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| Le livre des Juges | |
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Auteur | Message |
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Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Le livre des Juges Mer 08 Juil 2020, 12:12 | |
| Quelle est la morale de Juges 17 ?
L'auteur a-t-il voulu illustrer comment un individu peut tomber dans l’engrenage du péché sous couvert de religiosité, sous l'apparence du "vrai culte" ?
"Il rendit à sa mère les mille cent sicles d'argent ; sa mère dit alors : Je vais consacrer cet argent au SEIGNEUR, afin d'en faire pour mon fils une statue et une idole de métal fondu — maintenant je vais te le rendre. Il rendit donc l'argent à sa mère. Sa mère prit deux cents sicles d'argent qu'elle donna au fondeur. Celui-ci en fit une statue et une idole de métal fondu. On les plaça dans la maison de Michée. Ce Michée eut ainsi une maison de Dieu ; il fit un éphod et des teraphim, et il investit l'un de ses fils, qui lui servit de prêtre" (17,3-5).
Notes : Juges 17:5 : des teraphim : autre traduction un teraphim ; comme l’éphod (voir 8.26-27n), les teraphim ou idoles domestiques (Gn 31.19-35 ; 1S 19.13-16) servaient sans doute à la divination ; cf. 1S 15.23 ; 2R 23.24 ; Ez 21.26 ; Os 3.4 ; Za 10.2.
J'ai le sentiment que l'auteur veut souligner les péchés d'Israël : le vol, des pratiques superstitieuses, mauvais usage de l'argent, la fabrication d’idole, d’un lieu de culte en dehors du lieu où se trouve l’arche de l’alliance (à l’époque l’arche était à Silo) et installation d’un prêtre pris dans la descendance de Mika, un Éphraïmite et pas un Lévites ( cela arrivera plus tard). Le peuple se trompe lui-même e, imaginant servir Dieu dans le mépris total de sa volonté. D'ailleurs Michée après avoir investi un lévite comme son prêtre est persuadé que le Seigneur ne peut que lui faire du bien, il est certain de s’être acheté les faveurs de Dieu. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Le livre des Juges Mer 08 Juil 2020, 12:34 | |
| Si par "l'auteur" tu entends le rédacteur-compilateur deutéronomiste du livre, qui trouve l'ensemble de la situation lamentable -- plutôt du point de vue d'une idéologie politico-religieuse que d'une "morale" au sens où nous l'entendons, c'est-à-dire d'un "bien" et d'un "mal" entendus dans un sens humaniste et interpersonnel -- je suis d'accord. Mais ce n'est justement pas lui qui fait l'essentiel des récits, qui leur donne leur contenu, leur forme et leur puissance affective, il les reçoit (d'une tradition orale ou écrite) au fond comme nous les recevons, et se contente de les "cadrer" superficiellement dans les transitions rédactionnelles (notamment le refrain "en ce temps-là il n'y avait pas de roi en Israël, chacun faisait ce qui lui semblait bon", qu'il entend certainement, lui, sur le ton de la consternation, mais qu'on peut encore entendre tout autrement compte tenu des morceaux antimonarchiques du livre, p. ex. Gédéon, Jotam et Abimélek, et de sa suite canonique, 1 Samuel). |
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Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| | | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Le livre des Juges Mer 08 Juil 2020, 14:28 | |
| Article très instructif -- naturellement, chacun tend à trouver en priorité dans les textes ce qu'il y cherche, qu'il en trouve peu, beaucoup ou pas du tout: l'historien, de l'histoire; le théologien, de la théologie; le moraliste, de la morale; le littéraire, de la littérature, et notamment des histoires (stories) plus ou moins bonnes, bien racontées et bien écrites.
