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| Analyse de Daniel 12 - En ce temps-là ... | |
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| Sujet: Analyse de Daniel 12 - En ce temps-là ... Mer 04 Mai 2022, 13:31 | |
| Retour au même article qui est vraiment très riche :
"En ce temps-là se dressera Michel, le grand prince, celui qui défend les gens de ton peuple. Ce sera un temps de détresse tel qu'il n'y en a pas eu depuis qu'il existe une nation jusqu'à ce temps-là. En ce temps-là, ton peuple échappera — quiconque sera trouvé inscrit dans le livre" (12,1).
1) Daniel est préoccupé par l'idée de la fin des temps, surtout dans la grande fresque historique qu'il a contemplée en vision (chap. 11). Le prophète se situe fictivement en la troisième année du roi Cyrus, selon la précision rapportée par 10,1 afin de décrire l'époque perse (1 1,1-2) et surtout l'intervention grecque avec Alexandre le Grand (vv. 3-4) qui sont brièvement évoquées. A mesure qu'on avance dans le temps, la prophétie devient plus abondante ; elle se divise en trois parties. Une première partie concernant l'époque des Diadoques, spécialement les Séleucides et les Ptolémées, conduit le lecteur jusqu'à l'avènement d' Antiochus III (vv. 5-9). Les versets 10,19 décrivent les exploits d'Antiochus le Grand et constituent la deuxième période. (Ce qui concerne Seleucus IV n'occupe qu'un seul verset au v. 20). La troisième période, la plus importante, du point de vue de l'auteur et des événements, se rapporte au règne d' Antiochus IV Epiphane (vv. 21-45). Il est significatif que dans cette partie, les notations de temps sont plus fréquentes que dans la première où elles restent sporadiques : 11,3 (leqes haUttîm Sanim), 11, (ba 'ittîm hahem) ; v. 20 (beyamîm 'ahadîm). Le déroulement des événements sous Antiochus IV est noté par rapport à la fin du persécuteur impie au verset 45 qui aura lieu « au temps de la Fin » (v. 40). Aussi Daniel indique-t-il çà et là, en énumérant la succession de ses entreprises malfaisantes, que le temps de la fin n'est pas encore arrivée : v. 24 (we cad cet) ; v. 27 (Kî 'od qes lammo *ed) ; v. 29 (lammo *ed) ; v. 35 ( 'ad 'et qes). Avec le verset 40, commence une section nouvelle et vraiment prophétique se référant à la fin du persécuteur et introduite par l'expression(qes) « au temps de la Fin ». Normalement la prophétie contenue dans le « livre de Vérité » devrait se terminer avec le dernier verset du chapitre 11 qui annonce la mort d' Antiochus.
Mais le début du chapitre 12,1 commence par ces mots « en ce temps-là » be 'et qes ; mais quel sens faut-il donner à cette formule ? S'agit-il d'une suture rédactionnelle destinée à relier l'apocalypse de 12,1-3 à ce qui précède, ce qui ne doit pas être exclu a priori, ou s'agit-il d'une réelle indication de temps qui renverrait au verset 40 du chapitre précédent où il est question du « temps de la Fin » ? De fait, tous les maux qui s'étaient abattus sur le peuple juif ne devaient pas prendre fin avec la disparition du grand persécuteur. D'après le témoignage de I Mac 9,23 et sq., après la mort de Judas Maccabée, en l'année 160, les sans loi reparurent en Israël et l'historiographie ajoute que sévit alors en Israël une telle oppression qu'il ne s'en était pas produit de pareille depuis le jour ou l'on n'y avait plus vu de prophète. » On pourrait penser que la même situation est visée en 12,1 ; il y est aussi question d'un temps de détresse comme il n'avait jamais été vu. »
En tout cas, au verset 4, se termine la vision proprement dite, puisque l'ordre est intimé à Daniel de la sceller pour assurer son inviolabilité.
2) La date de la fin des temps.
Le livre de Daniel donne quatre indications chiffrées pour le temps de la Fin.
a) trois ans et demi, littéralement un temps, des temps et une moitié de temps (7,27 ; 12,7). Au bout de ce temps le royaume des saints sera établi.
b) 1 150 jours, littéralement 2 300 soirs et matins (8,14), temps après lequel le sanctuaire sera rétabli dans son droit.
c) 1290 jours (12,11).
d) 1 335 jours (12,12).
Quelques observations s'imposent à propos de ces chiffres qui sont loin d'être concordants. Les 1 150 jours représentent probablement la durée exacte pendant laquelle le culte juif a été interrompu dans le temple de Jérusalem, c'est-à-dire d'automne 167 au 14 décembre 164. Le comput en soirs et matins a été probablement suggéré par le fait que l'holocauste était offert quotidiennement le matin et le soir (cf. Ex 29,38-42). Le soir est indiqué avant le matin parce que la journée commençait le soir (Ne 13,19).
Quant aux trois années et demie, elles représentent, semble-t-il, une date symbolique plutôt qu'un chiffre exact, car si l'on compte les mois de 30 jours, on arriverait à 1 260 jours. De fait, trois et demi, la moitié de sept, chiffre parfait, indique sans doute que l'entreprise d'Antiochus IV contre le culte juif était destinée à l'échec.
Il est plus difficile de justifier les deux derniers chiffres de 1 290 jours et de 1 335 jours (12,11-12). Venant après que la révélation faite à Daniel a été close (12,9), ils donnent l'impression d'être deux gloses successives destinées à prolonger les 1 150 jours annoncés en 8,14. Cette dernière prophétie n'ayant pas été réalisée à la lettre, un glossateur aurait rallongé une première fois le nombre des jours, d'abord en 1 290 puis en 1 335 jours comptés à partir de l'abolition du sacrifice perpétuel. C'est l'impatience apocalyptique d'hommes qui souffrent qui contraint de calculer toujours à nouveau la date de la venue du Royaume.
