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 Car l'amour du Christ nous presse/étreint - 2 Co 5,14

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MessageSujet: Car l'amour du Christ nous presse/étreint - 2 Co 5,14   amour mort - Car l'amour du Christ nous presse/étreint - 2 Co 5,14 Icon_minitimeMer 18 Nov 2020, 14:46

Au rythme alerte de trois énoncés, il se défend alors, sous les soupçons sans doute, les accusations peut-être, d’une pression sur les personnes : nous n’avons fait d’injustice à personne, nous n’avons ruiné personne, nous n’avons exploité personne. Il reprend plutôt ce qui a été parole première, fondatrice de la communion, et qui est pour lui justice : dans nos cœurs, vous êtes à la mort et à la vie (littéralement, pour co-mourir et co-vivre, eis to sunapothanein kai suzèn, 7, 3). C’est ce qui soutient son assurance, sa fierté, sa consolation, sa joie dans les détresses même. Car son propre être, en son intégrité, bouche et cœur, respire l’ouverture. Il l’a dit juste plus haut (6, 11-12) : notre bouche a été ouverte pour vous, Corinthiens, et elle le demeure, notre cœur a été élargi, et il le demeure. Ce n’est pas en nous, mais dans vos propres entrailles que vous êtes à l’étroit. Rendez-nous la pareille, je vous dis comme à mes enfants, laissez-vous élargir vous aussi. Pour Paul, c’est en soi-même qu’on est étriqué, entrailles nouées, gorge serrée, en un mot dans l’angoisse. Il veut alors ouvrir à ses frères en Dieu, pour les héberger, son cœur dilaté.

Avec la communauté de Corinthe aussi, l’évasement désiré doit passer par un goulet. Comme s’il n’y avait pas de large sans étreinte. Les images sont d’amour. Dans son souci de bâtir une communauté, Paul sait que le large ne se gagne pas par l’extase, celle-ci exclut du rapport à Dieu l’attention aux frères. Il focalise alors son regard sur le Christ, sur le Christ incarné. C’est l’amour pressant, poignant du Christ qui nous élargit. Car l’amour du Christ nous étreint, dit-il (5, 14, sunéchei, « nous contient », nous tient ensemble). Il nous tenaille, nous travaille. Il conduit à discerner, précise Paul, que si un seul est mort pour tous, alors tous sont déjà morts. Pour mettre au large, l’amour a donc dû déloger la mort. En Christ, l’amour souverain du temps a déplacé la mort de chacun dans le passé d’un seul. Et celui-ci s’est relevé. Dès lors les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes mais pour celui qui, pour eux, est mort, et qui a été relevé. À partir de là, connaître autrui et se connaître soi-même ne découlent plus de la généalogie et de l’histoire – mais maintenant, dit Paul, nous ne connaissons personne selon la chair (5, 16). C’est une altérité qui se donne à reconnaître. Il y va de nouvelles créatures, d’une nouvelle création, d’une aurore. Paul la nomme du beau nom de réconciliation (5, 17-21).

https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2014-HS-page-89.html
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MessageSujet: Re: Car l'amour du Christ nous presse/étreint - 2 Co 5,14   amour mort - Car l'amour du Christ nous presse/étreint - 2 Co 5,14 Icon_minitimeMer 18 Nov 2020, 15:25

J'apprécie, décidément, l'évolution exégétique de Corina Combet-Galland, qui a su trouver une (sinon la) bonne distance du texte pour y placer son commentaire, comme on place sa voix pour chanter -- ni trop près comme l'exégèse académique habituelle qui a généralement le nez dans le détail, ni trop loin pour se perdre en généralités plus ou moins édifiantes.