Le "parallèle" entre Josué 8 et Juges 20 me semble assez évident, mais il se complique par une multitude d'autres "parallèles" qui forment plutôt un faisceau ou un écheveau complexe, pour ne pas dire un sac de noeuds: le crime de Guibéa en Juges 19 pourrait déboucher sur un châtiment divin comme celui de Sodome en Genèse 19, mais c'est l'inverse qui se produit, des représailles laborieuses et très humaines, bien que le dieu y participe par la divination, comme au début du livre pour la "conquête"; outre l'éphod divinatoire des chapitres 17s qui rappelle celui de Gédéon, le voeu anti-benjaminite du chapitre 21 celui de Jephté, etc. L'écriture, même si elle est toujours le produit d'intentions, ne se réduit jamais à une intention; pas même à une somme d'intentions qui ne ferait d'ailleurs pas une intention. |
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Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Le livre des Juges Jeu 09 Juil 2020, 11:09 | |
| "Il lui dit : Lève-toi et allons-nous-en. Mais il n'y eut pas de réponse. Alors le mari la mit sur son âne et s'en alla chez lui. Il entra dans sa maison, prit le couteau, saisit sa concubine, la découpa, membre par membre, en douze morceaux et l'envoya ainsi dans tout le territoire d'Israël. Tous ceux qui virent cela disaient : Jamais rien de pareil n'est arrivé ni ne s'est vu depuis que les Israélites sont montés d'Egypte jusqu'à ce jour ; réfléchissez, tenez conseil et parlez" (19,28-30).
Le texte indique que le mari se saisit d'un couteau pour couper sa femme en douze morceaux et que ce démembrement s'effectue alors que la femme était encore vivante. Le récit n'exprime pas un enjeu moral mais une volonté de détruire la réputation de Benjamin et de justifier à la guerre qui mènera à la monarchie. Dans ce récit Dieu y est étrangement absent alors qu'il y est présent au chapitre 20 , puisqu'il demande aux tribus de partir en guerre contre Benjamin (20,18-28). Absence face à l'horreur au chapitre 19 et présence militaire au chapitre 20. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le livre des Juges Jeu 09 Juil 2020, 11:43 | |
| Je comprends le récit un peu différemment (mais je ne prétends pas le comprendre mieux): pour moi la femme est bien morte avant le découpage, c'est sa mort qui est décrite, par une ellipse émouvante, presque cinématographique, aux v. 26ss. D'autre part le geste du découpage et sa fonction scandaleuse et mobilisatrice (cf. notre "indignation") renvoient à 1 Samuel 11 (Saül, Benjamin, Guibéa). Enfin, le problème de l'absence de d/Dieu me semble beaucoup plus complexe dans l'ensemble du récit, implicitement depuis le choix de la ville "israélite" et non "cananéenne" dont le lévite espère une "crainte de dieu" qui n'y est pas, sinon chez son seul hôte (cf. Lot à Sodome); et au chapitre 20 ce n'est pas le dieu qui prend l'initiative de l'action militaire, il ne fait que répondre sur le mode divinatoire (oui, non, ou pas de réponse) à ce qu'on lui demande (cf. l'éphod des chapitres 17s, plutôt une sorte de bannière dont les mouvements signifient les réponses de la divinité qu'un vêtement comme dans les textes de la Torah -- bien que dans ceux-ci l'éphod du grand prêtre reste associé à l'ourim-et-toummim qui a une fonction similaire), et distille ses oracles au compte-goutte au gré des événements.
