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| Moïse médiateur et prophète incomparables ? | |
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Narkissos
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| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Mar 02 Fév 2021, 17:49 | |
| C'est tout à fait clair, et brillant comme d'habitude, mais unilatéral (cf. mon post précédent: Moïse a certainement un aspect "royal" -- même sans Deutéronome 33,5 auquel Römer n'a peut-être pas pensé -- mais il en a beaucoup d'autres). En tout état de cause il y a plein de choses à retenir: les "parallèles" Moïse // David, Salomon, Jéroboam (on ne voit le plus souvent que le taurillon-veau d'or), Josias... les "cornes" qu'on traduit un peu trop vite en "rayons" à cause de la "lumière", alors que toute l'iconographie bovine (de Yahvé comme de 'El ou Baal, dans le taurillon-veau d'or en mauvaise part mais aussi dans le sanctuaire ou temple en bonne part) y reste perceptible; le fait que la mort de Moïse hors de la Terre promise (nécessaire pour la suite de l'histoire, Josué etc.) n'a sans doute été qu'une tradition parmi d'autres; et l'ambivalence de la mort et de l'ascension, dont la résurgence est manifeste dans la littérature tardive. |
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| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Mer 03 Fév 2021, 11:55 | |
| "Or, lorsqu'il contestait avec le diable et discutait au sujet du corps de Moïse, l'archange Michel n'osa pas porter un jugement injurieux, mais il dit : Que le Seigneur te rabroue !" (Jude 1,9)
Notes : Jude 1:9D’après plusieurs sources anciennes, cet épisode aurait été relaté dans le livre de l’Assomption de Moïse, mais le texte correspondant n’a pas pu être reconstitué ; cf. Dt 34.6 ; 2P 2.11 ; un ouvrage slave plus tardif, intitulé Sagesse de Moïse, porte : « (Le diable) dit : Moïse est un meurtrier, il a tué un homme en Egypte (Ex 2.12) et il l’a caché dans le sable. Alors Michel supplia Dieu et il y eut de la foudre et des éclairs. Aussitôt le diable disparut, alors Michel enterra Moïse de ses propres mains. » – diable : voir démon, diable, Satan.
Relation avec l'épître de Jude
Certains auteurs anciens, y compris Gélase (vers 2,21,17) et Origène ( De principiis , III, 2,1 ), citer l' Assomption de Moïse en référence au différend sur le corps de Moïse, appelé dans l' épître de Jude 1: 9 , entre l'archange Michel et le diable . Ce différend n'apparaît pas dans le manuscrit de Ceriani; cela pourrait soutenir l'identification du manuscrit avec le Testament de Moïse , mais pourrait aussi s'expliquer par l'incomplétude du texte (on pense qu'environ un tiers du texte manque). Une autre explication est que Jude compose du matériel provenant de trois sources: traditions juives générales sur Michael comme fossoyeur pour le tout comme dans l' Apocalypse de Moïse contraste avec l'accusation de Michel d' Azazel dans le livre d'Enoch contraste avec l' ange du Seigneur ne réprimandant pas Satan sur le corps de Josué le Souverain Sacrificateur dans Zacharie 3. Cette explication a en sa faveur trois arguments: (1) Jude cite à la fois 1 Enoch 1: 9 et Zacharie 3. (2) Jeshua dans Zacharie 3 est mort - son petit-fils sert comme grand prêtre. Le changement de "corps de Jésus" (orthographe grecque de Jeshua) à "corps de Moïse" serait nécessaire pour éviter la confusion avec Jésus, et aussi pour refléter le contexte historique de Zech. 3 dans Néhémie concernant les mariages mixtes et la corruption dans le «corps» de la prêtrise. (3) L'exemple de Zech. 3 fournit un argument contre la "calomnie des êtres célestes", puisque l'Ange du Seigneur ne fait pas en Zech. 3 ce que Michael ferait dans 1En1. https://fr.qaz.wiki/wiki/Assumption_of_Moses |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Mer 03 Fév 2021, 12:57 | |
| N.B.: c'est aux v. 14s que Jude cite 1 Hénoch 1,9.
"Moïse" lui-même ne joue aucun rôle dans l'argumentation de Jude, dont la pointe (anti-gnostique) vise le rapport (de respect ou de mépris, d'obéissance ou de désobéissance) aux "gloires", aux puissances célestes ou spirituelles, dieux, anges ou démons (y compris dans certains gnosticismes développés le dieu de la création et de la loi), considérées comme des médiations nécessaires OU comme des obstacles illégitimes dans le rapport à la divinité ou archi-divinité originelle.
Plus généralement, "Moïse" occupe une place très variable dans le NT, puisqu'il peut être aussi bien "spiritualisé" dans une logique d'"assomption" plutôt que de mort (avec Elie à la Transfiguration depuis Marc, cf. aussi la Nativité de Jésus selon Matthieu qui imite celle de Moïse selon l'Exode -- donc indirectement celle de Sargon), que dévalorisé ailleurs (p. ex. dans la logique paulinienne de l'épître aux Romains qui oppose la foi d'Abraham à la loi -- mais c'est encore la Torah-livre contre la Torah-loi). |
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| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Mer 03 Fév 2021, 15:47 | |
| Le rôle central et d'intermédiaire de Moïse ? La conclusion de l’alliance entre YHWH et Israël (24,3-
Le déroulement de la cérémonie est passablement complexe du fait que celle-ci entremêle un rituel du sang et un rituel de la parole. Déroulement liturgique. Le texte évoque d’abord les préparatifs (v. 3-4) : le premier engagement du peuple, la mise par écrit, de la main de Moïse, de " toutes les paroles de YHWH ", la construction, par Moïse encore, de l’autel et des douze stèles. Suit alors la célébration solennelle qui inclut divers actes liturgiques : tout d’abord, les jeunes gens (plutôt les " servants ") mandatés par Moïse offrent des holocaustes où tout est brûlé et des sacrifices de communion dans lesquels une part de la victime est offerte à Dieu, une seconde réservée aux prêtres, une troisième revient à l’offrant. Ensuite (v. 6) vient un rite du sang probablement prélevé sur les victimes sacrificielles : après avoir versé la moitié du sang dans des coupes en vue du second temps du rite (v. 7), Moïse en asperge l’autel. Ce rite s’interrompt alors pour laisser place à un rite de la parole : lecture du " livre de l’alliance " par Moïse encore et nouvel engagement du peuple (v. 7). Le tout s’achève sur le second temps du rite du sang (v. où Moïse asperge le peuple tout en prononçant une parole décisive pour la finalité ultime de tout ce déroulement liturgique : " Voici le sang de l’alliance que YHWH a conclue avec vous sur la base de toutes ces paroles ". La célébration sacrificielle répond à deux intentionnalités théologiques : d’une part, les holocaustes où tout est renvoyé à Dieu expriment la reconnaissance de sa seigneurie ; d’autre part, les sacrifices de communion symbolisent et effectuent l’union avec la divinité. Toutefois, cette liturgie ne représente pas le cœur de la cérémonie : ce n’est pas Moïse qui officie mais " les servants ", alors que pourtant il construit l’autel. Les sacrifices constituent donc plutôt un préalable : ils fournissent le sang de l’aspersion, un sang qui, du fait de l’acte d’offrande, reçoit une valeur sacrée. Aspersion du sang de l’alliance. Ce qui est au cœur de l’action, c’est l’aspersion du sang : aspersion de l’autel, aspersion du peuple. Les avis divergent sur l’interprétation de ce geste. Pour les uns, l’autel représente la divinité et, puisque le sang contient le principe vital, puisque " la vie est dans le sang " (Dt 12,23 ; Lv 17,10-14), Dieu et le peuple deviennent une même famille, ils sont " apparentés ". En partageant la même vie, ils se rendent solidaires. À vrai dire, dans la Bible le rite d’aspersion est unique, et, pour appuyer l’interprétation supposée, on fait appel à des analogies trouvées dans le monde arabe préislamique où le sang servait à sceller des alliances entre clans. Mais ces parallèles sont tardifs (1° siècle) et extérieurs à la Bible. En revanche, les livres même de l’Exode et du Lévitique rapportent un geste qui se rapproche beaucoup plus du rite de Ex 24, parce qu’il s’agit d’aspersion de personnes ; c’est celui de l’aspersion des prêtres, Aaron et ses fils, en Ex 29 et Lv 8 où le rite, lui aussi en deux temps, a valeur de consécration : aspersion de l’autel pour le consacrer à YHWH et aspersion des prêtres pour les consacrer à Dieu : " Ainsi seront-ils saints " déclare YHWH (Ex 29,20s ; Lv 8, 24.30). On se rappellera qu’en Ex 19,6, Dieu promet aux fils d’Israël : " si vous gardez mon alliance, vous serez pour moi… un royaume de prêtres, une nation sainte " ; ainsi sont-ils appelés ainsi à entrer dans l’intimité du Dieu saint. De façon analogue, en Ex 24,3-8, le peuple est " consacré " au Seigneur. https://www.bible-service.net/extranet/current/pages/794.html |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Mer 03 Fév 2021, 20:58 | |
| Unique, c'est vite dit: la racine zrq traduite ici par "asperger" ou "aspersion" revient tout de même assez souvent, elle ne s'applique d'ailleurs pas qu'aux liquides (répandre ou disperser des cendres en Exode 9,8ss; des braises en Ezéchiel 10,2; de la poussière en Job 2,12; 2 Chroniques 34,4; des graines en Isaïe 28,25; des cheveux [?] en Osée 7,9), mais avec le sang ou parfois l'eau on la retrouve dans de nombreux rituels, généralement avec l'autel, Exode 29,16.20; Lévitique 1,5.11; 3,2.8.13; 7,2.14; 8,19.24; 9,12.18; 17,6; Nombres 17,18; 19,13.20 (l'eau lustrale du rituel de la vache rousse); 2 Rois 16,13.15 (l'autel "syrien" d'Achaz); Ezéchiel 36,25 (même si c'est "métaphorique" l'image est rituelle); 43,18; 2 Chroniques 29,22; 30,16; 35,11... De plus elle a des synonymes, comme nzh qui est employé tout aussi fréquemment dans les mêmes contextes ou pour des gestes apparemment similaires (Exode 29,21; Lévitique 4,6.17; 5,9; 6,27; 8,11.30; 14,7.16.27.51; 16,14ss etc.). L'aspersion de personnes est également présente, par exemple, dans les rituels de la purification du lépreux (Lévitique 14) ou de l'eau lustrale (Nombres 19). Il paraît donc difficile de s'arrêter sur un "sens" précis (de consécration sacerdotale) quand les mêmes formules peuvent en évoquer tant d'autres (purification, expiation, etc.), et que tous ces "sens" n'ont rien d'incompatible, ni même de nécessairement distinct.
