L’intercession pour tous les hommes - 1 Timothée

"les gens qui se livrent à l'inconduite sexuelle, les hommes qui couchent avec des hommes, les trafiquants d'esclaves, les menteurs, les parjures, et tout ce qui peut encore s'opposer à l'enseignement sain, d'après la bonne nouvelle de la gloire du Dieu bienheureux, bonne nouvelle qui m'a été confiée." 1 Tm 1,10

"N'aie donc pas honte du témoignage de notre Seigneur, ni de moi, son prisonnier. Mais souffre avec moi pour la bonne nouvelle, par la puissance de Dieu" 2 Tm 1,8

"cette grâce qui s'est maintenant manifestée par la manifestation de notre Sauveur, Jésus-Christ, qui a réduit à rien la mort et mis en lumière la vie et l'impérissable par la bonne nouvelle." 2 Tm 1,10


J'ai le sentiment que dans les Pastorales ont n'y trouve pas d'instructions liées à l'évangélisation des non-croyants mais que la formule "la bonne nouvelle" se réfère à une forme d'attestation et la conservation de l'enseignement, des gestes, et des miracles du Christ qui témoigne que Dieu sauve le genre humain :


"qui s'est donné lui-même en rançon pour tous : c'est le témoignage rendu en son temps" 1 Tm 2,6 

"Je t'enjoins devant Dieu, qui donne la vie à tous les êtres, et devant Jésus-Christ, qui a rendu témoignage par son bel acte de reconnaissance devant Ponce Pilate, de garder le commandement sans tache, sans reproche, jusqu'à la manifestation de notre Seigneur Jésus-Christ" 1 Tm 6,13-14 


Ce témoignage ressemble à un témoignage fait à soi-même, une manière de renforcer sa foi, et de communiquer la foi.

Cf. supra 25.10.2019 (sur "évangéliste" > "évangile" <=> "bonne nouvelle").

Quant au "témoignage" (marturia etc.), il évolue sensiblement vers son acception spécialisée de "martyre" -- l'apparition de Ponce Pilate suppose par ailleurs le développement des récits évangéliques de la Passion, contrairement à tous les "paulinismes" précédents.

D'une manière générale, il est vrai que la plupart des termes hérités des traditions chrétiennes antérieures se sacralisent et se solennisent, fonctionnant davantage par un effet de référence globale plutôt que par leur sens précis -- le mot sacré l'emporte sur le concept théologique qui "sert" de moins en moins, comme un coffret doré qu'on montre, qu'on contemple et qu'on embrasse mais qu'on n'ouvre plus guère.

"Garde toutes les belles choses qui t'ont été confiées au moyen de l'Esprit saint qui habite en nous." 2 Tm 1,14 (NBS)

 "Garde le bon dépôt par l’Esprit Saint qui habite en nous" (1,14 - TOB)

"non pas parce que nous aurions fait des œuvres de justice, mais en vertu de sa propre compassion — il nous a sauvés par le bain de la nouvelle naissance et du renouvellement procédant de l'Esprit saint" Tt 3,5

Comment les épitres Pastorales conçoivent-elles l'Esprit Saint et son rôle ?

Tite conserve un lien entre le baptême et la réception de l'Esprit et Timothée assimile l'esprit à un moyen de garder ou de recevoir ce "bon dépôt". Par contre il apparait que l'Esprit n'est plus aussi central et "vivant" parmi les croyants. L'Esprit n'est plus décrit comme une force en action, par exemple les critères de choix des responsables des Eglises ne sont pas une manifestation de l'action de l'Esprit mais correspondent à la bonne conduite des certains croyants. Cette bonne conduite n'est pas conçue comme un signe d'obéissance à l'Esprit Saint, ni comme le résultat de son action. Il semble que l'action de l'Esprit soit (en quelque sorte) affaiblit moins et présente dans la conscience des croyants.