On peut avoir une lecture religieuse de ces péripéties, comme une pédagogie divine qui obligerait Israël à approfondir progressivement sa repentance (c'est sans doute une des "intentions" du texte, ou d'une de ses rédactions); on peut aussi, de façon plus "historique" au sens de l'"histoire des religions", imaginer un dieu tutélaire désemparé par une situation de "guerre civile": il sait (parfois) donner la victoire à son peuple, ou au contraire le livrer à ses ennemis, mais que faire quand une partie de ce peuple en combat une autre ? |
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| Sujet: Re: Le livre des Juges Ven 10 Juil 2020, 14:52 | |
| Juges 21 constate que la tribu de Benjamin a été presque exterminé (seuls 600 mâles s’étaient enfuis) et qu’aucun homme de Yavesh-de-Galaad n’avait pris part à l’exécution de la sentence. Les Israelites décidèrent que les hommes, femmes et enfants de Yavesh-de-Galaad seraient mis à mort, à l’exception des vierges. Les 400 vierges épargnées furent données comme femmes aux Benjaminites enfuis, afin d’empêcher l’extinction de la tribu. Ce récit est intriguant, on se demande quel est le sens de cette histoire. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le livre des Juges Ven 10 Juil 2020, 15:55 | |
| Outre le schème général des transactions et des calculs approximatifs à l'échelle des douze tribus (cf., dans les Nombres, le remplacement des premiers-nés par les lévites avec, là encore, un excès ou un défaut qu'il faudra "régler" autrement, par une "rançon" monétaire), il faut de nouveau penser à la geste de Saül, Benjaminite, qui est de Guibéa et qui va sauver Jabesh-de-Galaad, laquelle lui en restera reconnaissante (1 Samuel 11 et 31): on a sans doute affaire à des traditions rivales, judéennes et benjaminites, dont les enjeux historiques et légendaires nous échappent en grande partie. Tout au plus peut-on dire, du point de vue du lecteur de la Bible, que ça place d'emblée le règne de Saül sous un signe funeste, ce qui n'arrange pas le problème théologique de son "élection divine". Au passage, la conclusion de l'histoire à Silo fait appel à d'autres motifs narratifs très répandus (cf. p. ex. l'enlèvement des Sabines à Rome), et l'ensemble fait aussi écho à l'intérieur du livre au voeu et à la fille de Jephté (de Galaad). Bien entendu, toutes ces résonances ne constituent pas un "sens", et encore moins une "morale". |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Le livre des Juges Sam 11 Juil 2020, 20:43 | |
| Les « jours de Gibea » Juges 19-21 L’aspect anti-benjaminite évoqué plus haut est particulièrement développé dans les trois derniers chapitres du livre des Juges. En effet, on y lit un récit en trois temps quelque peu burlesque : le viol et le meurtre d’une femme à Gibea (Jg 19), la guerre d’Israël contre Benjamin (Jg 20) et le repeuplement de la tribu par deux épisodes distincts narrant le rapt de femmes (Jg 21). L’épisode du « crime de Gibea » — le viol et l’assassinat de la concubine du lévite par les hommes de la ville de Gibea —, qui est la justification de la guerre dans le récit final, peut n’être qu’une « fable » (Arnold 1990, 61-86). Cette fable a d’ailleurs bien des points communs avec le célèbre épisode de Loth à Sodome (Gn 19) (Fields 1997), à ceci près que lorsque Loth propose ses deux filles aux violeurs, ces derniers refusent la proposition (v. 4-9), tandis que les violeurs de Gibea « acceptent » la concubine du lévite, tout comme ils auraient violé la fille vierge de son hôte (Jg 19,22-25). La parenté entre les deux récits est telle qu’on ne peut penser qu’ils fussent indépendants. On présuppose généralement que l’épisode du lévite provient de celui de Loth (Römer et Bonjour 2007, 62) mais le contraire pourrait aussi être soutenu tant on insiste lourdement dans le récit de la Genèse sur l’aspect « sodomite » des violeurs. En effet, ceux-ci sont condamnables deux fois, d’abord pour leur violence sexuelle, ensuite pour leur homosexualité (Lévitique 18,22 et 20,13). Si l’on peut utiliser ce texte pour produire quelques déductions concernant les règles d’hospitalité dans ce monde tribal (Liverani 2004), le récit est si anti-benjaminite qu’il en est suspect : c’est un récit bien trop à charge. Il est à noter encore qu’il y a vraisemblablement une reprise d’un élément narratif de la légende de Saül dans ce récit. En effet, lorsque le lévite revient chez lui, il découpe sa femme en douze morceaux afin de convoquer les Israélites pour la guerre, ce qui rappelle le dépeçage d’une paire de bœufs par Saül et l’envoi des morceaux dans le même but (1S 11).
