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 défaire le monde

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Narkissos

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MessageSujet: défaire le monde   défaire le monde Icon_minitimeMar 11 Mai 2021, 12:37

En exergue, la réplique-culte du film-culte par excellence, Les enfants du Paradis (Carné-Prévert, Lacenaire-Herrand): "Il faut de tout pour faire un monde. -- Et pour le défaire."

Il y a bien des manières de "défaire le monde". Je voudrais ici montrer -- et discuter, si possible -- comment cette "idée", si c'en est une et alors toute négative, relie discrètement de nombreux "sujets" par ailleurs disparates que nous avons évoqués, plus ou moins abondamment, au fil des années dans ce forum. En dernier lieu la "religion" sous son aspect de "déclosion" (J.L. Nancy), de "dé-struction" ou de "déconstruction" (M. Heidegger, J. Derrida et tant d'autres depuis).

On songera aussitôt à l'"eschatologie", à cette perspective de "fin du monde" tard venue à certains courants du judaïsme du Second Temple (pharisaïsme, Qoumrân p. ex.), d'un héritage perse lentement digéré qui ne ressort vraiment qu'à l'époque hellénistique avant de se transmettre, entre autres, à certains courants "chrétiens" de l'époque romaine. De cela nous avons très souvent parlé, en grande partie par rapport à ses résurgences modernes (adventisme, Témoins de Jéhovah, mormons, évangéliques); mais la "fin du monde" n'est pas la seule façon de "défaire le monde".

On pensera donc, dans un deuxième temps, à tout ce qui dans le NT s'écarte de l'"eschatologie" tout en maintenant un discours "critique" sur le "monde" (kosmos), le "siècle" ou l'"âge-temps" (aiôn) présent (ce monde-ci, ce siècle-ci), dans une perspective plus  ou moins "myst(ér)ique" ("Paul") ou "gnostique" ("Jean"). Ce qu'on a longtemps interprété comme réaction  à une "eschatologie" primitive (retard de la parousie, eschatologie "actualisée" ou "réalisée", "spatialisée", "spiritualisée" ou "intériorisée"), mais reflète en fait une attitude tout aussi ancienne, voire davantage, que l'"eschatologie" elle-même (sapientiale, philosophique, sadducéenne, cf. Qohéleth). L'essentiel pour le présent sujet étant qu'une "religion" qui n'attend pas "la fin du monde", en tout cas pas de façon imminente et "réaliste", peut se montrer tout aussi critique envers "le monde", s'en distancier et le "défaire" autrement pour son propre compte.

Si on sortait de ce cadre néotestamentaire et même "biblique", on trouverait bien d'autres façons pour la "religion" de "défaire le monde", depuis la nuit des temps. Ce sont d'abord, paradoxalement, les récits de "création" ou d'"origine", qui impliquent structurellement à leur point de départ une dé-struction du "monde", encore plus radicale que le "déluge" (p. ex.): pour raconter comment les choses ont été faites il faut toujours les défaire, partir d'un point où elles ne sont pas (encore): c'est le modèle de l'Enuma `Elish bien avant la Genèse: au commencement il n'y avait pas (encore) ceci et cela.

Quand on pense encore plus généralement aux mythes et aux rites, au "sacré" qui à la fois fonde et menace le "profane", qui met en question un ordre (cosmique, climatique, agraire, politique, social, économique, etc.) pour le restaurer, le refonder ou le renouveler, selon un schéma plus ancien que l'"histoire" que l'on fait commencer arbitrairement avec l'"écriture", on retrouvera toujours, coextensive à la "religion", une façon de "défaire le monde" pour le "refaire".