Je parlais récemment de "moteur à deux temps", c'est aussi le mouvement du coeur, systole et diastole, rétrécissement et ouverture, sur lequel Jean-Luc Nancy a particulièrement médité depuis sa transplantation cardiaque; comme souvent dans la veine, si j'ose dire, de Derrida qui avait fait avant lui de la stricture, de la restriction et de la constriction, de la compulsion et de l'expulsion, de la bande et de la contrebande, un des mouvements récurrents (voire spasmodiques) de sa pensée. Il est à peine nécessaire d'insister sur les connotations infinies de ce langage du corps et du geste, sexuelles, vitales et organiques autant que mécaniques.

Un peu plus au ras du texte et du lexique, on peut noter que le verbe sunekhô (contraindre, serrer, presser, con-tenir, mais aussi saisir ou com-prendre, si l'on passe du coeur à la main et de la main au concept) ne revient dans le corpus paulinien qu'en Philippiens 1,23, être pris, acculé ou coincé entre les deux options d'une alternative (les "cornes d'un dilemme" comme on dit en anglais), qui sont aussi deux modes de vie et de mort; et qu'ailleurs c'est beaucoup plus banalement le verbe de la peur et de l'angoisse, de la maladie ou de la "possession" démoniaque qui prend ou saisit (Matthieu 4,24; Luc 4,38; 8,37.45; 12,50; Actes 18,5; 28,8 ), de l'armée ou des soldats qui assiègent, arrêtent et retiennent captif (Luc 19,43; 22,63), ou encore des oreilles bouchées (Actes 7,57).
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MessageSujet: Re: Car l'amour du Christ nous presse/étreint - 2 Co 5,14   amour mort - Car l'amour du Christ nous presse/étreint - 2 Co 5,14 Icon_minitimeJeu 19 Nov 2020, 12:42

Citation :
Un peu plus au ras du texte et du lexique, on peut noter que le verbe sunekhô (contraindre, serrer, presser, con-tenir, mais aussi saisir ou com-prendre, si l'on passe du coeur à la main et de la main au concept) ne revient dans le corpus paulinien qu'en Philippiens 1,23, être pris, acculé ou coincé entre les deux options d'une alternative (les "cornes d'un dilemme" comme on dit en anglais), qui sont aussi deux modes de vie et de mort; et qu'ailleurs c'est beaucoup plus banalement le verbe de la peur et de l'angoisse, de la maladie ou de la "possession" démoniaque qui prend ou saisit (Matthieu 4,24; Luc 4,38; 8,37.45; 12,50; Actes 18,5; 28,Cool, de l'armée ou des soldats qui assiègent, arrêtent et retiennent captif (Luc 19,43; 22,63), ou encore des oreilles bouchées (Actes 7,57).

Ce texte évoque la mainmise de Dieu, qui nous tient et nous maintient en sa possession. Cet amour nous saisi avec une telle force qu'il nous contraint d'aimer en retour et qu'il accapare tout notre être. Plus qu'une pression, cet amour est une impulsion qui oriente toute la vie du croyant. Cet amour oppresse le croyant et le force à mourir comme Christ. Il y a une forme d'aliénation, le fait d'être "possédé" par cette amour qui pousse le disciple à faire ce qu'il n'aurait (peut-être) pas voulu sans cette contrainte ou cette pression. Le croyant ne s'appartient plus et il n'agit plus en conscience.  ce croyant ressemble au Christ de l'évangile de Marc "possédé" par l'Esprit et qui agit malgré lui. Comment ne pas penser aussi à Jér 20,9 : Si je dis : « Je ne l'évoquerai plus, je ne parlerai plus en son nom », c'est dans mon cœur comme un feu dévorant, enfermé dans mes os ; je me fatigue à le contenir, et je n'y parviens pas".
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MessageSujet: Re: Car l'amour du Christ nous presse/étreint - 2 Co 5,14   amour mort - Car l'amour du Christ nous presse/étreint - 2 Co 5,14 Icon_minitimeJeu 19 Nov 2020, 13:13