À la différence de ce qui précède, Jg 21 semble être un ajout au récit d’ensemble puisque le narrateur nous annonce après coup un serment prononcé par les Israélites selon lequel les mariages de leurs filles avec des Benjaminites seront proscrits. Il s’agit d’ailleurs vraisemblablement d’un ajout en deux temps puisque deux récits se chevauchent alternativement. D’abord, il y a l’idée d’organiser, à la suite de force massacres, des mariages entre les Benjaminites et les vierges de Yabesh-de-Galaad pour que la tribu survive — ce qui n’est pas sans évoquer, là encore, 1S 11 puisque Saül vient au secours de ces mêmes habitants de Yabesh-de-Galaad opprimés par les Ammonites : un temps pour secourir, un temps pour massacrer —, ensuite, il y a l’idée de procéder au rapt de jeunes filles de Shilo, le verset 12 ayant pour finalité d’harmoniser les deux versions. Ainsi, même si ce dernier chapitre des Juges s’avère beaucoup moins anti-benjaminite que les précédents, il ne parvient pas à atténuer la violence narrative de Jg 19-20. Ce qui est remarquable, c’est l’adéquation parfaite entre Gibea et la tribu de Benjamin sans une seule évocation directe du roi Saül devenu benjaminite sous la plume d’auteurs judéens peut-être de même époque. À l’évidence, les auteurs ont pris bien soin de respecter une logique chronologique qui fait que nos textes situent le massacre de Gibea avant le règne de Saül. Il paraît aussi évident que le souvenir des « jours de Gibea » fut l’occasion d’écrire un récit très anti-benjaminite. Pour trouver un peu d’histoire, sans doute faut-il se pencher sur des textes plus allusifs. https://www.erudit.org/en/journals/theologi/2013-v21-n1-theologi01440/1025468ar.pdf |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le livre des Juges Lun 13 Juil 2020, 02:19 | |
| Article fort intéressant, au-delà de ses aspects (forcément) conjecturaux; on peut au moins en retenir une idée très importante que je résumerais comme suit: avant de se demander si "le récit biblique" est "historique" ou non, si l'archéologie le "corrobore" ou pas, il faudrait déjà s'assurer qu'il y ait un "récit biblique", unique et cohérent... ce qui à l'évidence n'est généralement pas le cas. Ce que l'"archéologie biblique" d'antan s'efforçait de confirmer ou d'infirmer, ce ne sont pas les textes bibliques proprement dits, dans leur diversité et leurs difficultés réelles, mais l'harmonisation narrative qui en avait été préalablement faite dans le "grand récit" de l'"histoire sainte" (ce qui peut bien être une fonction du catéchisme, mais ne devrait pas davantage être l'affaire des exégètes que des historiens au sens "moderne" et "scientifique" de leurs disciplines respectives). Autrement dit, l'"archéologie biblique" était sans doute trop "biblique" pour une archéologie ou une histoire "scientifiques", elle ne l'était pas assez pour une "science biblique".
Au passage et bien que ça ne concerne pas le livre des Juges, la confusion (et/ou la distinction) des personnages de Samuel et de Saül est tout à fait claire dans les premiers chapitres de Samuel: c'est le nom de Saül, sha'oul, "demandé", non celui de Samuel, shemou'el, "nom de 'El" ou "'El entend", qui correspond à la fois à la requête d'Hannah et à la réquisition de l'enfant par Yahvé, avec multiples jeux de mots sur la racine š'l et non šm ni šm`, comme dans la suite du cycle de Saül (1,17.20.27s; 2,20; cf. 8,10; 10,4.22; 12,13.17.19; 14,37 etc., jusqu'à 28,6.16). D'autre part, si l'association de Benjamin, de Guibéa et de Jabesh-de-Galaad (etc.) est secondaire dans le cycle de Saül, elle est bien présupposée par les derniers récits des Juges. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Le livre des Juges Lun 24 Jan 2022, 12:04 | |
| - Citation :
- La place du livre et son rapport à l’histoire
