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| Moïse médiateur et prophète incomparables ? | |
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Auteur | Message |
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free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Mar 26 Jan 2021, 13:41 | |
| La Torah assigne à Moïse la fonction de médiateur de la parole divine, au point d'identifier Moïse à cette parole. Lorsque Aaron et Myriam critiquent Moïse, Dieu s’en fait l’avocat avec une plaidoirie remarquable que l'on retrouve dans deux passages : Nb 12 et Dt 34. En Ex 4, Moïse est considéré comme une figure hors du commun, il est divinisé, puisqu'il devient le "dieu" d'Aaron ... La fonction médiatrice de Moïse est hors commun :
"Moïse dit : Pardon, Seigneur ! Je t'en prie, envoie quelqu'un d'autre, qui tu voudras ! Alors le SEIGNEUR se mit en colère contre Moïse ; il dit : N'y a-t-il pas Aaron, ton frère, le lévite ? Je sais qu'il parle facilement. D'ailleurs, il vient lui-même à ta rencontre. Quand il te verra, son cœur se réjouira. Tu lui parleras et tu mettras les paroles dans sa bouche ; moi, je serai avec ta bouche et avec sa bouche, et je vous enseignerai ce que vous devrez faire. Il parlera pour toi au peuple ; il sera ta bouche, et tu seras son dieu. Prends ce bâton avec lequel tu produiras les signes" Ex 4,13ss.
En Nb 12,6ss ; voici comment Dieu défend Moïse :
"Il dit : Ecoutez mes paroles, je vous prie ! S'il y a parmi vous un prophète du SEIGNEUR, c'est dans une vision que je me ferai connaître à lui, c'est dans un rêve que je lui parlerai. Il n'en est pas ainsi de Moïse, mon serviteur. Il est l'homme de confiance pour toute ma maison. Je lui parle de vive voix, en vision, mais sans énigmes, et il contemple la forme même du SEIGNEUR. Pourquoi donc n'avez-vous pas craint de parler contre Moïse, mon serviteur ?"
Moïse n'est pas un prophète ordinaire, Dieu se révèle à Moïse de plusieurs manières :
1) de "vive voix" (bouche à bouche), l’image exprime fortement l’identification de la parole de Dieu à celle de Moïse
2) "en vision" : le terme hébreu (traduit par aspect en 9.15s p. ex.) est très proche de celui qui a été traduit par vision au v. 6 ; autres traductions manifestement, visiblement ou, d’après plusieurs versions anciennes, en personne (il faudrait alors traduire et au lieu de mais) ; cf. Ex 33.20ss ; Hé 11.27 ; voir aussi Gn 32.31 ; 1R 19.13 ; la traduction de Tg pourrait signifier dans un miroir (cf. 1Co 13.12) - Notes : Nombres 12:8
3) "sans énigmes", Dieu s’adresse à Moïse dans un langage non codé contrairement aux autres prophètes qui doivent interpréter la parole divine.
4) "il contemple la forme même du SEIGNEUR", Moïse voit "la forme de Dieu", il jouit d'une proximité inégalée avec Dieu.
Dernière édition par free le Jeu 28 Jan 2021, 15:23, édité 1 fois |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Mar 26 Jan 2021, 17:30 | |
| "La Torah" est, bien sûr, un ensemble vaste et composite, et les images de "Moïse", comme tant d'autres choses, y varient d'un texte à l'autre (et parfois d'une strate rédactionnelle à l'autre du même texte). Si Nombres 12 semble bien placer "Moïse", c'est-à-dire "la Torah" elle-même, au-dessus des prêtres (Aaron) et des prophètes (Miriam), je ne suis pas certain qu'Exode 3--4 soit à lire dans la même perspective, puisque la "vocation" de Moïse ressemble à celle de n'importe quel "prophète", Isaïe (6), Jérémie (1), etc., avec les objections initiales (je ne sais pas parler) qui répondent aussi à une sorte de "loi du genre". Le transfert du rapport fonctionnel "dieu / prophète" sur "Moïse / Aaron" est très intéressant, mais il me semble moins avoir pour effet d'exalter Moïse (qui se fait copieusement engueuler dans le contexte) que de l'inscrire (et par la même occasion la Torah elle-même, en tant qu'écriture) dans une déficience qui implique la notion même de "dieu": un "dieu" ne saurait s'exprimer sans "prophète", ni une écriture sans lecteur-interprète (et on retomberait par là dans la problématique de l'insuffisance de l'écriture par rapport à la "parole vivante", du Phèdre de Platon à la Pharmacie de Platon selon Derrida). |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Mer 27 Jan 2021, 14:06 | |
| - Citation :
- Si Nombres 12 semble bien placer "Moïse", c'est-à-dire "la Torah" elle-même, au-dessus des prêtres (Aaron) et des prophètes (Miriam), je ne suis pas certain qu'Exode 3--4 soit à lire dans la même perspective, puisque la "vocation" de Moïse ressemble à celle de n'importe quel "prophète", Isaïe (6), Jérémie (1), etc., avec les objections initiales (je ne sais pas parler) qui répondent aussi à une sorte de "loi du genre".
la Torah, le sacerdoce et la prophétie ; sont légitimés mais le sacerdoce et la prophétie sont désormais subordonnés à la Torah.Un extrait :La question des médiations ouvre le récit plus ancien qui reprend le thème du prophétisme déjà traité au chapitre 11. Aaron et Miryam réclament le statut de médiateur au même niveau que Moïse, en reflétant les milieux sacerdotaux et prophétiques. Ce texte s’oppose à la conception deutéronomiste traditionnelle selon laquelle Moïse est le premier d’une série de prophètes que Yhwh enverra au fur et à mesure à son peuple. L’incomparabilité de Moïse est soulignée en Nb 12,8 par le fait que Moïse, contrairement aux prophètes, voit la temunah de Yhwh. Bien que le Pentateuque insiste sur l’invisibilité de Yhwh lors de la révélation (cf. aussi Ex 33,20), Nb 12,8 veut rapprocher Moïse aussi étroitement que possible de Yhwh.Nb 12 montre comment les rédacteurs intègrent des débats et des revendications de différents groupes. Il y a d’abord une correction de la démocratisation de la prophétie affirmée en Nb 11 ainsi qu’une définition de la relation entre Moïse et les autres prophètes (Miryam représentante des prophètes est sanctionnée pour avoir critiqué Moïse à cause d’une femme étrangère) et, finalement, la supériorité de Moïse sur tous les autres médiateurs. https://journals.openedition.org/annuaire-cdf/14088#tocto3n6 - Citation :
- "La Torah" est, bien sûr, un ensemble vaste et composite, et les images de "Moïse", comme tant d'autres choses, y varient d'un texte à l'autre (et parfois d'une strate rédactionnelle à l'autre du même texte).
Parmi les textes qui favorisent une image de Moïse favorable, nous retrouvons Dt 34 qui décrit Moïse dans une position inégalée :
"Moïse monta des plaines arides de Moab au mont Nebo, au sommet du Pisga, en face de Jéricho. Le SEIGNEUR lui fit voir tout le pays : le Galaad jusqu'à Dan (...) Moïse, serviteur du SEIGNEUR, mourut là, au pays de Moab, sur l'ordre du SEIGNEUR.
Il l'ensevelit dans la vallée, au pays de Moab, en face de Beth-Péor. Personne ne sait où est sa tombe, jusqu'à ce jour. (...) Josué, fils de Noun, était rempli d'un souffle de sagesse, car Moïse avait posé les mains sur lui. Les Israélites l'écoutèrent, ils firent ce que le SEIGNEUR avait ordonné à Moïse. Il ne s'est plus levé en Israël de prophète comme Moïse, que le SEIGNEUR connaissait face à face pour tous les signes et les prodiges que le SEIGNEUR l'envoya produire en Egypte contre le pharaon, contre les gens de sa cour et contre tout son pays, et pour toutes les choses grandes et redoutables que Moïse fit d'une main forte sous les yeux de tout Israël." (34,1-12)
Comme Nb 12, Dt 34 établit une proximité incomparable entre Moïse et Dieu, Moïse est "enseveli" par Dieu lui-même, dans la vie comme dans la mort, Moïse est intimement lié à sa divinité. Dt 34 relate une description mythologique de Moïse en le faisant demeurer plein de vitalité jusqu'au jour de sa mort. Il a aussi une tentative de diviniser Moïse avec l'emploi de l'expression : "tous les signes et les prodiges", appliquée en générale à Dieu. Moïse semble être dans la continuité des patriarches, celui qui parachève l’histoire commencée avec Abraham :
"C'est là le pays que j'ai promis par serment à Abraham, à Isaac et à Jacob, en disant : Je le donnerai à ta descendance. Je te l'ai fait voir de tes yeux ; mais tu n'y entreras pas" (Dt 34,4)
Enfin, le texte en affirmant que "Personne ne sait où est sa tombe, jusqu'à ce jour", tente d'indiquer que la Torah n'est pas la propriété d'une tribu particulière ou d'un territoire, contrairement à Es 2,3 : "Car de Sion sortira la loi".
