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| Les trois Hébreux dans la fournaise Daniel 3 et la fosse au lions Daniel 6 | |
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free
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| Sujet: Les trois Hébreux dans la fournaise Daniel 3 et la fosse au lions Daniel 6 Mar 14 Nov 2023, 16:10 | |
| Les trois Hébreux dans la fournaise (Dn 3) dans l'interprétation symbolique de l'Église ancienne
Le chapitre 3 présente la particularité d'être à la fois bien inscrit dans un ensemble très organisé et complètement autonome. A. Lenglet a montré de façon tout à fait convaincante que le chapitre 3, l'épisode des trois jeunes gens dans la fournaise, est l'exact correspondant du chapitre 6,· l'histoire de Daniel dans la fosse aux lions. L'ensemble des chapitres 2 à 7 forme en effet, selon l'auteur, une structure concentrique dont le centre, les chapitres 4 et 5, exprime le jugement sur les rois ; ces deux chapitres sont encadrés par des « actes de martyrs », les chapitres 3 et 6, eux-mêmes englobés par les chapitres 2 et 7, qui exposent des rêves et leurs interprétations.
Le miracle rapporté au chapitre 3 se produit à la cour de Nabuchodonosor, roi de Babylone, au moment de la captivité de Joiaqim, souverain de Juda. Le tyran babylonien a fait prélever dans les familles nobles d'Israël des jeunes gens destinés à devenir ses familiers. Parmi eux se trouvent Daniel, Ananias, Misaël et Azarias, qui reçoivent désormais des noms babyloniens : Baltasar, Sedrak, Misak et Abdenago. A la suite d'un songe, Nabuchodonosor fait élever une statue d'or colossale et proclame que ceux qui n'adoreront pas cette statue seront jetés dans la fournaise.
Lire aussi : Place de l'épisode dans l'exégèse des Pères Grecs
https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1997_num_71_1_3387 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Les trois Hébreux dans la fournaise Daniel 3 et la fosse au lions Daniel 6 Mar 14 Nov 2023, 20:20 | |
| Ta citation proviendrait plutôt d'ici. Utile rappel à ceux qui, comme moi, ont surtout pratiqué "la Bible" protestante (ou hébraïque): que tout le christianisme ancien a lu "l'Ancien Testament", en grec, en latin ou en syriaque, et spécialement Daniel, avec les "additions" de la Septante, plus ou moins revues par d'autres recensions ou éditions du texte grec (p. ex. Théodotion) et par les traductions ( Vetus latina, Vulgate, Peshitta). En l'occurrence le motif de la rosée dans la fournaise, déterminant pour les interprétations baptismales des Pères de l'Eglise, est tout à fait absent du texte massorétique, mais on le trouve aux v. 49s du grec (et des versions qui en dépendent); texte qui dépend vraisemblablement d'un original hébreu ou araméen, même s'il s'agit d'un ajout secondaire par rapport au Daniel "original" (ici probablement araméen, comme dans le texte [proto-]massorétique). Il faut donc commencer par lire le texte de référence -- par exemple, en traduction française, dans la Bible de Jérusalem. Je rappelle par ailleurs que nous avons brièvement évoqué le rapport du chapitre 3 au chapitre 2 ici (7.11.2023), à la suite de l'article de Keith que tu nous avais apporté. |
| | | free
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| Sujet: Re: Les trois Hébreux dans la fournaise Daniel 3 et la fosse au lions Daniel 6 Jeu 16 Nov 2023, 11:15 | |
| IMAGE CULTUELLE ET PRÉSENCE DIVINE DANS LE LIVRE DE DANIEL Pierre Keith (Université de Strasbourg) p 255
DANIEL 3,1-30
Dans cet épisode, dans lequel Daniel est absent, l’action évolue autour de deux objets : une image de grande taille et une fournaise, dans laquelle les trois compagnons sont précipités. La trame narrative est simple et progresse au rythme de plusieurs hyperboles : la taille imposante de l’image, la colère croissante du roi et le feu exagéré de la fournaise. L’image dont il est question dès le début est un צלם fabriqué par le roi et dressé « dans la plaine de Doura, dans la province de Babylone » (3,1). Malgré un souci du détail, parfois même exagéré pour quelques aspects, le texte reste laconique sur plus d’un point. Il ne donne qu’une description sommaire de l’image. Il n’indique ni sa forme, ni ce qu’elle représente, ni son nom. Rien n’est dit de ses contours, s’ils sont géométriques (de type bas-relief) ou anthropomorphiques (de type statue) ; ni de son référent, s’il s’agit du roi ou d’une divinité. En revanche, le texte précise que l’image est faite de main d’homme, localisée en-dehors de la ville et dressée dans une plaine, visible et imposante par sa taille et son matériau. La cérémonie organisée en vue de la dédicace de ce צלם12) 3,2-7 (est racontée sur un ton faussement naïf. Le personnel administratif de l’empire est convoqué pour l’occasion. Les corporations se rassemblent et se placent face à l’image. Un héraut expose les consignes de la cérémonie et invite les personnes à se prosterner au signal donné par les instruments de musique. La fonction cultuelle de l’image ne fait pas de doute. Les mots clés sont “prosterner” et “adorer”. L’énumération des instruments, dont la longueur et la répétition retiennent l’attention, ne donne le détail que d’instruments à vent et à corde. La liste ne nomme pas explicitement de percussions qui, dans un orchestre, servent à marquer le rythme. Cette omission peut être entendue dans le sillage de la description matérielle de l’image (3,1), en écho à la critique prophétique des statues de culte. La musique qui inaugure sa dédicace, dépourvue du martèlement régulier des percussions, est en quelque sorte “sans vie” comme son matériau, privée de ce qui, dans le rite, peut suggérer les battements d’un cœur.
Dans le récit de Dn 3, les rites qui entourent l’image sont obligatoires et collectifs. Ils participent à la structuration des populations et constituent un témoignage public de loyauté. À travers eux, l’image est censée faire voir la cohésion de l’empire et l’autorité du roi sur l’étendue du territoire qu’il gouverne. Cette pratique est remise en question par les trois compagnons, qui refusent de s’associer à la cérémonie à laquelle leur rang les obligeait. Pour les Chaldéens, ce refus est perçu comme une atteinte à leurs obligations civiques. Pour les Judéens, la motivation est celle de l’obéissance et de la fidélité à leur loi et à leur Dieu. Le vocabulaire employé, cette fois-ci “servir” et “adorer”16, fait écho à l’interdit du Décalogue contre l’idolâtrie : « Tu ne te prosterneras pas devant ces choses-là et tu ne les serviras pas » (cf. Ex 20,5 ; Dt 5,9).
Le plus fort de la confrontation est exprimé par la question du roi au v. 15, « et quel est le dieu [אלה, singulier] qui vous délivrera de ma main ? », question qui met sur un même plan la puissance royale et celle de la divinité. Elle évoque une idéologie pour laquelle la légitimité du roi dérive de sa “ressemblance” aux dieux. La colère du roi va crescendo. Au v. 19, son émotion est comme une photographie de la situation : son visage change d’aspect. Le récit dira littéralement « l’image de sa face changea » (אשתנו אנפוהי וצלם(. Pour cette dernière occurrence, le mot צלם est appliqué à un être vivant, au roi, et, par la même occasion, il est utilisé pour une “image” qui change en fonction des circonstances, ce qu’une représentation plastique ne peut pas faire par elle-même.
Au v. 21, les trois compagnons sont précipités dans la fournaise. Le récit ajoute certains détails, comme celui des vêtements. La liste est anormalement longue, et emploie des mots araméens dont la signification est parfois incertaine. En outre, ni la liste ni le contexte ne révèlent la fonction de ces habits. Généralement, coiffures et vêtements sont des pièces spécifiques, qui permettent de reconnaître une culture ou une ethnie. Or, ici, rien n’est dit en ce sens. En revanche, si l’idée sous-jacente reste celle de l’image cultuelle, un rapprochement pourrait être tenté dans ce cas avec les ornements des statues, dont une des fonctions est l’identification la divinité.
Nabuchodonosor est seul à voir le miracle de la fournaise : quatre hommes (3,25 : ארבעה גברין ; cf. 3,10 : כל־אנש (dans le feu, libres de tout mouvement, et « l’aspect du quatrième qui “ressemble” à celui d’un fils des dieux » (3,25 : אלהיןלבר־ דמה(. Le récit ne précise ni le rôle, ni la part du quatrième qui fait sa ressemblance divine. En revanche, il oriente la comparaison vers les figures humaines. Le 4e être, distinct par son apparence surnaturelle (3,25 : רו(, a pris corps et partage la condition des personnes jetées dans la fournaise. Il est une manifestation visible du Dieu invisible, la première dans le livre de Daniel, à la manière d’un trait, à la fois d’union et de séparation, entre le divin et l’humain, entre ce qu’il fait voir à Nabuchodonosor et ce qu’il masque. La “ressemblance” est donc prioritairement du côté des trois compagnons, qui marchent avec lui dans le feu et qui sont, comme lui, indemnes et sans entrave. Le lien privilégié entre les compagnons et la ressemblance du quatrième homme s’exprime à travers cette contiguïté et cette similitude. Leur représentativité se conçoit sur un mode métonymique qui, mieux que l’imitation ou la copie plastique, fait apparaître l’unité ontologique entre l’image et son original.
L’événement surnaturel, l’apparition d’une “ressemblance de fils des dieux”, est l’élément transformateur du récit. Nabuchodonosor identifie les trois compagnons à des « serviteurs du Dieu Très-Haut » (3,26 : עליא די־אלהא עבדוהי(,interdit le blasphème (3,29 ; une deuxième allusion au Décalogue) et promulgue l’équivalent d’un édit de tolérance en faveur de leur religion. Les fonctionnaires royaux sont témoins que « le feu n’a eu aucun pouvoir sur le corps de ces hommes » (3,27) et que les compagnons sont restitués intégralement, avec leurs ornements (“cheveux” et “habits”) et leur odeur (“ils ne sentaient même pas le brûlé”). Une analogie peut être tentée ici entre l’“image”, telle que celle dressée dans la plaine de Doura, et la “ressemblance” vue par Nabuchodonosor dans le feu. La fournaise, si elle est comparée au creuset utilisé pour la fabrication d’une image en métal, serait, dans un sens figuré, le creuset qui a servi pour forger une “ressemblance” divine dans les personnes des « serviteurs du Dieu Très-Haut ». Devant cette “ressemblance”, Nabuchodonosor, le maître d’œuvre autour de la fournaise, “adore” le Dieu des trois compagnons. Implicitement, ceux-ci ont été établis “image” par une similitude, une contiguïté et une parole performative du roi, qui les nomme “serviteurs”. Dans le même temps, « les satrapes, les intendants, les gouverneurs et les conseillers » (3,27), dont le rassemblement n’avait plus été évoqué depuis la cérémonie de la dédicace (3,2.3), en constatant l’identité des trois compagnons, écartent un risque éventuel de confusion entre l’“image” et ce qu’elle représente.