On peut en effet facilement rattacher ce langage à la vaste tradition "pneumatique" (de l'"esprit"), prophétique et charismatique -- sauf qu'ici l'"esprit", dont il a été beaucoup question auparavant et surtout au chapitre 3 (identifié au "Seigneur" et opposé à la "lettre" de l'allance) cède la place à un processus plus "rationnel" qui contrebalance en quelque sorte l'"émotionnel": la "contrainte-compulsion" passe par un "jugement" (krinô), la raison ou logique hautement paradoxale, mais formellement déductive ou inductive, d'un raisonnement qui ne l'est pas moins (ayant jugé ceci que si un seul est mort pour tous, donc tous sont morts, etc.).
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MessageSujet: Re: Car l'amour du Christ nous presse/étreint - 2 Co 5,14   amour mort - Car l'amour du Christ nous presse/étreint - 2 Co 5,14 Icon_minitimeJeu 19 Nov 2020, 13:52

"et s'il est mort pour tous, c'est afin que les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et s'est réveillé pour eux" (5,15).

Le croyant ne s'appartient plus :

"pour être à un autre, celui qui s'est réveillé d'entre les morts" (Rm 7,4).

"En effet, aucun de nous ne vit pour lui-même, et aucun ne meurt pour lui-même. Car si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur ; et si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur. Soit que nous vivions, soit que nous mourions, nous appartenons donc au Seigneur" (14,7-Cool.
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MessageSujet: Re: Car l'amour du Christ nous presse/étreint - 2 Co 5,14   amour mort - Car l'amour du Christ nous presse/étreint - 2 Co 5,14 Icon_minitimeJeu 19 Nov 2020, 15:34

La dialectique paulinienne (logiciel binaire, moteur à deux temps, je répète ces "métaphores" qui sont aussi, comme "métaphore" en grec moderne, des moyens de transport, de Dieu au Christ, du Christ à "nous", de "nous" à "vous", des uns aux autres, de la chair à l'esprit, de la mort à la vie et ainsi de suite) régit aussi et simultanément le rapport d'une certaine "sagesse" à une certaine "folie" (raison / déraison, rationnel / irrationnel, etc.). Ici (2 Corinthiens 5) ce n'est plus môria vs. sophia comme en 1 Corinthiens, mais existèmi vs. sôphroneô, "extase" contre "bon sens" si l'on veut, au v. 13 qui précède et commande tout le passage, qui est aussi passage transitif de "Dieu" à "nous" et de "nous" à "vous": si nous "ek-sistons" ou nous "ek-stasions", si nous sommes hors de nous-mêmes (verbe d'une certaine "folie" qui n'est plus la "folie douce" ou catatonique de 1 Corinthiens 1--3, pas non plus la "folie furieuse" ou mania associée au charismes en 1 Corinthiens 14), c'est pour Dieu, si nous sommes "de bon sens", c'est pour vous. Formule géniale dont on peut dire sans exagérer qu'elle a marqué toute l'histoire occidentale de la "raison" et de la "déraison", même si on peut aussi la rattacher à Platon (notamment dans le Timée, le rapport sans rapport de la "folie" mantique ou amoureuse au logos philosophique): il n'y a raison et raisonnement qu'à partir d'une certaine déraison qui a aussi sa place.

"Paul" n'est certes pas le chantre unilatéral de l'enthousiasme pneumatique ou charismatique, affectif, émotionnel ou irrationnel qui le précède (comme il ressort clairement de 1 Corinthiens), il est celui qui y injecte au contraire de la "raison" et de la "logique" -- tout en reconnaissant aussi la place irremplaçable de cet enthousiasme foncièrement irrationnel, qu'il ne censure pas même s'il cherche continuellement à le contrôler et à le canaliser pour l'utiliser à ses propres fins.
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MessageSujet: Re: Car l'amour du Christ nous presse/étreint - 2 Co 5,14   amour mort - Car l'amour du Christ nous presse/étreint - 2 Co 5,14 Icon_minitimeJeu 19 Nov 2020, 21:08