"L'esprit" n'échapperait pas à la règle (intuitive et/ou hypothétique) que je suggérais dans mon post précédent: plus le mot est sacré, vénéré, etc., moins la chose est pensée (et, en l'espèce de l'"esprit", rattachée à une "expérience" quelconque); le lien formel peut être conservé entre "Saint-Esprit", "Dieu", "Christ", "salut", "baptême", "mystère", "amour", etc., mais c'est un cercle de signifiants-signifiés qui se signifient eux-mêmes en se signifiant les uns les autres, sans aucune prise sur une "réalité extérieure" ou "concrète" -- hormis de très vagues considérations éthiques dont on a vu qu'elles ne diffèrent quasiment en rien des normes de la "bonne" société ambiante, et ne peuvent donc nullement constituer des "signes", marqueurs ou témoins, d'une spécificité "chrétienne".

Au passage: j'avais oublié que la NBS s'était débarrassée du "dépôt" traditionnel (c'est le cas de le dire) -- ça me paraît (toujours) une bonne idée, non seulement à cause des connotations prosaïques et péjoratives du terme (ça fait zone industrielle, entrepôt ou débarras), mais surtout parce qu'il y manque la notion de chose ou de bien confié (à l'Eglise et à ses "responsables") qui me semble beaucoup plus essentielle aux termes grecs (voir supra).

Cf. supra 22.10.2019: l'hésitation (légitime) sur le détail des formules ne doit pas faire perdre de vue l'effet d'ensemble, parfaitement clair quant à lui, de leur dispositif -- dispositif archaïsant du fait et à proportion même du caractère tardif de la Première à Timothée (tenons-nous-en à celle-ci: que la dénomination et la détermination d'un micro-corpus comme "les Pastorales" entraînent une confusion et un nivellement fâcheux de leur contenu respectif, j'en suis tout à fait convaincu, cela rejoint mes remarques des 30 et 31.10.2019 ci-dessus).

"Charisme" (NBS: "don de la grâce", pour rappeler la dérivation, transparente en grec, de kharis = "grâce"), "prophétie" (NBS: "message de prophète", pour éviter le sens de "prédiction" qui s'attache presque inévitablement à la "prophétie" en français, non aux "prophéties" et aux "prophètes" de la Bible), "imposition des mains", "presbytère" au sens de "collège" ou "conseil des anciens", cette accumulation de termes plus ou moins désuets au temps de la rédaction effective de l'épître renvoie à l'image de "l'Eglise primitive" que se faisait précisément "l'Eglise tardive", c'est-à-dire la "grande Eglise", proto-catholique et proto-orthodoxe, en voie de constitution et d'institutionnalisation. A cet égard et sans préjudice des nombreuses et profondes différences entre les "livres" et même entre leurs différentes "sections" ou "unités littéraires", la proximité générale des Actes des Apôtres et des "Pastorales" demeure sensible et précieuse pour la perspective d'ensemble -- à savoir le genre de tableau et de récit que ladite "grande Eglise" se faisait de ses origines "charismatiques" ou "miraculeuses", alors qu'elle n'était ni l'un ni l'autre. Et en effet dans les Actes on retrouve tout cela, en vrac: des "charismes" et des "miracles" en tout genre depuis la Pentecôte, l'imposition des mains qui confère à la fois "l'Esprit", les "charismes", des missions et des fonctions particulières, des "prophètes", des "prophéties" et des "anciens" (eux-mêmes nommés par imposition des mains, dépositaires de "l'Esprit", etc.) agissant d'un commun accord... Autant le propos peut être divergent et contradictoire (p. ex., les Actes font tout pour subordonner Paul aux Douze apôtres, les Pastorales au contraire en font l'Apôtre par excellence, voire l'Apôtre unique), les ficelles de la mise en scène du passé idéal sont essentiellement les mêmes de part et d'autre.

Merci Narkissos pour cette analyse.

"mais si je tarde, tu sauras ainsi comment il faut se conduire dans la maison de Dieu, qui est l'Eglise du Dieu vivant, la colonne et l'appui de la vérité." 1 Tm 3,15

"Quant à moi, en effet, je suis déjà répandu en libation, et le temps de mon départ est arrivé. J'ai mené le beau combat, j'ai achevé la course, j'ai gardé la foi.
Désormais la couronne de justice m'est réservée ; le Seigneur, le juge juste, me la donnera en ce jour-là, et non pas seulement à moi, mais aussi à tous ceux qui auront aimé sa manifestation." 2 Tm 4,6-8