https://www.persee.fr/doc/ephe_0000-0002_1983_num_96_92_16011#ephe_0000-0002_1983_num_96_92_T1_0056_0000 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Analyse de Daniel 12 - En ce temps-là ... Mer 04 Mai 2022, 15:36 | |
| Article de Delcor, donc (cf. ici 28.4.2022 et les autres liens antérieurs). J'ai craint un instant, en lisant ta première phrase, que ce ne fût du Gertoux... D'autre part je vois (ça s'affiche maintenant en bas de page, du moins chez moi) que nous avons déjà des fils sur Daniel 11 ET 12... Par sa nature, le matériau strictement "contemporain" de Daniel (tout ce qui se rapporte au règne d'Antiochos IV, d'un point de vue judéen) est extrêmement instable (date de péremption très courte, comme c'est écrit dans les supermarchés): en deux ou trois ans (c'est très peu au rythme et au tempo de l'écriture manuscrite et de sa diffusion par lecture à haute voix et copie), des textes à peine connus et reçus (par certains milieux) deviennent problématiques, pour les "auteurs" eux-mêmes s'ils sont toujours là et pour leurs successeurs ou héritiers, surtout les plus "fidèles". On a souvent remarqué que le texte "décollait" de l'"histoire" au point (exemplairement Daniel 11,40) où il passait de la "fausse vraie prophétie" ( ex eventu ou post eventum, "exacte" dans la mesure où l'auteur réel connaît effectivement son "histoire") à la "vraie fausse prophétie" ("fausse" parce qu'elle ne se "réalise" pas comme prévu, mais "vraie" parce qu'elle est une authentique prédiction et non plus une histoire déguisée en prédiction) -- on devrait s'étonner davantage que la seconde catégorie existe, autrement dit que des textes qui pouvaient facilement être reconnus pour des "prophéties ratées" deux ou trois ans après leur rédaction (p. ex. sur la mort d'Antiochos, a fortiori sur la "fin de l'histoire", la résurrection des morts et le jugement dernier) aient quand même été préservés sans "correction" majeure. C'est que dans certains milieux (p. ex. judéens, hébréo- et araméographes) les possibilités de correction se réduisent presque aussi vite que la nécessité de correction apparaît (on ne peut plus faire que des ajouts ponctuels, surtout au début ou à la fin du rouleau, p. ex. 12,11ss, parfois brièvement dans le corps du livre, p. ex. pour les 2300 soirs et matins s'ils sont une adaptation à la durée réelle de l'"interruption du culte" d'un texte écrit pour l'essentiel quand cette durée n'était pas encore connue). Tandis qu'ailleurs, particulièrement en Egypte où la crise maccabéenne avait pu passer presque inaperçue, on aura tout le loisir, pendant des décennies, de changer le texte au gré des traductions (grecques), en transformant un ouvrage de circonstance dont on ne connaissait guère les circonstances en livre d'édification quasi intemporel (c'est bien le sens général non seulement des longs "ajouts", futurs "deutérocanoniques", mais aussi des grands écarts de traduction de la " Septante"). |
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| Sujet: Re: Analyse de Daniel 12 - En ce temps-là ... Jeu 05 Mai 2022, 10:47 | |
| MICHEL ET GABRIEL GLOSES DANS LE TEXTE BIBLIQUE DE DANIEL?
L’étude de la première version grecque de Daniel met donc en lumière un état du texte scripturaire où Gabriel et Michel ne sont pas nommés lors de leur première apparition (8.16 et 10.13), où la seconde mention de Gabriel paraît une glose du texte hébreu (9.21) et où la deuxième occurrence de Michel intervient dans un verset qui a visiblement été l’objet de réfection. En définitive, par rapport aux quatre autres lieux étudiés, la mention de Michel au début de l’évocation du Jugement dernier (12.1) a ceci de spécifique que rien, sur le plan de l’analyse textuelle, ne permet de suspecter son authenticité. Quant aux autres cas, la présence ou l’absence du nom angélique ne peuvent tenir à une initiative du traducteur: dans les passages où son texte repose sur un substrat identifiable à ˜, on voit combien il reste fidèle au détail de son modèle 17. Les versions grecques nous font donc accéder ici à une mobilité du texte prémassorétique, due à des interventions rédactionnelles. Dans ces conditions, il faut passer de la critique textuelle à la critique littéraire et se demander si le texte scripturaire a connu une réfection visant à supprimer les noms propres ou à les y introduire ...
... Sans rentrer dans le détail des divergences des versions grecques, on notera que toutes les deux, ainsi que la Peshitta, lisent au v. 14 kai; ei\pen aujtw'/. Dans la logique de l’échange angélique du v. 13, ces versions supposent au v. 14 une réponse de l’ange interrogé. Il y a peut-être là une lecture facilitante par rapport à ˜, particulièrement ardu à comprendre. Avec une sagacité sans doute excessive, D. Barthélemy explique ainsi la formulation de ˜: «En 13a, c’est un saint qui a interrogé “un tel” qui parlait. Mais il exprimait ainsi la question que se posait Daniel. C’est pourquoi “un tel” s’adresse maintenant directement à Daniel pour répondre 18 ». On se demandera plutôt si le texte massorétique ne conserve pas ici un élément ancien de la narration où Daniel s’adressait à un ange unique. La reformulation dont les versions grecques marqueraient ici le stade final attesterait un scénario plus complexe où Daniel est le témoin d’une discussion entre deux anges, comme il y a en 12.5‑6 deux figures angéliques qui interrogent l’homme vêtu de lin. En somme, la reformulation irait aux v. 13-14 et 15-16 dans le sens d’une précision croissante dans la description de l’intervention angélique ...
... Reste la mention de Michel en 12.1, où – on l’a dit – les versions anciennes attestent le nom propre sans les divergences que l’on note dans les quatre occurrences étudiées plus haut. Sur le plan littéraire, le contexte de l’hébreu et du grec présente des différences. Au v. 2, il est question en ˜ du salut du peuple de Daniel :
«ton peuple sera délivré, quiconque sera trouvé inscrit dans le Livre».
En revanche, la Septante a une formule plus générale : swqhvsetai pa'" oJ laov", o}" a]n euJreqh'/ ejggegrammevno" ejn tw'/ biblivw/; l’absence du pronom possessif n’est pas une omission, puisque la formulation indéterminée « tout le peuple» est corroborée par la nuance éventuelle de la subordonnée relative (« qui aura été trouvé inscrit dans le Livre»). Si la fin du v. 1 évoque le sort des peuples en général, la référence à «ton peuple», au début de celui-ci, ne paraît pas appropriée. Or, là où ˜ atteste le possessif (ÚM,[' ynEB]Al[' dme[oh;…laek;ymi = Micahl...oJ eJsthkw;" ejpi; tou;" uiJou;" tou' laou' sou en Dan-oæ), il est possible que la Septante authentique – et son substrat –, ait présenté un texte sans adjectif possessif: en 10.21, la glose du Papyrus tirée de 12.1 n’en comporte pas (alla Micahl o aggelo" o strathgo" o dunato" o estw" epi twn uiwn tou laou). Du coup, le nom propre Michel devient moins adapté s’il est suivi d’une formulation aussi vague que « le grand ange qui se tient à la tête des fils du peuple» ; en outre, si l’on s’en tient au texte de la Septante en 12.1 – kai; kata; th;n w{ran ejkeivnhn pareleuvsetai Micahl oJ a[ggelo" oJ mevga" oJ eJsthkw;" ejpi; tou;" uiJou;" tou' laou' sou –, on note que la préposition est suivie d’un régime qui s’accorde mal avec le sens « se tenir à la tête de » : on attendrait le génitif (comme dans la glose de 10.21 en Dan-oæ) et l’on doit considérer que l’accusatif résulte ici de la présence d’un verbe de mouvement («il viendra se mettre à la tête des fils de ton peuple ») ou que le grec exprime ici l’idée que l’ange se dresse en faveur des fils de son peuple. Enfin, le verbe parevrcesqai, «s’approcher » ne correspond pas à dmo[}y", «il se dressera», du texte massorétique. Au total, si la mention de Michel en 12.1 est indéniable dans les divers états du texte dont nous disposons, il apparaît clairement que le verset a, lui aussi, été l’objet d’une réécriture.
https://www.persee.fr/doc/mom_0151-7015_2006_mel_35_1_2441 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Analyse de Daniel 12 - En ce temps-là ... Jeu 05 Mai 2022, 12:39 | |
| Excellente étude de l'excellent Munnich, mais difficile à suivre sans le grec et un minimum d'initiation à la critique textuelle ET littéraire (distinctes ET complémentaires) de la "Septante" (dont l'auteur est certainement l'un des meilleurs spécialistes francophones). A défaut, on en retirera au moins l'intuition générale que tout ce à quoi on se réfère tranquillement sous les noms de "Septante", de "Théodotion" ou de "texte massorétique" (hébreu et araméen en l'occurrence) recèle des abîmes d'incertitude, et que la seule certitude (textuelle) qui reste est celle d'un processus long et complexe de rédaction et de réécriture de toutes les "éditions".