Toute interprétation tend à se superposer au texte, c'est inévitable mais ça suppose un mouvement contraire, par quoi l'interprétation revient au texte et s'efface derrière lui, dans une sorte de danse dont les pas se répètent sans jamais revenir exactement aux mêmes positions. Même un ensemble aussi complexe et accidenté que la Torah, qui ne répond à aucune "intention" parce qu'il cristallise, stratifie ou sédimente trop d'"intentions" pour qu'une seule s'en dégage, n'en produit pas moins de l'effet, en-deçà comme au-delà de toute interprétation qu'il suscite, corrige, réfute, neutralise et relance. "Expliquer" un texte, ce serait en avoir fini avec lui, si le retour au texte, à la lecture et à l'écoute, ne compliquait chaque explication et n'en impliquait de nouvelles. Cela nous éloigne peut-être de "Moïse" mais "Moïse" est aussi un texte à interpréter, à la fois comme "loi" ou "livre" et comme "personnage" ou "figure"; cela vaut pour ceux qui, ostensiblement, écrivent (Moïse-scribe) comme pour ceux qui, tout aussi ostensiblement, n'écrivent pas mais sont écrits (Jésus ou Socrate).
Dernière édition par Narkissos le Jeu 04 Fév 2021, 12:17, édité 1 fois |
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| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Jeu 04 Fév 2021, 11:59 | |
| "Moïse seul s'approchera du SEIGNEUR ; les autres ne s'approcheront pas, et le peuple ne montera pas avec lui. Moïse vint rapporter au peuple toutes les paroles du SEIGNEUR et toutes les règles. Tout le peuple répondit d'une seule voix : Tout ce que le SEIGNEUR a dit, nous le ferons. Moïse écrivit toutes les paroles du SEIGNEUR. Puis il se leva de bon matin ; il bâtit un autel au pied de la montagne, avec douze pierres levées pour les douze tribus d'Israël. Il envoya de jeunes Israélites offrir des holocaustes et des sacrifices de paix au SEIGNEUR, des taureaux. 6.Moïse prit la moitié du sang, qu'il mit dans des bassines ; de l'autre moitié du sang il aspergea l'autel. Il prit le livre de l'alliance et le lut au peuple ; ils dirent : Tout ce que le SEIGNEUR a dit, nous le ferons et nous l'écouterons. 8.Moïse prit le sang et en aspergea le peuple, en disant : Voici le sang de l'alliance que le SEIGNEUR a conclue avec vous sur toutes ces paroles. Moïse monta avec Aaron, Nadab, Abihou et soixante-dix des anciens d'Israël. Ils virent le Dieu d'Israël ; sous ses pieds, c'était comme un ouvrage de lapis-lazuli étincelant, comme le ciel lui-même dans sa pureté. Il n'étendit pas la main sur l'élite des Israélites. Ils virent Dieu, puis ils mangèrent et burent" (Ex 24,2-11)En Ex 24, l’alliance est conclue par un rituel de sang qui permet de créer un lien de sang entre le "peuple" et Dieu soulignant qu’Israël est devenu un royaume de prêtres : "Moïse prit le sang et en aspergea le peuple, en disant : Voici le sang de l'alliance que le SEIGNEUR a conclue avec vous sur toutes ces paroles" (24,. Moïse asperge l'autel et le peuple avec le même sang et il ajoute: "c'est le sang de l'alliance" (24, 6-8)4. Ce rite réalise l'unité entre Dieu (l'autel) et le peuple. La communion est telle que ces hommes peuvent voir Dieu sans mourir. Le peuple s'engage solennellement à la fidélité envers Yhwh (24,3). Notons qu'alors que Le v. 2, veut limiter seulement à Moïse l’accès direct à la divinité, les v. 9-11 indiquent que Moïse, Aaron, Nadab et Abihou, et 70 anciens d’Israël ont le privilège de voir le Dieu d’Israël. C'est Moïse qui est le médiateur de cette alliance.Notes : Exode 24:10de lapis-lazuli étincelant : litt. de brique (cf. 1.14 etc.) de lapis-lazuli (hébreu sappir, d’où vient notre mot saphir, cf. Ap 21.19, mais qui désignait plus probablement à l’origine le lapis-lazuli, une autre pierre également bleue ; le terme se retrouve en 28.18 ; 39.11 ; Es 54.11 ; Ez 1.26+ ; Jb 28.6,16 ; Ct 5.14 ; Lm 4.7). Le mot hébreu correspondant à brique est proche de la racine évoquant la blancheur ou la clarté. Cf. Ez 1.26 ; voir aussi Jb 37.22 ; Ap 4.2s. |
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| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Jeu 04 Fév 2021, 12:37 | |
| Pour redire un peu plus clairement ce que j'ai suggéré dans mon post précédent, je ne suis pas sûr que la scène du chapitre 24 doive se rattacher au projet du "royaume de prêtres" au chapitre 19: c'est une interprétation possible, mais elle ne s'impose pas, et elle serait de toute façon infirmée par la suite du livre qui va consacrer une prêtrise distincte du peuple (qui d'ailleurs n'est pas non plus un "royaume"); outre que la "vision" divine est aussi contredite plus loin, y compris pour Moïse (qui selon les textes voit ou ne voit pas la face de Yahvé). Plus généralement, c'est peut-être un paradoxe de la "médiation" essentiel à la "religion" comme à tant d'autres choses: l'immédiateté suppose les médiations qu'elle nie, et inversement.