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| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Mer 27 Jan 2021, 15:16 | |
| Il y a beaucoup de choses intéressantes dans le compte rendu de Römer (comme d'habitude): jusque dans Nombres 12 qui globalement exalte "Moïse" on trouve la glose du v. 3 qui contrecarre toute "divinisation" (cf. § 40ss; sans parler de la mise en abyme d'un Moïse écrivain qui louerait ainsi sa propre humilité à la troisième personne, et dont on peut trouver un écho, oralement et à la première personne, chez le Jésus-Moïse de Matthieu, 11,29). Quant au rapport Moïse / Abraham, il s'inverse aussi selon les textes (cf. § 58: Moïse est plus grand "prophète", mais il n'a pas la "foi" d'Abraham).
On peut remarquer aussi que l'idée du prophète incomparable (outre le paradoxe inhérent au terme, puisque ce qui est dit incomparable doit précisément être comparé pour être déclaré tel), ou inégalé (Nombres 12 et Deutéronome 34), crée aussi une tension sensible avec le chapitre 18 du Deutéronome où Moïse annonce une succession prophétique plutôt que royale ou sacerdotale: un prophète comme toi. Cette contradiction même aura pour effet inattendu de propulser le "prophète comme Moïse" du plan de l'histoire à celui de l'eschatologie, de la suite à la fin... |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Mer 27 Jan 2021, 16:32 | |
| "Josué, fils de Noun, était rempli d'un souffle de sagesse, car Moïse avait posé les mains sur lui. Les Israélites l'écoutèrent, ils firent ce que le SEIGNEUR avait ordonné à Moïse. Il ne s'est plus levé en Israël de prophète comme Moïse, que le SEIGNEUR connaissait face à face" (Dt 34,9-10)
Le lecteur savait depuis 1,3 que l'entreprise mosaïque était un succès quant à sa source (Moise a effectivement transmis les choses selon l'ordre divin); il découvre en 34,9 qu'elle l'est également du côté des destinataires : les «fils d'Israël» (cf.1,3) non seulement «écoutèrent», mais «firent» aussi selon ce que Yhwh avait ordonné à Moïse» (34,9). Ainsi que l'énonce le paradigme mis en place depuis 4,5, cette mise en pratique (ce «faire») est en effet la finalité ultime de la transmission mosaïque. L'inclusion majeure du Deutéronome met toutefois en évidence le décalage venu se loger au cœur de cet acte de communication : ce n'est pas Moise qui est entendu, mais Josué, son successeur ; c'est à travers la médiation de Josué que la Torah mosaïque parvient à sa destination. [/size] (...)
L'enchainement des v. 9 et l0 manifeste dès lors que l'incomparabilité prophétique de Moïse n'enjambe pas le moment deutéronomique ; l'explicitation de cette incomparabitité (v.10) est au contraire appelée par le succès de la communication sui generis qu'est l'enseignement deutéronomique de Moise, porté à terme par Josué (v. 9).
(...)
L'intrigue du Deutéronome tient dès lors dans le déplacement qu'elle raconte : la Torah de Moise n'est effectivement entendue qu'à travers la parole de son successeur, Josué, et moyennant une série de dispositifs mis enplace par Moïse lui-même. Le Deutéronome est ainsi l'histoire d'un prophète qui se fait entendre quand il n'est plus (là), mais non sans avoir écrit «jusqu'aubout» (31,24), chanté «jusqu'au bout» (31,30) et «achevé» de parler (32,45).
(...)
En se surimprimant dans l'acte de lecture, ces rapports d'immédiateté et de médiation permettent de ressaisir l'intrigue du Deutéronome : c'est l'histoire d'une ommunication divine qui se rend immédiate de génération en génération («il vous parlait face à face») grâce à la médiation d'un prophète-enseignant lui-même connu «face à face» par son Dieu. Ou encore: c'est l'histoire de la transitivité du don (ou de la parole) de Dieu rendue possible par la médiation du prophète connu de Dieu. Loin d'être close sur les temps fondateurs, cette transitivité fondatrice rejoint les générations de l'histoire en s'enrichissant de la médiation historique du «prophète comme Moise». Elle donne toute sa mesure lorsque Torah de Moise est transmise par le «prophète comme Moïse»», et est effectivement entendue par les fils d'Israël («ils écoutèrent» (Dt 34,9). Si Moïse n'a pas mené le peuple jusqu'à la terre de la promesse, il a, par sa médiation et par celle du «prophète comme Moise», fait aboutir «tout ce que yhwh lui avait ordonné» jusque dans l'écoute et la pratique du peuple sur la terre en question.C'est en cela qu'il est prophète sans égal, et référence pour tous les temps. https://www.academia.edu/11852070/_La_construction_narrative_de_la_figure_de_Mo%C3%AFse_comme_proph%C3%A8te_dans_le_Deut%C3%A9ronome_Revue_de_Th%C3%A9ologie_et_de_Philosophie_142_2010_1_20 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Mer 27 Jan 2021, 18:25 | |
| Encore une très bonne étude (je suis épaté, depuis longtemps même si je ne l'ai pas dit, ou pas assez, par la qualité de tes recherches sur Internet, dont les résultats ont considérablement gagné en pertinence et en précision: les liens que tu as rassemblés au fil des années sur une foule de sujets comptent pour beaucoup dans l'intérêt de ce forum, que peu de lecteurs apprécient sans doute, mais c'est ainsi).
Il ne faut pas perdre de vue l'unilatéralité d'une approche "narrative" et "synchronique" comme celle de J.P. Sonnet, non seulement pour ne pas s'imaginer qu'elle puisse se substituer à une analyse "critique" et "diachronique", historique et littéraire, de la rédaction des textes, ou pire encore, qu'elle en dispenserait ou la réfuterait; aussi pour comprendre l'essence ou la nature de cela même qu'elle met évidence: non pas l'intention d'un quelconque "auteur", fût-il le dernier rédacteur ou Dieu en personne, mais un effet du texte lui-même, au-delà de toutes les intentions diverses, divergentes, convergentes ou contradictoires, et de tous les hasards et coïncidences sans intention aucune qui l'ont composé. Moyennant quoi on peut effectivement apprécier les formes du texte et ce qui s'y fait re-marquer en se ré-pliquant, parallèlement ou symétriquement, que cela réponde à une succession d'intentions comme une sculpture ou une architecture -- dont le fortuit n'est cependant jamais absent -- ou à une pure nécessité dépourvue d'intention, comme les formes des vagues, des nuages ou des montagnes.
L'effet de décalage, délai, retard, suspens et reprise, syncope, différance, se retrouve en effet partout, il est essentiel au récit comme à la vie ou au mouvement, à la marche ou à la respiration, au battement d'un coeur ou à n'importe quelle suite, série ou séquence de choses ou d'événements, devenir ou histoire. Moïse "s'accomplit" en Josué, mais Moïse "accomplit" aussi bien Abraham, Isaac et Jacob; et cet effet joue également dans les deux récits de création, dans la nouvelle création après le déluge, dans les doublets ou triplets des histoires patriarcales, dans l'interlude de Joseph qui fera redémarrer en Egypte ce qui avait commencé en Mésopotamie, dans les premiers échecs de Moïse, dans les tables de la loi brisées puis réécrites, dans le Deutéro-nome qui répète la loi (nomos), dans les deux générations qu'il faut pour sortir d'Egypte et entrer en Terre promise, et ainsi de suite -- même l'"apostasie" annoncée après la mort de Moïse sera différée après la mort de Josué, puis des Juges, des prophètes ou de tel ou tel "bon roi": tout se passe comme si l'histoire qui, réelle ou fictive, n'arriverait qu'une fois devait s'y prendre à plusieurs fois pour se raconter et se faire re-marquer... |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Jeu 28 Jan 2021, 11:24 | |
| - Citation :
- Encore une très bonne étude (je suis épaté, depuis longtemps même si je ne l'ai pas dit, ou pas assez, par la qualité de tes recherches sur Internet, dont les résultats ont considérablement gagné en pertinence et en précision: les liens que tu as rassemblés au fil des années sur une foule de sujets comptent pour beaucoup dans l'intérêt de ce forum, que peu de lecteurs apprécient sans doute, mais c'est ainsi).
Merci ... Je dois reconnaitre que ta façon de nous présenter les textes sous des angles inattendus et perspicaces, m'incite à faire des recherches et à tenter comprendre le sens de tes réponses (même si je n'y parviens pas toujours), Donc .... Merci à toi. Je ressens un grand plaisir à lire ces articles instructifs et passionnants qui sont ma seule façon de te répondre (je manque de science et de savoir).Dans le Pentateuque ce travail littéraire pour légitimer l’autorité incontestable de la Torah est encore illustré par un travail minutieux sur la figure de Moïse. Nb 12, 6-9 contient un discours dithyrambique sur Moïse : il s’agit d’identifier la parole de Moïse et de yhwh qui lui parle « bouche à bouche ». En Dt 34, 10-12 : « l n’y eut pas de prophète comme Moïse que Dieu connaissait face à face. » Il y a un processus de divinisation de la figure de Moïse qui a pour objectif de dire l’unicité de son autorité indiscutable. Ajoutons à cette légitimation interne de la Torah l’étonnant texte de Dt 4, 32-40 dans lequel le don de la Torah est considéré comme l’événement le plus fondamental après la création pour Israël et précède même la sortie d’Égypte. Cette représentation de la Torah en tant que norme absolue et indépassable est fort bien illustrée en Jos 1, 8. Le verbe « répéter » est désormais le maître mot de l’action de Josué. Cela signifie que la Torah est achevée et que Josué ne bénéficie pas de révélation supplémentaire.Répète sans cesse les enseignements du livre de la loi et médite-les jour et nuit de façon à observer tout ce qui y est écrit. Alors tu mèneras à bien tes projets et ils réussiront.(NBS)
À la suite de Moïse, Josué est donc son répétiteur, son homme lige, son « pseudépigraphiste ». Le Pentateuque (et l’Hexateuque) porte la trace d’un travail sur la notion d’écriture qui aboutit au « livre de la Torah de Moïse». Jos 8, 31 contient la première mention de la formule.