La spécialisation extrême peut avoir pour revers une certaine imprudence générale et générique, à laquelle un "généraliste" est naturellement plus sensible: ce qui me fait tiquer, dès l'introduction de l'article et la délimitation de son "sujet", c'est qu'on parle d'"anges" là où les textes n'emploient ni ml'k ni aggelos (pour rappel: termes "fonctionnels", "messager, envoyé, émissaire", qui ne préjugent pas de la "nature" des "êtres" ou "figures" en question, "hommes", "dieux" ou autre chose). Cela revient à sanctionner a priori une "catégorie" traditionnelle (les "anges" comme catégorie d'êtres intermédiaire, ni humains ni dieux) et à la plaquer artificiellement sur les textes, et aboutit à une "angélologie" hétéroclite rassemblant des figures au départ fort différentes (p. ex. "chérubins" ou "séraphins" dans d'autres textes). Pour ma part je serais plus attentif à distinguer les appellations effectives, "prince", "veilleur", "saint" OU "messager" (etc.) dans le Daniel hébreu ou araméen (sr / `yr / qd(y-w)š / ml'k), et leurs équivalents variables dans les versions grecques (la distinction entre stratègoi et aggeloi est à cet égard nouvelle et remarquable), en me méfiant de la catégorie "angélique" trop commode, qui conduit à tout mélanger...
En ce qui concerne Daniel 12,1s, l'hésitation textuelle ("fils de ton peuple" ou "fils du peuple"; la transformation du "peuple" en "chaos", laos / khaos, dans le texte grec de 1 Hénoch, est amusante, même si elle est accidentelle) a des conséquences importantes: SI les autres mentions de "Mich(a)el" (10,13.21) sont "secondaires", cela pourrait suggérer que le rôle de ce dernier a évolué d'une position strictement eschatologique et universelle (au moins au sens "ethnique", concernant également tous les "peuples") vers celui de "champion" spécifique d'"Israël" (hésitation qui se retrouverait aussi dans le portrait du "comme un fils d'homme" au chapitre 7, quasi-double de Mich[a]el, entre figure divino-humaine générique, par opposition aux "bêtes", et représentant spécifique d'Israël comme "peuple des saints"). Reste, en rapport avec ma remarque précédente, qu'à la lettre de Daniel "Mich(a)el" n'est pas un "ange". |
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| Sujet: Re: Analyse de Daniel 12 - En ce temps-là ... Jeu 05 Mai 2022, 14:10 | |
| Daniel 12,1 et 11,40-45 associent "Au temps de la fin" ("En ce temps-là") "un temps de détresse tel qu'il n'y en a pas eu depuis qu'il existe une nation jusqu'à ce temps-là" qui devait se traduire (selon 11,40-45) à des conflits, bruits de guerre, invasions, pillages, exterminations et mort du tyran en Terre Sainte ("Puis il arrivera à sa fin, sans que personne ne vienne à son secours" -11,45). En réalité cela eu lieu en Perse, dans les derniers mois de l'an 164. Il s'agit pour le peuple de Daniel (v 1), autrement dit les fidèles Assidéens d'un temps de détresse comme il ne s'en n'ai jamais produit. A l'approche de la fin, les puissances se déchainent contre la communauté juive qui accablée de souffrances, peut compter sur l'assistance efficace de Michel, si bien que la crise ULTIME débouche sur le salut de ceux que Yhwh aura reconnu pour siens en les inscrivant dans le Livre. (Permanence de L'ancien Testament).
Les Hassidéens (de l'hébreu חסידים Hassidim, « Intègres » ou « Pieux ») ou Assidéens (du grec ancien Ἀσιδαῖοι Assidaioi) étaient un groupe de Juifs pieux qui commença à jouer un rôle important dans la vie politique au cours de la révolte des Maccabées, bien qu'il ait existé avant.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Hassid%C3%A9ens#:~:text=Les%20Hassid%C3%A9ens%20(de%20l'h%C3%A9breu,qu'il%20ait%20exist%C3%A9%20avant.
Les chapitres 7-12 laissent entendre que la deuxième partie du livre pourrait être reliée aux cercles assidéens qui, selon 1 Me 2, 42, sont des hommes remplis de zèle pour la loi. En Dn 12, 3, nous pouvons lire: «Les doctes resplendiront comme la splendeur du firmament, et ceux qui ont enseigné la justice à un grand nombre, comme les étoiles, pour toute l'éternité». L'importance des doctes sert ici à comprendre que Daniel annonce l'avènement d'un royaume eschatologique associé au Fils de l'homme, à l'intérieur du drame d'une histoire qui met en lumière les luttes qui opposent les royaumes (cf. Dn 8-12). Mais ce drame n'aura qu'un temps: «II durera jusqu'à ce que vienne la fin des jours quand sera instauré de façon mystérieuse et instantanée le règne eschatologique exercé par les saints, c'est-à-dire par le peuple choisi auquel il est confié». Dans cette perspective, le symbole du Fils de l'homme désigne le peuple saint par opposition aux animaux qui représentent les royaumes, mais il a la tâche narrative de conduire le lecteur à l'extrême limite où l'histoire confine avec la transcendance.
http://www.carmelodotolo.eu/Constante_biblique.pdf |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Analyse de Daniel 12 - En ce temps-là ... Jeu 05 Mai 2022, 15:29 | |
| Lien correspondant (peut-être) à ton premier paragraphe (Martin-Achard).
Là encore (comme pour les "anges") il faut se méfier des noms dits "communs" (hasidim = "fidèles", par extension "pieux", "dévots", "justes" ou tout ce qu'on voudra, mais dérivé quand même -- comme adjectif substantivé -- de hsd-hesed traduit tantôt par fidélité, loyauté, bonté, grâce etc.), qui se transforment facilement, d'autant qu'ils sont valorisants ou élogieux, en (auto-)désignation de groupes, communautés, écoles, sectes, partis, mouvements, mouvances ou tendances plus ou moins "organisées" ou "nébuleuses". Quand un texte grec (p. ex. 1 Maccabées) transcrit le mot hébreu plutôt que de le traduire (par un mot grec qui aurait un sens en grec), il renforce l'impression d'une telle (auto-)désignation, a fortiori un texte moderne qui parle d'"assidéens" comme d'une sorte de "raison sociale" ou d'"appellation officielle", y compris pour l'appliquer à des textes anciens qui n'utilisent ni hasidim ni asidaioi. La seule chose à peu près sûre, c'est que la révolte maccabéenne rassemble une coalition hétérogène, de Judéens qui refusent la politique hyper-hellénistique d'Antiochos pour des raisons très différentes (toute ressemblance avec l'actualité n'étant pas nécessairement fortuite); mais cette coalition de circonstance va aussitôt se déchirer par l'effet même de sa "victoire" -- entre les hasmonéens qui en tirent un pouvoir royal et sacerdotal et des oppositions sacerdotales (Qoumrân etc.) et "laïques" (proto-"pharisiens"), chaque tendance revendiquant évidemment pour elle-même des titres comme "fidèles" (sans parler de la confusion avec les "hassidim" du judaïsme moderne d'Europe centrale et orientale, depuis le XVIIIe s.: historiquement c'est tout autre chose, à près de 2000 ans d'intervalle, mais c'est bien le même mot qui re-vient comme auto-définition de groupe, d'école, de parti ou de tendance, avec des effets de référence traditionnelle et littéraire d'une situation à l'autre). En tout cas le mot hasid n'apparaît pas dans Daniel (bien qu'on puisse voir des équivalents araméens dans les termes décrivant la "fidélité" de Daniel, 6,5.17.21 p. ex.), mais plusieurs autres termes fonctionnent de manière similaire: ainsi les "doctes", "intelligents" ou "sages", maskilim (12,3.10, cf. les autres usages de la racine skl en 1,17; 9,13.22.25; 11,33.35), qui apportent ou confèrent la "justice" (çdq) à la "multitude" (rabbim, terme qui va aussi devenir un nom de "communauté" à Qoumrân), le peuple qui "connaît son dieu" en 11,32, etc.; ; les "saints" peuvent jouer un rôle semblable (p. ex. 7,18.21s.25.27; 8,24; 12,7), mais c'est aussi un qualificatif des dieux ou des "anges" (sous les réserves déjà exprimées, cf. 4,8s.13.17s.23; 5,11; 8,13).
