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 La nécessité du secret ...

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MessageSujet: La nécessité du secret ...   La nécessité du secret ... Icon_minitimeJeu 08 Sep 2022, 16:07

Citation :
Je suis sûrement trop marqué par la Bible (les Proverbes en l'occurrence), mais j'ai l'impression qu'il y a un certain rapport entre le secret du conseil et l'efficacité de la décision politique.

https://etrechretien.1fr1.net/t1145p1050-inter-minables#31472


"Ne te hâte pas d'accuser ; que feras-tu par la suite, lorsque ton prochain t'aura confondu ? Défends ta cause contre ton prochain, mais ne dévoile pas les secrets d'un autre, de peur qu'en l'apprenant il ne t'insulte, et que tes mauvais propos ne puissent être rattrapés" (Pr 25,8-10).

Selon les Proverbes l'homme fiable et sûr, ne parle pas beaucoup, il ne révèle pas les secrets, surtout si, ceux-ci, concernent les fautes d'autrui, mais la raison principale de garder ce silence est essentiellement de ne pas se faire du mal, car celui qui révèlerait un secret mériterait un blâme.
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MessageSujet: Re: La nécessité du secret ...   La nécessité du secret ... Icon_minitimeJeu 08 Sep 2022, 16:42

J'avais en effet à l'esprit le mot hébreu swd (sôd) présent au v. 9, qui évoque conjointement le "secret" et le "conseil" (notamment du roi, ou du dieu suprême représenté comme un roi avec sa cour de courtisans-conseillers; cf. Proverbes 3,32; 11,13; 15,22; 20,19; Jérémie 23,18.22; Amos 3,7; Psaume 89,8 ) -- l'idée étant que celui qui participe à la délibération et à la décision d'un pouvoir quelconque renonce ipso facto à la possibilité de répandre son opinion à l'extérieur, pour se faire valoir en tant que conseiller écouté et suivi ou, au contraire, non écouté et non suivi (cf. Absalom qui "volait les cœurs", dans 2 Samuel 15: si c'était moi qui décidais, tout irait beaucoup mieux).
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MessageSujet: Re: La nécessité du secret ...   La nécessité du secret ... Icon_minitimeMar 13 Sep 2022, 15:46

"Car l'homme sinueux est une abomination pour le SEIGNEUR, mais ses secrets sont pour les gens droit" (Pr 3,32).

"Ne les craignez donc pas, car il n'y a rien de voilé qui ne doive être révélé, rien de caché qui ne doive être connu. Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le en plein jour ; ce qui vous est chuchoté à l'oreille, proclamez-le sur les toits en terrasse" (Mt 10,27). 

Dieu aurait donc des secrets (lesquels ?) qu'il confierait aux hommes droits, qui devraient (selon toute vraisemblance) taire ces secrets et les conserver pour eux. A l'inverse Mt 10,26-27 (dans cadre totalement différent), demande et réclame de révéler ce qui a été dit dans les ténèbres ou chuchoté à l'oreille. Il est question d'une transparence totale : "il n'y a rien de voilé qui ne doive être révélé". 

Notes : Proverbes 3:32
 – ses secrets : autre traduction son conseil secret ; même terme en 11.13 ; 15.22 (délibérations secrètes) ; 20.19 ; 25.9 ; cf. Ps 25.14.
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MessageSujet: Re: La nécessité du secret ...   La nécessité du secret ... Icon_minitimeMar 13 Sep 2022, 16:38

Pour rappel, la "couverture" des Proverbes (début et fin du livre, chap. 1--9; 31) est sans doute plus tardive et plus nettement "monothéiste" que les collections centrales (chap. 10--30; comparer cependant 9,10 et 30,3, dont la lecture peut hésiter entre monothéisme et polythéisme, "les saints" = "les dieux"): l'une des conséquences, c'est que la perspective polythéiste du "conseil des dieux", fût-elle monolâtrique sous la forme du conseil de Yahvé identifié à El, le dieu suprême, s'y estompe, tout en étant relevée par d'autres formes d'altérité divine, notamment la figure quasi divine de la "Sagesse" personnifiée comme la Ma'at égyptienne (chap. 8--9). Dans ce contexte, le "conseil-secret (sôd, entre autres) de Yahvé" évolue dans le sens du "mystère" qui ne fait qu'un avec "Dieu", d'autant que la Sagesse elle-même va finir par se confondre avec la Loi (de Dieu) dans le Siracide, et avec de tout autres formes de "révélation divine" ou "archi-divine" ailleurs (de la Sagesse à la connaissance ou gnose, au logos, à l'"esprit", etc.). -- Soit dit en passant, la Septante de Proverbes 3,32 reste ambiguë: "Car impur est tout transgresseur de la loi [para-nomos] devant Seigneur, et il [le transgresseur, ou le Seigneur ?] ne tient pas conseil [sunedriazei, du mot sunedrion qui va donner "sanhédrin" en (pseudo-)transcription sémitique] parmi les justes."

Sur le "conseil de Yahvé/El" entre polythéisme et monothéisme proprement dits, revoir éventuellement 1 Rois 22; Jérémie 23,18ss; Psaumes 82; 89; Job 1--2; et les pluriels de Genèse 1--3, Deutéronome 32,8s, etc.
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MessageSujet: Re: La nécessité du secret ...   La nécessité du secret ... Icon_minitimeMer 14 Sep 2022, 11:11

"Cependant, c'est bien une sagesse que nous énonçons parmi les gens « accomplis » : une sagesse qui n'est pas de ce monde ni des princes de ce monde, qui doivent être réduits à rien ; nous énonçons la sagesse de Dieu, mystérieuse et cachée, celle que Dieu a destinée d'avance, depuis toujours, à notre gloire ; aucun des princes de ce monde ne l'a connue, car s'ils l'avaient connue, ils n'auraient pas crucifié le Seigneur glorieux" (1 Co 2,6-Cool.

"ce mystère qui a été caché de tout temps et à toutes les générations, mais qui s'est maintenant manifesté à ses saints" (Col 1,26)

"et de mettre en lumière pour tous la réalisation du mystère caché de tout temps en Dieu, le créateur de tout ; afin que la sagesse de Dieu, dans sa grande diversité, soit maintenant portée, par l'Eglise, à la connaissance des principats et des autorités dans les lieux célestes" (Ep 3,9-10).

"A celui qui a le pouvoir de vous affermir selon ma bonne nouvelle et la proclamation de Jésus-Christ — conformément à la révélation du mystère qui était tenu secret depuis toujours" (Rm 16,25). 

Le NT insiste à plusieurs reprises sur la clandestinité dans laquelle Dieu a tenu son plan de salut des hommes, un mystère tenu caché et secret. Il semble bien que Dieu ne révèle de sa personne que ce qu'il veut bien révéler, uniquement ce qui lui paraît utile  aux hommes de savoir sur sa personne, tout en Es 6,1 ; le prophète ne voit dans le Temple que le pan du manteau de Dieu.

Un autre point :

Le récit de l'onction de David en 1 Sam 16, 1-13 ; nous apprend que Dieu ordonne à Samuel de tenir secret le fait que David soit instauré comme roi à la place de Saül. Pour se rendre chez Jessé, Samuel prend pour prétexte un sacrifice à offrir, ensuite il organise toute une mise en scène en faisant défiler les fils de Jessé devant lui, avant de désigner David. Samuel a gardé le secret jusqu'au bout en utilisant le mensonge et l'hypocrisie pour protéger ce secret, tout cela avec la bénédiction de Dieu.
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MessageSujet: Re: La nécessité du secret ...   La nécessité du secret ... Icon_minitimeMer 14 Sep 2022, 12:16

Sur le "mystère" dans le NT, on peut suivre le lien indiqué dans mon post précédent, et plusieurs autres à partir de là... Non que tout y ait été dit, mais mieux vaut se rappeler ce qui l'a été pour continuer la discussion au meilleur endroit le cas échéant.