Cette transposition de la notion d’“image” sur des êtres humains n’est pas isolée dans le livre de Daniel. Elle se retrouve dans plusieurs autres épisodes, enrichie d’éléments complémentaires : dans la conclusion de l’épisode précédent, au ch. 2, dont la perspective est confirmée ; dans la vision de l’Ancien des Jours, au ch. 7 ; et, dans la vision de l’homme vêtu de lin, au ch. 10.
https://library.oapen.org/bitstream/handle/20.500.12657/42999/9789042939745.pdf |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Les trois Hébreux dans la fournaise Daniel 3 et la fosse au lions Daniel 6 Jeu 16 Nov 2023, 11:33 | |
| Nous avons discuté les passages de cet article afférents aux chapitres 2, 7 et 10 dans les fils correspondants -- suivre éventuellement le dernier lien de mon post précédent: où l'on trouvera aussi ma suggestion spontanée (je ne suis sans doute pas le premier à la faire, mais je ne me souviens pas de l'avoir lue ni entendue, et je pense, à la relecture, qu'elle mériterait d'être creusée) que le "comme-un-fils-des-dieux" du chapitre 3 et le "comme-un-fils-d'homme" du chapitre 7 ont pu être conçus, à un certain moment de la rédaction, comme des "avatars" de "Daniel" lui-même, "adoré" à la fin du chapitre 2... un "Daniel divinisé" échappant à l'épreuve mais y rejoignant les siens pour les sauver, dans le premier cas; et revenant à la fin de l'histoire des bêtes pour assurer le royaume des saints (eux-mêmes divins ou humains d'une lecture ou rédaction à l'autre). Tout comme "le Fils de l'homme" eschatologique des Paraboles d'Hénoch, bien plus tard mais nettement influencé par Daniel, sera lui-même un "avatar" ou un "double" d'Hénoch, celui-ci étant à la fois sujet et objet de la "vision"... Cela d'ailleurs ne ferait qu'approfondir la thèse de Keith: l'image "faite à la main", manu-facturée, arte-fact, est réprouvée, mais l" homme-image" ne l'est pas, et cette distinction n'a rien d'arbitraire si elle relève d'une co-appartenance essentielle, originaire, de l'humain et du divin... Thème d'ailleurs tout aussi "hellénistique" puisqu'on le retrouve aussi bien chez Marc, dans le discours de l'Etienne des Actes ou dans l'épître aux Hébreux (avec le critère décisif de ce qui est ou non "fait à la main", a/kheiro-poièton); ce qui d'ailleurs ne concerne pas seulement la "main de l'homme", comme les traductions le disent souvent, mais tend aussi à distinguer ce que Dieu "fait" ou "crée" à la main (comme démiurge) de ce qui émanerait autrement de lui, par exemple par engendrement (main vs. sexe): tous les débats futurs de la "gnose" et de l'"orthodoxie" (engendré, non créé) sont ici en germe. Puisque ton titre appelle à la comparaison, naturelle, des chapitre 3 et 6, on peut remarquer que lorsque Daniel est lui-même soumis à l'épreuve (de la fosse aux lions; cette fois ce sont les trois autres qui sont absents) -- on a changé de roi et d'empire entre-temps -- il n'y a pas de figure extérieure visible pour le sauver; même s'il y a un "ange" ou "messager" ( ml'k/aggelos) dans l'explication donnée au roi... à noter aussi que la "prière" interdite est aussi bien aux hommes qu'aux dieux, v. 8 et 13 (du moins dans le TM). Cela peut suggérer que la critique porte davantage sur l'idée ou le fantasme d'une autocratie absolue, totalitariste avant la lettre, que sur une idolâtrie ou un polythéisme. En rapport avec l'échange précédent, l'addition de la transformation de la fournaise en lieu frais (rosée, etc.) ne fait qu'expliquer et décrire le miracle d'un point de vue "interne", alors que le point de vue du texte massorétique est exclusivement externe... mais on peut aussi y voir un thème essentiel à l'hellénisme qui va se développer jusqu'à l'alchimie du moyen-âge et de la Renaissance, à savoir la distinction de l'essence ou substance unique et de l'apparence et des caractères, qualités ou "accidents" multiples et variables, thème très présent notamment dans le livre de la Sagesse (la nuée qui éclaire les uns et aveugle les autres, la manne qui a tous les goûts, la sagesse protéiforme): tout peut se transformer en tout parce que tout est au fond la même "chose", la chaleur des uns est la fraîcheur des autres, ce qui tue les uns sauve les autres, etc. |
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| Sujet: Re: Les trois Hébreux dans la fournaise Daniel 3 et la fosse au lions Daniel 6 Sam 18 Nov 2023, 10:21 | |
| Daniel dans la « fosse » aux lions Récemment, M. Isidore Lévy a émis l'hypothèse qu'il faudrait y voir une transposition légendaire de l'histoire de Gallisthène d'Olynthe : ce philosophe, selon des traditions, ne se serait pas plié à rendre à Alexandre le culte divin que celui-ci exigeait ; il tomba en disgrâce à la suite de menées de cour et fut mis à mort. La plupart des sources (Plutarque, Alexandre, 55 ; Arrien, Anab., 14 ; Q. Gurce, Hist. Alexandre, VIII, le font mourir de maladie à la suite d'une longue captivité. Quelques sources ajoutent à la mention de sa longue captivité l'indication qu'il fut enfermé dans une cage de fer : selon Justin, Callisthène fut enfermé avec un chien dans une cage ; Suidas, à l'article Callisthène, dit qu'il fut enfermé avec le poète tragique Néarque dans une cage de fer. Mais le témoignage le plus important paraît être celui de Diogène Laërce ; d'après lui, « Callisthène suspect d'avoir conspiré avec Hermolaus contre Alexandre, fut traîné, enfermé dans une cage de fer, malade et sans soins, jusqu'à ce qu'il fût jeté à un lion et mourût ainsi ». Selon M. Isidore Lévy, l'histoire de Callisthène, plus précisément son refus d'adorer Alexandre comme un dieu et sa mort enfermé dans une cage ou déchiré par un animal, auraient servi de modèle à l'auteur de Dan., VI. Si Callisthène est devenu assez vite un personnage légendaire, symbole de la résistance aux empiétements et aux extravagances du pouvoir royal, et si, sous cette forme, sa légende a pu trouver un écho assez large, même en dehors de la Grèce, il semble, par contre, que la tradition de sa mort ad beslias n'ait pas eu une diffusion très grande dans l'antiquité. La seule source qui en fait état est, en somme, Diogène Laërce. Il me paraît donc difficile de voir dans cet épisode mal connu et diversement rapporté de la vie d'Alexandre l'incident historique ou légendaire qui aurait pu servir de prototype à Dan., VI. D'autre part, en supposant même que le supplice de Callisthène soit à l'origine de l'épisode raconté dans Dan., VI, un fait fondamental demeure inexplicable : comment l'histoire du philosophe grec, qui meurt déchiré par des fauves, a-t-elle pu devenir en passant dans le judaïsme la légende du vrai croyant devant lequel même les lions sont désarmés. Car c'est là l'essentiel de l'épisode de Daniel, à tel point que le christianisme primitif .n'hésitera pas à en faire, comme d'Orphée, un symbole de la résurrection. (...) Au moment où l'épreuve va avoir lieu, l'exclamation du Roi en souligne le caractère, il dit à Daniel (LXX, v. 16) : « Puisse ton dieu que tu adores sans relâche... te délivrer lui-même des griffes (litt. des mains) des lions ! » Dans Dan., III, 15, Nabukadnezar dit aux trois jeunes gens : « Quel dieu y a-t-il qui puisse vous libérer de mes mains ? » Les deux phrases, chacune dans l'esprit du texte, donnent la clé de tout l'épisode : Darius le Mède aime Daniel, mais ses efforts pour le libérer de l'emprise de ses ennemis ont échoué... Il ne peut plus qu'exprimer le souhait que, dans l'épreuve, le dieu de Daniel réussisse à l'arracher aux lions ; tandis que Nabukadnezar, furieux que son ordre d'adorer la statue d'or ait été transgressé, lance un défi à la puissance divine anonyme. L'un et l'autre disent en définitive la même chose : ils posent sans équivoque les termes de l'action qui va commencer : dans l'épreuve de force qui va avoir lieu, un dieu seul pourra manifester à la fois son pouvoir et celui des êtres qui y sont soumis, mais tandis que Nabukadnezar se prépare à assister au supplice des trois jeunes gens, Darius espère que Daniel vaincra. https://www.persee.fr/doc/rhr_0035-1423_1951_num_139_2_5802 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Les trois Hébreux dans la fournaise Daniel 3 et la fosse au lions Daniel 6 Sam 18 Nov 2023, 11:54 | |