A propos du passage du chapitre 11 au chapitre 12 (bien qu'il n'y ait pas de chapitres, ni de séparation ni de numéros, dans les textes anciens), je reviens un peu sur ma première réponse dans ce fil (sur la "vraie fausse prophétie" et sa "date de péremption") pour souligner une différence à mes yeux importante, bien qu'elle aille de soi: tout ce qui concerne la suite et la fin envisagées pour Antiochos (11,40-45) apparaît nécessairement "périmé" au bout de trois ou quatre ans, une "prédiction ratée" que les rédactions et traductions ultérieures ne pourront qu'obscurcir, du moins jusqu'à ce que tout le monde ait perdu de vue les événements (non-)correspondants (cet oubli même peut être assez rapide, en Judée et a fortiori ailleurs). En revanche, là où l'histoire (passée et réelle jusqu'en 11,39, future et imaginaire à partir de 11,40) débouche sur une "eschatologie" stricto sensu, avec des "événements" aussi fantastiques que la résurrection générale des morts et le jugement dernier (12,2s), le texte conserve une pertinence potentielle intacte de génération en génération, pour une "fin du monde" indéfiniment reportable ou pour une "spiritualisation" quelconque, à condition de se détacher du "contexte" qui le précède (ce qui est d'autant plus facile que le contexte "historique" est perdu de vue et que le texte même est devenu obscur et réinterprétable à loisir). Entre les deux catégories de prédiction, 12,1 balance: la "détresse" (ou "tribulation", thlipsis en grec) sans pareille peut encore être appliquée rétrospectivement à la "persécution" d'Antiochos (p. ex. 1 Maccabées 9,27), OU être projetée sur l'horizon eschatologique ultime (ainsi dans les évangiles synoptiques, Marc 13//, où la "grande détresse" est à venir, du moins du point de vue du locuteur "Jésus"). |
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| Sujet: Re: Analyse de Daniel 12 - En ce temps-là ... Mar 10 Mai 2022, 11:06 | |
| "Une multitude, qui dort au pays de la poussière, se réveillera — les uns pour la vie éternelle et les autres pour le déshonneur, pour une horreur éternelle. Ceux qui auront eu du discernement brilleront comme brille la voûte céleste — ceux qui auront amené la multitude à la justice, comme des étoiles, pour toujours, à jamais" (12,2-3).
Le v.2 répond hardiment au problème soulevé par la persécution séleucide en affirmant - il s'agit de la première et finalement de la seule déclaration de ce type dans l'Ancien Testament hébreu - « qu'une multitude d'entre les morts ressuscitera.» (12, 2a). Le croyant qui s'exprime ici expose sa foi et non une doctrine, son énoncé est kérygmatique et il vise une situation concrète. Il n'a pas à l'esprit toutes les questions que ses paroles feront surgir (notamment chez ses commentateurs !), il s'adresse à ses frères victimes d'Antiochus et intervient pour eux. 17 II faut donc prendre ce texte pour ce qu'il est ; il ne parle pas d'une résurrection universelle, qui semble d'ailleurs avoir peu intéressé la tradition juive ; il n'envisage pas davantage le sort des païens ; pour lui tout se joue à l'intérieur de la communauté d'Israël déchirée en partis résolument hostiles 18 : la mort ne doit pas empêcher que s'opère un tri entre justes et impies, la résurrection permet «aux uns d'être voués à la vie éternelle et aux autres à l'horreur éternelle» (12, 2b). Bien que ce passage semble le suggérer, il n'est pas certain que les renégats soient rappelés à la vie pour être ensuite condamnés ; leur châtiment pourrait consister plus immédiatement dans le fait que leur cadavre continue sans fin à se décomposer, comme le suggère Es 66, 24 auquel Dan 12, 2 se réfère ; c'est du moins l'hypothèse de B.J. Alfrink à laquelle M. Delcor paraît se rallier. 19 De toutes façons les rebelles connaissent une punition juste et rigoureuse.
Le v.3 introduit un élément nouveau, il établit une distinction parmi les fidèles ressuscités et prévoit que les sages qui ont conduit une multitude de leurs frères à la justice par leurs paroles et leurs souffrances (11, 33s) bénéficieront d'un statut spécial : «ils brilleront comme l'éclat du firmament et comme la clarté des étoiles ». Ce verset, où l'on a reconnu diverses allusions au 4eme chant du Serviteur (Es 53) - le livre d'Esaïe semble avoir été particulièrement médité par la communauté assidéenne - relie le sort ultime des plus ardents yahvistes au monde céleste. Pour certains exégètes il ne s'agit ici que d'une image essayant d'exprimer le prestige qui rejaillira sur les vrais docteurs d'Israël, alors que d'autres estiment que cette déclaration annonce une véritable métamorphose de l'existence humaine, les justes participeront désormais avec les anges à la gloire du monde divin.
https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1979_num_59_3_4501 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Analyse de Daniel 12 - En ce temps-là ... Mar 10 Mai 2022, 11:51 | |
| (C'est apparemment le même article de Martin-Achard, cité supra 5.5.2022 d'un recueil ultérieur, Permanence de l'Ancien Testament.)