En tout cas, le rapport est limité avec le sujet abordé au début du présent fil, à savoir le conseil (du roi, du dieu, etc.) auquel participent plusieurs conseillers ou courtisans, tenus par ailleurs au secret ou à la réserve à l'extérieur du conseil ou de la cour (d'où l'effet de "double sens" que prend, du point de vue du français surtout moderne, un mot comme l'hébreu sôd: "conseil" et "secret", ce sont pour nous des notions bien distinctes, mais ce sont aussi -- et jusqu'à récemment -- deux aspects complémentaires de la même pratique, quoique celle-ci ait tendance à se perdre: en clair, quand on conseille, qu'on soit ou non écouté par celui qui consulte, on n'exprime pas ses avis à d'autres). Bien entendu, en régime monothéiste, "Dieu" n'a pas besoin de conseillers (le deutéro-Isaïe y insiste assez, 40,13; 41,28; 45,21): tout mystère et toute révélation, tout jeu de cacher-montrer (hide and seek, peek-a-boo, strip-tease, Fort/Da, etc.), autrement dit tout phénomène qui apparaît parce que d'abord il n'apparaît pas et peut encore disparaître ensuite, ne peuvent plus provenir que de lui en première et dernière instance, sans préjudice de la diversité des noms (Seigneur, Christ, Sagesse, Logos etc.) qui renvoient toujours à la même uni(ci)té essentielle.

Ce qui est amusant dans le récit de 1 Samuel 16 (mais ce n'est pas exceptionnel, voir notamment les Juges et l'ensemble des cycles davidiques), c'est que Yahvé se prête au secret et dicte la ruse dont Samuel doit d'abord lui indiquer la nécessité (v. 2a: si Saül l'apprend il me tuera, c'est presque du Lubitsch: if her husband knew he would kill her, dans To Be or Not to Be): pas question d'oindre (consacrer) ouvertement David comme roi alors que Saül est encore vivant, roi et oint (on le répétera avec insistance jusqu'à sa mort, chap. 24; 26; 2 Samuel 1) -- l'onction sera d'ailleurs réitérée publiquement après la mort de Saül, sur Juda puis sur Israël (2 Samuel 2; 5). En revanche, le défilé des fils de Jessé du plus grand au plus petit ne me paraît pas un "calcul" de Samuel qui, bon public, s'y laisse prendre, mais un artifice du récit pour faire porter ostensiblement le choix divin sur le moins évident du point de vue humain (selon une ficelle narrative éprouvée depuis la Genèse).


Dernière édition par Narkissos le Mer 14 Sep 2022, 16:38, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: La nécessité du secret ...   La nécessité du secret ... Icon_minitimeMer 14 Sep 2022, 12:58

Dans ce contexte de lutte permanente, les chefs des mouvements « minoritaires » étaient confrontés, dès les premiers siècles de l’islam, à la nécessité de dissimuler leurs enseignements, pour éviter à la fois les malentendus théologiques et les persécutions politiques. Dans le chiisme, la notion de taqiyya, désignant la dissimulation intentionnelle de données doctrinales, de croyances et parfois de l’identité des imāms, est devenue, dès l’époque des imāms historiques, un véritable article de foi chiite. Les propos attribués aux imāms sont catégoriques : « Celui qui propage notre tradition n’est pas des nôtres ; il nous a tués délibérément, et non pas involontairement » ; « La taqiyya est notre religion et celle de nos pères : celui qui n’observe pas la taqiyya, n’a pas de religion. »

Cette dissimulation concerne autant la transmission orale de la connaissance que les enseignements écrits. La dissimulation orale consiste essentiellement en une approche sélective des interlocuteurs : la connaissance destinée aux initiés ne doit pas être divulguée aux profanes. La dissimulation des enseignements écrits posait, quant à elle, des problèmes spécifiques, car ces écrits pouvaient tomber entre toutes les mains. D’où l’utilisation de différentes techniques de cryptage, destinées à interdire au premier venu l’accès au contenu des textes, de façon que seules les personnes ayant la clé du code – ou celles suffisamment motivées pour fournir le travail considérable requis pour le déchiffrer –, puissent le lire. Les compilations des anciennes traditions chiites ainsi que des textes alchimiques attribués au légendaire Jābir b. Ḥayyān, disciple de Ja‘far al-Ṣādiq, contiennent des exemples de la technique appelée « dispersion de la science » (tabdīd al-‘ilm). Cette technique implique la fragmentation et la dispersion intentionnelle des données doctrinales dans différents endroits du texte. Un vocabulaire spécial était utilisé par les auteurs chiites dans leurs commentaires coraniques, pour masquer les sujets de discorde aux yeux de la majorité sunnite. L’utilisation de signes spécifiques, d’écritures anciennes, comme les alphabets nabatéen et sud-arabique est attestée dans certains textes ismaéliens et nuṣayrī.

https://journals.openedition.org/rhr/7775
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MessageSujet: Re: La nécessité du secret ...   La nécessité du secret ... Icon_minitimeMer 14 Sep 2022, 16:25

Texte très instructif, bien au-delà des enjeux politico-médiatiques du moment (rôle de la taqiyya dans le discours islamophobe, plus encore qu'islamiste): on y voit à peu de chose près les mêmes ressorts de l'"ésotérisme" opérer, par exemple, du christianisme primitif à l'islam, parce que dans tous les cas il s'agit de se prémunir contre un adversaire extérieur (juif, romain, grec ou autrement "païen" pour les chrétiens, juif et surtout chrétien pour l'islam) et/ou intérieur (là autorité ecclésiastique proto-catholique et/ou proto-orthodoxe, bientôt confondue avec l'empire et menaçant tout ce qui ressemble à une hérésie, ici autorité du calife et/ou des oulémas aussi sourcilleux sur les différences chiites que soufies); outre la profonde réticence du "poétique" et/ou du "spirituel" à la platitude univoque du prosaïsme exotérique et dogmatique, même chez les orthodoxes de toutes les orthodoxies... On oublie que dans le christianisme ancien le "sacrement" (sacramentum, traduction latine du grec mustèrion aussi transcrit mysterium) comme le baptême ou l'eucharistie a été soigneusement caché aux "profanes", avant de devenir un rite tellement connu et si peu "mystérieux" qu'il requière à son tour un supplément d'interprétation "ésotérique" pour signifier encore quelque chose...

La dissimulation qui peut viser à ménager un certain espace de secret n'a toutefois guère de raisons profondes chez les plus superficiels -- qu'on pense à la ci-devant "stratégie théocratique" de la Watchtower, à visée purement diplomatique; il en est certainement de même pour bon nombre d'islamistes politiques, qui voient dans la taqiyya non un "mystère" religieux lié au caractère essentiellement paradoxal d'une "parole de Dieu" qui ne peut révéler qu'en cachant, mais une simple méthode pour "avancer masqué" vers des objectifs qui n'ont rien d'ineffable.
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MessageSujet: Re: La nécessité du secret ...   La nécessité du secret ... Icon_minitimeJeu 15 Sep 2022, 14:22

Le secret de la confession à l’époque moderne

Comment garder le secret ?

Ce secret ne peut donc être enfreint pour aucune cause, la plus sacrée soit-elle : ni pour le bien de l’Église, ni pour le salut du prochain, ni pour le bien de l’État, ni pour éviter la mort, ni même pour empêcher la profanation d’un sacrement...

