Fine analyse des apories du "réalisme" (politique entre autres)...
Platon est lui-même très ambigu à ce propos, car s'il pousse son "utopie" (notion évidemment anachronique) jusqu'au concept de cité céleste (cf. supra 19.6.2023) et n'ambitionne clairement pas de révolutionner ni même de réformer Athènes (il le dit dès le début, c'est une nouvelle cité qu'il faudrait construire, quasi ex nihilo), il n'est pas exempt de désir de "réalisation", comme le suggèrent ses (més-)aventures siciliennes (même s'il est difficile d'y faire la part de l'histoire et de la légende): il aurait au moins tenté d'éduquer Denys, le tyran de Syracuse, et ça ne lui aurait pas réussi.
Chez Platon, le roi et le tyran sont aux extrémités opposées de l'échelle axiologique des régimes de la cité (et des types de citoyens qui leur correspondent), échelle surtout descendante, du meilleur au pire: la monarchie absolue est le meilleur gouvernement possible si le roi est sage (cela rejoint un "idéal" quasi universel, pré- et extra-philosophique, notamment oriental, cf. David et surtout Salomon dans "la Bible"); il serait absurde de soumettre un tel roi à des lois et/ou au contrôle de gens moins sages que lui. La tyrannie, au contraire, comprise comme arbitraire, voire caprice d'un monarque dépourvu de sagesse, est le pire régime, celui où tombe fatalement une démocratie par l'affolement de son propre jeu. Bien sûr, le roi et le tyran se ressemblent comme deux gouttes d'eau, du point de vue de la structure des institutions ils sont le même, mais le retour du pire au meilleur, du tyran au (bon) roi, reste mystérieux, voire miraculeux, par rapport à la descente longue mais inéluctable de celui-ci à celui-là. D'où peut-être la tentative, ou la tentation, de l'éducation (paideia) du tyran pour faire ce qui serait à la fois l'impossible et la seule possibilité.