Le texte traduit le fait que le temps a fait son œuvre, les apôtres sont morts et se pose la question de savoir qui va recueillir et gérer l'héritage des apôtres. Les épîtres pastorales tentent d'assurer le passage de la génération fondatrices aux générations suivantes.  La voix des apôtres ne se fait plus entendre, ce qui implique l'instruction suivante :

"Jusqu'à ce que je vienne, applique-toi à la lecture publique des Ecritures, à l'encouragement, à l'enseignement." 1 Tm 4,13 

Il faut se consacrer à lecture pour entendre la voix des origines, lire des textes apostoliques (1 Thess 5,27 et Col 4,16). On ne connait plus la libre irruption de l'Esprit qui donnait aux prophètes une certaine intelligence de la volonté divine. Apparait le déclin du prophétisme. L'Esprit n'intervient plus librement, les charismes sont canalisés, il faut être habilité, le charisme est lié à l'imposition des mains. La préservation de l'enseignement est une vraie préoccupation, qui témoigne d'un éloignement de la source de la foi. Les épîtres Pastorales sont imprégnées par le soucis d'établir un lien avec le passé et de faire durer l'Eglise.

Remarques en vrac:

1. Pour "les Pastorales" (là-dessus 2 Timothée ne se distingue guère), il n'y a qu'un seul "apôtre" (qui compte); il s'agit simplement de lui faire dire autre chose -- et parfois le contraire -- que ce qu'il a dit ou ce qu'on lui a fait dire précédemment. Pour un objectif ecclésiastique similaire (renforcer l'autorité fédératrice de la "grande Eglise"), c'est une tout autre stratégie qui se déploie dans les Actes ou 2 Pierre: relativiser l'importance de Paul par rapport aux (autres) "apôtres".

2. Je doute fort que la lecture recommandée soit celle du corpus paulinien (hors "Pastorales" s'entend), lequel est ou sera surtout revendiqué (hors "Pastorales" s'entend) par le courant "marcionite"; cependant il y a certainement une tendance générale à inscrire une "Ecriture" chrétienne, et notamment "apostolique", dans la continuité de l'Ecriture juive (c'est le point de discorde le plus connu avec le marcionisme), mais c'est en 2 Pierre qu'elle devient explicite (avec la référence aux épîtres du "bien-aimé frère Paul" rapporté d'une part aux "apôtres" au pluriel, d'autre part au "reste des Ecritures").

3. Les "charismes" (kharismata, pneumatika) tels qu'on peut se les représenter d'après 1 Corinthiens n'apparaissent pas du tout dans les "Pastorales", sinon à titre de référence vague et archaïque (cf. supra); mais comme ils n'apparaissent vraiment (ainsi) qu'en 1 Corinthiens, ce n'est pas une originalité des "Pastorales"...

(C'est assez amusant de voir des biblistes plus ou moins "officiels" du Vatican réciter, au chapitre de la pseudépigraphie, le discours lénifiant des années 1950, malgré tout ce qui s'est pensé et écrit sur ce sujet entre-temps, y compris dans l'exégèse catholique; quitte à se contredire explicitement, en datant de "la première moitié du iie siècle" le "témoignage" des "Pastorales" qu'on a globalement datées de la fin du Ier siècle...)

Sur les veuves on pourra se reporter à cette discussion un peu décousue, mais instructive, à partir du 27.9.2014. Naturellement on peut dire à peu près tout ce qu'on veut de "l'ordre des veuves" dans la mesure où il faut pour cela remplir les silences (supposés) des textes.

Les TdJ, comme la plupart des "sectes protestantes" mais un peu plus que la moyenne, sont tenus par la double contrainte contradictoire de l'imitation des "premiers chrétiens" et de la démarcation de tout ce qui y ressemble dans les christianismes ultérieurs: la voie peut sembler étroite, elle laisse pourtant toute sa part à l'arbitraire. Notons quand même que dans l'Eglise catholique aussi "l'ordre (présumé) des veuves" est longtemps "passé à la trappe", même s'il a servi dans l'intervalle à justifier toute sorte d'ordres religieux féminins.