Aucune puissance humaine, qu’elle soit laïque ou ecclésiastique, ne peut commander à un prêtre de le violer, même en matière criminelle. Un supérieur ne le peut pas. Un juge pécherait gravement s’il voulait contraindre un confesseur à le faire. Menacé de mort ou d’excommunication, le confesseur peut – en conscience – nier qu’il sache quoi que ce soit d’un crime qu’on lui a confessé. C’est une occasion où la restriction mentale est pleinement justifiée. En effet, ce que le prêtre « sait par la confession sacramentelle, il ne le sait pas en tant qu’homme, mais comme Dieu, dont les secrets n’entrent pas dans le commerce des hommes ». « L’effet du sacrement de pénitence est de cacher le péché aux yeux du Dieu vivant » ; mieux, Dieu Lui-même l’a créé pour “couvrir” le péché. Ainsi l’homme-confesseur ne peut dire ce qu’il ne saurait savoir. C’est pour cela que le Parlement de Toulouse n’a pas retenu le témoignage du prêtre contre le cabaretier assassin.

Il n’a pas davantage le droit d’indiquer s’il a donné l’absolution ou non ; il doit répondre qu’« il a fait ce qu’il devait ». Quelques fois, cette obligation du secret peut entraîner des conflits de devoirs. Ainsi, un supérieur de séminaire ne peut refuser une attestation de présence à un candidat aux ordres, dont il sait par la confession, et par elle seule, qu’il est un libertin. Dans des circonstances semblables, un visiteur ne peut priver un abbé de sa supériorité, ni un curé refuser l’absolution au complice d’un péché de fornication qu’il a appris par l’autre intéressé, ni révéler un empêchement dirimant à un mariage, qui devrait normalement interdire l’union.

https://books.openedition.org/pup/7341?lang=fr

Nous sommes très loin de l'encouragement à la dénonciation des péchés "cachés" dont la Watch fait la promotion. Je retiens de Proverbes 25, l'expression suivante : "ne dévoile pas les secrets d'un autre", donc la nécessité de respecter l'intimité d'autrui et de ne pas révéler la part secrète de sa vie, son jardin secret.
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MessageSujet: Re: La nécessité du secret ...   La nécessité du secret ... Icon_minitimeJeu 15 Sep 2022, 15:40

Ce texte (délicieux) s'intéresse surtout aux XVIIe et XVIIIe siècles, mais tout ce qui a changé depuis n'en ressort que mieux. On retombe sur un constat que j'ai pour ma part l'impression d'avoir rabâché depuis des années: une société qui s'estime bonne, bien intentionnée et indéfiniment perfectible, sans la réserve d'un "sacré" ou d'une "transcendance" quelconque qui lui échappe radicalement, ne saurait admettre aucune limite à la connaissance: de la vidéosurveillance aux smartphones, des médias aux réseaux sociaux, la tyrannie de la vérité instantanée est telle qu'aucun "secret", pas plus religieux que profane ou professionnel, ne peut durablement lui être opposé. Tout ce qui doit se savoir se saura, au hasard de la direction des projecteurs, hormis l'impondérable pourtant massif qui passe (au moins provisoirement) inaperçu...

De ce côté-là, les TdJ, pour être anecdotiques, sont bien modernes et même hypermodernes, avec une hantise de la "vérité" qui va investiguer jusque dans les culottes, et plutôt là qu'ailleurs (comme s'il était plus important de savoir ce qui s'est passé ou non entre frère Dugenou et soeur Tartempion que ce que Jésus a fait, ou non, depuis 1914...).
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MessageSujet: Re: La nécessité du secret ...   La nécessité du secret ... Icon_minitimeVen 16 Sep 2022, 15:13

"Celui qui répand la calomnie dévoile les secrets ; ne fréquente pas celui qui ouvre trop ses lèvres" (Pr 20,19).

Ce texte associe le dévoilement d'un secret à, une forme de calomnie qui détruirait les relations humaines par absence de confiance et de discrétion (le texte ne le dit pas, c'est mon commentaire).
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MessageSujet: Re: La nécessité du secret ...   La nécessité du secret ... Icon_minitimeVen 16 Sep 2022, 15:44

A vrai dire, la distinction courante entre "calomnie" (supposée fausse) et "diffamation" (nuisible, mais éventuellement exacte) ne s'applique guère ici (comparer les autres usages de rkyl en 11,13; Lévitique 19,16; Jérémie 6,28; 9,4; Ezéchiel 22,9): c'est le "bavardage" en général qui est condamné (cf. le parallélisme) avec la révélation des secrets (glh swd). Soit dit en passant, la Septante n'apportera ici aucune lumière puisque tout le passage est omis, depuis le v. 14, des plus anciennes traductions grecques (cf. Rahlfs p. ex.).
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MessageSujet: Re: La nécessité du secret ...   La nécessité du secret ... Icon_minitimeVen 16 Sep 2022, 16:21

Narkissos a écrit:
A vrai dire, la distinction courante entre "calomnie" (supposée fausse) et "diffamation" (nuisible, mais éventuellement exacte) ne s'applique guère ici (comparer les autres usages de rkyl en 11,13; Lévitique 19,16; Jérémie 6,28; 9,4; Ezéchiel 22,9): c'est le "bavardage" en général qui est condamné (cf. le parallélisme) avec la révélation des secrets (glh swd). Soit dit en passant, la Septante n'apportera ici aucune lumière puisque tout le passage est omis, depuis le v. 14, des plus anciennes traductions grecques (cf. Rahlfs p. ex.).

"Ne te presse pas d'ouvrir la bouche, que ton cœur ne se hâte pas d'exprimer une parole devant Dieu ; car Dieu est au ciel, et toi sur la terre ; que tes paroles soient donc peu nombreuses" (5,1-2).

Comment bien parler à Dieu (Qo 5, 1-2) ?

25Le priant est invité à faire preuve de retenue avant de parler : « Ne te presse pas d’ouvrir la bouche et que ton cœur ne se hâte pas de laisser sortir une parole (daḅar) devant (le) Dieu, car (kî) (le) Dieu est au ciel, et toi sur la terre. C’est pourquoi, que tes paroles soient peu nombreuses. Car (kî) le rêve vient de l’abondance de tes préoccupations, et les propos de l’insensé de l’abondance des paroles ». Mention est faite du trajet de la parole du cœur à la bouche, le moment décisif étant celui de sa « sortie ». C’est elle qui motive la double recommandation à la prudence : ne pas se presser, ne pas se hâter. Cette prudence est d’autant plus exigée que la parole est proférée en présence de Dieu. Elle est de mise non seulement pour les paroles qui sortent de la bouche mais également pour les pensées du cœur. L’exhortation est suivie de deux propositions explicatives introduites, chacune, par la particule explicative kî. La première explication vient corroborer une relation à Dieu qui n’est pas réductible à un lieu tangible – fut-il le Temple – mais est coextensive à tout l’univers. De par la distance qui le sépare du ciel, l’homme n’est pas seulement en présence de Dieu dans le Temple mais partout où il se trouve sur la terre. Cette omniprésence divine, conforme à la tradition sapientielle (Ps 115, 3.16), exige un très grand respect. De la part du croyant, un tel comportement se passe de mot. L’emploi du terme daḅar annonce la seconde explication du v. 2. Après le flot de paroles à réguler, c’est la manière de s’exprimer qui est critiquée. À travers la mention du rêve, sont également mises en cause les pratiques divinatoires des cultes païens (oracles, phénomènes extatiques…), peut-être même aussi certaines dérives des milieux apocalyptiques pour lesquels les rêves constituaient une occasion de prédiction. À la place du terme de « rêve », on a proposé de lire la racine hébraïque hhl signifiant « réciter, prier ». En parallèle à l’expression « abondance de paroles », la critique porterait davantage sur l’abus des prières machinales. À l’instar de ce qui est dit en Qo 4, 17, l’accent est mis sur les travers des insensés pour faire ressortir, en positif, l’attitude du sage. Les préoccupations et le verbiage nuisent gravement à la relation à Dieu.


https://journals.openedition.org/rsr/1742?lang=it#tocto3n2
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MessageSujet: Re: La nécessité du secret ...   La nécessité du secret ... Icon_minitimeVen 16 Sep 2022, 19:01

Détail: à mon avis ce serait plutôt hll (que hhl, voir BHS ad loc.), qui signifie "louer" (au sens de "louange", comme dans Tehillim, titre hébreu des Psaumes, ou hallelou-Yah / Alléluia), mais qui peut aussi (fût-ce par homonymie, cf. HAL hll II et III) évoquer la "folie"; par rapport à hl(w)m = "rêve", la première lettre changerait aussi, de heth à (c'est moins négligeable que ça le paraît en transcription française).