Dans la Bible hébraïque, le livre des Juges fait suite à celui de Josué et introduit le livre de Samuel en notant, comme un refrain dans sa partie finale, qu' '' en ce temps-là, il n'y avait pas encore de roi en Israël '' (Jg 17,6; 18,1; 19,1; 21,25). Il présente ainsi un temps intermédiaire entre la conquête de la terre (Josué) et l'avènement de la royauté (Samuel), la '' période des Juges '' entre 1200 et 1000 env. av. J.C. – un temps reconnu en d'autres livres, comme Ruth 1,1 ou 2 R 23,22. Mais pareille conceptualisation du temps suppose une rédaction assez éloignée des événements rapportés à une époque qui prend en compte la périodisation de l'histoire israélite. Une telle conscience ne saurait être première; elle vient sans doute de la fin de l époque royale (Josias), et plus probablement de l'exil. Au demeurant, le livre fait allusion à des événements bien postérieurs à ceux qu'il raconte (par ex. I 'exil d'Israël mentionné en Jg 18,30). Tout cela invite le lecteur à mesurer la distance entre la rédaction deutéronomiste du livre et l'histoire sous-jacente. " Car les Israélites resteront longtemps sans roi, sans prince, sans sacrifice, sans pierre levée, sans éphod et sans teraphim. Après cela, les Israélites reviendront ; ils chercheront le SEIGNEUR, leur Dieu, et David, leur roi ; effrayés, ils s'approcheront du SEIGNEUR et de sa bonté, dans la suite des temps" (Osée 3,4-5). Osée et la Royauté Une lecture rapide du livre d'Osée suffit à montrer la fréquence des invectives contre le ou les rois associés ou non aux «princes » (sarïm ). La dénonciation de la royauté est communément tenue pour un des leitmotive de la prédication d'Osée à côté de sa condamnation bien connue des pratiques cananéennes. Selon W. Nowack, par exemple, Osée reconnaît trois causes aux malheurs de son temps : le culte païen ou paganisant, l'institution monarchique et une politique étrangère non conforme au «neutralisme » requis par la confiance en Yahwé, condition nécessaire et suffisante de la perpétuation heureuse d'Israël. Monarchie et idolâtrie seraient les deux aspects concomitants d'un péché fondamental : l'infidélité envers Yahwé et sa souveraineté exclusive. Aussi bien, l'institution royale est-elle d'origine cananéenne et non-yahviste, sinon anti-yahviste, dans son essence. La plupart des commentaires présentent de ce double point de vue le message d'Osée, sans faire oublier que la doctrine du prophète est une, puisque monarchie et idolâtrie sont les deux conséquences principales de la canaanisation dénoncée par le fils de Beeri. Faut-il supprimer cette double implication des censures d'Osée pour voir en lui le défenseur zélé d'un culte yahviste exempt de contaminations plutôt qu'un prophète politique ? Telle serait, me semble-t-il, la conséquence de l'hypothèse de H.-S. Nyberg menée à la limite. Dans un long article, d'une grande importance méthodologique, paru en 1935, sous le titre Studien zum Hoseabuche 2, le savant suédois présentait une exégèse nouvelle du difficile texte massorétique, se dispensant de recourir aux «émendations » coutumières chez ses prédécesseurs. Or, partout dans cet ouvrage, le mot meîek est traité comme l'appellatif d'un dieu païen et non comme le nom du roi terrestre ; de même, les sàrïm représenteraient, selon Nyberg, les membres ternes d'un panthéon et non les dignitaires d'une cour royale. Un des propos de cet article est de juger sur pièces la validité d'une telle hypothèse. Si on considère, avec la quasi-totalité des interprètes anciens et modernes, que le mot melek désigne dans Osée un souverain en chair et en os, on se trouve devant une série de problèmes intéressant l'histoire religieuse d'Israël. Osée dénonce-t-il la royauté dans son essence ou dans ses manifestations ? S'en prend-il au principe même de l'institution pour la rejeter en bloc, ou en condamne-t-il seulement le fonctionnement, la forme prise par l'institution dans son milieu et en son temps ? Quel a été le retentissement de la polémique d'Osée ? On a souvent tenté de mettre en relations Osée, la « loi royale » de Deutéronome 17 14-21 et les chapitres 8, 10 B, 12 de 1 Samuel , où est présentée une version des origines de la royauté de Saül, tenue pour hostile au