| Merci pour cet article ancien (1951) mais remarquable d'Elena Cassin (qui n'est morte qu'en 2011, à plus de 100 ans), toujours précieux surtout sur le chapitre 6: parce qu'il offre une comparaison suivie des trois textes (TM araméen, LXX et Théodotion grecs), en faisant clairement ressortir les enjeux de leurs différences, mais aussi parce qu'il en dégage admirablement les "logiques", narratives et théologiques. D'un côté il y va en effet de l'"ordalie" (dont la Bible offre une version bien connue mais atténuée en Nombres 5, avec le rituel de l'"esprit de jalousie"), comme l'indique la durée limitée de l'"épreuve" (du soir au matin) et son espace, puits ou citerne plutôt que fosse, fermée par une pierre et/ou scellée -- ce qui n'aurait aucun sens pour le châtiment irrévocable (même croyance en ce caractère distinctif de la "loi des Mèdes et des Perses" que dans Esther) d'une faute dûment constatée; or, comme le montre bien l'auteur(e), la logique de l'ordalie est diamétralement opposée à celle du martyre: l'accusé (ou suspect) n'est justifié que s'il s'en sort bien. Il n'y a donc pas de place pour un "si()non" (= si notre dieu ne nous sauve pas) comme celui du chapitre 3, et pas non plus pour le report du salut à une résurrection future (comme dans 2 Maccabées) ou à une élévation post mortem (comme dans la Sagesse) -- contrairement à ce que suggère l'auteur(e), p. 151ss, cette différence n'oppose cependant pas seulement le judaïsme au christianisme, elle joue déjà à l'intérieur du judaïsme du Second Temple, au moins à partir de Daniel, dont les textes oscillent encore entre des logiques différentes, voire contradictoires: du miracle qui justifie (suivant une logique ordalique, chap. 6) au martyre possible (si[]non ça ne change rien, si oui on en sera quand même justifié, chap. 3: pile je gagne et face tu perds) ou actuel (dans le cas des références claires aux "persécutions" d'Antiochos, à partir des additions du chapitre 7 et dans la suite) et à la résurrection finale (chap. 12). En ce qui concerne l'ordalie, nocturne en l'occurrence, on aurait aussi pu la rapprocher de l'"incubation" dont on a quelquefois parlé à propos des psaumes: la pratique de passer la nuit dans le sanctuaire, dans la présence inquiétante de la divinité ambivalente, puissance de mort et de vie, en attendant de sa part un oracle favorable ou défavorable, en rêve et/ou par le prophète ou prêtre au matin, devant sa face enfin visible et, on l'espère, souriante... toutes choses dont le rapport exact à chaque texte ne sera jamais tout à fait sûr, mais qui enrichissent quand même potentiellement les résonances d'un "salut matinal"... On peut remarquer au passage que le mot "loi" ( dat(a') en araméen, équivalent de tora en hébreu) offre au chapitre 6 une certaine symétrie entre "la loi du dieu" (de Daniel) et "la loi des Mèdes et des Perses" (supposée irrévocable: noter le contraste avec Antiochos qui change la loi et les temps, 7,25; cf. 2,21); cette symétrie n'est pas purement antithétique puisque (comme dans Esther, mais là sans référence au "dieu", du moins dans le texte hébreu) le roi qui fait la loi veut du bien aux héros (Daniel, les trois compagnons, Esther ou Mardochée). Toutefois la construction narrative s'appuie sur l'opposition potentielle de la loi (écrite, irrévocable, ce qui est écrit est écrit) à (la volonté de) son "auteur"; cela ne manque pas de questionner en retour le problème d'une "loi de Dieu", qui peut aussi se retourner contre "Dieu". On peut y voir, anachroniquement, le germe à la fois de maintes oppositions futures (entre christianisme surtout paulinien et judaïsme pharisien, et entre les christianismes eux-mêmes jusqu'aux Réformes au moins) et d'une réflexion sur le "supplément dangereux" de l'écriture, qui est aussi une question de temps et de différ ance; car l'écriture en ne changeant pas quand tout change, y compris son auteur et ses destinataires, et/ou en étant interprétée hors de son "intention originelle", finit -- comme la "loi" dont elle est le modèle et qui est tout autant son modèle -- par jouer contre son "auteur" et son "intention" supposés (cf. Derrida, La pharmacie de Platon d'après le Phèdre, etc.). |
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| Sujet: Re: Les trois Hébreux dans la fournaise Daniel 3 et la fosse au lions Daniel 6 Mar 21 Nov 2023, 10:57 | |
| À QUAND REMONTE LA RÉDACTION DU LIVRE DE DANIEL ?
Rédigé par Thierry MURCIA
Il se trompe dans les dates (comparer Daniel I, 1 et Jérémie XXV, 1 et XLVI, 2), appelle le Tigre le « Grand Fleuve » (Daniel X, 4) alors que cette appellation désigne toujours spécifiquement l’Euphrate. Surtout, il laisse entendre à ses lecteurs (Daniel VI, 8-10) qu’un souverain médo-perse, adorateur probable du Dieu unique Ahura Mazda, et donc monothéiste, aurait pu vouloir contraindre ses sujets à lui adresser des prières à lui-même comme à un dieu, ce qui paraît pour le moins douteux.
https://thierry-murcia-recherches-historico-bibliques.over-blog.com/2017/11/a-quand-remonte-la-redaction-du-livre-de-daniel.html
8 Les récits historiques confirment qu’il était courant que les rois de Mésopotamie soient tenus pour des dieux et adorés comme tels. Nul doute, par conséquent, que Darius fut flatté par cette proposition. Il y vit peut-être aussi un côté pratique. Souvenez-vous, en effet, que pour les habitants de Babylone Darius était un étranger et un nouveau venu. Or, cette nouvelle loi assoirait sa royauté et encouragerait les foules qui vivaient à Babylone à vouer leur fidélité et leur soutien au nouveau régime. Cependant, en proposant leur décret, les hauts fonctionnaires et les satrapes ne se souciaient absolument pas du bien du roi. Ce qu’ils voulaient en réalité, c’était piéger Daniel, car ils connaissaient son habitude de prier Dieu trois fois par jour, devant les fenêtres ouvertes de sa chambre haute.
9 Cette restriction portant sur la prière posait-elle un problème pour toutes les communautés religieuses de Babylone ? Pas nécessairement, d’autant que l’interdiction ne serait en vigueur qu’un mois. En outre, peu de non-Juifs considéraient comme une compromission d’adresser leur culte à un humain pendant un temps. Un bibliste fait cette remarque : “ Il n’était pas extravagant dans la plus idolâtre des nations qu’on exige de rendre un culte au roi ; par conséquent, quand on demanda aux Babyloniens de rendre au conquérant (Darius le Mède) l’hommage dû à un dieu, ils accédèrent sans difficulté à cette demande. Seuls les Juifs ne pouvaient accepter une telle exigence. ”
https://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/1101999027
"Tous les chefs du royaume, les intendants, les satrapes, les conseillers et les gouverneurs sont d'avis que soit publié un édit royal mettant en vigueur cette interdiction : « Quiconque, pendant trente jours, adressera des prières à un autre dieu ou à un autre homme que toi, ô roi, sera jeté dans la fosse aux lions. » Maintenant, ô roi, confirme l'interdiction et signe le décret, afin qu'il soit irrévocable, selon la loi des Mèdes et des Perses qui ne peut être abrogée. Là-dessus, le roi Darius signa le décret d'interdiction." (Daniel 6,8-10). |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Les trois Hébreux dans la fournaise Daniel 3 et la fosse au lions Daniel 6 Mar 21 Nov 2023, 11:44 | |
| Murcia recycle décidément son texte depuis longtemps (2001, 2005, 2017, 2020)...
"Techniquement", les rois perses (achéménides) auraient été plus dualistes (zoroastriens) que monothéistes, avec une divinité suprême et bonne (lumière, Ahura Mazda) mais aussi une mauvaise, Ahriman, et des divinités inférieures (ce qui va notamment inspirer l'angélologie et la démonologie du judaïsme du Second Temple).
Il est bien évident qu'on peut trouver une certaine vraisemblance à tout récit, sans quoi il ne serait même pas concevable, ni racontable ni audible... Mais la petite part de vérité dans les explications de la Watch, c'est que dans toute l'Antiquité ("biblique" incluse) il n'y a pas de distinction nette entre "religion" et "politique": les dieux (surtout tutélaires) sont conçus comme des souverains et ceux-ci comme les dieux qu'ils représentent, d'une façon ou d'une autre -- les rois de la Bible ne font pas exception, exemplairement David "oint" et "ange/messager" de Yahvé au nom duquel il parle et agit. Le même vocabulaire désigne, par exemple, l'"offrande" et la "prière" à une divinité et le "tribut" ou la "requête" à un roi ou à un suzerain, la même prosternation est adoration, hommage ou allégeance, sans que le lecteur (auditeur, spectateur) y voie des "catégories" différentes, a fortiori une incompatibilité...
Pour revenir sur le rapport du dieu ou du roi à sa "loi", essentiellement écrite même quand elle est orale (car alors proclamée solennellement, actée rituellement, et mémorisée par une sorte d'écriture du corps), c'est évidemment un excellent ressort narratif: la loi qui ne change pas quand les circonstances changent, ou qui est interprétée à contresens des intentions de son auteur, joue le rôle d'obstacle inattendu qui paralyse l'action et appelle rebondissement et retournement de situation en vue d'un dénouement. Mais le paradoxe est aussi politique: dans La République de Platon, les lois sont un obstacle au roi sage qui ne devrait pas s'en embarrasser -- pas plus qu'un médecin ou un pilote qui sait ce qu'il a à faire ne devrait être entravé par un règlement -- mais elles sont nécessaires en l'absence de roi sage, auquel cas elles valent mieux, parce qu'elles procèdent de l'expérience, que la décision instantanée d'une majorité d'incompétents... Mais à vrai dire le passage par la loi et par l'écriture ne fait que développer une aporie inhérente à la parole ou à l'acte même: le plus puissant des rois ou des dieux ne peut qu'entraver sa propre souveraineté (ou liberté) dès lors qu'il dit ou fait quelque chose et qu'il en reste une mémoire. |
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| Sujet: Re: Les trois Hébreux dans la fournaise Daniel 3 et la fosse au lions Daniel 6 Mar 21 Nov 2023, 15:22 | |
| Évolution narrative du concept théologique de royauté dans les récits du livre canonique de Daniel Par Gaétan Brassard Faculté de théologie et de sciences des religions
3.Royauté
Comme l’écrit Delcor, la primauté du thème de la royauté dans Daniel est incontestable :
« Un fait s’impose au lecteur même le moins attentif. Tous les épisodes et toutes les visions du livre sont datés de l’année des rois qui ont succédé à Nabuchodonosor. Plus de deux cents fois, il est question, de rois, de règnes, de royaumes, de pouvoir et de domination humaine. Et on peut dire en toute vérité que le livre baigne dans une véritable atmosphère royale. C’est dans ce climat que l’auteur du livre de Daniel, face aux royaumes païens qui se succèdent les uns les autres, affirme le règne ou le royaume de Dieu pour le présent et pour l’avenir ».