Tout dépend de quand on date Qohéleth: du milieu du IIIe siècle av. J.-C. (c'est l'option de Pinçon, sans explication) dans un contexte politique assez paisible où la référence religieuse est essentiellement liturgique (le culte du Second Temple et notamment ses psaumes), ou plus près de la crise maccabéenne du IIe s. qui déchaîne les passions, aussi apocalyptiques (Daniel etc.). Quoi qu'il en soit, les livres une fois écrits continuent d'être lus (voire augmentés et/ou réécrits) dans de nouveaux contextes, et a posteriori Qohéleth paraît nettement plus hostile aux discours eschatologiques nouveaux qu'à une piété rituelle ordinaire -- d'où une tendance qui paraît volontiers (proto-)sadducéenne -- mais c'est peut-être aussi parce que ces discours-là ont pris encore davantage d'importance plus tard, avec le développement puis l'hégémonie du pharisaïsme à la fin du Ier siècle apr. J.-C. et les christianismes primitifs, entre autres.

Pour rappel, à l'opposé aussi l'"apocalyptique" raffole du "secret" et du "mystère" (p. ex. raz, emprunt de l'araméen au perse, Daniel 2,18ss etc.; cf. aussi le vocabulaire du sceau, stm-htm, au chap. 12) mais dans un tout autre sens, celui du langage codé ou chiffré qui réinscrit du visuel (vision) dans le message verbal pour lui donner un supplément d'autorité divine et quasi magique... Là encore, cacher pour montrer et inversement, même si ce n'est pas le plus fin des jeux de ce genre.
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MessageSujet: Re: La nécessité du secret ...   La nécessité du secret ... Icon_minitimeMer 22 Fév 2023, 16:56

À cet égard, la théologie négative paraît indissociable d'une pensée du secret. Suivant Derrida, il importe de « garder en réserve le dévoilement de la réserve  » ; il
s'agit de maîtriser l'art du secret : « de l'exhibition savoir se garder14  ». Il est trop évident qu'on peut retourner ces affirmations contre l'apophatisme et contre Derrida (plus spécifiquement contre leur rhétorique) et crier à l'ésotérisme. De fait, la théologie négative a été souvent associée à une forme de « socialite ésotérique », « comme si l'accès au discours apophatique le plus rigoureux exigeait le partage d'un "secret", c'est-à-dire d'un pouvoir-se-taire [...], d'un contenu réservé, d'un lieu ou d'une richesse qu'il fallait soustraire au premier venu  ». Ceux qui se rattachent aujourd'hui au mouvement de la déconstruction se voient eux aussi accuser de former une secte ou encore une mafia ; Derrida encourage d'ailleurs lui-même une telle lecture en faisant allusion à un « comportement de fuite  » et à un désir de « fausser compagnie au contemporain  ». Mais ne devons-nous pas pousser l'analyse un peu plus loin ? 


14. J. DERRIDA, Feu la cendre, Paris, Des femmes, 1987, p. 19. Ce désir du secret n'est pas sans évoquer le texte nietzschéen : « Le solitaire ne croit pas qu'aucun philosophe — si tant est qu'un philosophe commence toujours par être un solitaire — ait jamais exprimé dans des livres ses véritables et ultimes opinions : n'écrit-on pas précisément des livres pour dissimuler ce qu'on cache en soi ? » (F. NIETZSCHE, Par delà bien et mal, trad. C. Heim, Paris, Gallimard [coll. « Folio/essais », 70], 1987, p. 204, § 289). Voir P. LACOUE-LABARTHE, « La dissimulation », dans l'ouvrage collectif Nietzsche aujourd'hui ? I Intensités, Paris, U.G.É., 1972, p. 9-36.


La passion du secret ne doit-elle pas aussi et d'abord être interprétée comme une passion du non-savoir ? Encore faut-il préciser le sens de ce non-savoir, en explorer la crypte. Nous pourrions partir, pour cela, d'une remarque de Derrida : 


Je suis pour le savoir (rire...), pour la science, pour l'analyse et... bon ! Donc, ce non savoir ce n'est pas la limite... d'un savoir, la limite dans la progression d'un savoir. C'est un non-savoir structurel, en quelque sorte, qui est hétérogène, qui est étranger au savoir. Ce n'est pas simplement l'inconnu qui pourrait être connu et que je renonce à connaître. C'est quelque chose par rapport à quoi il n'est pas question de savoir. Quand je précise que c'est un non-savoir et non pas le secret, je veux dire que quand un texte paraît crypté, ce n'est pas du tout pour calculer ou intriguer ou pour barrer l'accès à quelque chose que je saurais et que d'autres ne devraient pas savoir ; c'est une expérience plus ancienne, plus originaire, si vous voulez, du secret. Ce n'est pas une chose, une information que je cache ou qu'on aurait à cacher ou à dissimuler, mais c'est une expérience qui ne se livre pas à l'information, qui résiste à l'information et au savoir, et qui se crypte  immédiatement. La crypte n'arrive pas, par accident, à cette expérience. [...] C'est l'expérience de l'écriture et du langage qui a affaire à cette crypte, à cette cryptique-là.


En reliant ainsi la thématique du secret à un non-savoir structurel, Derrida entend se démarquer d'une certaine lecture obscurantiste. Il ne s'agit pas en effet de cacher pour le plaisir de cacher ; il n'y a pas refus de savoir mais rencontre d'une limite (« structurelle ») du savoir. Serait-il possible d'identifier le non-savoir autour duquel s'anime la déconstruction au mouvement même de la foi ? Il est très tentant d'établir un lien direct entre la cryptophilie sous-jacente à la déconstruction et la problématique théologique : non seulement le terme « secret » a une charge théologique très forte, mais certains textes de Derrida suggèrent directement la possibilité d'une telle relation entre le non-savoir (lié au secret) et la dimension du croire, notamment lorsqu'il y est question de la figure d'Abraham et de l'épisode du sacrifice d'Isaac (Gn 22). 


https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/1999-v55-n3-ltp2165/401252ar.pdf
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MessageSujet: Re: La nécessité du secret ...   La nécessité du secret ... Icon_minitimeMer 22 Fév 2023, 18:48

Très bel article de F. Nault.

Même si ça n'a pas grand rapport avec le point de départ et le contenu plutôt "politiques" de ce fil (jusque-là du moins), ça peut toujours en trouver un avec la généralité de son titre... Bien entendu, le "secret" dans la "déconstruction" ou dans la "théologie négative" ne consiste pas dans un savoir tu (du verbe taire: ce que je saurais mais que je tairais parce que je ne veux pas ou ne dois pas le dire, mais que dans l'absolu je pourrais ou saurais dire), mais dans une limite essentielle ou structurelle du "dire" qui peut être ou non comprise comme une limite du "savoir". Ou bien je ne dis rien (ou je parle pour ne rien dire, pour ne pas parler) parce que je ne sais rien, ou bien parce que je sais que mon savoir et mon pouvoir-dire (ou savoir-dire) ne coïncident plus, à l'encontre de leur adéquation supposée (adaequatio intellectus et verbi / rei, ce qui se conçoit bien s'énonce clairement, etc....).