principe même de la monarchie. Les exégètes de Samuel ont attribué ces chapitres à une source «élohiste », interprétant les traditions antérieures à la lumière d'une théologie enseignée par les grands prophètes du νπΓ siècle : selon J. Wellhausen, W. Nowack, K. Budde 4, Osée, premier censeur radical de la royauté, aurait inspiré le récit «antiroyaliste » de I Samuel ; cette opinion ne manque pas d'avocats plus récents, parfois plus nuancés. Tandis que Budde plaçait le rédacteur «élohiste » de Samuel entre Osée et la «loi royale » du Deutéronome, M. Noth attribue directement au réviseur deutéronomiste les chapitres antiroyalistes de I Samuel 6. Comme l'accord semble se faire sur l'origine nordiste du Deutéronome, on est conduit à voir en Osée un des pères spirituels de la réforme deutéronomiste et de la littérature qui s'en inspire. Ainsi, H.-W. Wolff présente Osée comme l'un de ces lévites du Nord chez lesquels s'est développée une opposition radicale à la royauté et dont le Deutéronome, ainsi que le «deutéronomiste » reflètent l'idéologie. Cette attitude délibérément hostile à la monarchie est parfois expliquée par le désir de raviver un certain «yahvisme du désert » dont Osée, d'une part, le Deutéronome, d'autre part, nous auraient transmis l'écho 8. Il serait séduisant de prêter une semblable attitude au «prophète bédouin ». P. Humbert, auquel nous devons cette formule, s'est exprimé là-dessus avec quelque réserve 9, mais le dernier défenseur de la thèse «bédouine », S. Nyström, déclare qu'Osée tient toute monarchie humaine pour incompatible avec la royauté de Yahwé, que son idéal politique est demeuré celui du sheikh nomade, juste juge, mais simple primus inter pares. Pour d'autres, l'antiroyalisme d'Osée n'est pas absolu, mais relatif : ce n'est pas contre la monarchie en soi qu'il proteste, mais contre les agissements des rois éphraïmites de son époque. Déjà, le commentaire de K. Marti répondait à celui de Nowack : «On aurait tort de croire qu'Osée voit dans la royauté une source de corruption et qu'il est à l'origine de la condamnation deutéronomique. Osée critique les révolutions, les usurpations, non l'institution elle-même » n, et Marti opposait, sans doute trop fortement, l'attitude d'Osée au radicalisme de Deutéronome 17 12 . Plus près de nous, J. de Fraine soutient la même thèse : Osée stigmatise des rois individuels et l'institution sécularisée telle qu'elle se présentait à ses yeux dans le royaume du Nord. Si le prophète n'attaque pas l'institution, mais son fonctionne¬ ment, s'il voue à l'exécration le comportement de quelques souverains particuliers, il ne peut le faire qu'au nom d'un certain idéal politico-religieux. On a voulu voir en Osée le champion d'une éthique raffinée, jugeant les événements et les hommes selon les critères de sa conscience personnelle ; il est plus prudent de rechercher d'abord s'il ne se fait pas le défenseur d'une conception de la royauté reçue avant lui et fondée religieusement. Au nom de quel idéal politique, aurait-il prononcé ses anathèmes ? Le texte est peu explicite et plusieurs réponses sont données. A. Alt remarque qu'Osée déplore l'intronisation de rois sans l'assentiment de Yahwé (8 4), qu'il n'a aucun sens de la continuité dynastique puisque, selon 1 4 ss., Yahwé n'hésitera pas à détruire la maison de Jéhu, donc Osée est attaché à l'idéal de la royauté «charismatique », opposé un peu rigidement par Alt aux conceptions dynastiques de la monarchie judéenne fondée sur l'alliance davidique. Au contraire, J. Pedersen affirme qu'Osée s'élève seulement contre la monarchie éphraïmite, il la regarde dans sa totalité comme illégitime, car seule la lignée de David est autorisée à gouverner le peuple de Yahwé. Si Osée est le porte-parole de l'idéal judéen, dont il rappelle la portée pan-israélite, on se heurte à un grave problème de critique textuelle : à la suite de Wellhausen, on tient pour des interpolations «judéennes » les versets d'Osée annonçant la réunion des deux royaumes (ainsi 2 2), et, d'une