30Sur le mont Ébal, Josué fit un autel pour le Seigneur, Dieu d’Israël. 31Il le construisit selon les instructions que Moïse, le serviteur du Seigneur, avait données aux Israélites, instructions inscrites dans le livre de la loi de Moïse : un autel en pierres brutes, non taillées avec un outil de fer. On y offrit au Seigneur des sacrifices complets et des sacrifices de communion. 32Là, sous le regard des Israélites, Josué grava sur des pierres une copie de la loi que Moïse avait écrite. 33Les Israélites avec leurs anciens, leurs responsables et leurs juges, de même que les étrangers vivant parmi eux, se tenaient de part et d’autre du coffre de l’alliance du Seigneur, en face des prêtres-lévites qui le portaient. La moitié d’entre eux était placée du côté du mont Garizim, et l’autre moitié du côté du mont Ébal. Moïse avait ordonné autrefois de procéder ainsi pour bénir le peuple d’Israël. 34Josué lut alors tous les enseignements écrits dans le livre de la loi, avec les formules de bénédiction et celles de malédiction. 35Josué lut tous les commandements de Moïse, sans en omettre un seul, devant l’ensemble du peuple, y compris les femmes, les enfants et les étrangers vivant parmi les Israélites.
Ce passage illustre la fermeture du livre dont il ne faut omettre aucun commandement, et son autorité. De Josué jusqu’à la fin du second livre des Rois et jusque dans le livre de Néhémie , il y a une volonté d’identifier le livre de la Torah, Moïse et le Pentateuque pour en dire l’autorité normative . Il y a une distribution calculée de l’expression Torah pour signifier l’accomplissement de la révélation divine dans une écriture fermée pour lire toute l’histoire d’Israël depuis l’entrée en Canaan jusqu’à l’Exil. La Torah est devenue une clé herméneutique de l’histoire d’Israël pour ses destinataires à partir de l’Exil. https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2013-4-page-445.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Jeu 28 Jan 2021, 12:49 | |
| (De la comparaison il ressort également que "ma façon" n'a rien de bien original, elle n'a fait qu'intégrer en partie les méthodes, sinon les résultats, de "sciences bibliques" multiséculaires à un certain moment de leur développement. Le contraste avec les lectures "fondamentalistes", "naïves" ou "sectaires" qui ont évité autant que possible de se confronter à ces méthodes peut paraître considérable, mais en définitive on en revient toujours aux textes, "bibliques" en l'occurrence, qu'il s'agit de lire et de relire avec le sentiment de les comprendre plus ou moins bien, mieux ou plus mal -- comme dit le proverbe anglais, la preuve du pudding est dans le pudding, à condition de le manger.)
Si l'on essaie d'articuler le "synchronique" et le "diachronique", étant entendu qu'ils ne se distinguent qu'artificiellement d'un même "réel" qui est à la fois l'un et l'autre, comme "l'espace" et "le temps" ou "l'être" et "le devenir", on remarquera aussi que le discours sur la Torah qui la "divinise", que ce soit par la valorisation du personnage de Moïse ou de l'acte même de l'écriture (divine, mosaïque ou autre), ne préjuge en rien du contenu de la Torah en question. Autrement dit, le livre n'a pas besoin d'être (totalement) écrit pour être déjà "sacré" dans son principe, et placé par là même au-dessus de tout texte effectif (sacerdotal, monarchique, prophétique, judiciaire, etc.), tandis que les textes continuent à s'écrire ou à se réécrire, y compris contre le livre ou ce qui pourrait passer pour sa "grande histoire" ou son "message dominant" -- ainsi d'une bonne partie de la Genèse, qui fait partie de la Torah-livre tout en s'inscrivant souvent à l'opposé de la Torah-loi. Bien entendu, cela vaut a fortiori pour de plus grands "livres" comme "la Bible" juive ou chrétienne, et la façon dont celle-ci, en tant que "livre sacré" ou "saint", intègre et valorise jusqu'à ses contradictions internes. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Ven 29 Jan 2021, 11:17 | |
| - Citation :
- De la comparaison il ressort également que "ma façon" n'a rien de bien original, elle n'a fait qu'intégrer en partie les méthodes, sinon les résultats, de "sciences bibliques" multiséculaires à un certain moment de leur développement.
Je suis toujours surpris de constater que tu relèves dans le textes ce que je n'avais pas réussi à voir, à percevoir et à comprendre … C'est bien présent dans le texte mais ta lecture est éclairante et nuancée … C'est un art de savoir lire et comprendre. Malgré une certaine idéalisation de Moïse, le Deutéronome revient plusieurs fois sur le motif de la non-traversée du Jourdain :1) "Le SEIGNEUR vous a entendus. Dans sa colère, il a juré : Aucun homme de cette génération mauvaise ne verra le bon pays que j'ai juré de donner à vos pères, excepté Caleb, fils de Yephounné ; il le verra, lui, et je lui donnerai, à lui et à ses fils, le pays où il a marché, parce qu'il a rempli ses obligations envers le SEIGNEUR. Même contre moi le SEIGNEUR s'est mis en colère à cause de vous ; il a dit : Toi non plus, tu n'y entreras pas" (1,34-37).2) "Mais le SEIGNEUR s'était irrité contre moi, à cause de vous, et il ne m'a pas écouté. Le SEIGNEUR m'a dit : Cela suffit ! Ne me parle plus de cette affaire ! Monte au sommet du Pisga, lève les yeux vers l'ouest, vers le nord, vers le sud et vers l'est, et regarde de tes yeux ; mais tu ne passeras pas ce Jourdain" (3,26-27)3) "Le SEIGNEUR s'est mis en colère contre moi à cause de vous ; il a juré que je ne passerais pas le Jourdain et que je n'entrerais pas dans le bon pays que le SEIGNEUR, ton Dieu, te donne comme patrimoine. 22.Moi donc, je meurs en ce pays-ci : je ne passerai pas le Jourdain ; mais vous, vous le passez et vous prendrez possession de ce bon pays" (4,21-22)4) "Il leur dit : J'ai aujourd'hui cent vingt ans. Je ne pourrai plus rien faire, et le SEIGNEUR m'a dit : « Tu ne passeras pas ce Jourdain. » (31,2)Remarquons que contrairement à Dt 34,7 qui nous décrit un Moïse en pleine vigueur, Dt 31,2 nous dépeint un Moïse affaibli. Dt 31,2 affirme, sans fournir la motivation de la sentence divine : « Tu ne passeras pas ce Jourdain. »Concernant Dt 1,34-37 ; le refus de Dieu à Moïse de la traversée du Jourdain semble être relié à l'épisode de Qadesh-Barnéa lors du refus du peuple de prendre possession du pays suite au rapport fait par les espions. Josué et Caleb sont les deux seuls individus pour lesquels Dieu fait une exception. La sanction de Moïse semble être liée à la faute du peuple. Moïse s'assimile à la génération à qui Dieu refuse le pays.Dt 3,26-27 et Dt 4,21-22 expriment la même idée que dans le premier texte, ils soulignent la responsabilité du peuple ("à cause de vous"). Pourtant Nb 14,5- 9 ; souligne l'innocence de Moïse. En effet, Nb 14 exclut de l’entrée en terre promise ceux-là qui ont murmuré contre Moïse et Aaron (Nb 14,2.28-29). Nb 20, nous propose une autre explication en rapport avec l’incident des eaux de Mériba, qui valut à Moïse d’être personnellement exclu de l’entrée en terre promise (Nb 20,1-13). Dieu y sanctionne son médiateur pour n’avoir pas manifesté sa sainteté :"Alors le SEIGNEUR dit à Moïse et à Aaron : Parce que vous n'avez pas eu assez de foi en moi pour montrer ma sainteté sous les yeux des Israélites, vous ne ferez pas entrer cette assemblée dans le pays que je lui donne" (20,12)La responsabilité du peuple ,'est pas totalement exclue, l’incident de Méribat est déclenché par les plaintes du peuple qui exaspèrent Moïse et le poussent à la faute. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Ven 29 Jan 2021, 11:59 | |
| En Deutéronome 31,2, "je ne pourrai / peux plus rien faire" est une équivalence fonctionnelle de l'hébraïsme "je ne pourrai / peux plus sortir et entrer", ou "aller et venir", qui exprimerait une totalité, "tout" ou négativement "rien", par la juxtaposition de termes opposés. D'autre part l'hésitation sur le temps du verbe "pouvoir" (pourrai / peux, futur / présent) correspond à une ambiguïté réelle de l'inaccompli hébreu, de sorte que l'hypothèse d'un "Moïse diminué" n'est qu'une possibilité sur deux: on peut aussi imaginer un Moïse en pleine forme qui sait que ça ne va pas durer.