Crainte et tremblement de Kierkegaard, que commente Derrida dans Donner la mort, était écrit sous le pseudonyme de Johannes de Silentio. Je repense au Sacrifice, dernier film de Tarkovski, qui enclot toute son indécidable ambiguïté (rêve ou miracle, folie subjective ou objective) dans une promesse de silence du père d'abord bavard, dont la parole passe enfin à son fils d'abord muet: "au commencement était le verbe, qu'est-ce que ça veut dire, papa ?" Sans réponse évidemment.

Cf. ici ou .
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MessageSujet: Re: La nécessité du secret ...   La nécessité du secret ... Icon_minitimeJeu 23 Fév 2023, 11:24

Fantômes et trésor derrière la baie vitrée. Regards sur le secret et la transparence

II - Nuances linguistiques

Il convient à cet égard de distinguer entre le secret et ses principaux faux jumeaux conceptuels, le mystère, le non-dit et la discrétion.

1. Si le secret ne constitue qu'un obstacle susceptible d'être contourné ou détruit un jour, qu'un code potentiellement déchiffrable ou qu'un arcane tributaire de la perspicacité et de l'intelligence humaines, le mystère traduit ce qui est profondément caché, le plus souvent sous un symbole, depuis l'origine des temps. Se dérobant complètement à notre capacité naturelle de savoir, il ne se laisse saisir ni par la perception ni par la pensée. Il n'est appréhendé que par la foi et la crédulité ; religion et divination en proposent une approche révélée, sans en établir la vérité ni en donner une compréhension satisfaisante.

En d'autres termes, le mystère se présente comme métempirique, enveloppant la présence sur terre, là où le secret constitue une sorte de devinette plus ou moins résistante au décryptage ou d'imbroglio dont on pourrait démêler les fils. Incompréhensible, le premier suscite fascination, effroi et généralement peur sans un motif précis, alors que le second érige un obstacle plus ou moins résistant à la curiosité d'autrui, source de frustration et d'agressivité.

2. Mettant l'accent sur l'exclusion d'autrui d'un moment et d'un champ relationnels précis, le non-dit revêt d'emblée un aspect agressif et persécuteur à même de susciter chez l'interlocuteur des positions défensives et des tendances paranoïaques. Contrairement au pouvoir et à la maîtrise que recèle le choix de se taire ou de cacher des éléments du réel, il favorise l'impression de mésestime exprimée par autrui jusqu'à détruire les liens et alimenter des projets inconscients ou conscients de revanche. Deux nuances interviennent toutefois ici :

a) d'une part, des formules stylistiques - telles la litote, la métaphore, l'allégorie ou l'allusion - en atténuent la portée pour relancer l'attention de l'entourage et aiguiser une curiosité plus ou moins saine ; s'y lit plutôt l'art de la dissimulation, si recommandé par les moralistes et les conseillers politiques;

b) D'autre part, exceptionnellement, le non-dit peut, du point de vue psychologique, se confondre en matière transgénérationnelleavec un secret. Lourd de honte, de culpabilité morbide, d'extrême stupéfaction ou de terreur, il porte sous des apparences de refoulement des marques de clivage et de déni qui perturbent gravement la dynamique psychique de chacun des membres du groupe d'appartenance du sujet, dont notamment ses descendants. L'individu à l'abri supposé d'une connaissance susceptible de lui être « préjudiciable » ne peut qu'être profondément troublé par la raison et le contenu de ce qui lui est caché. Aussi, le silence profondément gardé par son très proche parent ou protecteur et l'attitude manifestement fuyante de ce dernier se transforment-ils pour lui en véritable secret à cause d'un sentiment de loyauté, de honte ou de peur dont il n'a ni le moyen, ni la capacité, ni l'autorisation de se libérer (S. Tisseron, 1992, pp. 75-97). Cependant, ce « secret de famille » ne comporte pas les effets favorables habituellement procurés à celui qui tente de maîtriser plus ou moins adéquatement son destin et sa vie relationnelle.

3. Dérivé lui aussi de la racine cerno, le terme discrétion se présente de prime abord comme une variante du secret, désignant dans le langage commun une disposition légèrement moins ferme quant à la promesse de silence.

a) À y regarder toutefois de près, il signifie plutôt la retenue et la modération augurant la prudence dans la parole ou dans l'attitude à observer, tant envers soi que vis-à-vis d'autrui, à partir d'un discernement relatif au moment, au lieu et à la situation. En cherchant à éviter tout excès, y compris dans le perfectionnement des vertus, le discret s'avère modeste et réservé, sait se mettre au niveau de son interlocuteur sans pour autant tomber dans la médiocrité. Sauvegardant la liberté de décider de ses expressions , il tend avec justesse à s'effacer, grâce à « un art délicat qu'il sa(it) porter jusqu'à l'indifférence, mais qui est le contraire, une indifférence attentive et toujours prête à se rompre » (L. Lavelle, 1957, pp. 111-112). La qualité dont il jouit assure ainsi un « bonheur par soustraction » (P. Zaoui, 2013, p. 136) au contentement de soi et au tumulte du monde, sans pour autant se détacher de ce dernier. Libéré du souci de sa propre image, il éprouve aussi un « bonheur par distraction » (p. 139) qui se mue en disponibilité pour autrui. « Se faire discret, c'est bien davantage que se limiter : c'est créer, c'est donner, c'est aimer, c'est laisser être » (p. 122).

b) La discrétion impose ainsi de s'abstenir de parler inconsidérément et, par conséquent, de ne pas divulguer ce qu'on sait à propos d'une situation ou d'une personne, afin d'éviter à cette dernière d'éventuels préjudice ou gêne. Se crée dès lors un lien avec l'idée de silence que le droit public français transforme en une obligation s'ajoutant à celle du secret auquel sont astreints les fonctionnaires. À la différence de celui-ci qui est observé au nom du bien ou du respect d'un demandeur, cette disposition légale vise l'intérêt de l'Administration, défini - en complément des textes juridiques - par la hiérarchie  Elle couvre alors la nature et les moyens de la tâche à accomplir ainsi que les circonstances entourant la réalisation de la mission confiée. Elle procure de ce fait un climat de sérénité favorisant la réflexion et l'élaboration subséquente des décisions et avis administratifs à l'abri des réclamations et des regards curieux.


III - Le secret comme expression de l'être et de la sociabilité

8. Nous faut-il toutefois rappeler, comme le fait précisément dire M. Pagnol à César (1936, p. 439), qu'« un secret, ce n'est pas quelque chose qui ne se raconte pas ; c'est une chose qu'on se raconte à voix basse et séparément » ? En réalité, on ne peut concrètement ni vivre sans un secret minimal ou sans possibilité de se cacher, ni se replier complètement sur un territoire hermétiquement fermé. (Se) dire a minima constitue en fait une manière élégante de reconnaître autrui et de lui conférer des qualités allant de l'écoute personnalisée et de la compassion à l'ouverture d'esprit du démocrate, en passant par la puissance du sachant et la sérénité du sage. Il y là in fine un appel à la solidarité au moment de la détresse : « Ce qu'il y a de plus puissant dans le secret, ce n'est (...) pas le mutisme qu'il impose, c'est la complicité qu'il crée entre ceux qui en sont porteurs », confirme V. Jankélévitch (1964, p. 48). La contrepartie de la confidence sera alors l'obligation de repérage, chez celui qui se livre, de lueurs d'espoir portées par la confiance qui ne peut être trahie sans effets psychologiquement dommageables pour lui.

https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-la-justice-2014-3-page-349.htm?ref=doi
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MessageSujet: Re: La nécessité du secret ...   La nécessité du secret ... Icon_minitimeJeu 23 Fév 2023, 14:30