Je réduis ici le lien auquel j'arrive en cliquant sur le tien (Franz Leenhardt, L'Eglise: questions aux protestants et aux catholiques, 1978, p. 74), mais (cette fois-ci) je ne le remplace pas parce que je n'y retrouve pas ta citation (c'est peut-être le fait de ma connexion déplorable, qui n'affiche pas la bonne page et ne me permet pas de recherche).

Sur le fond, comme je l'ai déjà dit plus haut (22.10.2019), je ne vois décidément rien en 1 Timothée 5 qui me paraisse justifier que l'imposition des mains signifie (contrairement à 4,14 et 2 Timothée 1,6) une absolution ou rémission des péchés plutôt qu'une "nomination-ordination" (laquelle peut certes comporter une signification accessoire d'absolution-rémission), hâtive en l'occurrence (cf. 3,6 sur le "néophyte" ou "nouveau converti") et cause au moins instrumentale de "péchés" ultérieurs... Je ne demande qu'à être convaincu du contraire, mais l'argumentation ci-dessus, qu'elle soit de Leenhardt ou de quelqu'un d'autre, ne me convainc guère: le "bric-à-brac" des préceptes sans relation évidente les uns avec les autres n'est pas seulement imputable à l'addition éventuelle du v. 23, il précède et continue...

Nous avons déjà vu cet article ailleurs et sur ce point précis je suis plutôt d'accord: bien sûr l'argument est circulaire -- c'est parce qu'on juge un texte tardif pour d'autres raisons qu'on incline vers une exégèse qui attribue le titre de theos-d/Dieu au Christ, comme dans d'autres textes qu'on juge également tardifs pour d'autres raisons -- mais aucun argument n'échappe à ce genre de "cercle herméneutique": le "sens" tourne en rond ou il n'est pas.

Cela (re)dit, il faut être attentif aux changements du cercle, ou de cercle -- comme quoi il ne tourne pas si rond que ça. Pendant des décennies (près de deux siècles) on a circulé dans la problématique de la christologie dite "basse", supposée ancienne ou primitive, vs. "haute", supposée récente ou tardive. Cette opposition a fini par s'effondrer, non seulement devant des faits textuels et/ou par l'effet d'une mode exégétique, mais parce qu'elle n'avait pas été pensée suffisamment (si elle l'avait été, elle n'aurait même pas pu se constituer comme opposition). En effet, dans une telle "économie" (christologique en l'occurrence, mais ce serait aussi vrai de n'importe quel "système" de "salut" ou de "révélation") il n'y a jamais que des déplacements d'attribution. Si l'on considère "Jésus" comme un "simple homme", c'est pour attribuer toute la "divinité" à "l'Esprit" qui s'en empare (on a donc, si l'on veut, une christologie ou plutôt une jésulogie "basse", mais une pneumatologie "haute"); si en revanche on attribue au "Christ" ou à "Jésus" la plus haute divinité, c'est pour faire de son "humanité" un concept indigent et vide -- que ce soit une "apparence" docétique ou une "nature" sans "personne", selon la doctrine parfaitement orthodoxe de l'anhypostasie... Et aussi bien de "l'Esprit" qui devient redondant. Bref, on ne fait que déplacer des mots et des concepts pour dire sensiblement la même chose.

Pour revenir aux Pastorales et aux textes "tardifs" du même genre, constater qu'il n'y a plus aucune différence pensable et pensée entre "Dieu", "le Christ" ou "l'Esprit", c'est constater aussi que la "médiation" effective, la "révélation" ou le "salut" ne se jouent plus là, mais ailleurs: dans l'Eglise, dans sa pratique et dans son régime d'"autorité" traditionnelle et magistérielle.

Citation :

Pour revenir aux Pastorales et aux textes "tardifs" du même genre, constater qu'il n'y a plus aucune différence pensable et pensée entre "Dieu", "le Christ" ou "l'Esprit", c'est constater aussi que la "médiation" effective, la "révélation" ou le "salut" ne se jouent plus là, mais ailleurs: dans l'Eglise, dans sa pratique et dans son régime d'"autorité" traditionnelle et magistérielle.