Au passage, on peut remarquer que le livre d'Ezéchiel est une des sources majeures du contenu de la Torah, aussi bien dans des récits comme celui-ci que dans les législations rituelles -- alors qu'il ne mentionne jamais Moïse, et que chez lui la torah reste essentiellement sacerdotale (7,26; 22,26; 43,11s; 44,5.24). |
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| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Jeu 04 Fév 2021, 13:45 | |
| "Le SEIGNEUR dit à Moïse : Je vois que ce peuple est un peuple rétif. Maintenant, laisse-moi faire : je vais me mettre en colère contre eux, je les exterminerai, et je ferai de toi une grande nation. .Moïse chercha à apaiser le SEIGNEUR, son Dieu ; il dit : SEIGNEUR, pourquoi te mettre en colère contre ton peuple, alors que tu l'as fait sortir d'Egypte par une grande puissance, par une main forte ? Pourquoi les Egyptiens diraient-ils : « C'est pour leur malheur qu'il les a fait sortir : c'est pour les tuer dans les montagnes et pour les exterminer, pour les faire disparaître de la terre ! » Reviens de ta colère ardente, renonce au mal que tu voulais faire à ton peuple ! Souviens-toi d'Abraham, d'Isaac et d'Israël, tes serviteurs, auxquels tu as dit, en faisant un serment par toi-même : « Je multiplierai votre descendance comme les étoiles du ciel, je donnerai à votre descendance tout ce pays dont j'ai parlé, et ce sera son patrimoine pour toujours. » Alors le SEIGNEUR renonça au mal qu'il avait parlé de faire à son peuple" (Ex 32,9-14) La discussion entre Yhwh et Moïse et l’intercession de ce dernier en 9-14 soulignent le rôle de Moïse comme intercesseur. Le peuple et Dieu, et Moïse au milieu qui, à l'instar d'Abraham, négocie avec Dieu afin que celui-ci revienne sur sa volonté de détruire le peuple D'Israël, au point que Dieu renonce à sa volonté initiale. Moïse n'hésite dans le récit à mettre sa vie en jeu : "Si maintenant tu voulais bien pardonner leur péché... sinon, je t'en prie, efface-moi de ton livre, celui que tu as écrit" (32,32). Le Ps 106,23 nous rapporte : "Il a parlé de les détruire, sauf Moïse, celui qu'il avait choisi, qui s'est tenu sur la brèche devant lui, pour détourner sa fureur et l'empêcher d'exterminer". Un extrait "Le psaume 106 et le Pentateuque" :
Moïse, l’élu
Les versets 13-33 constituent le cœur du Psaume 106, avec au milieu le verset 23, qui évoque le rôle décisif de Moïse, l’élu de yhwh. Grâce à Moïse, yhwh n’a pas exterminé son peuple. Aaron (v. 16) et Pinhas (v. 30) se tiennent à égale distance de Moïse – au niveau du texte, ce sont pour l’un comme pour l’autre sept versets qui les séparent de Moïse, nommé au verset 23.
Le verset 23 évoque la prière d’intercession telle qu’on la trouve aussi dans Ex 32, 11-14, ainsi que dans Dt 9, 25-29. La reprise de cette prière d’intercession est tout à fait originale. L’auteur du Psaume 106 interprète la prière d’intercession de Moïse comme une façon de se tenir dans une brèche, provoquée par la faute du peuple – brèche par laquelle le mal destructeur risque de se déverser sur le peuple. Dans Nombres 25, 10-12, c’est Pinhas qui détourne la fureur de yhwh. Ici, dans le Psaume 106, l’honneur revient à Moïse. Dans le Psaume, le rôle de Pinhas (v. 30) est plus fade. Lui aussi se tient debout mais ce n’est pas pour éviter la destruction du peuple, contrairement à ce que nous raconte Nombres 25.
Si l’on part de l’hypothèse selon laquelle le Psaume connaît Nombres 25, comme nous le pensons, l’auteur du Psaume vise à réhabiliter l’autorité de Moïse. Son autorité dépasse à la fois celle de Pinhas (c’est Moïse qui détourne la fureur de yhwh) et celle d’Aaron, qui pourtant, lui aussi, à un moment, était intervenu afin de faire renoncer yhwh à son projet d’exterminer le peuple. Cela est raconté dans Nb 17, 12-15 : Aaron se tenait, lui aussi, debout – à savoir entre les morts et les vivants, pour arrêter un fléau. Ainsi, dans le Psaume 106, Moïse englobe, tout en les incarnant, les interventions salutaires à la fois d’Aaron et de Pinhas, telles qu’elles ont été répercutées dans le livre des Nombres.
La prééminence de Moïse est également soulignée par le titre élu, dont le dote le Psaume 106. Il est sûrement significatif de voir que dans le Psaume qui clôt le troisième livre du Psautier, ce même titre qualifie le roi David (Ps. 89, 4). Ici, dans le Psaume 106, c’est Moïse l’élu (le Psaume 106 clôt ainsi le quatrième livre du psautier, qui commence une prière de Moïse, le Psaume 90). Par ce qualitatif, la figure de Moïse revêt un caractère messianique (cf. Es. 42, 1). https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2010-2-page-233.htm |
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| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Jeu 04 Fév 2021, 15:43 | |
| Bon article, assez simple et clair pour illustrer la difficulté de toutes les comparaisons de textes (mal) dits "parallèles": non seulement on ne sait jamais a priori lequel est le plus ancien ou le plus récent (donc lequel peut inspirer, influencer OU modifier ou corriger l'autre), mais encore ce rapport chrono-logique peut s'inverser d'un morceau ou d'une strate rédactionnelle de chaque texte à l'autre, tant qu'aucun des deux n'est définitivement fixé. C'est ainsi que les schémas finissent par se compliquer avec des flèches dans tous les sens, et que le jeu ressemble davantage à un jonglage qu'à un puzzle, puisque tous les éléments sont et restent mobiles.
L'idée de "ré-habiliter" (etc.) Moïse (les auteurs de l'article sont parfois plus prudents en mettant entre parenthèses les préfixes re-, r-, ré-) suppose toutefois que celle-ci aurait déchu à partir d'une position plus élevée, ce qui ne me paraît pas évident: il me semble que globalement la figure de Moïse (et de la Torah) gagne en importance tout au long de l'époque perse et hellénistique; différemment, inégalement d'un texte à l'autre, et avec des contre-tendances dans certains milieux, mais il me semble que les représentations les plus exaltées (roi, élu, archi-prêtre, "médiateur", quasi-dieu) se trouvent plutôt au bout des branches ou bras d'une évolution diversifiée ou ramifiée qu'à ses origines (où Moïse peut être représenté comme un "prophète" assez ordinaire). |
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| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Jeu 04 Fév 2021, 16:57 | |
| - Citation :
- Au passage, on peut remarquer que le livre d'Ezéchiel est une des sources majeures du contenu de la Torah, aussi bien dans des récits comme celui-ci que dans les législations rituelles -- alors qu'il ne mentionne jamais Moïse, et que chez lui la torah reste essentiellement sacerdotale (7,26; 22,26; 43,11s; 44,5.24).
La « Torah d’Ézéchiel »Cette Torah diffère considérablement de la Torah mosaïque tout en ayant de nombreux points de contact. Dans une lecture linéaire du texte, la première différence d’importance qui apparaît concerne l’immolation des animaux du sacrifice. En effet, dès Ez 40, où le temple idéal est décrit en commençant par l’enceinte du temple, son parvis extérieur et les salles attenantes, il est question du lieu d’égorgement des victimes. Or, il ne s’agit pas du parvis intérieur et de l’autel mais d’une salle du parvis extérieur dans laquelle on est censé laver et égorger les holocaustes sur des tables de pierre : « sur les tables se trouvaient les viandes offertes » (Ez 40,43). Autrement dit, dans la conception sacrificielle de ce texte, sacrifier ne consistait pas à immoler l’animal devant la divinité mais à lui offrir seulement de la nourriture carnée. C’est pourquoi il importe d’insister ainsi sur la boucherie et les cuisines (Ez 46,19-24) du temple, la table étant aussi importante que l’autel. Dans le temple proprement dit, c’est-à-dire la maison du dieu, l’autel (mizbéaḥ) est d’ailleurs appelé « table » (šulḥān). Dans la Torah, l’intérieur du temple dissocie la table du pain d’offrande (Exode 25,23-30) et, dans un second temps, de l’autel des parfums (Ex 30), formant au final un mobilier complexe (Ex 37). Surtout, le sacrifice animal se caractérise par l’immolation devant Yhwh (Lévitique 1) avec force aspersions de sang (Ex 24). Du point de vue de l’organisation du sanctuaire, la Torah d’Ézéchiel reflète sans doute une influence babylonienne.