Le thème du livre peut se résumer ainsi : Dieu seul est vraiment souverain et il établira son royaume éternel. En fait, Daniel 1-6 présente une théologie de l’histoire où « Dieu, Seigneur de l’histoire, veut être reconnu comme tel par les princes de ce monde, car c’est lui qui leur donne et leur ôte leur pouvoir ». L’intrigue est générée par cette continuelle opposition entre la royauté humaine et la royauté divine.
Fin.
Dans les récits de Daniel (1-6), les rois païens se convertissent au culte du Dieu de Daniel, le louent et reconnaissent sa royauté, ce qui nuit à la crédibilité des récits :
"Alors le roi Nabuchodonosor tomba face contre terre, prosterné devant Daniel, et il ordonna de lui présenter des offrandes et des sacrifices d'odeur agréable. Le roi dit à Daniel : En vérité, votre Dieu est le Dieu des dieux, le Seigneur des rois et le révélateur des mystères, puisque tu as pu révéler ce mystère" (2,46-47).
"Nabuchodonosor, roi, aux gens de tous peuples, nations et langues, qui habitent sur toute la terre. Que votre paix soit grande ! Il m'a semblé bon d'indiquer les signes et les prodiges que le Dieu Très-Haut a produits pour moi. Que ses signes sont grands ! Que ses prodiges sont puissants ! Son règne durera toujours, sa domination subsiste de génération en génération" (3,31-33).
"Maintenant, moi, Nabuchodonosor, je loue, j'exalte et je glorifie le roi du ciel, dont toutes les œuvres sont vraies et dont les voies sont justes, et qui peut abaisser ceux qui marchent avec orgueil" (4,34).
"Après cela, le roi Darius écrivit aux gens de tous peuples, nations et langues qui habitaient sur toute la terre : Que votre paix soit grande ! Je donne l'ordre que, dans toute l'étendue de mon royaume, on ait de la crainte et du respect devant le Dieu de Daniel. Car il est le Dieu vivant et il subsiste toujours ! Son royaume ne sera jamais détruit, et sa domination durera jusqu'à la fin. C'est lui qui délivre et qui sauve, qui produit des signes et des prodiges dans le ciel et sur la terre. C'est lui qui a délivré Daniel de la griffe des lions" (6,26-28). |
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| Sujet: Re: Les trois Hébreux dans la fournaise Daniel 3 et la fosse au lions Daniel 6 Mar 21 Nov 2023, 16:43 | |
| Lien.
Royaume, règne et royauté de Dieu certainement, mais toujours pensés à l'analogie et dans le prolongement de ceux des rois humains et "païens", babyloniens ou perses, dans la première partie du livre (1--6): Dieu règne sur les rois autant que par eux, il les ramène à l'ordre, son ordre, s'ils s'en écartent, mais il ne règne pas contre eux ni simplement après eux, comme dans la perspective eschatologique des visions. Par ailleurs il n'y a là ni nostalgie ni désir d'un royaume humain, israélite ou judéen, opposable aux royaumes "païens", comme celui de David qui n'est même pas mentionné.
La reconnaissance du Dieu de Daniel par les rois "païens" est en ce sens très logique; elle est toutefois plus explicite que dans les autres romans de diaspora, évidemment Esther (hébreu) où aucun "dieu" n'est mentionné, mais aussi Joseph qui ne marque aucun écart "religieux" par rapport au pharaon, comme s'il allait de soi que tous se réfèrent au même "d/Dieu". Ici l'appartenance, si l'on peut dire, du "dieu" est marquée avec insistance, "dieu de Daniel", "mon, ton, son, notre, votre, leur dieu" (2,47; 3,17.28s; 6,5.10s.16.20.22s.26), même si la supériorité des protagonistes peut aussi être signalée dans le cadre référentiel polythéiste des "dieux" par les locuteurs "païens" (p. ex. 2,11; 3,25; 4,8s.18; 5,11.14). Il y a donc à chaque fois une sorte de conversion du monarque de "ses dieux" au "dieu" unique des protagonistes qui est aussi le seul "Dieu" et son "roi" (roi ou seigneur des rois, autre appellation typiquement perse; cf. 2,21.37.47). En effet ça n'a rien de vraisemblable mais c'est visiblement le moindre souci des auteurs. |
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| Sujet: Re: Les trois Hébreux dans la fournaise Daniel 3 et la fosse au lions Daniel 6 Mer 22 Nov 2023, 11:42 | |
| - Citation :
- Pour revenir sur le rapport du dieu ou du roi à sa "loi", essentiellement écrite même quand elle est orale (car alors proclamée solennellement, actée rituellement, et mémorisée par une sorte d'écriture du corps), c'est évidemment un excellent ressort narratif: la loi qui ne change pas quand les circonstances changent, ou qui est interprétée à contresens des intentions de son auteur, joue le rôle d'obstacle inattendu qui paralyse l'action et appelle rebondissement et retournement de situation en vue d'un dénouement. Mais le paradoxe est aussi politique: dans La République de Platon, les lois sont un obstacle au roi sage qui ne devrait pas s'en embarrasser -- pas plus qu'un médecin ou un pilote qui sait ce qu'il a à faire ne devrait être entravé par un règlement -- mais elles sont nécessaires en l'absence de roi sage, auquel cas elles valent mieux, parce qu'elles procèdent de l'expérience, que la décision instantanée d'une majorité d'incompétents... Mais à vrai dire le passage par la loi et par l'écriture ne fait que développer une aporie inhérente à la parole ou à l'acte même: le plus puissant des rois ou des dieux ne peut qu'entraver sa propre souveraineté (ou liberté) dès lors qu'il dit ou fait quelque chose et qu'il en reste une mémoire.
Royauté et loi : de Platon aux Traités sur la royautéII. Le roi et la loi chez Platon. La légitimation par le savoirChez Platon, c’est surtout dans le Politique que nous retrouvons une réflexion sur le rapport entre la loi et le roi. Dans ce dialogue, la loi est toujours présentée en des termes d’infériorité par rapport à ce qui lui serait préférable, à savoir la science vivante d’un roi doué de connaissance. Les deux interlocuteurs du dialogue discutent de l’ ὀρθὴς πολιτεία, la droite constitution, la vraie, dont les autres ne seraient que des imitations. La droite constitution est pour les protagonistes du dialogue celle où le pouvoir serait détenu par des hommes doués d’une science véritable20. Elle tire donc sa légitimité seulement de la possession du savoir par ceux qui gouvernent, et de rien d’autre.Toutes les autres conditions – que ces savants gouvernent avec ou sans lois, avec ou sans consensus, qu’ils soient riches ou pauvres – sont considérées comme accessoires par rapport à cette unique condition : la possession de la science. Or, celui qui possède la science politique, c’est-à-dire celui qui serait capable de réaliser dans le monde l’ ὀρθὴς πολιτεία, est appelé dans ce dialogue « roi ». L’Étranger, le personnage qui conduit le dialogue, explique clairement qu’être gouverné par un tel roi serait préférable à être gouverné par la loi :Le mieux n’est pas de fortifier les lois (τοὺς νόμους ἰσχύειν), mais l’homme royal doué de sagesse (ἀλλ’ ἄνδρα τὸν μετὰ φρονήσεως βασιλικόν).La raison pour laquelle un système politique fondé sur la loi est inférieur et n’est pas à préférer à un système uniquement fondé sur la science vivante d’un roi doué d’un savoir parfait est que la loi, rigide et approximative, poserait en effet des limites à l’actuation de la science vivante, qui est en revanche capable de s’adapter à la réalité, toujours changeante. La question du rapport entre la science vivante et la loi est longuement débattue entre les deux interlocuteurs, dans un discours qui oppose la τέχνη, l’art du gouvernant, et le νόμος, la loi. Pour l’Étranger, l’attitude de tels gouvernants qui possèdent une science véritable et sont la seule condition pour que la « droite constitution » se réalise, peut être exemplifiée par le modèle du chef d’un navire. De même qu’un capitaine de navire, le gouvernant n’a pas besoin d’écrire des lois, parce que c’est sa τέχνη même qui est portée comme νόμος, et cette τέχνη est même plus forte que le νόμος car elle est capable de s’adapter à la situation concrète. L’opposition entre l’art et la loi se résout finalement en une identification lorsque l’on est en présence d’un politicien doué de science véritable. Dans ce cas en effet, comme dans le cas du chef du navire, le νόμος, loin d’être une lettre figée une fois pour toutes, est la τέχνη même, la science vivante du capitaine :De même que c’est en veillant constamment à ce qui est avantageux pour son bateau et son équipage, sans édicter de règles écrites (οὐ γράμματα τιθείς), mais donnant comme loi sa propre technique (ἀλλὰ τὴν τέχνην νόμον παρεχόμενος), qu’un capitaine de navire assure la sauvegarde de ses compagnons de navigation, n’est-ce pas de la même manière que les hommes qui sont en mesure d’exercer ainsi leur autorité peuvent réaliser une constitution droite, en faisant de leur propre technique une force plus puissante que les lois (τὴν τῆς τέχνης ῥώμην τῶν νόμων παρεχομένων κρείττω) ?Le roi n’a pas besoin de la loi :Et pourtant, si tu t’en souviens, nous avons dit que celui qui sait, le véritable politique, agira dans bien des cas en vertu de la technique qui est la sienne, sans se soucier aucunement, dans l’exercice de sa propre pratique, des règles écrites chaque fois qu’il trouvera des idées qui lui paraissent meilleures que les règles, consignées par écrit par lui et promulguées pour le temps de son absence. Néanmoins, après cette dévalorisation de la loi écrite, l’Étranger affirme : « il est nécessaire de légiférer, même si la loi n’est pas ce qu’il y a de plus droit (ἀναγκαῖον νομοθετεῖν, ἐπειδήπερ οὐκ ὀρθότατον ὁ νόμος) ». Pourquoi enfin cette nécessité de la loi écrite, alors qu’elle n’est pas la solution la plus parfaite ? La raison en est que la « droite constitution », fondée uniquement sur le savoir de celui qui détient le pouvoir, ne se réalise jamais à cause de la faiblesse de la nature humaine, et si jamais elle se réalisait, elle serait inscrite dans une temporalité et dans un lieu : ce gouvernant doué de la science politique ne pourrait être partout et ne pourrait exister pour toujours. La droite constitution est donc un modèle auquel il faut tendre, mais il est pratiquement inatteignable pour les hommes, imparfaits, de notre monde. C’est donc dans l’impossibilité de réaliser ce standard parfait qu’on se contente d’un principe plus bas, d’une imitation – figée une fois pour toutes – de la décision vivante et qui s’adapte à la situation concrète dont ferait preuve le roi : la loi.https://www.persee.fr/doc/ktema_0221-5896_2020_num_45_1_2670 |
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| Sujet: Re: Les trois Hébreux dans la fournaise Daniel 3 et la fosse au lions Daniel 6 Mer 22 Nov 2023, 13:19 | |
| Merci pour cette étude très intéressante, qui complète ce que j'indiquais sur Platon par la comparaison avec des textes pseudo-pythagoriciens que j'ignorais tout à fait. On voit que le rapport du roi à la loi se meut dans une sorte de cycle dialectique: dans un sens (platonicien) le bon roi n'a pas besoin de loi et celle-ci ne peut qu'entraver et pervertir son règne, mais il n'est pas toujours ni partout et la loi supplée à son absence; en sens inverse, il faut bien une sorte de loi générale pour éduquer, reconnaître et légitimer le bon roi comme tel. De plus -- c'est l'objection d'Aristote -- le principe même du bon roi qui échappe à toute loi sape la loi comme principe du politique, qui implique des acteurs (plus ou moins) égaux. Et bien sûr sans loi rien ne distingue a priori le décret sage du bon roi de l'arbitraire fou du tyran -- la différence apparaît toujours trop tard. Le système se complique quand à une pensée strictement "politique" (concernant la cité) se mêlent des considérations théologiques et cosmiques (probablement stoïciennes) qui transforment une simple comparaison (le roi comme un dieu parmi les hommes) en dogme fondateur (le roi est ce qu'il est -- à la limite sage par définition -- en vertu d'un rapport sacral au dieu logos roi du cosmos).