Malgré quelques fautes de frappe, et la réserve que j'ai habituellement envers les distinctions plus ou moins arbitraires de quasi-synonymes -- distinctions qui restent, c'est le cas de le dire, à la discrétion de chaque auteur, et ne réussissent pas toujours pour autant à constituer des mots différents en concepts discernables -- j'ai apprécié cette présentation, que je trouve intelligente et équilibrée, de la question qui nous occupait au départ de ce fil (secret personnel, collectif, familial, professionnel, commercial, administratif, politique, diplomatique, d'Etat). Malheureusement il ne suffit pas de dénoncer les effets pervers de la "transparence" généralisée (on aurait pu aussi là-dessus convoquer Foucault ou Deleuze, du côté de la société de [bien-]surveillance ou de contrôle) pour endiguer le mouvement de fond et de masse, dont les ressorts sont bien plus technologiques qu'idéologiques ou moraux, qui tend irrésistiblement à rendre tout secret, et par la même occasion toute profondeur, impossibles, ou du moins intenables dans la durée: on peut toujours échapper provisoirement à l'attention -- parce qu'il ne peut pas y avoir en permanence un oeil et un cerveau derrière chaque caméra, quoique l'intelligence artificielle y supplée déjà -- mais dès lors que tout devient techniquement connaissable, du moins rétrospectivement, aucun secret n'est jamais assuré en principe, et cela ne dépend même plus du jeu de la parole et des relations humaines (confiance et confidence, promesse ou serment, fidélité ou trahison). Comment celui qui ne peut plus rien cacher entretiendrait-il seulement l'illusion d'une "intériorité", et d'une "relation" avec un "autrui" présumé doté d'une "intériorité" semblable ?
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MessageSujet: Re: La nécessité du secret ...   La nécessité du secret ... Icon_minitimeJeu 23 Fév 2023, 15:48

Pouvoirs et impouvoirs du secret

Variations sur quelques indécidables derridiens, entre l’œil et l’oreille - Simon LabrecqueRené Lemieux

L’article se propose de questionner les aprioris de la « société de surveillance » contemporaine, notion popularisée par Michel Foucault, et de réfléchir sur le « secret ». L’image actuelle de la politique de la surveillance se pense en fonction de l’opposition visibilité/invisibilité : les puissants demandent la visibilité du petit peuple, chacun de ses gestes devant pouvoir être enregistré pour contrer toute manifestation de résistance. On remarque trop peu souvent que le contre-pouvoir démocratique propose exactement la même idée : que le pouvoir se rende toujours plus transparent. Entre le pouvoir et le contrepouvoir de la vision, nous proposons une réflexion sur l’ouïe à partir des quelques propositions de Jacques Derrida sur le secret. Les indécidables derridiens comme différance et schibboleth, ainsi que la figure du marrane, sont réarticulés pour repenser un certain impouvoir du secret, un secret sans code pour notre temps.

Le secret, ce n’est pas seulement quelque chose, un contenu qu’il y aurait à cacher ou à garder par-devers soi. Autrui est secret parce qu’il est autre. Je suis secret, je suis au secret comme un autre. Une singularité est par essence au secret. Maintenant, il y a peut-être un devoir éthique et politique à respecter le secret, un certain droit à un certain secret. La vocation totalitaire se manifeste dès que ce respect se perd. Toutefois, d’où la difficulté, il y a aussi des abus de secret, des exploitations politiques du « secret d’État » comme de la « raison d’État », des archives policières et autres. Jacques Derrida, « Autrui est secret parce qu’il est autre » (2001, 397)

4Dans Surveiller et punir, Michel Foucault reprend cette notion maintenant devenue un lieu commun alors qu’il redécouvre le projet du « Panoptique » de Jeremy Bentham et en fait l’archétype du pouvoir omniscient qui semble à bien des égards celui de notre temps. Ce panoptique, on le sait, est un type d’établissement pénitentiaire, mais surtout un dispositif technique du pouvoir pour s’assurer, dans les mots de Bentham, « la faculté de voir d’un coup d’œil tout ce qui s’y passe (Bentham 2002, 13) » . Dans cette prison, les cellules des détenus sont disposées autour d’une tour centrale dans laquelle un surveillant prendra place, ou pas. L’idée n’est pas de voir en permanence, mais d’assurer la possibilité pour chaque détenu d’être toujours vu (et donc de se penser vu). Ce dispositif s’institue comme dialectique subjectivante  : au voir répond un être-vu qui se relève en un se-sentir-vu, seul aspect nécessaire au procès de la conscience de soi. Le panoptique, insiste Foucault, dissocie « le couple voir–être vu : dans l’anneau périphérique, on est totalement vu, sans jamais voir ; dans la tour centrale, on voit tout, sans être jamais vu (Foucault 1993, 235) ». Le ressort du pouvoir ophtalmo-politique apparaît ainsi résider dans l’absence de réciprocité, qui serait une possibilité inhérente à la vision et que les autres sens n’autoriseraient pas : on n’imagine pas toucher sans être touché ; on imagine mal entendre sans être entendu, à moins d’user de quelque technique instaurant l’asymétrie.

http://sens-public.org/articles/1211/
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MessageSujet: Re: La nécessité du secret ...   La nécessité du secret ... Icon_minitimeJeu 23 Fév 2023, 19:55

Voilà un texte qui rassemble heureusement -- mais pas trop strictement, étroitement ou solidement, il faut justement les laisser jouer -- les différents aspects de la question évoqués jusqu'ici, et quelques autres (p. ex. le s[c]hibboleth, dont les lecteurs de la Bible ignorent souvent le riche devenir littéraire et philosophique qu'il a eu hors de celle-ci).

Tout cela mérite d'être lu (ou relu) lentement...

Dans le cadre de la Bible et des traditions religieuses qui la précèdent, l'accompagnent ou en découlent (judaïsme, christianisme, islam), toute la thématique du secret, avec ses correspondances sonores ou visuelles, silence et ténèbres, s'entendent à contresens d'un courant sinon dominant, du moins plus audible et visible par nature, qui valorise la parole, le message et le sens clairs, la révélation (dévoilement, développement, manifestation), la lumière et l'illumination. C'est une réaction, sans doute inévitable, peut-être salutaire, à la tendance naturelle de la religion "exotérique" au dogmatisme, au bavardage et à la superficialité de la doctrine explicite et univoque; à toutes les étapes de son développement historique la "mystique" recreuse sous la surface des discours et des rituels publics, qui n'ont plus rien de mystérieux, des réserves de profondeurs "ésotérique" de plus ou moins bon aloi, mystère ou mystification.

Cependant le secret, comme le silence ou les ténèbres, fait partie intégrante d'une économie générale, ou d'un jeu (de la parole et de la communication, de la voix, du son et de l'audition, de la lumière, de l'image et de la vision, du trait, du geste et du signe, du sens et du non-sens) dont il ne peut pas plus être isolé qu'aucun autre élément: dans tout cela il n'y a rien à "choisir", pas même un "équilibre" à viser, mais un jeu d'alternances (Fort-Da, disparition / apparition, je cache / je montre) et de rôles à jouer (bavards / taiseux, etc.).

A ce propos, je reviens sur un détail que j'avais trouvé un peu injuste dans l'article de F. Nault (supra 22.2.2023): il me semble qu'on ne peut pas réduire Wittgenstein à sa trop fameuse formule, "ce dont on ne peut pas parler, il faut le taire" (Wovon man nicht sprechen kann, darüber muß man schweigen, proposition 7, seule de sa section et dernière du Tractatus logicus-philosophicus) sans tenir compte, d'abord de la place très particulière qu'elle occupe dans l'architecture de l'ouvrage, tout à la fin (cf. the rest is silence, derniers mots de Hamlet), ensuite de la vie ultérieure de l'auteur, qui abandonne la carrière philosophique universitaire pour la pratique de l'éducation d'enfants, enfin du fait qu'il continue à écrire, autrement: là encore un dispositif complexe de (non-)communication, verbale et non verbale -- qui n'a pas pour autant été calculé d'avance.