La description du temple se poursuit en détail et semble se terminer en Ez 43,12 avec cette scansion : « Telle est la loi du temple » (tôrat habbāyit). C’est pourquoi l’on peut légitimement se demander si ce qui suit n’a pas été ajouté ultérieurement, ce qui nous amènerait à penser que l’autel sacrificiel n’ait pas été, dans un premier temps, considéré comme primordial. Il reste que l’autel décrit est proprement monumental, correspondant bien plus dans son esprit à une ziggourat mésopotamienne qu’à un traditionnel autel sacrificiel ouest-sémitique. En effet, les dimensions, qu’il s’agisse de l’aire elle-même comme de la hauteur, font de cet autel un véritable monument sur lequel des hommes pourraient vaquer à loisir après avoir monté l’escalier3. Ce n’est donc pas un autel à hauteur d’homme comme en Exode 27 car aux 3 coudées (environ 1m50) de ce dernier correspond une structure tripartite de la base à son sommet : 2 coudées + 4 coudées + 4 coudées, soit 10 coudées, c’est-à-dire plus de 5,20 mètres étant donné, en outre, que la coudée d’Ézéchiel est la coudée royale (43,13) : une coudée (45 cm) + un palme (7,5 cm). Il en va de même pour sa superficie puisque l’autel de la Torah mosaïque est de 5x5 coudées alors que celui de la Torah d’Ézéchiel a une superficie à la base de 14x14 coudées royales et de 12x12 au sommet. Un tel autel n’est donc pas adapté pour recevoir des sacrifices et encore moins les rites de sang devant s’appliquer sur ses cornes au sommet, sur les angles du socle (pinnôt hā‘ăzārāh), donc à la base, et même sur tout le tour du rebord (Ez 43,20). Les rites assez similaires requis dans la Loi lors de l’inauguration de l’autel (Ex 29) ne posent évidemment aucun problème étant donné les dimensions réduites de cet autel. Il faut ajouter, surtout, que la Torah d’Ézéchiel ne mentionne jamais le feu de l’autel, oubliant donc de préciser comment les holocaustes pourront être brûlés. La description du temple d’Ézéchiel se terminant par la mention et la description de la source d’eau douce émanant de son sol (Ez 47), on peut avec assez de certitude en déduire qu’il s’agit bien d’une conception mésopotamienne avec cette référence à l’Apsû, l’océan souterrain. Ainsi, si le feu perpétuel de la Torah (Lv 6,6) est bien d’inspiration perse4, s’ajoutant donc à des conceptions ouest-sémitiques traditionnelles – autel à cornes, symbolisant à l’origine celles des bovins sacrifiés –, l’absence d’un tel feu sur un autel monumental – qui conserve malgré tout et paradoxalement ses cornes –, dans un temple où la boucherie supplante l’acte d’immolation, montre assez comme la Torah d’Ézéchiel est d’inspiration babylonienne. https://journals.openedition.org/asr/1343?lang=en |
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| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Jeu 04 Fév 2021, 18:24 | |
| N.B.: quand je parlais de "torah" (sans majuscule et en italiques) dans le livre d'Ezéchiel, toutes parties confondues, je parlais des occurrences du mot hébreu, indépendamment de sa référence qui varie selon le contexte (de l'instruction ponctuelle ou habituelle au code complexe, mais toujours "sacerdotal"); et par "Torah" (avec majuscule et en caractères romains, c.-à-d. droits) j'entendais celle (dite) de Moïse (loi ou livre = Pentateuque). En parlant de "Torah d'Ezéchiel", Lemardelé se réfère à la section distincte des chapitres 40ss, par extrapolation conventionnelle de la formule de 43,12 ("torah = loi de la maison" = "du Temple").
Il y a plein d'idées intéressantes dans ce court article, à commencer par celle d'un "yahwisme" englobant "judaïsme" (c.-à-d. religion des Judéens centrée sur Jérusalem et la communauté de retour d'exil, donc chargée aussi d'influences "babyloniennes", mais moins que la diaspora restée en Mésopotamie) et "samaritanisme" (c.-à-d. religion de l'Israël non exilé, alias "peuple(s) du pays", avec sans doute des influences assyriennes antérieures mais essentiellement dans la continuité des royaumes d'Israël puis de Juda, et plus largement de la culture du Levant). Ce n'est a priori qu'une distinction terminologique, formelle et conventionnelle, mais elle me semble très utile: judaïsme et samaritanisme, selon ces définitions, sont en effet séparés d'un point de vue politique sous l'empire perse (Samarie et Jérusalem sont des "capitales" de "provinces" autonomes et concurrentes, cf. Esdras-Néhémie), et en tension d'un point de vue religieux (temple de Garizim vs. Jérusalem par la suite), mais la Torah (dite de Moïse) reflète quand même un certain accord, et sans doute une négociation entre les deux groupes dans un premier temps -- le "Pentateuque samaritain" reste "le même livre" que la Torah judéenne (pré-massorétique ou autre), malgré des différences non négligeables. On comprendrait ainsi que le livre d'Ezéchiel, à certaines étapes au moins de sa rédaction, ait autant marqué la Torah dans ces deux "éditions", tout en se développant lui-même de façon autonome, peut-être dans la diaspora mésopotamienne avant sa reprise judéenne (et non samaritaine puisque le "canon" samaritain s'arrête à la Torah).
A ce propos, on peut noter que "Moïse" (mais aussi "Aaron" par opposition à "Tsadoq") va compter davantage dans la réplique samaritaine aux "messianismes" judéens, que ce soit dans la version pharisienne centrée sur David, l'oint (mashiah-khristos) royal et "laïque", ou même dans la version sacerdotale "sadocide" (Qoumrân etc.), toutes deux étroitement liées à Jérusalem: le "Ta'eb" ou "restaurateur" samaritain semble être essentiellement un "instructeur", à l'instar du prophète-comme-Moïse ou du prêtre à l'ancienne (on peut en discerner des échos dans le dialogue avec la Samaritaine en Jean 4, le "Messie" est en l'occurrence surtout un prophète, quelqu'un qui sait et qui dit); il est d'autre part géographiquement rattaché au nord, donc aux "tribus" de Joseph-Ephraïm (comme Josué-Jésus d'ailleurs).
Réflexion beaucoup plus générale en rapport avec une "figure" comme "Moïse": en simplifiant la "divinité" au point de la rendre impossible à décrire et à raconter, la monolâtrie et le monothéisme ont considérablement enrichi la description et le récit des personnages "humains", surhumains ou semi-divins. Bien sûr il y a déjà des "héros" et des "demi-dieux" dans la littérature polythéiste (Gilgamesh, Ulysse, Héraklès, etc.), mais la disparition de la scène proprement divine avec ses dieux distincts et en interaction "dramatique" concentre la lumière sur la scène "humaine" et l'agrandit, avant que celle-ci se reflète à nouveau dans le quasi-divin angélique ou démoniaque où resurgit autrement l'ancien polythéisme. |
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Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Ven 05 Fév 2021, 14:28 | |
| "Moïse descendit du mont Sinaï : les deux tablettes du Témoignage étaient dans la main de Moïse lorsqu'il descendit de la montagne ; Moïse ne savait pas que la peau de son visage s'était mise à rayonner lorsqu'il avait parlé avec lui. Aaron et tous les Israélites regardèrent Moïse : la peau de son visage rayonnait, et ils avaient peur de s'approcher de lui. Moïse les appela : Aaron et tous les princes de la communauté vinrent auprès de lui, et Moïse leur parla. .Après cela, tous les Israélites s'approchèrent, et il institua pour eux tout ce que le SEIGNEUR lui avait dit sur le mont Sinaï" (Ex 34,29-32).
Notes : Exode 34:29rayonner : le verbe hébreu ainsi traduit est de la même racine que le mot habituellement rendu par corne, qui peut aussi désigner un rayon de lumière (cf. Ha 3.4). La version latine (Vg) a employé ici le mot cornutus, d’où la représentation traditionnelle de Moïse cornu. Il est toutefois à noter que le dieu Baal est parfois représenté avec un casque portant deux cornes, symbolisant la force et la virilité de la divinité
Au moment de l’alliance renouvelée, Moïse apparaît avec des « cornes ». A-t-il pris la place du taureau ? D’une certaine façon, c’est le cas ; il est le médiateur visible entre Yhwh et Israël ; il n’est certes pas la représentation de Yhwh, mais il demeure définitivement son meilleur représentant.