La conformité avec le Christ constitue pour Paul l’idéal de la vie chrétienne ; il souhaite que tous les croyants puissent dire avec lui : « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20a). Paul propose aux chrétiens de faire une expérience analogue à la sienne : il ne s’agit pas tant de saisir le Christ, que de se laisser saisir par celui-ci (Ph 3, 12). Il invite volontiers les destinataires de ses Lettres à être ses imitateurs. Il n’a pas quelque qualité particulière à mettre en avant, mais il veut être imité comme lui-même imite le Christ (1Co 11, 1). Cela est rendu possible à ceux qui, par le Christ, sont devenus fils adoptifs et qui vivent sous l’impulsion de l’Esprit.

Le croyant, libéré du péché par la mort du Christ, est entraîné à sa suite : « Car, en mourant, c’est au péché qu’il [le Christ] est mort une fois pour toutes ; vivant, c’est pour Dieu qu’il vit. De même, vous aussi : considérez que vous êtes morts au péché et vivants pour Dieu en Jésus Christ » (Rm 6, 10-11). Cette vie est possible depuis que « le Christ a libéré [les hommes] de la loi du péché et de la mort » (Rm 8, 2). Afin de pouvoir dire, comme Paul : « C’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20a), le croyant doit se laisser guider par l’Esprit. En effet, il ne marche pas « sous l’empire de la chair […], mais sous l’empire de l’Esprit » (Rm 8, 5). L’homme sous l’emprise de la chair est livré à ses seules forces ; bien plus, il se laisse guider par tout ce qui, en lui, le conduit à se replier sur lui-même et à refuser la vie en Christ. La mort du Christ a ouvert un temps où l’homme justifié peut, « par l’Esprit », faire mourir « ce comportement charnel » (Rm 8, 13b), et ainsi vivre en vérité. La filiation divine se manifeste par une vie conduite par l’Esprit, car les croyants ont reçu « un Esprit qui fait d’[eux] des fils adoptifs et par lequel [ils crient] : Abba, Père » (Rm 8, 15). L’Esprit fait vivre dès maintenant dans l’intimité de Dieu, car l’œuvre de Dieu, c’est de faire des croyants des fils adoptifs (Ga 4, 7). https://www.cairn.info/revue-etudes-2004-5-page-637.htm
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MessageSujet: Re: Car l'amour du Christ nous presse/étreint - 2 Co 5,14   amour mort - Car l'amour du Christ nous presse/étreint - 2 Co 5,14 Icon_minitimeJeu 19 Nov 2020, 23:41

Article déjà vu (et commenté) ici (4.9.2020) et là (5.7.2019) (ça m'amuse parce que je constate que j'ai fait à peu près le même commentaire à un an d'intervalle, sans me souvenir la deuxième fois de la première; mais je ne le referai pas une troisième).

Ce qui me semble particulièrement distinctif de la correspondance corinthienne, surtout de la Seconde aux Corinthiens, c'est l'économie différenciée du "nous" (les apôtres au sens paulinien, non les Douze) et du "vous" (les destinataires; cf. mon post précédent, et ici 3.11.2020), qui s'efface dans les épîtres suivantes (Romains, Galates, Philippiens etc.) au profit d'un usage plus neutre ou indifférencié ("nous" et "vous", c'est généralement la même chose), tandis qu'apparaissent de nouveaux thèmes majeurs (justification par la foi vs. oeuvres de la loi, etc.): l'aspect communautaire du mystère ne disparaît pas mais il paraît moins essentiel, sa présentation indifférenciée se prête davantage à une appropriation individuelle (notre mort, notre vie -> ma mort, ma vie), qui sera compensée dans la suite dite "deutéro-paulinienne" (Colossiens-Ephésiens) par un concept plus universel et institutionnel de l'Eglise (le corps qui n'est plus le Christ, mais dont le Christ est la tête, ce qui à la fois autorise et requiert toute sorte de médiations entre "lui" et "nous": sacramentelles, hiérarchiques et traditionnelles). Soit dit en passant, le caractère effectivement collectif du "nous" initial (ce n'est pas une simple façon de parler de soi) et ses modifications ultérieures devraient dissuader de tout rapporter à un "auteur" et à une "biographie" individuelle, s'il n'y avait pas d'autres raisons plus générales ou radicales de l'éviter (une "oeuvre", même "authentique" au sens de la paternité littéraire, ne se confond jamais avec un "auteur"; ou, ce qui reviendrait autrement au même, un "auteur" n'est pas une "personne", mais un devenir-"oeuvre").
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MessageSujet: Re: Car l'amour du Christ nous presse/étreint - 2 Co 5,14   amour mort - Car l'amour du Christ nous presse/étreint - 2 Co 5,14 Icon_minitimeSam 21 Nov 2020, 13:28