On remarque également que Caleb (nom de clan autrement associé à la région d'Hébron) et Josué sont dissociés en Deutéronome 1, contrairement au récit de Nombres 13--14: ce n'est plus en tant qu'espion fidèle mais en tant qu'assistant de Moïse (comme ailleurs dans le Deutéronome, cf. déjà Exode 17,9ss; 24,13; 32,17; 33,11; Nombres 11,28, avant l'épisode des espions qui d'ailleurs semble superposer Josué à un "Osée", 13,16) que Josué entre en Terre promise -- il était déjà établi successeur en Nombres 27.
Quant à l'histoire de Meriba en Nombres 20, elle forme aussi un doublet avec Exode 17; et son "explication" de la "faute" de Moïse est pour le moins embarrassée, puisque la rédaction (probablement à force de réécritures successives) offre plusieurs pistes contradictoires qui ne feront que se compliquer dans les commentaires: attribution du miracle à Moïse et à Aaron ("nous", v. 10) plutôt qu'à Yahvé, désobéissance dans le détail de l'exécution (deux fois, v. 11), manque de foi (forme interrogative, v. 11), tout cela se retrouve au v. 12 dans la condamnation où tous les motifs se télescopent.
Enfin il ne faut pas négliger, surtout dans la fin du Deutéronome qui est aussi celle de la Torah-livre (double effet de "couverture"), une référence possible à la Genèse: les 120 ans de Moïse sont aussi la longévité humaine maximale d'après Genèse 6, bien que cette limite soit ignorée de nombreux autres textes dans l'intervalle (y compris pour Aaron qui meurt à 123 ans d'après Nombres 33,39).
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Moïse en fait rassemble toutes les fonctions qui se distinguent à partir de lui, prophète, prêtre (non seulement par l'association généalogique avec Lévi ou Aaron, aussi parce que c'est lui qui officie et sacrifie pour la consécration des prêtres, archi-prêtre en somme), juge, roi ou chef de guerre... mais celle qui l'emporte sur toutes les autres, c'est celle de scribe, quoiqu'elle ne soit jamais distinguée comme telle (bien sûr le "scribe" et le "livre" soient des variantes de la même racine spr, et l'acte d'écrire, ktb, et de lire, qr', l'impliquent) -- soit la fonction d'Esdras, prêtre-scribe.
Cela donne toute sa portée à la contestation implicite d'un texte comme Jérémie 8,8: la plume ou le stylet des scribes transforme la torah, originellement orale et sacerdotale, en mensonge (cela censément dans la bouche prêtre écarté du sacerdoce par l'"invention" du livre de la loi de Moïse sous Josias; mais cela aussi écrit par un scribe, Baruch: avec l'écriture de la parole et la parole de l'écriture, la mise en abyme de l'une et de l'autre, et de l'une par l'autre, n'est jamais terminée). |
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| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Ven 29 Jan 2021, 20:20 | |
| Nombres 20, 1-13 Les eaux de Mériba
Le récit concernant les eaux de Mériba (Nombres 20, 1-13) est l’un de ceux qui posent le plus d’énigmes aux commentateurs. Il s’ouvre sur la mort de Miryam, brièvement évoquée ; l’essentiel concerne la contestation des Hébreux à l’égard de Moïse et d’Aaron, à la suite de la pénurie d’eau. Comme dans Exode 17, Moïse fait jaillir de l’eau d’un rocher. Mais à la suite de cet épisode, Dieu le condamne à ne pas entrer en Terre promise. L’un des problèmes est rédactionnel : quel est le rapport de Nombres 20 avec Exode 17, s’agit-il d’un même épisode raconté deux fois ? Et, surtout, pourquoi Moïse, homme parfait et constamment à l’écoute de Dieu, est-il ainsi condamné ? A-t-il fauté dans ses paroles, dans ses gestes, dans son attitude à l’égard du peuple, dans son comportement à l’égard de Dieu ? L’exégèse traditionnelle, tant juive que chrétienne, a formulé un certain nombre d’hypothèses. L’épisode est plusieurs fois cité dans d’autres textes bibliques, notamment dans le Deutéronome et dans les Psaumes ; y a-t-il là une première exégèse et déjà des réponses ? Par la suite, l’étude littérale s’intéresse aux indications de lieu et de temps. Ce passage paulinien pose les bases d’une interprétation typologique, que l’on retrouve au moyen âge. dahan-nb_argumentaire.pdf (cnrs.fr)
D’emblée, la difficulté de ce passage du livre des Nombres est soulignée, notamment par cette question qui revient sans cesse : quelle est la faute de Moïse ? Moment clé de la vie de ce dernier, cet épisode lui a interdit l’entrée en Terre promise. Cinq articles composent cet ouvrage avec pour ambition de montrer comment les commentateurs à travers l’histoire se sont saisis de ce passage.
Olivier Artus (« La faute de Moïse et Aaron en Nb 20,1-13 : une question de sainteté ») développe une compréhension par une approche d’ensemble du livre des Nb. La péricope appartient à la deuxième partie du livre (Nb 11-21) qui « rassemble des récits de désobéissance au désert. Au centre de cette deuxième section, la péricope de Qadesh (Nb 20,1-13) aborde la question théologique de la sainteté » (p. 33), étant donné que « le toponyme “Qadesh” joue évidemment avec la racine de la sainteté » (p. 32). Ce qui assure la sanctification du peuple, c’est une hiérarchie de la sainteté, mais celle-ci risque néanmoins d’être compromise par les fautes volontaires collectives ou individuelles. Nb 20,1-13 fragilise l’autorité de Moïse, par ailleurs extrêmement valorisée, avec une visée clairement théocratique, Yhwh étant considéré comme le seul garant de la sainteté d’Israël.
David Lemler (« Le flot des interprétations de la faute de Moïse dans la tradition rabbinique ») s’attache à montrer comment les commentateurs pensent, d’une part, la nécessité – Moïse devait mourir pour que la génération de l’entrée en Terre promise soit vraiment renouvelée –, et d’autre part, la dureté de la sentence : y a-t-il une seule faute ou une pluralité de manquements ? C’est l’occasion de questionner la relation de Moïse avec le peuple et de prolonger une réflexion sur la recherche asymptotique de l’idéal. Parmi les livres | Cairn.info |
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| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Sam 30 Jan 2021, 02:19 | |
| Il y a la logique de la rétribution individuelle -- représentée parmi bien d'autres dans la Torah, cf. Deutéronome 24,16 d'après Ezéchiel 18 -- qui voudrait que la mort de Moïse soit le châtiment d'une faute: Nombres 20 lui en trouve, et plus d'une dans le même geste ou la même parole, dans le récit d'Exode 17 qui n'en comportait aucune -- on aurait pu lui en trouver d'autres (depuis le meurtre de l'Egyptien ou l'incirconcision du fils selon le début de l'Exode, en passant par la destruction des tables de la loi, qui n'était pas ordonnée non plus; de même pour Aaron le veau d'or), et des causes de mort qui ne soient pas exactement des fautes, par exemple la vision du dieu qui, selon certains textes mais pas tous, tue (comparer Exode 32ss et 24 ou Nombres 12); mais il y a aussi d'autres logiques narratives, dominantes au moins par l'extension, où les personnages n'ont nullement besoin de faute pour mourir -- p. ex. les patriarches de la Genèse, qui ne sont sans doute pas infaillibles mais dont les fautes n'expliquent pas la mort, tout simplement parce que celle-ci n'est pas conçue comme un châtiment. Bien plus généralement, le "grand récit" de l'histoire collective ne saurait s'arrêter à aucun personnage ni à aucune génération, parce qu'il a besoin d'avancer, et qu'il ne peut pas faire un pas sans quitter la position précédente: la génération qui "(re-)monte" d'Egypte n'est pas celle qui entre en Terre promise, ce n'était pas non plus celle qui était "descendue" en Egypte: le "sujet" d'une telle histoire est trans-individuel ("Israël" en l'occurrence), si illustres qu'ils soient les individus qu'elle fait paraître et disparaître ne lui servent que de relais. Ce qui restera de Moïse dans la suite du récit, ce sera l'écriture, la Torah-loi et la Torah-livre -- et le dieu (des vivants selon les évangiles synoptiques) qui était déjà celui d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, et qui sera encore celui de Josué et des Juges... Tout cela est d'une évidence triviale ("la voie de toute la terre", selon la formule hébraïque), mais doit d'autant plus être souligné que la réception juive ultérieure et surtout chrétienne (et musulmane) de l'"histoire sainte" en a principalement retenu la rétribution individuelle, en l'aggravant et en la portant à l'absolu par l'idée de salut (ou de perdition) individuel: qu'on puisse mourir, avec ou sans faute, de ses fautes ou indépendamment d'elles, mais avec et contre, voire tout contre son dieu comme on a vécu avec et contre lui, "sur son ordre" et/ou "sur sa bouche" selon l'ambivalence même de l'expression du Deutéronome, c'est aussi ça la "leçon" de l'histoire, celle-ci fût-elle fictive... |
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| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Sam 30 Jan 2021, 19:32 | |
| Moïse, une figure importante depuis longtemps L’on peut remonter plus haut encore que l’époque de Josias. On peut aller jusqu’aux traditions prophétiques du VIIIe s. av. J.-C. En effet, le prophète Osée oppose les figures de Jacob et de Moïse. Jacob est vu comme préfiguration des infidélités de sa descendance, les fils d’Israël, et Moïse, comme figure modèle à laquelle Israël doit s’identifier pour retrouver les voies de la fidélité : '' Jacob s’est enfui dans les plaines d’Aram. Israël a servi pour avoir une femme ; pour une femme il a gardé les troupeaux. Mais Par un prophète le Seigneur fit monter Israël d’Égypte, et par un prophète il fut gardé '' (Os 12, 13-14 ; le '' prophète en question est évidemment Moïse). Pour opérer un effet positif, une telle évocation suppose pour le moins que Jacob et Moïse étaient connus de l’auditoire du prophète, soit par des traditions déjà écrites, soit par des traditions orales.