Pour quelle raison le rédacteur du chapitre 34 du livre de l’Exode a-t-il pu avoir l’idée d’imaginer un Moïse cornu descendant du mont Sinaï ? Pour cela, il faut s’intéresser au contexte littéraire de cet épisode, qui est celui de la célèbre histoire du veau d’or. À cause de la longue absence de Moïse séjournant au sommet de la montagne de Dieu, les Israélites avaient décidé de se fabriquer un support pour rendre visible le dieu qui les avait fait sortir du pays d’Égypte, et ceci sous la forme d’un jeune taureau. Le taureau est dans le Levant une manière courante de représenter notamment les dieux de l’orage. En se construisant une image bovine de leur dieu Yahvé, les Hébreux contreviennent, selon cette narration, à une interdiction fondamentale du décalogue promulgué après leur arrivée au mont Sinaï, l’interdiction de la représentation du divin. C’est pour cette raison que Moïse à son retour détruit les tables de la loi et le veau d’or. Mais, ensuite, il remonte vers Yahvé pour obtenir le renouvellement du traité que Dieu avait auparavant conclu avec les Israélites. Lorsqu’il descend avec les nouvelles tables de la loi, les Israélites découvrent un Moïse cornu, sans que lui-même se soit rendu compte de cette transformation.
Les cornes, dans l’iconographie du Proche-Orient ancien, sont une manière courante d’exprimer la force d’un dieu ou d’un roi qui le représente. Ainsi les cornes de Moïse expriment-elles une proximité inégalée entre Yahvé et Moïse. Cette proximité est d’ailleurs réaffirmée dans l’épitaphe du Pentateuque : « Plus jamais ne s’est levé en Israël un prophète comme Moïse, lui que Yahvé a connu face à face » (Deutéronome 34, 10). On peut encore aller un peu plus loin et se demander si Moïse a pris la place du veau d’or, du taureau dont les cornes constituent un trait caractéristique. D’une certaine façon, c’est en effet le cas puisque Moïse est le médiateur visible entre Yahvé et Israël. Il n’est certes pas la représentation du Dieu d’Israël, mais il demeure définitivement son meilleur représentant. Se trouve affirmé de cette manière le statut tout à fait particulier de Moïse, sans qui il n’y aurait jamais eu de judaïsme. Il faut donc réhabiliter les cornes de Moïse ; mais cette démarche doit nécessairement s’accompagner d’un effort herméneutique, car pour la plupart de nos contemporains un personnage doté de cornes évoque des associations négatives, pour ne pas dire diaboliques. Dès lors, on ne peut se contenter de traduire « la peau du visage de Moïse était devenue cornue » sans assortir cette traduction d’une explication sur le contexte socio-historique dans lequel est née l’idée d’un Moïse coiffé de cornes. L’enseignement et la compréhension de la Bible reposent tout d’abord sur une connaissance et une intelligence des milieux dans lesquels les différents textes de cette bibliothèque ont vu le jour. https://books.openedition.org/cdf/163?lang=fr |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Ven 05 Fév 2021, 15:29 | |
| Histoire très amusante, parce qu'elle occupe deux millénaires et demi et qu'à chaque fois celui qui croit avoir compris se moque plus ou moins gentiment du précédent qui n'aurait pas compris comme lui a compris: mépris et/ou condescendance du grec par rapport à l'hébreu, de la Vulgate et de son hebraica veritas par rapport à la Septante, de l'humanisme de la Renaissance par rapport à la Vulgate puis du protestantisme par rapport au catholicisme, de chaque lexicographie sur la précédente, de l'"équivalence dynamique" sur la "correspondance formelle", et de l'"histoire des religions" sur la linguistique... le propre du jeu de "l'arroseur arrosé" étant de ne jamais finir, ça ne demande qu'à se retourner. C'est encore mieux trouvé qu'il n'y paraît pour une leçon inaugurale au Collège de France, quand il s'agit de s'inscrire dans une tradition qui vit de se retourner constamment sur elle-même, sans jamais revenir exactement au même point ni sur ses pas...
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Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Ven 05 Fév 2021, 16:49 | |
| Moïse doit sa célébrité aux textes de l'Ancien Testament. Il y est présenté comme le chef qui a conduit les Israélites hors d'Égypte et leur a donné leur loi, la Tōrah. Ce sont, en effet, les livres de la Tōrah (Pentateuque) qui, de l'Exode au Deutéronome, parlent le plus de Moïse. Le livre des Juges le mentionne rarement, mais il nous apprend que la famille de Moïse exerça le sacerdoce dans la tribu de Dan jusqu'au viiie siècle. Les rares mentions des livres prophétiques aident aussi à situer les traditions mosaïques. Pour Osée (milieu du viiie s. ; Nord), Moïse, sans être nommé, est le prophète qui a fait sortir Israël d'Égypte et l'a « gardé » (xii, 14). Pour Michée (fin du viie s. ; Juda), Moïse a été envoyé par Dieu au même titre que Myriam et Aaron pour sortir le peuple d'Égypte (vi, 4). Pour Jérémie (xv, 1 ; fin du viie s. ; Jérusalem), Moïse est, comme Samuel, un intercesseur pour le peuple devant le Dieu national. Ni le prophète Isaïe, ni le livre d'Ézéchiel, tous deux de Jérusalem, ne font référence à lui. C'est donc dans les tribus du Nord que la tradition mosaïque a été la plus vivace. Moïse n'est connu ni des textes hiéroglyphiques, ni des textes cunéiformes, ni des inscriptions ouest-sémitiques actuellement découvertes. Hérodote, chez les Grecs (ve s. av. J.-C.), ne s'intéresse ni aux Juifs ni à Moïse. Diodore de Sicile (ier s. apr. J.-C.) reconnaît Moïse comme un grand législateur. L'historien égyptien Manéthon, qui, au iiie siècle avant J.-C., écrit pour les Grecs, paraît au contraire avoir une tradition indépendante défavorable aux Juifs expulsés d'Égypte comme impurs, tels les envahisseurs hyksos de la première moitié du IIe https://www.universalis.fr/encyclopedie/moise/ |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Ven 05 Fév 2021, 17:27 | |
| Enquête digne du commissaire Bougret (Gotlib toujours)...
On n'en saura pas plus, mais ça suffit largement pour illustrer que moins on dispose de données, plus il est facile de les faire parler et de leur faire dire n'importe quoi sans risque d'être réfuté: la glose de Juges 18,30, qui songe in extremis à donner une généalogie au lévite du chapitre 17, le prophète anonyme du texte non moins douteux d'Osée dont on a déjà parlé, et une ou deux références du même acabit suffisent à fabriquer l'image d'un Moïse-du-Nord dont le rapport à l'Egypte (au sud) devient énigmatique, à défaut de prouver quoi que ce soit. Mais c'était le pari de l'Universalis que de jouer l'originalité contre le consensus, qui est plutôt ce que l'utilisateur attend d'une encyclopédie... |
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| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Sam 06 Fév 2021, 09:37 | |
| Les deux versions de la vocation de Moïse (Ex 3-4 et 6) A. Moise, le premier prophète (Ex 3-4 = "D") La version dtr de la vocation de Moïse se trouve dans la version primitive d'Ex 3,1-4,18 qui a été insérée dans un texte plus ancien qui courait de 2,23a ("au cours de cette longue période, le roi d'Egypte mourut") à 4,19 ("Yhwh dit à Moïse en Madian: va, retourne en Egypte car ceux qui en voulaient à ta vie sont morts"). Pour la version dtr de la vocation de Moïse, il importe avant tout de présenter celui-ci comme le premier prophète ou appelé de Dieu, de sorte que sa vocation est construite à l'aide du schéma: appel, mission (va, je t'envoie vers Pharaon! 