Wittgenstein réagissait sans doute aux abus post-hegeliens de la "logique" en philosophie, mais l'injonction de silence adressée à ce type de philosophie (et par extension à la "théo-logie" fondée sur l'aspect "logique" ou "rationnel" du logos) ne récusait pas tout type de communication: au "mystère" (qui pour Wittgenstein est qu'il y ait un monde, non comment il est) conviennent peut-être, outre et avec le silence, d'autres types d'expression, verbale ou non: mythe, poésie, fable, parabole, conte, théâtre, mime, danse...
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MessageSujet: Re: La nécessité du secret ...   La nécessité du secret ... Icon_minitimeVen 03 Mar 2023, 14:14

Secret, transparence et démocratie

Voici que semble venu, en quelques années, le règne de la transparence. Se sont multipliées les lois dites de transparence, ou de vérité, cette vérité dont la transparence ne serait que l’un des visages, exprimant les exigences d’une loi morale de plus en plus évidente : transparence des marchés boursiers et financiers, transparence des relations bancaires, transparence de la concurrence, transparence du financement des partis politiques, transparence de la publicité. « Il faut prévenir la corruption. » « Il faut moraliser l’économie », disent les motifs de plusieurs de ces lois, moraliser l’économie, moraliser la politique, moraliser la vie sociale. La vérité se déploie ainsi, à travers les lois, et s’il se peut à travers les mœurs, comme le fondement d’une « vraie » démocratie.

De même a-t-on pu observer le recul du secret, des secrets. Le secret professionnel, le secret de l’instruction, ne cessent de se réduire, souvent vécus comme des obstacles sur le chemin de la vérité. Il en est de même des secrets publics : le secret d’État, le secret défense semblent aujourd’hui suspects, habillant le mensonge ou la dissimulation du prétexte trompeur de l’intérêt général. Il faudrait observer aussi toutes les mesures de police qui se réclament de la nécessaire vérité, et dresser le bilan des dénonciations – légales ou spontanées – dont notre système légal ne veut pas se séparer. Les dérivés du secret, tel le devoir de réserve ou la confidentialité, s’effacent peu à peu. Le champ de la vie privée, du respect de l’intimité se réduit, sensible à ce grand vent de transparence venu d’Amérique. Le patrimoine, qu’il y a vingt-cinq ans notre jurisprudence maintenait dans le domaine intime de la vie privée, en est à peu près exclu aujourd’hui, par l’effet de lois nombreuses. La distinction se développe entre l’homme « privé » – auquel la loi accorderait encore la protection de son intimité – et l’homme « public » dont le citoyen doit vérifier les qualités et les défauts, connaître la vie passée, la vie présente, l’état de santé. Cet homme « public », la démocratie l’obligerait à la parfaite transparence afin que le citoyen, éclairé par la vérité, puisse lucidement le désigner, l’écarter ou le rejeter. Resterait à définir l’homme « public » ainsi soumis aux exigences d’une totale vérité, pour le progrès de la démocratie. La qualification d’homme privé ne s’appliquera-t-elle un jour qu’à celui dont la vie n’intéresse personne ?

https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2001-2-page-5.htm
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MessageSujet: Re: La nécessité du secret ...   La nécessité du secret ... Icon_minitimeVen 03 Mar 2023, 18:02

Excellente plaidoirie d'un avocat éminent, mais elle a peu de chances d'être entendue d'un jury populaire accro aux médias et aux réseaux sociaux, ce "grand public" qui est le dernier à pouvoir comprendre pourquoi il n'a aucun "droit", ni aucun intérêt à tout savoir.

Je repensais en la lisant à "l'affaire Palmade", à laquelle je n'ai pas échappé bien que je ne regarde pas la télé -- même le site du "Monde" s'est cru en devoir de titrer là-dessus pendant plusieurs jours. Je ne saurai jamais si mon voisin de palier a causé un accident grave sous l'emprise de la cocaïne ou a regardé des vidéos pédopornographiques, et je ne m'en porte pas plus mal, mais pour ce type-là je n'ai pas le droit de l'ignorer, simplement parce qu'il est (médiocrement) "connu", alors même qu'il ne m'a jamais intéressé.

C'est le degré zéro de la "démocratie" qui joue encore de façon aléatoire, dans la mesure où personne ne contrôle vraiment la météorologie de "l'information", mais qui tourne forcément à la "tyrannie" dès lors qu'un individu ou un groupe réussit à la maîtriser et à la canaliser à son profit...
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MessageSujet: Re: La nécessité du secret ...   La nécessité du secret ... Icon_minitimeJeu 09 Mar 2023, 11:24

Vers une dictature de la transparence : secret et démocratie

Secret, monde réel et ontologie

Finalement, entre le « tout dire » et le « rien dire du tout » n’existe-t-il pas des degrés intermédiaires ? Un dévoilement partiel n’est pas plus un mensonge qu’une révélation partielle, une vérité. Dire, c’est précisément élaborer une parole en direction de l’autre, une adresse à l’autre, porteuse de signification. Etre capable de garder un secret, ne pas tout dire, c’est ne pas devenir « transparent » au regard des autres et permettre de construire ainsi une relation de confiance. La transparence est la qualité de ce qui laisse passer la lumière, de ce qui n’arrête pas le regard, de ce qui finalement se laisse traverser sans apparaître. Si le secret renvoie bien à l’idée de séparation ou de sacralisation au sens anthropologique, avec la transparence disparaît la frontière, la limite et avec, la possibilité de concevoir l’intériorité et l’extériorité. Avec le dedans et le dehors, s’abîme également la nécessaire distinction opérée entre espace public et espace privé, fondement du politique. S’agissant du sujet, nul doute que transparence et dissolution de l’être – de l’être-au-monde comme de l’être ensemble – ne font qu’un, l’expérience totalitaire l’a prouvé (Arendt, 2005). Etre à l’autre et être avec les autres suppose qu’une part d’ombre abrite le lieu des secrets et de la conscience afin qu’une relation de confiance s’établisse entre les personnes, entre les groupes, entre les individus et les institutions. La transparence absolue empêche toute prise, toute consistance, et plus fondamentalement la possibilité de faire exister un monde réel (Baudrillard, 1995). Resituée dans le contexte politique, la transparence peut ainsi apparaître comme la meilleure alliée des  sociétés de contrôle et le pire ennemi de la démocratie, détruisant la réalité comme construction sociale (Berger, Luckman, 1986) au profit d’une virtualité insaisissable et suprapolitique. Rappelons que Berger et Luckman ont inauguré une sociologie de la connaissance alliant complexité, interactionnisme et phénoménologie, montrant que toute réalité, la réalité, est construite socialement. L’importance accordée à celle-ci ainsi qu’à la connaissance provient de leurs relativités sociales, « la réalité de la vie quotidienne se présente à moi comme un monde intersubjectif, un monde que je partage avec les autres ». La réalité est donc objective et subjective. Hugues Bissot pense fort justement, dans le sillage de note réflexion, que « si nous pensions que la transparence comme vertu suprême n’avait de secret pour personne, il était tout aussi illusoire de penser que le secret n’a pas besoin, à son tour, d’une certaine publicité et notamment qu’il s’attache au pouvoir » (Bissot, op. cit. p.4). L’auteur précise, avec R. Bertrand (cité par Bissot, ibid. p. 5), que « l’efficacité du secret comme mode de légitimation suppose que son existence soit reconnue et son contenu, ignoré ». Il nous apprend ainsi que si « pour fonder une légitimité politique, une certaine forme de commerce avec l’invisible est nécessaire et doit se donner à voir » mais que « toutes les formes de ce commerce ne sont pas bonnes à voir, à révéler, car ladite légitimité est fonction des imaginaires sociaux et de l’interprétation culturelle ». La face obscure du pouvoir fait partie de son double visage mais elle ne peut, tout en devant faire partie intégrale de celui-ci, être montrée, tout comme nous ne pouvons imaginer la lune sans sa face cachée. 