On peut dire que sous de nombreux aspects, l’évocation biblique de Moïse a une fonction politique (donner une identité au peuple d’Israël). On doit ajouter aussitôt, comme le fait Jean-Louis Ska à propos de David, que '' cela ne signifie pas qu’elle n’ait aucune signification théologique et aucun fondement historique. Même les œuvres de propagande politique doivent tenir compte des faits pour être crédibles et acceptables. Elles doivent aussi obéir aux canons de la pensée religieuse du temps. '' Les énigmes du passé, p. 90. Moïse (7/7) : Moïse ''pour l’éternité'' | S.B.E.V. (bible-service.net) |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Sam 30 Jan 2021, 21:14 | |
| J'avoue ne pas bien voir l'intérêt de cette posture mi-critique mi-apologétique, où l'on constate d'un côté qu'il n'y a rien à chercher d'"historique" dans une "figure" littéraire et religieuse comme celle de Moïse et où l'on s'accroche quand même au moindre semblant d'indice d'ancienneté, comme s'il y avait encore là un enjeu "historique".
Il suffit de lire le livre d'Osée, et en particulier son chapitre 12, pour voir qu'on a affaire à un texte hétéroclite, très abîmé le plus souvent, étrangement limpide par endroits (notamment aux v. 13-14, qui rompent le rythme de ce qui précède et suit), où une logique d'ensemble est le plus souvent affaire de devinette ou d'invention; affirmer d'une phrase exceptionnellement claire de ce livre, qui peut de fait avoir été ajoutée beaucoup plus tard, qu'elle est du VIIIe siècle sous prétexte que d'autres morceaux du même livre le sont (peut-être), ça ne peut convaincre que des convaincus -- ou plus exactement rassurer dans leur croyance ceux qui n'ont aucune envie de s'interroger sérieusement sur la nature de leur "histoire sainte"; outre que le "prophète" (anonyme) n'est "évidemment Moïse" que pour quelqu'un qui connaît la Torah (dont on admet qu'elle est postérieure) -- même chose pour Jacob-Israël et ses rapprochements avec la Genèse, à ceci près que le livre d'Osée en dit bien plus à son sujet et que la comparaison est plus significative (si on ne s'imagine pas, bien entendu, qu'Osée a lu la Genèse). Bref, on baigne dans le raisonnement circulaire ou la pétition de principe, ce qui est d'autant moins excusable qu'on les a précédemment réfutés. C'est le sempiternel dilemme des exégètes-pasteurs qui se sentent obligés de défaire d'une main ce qu'ils ont fait de l'autre (ou de refaire de l'autre ce qu'ils ont défait de l'une): qu'on étudie les textes bibliques aussi "scientifiquement" qu'on voudra pourvu que ça ne remette pas en question une virgule du catéchisme...
C'est le cas de dire que l'arbre, si rabougri soit-il, cache la forêt, et d'autant plus facilement que c'est une forêt de silence: de "Moïse" il n'est quasiment jamais question hors de la Torah (environ 600 fois) et des textes qui en dépendent directement, comme Josué (> 50), les rédactions ou gloses tardives (deutéronomistes ou non) des autres livres "historiques" ou "prophétiques" (Juges 1--3; 4,11; 18,30; 1 Samuel 12,6ss; 1 Rois 2,3; 8; 2 Rois 14,6; 18; 21,8; 23,25; Jérémie 15,1; Michée 6,4), et bien sûr dans les livres indiscutablement rattachés à l'époque perse ou hellénistique (Esdras-Néhémie, Chroniques, Malachie, [trito-]Isaïe 63; Daniel) ou les psaumes rattachés à la liturgie du Second Temple, qui comportent souvent aussi des références à l'exil babylonien (77; 90 su[per]scription; 99; 103; 105--106). Même si l'on peut supposer des traditions marginales relatives à "Moïse", et un peu plus largement à un "exode d'Egypte" avec ou sans "Moïse", dans certains milieux (clans méridionaux et/ou sacerdotaux p. ex.), il est clair qu'elles n'occupent pas la place centrale et fondatrice qu'elles vont prendre à partir de l'exil à Babylone. |
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| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Lun 01 Fév 2021, 11:56 | |
| Les deux versions de la vocation de Moïse (Ex 3-4 et 6) A. Moise, le premier prophète (Ex 3-4 = "D") La version dtr de la vocation de Moïse se trouve dans la version primitive d'Ex 3,1-4,18 qui a été insérée dans un texte plus ancien qui courait de 2,23a ("au cours de cette longue période, le roi d'Egypte mourut") à 4,19 ("Yhwh dit à Moïse en Madian: va, retourne en Egypte car ceux qui en voulaient à ta vie sont morts"). Pour la version dtr de la vocation de Moïse, il importe avant tout de présenter celui-ci comme le premier prophète ou appelé de Dieu, de sorte que sa vocation est construite à l'aide du schéma: appel, mission (va, je t'envoie vers Pharaon! 3,10), objection à l'appel (v.11), assurance d'accompagnement ("je suis avec toi", v. 12), et signe légitimant l'appel (v.12, cf. aussi les différents signes développés en Ex 4). Ce même schéma se trouve notamment dans les récits de vocation de Jérémie (Jr 1) et d'Ezéchiel (Ez 2), et à l'intérieur de l'historiographie dtr pour Gédéon (Jg 6). Moïse apparaît donc dès le début de sa carrière comme le médiateur par excellence, qui à l'instar des autres prophètes n'a pas cherché cette gloire qui lui fut imposée par Yhwh. Dans la logique du Dt (cf. Dt 18), Moïse est donc le premier d'une série de prophètes que Dieu enverra à son peuple, mais que le peuple a constamment du mal à accepter comme envoyé de Dieu. Cette conception théologique de l'envoi et du rejet constant des prophètes de Dieu joue un rôle important dans l'édition dtr du livre de Jérémie et se retrouve encore dans le NT, notamment chez Luc, qui présente Jésus comme le dernier de cette série prophétique. Il est également significatif que Moïse n'est nullement mis en scène comme un super-héros. Lorsqu'il objecte, dans un deuxième "round", qu'il a la bouche lourde (4,10), Dieu ne lui enlève pas ce handicap mais promet son assistance malgré ce manque formulé par Moïse ("je suis avec ta bouche", 4,12). Moïse, ou l'appelé en général, doit donc apprendre à s'accepter tel qu'il est.(...)B. La version sacerdotale de la vocation de Moïse (Ex 6 = "P") En Ex 6,3 Dieu se présente à Moïse en disant: "Je suis apparu à Abraham, à Isaac et à Jacob comme El Shadday (le Dieu puissant), mais sous mon "Yhwh", je ne me suis pas fait connaître à eux". Ces textes expriment clairement l'idée que Yhwh n'a pas été dès l'origine le Dieu d'Israël. Ce qui signifie que la relation entre Israël et son Dieu est le fruit d'une rencontre, rencontre qui se reflète dans les récits bibliques de la révélation divine au Sinaï. La version sacerdotale de la vocation de Moïse en Ex 6,2-8 n'appartient pas au genre littéraire du "récit de vocation". Il s'agit plutôt d'un "Disputationswort" (cf. J.L. Ska), d'un oracle de dispute qui se trouve notamment dans le livre d'Ez (cf 20,1ss et 11,1ss), et qui a pour fonction de répondre à une objection. En effet, Ex 6 est placé après le premier échec de Moïse où Pharaon est renforcé dans sa position et Israël souffre davantage. La balle est donc dans le camp de Dieu, et il réagit en Ex 6,2-8 par la forte affirmation de sa seigneurie: "Je suis Yhwh" - cette formule encadre doublement le discours divin (v.2//8; 6//7). A l'intérieur de ce cadre se trouvent deux rappels des Patriarches (v.3 et . Au milieu du texte, l'annonce de la libération est exprimée à l'aide de trois verbes: gaíal (racheter) - laqakh (prendre [pour peuple]) - hayah (être [Dieu]). Ces trois termes ont quelque chose en commun: ils appartiennent tous, dans une certaine mesure, au vocabulaire de la famille. Le go'el est selon Lv 25,47-54 le parent le plus proche, celui qui doit racheter un membre de la famille réduit en esclavage. Dieu est donc considéré ici comme le parent d'Israël et ceci en vertu de l'alliance conclue avec les patriarches. Nous avons donc ici une conception assez différente de celle d'Ex 3. Pour P, il existe un lien de parenté entre Dieu et son peuple. Le rappel des Patriarches renforce cette conception familiale, généalogique, différente de celle d'Ex 3-4 où l'accent se trouvait sur l'aspect vocationnel, prophétique. La pensée familiale est également présente dans les deux autres verbes: "prendre pour" est une expression qui signale l'introduction d'un nouveau membre dans une famille: une épouse (Gn 12,19; Ex 2,1), une fille (Est 2,7.15), un esclave (2R 4,1). De même, l'expression "hayah le" peut décrire l'adoption (cf. celle de Moïse par la fille du Pharaon, Ex 2,10). Ainsi Ex 6 n'est pas un simple doublet d'Ex 3-4. L'école sacerdotale interprète ici, via un discours divin adressé à Moïse, la libération de l'esclavage égyptien comme adoption d'Israël par Yhwh et c'est le souvenir de l'alliance patriarcale qui est le moteur de cette histoire de Yhwh avec Israël. http://www.unige.ch/theologie/distance/cours/ats3/lecon4/lecon4.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Lun 01 Fév 2021, 12:55 | |
| (Les cours de Thomas Römer à Genève doivent remonter à une trentaine d'années maintenant, à une époque où le paradigme des "sources" imposait encore sa forme même à ceux qui, comme lui, le remettaient le plus radicalement en question; il a eu le temps depuis d'affiner et de nuancer son propos, mais ces documents restent très précieux tant par leur qualité -- encore nettement supérieure à bien des "vulgarisations" plus récentes -- que par l'étendue des textes qu'ils couvrent.)