Sur un autre fil, tu avais attitré notre attention sur le texte suivant :



"Je suis plein de gratitude envers celui qui m'a rendu puissant, Jésus-Christ, notre Seigneur, parce qu'il m'a estimé digne de confiance quand il m'a institué dans un ministère, moi qui étais auparavant un blasphémateur, un persécuteur, un insolent. J'ai cependant été traité avec compassion, parce que j'agissais dans l'ignorance, par manque de foi. Et la grâce de notre Seigneur a surabondé, avec la foi et l'amour qui est en Jésus-Christ. C'est une parole certaine et digne d'être pleinement accueillie : Jésus-Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs ; je suis, moi, le premier d'entre eux. Mais j'ai été traité avec compassion, afin qu'en moi, le premier, Jésus-Christ montre toute sa patience, comme un exemple pour ceux qui allaient croire en lui, en vue de la vie éternelle. Au Roi de tous les temps, impérissable, invisible, seul Dieu, honneur et gloire à tout jamais ! Amen !" 1 Tm 1, 12-17 



Apparemment, l'auteur utilise d'une manière interchangeable et équivalente les appellations "Jésus-Christ", "Seigneur" et "Dieu". Il ne se pose pas la question de savoir qui est qui.

Parenthèse: j'ai lu pas mal de Hegel ces derniers temps (vieux motard que jamais ?) et je reste épaté, malgré tous mes préjugés issus de lectures antérieures de textes postérieurs et antagonistes (Schelling, Schopenhauer, Kierkegaard etc.), par la profondeur avec laquelle il a pensé -- avec l'aide et le pré-texte de toute la tradition chrétienne occidentale et spécialement luthérienne, certes -- la logique de la "médiation" (Vermittlung etc.). Les "médiations" peuvent s'enchaîner et s'empiler à l'infini (mauvais infini, schlechte Unendlichkeit), il y en a toujours une et une seule qui est effective et opératoire à chaque "moment" logique et historique, bien que et parce que celle-ci "relève" ou "subsume" (aufhebt) toutes les précédentes. Là encore c'est une analogie dramaturgique ou théâtrale: à chaque scène ses protagonistes, sur le devant de la scène, tandis que les scènes et les personnages passés se fondent dans l'arrière-plan ou dans les coulisses, alors même que ce sont eux, passés-dépassés, qui donnent son sens à la scène présente. Dans les "Pastorales" et les textes proto-catholiques en général, le seul rapport qui compte est celui, présent, réel, effectif, à l'"épiscope"-évêque, tandis que tout ce qui le précède (Timothée ou Tite, l'"apôtre" Paul, le Christ, l'Esprit, Dieu) se fond dans la toile de fond, sans disparaître pour autant, mais ne servant plus effectivement qu'à fonder ce rapport.

C'est la fameuse logique, évangélique entre autres, transitive toujours, de la re-présentation: qui vous accueille m'accueille, qui vous rejette me rejette, et ainsi de suite -- celle-là même que certains antitrinitaires, à très courte vue, croient pouvoir opposer à la fixation ontologique du dogme: en effet elle ne s'arrête jamais, à telle enseigne que n'importe quel détenteur présumé et provisoire d'une "autorité" peut dire: en m'obéissant vous obéissez à Dieu (via le Christ, l'Esprit, l'Eglise, la Tradition, l'Ecriture et tout ce qu'on voudra). Mais par son infinité même -- sa mauvaise infinité -- cette possibilité verse dans l'absurde.

Dès lors que l'appellation "d/Dieu" (theos) est aussi appliquée à "Jésus-Christ", je vois mal comment on pourrait distinguer "d/Dieu" de "Jésus-Christ" -- on peut toujours distinguer en "d/Dieu" entre "le Père" et "le Fils", mais ce n'est visiblement pas le souci des "Pastorales".

Sur le "sauveur" (sôtèr), terme "tardif" dans le NT mais classique dans l'hellénisme où il s'applique aussi bien aux dieux qu'aux rois (lagides ou séleucides p. ex.), cf. 1 Timothée 1,1; 2,3; 4,10; 2 Timothée 1,10; Tite 1,3s; 2,10.13; 3,4.6; et 2 Pierre 1,1.11; 2,20; 3,2.18; et Luc 1,47.69; 2,11; Actes 5,31; 13,23; dans ces ensembles l'indifférence du référent (Dieu ou Christ, Père ou Fils) est manifeste, d'autant plus si on la compare aux (rares) occurences (possiblement) antérieures ou (relativement) indépendantes (Philippiens 3,20; Ephésiens 5,23; Jean 4,42; 1 Jean 4,14; Jude 25) où il semble réservé au Christ/Fils.