"Qui nous séparera de l'amour du Christ ? La détresse, l'angoisse, la persécution, la faim, le dénuement, le péril, ou l'épée ? Ainsi qu'il est écrit : A cause de toi, on nous met à mort constamment. On nous considère comme des moutons qu'on égorge. Mais dans toutes ces choses, nous sommes plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés.

Car je suis persuadé que ni mort, ni vie, ni anges, ni principats, ni présent, ni avenir, ni puissances, ni hauteur, ni profondeur, ni aucune autre création ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu en Jésus-Christ, notre Seigneur" (Rm 8,35ss).

Le croyant est "acculé ou coincé" par l'amour du Christ, rien ne peut l'en libérer, même pas lui-même. Même la mort ne met pas un terme à cette relation entre le croyant et Christ.
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MessageSujet: Re: Car l'amour du Christ nous presse/étreint - 2 Co 5,14   amour mort - Car l'amour du Christ nous presse/étreint - 2 Co 5,14 Icon_minitimeSam 21 Nov 2020, 15:05

"L'amour du Christ" (hè agapè tou khristou), l'expression est en effet commune, selon la leçon habituellement retenue, à 2 Corinthiens 5,14 et Romains 8,35 (cf. v. 39, "l'amour du dieu, [amour] qui est en Christ Jésus notre seigneur"; comparer v. 5, 8, 28, 37), ou encore Ephésiens 3,19; et ambiguë, comme la plupart des génitifs rendus par "de" ou "du" X en français: génitifs dits "subjectif" (l'amour qu'a, que montre, que manifeste le Christ), "objectif" (l'amour qu'on a pour le Christ), "epexégétique" ("l'amour" qui est, qu'est ou que signifie "le Christ"), ou de relation quelconque (l'amour qui relève du Christ, qui provient du Christ, dont témoigne le Christ, et ainsi de suite); dans ce cas je suis persuadé (comme dirait "Paul") qu'il n'y a rien à choisir, tous les "sens" possibles de la formule se superposent et communiquent entre eux, la faisant vibrer et résonner de toutes ses harmoniques. Tout au plus peut-on distinguer les contextes: en 2 Corinthiens "l'amour du Christ" est au commencement du mystère chrétien, à une position initiale (et initiatique) qui engage, par le "jugement", tout le processus d'appartenance et d'identification, comme on l'a vu plus haut; en Romains il est plutôt à l'horizon eschatologique, tourné vers l'avenir (rien ne pourra nous séparer); en Ephésiens il constitue tout l'espace d'approfondissement et de croissance, à la fois "mystique", "gnostique" et "ecclésial" (relire depuis 3,14).
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MessageSujet: Re: Car l'amour du Christ nous presse/étreint - 2 Co 5,14   amour mort - Car l'amour du Christ nous presse/étreint - 2 Co 5,14 Icon_minitimeSam 21 Nov 2020, 22:56