C'est une excellente remarque, qu'une doctrine ou une théorie générale, ou "universelle" comme la résurrection des morts et le jugement dernier, ne se construit jamais qu'à partir d'intérêts et d'enjeux particuliers -- en l'occurrence ceux de la crise maccabéenne avec ses partisans martyrs et leurs soutiens plus ou moins impliqués et diversement motivés, ses oppresseurs, ses collaborateurs ou ses traîtres, et la hiérarchie de part et d'autre des guides et des guidés (ou séducteurs et égarés), plus ou moins responsables du "bien" ou du "mal" de tel ou tel point de vue: tout le reste est naturellement relégué à l'arrière-plan ou à la périphérie, qu'il s'agisse des "nations" étrangères ou des générations antérieures (encore que par le biais de la pseudépigraphie "Daniel" représente aussi ces générations-là). N'empêche que quand on imagine une eschatologie absolue (fin de l'histoire) quelque part, elle ne peut manquer de se propager partout: on voit mal l'histoire s'arrêter en Judée, en débouchant sur la résurrection des morts et le royaume de Dieu, et continuer tout autour comme si de rien n'était (même problème, mutatis mutandis, avec la fin "apocalyptique" des évangiles, notamment Matthieu et sa résurrection générale des morts à la crucifixion). Même s'il ne s'agit au départ que de la fin (heureuse) d'une histoire particulière, l'intensité du miracle conclusif se traduit -- et se trahit sans doute, mais inéluctablement -- en fin de l'histoire (générale) et fin du monde. |
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| Sujet: Re: Analyse de Daniel 12 - En ce temps-là ... Mar 10 Mai 2022, 12:38 | |
| « ils brillent comme l'éclat du firmament ou comme les étoiles », ce texte relie le sort des fidèles au monde céleste ou il participeront à la gloire du monde divin ou est-ce une simple image qui veut traduire le prestige qui rejaillira sur ces fidèles ? Dan 12, semble suggérer que la résurrection permet un changement de statut de l'homme de demain. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Analyse de Daniel 12 - En ce temps-là ... Mar 10 Mai 2022, 13:13 | |
| Je rappelle ce fil, qui confirmerait d'ailleurs la parenté (lointaine) relevée par Martin-Achard entre le Trito-Isaïe (chap. 56 ou 65--66) et Daniel (12). A mon sens il n'y a jamais de "simple image" (c'est un peu ce que j'essayais de dire hier ici), même au sens d'une "figure de rhétorique" (métaphore, comparaison, parabole, etc.) ou "façon de parler" qui ne serait qu'un pur "moyen" et n'affecterait pas le "sens" de ce qu'elle dit ou veut dire. On ne peut pas convoquer les étoiles et le firmament au service d'une idée "abstraite" (que ce soit le "divin" ou le "prestige") en prétendant (sinon par dénégation, justement) qu'il n'y aurait aucun rapport entre l'"image" et le "sens". C'est encore évident en 1 Corinthiens 15, sur le même "sujet", où les "corps célestes" (astraux, soleil, lune, étoiles), même s'ils sont expressément introduits à titre de simple comparaison, se mêlent inextricablement aux affirmations sur les "corps spirituels": le "céleste" et le "spirituel" ne sont peut-être pas la même chose, mais ils s'expliquent l'un par l'autre, ce ne sont pas des "concepts" sans être aussi et d'abord des "images", qui ne forment des "concepts" qu'en jouant les unes avec les autres; le ciel n'est pas le ciel des "dieux", de "Dieu" ou des "anges" sans être aussi, d'abord, le ciel du soleil, de la lune et des étoiles, des oiseaux ou des nuages, l'esprit ne se conçoit que par référence au souffle, respiration, vent, etc. Vouloir "dé-métaphoriser" un texte en ramenant les métaphores à un sens "abstrait" (qui n'est généralement abstrait que d'une autre métaphore), sur le mode "ceci veut dire cela" (soit le modèle classique de l'explication, exégèse ou interprétation, exemplairement le pesher qoumranien), ce n'est que remplacer un signifiant qui pose question par un autre signifiant, ou plutôt par un bloc signifiant-signifié censé connu et compris d'avance, soit une "réponse" qui arrête la question. Mais il suffit de revenir au texte et à sa "façon de parler" pour que la question se re-pose, intacte... |
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| Sujet: Re: Analyse de Daniel 12 - En ce temps-là ... Mar 10 Mai 2022, 15:30 | |
| 4) Le manuscrit est toujours « découvert » de façon « providentielle » en période de crise. Il se présente comme étant la « réponse » aux difficultés présentes.
On retrouve tous ces ingrédients chez Daniel : l’auteur prétend être un homme juste naguère mentionné par Ézéchiel, et ses prophéties fonctionnent parfaitement jusqu’au moment où elles annoncent la « fin », qui elle, ne vient pas (ultime conflit entre le Roi du Sud, Ptolémée VI, et le Roi du Nord, Antiochos Épiphane, et instauration immédiate du royaume de Dieu). Le Livre de Daniel est rédigé en période de crise – le peuple de Dieu subit une persécution alors sans précédent – et il prétend apporter une solution radicale au problème (mort du roi persécuteur et venue du règne de Dieu). Enfin, il est bien censé, lui aussi, avoir été soigneusement dissimulé immédiatement après sa rédaction et n’avoir été « redécouvert » que longtemps après, au prétendu « temps de la fin » (164 av. J.-C.). C’est ce qui permet d’expliquer qu’il soit jusqu’alors resté inconnu de tous et n’ait jamais été mentionné avant. Dans un passage qui est longtemps resté hermétique, c’est bien également – pour qui lit attentivement – ce que dit le texte qui ferme ce rouleau :
« Quant à toi, Daniel, garde secrètes ces paroles et scelle le Livre jusqu’au temps de la fin. La multitude sera perplexe mais la connaissance augmentera […] car ces paroles sont tenues secrètes et scellées jusqu’au temps de la fin […] Aucun impie ne comprendra… » - Daniel XII, 4, 9, 11.
Le Livre de Daniel est donc « découvert » et « descellé » dans les années 160 av. J.-C., plusieurs siècles après la date supposée être celle de sa rédaction. On devine que nombreux sont ceux qui refusèrent alors de croire en l’authenticité du rouleau. Une réaction que l’auteur, non sans lucidité, avait d’ailleurs lui-même anticipé sur le mode prophétique : « la multitude sera perplexe » et « aucun impie ne comprendra », déclare-t-il.
https://thierry-murcia-recherches-historico-bibliques.over-blog.com/2017/11/a-quand-remonte-la-redaction-du-livre-de-daniel.html |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Analyse de Daniel 12 - En ce temps-là ... Mar 10 Mai 2022, 16:20 | |
| Cf. ici 17.3.2022. Ce que Murcia (ou la bible qu'il cite) traduit par "être perplexe", c'est le (fameux) verbe šwt, à la conjugaison dite polel, concrètement aller et venir, aller çà et là, circuler, s'agiter en tous sens, qui évoque plutôt l'idée de recherche que de perplexité (cf. Jérémie 5,1; Amos 8,12; Zacharie 4,10; 2 Chroniques 16,9). Il est difficile de savoir à quel point la formule s'est spécialisée à l'époque de Daniel dans le sens d'une "recherche" livresque, exégétique ou herméneutique, comme c'est le cas dans l'usage rabbinique ultérieur, mais ça me paraît très abusif d'y voir une marque de scepticisme -- SI Murcia est un ex-TdJ il devrait d'ailleurs savoir que c'est psychologiquement improbable: en situation de crise réelle ou factice, on est plutôt prêt à recevoir n'importe quelle "explication" qui paraît pertinente, si alambiquée ou farfelue soit-elle, qu'à se montrer sceptique et distancié... Pour rappel ( supra 5.5.2022), les rabbim (les nombreux ou la multitude) sont précisément dans ce contexte (v. 2, 3, 10, comme à Qoumrân) ceux qui se laissent instruire par les "savants" ou les "doctes" ( maskilim), et non des "sceptiques" extérieurs ou hostiles à la "communauté" ou au "mouvement" de référence ("assidéen" si l'on veut, cf. aussi supra 5.5.2022). |