Au passage, le qualificatif de "médiateur" qui a été principalement retenu pour Moïse (et accessoirement pour Jésus) dans la tradition chrétienne, d'après le NT (mesitès dans l'épître aux Hébreux pour Moïse et Jésus, 1 Timothée pour Jésus, et Galates où il ne s'agit peut-être pas de Moïse et assurément pas de Jésus; Philon en revanche appelait déjà Moïse mesitès, p. ex. Vita Mosis iii, 19 = 166), n'a pas d'équivalent dans la Torah -- bien qu'on puisse voir une idée similaire dans la position de Moïse "au milieu" (ana meson dans la Septante), "entre" Yahvé et "vous" dans Deutéronome 5,5 par exemple; le mot mesitès n'apparaît que beaucoup plus loin et plus tard dans la traduction grecque des "Ecrits" (ketoubim) ou "hagiographes", en Job 9,33 (pour l'hébreu mokhia qui désigne plutôt un "arbitre" en position d'autorité, ce qui précisément n'existe pas pour régler le différend entre Job et Yahvé).
Un peu en marge de ce fil, je ne suis pas certain que "Je suis Yhwh" soit une affirmation de "seigneurie": ça ne l'est certainement pas autant que sa "traduction" traditionnelle "Je suis le Seigneur", qu'on peut entendre comme "c'est moi le chef" ou "le patron" ("je suis l'Eternel", dans la tradition protestante francophone depuis Olivétan, dit encore autre chose, mais le sens est tout aussi éloigné du texte). A la lettre c'est une affirmation d'identité, mais sa fonction varie d'un texte à l'autre -- c'est aussi un marqueur des textes "sacerdotaux", cf. notamment son usage absolu (sans complément en apposition ou en relative, non "je suis Yahvé ton/votre Dieu" ni "je suis Yahvé qui..." mais "je suis Yahvé" tout court) dans le Lévitique. Bien entendu, puisqu'il s'agit d'un théonyme cette "signature" est aussi une affirmation de divinité, de sacralité et d'autorité, mais non par référence ou comparaison à une autorité humaine, politique ou domestique (ce qui peut bien sûr arriver aussi, p. ex. "roi des rois et seigneur des seigneurs", mais alors avec le nom commun 'adôn et non le nom propre Yhwh).
Pour revenir à Moïse et à son objection d'élocution en Exode 4 (noter que l'objection est similaire en Jérémie 1, je ne sais pas parler, et Isaïe 6, les "lèvres impures", même si dans les deux cas un autre critère, jeunesse ou impureté, intervient), il est assez tentant de la mettre globalement en rapport avec l'écriture (celui qui ne sait pas parler écrit), bien que ce ne soit pas le sujet du contexte: Moïse ne va pas écrire, ni être "guéri", mais parler et agir miraculeusement par un autre, comme le dieu par son prophète; toutefois l'autre ne restera pas prophète puisqu'il va devenir prêtre et agir, au sens de l'acte rituel, plutôt que de parler; par ailleurs, bien sûr, Moïse parle tout à fait normalement et sans le truchement d'Aaron dans de nombreux textes de la Torah... Bref, il serait vain de chercher dans tout cela une "cohérence", fût-elle "narrative", mais on peut toujours y trouver des pistes de réflexion intéressantes sur le thème de la parole, de l'acte miraculeux et/ou rituel, et de l'écriture...
Dernière édition par Narkissos le Lun 01 Fév 2021, 14:52, édité 1 fois |
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| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Lun 01 Fév 2021, 14:41 | |
| Jésus et Moïse
Moïse apparaît comme le médiateur par excellence dans le judaïsme contemporain des origines chrétiennes. On trouve même à son propos une expression("médiateur de son alliance") très proche du syntagme qui , avec de légères variantes, est employé trois fois dans l'Epître ainsi que nous l'avons vu ci-dessus. Dans l'Ancien Testament lui-même le vocabulaire technique de la médiation n'est pas utilisé, mais la réalité est tout à fait présente dans la description du rôle de Moïse, avant tout lors du don de la Loi : Moïse est à la fois le lieutenant de Dieu auprès du peuple et le représentant du peuple auprès de Dieu.
L'Epître aux Hébreux mentionne Moïse par son nom à onze reprises et dans des péricopes différentes. Ce n'est assurément pas le lieu d'étudier ces textes en détail, mais quelques brèves remarques pourront avoir leur utilité.
Deux des textes proposent une confrontation entre les réalités de jadis et celles de maintenant. Elle fait apparaître que le nouveau correspond à l'ancien mais qu'en même temps il le dépasse. D'après le premier texte (3,1—6) Moïse et Jésus sont l'un et l'autre "digne de foi" mais le Christ est supérieur : le fils l'emporte sur le serviteur et être établi sur la maison comporte plus de dignité que d'avoir seulement sa place dans la maison. Selon le deuxième texte (10,28-29) le châtiment sanctionne l'infidélité à l'alliance dans l'ancien comme dans le nouveau régime ; mais fouler aux pieds le "fils de Dieu" et banaliser le "sang de l'alliance" entraînera un châtiment bien plus sévère que celui qui frappait jadis le mépris de la "Loi de Moïse". Ces deux passages montrent, de façon générale tout au moins, que Moïse et Jésus ont leur place dans le schéma correspondance/dépassement si cher à notre auteur.
Trois des mentions de Moïse (8,5 ; 9,19 ; 12,21) se trouvent dans les développements où l'expression "médiateur de la diathèkè" meilleure ou nouvelle est appliquée à Jésus (6,8 ; 9,15 ; 12,24).
Les faits relevés permettent d'envisager avec faveur — mais en restant prudent faute de données suffisamment précises - l'hypothèse que la mise en valeur de Jésus comme "médiateur" de l 'alliance" définitive est due partiellement à la comparaison de Jésus avec Moïse. Plus précisément, d'après R.H. Nash 32 l'auteur de Hébreux insiste massivement sur Jésus médiateur de façon à montrer la supériorité du Christ sur les grandeurs que Philon d'Alexandrie présente comme des médiateurs et dont Moïse fait partie. Je doute qu'on puisse aller aussi loin dans la précision et l'hypothèse elle-même ne s'impose pas. En effet Moïse ne reçoit pas le titre de "médiateur de l'alliance" dans notre Epître et aucune médiation au sens plus strict du terme n'y est soulignée à son sujet. D'après les rares précisions qu'on peut glaner en He sur ce point, Moïse n'apparaît que comme relais ou agent de Dieu. L'homme de Dieu joue un rôle d'instrument dans la libération exodiale (3,16 : dia) ; par ailleurs il édicté des prescriptions (7,14; 9,19). Notre auteur n'a manifestement pas tiré tout le parti possible des textes vétérotestamentaires sur la médiation de Moïse. Le terreau sacerdotal a dû lui paraître bien plus fertile. https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1989_num_63_3_3122 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Lun 01 Fév 2021, 15:23 | |
| (J'ai rajouté un petit paragraphe à la fin de mon post précédent.)