3,10), objection à l'appel (v.11), assurance d'accompagnement ("je suis avec toi", v. 12), et signe légitimant l'appel (v.12, cf. aussi les différents signes développés en Ex 4). Ce même schéma se trouve notamment dans les récits de vocation de Jérémie (Jr 1) et d'Ezéchiel (Ez 2), et à l'intérieur de l'historiographie dtr pour Gédéon (Jg 6). Moïse apparaît donc dès le début de sa carrière comme le médiateur par excellence, qui à l'instar des autres prophètes n'a pas cherché cette gloire qui lui fut imposée par Yhwh. Dans la logique du Dt (cf. Dt 18), Moïse est donc le premier d'une série de prophètes que Dieu enverra à son peuple, mais que le peuple a constamment du mal à accepter comme envoyé de Dieu. Cette conception théologique de l'envoi et du rejet constant des prophètes de Dieu joue un rôle important dans l'édition dtr du livre de Jérémie et se retrouve encore dans le NT, notamment chez Luc, qui présente Jésus comme le dernier de cette série prophétique. Il est également significatif que Moïse n'est nullement mis en scène comme un super-héros. Lorsqu'il objecte, dans un deuxième "round", qu'il a la bouche lourde (4,10), Dieu ne lui enlève pas ce handicap mais promet son assistance malgré ce manque formulé par Moïse ("je suis avec ta bouche", 4,12). Moïse, ou l'appelé en général, doit donc apprendre à s'accepter tel qu'il est.La version sacerdotale de la vocation de Moïse (Ex 6 = "P") En Ex 6,3 Dieu se présente à Moïse en disant: "Je suis apparu à Abraham, à Isaac et à Jacob comme El Shadday (le Dieu puissant), mais sous mon "Yhwh", je ne me suis pas fait connaître à eux". Ces textes expriment clairement l'idée que Yhwh n'a pas été dès l'origine le Dieu d'Israël. Ce qui signifie que la relation entre Israël et son Dieu est le fruit d'une rencontre, rencontre qui se reflète dans les récits bibliques de la révélation divine au Sinaï. La version sacerdotale de la vocation de Moïse en Ex 6,2-8 n'appartient pas au genre littéraire du "récit de vocation". Il s'agit plutôt d'un "Disputationswort" (cf. J.L. Ska), d'un oracle de dispute qui se trouve notamment dans le livre d'Ez (cf 20,1ss et 11,1ss), et qui a pour fonction de répondre à une objection. En effet, Ex 6 est placé après le premier échec de Moïse où Pharaon est renforcé dans sa position et Israël souffre davantage. La balle est donc dans le camp de Dieu, et il réagit en Ex 6,2-8 par la forte affirmation de sa seigneurie: "Je suis Yhwh" - cette formule encadre doublement le discours divin (v.2//8; 6//7). A l'intérieur de ce cadre se trouvent deux rappels des Patriarches (v.3 et . Au milieu du texte, l'annonce de la libération est exprimée à l'aide de trois verbes: gaíal (racheter) - laqakh (prendre [pour peuple]) - hayah (être [Dieu]). Ces trois termes ont quelque chose en commun: ils appartiennent tous, dans une certaine mesure, au vocabulaire de la famille. Le go'el est selon Lv 25,47-54 le parent le plus proche, celui qui doit racheter un membre de la famille réduit en esclavage. Dieu est donc considéré ici comme le parent d'Israël et ceci en vertu de l'alliance conclue avec les patriarches. Nous avons donc ici une conception assez différente de celle d'Ex 3. Pour P, il existe un lien de parenté entre Dieu et son peuple. Le rappel des Patriarches renforce cette conception familiale, généalogique, différente de celle d'Ex 3-4 où l'accent se trouvait sur l'aspect vocationnel, prophétique. La pensée familiale est également présente dans les deux autres verbes: "prendre pour" est une expression qui signale l'introduction d'un nouveau membre dans une famille: une épouse (Gn 12,19; Ex 2,1), une fille (Est 2,7.15), un esclave (2R 4,1). De même, l'expression "hayah le" peut décrire l'adoption (cf. celle de Moïse par la fille du Pharaon, Ex 2,10). Ainsi Ex 6 n'est pas un simple doublet d'Ex 3-4. L'école sacerdotale interprète ici, via un discours divin adressé à Moïse, la libération de l'esclavage égyptien comme adoption d'Israël par Yhwh et c'est le souvenir de l'alliance patriarcale qui est le moteur de cette histoire de Yhwh avec Israël. http://www.unige.ch/theologie/distance/cours/ats3/lecon4/lecon4.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Sam 06 Fév 2021, 11:24 | |
| Cf. supra 1.2.2021.
J'ajouterais que le vocabulaire "familial" (mariage, reconnaissance ou adoption d'enfant, héritage ou succession, go'el = ayant-droit et ayant-cause, pour la vengeance du sang comme pour le rachat) n'a pas grand-chose de "sacerdotal": selon nos catégories il relèverait plutôt du "juridique" et plus précisément du "droit civil", "profane" et "privé", qui ne concerne pas ou très marginalement la prêtrise (même la législation fictive ou "idéale" des "villes de refuge" qui sont aussi "lévitiques", sinon "sacerdotales", à la fin du Lévitique, l'illustre par le fait que la zone plus ou moins "sacrée" est celle qui sert d'"asile" pour échapper au droit privé, comme ailleurs le temple ou l'autel). Comme par ailleurs Römer s'est intéressé plus récemment aux traits "royaux" du personnage de Moïse (cf. supra 2.2.2021), on pourrait aussi relever des analogies dans le traitement "prophétique" au sens large de la nation ou de la ville "épousée" ou "répudiée", "adoptée" (adopté ou engendré, le roi l'est expressément dans la tradition davidique, de 2 Samuel 7 au psaume 2 etc., comme dans bien d'autres monarchies du Proche-Orient ancien), "vengée" ou "rachetée", etc. |
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| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Dim 07 Fév 2021, 10:02 | |
| La finale du Deutéronome recourt au mot "Torah" pour désigner d'une manière globale l'ensemble des paroles prononcées par Moïse... La finale du Deutéronome recourt au mot Torah pour désigner d’une manière globale l’ensemble des paroles prononcées par Moïse. « Alors, lorsque Moïse eut achevé d’écrire les paroles de cette Torah… » (Dt 31,24) et, plus loin, « Il leur dit : “Prêtez attention à toutes les paroles que moi je prends à témoin aujourd’hui contre vous. Vous prescrirez à vos fils de garder et de mettre en pratique toutes les paroles de cette Torah” » (Dt 32,46).
Ces mots de Moïse concluent non seulement le Deutéronome, mais l’ensemble du Pentateuque que le lecteur est ainsi invité à considérer comme une Torah. Comment interpréter ce terme ?
1. La Torah, définition
Dans la Bible hébraïque, Torah peut désigner une loi, une prescription isolée et ponctuelle, ainsi par exemple en Lv 6,2.7.8 ; 7,1 ; Nb 6,13. Ailleurs, Torah renvoie à une collection plus étendue de prescriptions législatives (cf. Lv 11,46 ; 26,46). Enfin, Torah peut avoir un sens plus complexe, plus théologique. Le récit de 2 R 22–23 relate la découverte d’un « livre de la Torah » (2 R 22,8.11) dans le Temple durant le règne de Josias (2 R 22,8.11), livre désigné également comme « livre de l’alliance » (2 R 23,2.21) et qui correspond probablement au noyau ancien du livre du Deutéronome . La Torah, selon ce récit, représente donc le document où s’exprime l’alliance, le lien privilégié unissant Dieu à son peuple. C’est également dans cette dernière acception que Torah est utilisé dans l’introduction du Deutéronome : « …Moïse se mit à leur [Israël] exposer la Torah que voici » (Dt 1,5). Torah désigne ici l’ensemble du livre, qui associe des récits et des lois. Les récits disent les hauts faits de Yhwh (C’est ainsi que sera transcrit dans ce Dossier le nom divin [tétragramme sacré] habituellement traduit par Le Seigneur. L’adjectif « yahviste » en est un dérivé) en faveur d’Israël, et les lois, ce à quoi s’engage Israël dans le cadre de l’alliance avec son Dieu. En tant que Torah, le Pentateuque met donc en relation l’histoire d’Israël présentée comme une histoire de salut et de libération dont l’initiative revient à Yhwh, et par ailleurs les lois, les prescriptions qu’Israël s’engage à respecter en réponse au don de Dieu. Le terme Torah apparaît ainsi dans sa complexité théologique : dans le cadre théologique de l’alliance, il associe d’une part le récit du don de Dieu, qui emprunte les catégories théologiques de la création et du salut et, d’autre part, les modalités de la réponse d’Israël, appelé à mettre en pratique les lois qui lui sont données. https://www.bible-service.net/extranet/current/pages/1221.html |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Dim 07 Fév 2021, 11:57 | |
| Le glissement du législatif au narratif et leur subsomption (enveloppement, juxtaposition, totalisation, récapitulation ?) dans l'écriture (livre, corpus, canon) sont un des moments les plus intéressants de la trajectoire de la torah-Torah (le mot, le sens et la chose, l'instruction, la loi, le code, le livre): c'est en effet évident dès le Deutéronome qui commence et finit par du récit (de Moïse qui raconte, oralement par écrit, à Moïse raconté comme il est enseveli ou recueilli, corps et corpus, sur la bouche de Yahvé), ça l'est a fortiori avec l'intégration des nombreux récits de la Torah-livre, à commencer par la Genèse qui n'a quasiment rien de législatif -- et pourtant à partir de là un caractère "normatif", avec l'"autorité" supposée de l'"auteur" Moïse qui n'est pourtant jamais indiqué comme tel, s'impose même aux récits, que "Moïse" en soit ou non un "personnage"; tandis que le caractère d'origine de la Genèse (comme son nom, du moins grec, l'indique, mais tout autant le "commencement", re'shit ou arkhè, de l'incipit) se communique en retour à "Moïse" comme "auteur-fondateur" absolu d'un récit qui pourtant le précède et lui succède, comme le Dieu ou le livre qui l'enchâsse, telle la sépulture introuvable.