Pour revenir à Daniel, on notera que dans la lettre VII (p. 78: l'auteur[e] la classe dans les textes pseudo-platoniciens, mais certains spécialistes l'attribuent toujours à Platon) c'est précisément Darius (le Perse, mais associé aux Mèdes dans la tradition grecque des "guerres médiques") qui fournit le modèle du règne par la loi, lequel assure à son empire l'étendue et la durée (ce que précisément l'empire d'Alexandre ne pourra pas maintenir). Le motif de la "loi des Mèdes et des Perses" est lui-même hellénistique. |
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| Sujet: Re: Les trois Hébreux dans la fournaise Daniel 3 et la fosse au lions Daniel 6 Mer 22 Nov 2023, 15:30 | |
| La fosse aux lions : un usage mythique de l’histoire Daniel 6:2-2
Le livre de Daniel est donc une énigme car il est difficile à situer dans le temps, et son héros est hors du temps. Nous avons là tous les ingrédients pour créer une histoire mythique. La question la plus pertinente en lisant ce texte n’est pas, (comme des catéchumènes le croyaient quand nous avons abordé la question de la véracité des textes bibliques) : est-ce que ce texte est vrai ? ou : est-ce que ce texte est historique ?, mais plutôt : quelle relation le texte fait-il entre différents mythes pour nous dire sa vérité ? Le livre de Daniel est un véritable tissu mythique qui utilise plusieurs évènements historiques ou légendaires, pour donner à penser l’identité d’un peuple.
Les larmes du roi Darius le Mède, la véhémence de sa confession de foi, la noirceur des intentions des comploteurs politiques comparée à la fidélité de Daniel à son Dieu et à son appartenance religieuse, ont de quoi nous émouvoir et nous faire prendre parti immédiatement pour Daniel contre ses adversaires, quitte à les voir dévorés par les lions, sans que cela n’émeuve personne. Il y a ici une dimension affective très forte que les anthropologues ont su discerner dans leurs études de mythes, et qu’ils ont repérée comme une dimension constante de l’histoire mythique dont les peuples se dotent pour se construire. Il n’est pas indifférent non plus que le récit de Daniel dans la fosse aux lions soulève un problème politique : Daniel est aux prises avec une jalousie d’autres dignitaires qui lui disputent la place et vont s’en prendre à ce qu’il a de plus précieux mais aussi de plus problématique dans un système où le roi est élevé au rang de Dieu : sa religion.
Sans doute est-ce dans les idéologies politiques que l’on trouve le plus clairement l’utilisation mythique de récits historiques. Les faits historiques alors se condensent pour devenir des mythes utiles comme représentations ou comme schémas pour penser d’autres faits présents qui n’ont a priori rien à voir avec les premiers. C’est ce que Claude Lévi-Strauss explique très bien dans son Anthropologie structurale : « Rien ne ressemble plus à la pensée mythique que l'idéologie politique. Dans nos sociétés contemporaines, peut-être celle-ci a-t-elle seulement remplacé celle-là. Or, que fait l'historien quand il évoque la Révolution française? Il se réfère à une suite d'événements passés, dont les conséquences lointaines se font sans doute encore sentir à travers toute une série, non-réversible, d'événements intermédiaires.
Mais, pour l'homme politique et pour ceux qui l'écoutent, la Révolution française est une réalité d'un autre ordre ; séquence d'événements passés, mais aussi schème doué d'une efficacité permanente, permettant d'interpréter la structure sociale de la France actuelle, les antagonismes qui s'y manifestent et d'entrevoir les linéaments de l'évolution future. Ainsi s'exprime Michelet, penseur politique en même temps qu'historien : « Ce jour-là, tout était possible... L'avenir fut présent... c'est-à-dire, plus de temps, un éclair de l’éternité.» Certes, Lévi-Strauss parle d’un usage mythique de l’histoire à l’époque contemporaine : nous cherchons, à présent, nos mythes dans l’histoire. Mais on voit que cet usage et que cette recherche ne concernent pas que les contemporains. Le cas de Daniel, repris quatre siècles après les événements censés s’être passés, montre bien que le schéma mythique fonctionne de même dans ce livre de la Bible et qu’il nous donne, en tout cas, de précieuses indications pour le lire.
https://oratoiredulouvre.fr/libres-reflexions/predications/la-fosse-aux-lions-un-usage-mythique-de-lhistoire |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Les trois Hébreux dans la fournaise Daniel 3 et la fosse au lions Daniel 6 Mer 22 Nov 2023, 16:44 | |
| Je trouve cette prédication assez consternante, pour un haut-lieu du protestantisme libéral parisien (l'Oratoire du Louvre)... On fait mine de philosopher avec Lévi-Strauss, certes, mais l'exégèse qui attribue à Daniel des vues sur l'empire romain est du niveau du pire "fondamentalisme" -- lequel se montre au moins plus cohérent dans sa lecture "magique" de la Bible.
Si le Dan'el d'Ezéchiel et d'Ougarit a des traits "mythiques", on ne peut pas en dire autant -- sauf à employer les mots à tort et à travers -- de Daniel dans le livre éponyme, plutôt personnage de légende, de conte ou de roman intégré marginalement et superficiellement à l'"histoire" (telle que les auteurs l'imaginaient) dans la première partie du livre, visionnaire dans la seconde, jamais "fondateur" ou "modèle" de quoi que ce soit d'historique ou de cultuel (ce qui serait à mon avis la fonction d'un "mythe"). Si l'on veut chercher anachroniquement une portée idéologique ou politique, au(x) sens moderne(s), au livre de Daniel, et notamment aux chapitres 3 et 6 dont nous parlons ici, j'y verrais volontiers la dénonciation d'un certain "totalitarisme", cultuel et culturel, du point de vue de celui qui s'en estime victime... mais qui ne se préoccupe guère des autres victimes du même totalitarisme. Et même s'il n'est pas question d'imputer cela au livre de Daniel ou à ses auteurs, il ne faut pas oublier que la dynastie hasmonéenne qui va hériter directement de la révolte des Maccabées contre le pouvoir séleucide d'Antiochos va user du même "totalitarisme" dans sa propre zone de pouvoir, contre les Samaritains et les Iduméens notamment... S'il y a eu dans Daniel une leçon "anti-totalitaire" (avant la lettre), elle n'a guère été retenue. |
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| Sujet: Re: Les trois Hébreux dans la fournaise Daniel 3 et la fosse au lions Daniel 6 Mer 22 Nov 2023, 17:13 | |
| Le problème de l’irrévocabilité des décrets perses
Dimanche dernier, j’exposais le texte d’Esther 8 (voir ici) dans lequel il est fait mention de l’irrévocabilité des décrets du roi Assuérus (Xerxès Ier). Le livre de Daniel affirme que le principe était déjà en vigueur du temps de Darius (cf. Dan 6.9, 13, 16). Cependant, aucune source extra-biblique ne l’atteste et, comme de nombreux spécialistes le notent, aucun royaume ne saurait être gouverné de cette manière !
Comment faut-il considérer ces passages ?
Solution #1 : un usage purement allégorique Pour plusieurs commentateurs, il s’agit simplement d’un motif littéraire. Karen Jobes (Esther, p.162) suggère qu’il vise surtout à présenter l’orgueil des dirigeants perses sous un angle satirique. Cette explication est légitime, en particulier si l’on prend l’humour du livre d’Esther… au sérieux (!).
Elle est cependant difficilement applicable à Daniel 6, texte dans lequel l’immuabilité des décrets royaux sert d’écrin au piège tendu par les gouverneurs et les satrapes tout en accentuant la tension dramatique du récit. Il est toutefois possible que l’auteur de Daniel ironise sur la crédulité de Darius se laissant berner par un stratagème aussi grossier.
À mes yeux, le fait que le motif soit répété dans deux compositions distinctes ne milite pas en faveur de l’hypothèse d’une construction littéraire.
Solution #2 : « transgresser », non « révoquer » Adele Berlin (Esther, 18) propose une alternative qui me paraît plus convaincante :
Je me demande si les exégètes n’ont pas accordé trop de poids à l’expression loʾ yaʿavor… Loʾ yaʿavor est la façon courante, en hébreu biblique tardif et en hébreu mishnaïque, de dire « transgresser, enfreindre ou contrevenir à une loi » (cf. Dn. 9.11 ; Job 14.5 ; 2 Chr 24.20). Il apparaît dans ce sens dans Esther 3.3, où Mardochée désobéit à l’ordre de se prosterner devant Haman, et dans 9.27, où il fait référence à l’observance, sans faute et sans exception, de la fête de Purim. En 1.19, Memucan souligne la gravité de la question en disant que la décision du roi doit devenir une loi qui ne doit pas être enfreinte, c’est-à-dire une loi à laquelle il ne doit y avoir aucune exception.