Cet excellent article de Schlosser m'amène à préciser ce que j'ai dit un peu trop rapidement plus haut: dans l'épître aux Hébreux seul Jésus est explicitement appelé "médiateur", Moïse ne l'est qu'implicitement (noter aussi la référence à l'Assomption de Moïse i,14, note 30, en plus de Philon). Et en effet les rôles de "médiateur" et de "grand prêtre" se confondent, comme d'ailleurs celui de "garant" (egguos, 7,22): la dualité Moïse-Aaron, comme toutes les autres "figures" et leurs différences distinctives et constitutives, se fond dans "Melchisédek", autrement dit dans le type ou paradigme unique du "Fils éternel" qui subsume, supprime et relève (encore et toujours de l'Aufhebung) tous ses "anti-types", "hypo-digmes" ou "ombres", autrement dit toutes ses "médiations", aussi bien au sens général que "technique" (dans le cas du "médiateur de l'alliance/dis-position"); cela, bien sûr, ne s'entend vraiment qu'à partir de la perspective (médio-)"platonicienne" du livre, je n'y reviens pas puisqu'on en a assez parlé ailleurs. On peut toutefois noter que cette logique implique d'elle-même une sorte de hiérarchisation des "figures": tout est "figure", autant les "types" célestes que les "antitypes" terrestres puisqu'en fin de compte les cieux eux-mêmes doivent disparaître, et que ce qui reste est sans "figure"; mais toutes les "figures" ne se valent pas, Moïse (serviteur, chap. 3) et Aaron ne sont pas du même niveau que "Melchisédek" assimilé au "Fils", figure de la figure même en quelque sorte (cf. 1,1ss).
Je repensais ce matin à l'épître aux Hébreux pour une tout autre raison, la relation Moïse / Josué dont nous avons aussi parlé plus haut. En grec, comme on sait, Josué et Jésus sont un seul et même nom (Ièsous), mais le lecteur qui pense en français est toujours un peu surpris quand il arrive à 4,8: "car si Jésus, euh... Josué leur avait donné le repos..." En fait on pourrait aussi bien traduire "Jésus", cela ne ferait que déplacer légèrement l'accent de la proposition: "si c'était à eux (la génération de la conquête) que Jésus avait donné le repos..." En tout état de cause, il se pourrait que le rapport Moïse / Josué-Jésus, le second accomplissant ou achevant ce que le premier a commencé, annoncé, écrit ou préfiguré, ait compté davantage qu'on ne l'imagine généralement dans le christianisme ou plutôt le "jésuisme" primitif, outre la figure au départ distincte du "Christ" comme traduction du "Messie-Oint" (roi ou prêtre). |
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Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Lun 01 Fév 2021, 16:51 | |
| Moïse monte sur la montagne et en descend souvent (19,10 et 14 ; 19,20 ; 19,21.24 et 25 ; 20,21) sans parfois que l’on sache pourquoi multiplier ainsi ces aller et retour. Plus largement, dans le contexte narratif, Dieu semble tantôt résider en haut de la montagne (19,3-4 ; 24,9-11), tantôt y descendre pour rencontrer Moïse ou Israël (noter aussi la répétition : 19,9.11.18.20 ; 20,20). Au ch. 19, Moïse semble déjà jouer le rôle d’un médiateur entre Dieu et le peuple, et ce n’est qu’en 20,18-20 que le peuple lui demande d’être cet intermédiaire.
Lire cet article très intéressant : "Statut et rôle de Moïse dans le récit de l’alliance sinaïtique" (Ex 19,1–20,21) : https://dial.uclouvain.be/pr/boreal/object/boreal:165657 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Lun 01 Fév 2021, 19:52 | |
| "Depuis le temps qu'on réclame un ascenseur..." (dixit l'influx nerveux -- grossièrement schématisé -- de la girafe, in Gotlib, Rubrique-à-brac -- cf. ici).
Mes souvenirs d'il y a une trentaine d'années ne sont pas aussi fiables que ceux de mes lectures d'adolescence, mais il me semble bien que mon prof d'AT à la Faculté de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine avait également fait sa thèse de doctorat d'Etat (à Strasbourg) sur la "cohérence narrative de la péricope du Sinaï", et elle n'apparaît même pas dans la bibliographie (ce que c'est que de nous...).
La montagne est en haut par rapport à la terre, mais en bas par rapport au ciel, c'est donc l'axe de communication idéal entre les dieux (du moins les célestes) et les hommes (terrestres le plus souvent); mais pour qu'ils se rencontrent, fût-ce au sommet, il faut bien que ceux-ci montent et/ou que ceux-là descendent (cf. déjà, faute de montagne en Mésopotamie, la descente de Yahvé sur la tour de Babel; ou les développements de la descente des "fils des dieux" de Genèse 6 sur une montagne, dans Hénoch ou les Jubilés) -- sans préjudice des cas où le sommet, inaccessible au commun des mortels, s'intègre aux cieux mêmes comme demeure des dieux (du Kasios à l'Olympe, en passant par le Tsaphôn biblique, le Sinaï étant parfois représenté de la même manière).
Le souci de la cohérence conduit toutefois à privilégier certains énoncés (généralement "théologiques") au-delà de leur portée réelle: Israël "royaume de prêtres", cela n'est dit que dans le projet initial (19,6), dont on peut se demander (comme pour toutes les promesses et bénédictions conditionnelles) dans quelle mesure il se réalise ou non, au vu de la suite -- puisque aussi bien c'est le refus du peuple d'entendre directement la voix de Yahvé qui va impliquer la "médiation" de Moïse (20,18ss), laquelle va se heurter à d'autres contretemps, taurillon ou veau d'or, tables brisées (chap. 32ss), etc.; de plus, des "prêtres" distincts du "peuple", il y en avait avant, sans qu'on sache d'où ils sortent (19,22), il y en aura encore après (Aaron et ses fils, chap. 28ss); il ne faut pas oublier non plus le rôle des "anciens" (19,7) qui "représentent" aussi le peuple (déjà en Egypte, 3,16ss etc.), autrement que Moïse ou Aaron, et qui non seulement sont consultés au début de la procédure mais qui vont encore monter sur la montagne et voir le dieu d'Israël (chap. 24). On aurait donc un scénario passablement compliqué, parce qu'il n'a sans doute jamais été conçu comme un scénario; mais par-delà les particularités de l'Exode ou de la Torah en général c'est aussi un problème structurel de tous les récits d'"institution" (fondation, création, etc.): non seulement ce qui institue l'institution ne relève jamais de la règle de l'institution instituée, mais quand celle-ci est immémoriale il faut lui inventer une origine: l'artifice se trahit toujours quelque part en laissant paraître que ce que cette origine est censée instituer la précède (le médiateur, les prêtres, les anciens sont déjà ce qu'ils sont avant d'être nommés ou établis tels). |
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Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Mar 02 Fév 2021, 12:01 | |
| Comme cela avait été annoncé (v. 9), la venue de Dieu vise, entre autres choses, l'accréditation de Moïse. Dieu parle avec lui en présence du peuple : « Moïse parlait, et Dieu lui répondait dans une voix » (v. 19b). Ainsi prend place le dernier élément essentiel à la rencontre : le médiateur. Car la limite entre Dieu et le peuple ainsi que la nécessaire distance imposée par la nuée et le feu ne visent pas à séparer, à isoler. La limite posée n’est pas étanche car Moïse s’y tient : en montant vers le sommet de la montagne (v. 20b) et en descendant vers le peuple en bas (v. 21 et 25), il montre que, si cette limite sépare les partenaires, elle est aussi le lieu où résonne la parole qu’ils se donnent l’un à l’autre. De la sorte, le récit signifie clairement que la limite et la distance sont fondamentalement ordonnées à la relation et à la communication.
La réciprocité soulignée par Moïse D’autres différences notoires apparaissent encore dans la réponse de Moïse à Adonaï (v. 23). Le médiateur en effet répète à Adonaï l’ordre qu’il lui a donné auparavant, mais il le transforme sur deux points. D’une part, là où Dieu avait dit : « tu mettras des limites au peuple » (v. 12), Moïse dit : « mets des limites à la montagne ». D’autre part, alors qu’Adonaï avait demandé : « sanctifie-les » en parlant du peuple (v. 10), Moïse semble rectifier en désignant la montagne : « sanctifie-la ».
Bref, là où Adonaï parle du peuple, Moïse parle de la montagne, qui est le lieu de Dieu. Quand Adonaï fait sanctifier le peuple pour le préparer à la rencontre, Moïse évoque la sanctification de la montagne qui doit recevoir la présence de Dieu. Et si cette présence impose une limite au peuple, de façon symétrique, la présence d’Israël signifie une limite pour Adonaï, pour le lieu qu’il investit. Ainsi donc, chaque partenaire est pour l’autre exigence de « sainteté » et limite à assumer. Telles sont les conditions d’une réelle réciprocité, qui caractérise toute alliance. https://books.openedition.org/pus/11688?lang=fr |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Mar 02 Fév 2021, 13:03 | |
| Etude beaucoup plus complète que la précédente (celle-ci, la précédente dans l'ordre de tes citations, étant postérieure, sans doute d'une élève de Wénin, elle s'y réfère d'ailleurs abondamment).
Sans préjudice des réserves déjà exprimées sur le mot de "médiateur" (qui n'a pas d'équivalent exact dans la Torah: même si l'idée générale d'intermédiaire s'en dégage, la fonction n'est pas précisément conceptualisée ni thématisée), on retrouve bien le paradoxe institutionnel que j'essayais d'énoncer à la fin de mon post précédent: Moïse est déjà "médiateur" avant de l'être -- on pourrait en dire autant de sa fonction d'"archi-prêtre", par laquelle c'est lui qui offre les sacrifices nécessaires à l'institution d'une prêtrise habilitée à offrir des sacrifices, sans relever lui-même de la règle de cette prêtrise, puisqu'il n'est pas aaronide et n'a pas été "ordonné" pour cette fonction. Il faut bien commencer quelque part, même si tout a toujours déjà commencé avant le commencement.