manière générale, tous les passages mettant en cause Juda ou contrebalançant les annonces de malheur par des promesses de bonheur 1β. C'est toute la question de la composition des livres prophétiques qu'il faudrait aborder à ce propos. I. Engnell a vigoureusement dénoncé le préjugé qui fait des anciens prophètes des sortes de Cassandres. Pourquoi ne pas rendre au prophète lui-même une alternance de menaces et de promesses, d'anathèmes et de paroles consolantes ? — écrit-il en substance 17. Sans envisager le problème dans son ensemble, on accordera ici qu'il vaut mieux rejeter toute forme de raisonnement qui, partant d'une certaine idée de la politique d'Osée, élimine les versets allant manifestement à l'encontre de cette idée. On dénoncera comme un cercle vicieux un jugement comme celui que la Bible du Centenaire émet sur Osée 3 s : «Et David , leur roi, ne peut venir d'Osée qui condamnait le principe monarchique ». Si interpolations il y a, elles sont décelables uniquement par la langue et le style, non par l'idéologie. Selon I. Engnell, ces prétendues interpolations nous montrent que le livre prophétique est bel et bien originaire du Sud, et Osée nous apparaîtrait comme un propagandiste judéen opérant en Israël, s'adressant aux frères séparés d'Ephraïm pour les ramener dans le giron de la monarchie davidique ; ainsi s'expliqueraient les particularités de sa langue considérées par Nyberg comme nordistes. https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1961_num_41_2_3647 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Le livre des Juges Lun 24 Jan 2022, 14:01 | |
| N.B.: la première citation (sous "Citation") vient du post initial de ce fil -- je le précise, parce que j'ai mis un moment à la retrouver...
Caquot est toujours intéressant à lire, bien que les études "vétérotestamentaires" aient beaucoup changé en soixante ans (davantage encore si l'on se réfère à la thèse de Nyberg, dans les années 1930, à laquelle il répond en partie): on hésiterait nettement plus aujourd'hui à reconstituer un sens "préexilique" (en l'occurrence "israélite" ou "ephraïmite", au sens du royaume du Nord) des textes "bibliques" (aussi bien des Juges que d'Osée), en tenant davantage compte du fait que tous sont passés par des réécritures "postexiliques" et "judéennes" (y compris à Babylone et dans l'empire perse, puisque la diaspora y prolonge l'exil en dialogue constant avec la communauté du Second Temple à Jérusalem). Cela ne permet pas non plus de réduire les textes que nous lisons à un contexte postexilique, perse ou hellénistique, surtout dans le cas d'Osée dont la complexité textuelle témoigne d'une longue série de modifications en tous sens, et n'autorise plus guère une interprétation globale et cohérente de l'ensemble rapporté à aucune époque ni à aucun lieu particulier. Tout au plus peut-on deviner que les différentes "critiques" de la royauté n'ont ni les mêmes objets ni les mêmes motifs d'un passage à l'autre, et d'une (re)lecture à l'autre du même passage: ce qui a pu être une condamnation violente de la dynastie de Jéhu ("nimshides") dans le cadre du royaume du Nord (en décalage sensible avec le récit des Rois qui est clairement "pro-Jéhu") peut ainsi devenir un jugement sur le royaume du Nord dans son ensemble, puis sur le royaume de Juda, voire sur la "monarchie" en général; on en arrive forcément à une lecture à la fois fragmentée et plurielle des textes, qui d'une part correspond à leur histoire et à leur état effectifs, et d'autre part s'ouvre à l'interprétation "créatrice" de toutes les générations et situations de lectures à venir. Les "antimonarchismes" ou "antiroyalismes bibliques", sans préjudice de leurs sens "originels", ont pu aussi bien inspirer les "messianismes" royaux ou sacerdotaux et les "antimessianismes" de l'époque hellénistique ou romaine que, plus tard, des idéologies "anarchistes", "démocratiques", "aristocratiques", "apolitiques" ou "théocratiques". |
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