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| Sujet: Re: Analyse de Daniel 12 - En ce temps-là ... Mer 11 Mai 2022, 11:28 | |
| " Et moi, Daniel, je vis deux autres hommes qui se tenaient debout, l'un sur une rive du fleuve, et l'autre sur l'autre rive du fleuve. L'un d'eux dit à l'homme vêtu de lin, qui se tenait au-dessus des eaux du fleuve : Quand viendra la fin de ces choses inouïes ? J'entendis l'homme vêtu de lin qui se tenait au-dessus des eaux du fleuve ; il leva vers le ciel sa main droite et sa main gauche, et il jura par celui qui est vivant pour toujours : Ce sera dans un temps, des temps et la moitié d'un temps ; quand la force du peuple saint sera entièrement épuisée, tout cela s'achèvera. J'entendis, mais je ne compris pas ; et je dis : Mon seigneur, quelle sera l'issue de ces choses ?" (12,5- . Ce texte m'inspire deux réflexions/questions : 1) A quels évènements correspondent "la fin de ces choses inouïes", à ceux décrits au chapitre 11 (il me semble que les chapitre 11 et 12 ont des auteurs différents) ? ; 2) "l'homme vêtu de lin" fournit une période précise (3 temps et demi) et un évènements précis ("quand la force du peuple saint sera entièrement épuisée") pour répondre à la question : "Quand viendra la fin de ces choses inouïes ?", pourtant Daniel souligne son incompréhension. Des informations sont données pour répondre à une question mais elles augmentent l'incompréhension car l'auteur ne maitrise pas l'avenir. Un extrait : D’autres visions, assorties de prédictions historiques et de chiffres mystérieux, apporteront des révélations supplémentaires à Daniel. Il apprend ainsi que son peuple, parvenu au comble de ses souffrances, sera sauvé et qu’alors se produira la résurrection des justes et des méchants, « les uns pour la vie éternelle, les autres pour la honte et pour une horreur éternelle » (Dan. 12.2). Voulant savoir à quelle date s’accompliront « ces événements extraordinaires », il s’entend répondre : « au bout d’un temps, des temps et une moitié de temps [c’est-à-dire trois ans et demi ou quarante-deux mois], quand la puissance du peuple saint sera entièrement brisée » (Dan. 12.7) ou encore : « depuis le moment où le sacrifice journalier a été aboli et l’abomination muette installée, il se passera mille deux cent quatre-vingt-dix jours » (Dan. 12.11), soit sensiblement la même durée. Explication inévitablement énigmatique, « Car ces choses demeureront cachées et scellées jusqu’au temps final » (Dan. 12.9). https://www.persee.fr/doc/xvii_0291-3798_2007_num_64_1_2337 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Analyse de Daniel 12 - En ce temps-là ... Mer 11 Mai 2022, 12:21 | |
| Article très instructif sur les interprétations britanniques de Daniel au XVIIe siècle, mais assez peu pour l'exégèse (au sens moderne) du livre lui-même: l'auteur semble tenir pour acquis que Daniel (qu'il situe bien "vers l'an 165 avant notre ère") annonce l'empire romain, c'est dire qu'il n'a pas vraiment compris le principe même, "rationaliste" si l'on veut, d'une telle exégèse (qui n'est certes pas son rayon, mais le même principe est censé régir son propre domaine: si un livre peut effectivement prédire l'avenir, non par prévision rationnelle ni par hasard, il n'y a pas d'"histoire" ni d'"historiographie" rationnelle et scientifique qui tienne: ni déduction logique ni analyse critique, ni certitude ni probabilité ni vraisemblance, puisque tout devient également "possible").
Sur le "passage" du chapitre 11 au chapitre 12, je me permets de renvoyer au dernier paragraphe de mon dernier post du 5.5.2022 (supra): qu'il y ait ou non changement d'"auteur", c'est la nature même de ce qui est annoncé (1) avenir anticipé et donc sujet à l'erreur depuis 11,40, mais encore dans le champ ordinaire de l'"histoire" jusqu'à 11,45, suite et fin d'Antiochos; 2) l'extra-ordinaire d'une eschatologie proprement dite, résurrection des morts et jugement dernier, 12,2ss) qui produit l'effet de rupture (avec un statut intermédiaire et incertain de 12,1, "Michel" et la "grande détresse", qui peut être rattaché à ce qui précède OU à ce qui suit).
Quant à l'"incompréhension", elle est d'abord liée à la "situation" même de la pseudépigraphie: "Daniel" est censé voir, entendre, parler et écrire au VIe siècle avant J.-C., donc il ne comprend rien à ce qu'il écrit concernant le IIe siècle, ce qui n'est pas le cas de l'"auteur" réel, vers 165... mais très vite la perplexité fictive de ce "Daniel" se confond avec celle, réelle, des rédacteurs ultérieurs qui, reprenant l'ouvrage ne serait-ce que quatre ans plus tard, a fortiori davantage, se trouvent face à une "prédiction ratée" d'au moins deux points de vue: 1) au plan "historique", Antiochos n'a pas fini comme prévu, mais ça on l'oubliera aussi très vite, à supposer qu'on l'ait jamais su; en revanche, 2) il est et restera impossible d'ignorer que la conclusion proprement "eschatologique", résurrection des morts etc., ne s'est pas réalisée, cela devient donc un "mystère" réinterprétable à loisir, par des délais et des calculs supplémentaires (v. 11s), ou tout autrement au fil des décennies, des siècles et des millénaires à venir -- même les interprétations an-eschatologiques, non-eschatologiques ou anti-eschatologiques de la "résurrection", survie de l'âme ou résurrection "spirituelle", s'inscriront dans la suite de cette eschatologie devenue incroyablement féconde dans tous les sens parce que jamais réalisée.
"L'homme vêtu de lin" (qu'il ne faut pas se hâter d'appeler un "ange") revient en 12,6s de 10,5, sans préjudice de son identification ou de sa signification (voir là-dessus l'article de Munnich, supra 5.5.2022). Même s'il ne s'agit pas dans les deux cas du même "auteur" (c'est au moins probable à partir de 12,5), cela montre que les développements ultérieurs du livre puisent dans le matériau qui les précède, quelle que soit l'interprétation qu'ils en font. |
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| Sujet: Re: Analyse de Daniel 12 - En ce temps-là ... Jeu 12 Mai 2022, 11:38 | |
| "Heureux celui qui attendra et qui arrivera jusqu'à mille trois cent trente-cinq jours !" (12,12)
Déjà Daniel 11,34 fait allusion au fait que la résistance contre les Séleucides recevrait "un peu d'aide", ce qui semble soutenir l'idée que l'auteur et ses partisans prônaient nullement la lutte armée mais l'attente., la patience poussée jusqu'à la mort s'il le faut, aux martyrs Dieu réserve la résurrection ... L'auteur attend la destruction de l'oppresseur uniquement d'un miracle, le tyran périra et le royaume des saint s'établira sans l'intervention d'aucune main (2,44-45 ; 8, 25).
Daniel et son temps: recherches sur le mouvement apocalyptique juif au IIe ... De André Lacocque |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Analyse de Daniel 12 - En ce temps-là ... Jeu 12 Mai 2022, 12:27 | |
| Ce que tu cites, au moins en partie, me semble plutôt extrait de l'Histoire de la littérature hébraïque et juive d'Adolphe Lods, 1982, p. 846... Le livre de Lacocque (1983) est (aussi partiellement) consultable ici.
Quoi qu'il en soit, le décalage entre le point de vue de "Daniel" et ceux des "Maccabées" (points de vue encore différents des insurgés "historiques" désignés sous cette appellation et de la série de livres ainsi intitulés, de l'époque hasmonéenne et hellénistique à l'époque hérodienne et romaine) est évident. D'où aussi l'illusion d'unité que recèle toute dénomination globalisante, comme "les assidéens", pour un "mouvement" qui n'a jamais réussi à fédérer qu'en partie et provisoirement des groupes, des idées et des intérêts en partie communs et en partie divergents.