Cette explication convient également aux trois occurrences de Daniel 6 : le décret ayant déjà été promulgué, il ne pouvait être transgressé et le roi aurait paru se contredire en refusant d’exécuter la sentence. On notera cependant que les expressions utilisées sont légèrement différentes. Mentionnons une autre hypothèse, avancée par Collins (Daniel, 268), qui s’appuie sur le principe de préservation et d’archivage des décrets royaux :
… Les lois devaient être préservées (dans certains cas par une inscription publique) afin qu’elles ne « passent pas » – autrement dit qu’elles ne soient pas perdues ou qu’elles cessent d’être en vigueur [faute d’une promulgation adéquate]. Il s’agit donc davantage de durée d’application plutôt que d’irréversibilité.
Ces deux propositions sont tout à fait recevables et ont le mérite d’être compatibles avec l’historicité des récits d’Esther et de Daniel.
Contrecarrer le décret de Haman Il reste néanmoins un dernier problème. Au chapitre 8, Esther demande à ce que le roi fasse écrire des lettres pour révoquer celles conçues par Haman (cf. Esther 8.5). Une telle demande d’abrogation semble confirmer l’interprétation de Berlin, à moins qu’Esther ignorait l’hypothétique irrévocabilité des lois perses.
Cependant le verbe utilisé n’est pas exactement le même : l’expression le’hashiv visait sans doute à faire revenir le décret d’Haman avant qu’il ne soit distribué (le verbe shuv dans cette forme verbale signifie « retourner, faire revenir »). Si cette interprétation est correcte, ce que demande Esther n’est pas l’abrogation de la loi, mais l’interception des lettres qui ont été envoyées.
Malheureusement, l’édit mortifère avait été promulgué près de cinq jours auparavant (cf. Esther 8.9 ; 3.12). On sait, grâce à Hérodote, qu’il fallait trois mois pour qu’un édit soit diffusé dans l’ensemble de l’empire (Histoires, 5.50-54), ce qui implique que celui de Haman déjà été partiellement distribué. Le mal était fait… C’est pourquoi Assuérus dit au v.9 que son décret « ne peut pas être retourné » (le’hashiv), et non qu’il est « irrévocable ». Puisqu’il en est ainsi, les lettres écrites avec le cachet du roi vont plutôt autoriser les juifs à se défendre et à mettre en pièce leurs ennemis (cf. Esther 8.9-14). Le contre décret Mardochée sera diffusé par des « courriers montant des pur-sang sélectionnés » (Esther 8.14) afin de garantir son arrivée au moment le plus opportun (j’explique tout cela en détail ici).
Cette interprétation, défendue à l’époque médiévale par Rashi et plus récemment par cet interprète juif, semble tout à fait cohérente avec les données comparatives dont nous disposons.
Le droit impérial selon le livre d'Esther
Même si, dans de nombreuses sociétés de l’Antiquité, l’immuabilité des lois a pu être considérée comme un principe théorique, de nombreux indices, tant dans le monde sémitique que grec, laissent penser qu’on était parfaitement conscient que, pratiquement, des modifications législatives, voire l’abrogation de lois, pouvaient advenir au cours de l’histoire [23]. Ici, le dysfonctionnement du système législatif royal perse est poussé à l’absurde puisqu’après avoir parfaitement compris qu’une décision inadéquate a été prise, le roi n’est pas en mesure d’en annuler lui-même les effets dévastateurs.
[23] Dans le texte biblique, qui pourtant met les lois sous l’autorité divine, différents codes présentent des points de droit souvent contradictoires supposant qu’on acceptait l’existence d’innovations et de changements législatifs. En comparant l’ancien code de l’alliance (Ex 21-23) avec celui du Deutéronome et du Lévitique, on se rend facilement compte de l’évolution des lois. Par exemple le droit lié aux conditions de la libération des esclaves témoigne d’une nette évolution des pratiques (Ex 21 :2-6 ; Dt 15 :12-18 ; Lv 25 :39-46). La coexistence de différents codes dans le Pentateuque, suppose que les anciens droits n’étaient pourtant pas totalement abrogés, même si de nouveaux venaient les amender. Dans le monde grec, la réflexion théorique sur la pérennité des lois n’empêche pas que l’on soit conscient des évolutions historiques du droit et des changements législatifs qui surviennent, notamment lors des réformes législatives des cités. Voir G. Camassa, « Du changement des lois », dans P. Sineux (éd.), Le législateur et la loi dans l’Antiquité. Hommage à Françoise Ruzé, Caen, 2005, p. 29-36.
Dans ce contexte, un contre-décret promulgué par Esther et Mardochée reste la seule possibilité. Ce décret adressé aux Juifs les autorise à exterminer le jour même prévu pour leur destruction ceux qui voudraient les opprimer (8 :11). Le massacre des ennemis des Juifs décrit au chapitre 9 n’est finalement que la conséquence du dysfonctionnement du système législatif impérial capable de produire des décrets horribles, mais incapable d’en éviter les effets dévastateurs.
https://www.cairn.info/revue-transversalites-2015-1-page-83.htm#re23no23 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Les trois Hébreux dans la fournaise Daniel 3 et la fosse au lions Daniel 6 Mer 22 Nov 2023, 17:56 | |
| Sur le second article (Macchi, 2015) et Esther, voir ici (notamment 18.11.2022). Le premier, d'allure plus "évangélique", qui se préoccupe d'"historicité", semble tiré d'ici. Comme je le suggérais plus haut (notamment hier, 9 h 44), l'idée redondante de "loi irrévocable" ne fait que dramatiser, dans un sens à la fois tragique et comique, le caractère irréversible de chaque événement, acte, parole, geste, décision: même les dieux ne peuvent pas faire que ce qui a eu lieu n'ait pas eu lieu, c'est ce que disait Agathon d'après Aristote, et c'est l'essence même de l'histoire et du récit, du temps, de la causalité, bref de l'univers dans lequel nous vivons et pensons, et dont nous ne pouvons prendre conscience que par un supplément de théâtralité, en représentation ou en spectacle. Ressort narratif et dramatique aussi car ce qui ne peut être défait ne peut être que contrecarré, compensé, corrigé ou neutralisé par une action supplémentaire (et ainsi de suite), ce qui relance indéfiniment l'histoire. Mais la dimension de l'empire (perse) donne à cette banalité la dimension monstrueuse et quasi mécanique d'une énorme machine que rien ni personne ne peut arrêter une fois lancée, pas même celui qui est censé lui commander. Accessoirement, ton titre (traditionnel) me faisait remarquer qu'il n'y a pas d'"Hébreu(x)" dans le livre de Daniel, ni dans Esther d'ailleurs -- il n'est question que de "Juif(s)" ou "Judéen(s)", en référence à Juda. L'appellation "hébreu" est par contre caractéristique du roman de Joseph -- communication interne ou souterraine au "genre littéraire" ("roman de diaspora") ? Une autre tradition, au chapitre 3, parle d'"enfants" dans la fournaise, ce qui se reflète dans de nombreuses représentations -- là encore sans appui dans les textes qui, malgré l'introduction du chapitre 1 qui souligne leur jeune âge, décrivent des adultes... |
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Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Les trois Hébreux dans la fournaise Daniel 3 et la fosse au lions Daniel 6 Lun 04 Déc 2023, 16:41 | |
| « il ne faut en rien être plus savant que les lois ». loi et connaissance dans le politique Fulcran Teisserence
I. L’examen de la loi
La loi s’expose à une double critique, visant à la fois sa forme logique et sa modalité discursive.
5Sur le premier point, l’Étranger expose l’essentiel de ses griefs en un court paragraphe (294 a 10 - b 6) :
C’est que la loi ne serait jamais capable de se saisir avec précision du meilleur et du plus juste simultanément pour tous, et de prescrire le plus utile. Car les dissemblances entre les hommes et les actions, et le fait qu’aucune affaire humaine, pour ainsi dire, ne reste jamais au repos, tout cela interdit à l’art, quel qu’il soit, de prendre un parti simple, en n’importe quel domaine, à propos de tous les cas, et valable pour toute la durée du temps.
Pour démontrer le caractère inapproprié de la loi à son objet, l’Étranger s’appuie sur deux aspects des affaires humaines : leur nature changeante et la diversité des individus. Or la loi n’en tient aucun compte : contrairement à l’art, elle édicte un parti simple (4πλο′ν) à propos de tous les cas (περα 4π0ντων) dans un domaine donné. Toutefois, l’universalité et l’abstraction de la loi n’impliquent pas nécessairement l’aveuglement à la diversité des situations : cette dernière peut toujours être approchée moyennant des conditions supplémentaires qui distinguent plusieurs niveaux de généralité. Si à tout x remplissant la condition y il convient d’appliquer le traitement z, on peut ajouter qu’à tout x remplissant la condition y et la condition y′ il conviendra d’appliquer le traitement z′. Aussi l’Étranger s’attaquerait-il plutôt au caractère simpliste et grossier de la législation de son temps et ferait-il porter sa critique sur une situation de fait sans remettre en cause le principe même de la loi, comme le confirmeraient à rebours les dispositions très minutieuses qui abondent dans les Lois. Reste l’impossibilité pour toute loi de se saisir du singulier, dans la mesure où celui-ci serait autre chose que l’entrecroisement de déterminations générales. Ce qui soulève alors une difficulté nouvelle : faudrait-il admettre par contraste que l’art et la science sont susceptibles de connaître et de traiter, dans sa différence propre, la singularité sensible évanescente ? Le Timée proteste avec vigueur contre cette thèse (49 c-d).
L’Étranger s’en prend également à la temporalité de la loi : elle décide « pour toute la durée du temps » (Χπα π0ντα τθν χρπνον) . C’est qu’elle ne peut se présenter d’entrée de jeu comme une mesure vouée à l’abandon à plus ou moins longue échéance, sauf à ruiner son autorité. Mais aucune des affaires humaines ne reste au repos : voilà qui condamne la loi à l’échec, puisque la manière appropriée de réaliser le bien et de distribuer la justice dans la cité est fonction des changements qui affectent le matériau qu’elle traite (même si, par ailleurs, le modèle à imiter – et donc la finalité à atteindre – sont stables). Cela dit, on peut à nouveau se demander a contrario si la science est mieux placée pour se dégager de l’aporie dans laquelle s’enferme la loi : comment la technê politikè, en effet, pourrait-elle savoir d’une science exacte ce qu’il convient de faire en chaque circonstance, alors même que le devenir n’est pas pleinement, c’est le moins qu’on puisse dire, intelligible ?