Rien de tout cela n'est nouveau dans nos discussions, ce qui pourrait l'être ce serait de le penser ensemble; non pas dans la confusion comme si toutes ces manières de "défaire le monde" étaient indifférentes ou équivalentes, elles ne le sont assurément pas, mais pour reconnaître ce qu'il y a de semblable, voire de commun dans leurs différences. Et éventuellement pour se demander ce qu'ils nous en reste: nous faut-il aussi, aujourd'hui, pourquoi, comment le cas échéant, "défaire le monde" ?
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MessageSujet: Re: défaire le monde   défaire le monde Icon_minitimeMar 11 Mai 2021, 13:48

"Défaire le monde", c'est aussi "se défaire du monde" : "Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde ; maintenant, je quitte le monde et je vais vers le Père" (Jean 16,28). “Quitter le monde”  ou “ne plus être dans le monde” : "Je ne suis plus dans le monde" (17,11). Echapper au monde, ne plus être dans sa sphère d'influence. "Défaire le monde", c'est aussi transformer le monde des non-croyants afin qu'ils soient amenés à  “croire” et à “connaître” le Père (17,21.23).
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MessageSujet: Re: défaire le monde   défaire le monde Icon_minitimeMar 11 Mai 2021, 14:42

Tout à fait. C'est peut-être des jeux particuliers des textes "johanniques" sur le monde-kosmos (ne pas être du monde tout en étant dans le monde, y venir et en partir, l'aimer et ne pas l'aimer, subir sa haine ou sa méconnaissance et cependant l'amener à connaître et à croire, le vaincre, en ôter le péché, échapper à son "prince") que nous avons le plus parlé (ici, , ou encore ). Un "traitement" très original, et paradoxalement cohérent du "monde", qui reste cependant formellement comparable à ce que disent du "monde" (ou du "siècle-âge-monde") de tout autres textes du NT (Paul, Jacques, Matthieu, Pierre, etc.).

J'aurais voulu ajouter à mon post initial (que j'ai dû interrompre en cours de route) que (le geste de) "défaire le monde" ne se limite pas à la "religion". Il y a bien des façons modernes de "défaire le monde" qui n'ont a priori rien de "religieux", ainsi la démarche "analytique" ou "critique" de la "raison" des Lumières, et de la "science" qui s'ensuit, qui procède (comme l'indique le terme grec d''ana-lyse", de luô "délier", "défaire" ou "détruire") par décomposition du "donné" ou du "phénomène", par séparation du composé ou du complexe en catégories ou en éléments supposés (plus) "simples", qu'elle remobilise pour les re-construire autrement (synthèse, système). Et tout autant dans ce qu'on pourrait superficiellement opposer à la "raison" ou à la "science", par exemple l'art (littérature, théâtre, poésie, peinture, musique, cinéma, fiction): ce qu'on appelle "l'imaginaire" aussi ne cesse de défaire le monde et de le refaire autrement.
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MessageSujet: Re: défaire le monde   défaire le monde Icon_minitimeMar 11 Mai 2021, 14:49

« Défaire le développement. Refaire le monde »

Historiquement, l'ère du développement fait suite à celle de la  colonisation, comme l'ère de la mondialisation prend le relais de celle du  développement. L'occidentalisation du monde et l'uniformisation planétaire  se renforcent avec l'accumulation sans limite du capital sous la domination  toujours accrue des firmes transnationales. La guerre économique et les  inégalités ne se déploient plus seulement entre les peuples mais aussi au  sein des espaces nationaux. La destruction de l'environnement est  universelle.

 Cette évolution nourrit des résistances diverses qui se fondent souvent sur  la nostalgie et aboutissent parfois à des replis identitaires désastreux. Il  n'y a d'avenir écologique, culturel et politique soutenable et souhaitable  qu'au-delà d'une nécessaire décolonisation de l'imaginaire. Il faut sortir  non seulement de la mondialisation mais encore du développement, en secouant  le joug de la dictature de l'économie. Cela signifie, pour le Sud comme pour  le Nord du monde, libérer les initiatives et les alternatives de toutes  sortes afin de briser le carcan de la fin d'une histoire unidimensionnelle.  Après le réveil de Seattle, le moment est venu d'élargir le débat et  d'approfondir les analyses, il faut reprendre en main ses destinées, défaire  le développement et renouer avec la pluralité des mondes. http://www.edscuola.it/archivio/interlinea/defaire.html
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MessageSujet: Re: défaire le monde   défaire le monde Icon_minitimeMar 11 Mai 2021, 15:54

Sur le principe (défaire pour faire ou refaire autrement), tout le monde (!) est d'accord -- au moins depuis que quelqu'un a eu l'idée d'arracher une branche à un arbre et de casser une pierre pour les tailler, les attacher ensemble et fabriquer le premier outil, ou la première arme.

