types (celui de Colossiens n'est pas exactement celui d'Ephésiens, p. ex.), et qui surtout ne se laisseraient pas ranger sur une seule ligne chronologique. Naturellement, le schéma y perdrait en intelligibilité.

Mais le trait de génie (toujours à mon sens) consiste à rapporter l'ensemble des pseudépigraphies considérées au texte en apparence le plus authentique et autobiographique, 2 Corinthiens 12, qui contient en creux ou à l'envers le principe même de toutes les pseudépigraphies à venir en même temps que leur impossibilité radicale: quand à même l'écriture la plus "personnelle" "je est un autre", comme disait Rimbaud, il n'y a plus de "faux", ou il n'y a plus que ça pour faire du "vrai".

Remarques de détail: la "foi" devient "une catégorie identitaire d'appartenance" parce qu'elle passe aussi de son sens "subjectif" (fides qua creditur, la foi par laquelle on croit) à un sens "objectif" (fides quae creditur, la foi que l'on croit, autrement dit la croyance ou la doctrine); du même coup, la "foi" ne se distingue plus de la "fidélité" (les deux "sens" sont bien dans le mot pistis, mais l'épître aux Romains s'était donné beaucoup de mal pour distinguer le premier du second) -- entendue comme fidélité à une doctrine.

Formellement "Dieu", "le Père", reste bien présent et sujet ou agent de la grâce en 1 Timothée 1 (cf. v. 2, 3, 17), mais il ne se distingue plus du tout du Christ. C'est l'éternel problème des "médiations", qu'en théorie on peut additionner à l'infini (ce que Hegel appelait le "mauvais infini"): le Père, le Fils, l'Esprit, l'Eglise, les apôtres, les épiscopes, les sacrements, tout cela en un sens "s'ajoute" comme une chaîne de médiations mais en pratique il y en a toujours une et une seule effective, une seule qui fonctionne à un moment donné. Au stade des Pastorales, l'Eglise-institution représentée aussi bien par la figure épistolaire de l'apôtre et de ses destinataires-intermédiaires, Timothée ou Tite, et concrètement par l'épiscope local, EST la médiation effective, et tout ce qui est en amont, au-dessus ou avant, se confond en une "source" unique et lointaine (aussi bien le Père, le Fils et l'Esprit que les apôtres et leurs successeurs supposés).

La doctrine

On ne part pas tant de l’Évangile que du dépôt de la foi tel que les prédicateurs l’ont transmise : « Ce que tu as appris de moi, confie-le à des hommes sûrs » (2 Tm 2, 2).
1- Le discours sur Dieu utilise des titres et des qualificatifs appartenant à la littérature juive hellénistique (Philon notamment) provenant de certains courants philosophiques (Eth. Nic., 10.8.7) : bienheureux, immortel, philanthropie, épiphanie ; « Sauveur » est un titre fréquent dans le monde Gréco-romain pour désigner des dieux ou des empereurs ;
 
2- On insiste sur la valeur des « bonnes ou belles œuvres » plutôt que sur la vie selon l’Esprit ; la formule « en Christ » n’a pas de force spirituelle particulière et pourrait être rendue par « chrétien » ;
 
3- La vie chrétienne tourne autour de la piété (eusèbeia) et suppose la maîtrise de soi ; pas de mention de la croix ;
 
4- L’Esprit opère la régénération de l’homme en connexion avec le baptême, « bain de régénération » (Tt 3, 5), mais il est aussi le garant du « dépôt » confié 

http://biblissimo.com/article-lettres-paul-timothee-tite-pastorales-63149575.html#_ftn2

C'est à la fois un paradoxe et une banalité: plus on sacralise une doctrine ou une tradition, moins son "contenu" concret importe en pratique -- c'est toute la différence entre le livre précieux qu'on garde précieusement comme n'importe quel objet vénéré, relique ou statue, et celui qu'on lit et relit, compulse, annote, même rageusement ou ironiquement, qu'on imite, parodie ou contrefait mais avec quoi on pense et on vit...

Dans les Pastorales le "contenu" de "la foi" se résume symptomatiquement dans des formules liturgiques solennelles, hymniques ou poétiques, assurément belles, mais qui sont plus des objets de culte ou de contemplation que des appels à la réflexion et encore moins à la discussion (e.g. 1 Timothée 2,5s; 3,16; 6,15ss; 2 Timothée 1,9s; 2,11ss; Tite 3,4ss; là encore cette tendance se laisse retracer depuis les paulinismes antérieurs, notamment celui d'Ephésiens).

Une certaine argumentation protestante a cru pouvoir jouer "l'Ecriture" contre l'institution (Tradition et Magistère); cependant "l'Ecriture" prise comme un tout (canon ou corpus) confirme et justifie, non sans doute l'intégralité de l'histoire de l'Eglise à venir, mais bien l'institution dans son principe. Le "proto-catholicisme", si l'on veut l'appeler ainsi, fait partie intégrante du Nouveau Testament, il ne suffirait pas d'en éliminer les Pastorales pour l'en extirper -- il faudrait aussi enlever Jude et 2 Pierre, les Actes des Apôtres, l'épître aux Ephésiens, et les dernières couches rédactionnelles d'à peu près tout le reste... Ce n'est pas après mais dans le Nouveau Testament que la "grande Eglise" a eu le dernier mot, condition nécessaire pour qu'elle le valide et le conserve comme tel. Mais dans l'écriture le dernier mot n'est pas tout, en elle et malgré lui la différence se préserve, prête à être relevée par de nouvelles lectures qui n'auront pas pour elles "l'autorité de l'Ecriture", pas même un "canon dans le canon" si l'on entend par là un corpus restreint, mais la seule certitude des idées qu'elles y trouvent, ou y inventent.