Après la forme logique de la loi, l’Étranger met en cause sa modalité discursive. La loi ressemble, soutient-il, à un individu « suffisant et ignorant, qui interdit de faire quoi que ce soit contre les dispositions qu’il a prises, qui ne laisse personne interroger sur rien, même si quelque chose de nouveau et de meilleur survient à l’esprit de quelqu’un, qui contredit la proposition que lui-même avait imposée ». Du fait de son mode déclaratif et impératif, le logos nomologique est non dialogique : il refuse l’alternance originaire de la question et de la réponse propre à la pensée dialectique. À mille lieux du mouvement souple de l’intelligence (Sophiste, 249 b 5-6), c’est un soliloque autiste, atteint de compulsion répétitive et prédisposé à devenir chose écrite intangible.
Pour autant, l’Étranger ne se satisfait pas de cette critique sévère. Il entreprend aussitôt la réhabilitation de la loi, accomplie en deux temps. Le premier montre en quoi elle reste un auxiliaire indispensable de l’action du vrai politique, le second souligne son importance décisive à titre de substitut à la science politique.
https://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2005-3-page-367.htm |
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| Sujet: Re: Les trois Hébreux dans la fournaise Daniel 3 et la fosse au lions Daniel 6 Lun 04 Déc 2023, 19:46 | |
| Cette étude intéressante -- malgré les transcriptions illisibles -- peut sembler très éloignée de nos textes, pourtant le problème d'une loi (écriture, tradition) qu'on ne peut pas changer même quand on le voudrait ou qu'on en verrait l'utilité, voire la nécessité (inconvénient à vrai dire coextensif au principe de la loi, même sans les Mèdes et les Perses), est à la fois le ressort dramatique, tragique ou comique, de Daniel et d'Esther et le dilemme politique de Platon... Bien sûr les "lois" de nos récits sont plutôt des décrets ponctuels que les règles permanentes des cités, a fortiori celles de la cité idéale, mais dans la mesure où, une fois écrites et promulguées, elles échappent aussi à leurs auteurs, historiques ou mythiques, le problème est foncièrement le même. La notion d'une "loi de(s) D(d)ieu(x)" peut paraître correspondre à l'idéal de la loi (c'est la règle théonomiste de l'Antiquité, cf. déjà Hammourabi ne faisant que transmettre la loi de Shamash), elle n'a pourtant de sens que par rapport à un (ou à des) dieu(x) absent(s) -- ce qu'exprime dans le Politique le passage de l'âge de Cronos, où le dieu berger régissait im-médiatement l'ensemble des événements, à celui de Zeus, plus lointain, où les médiations des lois et/ou de la sagesse politiques deviennent nécessaires. Cette question va surtout revenir sur le devant de la scène "judéo-chrétienne" avec le paulinisme et d'autres formes d'anomisme ou d'antinomisme, sapientiaux (philosophiques, gnostiques, etc.) ou prophétiques (pneumatiques, charismatiques, enthousiastes, etc.): quand le dieu est présent et règne effectivement toujours et partout (par son "esprit", comme dans Ezéchiel, par sa "connaissance" comme dans Isaïe, et même par une "loi" écrite dans les coeurs qui serait aussi bien le contraire d'une loi, comme dans Jérémie), sans que rien ne lui échappe, il n'y a pas de place pour une "loi" extérieure -- et pas non plus pour un devoir, une responsabilité ou une faute.
Dans Daniel c'est le miracle qui produit le dénouement, dans Esther (hébreu) c'est son avatar anonyme, la providence si l'on veut, bien que le dieu ne soit pas nommé -- et on pourrait en dire à peu près autant de Joseph, que l'interprétation des rêves ne suffit pas à sortir de prison: dans les trois cas une certaine sagesse des héros joue un rôle, plus ou moins explicite mais pas décisif, en tout cas guère opposable à un miracle puisqu'elle est elle-même divine. |
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| Sujet: Re: Les trois Hébreux dans la fournaise Daniel 3 et la fosse au lions Daniel 6 Mer 06 Déc 2023, 15:26 | |
| 20 Maintenant que Daniel était en sécurité, Darius avait d’autres affaires à régler. “ Le roi donna l’ordre ; on amena ces hommes robustes qui avaient accusé Daniel et on les jeta dans la fosse aux lions, eux, leurs fils et leurs femmes ; ils n’avaient pas atteint le fond de la fosse que les lions s’étaient rendus maîtres d’eux, et ils broyèrent tous leurs os. ” — Daniel 6:24.21 Il peut sembler excessivement dur d’avoir mis à mort non seulement les conspirateurs, mais encore leurs femmes et leurs enfants. La Loi que Dieu avait donnée par l’intermédiaire du prophète Moïse déclarait quant à elle : “ Les pères ne seront pas mis à mort à cause des enfants, et les enfants ne seront pas mis à mort à cause des pères. Chacun sera mis à mort pour son propre péché. ” (Deutéronome 24:16). Néanmoins, dans certaines cultures de l’Antiquité, il n’était pas exceptionnel d’exécuter les membres de la famille d’un malfaiteur en même temps que lui, si son crime était grave. Le but de cette mesure était peut-être que les membres de la famille ne puissent pas se venger par la suite. En tout cas, la mise à mort des familles des hauts fonctionnaires et des satrapes ne fut certainement pas provoquée par Daniel. Il fut probablement affligé par le malheur que ces hommes méchants avaient attiré sur leur famille. https://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/1101999027?q=fosse+aux+lions+daniel&p=parLe châtiment des enfants pour les fautes des parents dans l'exégèse et l'idéologie rabbinique Dans la Bible, l'idée que Dieu punit les enfants pour les fautes de leur parents se trouve fréquemment exprimée : Ex., XX, 5 ; xxxiv, 7 ; Lév., xx, 5 ; xxxvi, 9 ; Nomb., xiv, 18 ; Deut., v, 9, Jér., xxxii, 18. Cette manière de voir résulte de la conception que le sujet de la religion et du droit n'est pas l'individu, mais l'agrégat social formé par la communauté du sang : la famille. C'est pourquoi dans beaucoup de passages de l'A. T. il est question du châtiment exercé ou à exercer sur les descendants ou toute la famille du pécheur ou du criminel : Lév., xxvi, 39. Nom., XVI, 27, 30 ; Jos., vii, 24; I Sam., , 31 ; , 19 ; , 22; II Sam., xiv, 9; xn, 14; xxi, 6; I Rois, ii, 33 ; xi, 12; xvi, 3, 34; xiv, 10, 17 ; xxi, 29; II Rois, ix, 26; v, 27. Comparer Gen., xx, 7 ; Lèv., xx, 5 ; Deut., , 8 ; Neh. , 6 ; , 18 ; Amos, vii, 17 ; Mal., , 12; Jér., , 21 ; xx, 6; Is. xiv, 21 ; xxxix, 32; lxv, 7 ; Ex., xiv, 16; Prov., , 33 ; Job, xvn, 5; Ps., cix, 13, 14; Esth. ix, 13; Lam.,v, 7; Daniel, ix, 16; vi, 25 ; II Chr., xxix, 6-9; xxxiv, 21. La dixième plaie : la mort des premiers-nés, Ex., xi '. A cette conception solidariste s'oppose une conception individualiste : chaque coupable ne répond que de sa propre faute, les enfants ne doivent pas être rendus responsables des péchés de leurs parents : Deut., xxiv, 16; Jér., xxxi, 29 suiv. Ez., , 20, comme d'ailleurs, d'une manière générale, les innocents ne doivent pas pâtir pour la faute des coupables. Gen., vii, 1 ; , 23 suiv. ; xix, 12 suiv. ; xx, 4; Nomb., xvi, 22; XXVI, 11 ; II Rois, xiv, 6 ; Job, xxi, 19, etc.https://www.persee.fr/doc/rjuiv_0484-8616_1933_num_94_187_5765 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Les trois Hébreux dans la fournaise Daniel 3 et la fosse au lions Daniel 6 Mer 06 Déc 2023, 17:04 | |
| Nous avons reparlé récemment du cas d'Acan (Akan, Achan, comme on voudra) dans Josué. Sur la question de la "justice" en général, et de la rétribution individuelle ou non (collective, corporative, transgénérationnelle), voir surtout ici (en particulier à partir du 8.10.2022).Les études anciennes (Rappaport, 1933 !) ont souvent le mérite de l'extensivité, sinon de l'exhaustivité -- bien qu'y manque naturellement à nos yeux tout ce qui a été découvert depuis, en particulier les manuscrits de la mer Morte, qui sur ce point ne changent pas grand-chose au panorama général, même s'ils étoffent considérablement la période intermédiaire entre textes "bibliques" (AT) et "rabbiniques". Dans une telle perspective d'ensemble, c'est plutôt la notion de rétribution individuelle qui ferait figure d'exception ou d'anomalie, non seulement par rapport aux normes antiques, "juives" ou "païennes", mais aussi par rapport aux analyses modernes et post-modernes des "sciences humaines": avec la psychologie et la sociologie des deux derniers siècles la notion d'une responsabilité individuelle paraît plus fragile que jamais, et pourtant tous nos systèmes juridiques, judiciaires et moraux s'y accrochent d'autant plus, comme avec l'énergie du désespoir. Il faut cependant distinguer entre une justice ou une vengeance ordinaire qui vise une certaine équivalence ou proportionnalité du châtiment à la faute (le talion sous toutes ses formes), même si elle n'est pas strictement individuelle au sens où nous l'entendons (p. ex. je tue le fils de celui qui a tué mon fils, parce que le "sujet de droit" n'est pas le fils mais le père, le fils étant seulement l'"objet" du litige et de sa résolution); et les actes de puissance exceptionnels du dieu, du roi, du suzerain ou du vainqueur militaire, qui ne sont soumis à aucun "droit" -- ce qui explique entre autres que les rédacteurs du Deutéronome n'aient pas été gênés que Yahvé échappe à sa propre règle, en continuant de châtier jusqu'à la troisième ou quatrième génération quand il interdit (dans le jugement ordinaire) de châtier les fils pour les pères -- mais tout le monde ne l'entend pas de cette oreille, cf. Ezéchiel 18 où Yahvé s'applique la règle qu'il ne s'applique pas dans le Deutéronome... (Cf. sur tout cela le lien précédent.) En ce qui concerne Daniel 3 et 6, les récits ne marquent aucune distance "critique" à l'égard du châtiment collectif, familial et transgénérationnel des ennemis (hypothétique, potentiel ou conditionnel en 3,29, effectif en 6,24), qui fait partie intégrante du processus de justification des héros (les trois ou Daniel). On pourrait dire au contraire que seule l'idée de rétribution post mortem, telle qu'elle émerge dans la seconde partie de Daniel (chap. 12 surtout, avec la double résurrection), serait à la hauteur de l'idéal d'une rétribution strictement individuelle -- hauteur que d'ailleurs elle excèderait aussitôt en rendant éternels le châtiment ou la récompense d'actes temporels... -- ça me fait penser à une réplique (du genre "mot d'auteur") du Septième sceau de Bergman, à propos de la croisade dont reviennent les protagonistes: c'était tellement absurde que ça n'a pu être pensé que par un idéaliste... |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Les trois Hébreux dans la fournaise Daniel 3 et la fosse au lions Daniel 6 Jeu 07 Déc 2023, 17:40 | |
| 26 Parmi ces jeunes gens, il y avait quatre adolescents, âgés probablement de quatorze à dix-huit ans. Ils étaient tous membres de la tribu de Juda. Ils s’appelaient Daniel, Hanania, Mischaël et Azaria. La signification de leurs noms est intéressante. Daniel veut dire “Dieu est juge”, Hanania, “Jah a fait grâce”, Mischaël, “Qui est ce que Dieu est ?” et Azaria, “Jah est gardien”. Manifestement pour les détacher de leur Dieu, leur imposer le mode de pensée chaldéen et les éloigner de la pensée hébraïque, Nébucadnetsar changea leurs noms. Le nom de Daniel fut changé en celui de Beltschatsar, qui veut dire “prince de Bel” ou “guide du seigneur”. Hanania reçut le nom de Schadrac. Le sens de ce nom est obscur, mais certains exégètes lui donnent le sens de “serviteur d’Akou” (le dieu-lune). Mischaël devint Méschac. La signification de ce dernier nom est inconnue, mais selon une tradition, il désigne une divinité babylonienne. Quant à Azaria, son nom fut changé en celui d’Abed-Négo, qui signifie “serviteur de Négo [ou de Mercure]”. Ils devaient donc devenir les serviteurs d’autres dieux que Jéhovah. Ces jeunes gens changèrent-ils de ligne de conduite parce qu’on avait changé leurs noms ?