Dernière édition par Narkissos le Lun 08 Fév 2021, 11:33, édité 1 fois |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Lun 08 Fév 2021, 11:24 | |
| Mais Moïse n’est pas seulement «l’homme au corps blessé». C’est aussi un homme à l’identité trouble. Une lecture attentive du texte de l’Exode (2, 10) montre que «Moïse ne tient pas son nom de son père, de sa mère ou de Dieu, mais d’une femme étrangère, d’une Égyptienne». Plus tard, le petit-fils adoptif de Pharaon deviendra le gendre de Jéthro, en épousant Séphora la Madianite… Qu’une Égyptienne donne son nom à Moïse, le fait qu’il convole avec une fille d’un prêtre idolâtre étranger, voila autant de difficultés que la tradition rabbinique a cherché à gommer par diverses explications, certes plus ou moins convaincantes, mais sur lesquelles un esprit moderne occidental aurait tort de passer trop vite à cause de la liberté et de l’audace interprétatives dont elles témoignent.Plus étonnant encore, dans le texte biblique, le prophète est désigné en des moments de découragement comme s’il était une femme! «Cet affleurement du” féminin” en Moïse ne laisse naturellement pas d’être ambigu. Associé à la maternité, il est accès de faiblesse. C’est quand Dieu le fait mère, et quand sa force le quitte, que Moïse devient femme», écrit l’auteur à la lumière des écrits de Rashi et de son «surcommentateur», Élie Mizrahi. «Au-delà de la force de Moïse, il y a donc bien une faiblesse, une fragilité. Mais cette faiblesse et cette fragilité sont une force plus grande encore. Moïse n’est finalement jamais plus grand que aussi son renoncement à être Moïse. Et jamais plus homme que lorsqu’il est aussi femme», écrit-il encore. https://www.la-croix.com/Culture/Livres-Idees/Livres/Moise-le-prophete-de-l-inachevement-2015-04-29-1307636 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Lun 08 Fév 2021, 13:13 | |
| La revue de livres est trop sommaire pour qu'on sache d'où vient ce "féminin" -- il faudrait lire Attias (et Abécassis): ce peut être de "métaphores" (il y en a bien pour un Yahvé "maternel", je n'en vois pas instantanément pour Moïse mais ça me reviendra peut-être*) ou de subtilités grammaticales (les accords de "genre" des pronoms, des adjectifs ou des verbes varient plus en hébreu qu'en français, et l'exégèse rabbinique extrapole souvent sur ce type de détail). Quoi qu'il en soit, la lecture que nous pouvons faire de ce genre (!) de chose restera forcément plus marquée par notre contexte (crise contemporaine du "genre" en tout genre) que par les textes eux-mêmes, médiévaux ou antiques.
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*P.S.: Ayé ! Nombres 11,12 ! ("A mesure que je deviens vieux / je m'en aperçois mieux / j'ai le cerveau qui flanche Soyons sérieux disons le mot / c'est même plus un cerveau / c'est comme de la sauce blanche" Boris Vian, La java des bombes atomiques)
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De façon un peu plus générale (encore du genre), "Moïse" noue dans son propre nom et son propre personnage une relation complexe entre "D/dieu" et "l'écriture": homme de D/dieu et homme du livre par qui il y a un livre de D/dieu et un D/dieu du livre, qui lui-même écrit (les Dix commandements ou le livre de vie). Personnage d'écriture (on pourrait dire de papier, si la formule n'était pas anachronique quant au support et péjorative par sa connotation) en plus d'un sens, il paraît à la fois insaisissable (pas plus épais que la page, comme on dit parfois en anglais pour parler d'un personnage de fiction auquel il est vain de chercher une "histoire" ou une "psychologie" hors du texte) et immense, aussi près et aussi loin de "D/dieu" que "l'homme", et de "la vie" que de "la mort". C'est à la fois unique et extrêmement banal: quiconque écrit -- même "sur Internet" -- se trouve instantanément projeté dans les mêmes ambivalences, étant à la fois lui-même et tout autre que lui-même, dans son identité, son genre, son espèce, son temps et son lieu, sa culture et sa langue et hors de tout cela, infiniment lisible et traduisible, méprises comprises et même garanties... |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Lun 08 Fév 2021, 16:20 | |
| - Citation :
- P.S.: Ayé ! Nombres 11,12 !
("A mesure que je deviens vieux / je m'en aperçois mieux / j'ai le cerveau qui flanche Soyons sérieux disons le mot / c'est même plus un cerveau / c'est comme de la sauce blanche" Boris Vian, La java des bombes atomiques) Notes : Nombres 11:12sur ton sein Rt 4.16 ; cf. Gn 16.5n. – la nourrice ou le tuteur ; le terme hébreu correspondant désigne peut-être, plus particulièrement, celui ou celle qui s’occupe d’un bébé sans l’allaiter (nourrice sèche) ; même terme en 2R 10.1,5 (précepteurs) ; Es 49.23 (nourriciers) ; termes apparentés en 2S 4.4 ; Es 60.4 (portées sur la hanche) ; Pr 8.30n ; Rt 4.16 ; Est 2.7 (tuteur) ; cf. Dt 1.31 ; Os 11.3.Pas de femme étrangère … sauf pour MoïseVoici donc notre exemple, qui occupera une moitié de notre exposé : Moïse et Séphora. Moïse, en Deutéronome 7, 1-6, interdit au nom de Dieu les mariages des Israélites avec des conjoints étrangers ; pourtant il a lui-même convolé avec une femme étrangère, Séphora la Madianite (Exode 2). Il est loisible de mettre cette contradiction sur le compte de l’histoire du texte : les affaires matrimoniales du législateur d’Israël émaneraient d’autres sources que celles dont le Deutéronome se fait l’écho. Il n’en reste pas moins vrai que les auteurs et rédacteurs de la Torah ont placé, dans la même architecture textuelle, ces passages apparemment dissonants. Un tel agencement invite à une réflexion qui prenne en compte toutes les données du problème plutôt qu’à un démontage qui prétendrait montrer que le problème ne se pose pas vraiment ; ce démontage dissout en fait la réalité même du texte en tant que tissage consenti d’éléments qui font sens s’ils sont appréhendés ensemble.On s’aperçoit de fait que le mariage de Moïse occupe, dans l’Exode et les Nombres, une place non négligeable. Si, comme certains le disent aujourd’hui, Moïse procède d’une fiction littéraire, destinée à doter Israël d’un législateur incontestable, alors ce projet d’écriture est un peu raté. Si j’avais participé à l’élaboration de ces textes, j’aurais pris grand soin de marier Moïse avec une Israélite – le conte aurait été facile à inventer – et je me serais abstenu de citer une quelconque accointance du grand leader, même avant ses lois ségrégatives, avec quelque étranger que ce soit . Or, dans nos textes, la contradiction est comme mise en relief, accentuée. Séphora a pour père un prêtre païen, Jéthro ou Réouel, ce qui fait vraiment désordre alors que Moïse est sur le point de consacrer son frère Aaron comme prêtre d’Israël. Ce Jéthro comprend qui est Moïse et son Dieu (Exode 2, 16-22 et 4, 18), et il transmet à son gendre la première organisation d’Israël (Exode 18). Ceci fait un étonnant contraste avec Aaron dont le premier geste liturgique après son ordination sera de fabriquer un veau d’or pour Israël (Exode 32). Il faudrait mentionner aussi le frère de Séphora, Hobab, à qui Moïse demande de conduire avec lui le peuple à travers le désert, lui faisant cette promesse inouïe : « Si tu viens avec nous, ce bonheur que le Seigneur nous donne, nous te le donnerons » (Nombres 10, 29-32).Séphora elle-même, lors d’un épisode énigmatique (Exode 4, 24-26), circoncit son fils sur le chemin qui l’emmène en Égypte avec son époux. On peut interpréter ce geste en privilégiant une lecture réprobatrice : l’enfant n’avait pas reçu la circoncision, la belle-famille madianite aurait donc eu une influence telle que Moïse aurait omis de pratiquer ce rite d’alliance. On peut aussi voir en Séphora une femme qui sait réagir devant l’irruption du Seigneur et qui fait au bon moment ce qu’il faut pratiquer. Si Israël reçoit ses premiers règlements de la part de Jéthro, le fils de Moïse reçoit le signe de l’appartenance au peuple de Dieu de la main de Séphora, fille de Jéthro.https://www.cairn.info/revue-etudes-2013-3-page-351.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Lun 08 Fév 2021, 17:50 | |
| J'aurais dû citer le texte des Nombres pour qu'on ne le confonde pas avec celui de Boris Vian (lequel n'était évoqué que pour excuser mon propre retard à saisir l'allusion): - Nombres 11,12 a écrit:
- "Est-ce moi (dit Moïse) qui ai conçu tout ce peuple ? Est-ce moi qui l'ai engendré (OU qui en ai accouché), pour que tu (Yahvé) me dises: 'Porte-le en ton sein, comme la nourrice / le tuteur porte le nourrisson, sur la terre que tu as jurée à leurs pères' ?"