qui veut que tous les humains soient sauvés" 1 Tm 2,4

"qui est le sauveur de tous les humains, et en particulier des croyants" 1 Tm 4,10

"la grâce de Dieu, source de salut pour tous les humains" Tt 2,11

Les épitres Pastorales contiennent souvent l'expression "tous les humains", qui pose la question de de savoir si elle exprime une volonté de sauver "tous les humains" mais sans garantie ou si elle souligne le caractère universel du salut.



Un extrait :

Le gnostique rejoindrait le véritable Dieu après un parcours difficile d'initiation à des pratiques de type magique. Inutile pour lui d'essayer de convertir les autres, car le monde court dans son ensemble à sa perte…. 
Cette contradiction avec leur message de salut universel va interpeller les premiers théologiens chrétiens, qui voient dans les gnostiques de redoutables adversaires. D'autant que, pour atteindre le salut, ceux-ci n'ont pas besoin de la médiation de l'Eglise : le gnostique se sauve par une recherche personnelle et intérieure. Les Pères de l'Eglise réfutent donc amplement cette vision. https://croire.la-croix.com/Definitions/Bible/Judas/La-gnose

C'est une vision, sinon complètement fausse, très réductrice et caricaturale de "la gnose" -- mais celle que s'en faisaient le ou les auteurs des Pastorales, comme la plupart des Pères de l'Eglise, n'était probablement pas beaucoup plus juste, ni plus claire, ni plus fine...

L'horizon universel ou cosmique du salut, qui provient entre autres des paulinismes antérieurs (p. ex. Romains 8; Ephésiens 1 etc.), justifie désormais ce qu'on peut appeler une "religion de masse" -- certes pas encore universelle en fait (la formulation de 1 Timothée 4,10 est à cet égard intéressante), mais tendant à le devenir.

"De même aussi, que les femmes, vêtues d'une manière décente, avec pudeur et discrétion, se parent, non pas de tresses, d'or, de perles ou de toilettes somptueuses, mais d'œuvres bonnes, comme il convient à des femmes qui se prétendent pieuses. Que la femme s'instruise en silence, avec une entière soumission. Je ne permets pas à la femme d'enseigner, ni de dominer l'homme ; qu'elle demeure dans le silence. En effet, Adam a été façonné le premier, Eve ensuite ; et ce n'est pas Adam qui a été trompé, c'est la femme qui, trompée, s'est rendue coupable de transgression. Elle sera néanmoins sauvée en devenant mère, si elle demeure dans la foi, l'amour et la consécration, avec pondération." 1 Tm 2,11-15

L'auteur insiste sur la "modestie" féminine qui se prétendent pieuses. Ce texte semble faire état d'une tradition qui a exclu les femmes de tout ministère impliquant une position d’autorité dans l’Eglise. Le texte demande aux femmes  "soumission" et "silence", pour ce qui concerne la parole en public en s'appuyant sur la gravité de la faute d’Ève. Autre précision concernant les femmes : "Elle sera néanmoins sauvée en devenant mère", la maternité manifeste piété authentique.

C'est sans doute un des passages où le caractère spécifiquement anti-gnostique des "Pastorales" (ou du moins de 1 Timothée) est le plus sensible -- en ce qu'il s'oppose précisément aux lectures gnostiques de la Genèse qui faisaient de la femme (Eve), et quelquefois du serpent, le véhicule de la "connaissance" (gnôsis) passée en contrebande par la sophia céleste, également féminine, au nez et à la barbe d'un démiurge ou dieu créateur plus bête que méchant. Bien entendu, cette différence "théorique" ou herméneutique (d'interprétation de la Genèse) comporte des enjeux "pratiques" (sur la place effective des femmes dans l'enseignement communautaire, sur l'attitude à l'égard de la création, de la sexualité, du mariage, de la famille et surtout de la procréation), et les deux niveaux se mêlent dans le genre "midrashique" (commentaire interprétatif) du texte: "elle sera sauvée", on peut aussi bien l'entendre du personnage "Eve" dans le texte de la Genèse que de "la femme" en général et dans l'Eglise en particulier...