27 Les quatre adolescents en question ne se félicitèrent pas de ce changement de nom et de l’attention spéciale dont ils faisaient l’objet de la part du roi. Ils étaient dévoués au Dieu Tout-Puissant, Jéhovah. Bien que captifs à Babylone, ils entendaient vivre conformément à la loi de Dieu consignée dans sa Parole. “Daniel arrêta dans son cœur qu’il ne se souillerait point par les mets délicats du roi et par le vin qu’il buvait.” (Dan. 1:8, Da). Daniel et ses trois compagnons persistèrent à demander simplement des légumes et de l’eau. Après une discussion avec l’officier de la cour préposé aux provisions de bouche, Daniel réussit à obtenir — à titre d’essai, pendant dix jours —, cette nourriture simple. Vraisemblablement, ces jeunes gens se souvenaient des paroles du Deutéronome (6:4-7, AC) qui déclarent : “Écoute, Israël : Jéhovah, notre Dieu, est seul Jéhovah. Tu aimeras Jéhovah, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. Et ces commandements que je te donne aujourd’hui, seront dans ton cœur. Tu les inculqueras à tes enfants, et tu en parleras quand tu seras dans ta maison, quand tu iras, en voyage, quand tu te coucheras et quand tu te lèveras.”
https://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/1965001
L'auteur de l'article ne se demande pas pourquoi le rédacteur du livre de Daniel n'éprouve aucun scrupule à nommer ces "adolescents" par leurs noms babylonien, il préfère imaginer leur désappointement que le récit ne révèle pas. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Les trois Hébreux dans la fournaise Daniel 3 et la fosse au lions Daniel 6 Jeu 07 Déc 2023, 18:01 | |
| Soit dit en passant, il faut passer par la transcription grecque (Misak) pour entendre dans Méshak le prénom, notamment arménien, de Missak, par exemple pour Manouchian ( L'affiche rouge, Aragon, Ferré: "parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles..."). D'un quasi-martyre fictif à un vrai martyre qui témoignerait d'une autre "cause", à supposer qu'un martyre témoigne (selon son étymologie grecque, syriaque ou arabe, martus-sahed-shahid) de quoi que ce soit... Le rédacteur de Daniel 1 est probablement encore plus mal informé que nous des dieux et des théonymes néo-babyloniens, mais l'idée n'en passe pas moins... la survie d'une "identité" passe toujours par un curieux mélange de compromis et d'intransigeance; mutatis mutandis, jusqu'au "marrane" de la Reconquista ibérique qui la conserve en la reniant... On ne transmet pas, on ne traduit pas sans trahir. |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Les trois Hébreux dans la fournaise Daniel 3 et la fosse au lions Daniel 6 Jeu 07 Déc 2023, 20:14 | |
| Pendant des années je trouvais rocambolesque le récit des 3 hébreux que nous rapporte le livre de Daniel. Soit on peut faire exécuter par Dieu n'importe quelle tâche quel qu'elle soit et si un humain pense que cela n'est pas possible et bien à Dieu tout est possible. Cela m'a fait sourire après avoir pensé pendant quelques années que décidément Jéhovah était très fort, puis la réflexion venant j'ai trouvé ce récit navrant. L'approche du bouddhisme m'a permis de mieux comprendre que ces récits étaient dans un premier temps destinés particulièrement aux auditeurs d'un autre temps. Ce n'est pas un jugement que je porte à l'encontre de ces personnes. L'histoire de Bouddha, du moins une des histoires le concernant au moment ou il médite sous l'arbre de bodhi, voudrait qu'il soit resté en méditation pendant environ 7 années. Bien sûr il n'en est rien mais peut-être voulait-on par cette précision démontrer que la méditation ne peut produire de résultats qu'après un temps long passé à méditer. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Les trois Hébreux dans la fournaise Daniel 3 et la fosse au lions Daniel 6 Ven 08 Déc 2023, 10:58 | |
| Question miracles, il y a pire (ou mieux, selon le point de vue) que Daniel -- quand on pense à l'Exode ou à Josué, ou aux cycles d'Elie et d'Elisée qui détonnent dans un ensemble Samuel-Rois généralement pauvre en miracles (même pour David, p. ex.). Et assurément parce qu'il y en a ils se prêtent à tous les niveaux de lecture, selon l'âge, le milieu, l'éducation et la tournure d'esprit de chacun -- ça ne devient un vrai dilemme que pour les Modernes (p. ex. Pascal) chez qui le miracle s'oppose radicalement à la "nature" et à la "raison", impliquant soit rejet du miracle soit abdication (ou sacrifice) de l'intelligence. Ce qui d'ailleurs n'empêche pas lesdits Modernes d'apprécier les contes, les fables et les fictions fantastiques, sans objecter à chaque instant que ce n'est ni vrai ni possible. L'intérêt particulier de Daniel 3 sous ce rapport, c'est qu'il y a tout de même une hésitation, avec le fameux "si()non" (v. 18: hn l', selon le TM araméen, ean mè dans Théodotion, mais rien de tel dans LXX) dont on a déjà parlé ici (18.11.2023) et ailleurs (20.10.2023): le dieu peut sauver, mais il peut aussi ne pas sauver (ça rappellera le vieux chef indien de Little Big Man, d'Arthur Penn: la magie, des fois ça marche, des fois non...); et alors la logique de l'ordalie, de l'épreuve où seul un miracle peut prouver l'innocence, la véracité ou la justice du "mis en examen", bascule dans celle, contraire, du "martyre" sans miracle qui ne prouve plus rien, sauf pour les croyants prêts en principe à croire n'importe quoi, dès lors que pour eux tout est possible. On a aussi vu plus haut (14.11.2023) que les versions grecques "expliquent" ou "développent" le miracle par un second miracle (v. 46-51), pas plus crédible que le premier mais qui peut lui-même être lu comme une parabole supplémentaire de l'intériorité: autant qu'on eût chauffé la fournaise de l'extérieur, il faisait frais dedans, car un ange-messager ( aggelos, interprétation du "comme-un-fils-des-dieux" du texte araméen) en avait expulsé les flammes. En relisant les textes grecs, et notamment les deux longues prières consécutives ajoutées au texte araméen -- avant que les trois soient jetés dans la fournaise puis à l'intérieur de celle-ci (voir p. ex. ici, en français, ou dans n'importe quelle bible catholique; noter que le rapport de la prière au récit est sensiblement le même que dans Jonas) -- je remarque deux choses: la première prière, étant en bonne partie une confession collective des péchés d'Israël (sur le modèle du chap. 9 et de nombreux autres textes), déplace la logique ordalique du récit vers un sens sacrificiel: le coupable qui reconnaît sa faute avec et dans celle des autres devient par là même quasiment innocent et rédempteur, en s'exposant à un châtiment qui excède sa faute particulière -- et qu'en l'occurrence il ne subira même pas; la seconde, par son aspect "cosmique", "physique", "élémentaire", qui joue notamment sur les conditions du miracle dans ses versions grecques (le chaud et le froid, le feu et l'eau), aboutit à une réflexion de type sapiential, dans la veine quasi "alchimique" ou "méta-physique" que nous avons décrite précédemment ( supra 16.11.2023: tout est de "Dieu", en lui tout est un, tout peut devenir tout, etc.). |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Les trois Hébreux dans la fournaise Daniel 3 et la fosse au lions Daniel 6 Sam 09 Déc 2023, 14:24 | |
| Elle est très intéressante la prière que tu indiques. On y trouve un regret des 3 hébreux et une reconnaissance de leur péchés ainsi que celle d'Israël, et puis cette mention de ne pas faire du tort au nom de Dieu. - Bible en ses traditions a écrit:
- Ne nous livre pas pour toujours à cause de ton nom
et ne détruis pas ton alliance ; |
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