Or, au chapitre suivant de la lettre aux Galates, Paul revient sur l’expérience de Damas en l’interprétant d’une façon qui fait dresser l’oreille :
«Car moi, par la Loi, je suis mort (âpéqanon) à la Loi, afin de vivre pour Dieu. Je suis co-crucifié (sunestaúrwmai) avec Christ; je vis, mais ce n’est plus moi, c’est Christ qui vit en moi.» (Ga 2,19-20a)


On rapporte de Keiji Nishitani, spécialiste japonais du bouddhisme zen, qu’il interrogeait à propos de ces versets: «qui parle ici? Paul ? Mais Paul ne vit plus. Qui parle donc ?». Cette boutade, qui n’en est pas une, attire l’attention sur la profondeur du processus mystique auquel Paul fait écho: la mort du moi, l’altération du sujet, et même plus: le changement de sujet. (…) En revanche, le parfait («je suis co-crucifié») évoque une mort dont les effets s’étendent sur le présent: Christ est le nouveau sujet de Paul. Paul vit désormais de lui et par lui. La vie de Paul est devenue un espace ouvert au Christ et à l’Esprit. L’infinie distance qui sépare l’humain du divin s’est ici résorbée.

La surprise surgit dans le «je» de Paul. Car ce «je» a, dans le contexte de Galates 2, une double fonction rhétorique: autobiographique et paradigmatique. L’apôtre fait état de sa conversion à Damas Shocked (c’est la face autobiographique); mais ce rappel du passé intervient ans un contexte où l’auteur déploie une thèse sotériologique (Ga 2,15-21). Le «je» des versets 18-20 est précédé par une cascade de «nous» (2,15-17). Autrement dit: la mort à la Loi ne constitue pas exclusivement le vécu de Paul; elle est plus largement la signature de l’être chrétien. Elle n’est pas exhibée comme un privilège apostolique, mais comme le paradigme de la condition croyante. La référence du verset 20 au «Christ qui m’a aimé et s’est livré pour moi» confirme la valeur exemplaire de ce «moi», qui ne concerne évidemment pas exclusivement l’homme de Tarse. Paul se sert de son expérience spécifique pour appliquer ce transfert du sujet à tous les croyants.

UNE MYSTIQUE CHRISTIQUE


La formule «ce n’est plus moi qui vit, c’est Christ qui vit en moi» (Ga 2,20a) nous a déjà fait comprendre que la mystique paulinienne n’est pas une mystique de Dieu, mais une mystique du Christ. Cette dimension christologique de la mystique chez Paul est largement reconnue depuis Wikenhauser.  Elle s’inscrit dans d’autres formules qui fourmillent sous la plume de Paul autour du thème «être en Christ»: «ne reconnaissez-vous pas que Jésus Christ est en vous ?» (2 Co 13,5); ou bien: «mes petits-enfants, que dans la douleur j’enfante à nouveau jusqu’à ce que Christ soit formé en vous» (Ga 4,19) ; cf. Rm 8,10, etc. Ce thème de l’inhabitation du Christ dans les croyants est évidemment lié à la conception de l’Église comme corps du Christ, dont chaque individu est une part (1 Co 12,12-31). La désignation métaphorique de l’Église comme corps est au service d’un réalisme du salut chez Paul: un salut dont les croyants font l’expérience au point que leur être en est transformé à l’image de leur Seigneur.
Le salut dans la pensée paulinienne n’est autre que l’incorporation d’une nouvelle identité, l’entrée dans un processus de transformation personnelle dont l’acteur est «Christ en vous».
https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_2012_num_43_4_4052
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MessageSujet: Re: Car l'amour du Christ nous presse/étreint - 2 Co 5,14   amour mort - Car l'amour du Christ nous presse/étreint - 2 Co 5,14 Icon_minitimeDim 22 Nov 2020, 01:17