La difficulté est de bien comprendre de quoi on parle quand on parle de "cohérence", de "logique" ou de "loi" à propos de quelque chose qui ne relève d'aucune intention, ou qui résulte d'une multitude d'intentions divergentes et successives, sédimentées ou stratifiées, qui ne se réduisent pas à UNE intention (unique): qu'il s'agisse d'une galaxie, d'un nuage, d'un réseau hydrographique, d'une forêt, d'un écosystème, d'une meute ou d'un troupeau, d'un vol d'étourneaux ou d'un banc de sardines, d'un éboulis ou d'un désert de sable, mais aussi bien d'une langue ou d'un texte, on finira toujours par y reconnaître une certaine "logique", une certaine "cohérence" et un certain nombre de "lois", une "structure" et un "fonctionnement" qui sont la condition même de leur "existence", mais que personne en particulier n'aura "voulus" pour autant. A mon sens l'exégèse gagnerait à mieux se tenir dans cette perspective, par laquelle les signes qu'elle déchiffre peuvent tout autant être le fait du "hasard" que d'"intentions" -- ce qui n'empêche d'ailleurs pas d'y trouver un "sens", sinon un "message" -- au lieu de s'obnubiler sur la poursuite d'une insaisissable "intention de l'auteur", originel ou ultime, humain ou même divin.
Les remarques sur le caractère double et alternatif (tantôt le peuple, tantôt la montagne sacrée) de la limite (dans les deux études d'ailleurs) sont extrêmement intéressantes, à condition de ne pas perdre de vue que le rapport est asymétrique -- tout comme l'"alliance" n'a rien d'un pacte entre "pairs" ou "égaux", c'est la dis-position (dia-thèkè en grec) d'un supérieur envers un inférieur (suzerain/vassal, maître/esclave, etc.): le "sacré" est tout entier du côté du divin, il ne se communique au peuple (via le "médiateur", les "prêtres" ou les "anciens") que dans une certaine mesure et dans des conditions réglées, hors desquelles il est absolument destructeur pour celui-ci. Ce qui implique l'ordre hiérarchique: les uns en voient, en entendent ou en touchent plus que les autres, c'est aussi dans l'intérêt des autres... |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Mar 02 Fév 2021, 14:15 | |
| Figure royale
Le parcours de Moïse est largement inspiré par certaines conventions de l’idéologie royale Dans toute l'histoire du Proche-Orient antique, les actes législatifs fondateurs sont toujours reçus des dieux ou d'un dieu tutélaire par les rois, ce qui n'est pas le cas de la Loi d’Israël : après la disparition de la royauté en Juda et l'Exil. , c'est Moïse qui revêt la figure archétypale du législateur. Néanmoins, le récit biblique tend à conférer une dimension royale à ce dernier dont l'histoire est construite sur le modèle du roi Sargon d'Akkad - vraisemblablement pour faire de Moïse un personnage aussi important que le roi fondateur de l'empire d'Akkad - et rappelle l'histoire de Cyrus le Grand telle que la rapporte Hérodote, dans des récits fabuleux qui pouvaient être connus à Babylone lors de la période exilique. Moïse devient ainsi l'intermédiaire primordial entre Dieu et le peuple à la place du souverain qui n'existe plus On retrouve le reflet de cette image royale dans le « testament » de Moïse dont la composition est inspirée, tant dans son vocabulaire que dans sa structure, par les traités de vassalité assyriens avec lesquels les suzerains orientaux obtenaient l’allégeance de leurs vassaux.
Moïse occupe dans le récit biblique une autre fonction typiquement royale, celle de la fondation du sanctuaire divin dans le désert : Moïse préside en effet à la création de la « Demeure »où réside Yahweh, qui préfigure peut-être le Temple de Jérusalem. À l'instar d'un roi, Moïse est installé comme un vicaire divin.
On peut noter, enfin, que le nom lui-même de « Moïse » est un nom « royal », octroyé par une princesse égyptienne ; il est envisageable que l’auditoire du récit mosaïque n'ignorait pas que de nombreux noms pharaoniques étaient construits à partir de la racine m-s-s (« engendré par », cf. supra).
Au-delà de l'aspect royal, on peut noter des éléments de quasi-divinisation du personnage qui marquent comment ce dernier est pour toujours le médiateur par excellence entre Israël et son dieu : ainsi, dès le récit de l’exode Moïse est par deux fois appelé « elohim » par Yahweh lui-même. https://fr.wikipedia.org/wiki/Mo%C3%AFse#cite_note-Römer_2010,_p._198-150 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Mar 02 Fév 2021, 15:15 | |
| Tout est bon à prendre pourvu qu'on sache bien le recevoir, j'entends par là de façon inclusive plutôt qu'exclusive ou réductionniste: rien, ni la figure de "Moïse" ni la Torah ni même aucun texte particulier, ne se réduit à un seul modèle explicatif (idéologie, source, influence, etc.). L'"idéologie royale" varie autant que son utilisation: les traités de vassalité assyriens dont on peut relever les traces dans le corps du Deutéronome et les rédactions qui en dépendent n'ont pas grand-chose à voir avec les éléments égyptiens (dont le nom de Moïse, qui semble effectivement inspiré des terminaisons en -mosis ou -mose, cf. Thoutmosis ou Ramsès, celles-ci n'étant pas forcément royales et encore moins comprises comme telles, y compris par le récit de l'Exode qui en propose une tout autre étymologie, hébraïque et fantaisiste) qui proviennent plutôt d'une autre diaspora (depuis la fin du royaume de Juda jusqu'à l'époque hellénistique, les relations entre l'Egypte et la Judée sont constantes et plutôt bonnes). Surtout, si l'on se représente Moïse comme roi (c'est peut-être le cas en Deutéronome 33,5, mais le référent peut être aussi Yahvé) il faudra expliquer tout ce qui est anti-monarchique dans la Torah, cf. en particulier Deutéronome 17--18 (la succession de Moïse est prophétique et non royale). |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Mar 02 Fév 2021, 16:43 | |
| Une naissance royale: Moïse le héros exposé, sauvé et adopté
Les parallèles entre la naissance de Moïse et celle de Sargon ont été maintes fois soulignés et il n’est point besoin d’énumérer les nombreux parallèles entre les deux récits qui montrent que l’auteur biblique a projeté sur Moïse un texte de l’époque néo-assyrienne. La légende assyrienne de Sargon a probablement vu le jour sous le règne de Sargon II, qui accède au trône dans des circonstances troubles et avait besoin d’une légitimation divine. Dans la légende de Sargon, le père biologique du roi ne joue pas de rôle et sa mère accouche de lui « en secret ». Il devient roi puisque la déesse Ishtar l’aime et lui confie la royauté (lignes 11–13). L’histoire de l’exposition du petit Moïse est construite à partir d’un scénario parallèle. Une fille de la tribu des Lévites est « prise » par un homme de la même tribu qui disparaît ensuite de l’histoire. Moïse arrive également dans un contexte royal puisque il est adopté par la fille du Pharaon C’est elle qui donne à l’enfant le nom de Moïse (ce qui montre que l’auteur savait que « Moïse » était un nom égyptien).
Si la première version de la vita Mosis fut rédigée sous le règne du roi Josias comme le pensent aujourd’hui un certain nombre d’exégètes, on peut remarquer que Josias arrive au trône – à l’âge de huit ans – suite à un soulèvement contre son père Amon (2 R 21,23–26). Et si on veut pousser la spéculation encore plus loin, on peut rappeler que Josias (ou ses conseillers) entretenait vraisemblablement une relation compliquée avec le roi d’Égypte, contre lequel il s’était apparemment révolté vers la fin de son règne. Il est pensable que l’auteur d’Ex. 2 voulait faire de Moïse un précurseur de Josias. Le coloris royal de la naissance de Moïse ne fait pas de doute.
Remarquons que la Bible hébraïque ne contient pas de récit de naissance des rois, à l’exception de celle de Salomon dont la légitimité était contestée. Selon Veijola l’histoire de l’adultère de David et Bath-shéva fut inventée pour montrer que Salomon était un fils biologique de David, malgré les évidences. On aurait préféré l’idée d’une naissance adultérine du successeur de David plutôt que d’accepter sa provenance de l’aristocratie cananéenne.
Moïse peut aussi être rapproché de Salomon et Sargon au niveau de l’obtention de son nom. « Sharrukin » est apparemment un nom adopté au moment de l’ascension au trône, « Salomon » semble être le nom de trône de Yedidya (2 S 12,25), et « Moïse » est également un nom « royal », octroyé par la princesse égyptienne.
Le récit de la naissance de Moïse emprunte des motifs de légitimation royale dans le dessein de faire de Moïse un personnage aussi important que le roi fondateur de l’empire assyrien. On pourrait même se poser la question de savoir si la figure de Moïse n’est pas construite comme une alternative à celle de Salomon, notamment en ce qui concerne le motif de l’exil du héros. https://serval.unil.ch/resource/serval:BIB_A0EA57DC3965.P001/REF |
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