Le verbe (hkh) traduit par "attendre" en 12,12 est assez courant, notamment dans les Prophètes (Isaïe 8,17; 30,17; 64,4; Osée 6,9; Habacuc 2,3; Sophonie 3,8 ) et les Psaumes (33,20; 106,13), dans un sens "religieux" qui excède, sans la supprimer, la seule perspective temporelle de l'attente -- c'est attendre quelqu'un au moins autant que quelque chose, et en tout cas plutôt qu'une date ou un événement défini à l'avance. La Septante le traduit (en Daniel et ailleurs) par hupo-menô, qui signifie "supporter" ou "endurer" (soit le "pâtir" de la "patience"). Par coïncidence, je lisais hier un intéressant commentaire de Derrida (Séminaire L'Hospitalité, vol. I, 1995-1996, Seuil 2021, p. 321ss) sur un passage insolite de Heidegger (Bauen Wohnen Denken, traduit par "Bâtir habiter penser" dans Essais et conférences) qui est lui-même un commentaire de Hölderlin, à propos de l'"idolâtrie" comme défaut d'attente: l'"idolâtre" serait celui qui n'attend pas son dieu, qui veut le produire par ses propres moyens ou le convoquer impérativement plutôt que de l'invoquer et de l'attendre. On pense aussitôt à l'épisode du "veau d'or" dans l'Exode, que curieusement ni Heidegger ni Derrida n'évoquent, du moins dans ce que je viens de lire; et à Héraclite (fragment 18, d'après Clément d'Alexandrie): ἐὰν μὴ ἔλπηται, ἀνέλπιστον οὐκ ἐξευρήσει, ἀνεξερεύνητον ἐὸν καὶ ἄπορον (approximativement: sans espérer tu ne trouveras pas l'inespéré, qui est introuvable et inaccessible -- "aporétique"). |
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| Sujet: Re: Analyse de Daniel 12 - En ce temps-là ... Mer 18 Mai 2022, 10:06 | |
| garde secrètes , ou cache (cf. 8, 26 ; cf. aussi Es 29, 11 et à l'inverse Apo 22, 10) - la multitude errera, d'après l'hébreu, dont le sens n'est pas clair, mais qui se réfère peut être à Am 8, 12. Le texte massorétique continue ainsi : «et (mais ?) la connaissance augmentera», le contraste avec ce qui précède est curieux. La Septante a compris «l'iniquité» (changement d'une consonne hébraïque), lecture que j'adopte. M. Delcor prend « errer » au sens de « scruter » et il traduit : « Beaucoup le scruteront et la connaissance s'accroîtra » ...
Le v.4 invite Daniel dans le temps difficile qu'il connaît à garder précieusement l'enseignement reçu sans le faire connaître publiquement ; en attendant «le temps de la fin» le croyant doit vivre d'une parole qui ne lui laisse rien ignorer de l'angoisse que le peuple de Dieu doit affronter, mais qui assure à tous les Juifs fidèles, vivants ou morts, le salut.
https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1979_num_59_3_4501 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Analyse de Daniel 12 - En ce temps-là ... Mer 18 Mai 2022, 10:49 | |
| Sur cet article de Martin-Achard, cf. supra 5 et 10.5.2022.
L'interprétation des deux propositions de 4b est pour ainsi dire solidaire, il faut les prendre ensemble en bonne ou en mauvaise part: ou bien (en simplifiant) "beaucoup chercheront (cf. supra 10.5 15 h 20) et la connaissance augmentera", ce qui me semble assez clairement le sens du TM, ou bien "beaucoup erreront (s'égareront, etc.) et le mal (l'iniquité, l'injustice, etc.) augmentera", d'après la Septante (ou première version grecque connue, "jusqu'à ce que les nombreux s'égarent et que l'injustice, adikia, abonde ou soit accomplie") qui peut effectivement suggérer un texte hébreu différent (que l'on modifie ou non le premier verbe, le substantif d`t = "connaissance" peut aisément se confondre avec un r`h/t = "mal", cf. BHS ad loc. qui signale les conjectures mais ne tranche pas, "prp"). Théodotion donne un sens "favorable" conforme au TM (ou au texte pré-massorétique), mais pour les deux éléments: "jusqu'à ce que beaucoup soient instruits (didakhthôsin) et que la connaissance (gnôsis) abonde". |
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| Sujet: Re: Analyse de Daniel 12 - En ce temps-là ... Mer 18 Mai 2022, 11:19 | |
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| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Analyse de Daniel 12 - En ce temps-là ... Mer 18 Mai 2022, 12:02 | |
| Voir aussi (plus récemment) ici, à partir du 28.2.2022. A la simple lecture du texte (même en traduction) il est clair qu'on a une série d'ajouts à partir de 12,5, après une première conclusion (v. 4) qui devra d'ailleurs être répliquée au v. 13 (cf. les conclusions successives de Jean 20 et 21 p. ex.). Mais il est tout aussi clair (cf. supra, p. ex. 4 et 11.5.2022) que ces ajouts, pour avoir une valeur de "délais supplémentaires", ont dû être produits sur une période très courte: qu'on les prenne comme une prolongation du délai initial avec le même point de départ, ou qu'on les mette bout à bout, tout cela devient chronologiquement caduc au bout de quelques mois ou de quelques années -- le fait que la Septante (= première traduction grecque connue) les intègre servirait à peine de confirmation, puisque l'ensemble de sa traduction suggère que le contexte "historique" est largement perdu de vue, pour autant qu'il ait jamais été précisément connu des traducteurs (à Alexandrie ou ailleurs). Il est remarquable en tout cas que même lesdits ajouts ne font plus référence à une "eschatologie absolue" comme celle des v. 1ss (résurrection des morts et jugement dernier), on revient à des considérations ordinaires, centrées sur le temple. Autrement dit l'"eschatologie" se détache de l'"histoire" et de la chronologie, mais elle n'est pas abjurée pour autant, elle devient au contraire indéfiniment valable -- et offerte sans garde-fous à de nouveaux calculs chronologiques au fil des siècles et des millénaires. |
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| Sujet: Re: Analyse de Daniel 12 - En ce temps-là ... Mer 27 Sep 2023, 11:03 | |
| Le maśkîl
2.1 Le personnage et les textes
Le terme maśkîl se trouve une trentaine de fois dans la Bible hébraïque : il s’agit d’une forme participiale du verbe śākal (hiphil) qui évoque l’intelligence ou la sagesse d’une personne, sa conduite avisée ou sa réussite (Elgvin 2013 ; Koenen 1993). Il sert à décrire le succès de David, le bon sens de celui qui récolte au moment opportun ou qui sait mesurer son langage, etc. (1 S 18,14-15 ; Pr 10,5.19). Il est employé comme terme technique dans plusieurs titres de psaumes « d’instruction » (Ps 32,1 ; 42,1 ; etc.). Le pluriel maśkîlim désigne soit des Lévites (2 Ch 18,22), soit des sages qui, après avoir guidé la multitude et avoir péri au temps de l’angoisse, s’éveilleront pour resplendir à tout jamais (Dn 11,33-35 ; 12,3.10). Dans les textes de Qumrân, maśkîl apparaît comme substantif une quarantaine de fois. On considère généralement qu’il désigne l’un des principaux responsables du groupe, un homme instruit, éclairé et réfléchi, qui agit comme maître et guide tant auprès des novices que du reste de sa communauté. Cette figure apparaît dans des règles (Document de Damas et Règle de la communauté), des écrits de sagesse (Instruction, Paroles du maśkîl aux fils de l’aurore, Voies de la justice) et des recueils poétiques ou liturgiques (Recueil de bénédictions, Hymnes, Chants pour l’holocauste du sabbat, Chants pour le maśkîl).
https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/2014-v22-n2-theologi02419/1035685ar/ |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Analyse de Daniel 12 - En ce temps-là ... Mer 27 Sep 2023, 12:47 | |
| Etude très intéressante, et relativement récente (2014), sur les textes de Qoumrân ou "de la mer Morte" -- dans ce domaine la date a une certaine importance, car si les textes "principaux", les premiers découverts et les mieux conservés, sont connus depuis les années 1950, la publication intégrale a beaucoup tardé, et les études extensives, sinon exhaustives, n'étaient accessibles qu'à très peu de chercheurs avant le XXIe siècle.