Pour rappel, cette "tradition" (proto-catholique et proto-orthodoxe, si l'on veut) a également affecté rétroactivement le "paulinisme" antérieur (cf. l'ajout probable de 1 Corinthiens 14,33ss, en contradiction flagrante avec le chapitre 11 où le "voile" supposait pour les femmes la capacité de la prière et de la prophétie publiques; autrement dit, il n'était précisément pas associé à la tradition la plus "misogyne" ou la plus "répressive", qui, elle, ne parle plus de "voile").

"En revanche, refuse les jeunes veuves ; car lorsque leurs désirs les détachent du Christ, elles veulent se marier et s'exposent à un jugement pour avoir rompu leur premier engagement. Avec cela, comme elles sont oisives, elles cherchent à s'instruire en courant les maisons ; non contentes d'être oisives, elles sont bavardes et se mêlent de tout, parlant de ce dont il ne faudrait pas parler." 1 Tm 5,11-13

Le projet de l'auteur est de soumettre à l'épiscope les divers groupes actifs. Il cherche en outre à écarter les femmes des fonctions directrices. L'mage de la maison est au service de l'autorité unique de l'épiscope, mais à aussi pour incidence de cantonner les femmes aux rôles domestiques. Le passage sur les veuves offre une bonne indication de la tension entre la réalité de la communauté et de la perspective de l'auteur. L'influence des veuves est importante. L'auteur cherche à la réduire. Les veuves sont un groupe soutenu par la communauté et au service de cette dernière. Leur activité va de la prière aux bonnes œuvres (activité caritative) et à la prédication dans les maisons (1 Tm 5,13 ; cette dernière activité est disqualifiée par l'auteur).  L'auteur adopte un point de vue critique face aux veuves, d'une part en raison de l'hérésie  et d'autre part en raison du regard du monde ambiant. L'auteur interdit formellement aux femmes de prêcher.  Il s'agit par là, de se démarquer des adversaires.  https://doc.rero.ch/record/505/files/these_CochandN.pdf

N.B. C'est l'analyse de L. Oberlinner (1996) qui est résumée ainsi (p. 33ss); l'auteur de la thèse (N. Cochand, 2000) développe sa propre analyse p. 169ss. (C'est le côté épuisant de l'exhaustivité académique, ou le côté assommant de la somme; mais à recenser et comparer les exégèses on finit toujours par remarquer des petites choses intéressantes, même si ce n'est pas en proportion avec le volume de texte déplacé.)

La catégorie des "veuves", à la limite entre statut social et ecclésial, est bien une réalité que l'auteur de 1 Timothée (sinon "des Pastorales") s'efforce de contrôler et de maîtriser, ce geste n'étant pas sans analogie avec celui du "Paul" de 1 Corinthiens face à la réalité (très différente certes) des "charismes". Elle est aussi à l'articulation du rapport complexe entre "l'Eglise" et la "maison" (rapport d'identité métaphorique si l'on veut, l'Eglise est une maison, mais aussi antithétique ou du moins distinctif, l'Eglise n'est pas ou n'est plus la maison particulière qui, entre autres, accueille ou non des veuves): c'est peut-être surtout là-dessus que l'étude précitée est intéressante.

« … LUI QUI VEUT QUE TOUS SOIENT SAUVÉS ET ARRIVENT À LA CONNAISSANCE DE LA VÉRITÉ » (1 Tm 2,4)
Quelle vérité ?

2 Mais l’affirmation ne s’arrête pas là. Dieu, enchaîne la suite du v. 4, veut encore que tous « arrivent à la connaissance de la vérité » (kai eis epignôsin alètheias elthein). Quel lien y a-t-il entre les deux complétives ainsi rattachées au même vouloir (thelei) de Dieu ? En quoi la seconde précise-t-elle, complète-t-elle ou nuance-t-elle la première ? La réponse exige une clarification préalable : qu’est-ce que la vérité pour la première à Timothée ? En quoi la connaissance de la vérité consiste-t-elle exactement ? Et quelle relation entretient-elle par rapport au salut ? Ce sont ces questions, qui rejoignent la thématique de notre réflexion commune[1], que je me propose d’aborder. Avant d’y arriver, il peut être intéressant, en même temps que cela nous permettra de mieux cerner la problématique, de signaler brièvement quelque chose de la pertinence et du haut taux de fréquentation qu’a acquis dans la recherche théologique récente ce passage de 1 Tm 2,4.