Comme on le voit (aussi d'après la note que tu as reproduite et ses références), les éléments féminins sont bien présents mais non exclusifs: tout ce langage relève d'un fonds d'expressions et d'images également (et sans doute d'abord) utilisées à propos de Yahvé lui-même, mais provenant d'une culture polythéiste immémoriale, où les traits masculins et féminins se distribuent plus naturellement entre "dieux" et "déesses". Le "mariage" de Moïse dans l'Exode réplique aussi les scènes de la Genèse, Abraham / Hagar et Ketoura (à qui est rattaché Madian, qui sera pourtant ennemi dans les Nombres), Isaac / Rébecca par esclave émissaire interposé, Jacob / Rachel et Léa, Joseph et la fille du prêtre égyptien: sur cet ensemble l'explication "endogamique" ne fonctionne qu'exceptionnellement, et la contradiction avec le Deutéronome -- et Esdras-Néhémie -- est bien plus vaste que le "cas particulier" de Moïse, qui est d'ailleurs un peu plus complexe, si l'on prend en compte la "Koushite" de Nombres 12. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Mar 09 Fév 2021, 12:16 | |
| Jérémie 36 : Moïse et Jérémie en dispute sur la traditionLa thèse de la « moïsation » des prophètesLa thèse de la « moïsation » des livres prophétiques et des prophètes, et notamment du livre de Jérémie et de Jérémie, est nettement fondée sur l’introduction du livre de Jérémie. Le récit de la vocation de Jérémie au début du livre rappelle en effet le récit de la vocation de Moïse en Ex 3-4. De plus, Jr 1,9 cite Dt 18,18 presque littéralement. Le Seigneur, avançant la main, toucha ma bouche, et le Seigneur me dit : « Ainsi je mets mes paroles dans ta bouche ». — (Jr 1,9)C’est un prophète comme toi que je leur susciterai du milieu de leurs frères ; je mettrai mes paroles dans sa bouche, et il leur dira tout ce que je lui ordonnerai. — (Dt 18,18)En citant Dt 18,18, Jr 1,9 présente Jérémie sous les traits du prophète comme Moïse qu’annonce ce verset.Jérémie – mieux que Moïse ?Selon Otto, Jr 1,4-19 rappelle Dt 18,9-22 et rejette en même temps Dt 34,10-12 et Ex 4,10-13, qui ont eux-mêmes corrigé Dt 18,9-22. En contredisant Dt 18,9-22 qui annonce un autre prophète comme Moïse, Dt 34,10-12 redéfinit Moïse comme le dernier prophète.Plus jamais en Israël ne s’est levé un prophète comme Moïse, lui que le Seigneur connaissait face à face, lui que le Seigneur avait envoyé accomplir tous ces signes et tous ces prodiges dans le pays d’Égypte devant le Pharaon, tous ses serviteurs et tout son pays, ce Moïse qui avait agi avec toute la puissance de sa main, en suscitant toute cette grande terreur, sous les yeux de tout Israël.— (Dt 34,10-12)Pour Otto, Ex 4,10-13 installe Aaron (et avec lui l’institution des prêtres) comme intermédiaire nécessaire aux côtés de Moïse, au prix de sa dévaluation par rapport à Jérémie qui n’a pas besoin d’intermédiaire. Jérémie est le dernier prophète. L’interprétation de la révélation qui est achevée avec lui reste liée aux prêtres. Les intertextes : Ex et DtMis à part Jr 36, il n’y a qu’un autre texte dans la Bible hébraïque où la parole de Dieu est écrite deux fois et où la deuxième écriture se passe après une destruction du texte. En Ex 31-34, Dieu écrit lui-même les tables du témoignage (Ex 31,18) qui sont détruites par Moïse dans sa colère face au comportement du peuple devant le veau d’or (Ex 32,15-19). Ce dernier les réécrit cependant sur l’ordre de Dieu (Ex 34,27-28).Il y a en Jr 36 des détails dans l’introduction du récit qui font référence à Moïse dans un contexte d’écriture.Jr 36,2 utilise une forme grammaticale qui n’apparaît qu’une seule autre fois en Dt 27,3.8 et qui fait partie d’une instruction divine dont Moïse est le destinataire :Procure-toi un rouleau, et écris dedans toutes les paroles que je t’ai adressées au sujet d’Israël, de Juda et de toutes les nations, depuis que j’ai commencé à te parler au temps de Josias jusqu’à ce jour. — (Jr 36,2)Tu écriras dessus toutes les paroles de cette Loi, quand tu auras passé le Jourdain. Ainsi tu pourras entrer dans le pays que le Seigneur ton Dieu te donne, un pays ruisselant de lait et de miel, comme te l’a promis le Seigneur, le Dieu de tes pères. […] Tu offriras des sacrifices de paix, tu mangeras là et tu seras dans la joie devant le Seigneur ton Dieu. — (Dt 27,3.À part Jr 36,3, il n’y a qu’un autre texte qui combine le verbe sala? avec les objets ’?wôn et ’?’?’?h. La citation d’Ex 34,9 laisse Jr 36,3 faire référence au récit du Sinaï.Peut-être les gens de Juda seront-ils attentifs à tous les maux que je pense leur infliger, en sorte que, chacun se convertissant de sa mauvaise conduite, je puisse pardonner leurs crimes et leurs fautes. — (Jr 36,3)Et il dit : « Si vraiment j’ai trouvé grâce à tes yeux, ô Seigneur, que le Seigneur marche au milieu de nous ; c’est un peuple à la nuque raide que celui-ci, mais tu pardonneras notre faute et notre péché, et tu feras de nous ton patrimoine. » — (Ex 34,9)Jr 36 est généralement considéré comme plus tardif que son intertexte Ex 31-34.https://www.cairn.info/revue-transversalites-2014-1-page-29.htm
Dernière édition par free le Mar 09 Fév 2021, 15:14, édité 1 fois |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Mar 09 Fév 2021, 13:11 | |
| Si on le lit intégralement, cet article confirme et illustre très bien ce que nous avons souvent constaté (y compris dans ce fil): la relation chrono-logique (qui est avant ou après qui => qui influence ou inspire qui, qui inversement copie, corrige, modifie ou contredit qui) ne saurait s'établir entre des grands ensembles littéraires ("livres", Exode ou Deutéronome vs. Isaïe ou Jérémie, a fortiori corpus ou canons, Torah vs. Prophètes) qui se sont tous construits sur une longue période, globalement la même pour tous, quoique (pour chacun) dans des lieux et des milieux différents. Entre de tels grands ensembles les relations chrono-logiques ne peuvent être que partielles, de tel passage à tel autre et plus encore de telle strate rédactionnelle à telle autre, et aller dans un sens OU dans l'autre au cas par cas (jonglage plutôt que puzzle, aussi longtemps que rien n'est encore définitivement fixé). Du point de vue des schémas narratifs, indépendamment du détail, on peut aussi bien dire que la vocation de Moïse "imite" celle des prophètes (Isaïe, Jérémie, Ezéchiel, etc.) que le contraire, et parler d'une "prophétisation" de Moïse que d'une "moïsation" des Prophètes. Cela n'empêche pas d'apprécier les correspondances et les différences d'un ensemble à l'autre, mais rend plus délicate leur interprétation, surtout dans une approche "diachronique" -- car du point de vue "synchronique" les effets de réplique, d'écho et de symétrie peuvent jouer dans tous les sens, comme ils le font d'ailleurs dans la tête du "lecteur de la Bible" ordinaire. |
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