Le droit à l’indifférence

Le respect de l’intimité de la personne, le droit à l’image, la liberté de conscience, l’interdiction du recoupement de fichier par la loi du 6 janvier 1978 (CNIL), et bien sûr la loi française du 17 juillet 1970 protégeant la vie privée (des écoutes téléphoniques), le secret médical, entre autres, ne sont rien moins que la protection du « secret » propre à chacun, la part de soi qu’il n’a pas obligation de dévoiler ou qu’il ne peut exposer au regard de l’autre, qu’il s’agisse du voisin ou de l’Etat, de l’employeur ou du fonctionnaire de police, ou plus exactement la mise au secret du domaine privé. Ainsi, si secret et sacré ont bien, nous l’avons rappelé, la même étymologie, celle de la séparation, on peut considérer que le libéralisme politique fonde l’existence en commun, la vie en société, sur la protection d’un secret propre à l’individu, en en faisant un droit inaliénable, ce que Locke appelait le droit des particuliers à « l’indifférence » des concitoyens. On ne peut s’épanouir qu’à l’abri du regard de l’autre, des autres, tel est le paradigme social qui va devenir dominant dans la second moitié du XXème siècle, alors que le paternalisme, qui plaçait l’individu sous l’autorité de l’Etat, de l’Eglise ou du patron, cède le pas à une gouvernementalité – ou gouvernement des corps - plus horizontale et plus autonome, celle d’un individu surveillé certes, mais en milieu ouvert, libre de ses mouvements. Tel est le sens profond de mai 68, manifestation visible et revendiquée par la génération montante, la « jeunesse », de cette transformation politique. S’il n’est pas certain que l’individu en soi sorti plus libre et plus émancipé dans une société en voie de bureaucratisation et de technocratisation avancée, tel était en tout cas le sens du désir collectif, un désir de secret et il n’est pas certain que cet horizon d’attente ait disparu. Chacun devient, dans ce nouveau libéralisme, maître de son destin et de sa vie (choix de formation, choix du partenaire, etc.) et ces libertés s’accompagnent d’un prix non négligeable : chacun devient aussi plus responsable de ses échec face à cette injonction à l’autonomie comme l’a fort bien théorisé Erhenberg (1998). Toqueville (1981) nous avait mis en garde contre le despotisme qui menace, de l’intérieur, les démocraties, notamment lorsque la passion de l’égalité l’emporte sur le désir de liberté et dans son sillage, nombreux sont les théoriciens qui, comme Hannah Arendt ou Anthony Giddens (1994), auront poursuivi cette mise en garde, décelant au sein même des sociétés prônant l’autonomie de l’individu des mécanismes subtils et souvent
sournois, tendant à le replacer sous le contrôle de l’Etat. 

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MessageSujet: Re: La nécessité du secret ...   La nécessité du secret ... Icon_minitimeJeu 09 Mar 2023, 12:34

Je ne suis pas sûr que "secret" et "sacré" aient la même étymologie (secerno / sacer: d'une part la séparation qui cerne, discerne et isole, d'autre part le "sain[t]", l'indemne, l'intact, l'entier, l'inentamé, cf. heilig, holy etc., par une dérivation différente mais comparable, holos, whole, etc.), mais les notions sont assez connexes pour que l'assonance (française) suffise amplement... (ça me rappelle que j'avais naguère traduit par "Secret" le debir hébreu, équivalent du "Saint des saints", ou "Très-Sacré", qodesh ha-qodashim, dans l'architecture du temple -- similaire d'ailleurs à la plupart des temples de l'époque et de la région -- et que ça fonctionnait plutôt bien).

Il y a en tout cas de bonnes idées dans cet article, ou dans ses sources -- idées peut-être pas très originales mais qui méritent toujours d'être méditées: que la confiance (ou la "foi") exige que tout ne soit pas dit, montré, révélé, mais que le secret demande aussi à être révélé comme tel, sans cesser d'être secret: il ne s'agit évidemment pas de dévoiler son "contenu", mais le fait même qu'il y a secret, un secret, des secrets, du secret, cela doit paradoxalement être "publié", révélé, connu et reconnu; enfin, que la transparence absolue rendrait, non moins paradoxalement, tout invisible (comme la vitre trop propre à laquelle on se heurte), neutralisant du même coup son objet et son sujet (difficile de ne pas repenser aux ultimes tableaux de l'Apocalypse)...
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MessageSujet: Re: La nécessité du secret ...   La nécessité du secret ... Icon_minitimeDim 28 Avr 2024, 12:00

Coïncidence(s): hier une "actualité" m'a rappelé ce fil, le soir même je regardais Le secret magnifique (Magnificent Obsession, 1954), de Douglas Sirk -- le grand maître du mélodrame hollywoodien snobé par la cinéphilie européenne jusqu'à ce que Fassbinder le fasse redécouvrir: remake d'un film éponyme de John Stahl (1935), pas mauvais d'ailleurs, lui-même adapté d'une pièce de Lloyd C. Douglas, un pasteur luthérien (schéma qui pourrait rappeler l'Ordet de Dreyer, à peu près contemporain et aussi adapté d'une pièce de pasteur luthérien, Kaj Munk, bien qu'on soit là dans une tout autre catégorie cinématographique: le film de Sirk s'inscrirait plutôt dans la veine de Capra). L'idée centrale de l'"obsession magnifique" est effectivement le secret à la façon de Matthieu 6 (faire le bien, l'aumône, mais aussi prier ou jeûner sans que ça se sache, en secret ou en cachette, en [tô] kruptô, le Père qui voit et récompense étant précisément "dans le secret" autant que "dans les cieux"), quoique aucun des deux films (sauf inattention de ma part) n'y fasse de référence explicite.

Du coup je m'étonne que dans ce fil -- qui était certes parti du secret nécessaire au "conseil", à la négociation et à la délibération notamment politiques, miitaires ou diplomatiques, mais s'en était ensuite passablement écarté -- nous n'ayons pas du tout évoqué Matthieu 6. Pourtant j'avais bien eu un peu ce texte-là derrière la tête en proposant la traduction de "Secret" pour debir (cf. post précédent).

Dans un sens, on est arrivé aux antipodes d'une telle idée avec les "réseaux sociaux", pour autant qu'un nombre croissant d'individus deviennent incapables de faire, de penser, de vivre ou d'éprouver, de voir ou d'entendre quoi que ce soit sans le faire savoir "en temps réel" au monde entier, même si le monde entier n'en a que faire... mais au fond cette dérive est aussi vieille que l'écriture, témoin ce qu'on appelle les "confessions" (de Jérémie ou de saint Augustin p. ex.), la consignation et la répétition des prières, complaintes, etc., qui leur retire a priori tout secret et toute authenticité: écrire, c'est s'exposer à être lu, par n'importe qui, n'importe quand, n'importe où et n'importe comment, même si l'on coud le document dans la doublure de son manteau comme Pascal son "Mémorial"; plus profondément encore toute mémoire, toute connaissance ou tout savoir, même s'ils restaient secrets, compromettraient le secret de l'"événement", de l'instant ou du moment unique -- quitte à ce que le secret et l'authenticité ressurgissent, intacts, dans la lecture, la récitation ou l'invention secrète de n'importe qui...
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