Et qu’est-ce que la vérité ?

11 Le terme alètheia, « vérité », est fréquent dans les lettres dites « pastorales » : 6 fois en 1 Tm, 6 fois en 2 Tm – toutes concentrées dans la section centrale de la lettre (2 Tm 2,14-4,5)[8] – et 2 fois en Tt, pour une total de 14 occurrences en 13 chapitres, une fréquence presque comparable à celle qui se vérifie dans l’évangile de Jean (25 emplois en 20 chapitres). Il est ainsi frappant de constater l’importance que prend la vérité à la dernière étape tant du corpus épistolaire que du corpus narratif du Nouveau Testament.

12 On peut pressentir dès l’abord que le terme possède une densité théologique plus ou moins accusée selon les contextes.

Des 14 attestations, il ne s’en trouve guère qu’une seule où le terme alètheia est employé au sens courant de correspondance ou de conformité à la réalité ou, en négatif, de ce qui s’oppose au mensonge. Cela se présente en 1 Tm 2,7, quelques versets après celui qui nous occupe : « [Tel est le témoignage] dont (…) j’ai été établi, moi, héraut et apôtre – je dis la vérité, je ne mens pas…[9] »

Dans presque la moitié des passages – 6 sur 14 – la mention de la vérité s’accompagne de celle de la foi (pistis)[10] ou des croyants (pistoi : 1 Tm 4,3). Parfois, même dans des passages où il n’est pas fait mention de la foi, il est clair que la vérité est à entendre en un sens théologique. C’est le cas notamment en 1 Tm 3,15 : « afin que tu saches comment il faut se comporter dans la maison de Dieu, laquelle est l’Église du Dieu vivant, colonne et support de la vérité ». L’interprétation de ce verset reste discutée, certains voyant dans « colonne et support de la vérité » l’évocation imagée du rôle de l’Église, d’autres celle du rôle des ministres comme Timothée lui-même à l’intérieur de celle-ci[11]. Dans un cas comme dans l’autre, il ne peut s’agir de la vérité comme simple opposé du mensonge.

L’expression « connaissance de la vérité » utilisée en 1 Tm 2,4b se retrouve en quatre autres passages, répartis dans les trois lettres, trois fois avec le substantif (epignôsis alètheias en 2 Tm 2,25 ; 3,7 ; Tt 1,1) et une fois sous la forme verbale « connaître la vérité » (epiginôskein tèn alètheian en 1 Tm 4,3).

17 Ce qui vient à la suite de 1 Tm 2,4 vient confirmer cette perspective. Le v. 5, en effet, souligne le fait que, de même qu’il n’y a qu’un seul Dieu, il n’y a qu’un seul médiateur (mesitès), le Christ Jésus, entre Dieu et l’humanité. Au coeur d’un développement centré sur le salut de Dieu, il faut comprendre que c’est à travers le Christ que ce salut vient rejoindre les humains. Et si le Christ peut servir de médiateur entre Dieu et l’humanité, précise le v. 5, c’est qu’il partage lui-même cette humanité : « un homme, Christ Jésus ». Cette précision se comprend dans le contexte, où il vient d’être question en 2,4b de la transmission de la révélation, et où 2,6 fait ensuite référence au don que Jésus a fait de lui-même dans sa mort en faveur de l’humanité. La « connaissance de la vérité » et la mort rédemptrice : c’est en raison de son humanité que le Christ a pu accomplir ces deux oeuvres salvifiques en faveur des humains.

L’ensemble de ces données inclinent ainsi à comprendre au sens suivant la volonté de salut universel de Dieu proclamée en 1 Tm 2,4 : c’est en parvenant à la connaissance de la vérité, c’est-à-dire en ayant accès à la révélation faite en Jésus Christ et en bénéficiant de la médiation rédemptrice de ce dernier que les humains ont accès au salut auquel Dieu les appelle tous.

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