Le terme "mystique" employé de façon aussi lâche, mouvante et confuse (en référence tantôt à l'ésotérisme communautaire, rituel et initiatique des "religions à mystère", tantôt au pseudo-ésotérisme d'une "gnose" plus "philosophique", tantôt à l'"apocalyptique" juive ou chrétienne, tantôt aux pratiques miraculeuses ou à l'"enthousiasme" charismatique, tantôt à une expérience individuelle de "conversion" supposée, tantôt à une doctrine "théologique", "christologique", "pneumatologique" ou "ecclésiologique" plus ou moins élaborée mais à vocation exotérique, le tout se mêlant dans la notion archi-fumeuse de "mystique" qui se dégage de la pire littérature historico-comparative, "spirituelle", psychologique, [auto-]biographique ou hagiographique, dominée sans le savoir par l'usage médiéval et occidental du mot "mystique" appliqué à tout et n'importe quoi) ne serait propre qu'à embrouiller définitivement la question, si ce n'était précisément la question (mal) choisie, (mal) posée et (mal)traitée par l'auteur.

On retombe, en pire à mon sens, dans le problème déjà signalé à propos de l'article de Lémonon (ci-dessus 19.11.2020, avec les liens à deux citations et discussions précédentes du même article): est-ce l'"expérience" de "Paul" qui détermine sa "théologie", ou bien la "théologie" qui détermine entre autres choses *sa* façon paradoxale de parler de *lui-même* et de *son* "expérience", à la première personne du singulier (que le texte soit par ailleurs réputé authentique ou pseudépigraphe) -- du moins de temps à autre, quand il y pense, car le plus souvent "Paul" dit "je" et "moi" comme tout le monde, de façon univoque et irréfléchie, sans paradoxe ni dialectique, "sans métaphysique" comme dirait Pessoa (cf., aux antipodes de Galates 2,20, les "moi, non le Seigneur" de 1 Corinthiens 7) ? La relation est sans doute à double sens, mais j'incline à penser que le second (théologie -> autobiographie) l'emporte largement sur le premier: dans toute la section "théorique" de l'épître aux Romains (1--11; Marguerat qui récite imperturbablement depuis des décennies et contribue ainsi à perpétuer la doxa la plus paresseuse de sa discipline croit certainement Romains postérieure à Galates, je crois le contraire et je m'en suis déjà expliqué) les énoncés du "changement de sujet" sont soit universels ("tous", "la multitude"), soit collectifs et communautaires ("nous" indistinct de "vous"; le "je" n'intervient, de manière d'ailleurs très ambiguë, que sur le volet négatif du rapport à la "loi" et au "péché" au chapitre 7); dans 2 Corinthiens 5 (notre point de départ, que Marguerat ne cite pas mais qu'il reconnaîtrait sûrement comme antérieur puisque tout le monde le dit), où il y a déjà l'"échange" essentiel -- Christ mort pour nous-tous, tous sont morts, nul ne vit plus pour soi-même mais pour celui qui est mort et ressuscité (en amont de toute problématique de la "foi" et de la "loi" façon Romains ou Galates) -- ce n'est pas une "expérience personnelle" qui commande l'énoncé, mais bien celle d'un "nous" apostolique en relation différenciée et dynamique avec un "vous" destinataire, qui porte l'unique "mystère" à son horizon "universel" ("un et tous").

Au-delà de l'usage incontrôlable du mot "mystique", le procès en "individualisme" me paraît singulièrement mal pensé: car ce qui unit l'"humain" au "divin" (qu'il s'agisse de rite, d'initiation, de sacrement, d'enthousiasme, de gnose, d'ascèse, peu importe) ne le fait jamais sans diviser le soi-disant in-dividu (entre "chair" et "esprit" par exemple) et mettre ipso facto en question sa division principielle d'avec les "autres", eux-mêmes susceptibles de la même division in-dividuelle, si l'on ose écrire; ce qui favorise paradoxalement une "communion" entre les "uns" et les "autres" dont aucun n'est censé rester intact ou intègre, purement et simplement identique à "soi" et fermé sur "soi"; en somme, les concepts d'unité et de différence, d'intériorité et d'extériorité, de subjectivité et d'objectivité ne font jamais que se déplacer.
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