Reste que la technique humaine se montre singulièrement moins inventive dans ses structures imaginaires que dans ses productions réelles: nous nous déplaçons tout autrement qu'il y a 150 ans, nous "communiquons" tout autrement qu'il y a seulement 20 ans, mais nos Etats, nos institutions et nos lois, notre organisation sociale et économique ne diffèrent pas tellement, quant à la "forme" et même au "fond" ou au "contenu", de ce qu'ils étaient à l'aube de l'"histoire" circonscrite à l'"écriture". Nous parlions récemment de tout ce que l'Etat moderne devait à Napoléon, mais il y a moins de différences que de ressemblances entre le code civil napoléonien et le droit romain ou le code d'Hammourabi... Nous écrivons différemment sur un smartphone ou une tablette d'argile, mais nous y écrivons sensiblement les mêmes choses, les mêmes histoires ou les mêmes idées. Du côté politique, économique et social, il y a même un net déclin de la pensée du XIXe siècle (qui a vu naître les "nationalismes" et toute sorte de "socialismes", du marxisme aux anarchismes en passant par une floraison d'"utopies") à celle d'aujourd'hui, qui se tient frileusement dans les modèles de l'Etat plus ou moins libéral ou autoritaire, avec ses armées, sa police, ses lois, sa justice et ses prisons que plus personne ou presque ne songe à remettre en cause. Entre-temps deux guerres mondiales, les camps d'extermination, la bombe atomique et toutes leurs suites, désormais "écologiques", auraient fourni amplement de quoi questionner rationnellement ce modèle, et on n'a pourtant fait que le répliquer de façon de moins en moins créative -- il n'est plus question de le défaire.
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MessageSujet: Re: défaire le monde   défaire le monde Icon_minitimeMer 12 Mai 2021, 14:56

Défaire, refaire le monde, c'est moins dans la façon de communiquer, de se rassembler même si cela est très important et révélateur de nos peurs, de nos approches de l'avenir, que dans la conception que nous avons quant à notre relation avec autrui.

De nombreux jeunes et parfois moins jeunes défilent dans la rue pour réclamer des changements qu'ils jugent urgents et irrémédiables. S'ils recourent de plus en plus à ce mode de déclamation, de protestation et de présentation de leurs idées c'est parce qu'ils pensent les partis incapables de se remettre en question, de se renouveler.

N'est-ce pas une façon de défaire le monde que de dire symboliquement parlant : il faut en finir avec les structures dirigeantes actuelles qui ne sont pas capables ou ne désirent pas apporter de nouvelles réponses aux questions se posant à tout un chacun?
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MessageSujet: Re: défaire le monde   défaire le monde Icon_minitimeMer 12 Mai 2021, 15:36

Je ne sais pas si l'un répondait à l'autre mais c'était la même année (1966)...

Dans leur immense majorité, ni les manifestations ni les discussions de comptoir (ou de réseaux sociaux) ne remettent en question le cadre général de l'Etat, des institutions et des lois -- sans quoi elles seraient effectivement "insurrectionnelles", terme dont on abuse à peu près autant que de celui de "guerre civile". On ne revendique de "droits" que dans un tel cadre politico-juridique, on ne prescrit "ce qu'il faut faire" (ou pas) que d'un point de vue étatique ou simili-étatique, au fond monarchique, qu'on soit seul devant son écran ou qu'on s'imagine maître du monde (l'un n'empêche pas l'autre, bien au contraire): on est toujours à la place de "Dieu" ou du "prince de ce monde" (à cet égard c'est la même) quand on dit "il faut" ou "il ne faut pas". Les rares anarchistes qui s'affichent encore tels ont toujours de beaux slogans (je lisais dernièrement "un droit ne se mendie pas, il se prend"), mais ils paient leurs impôts et cotisent à la sécurité sociale et à leur caisse de retraite comme tout le monde.
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