Il faut bien comprendre que ces textes ont été produits sur une période assez longue, à la fois antérieure et postérieure à la rédaction "finale" de Daniel (je parle du Daniel hébreu et araméen, proto-massorétique, mais ce serait vrai aussi, un peu plus tard, plus loin ou plus bas dans la même fourchette, pour les versions grecques), et qui reflètent eux-mêmes une grande diversité de "points de vue". En ce qui concerne le terme maskil, on voit bien que son usage oscille entre un sens général, de qualificatif sapiential (sage, perspicace, intelligent, etc.), sens qui se précise le cas échéant selon le contexte et le référent (prêtre, chef "spirituel" d'une communauté marginale, maître, enseignant et interprète des textes, simple membre participant de la "sagesse" générale en suivant l'enseignement et la discipline, etc.), au point de devenir parfois un véritable "titre" individuel et fonctionnel, ou une auto-désignation collective et dans ce cas comparable à beaucoup d'autres: les "sages" sont aussi les "justes", les "fidèles", les "pauvres", les "humbles", et ainsi de suite, le sens des mots s'éclipsant derrière leur fonction. Il semble que les occurrences de maskilim en Daniel 11--12 relèvent d'un usage analogue (c'est au moins un groupe ou une catégorie définis), donc d'un milieu similaire sinon "le même" (ce qui ne veut de toute façon pas dire grand-chose vu la diversité, temporelle et idéologique, des écrits "de la mer Morte", dont Daniel fait partie -- il ne serait nullement distingué des écrits dits "sectaires" s'il n'avait pas été plus tard canonisé, donc rangé dans la catégorie des textes "bibliques"). A noter toutefois que le verbe skl apparaît aussi en 1,4.17; 9,13.22.25 avec le sens de "sagesse", "intelligence", "comprendre", etc.
Le plus intéressant de l'affaire, mais on en a souvent parlé ailleurs, c'est l'évolution multiple du vocabulaire "sapiential" (intellectuel, cognitif) récupéré, approprié et acclimaté par toutes les tendances, activités ou méthodes (sacerdotales, laïques, sectaires, légitimistes, légalistes, apocalyptiques, mystiques ou mystériques, exégétiques ou herméneutiques, etc.). Sur des chemins très différents tout le monde se veut "sage", et veut que sa "sagesse" le distingue des autres. Comme disait à peu près Héraclite du logos, chacun veut avoir le sien alors qu'il est un -- mais chacun veut aussi que le sien soit l'unique...
A noter aussi dans l'étude précitée la notion de "mystère de l'être" ou "de l'existence" qui est en quelque sorte corollaire de la "sagesse" et qui elle aussi s'applique différemment à tout (au savoir ou au savoir-faire du prêtre, du maître, du disciple, de l'interprète, du visionnaire, du prophète, de l'exorciste, etc.). En fait l'expression rz nhyh / raz nihyeh (raz pour "mystère", emprunt de l'araméen au perse, cf. Daniel 2,18s.27ss.47; 4,9, + nifal inaccompli du verbe hyh, le même que pour le fameux 'hyh 'šr 'hyh d'Exode 3,14) pourrait aussi bien se traduire "mystère de ce qui sera", "de ce qui arrive", "de l'événement", "du devenir", etc. (voir éventuellement ici, en anglais). |
| | | VANVDA
Nombre de messages : 1610 Date d'inscription : 09/05/2008
| Sujet: Re: Analyse de Daniel 12 - En ce temps-là ... Dim 17 Déc 2023, 20:33 | |
| Très en marge, Narkissos, est-ce que tu aurais le temps et l'envie d'expliquer pourquoi l'expression "un temps et des temps et la moitié d'un temps" qu'on trouve au v.7 est systématiquement (à moins que d'autres interprétations que j'ignore soient proposées ?) comprise comme "3 temps 1/2" ? Pourquoi le "des temps" est compris aussi unanimement comme "deux temps" ? |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Analyse de Daniel 12 - En ce temps-là ... Dim 17 Déc 2023, 22:57 | |
| La question m'est certainement passée par la tête plus d'une fois (c'est le cas de le dire) mais je n'ai jamais trouvé, ou retenu, d'explication tout à fait satisfaisante. En tout cas je n'en connais pas de grammaticale: la forme du texte massorétique (en hébreu mo`adim ici, déjà en araméen `idanin en 7,25) est bien celle d'un pluriel et non d'un duel, nombre qui n'est pas attesté avec les noms correspondants (le duel est généralement réservé aux choses qui vont par deux, les yeux, les oreilles, les narines, les bras ou les mains, les jambes ou les pieds, outre quelques usages idiomatiques permanents d'une forme similaire pour les cieux, les eaux etc., comparables en partie à notre usage du partitif pour l'indénombrable: de l'eau, etc.; mais à ma connaissance rien de tel pour les "temps", ni en araméen pour `idan et zeman qui est emprunté au perse -- on trouve les deux en 7,12.25 -- ni en hébreu pour mo`ed ou `eth). La justification est donc contextuelle, et forcément "circulaire": c'est la seule interprétation qui paraît faire sens dans le réseau des indications temporelles du livre, en particulier la "moitié de la semaine" de 9,27 (cf. les 7 temps du chap. 4), supposée inférieure en 12,7 aux amplifications suivantes (= 1260 < 1290 < 1335 jours), et qui correspond grosso modo à la durée de la crise maccabéenne, peut-être indiquée plus précisément après coup au chapitre 8 par les "2300 soirs et matins" = "sacrifices du soir et du matin", soit 1150 jours... Et c'est ainsi qu'on a généralement compris le texte, notamment dans l'Apocalypse (12,14, cf. v. 6, 11,3.9.11). On trouverait sans doute d'autres interprétations excentriques en épluchant des siècles de commentaires, de monographies et d'articles spécialisés, sans compter les "littératures sectaires", mais elles n'auront convaincu que leurs auteurs, et encore... Quant à l'effet de style (pourquoi ne pas dire 3 ans et demi si c'est ce qu'on veut dire ? mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?), il faut évidemment le rapporter à tout le dispositif "apocalyptique", qui relève de la complication et du mystère, à commencer par le rapport vision / interprétation. Cf. aussi au chapitre 5 la structure analogue du message sur le mur qui ressemble à une somme exprimée en poids, mine + mine + sicle + moitié(s), où la répétition du premier élément, inutilisée dans l'interprétation, ressemble à la multiplication des "temps". P.S.: Je vois après coup que nous avons déjà évoqué la question ici (en 2017). |
| | | VANVDA
Nombre de messages : 1610 Date d'inscription : 09/05/2008
| Sujet: Re: Analyse de Daniel 12 - En ce temps-là ... Mar 19 Déc 2023, 15:10 | |
| Merci beaucoup pour ta réponse, et les références qui l'accompagnent. |
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| Sujet: Re: Analyse de Daniel 12 - En ce temps-là ... | |
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