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| Péché et Culpabilité | |
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+5Ami le chapelier toqué seb VANVDA free 9 participants | |
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Narkissos
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| Sujet: Re: Péché et Culpabilité Lun 06 Oct 2014, 15:22 | |
| Si tu veux répertorier les synonymes partiels (comme le sont tous les synonymes) en hébreu, il n'y en a pas que trois ! Tu peux ajouter aussi `awôn ("faute"), pesha' ("révolte, transgression"), et quelques autres.
Comme je l'ai assez souvent dit sur ce forum (mais je ne saurais te dire exactement où), le mot hatta't (habituellement traduit hamartia en grec, peccatum en latin, péché en français) appartient au départ au vocabulaire sacerdotal, où il a un sens "sacral" et nullement "moral". Le "péché" est ce qui détermine l'impureté rituelle. Dans le Lévitique, le "péché" est associé aussi bien à la sexualité "légitime" qu'"illégitime", à la menstruation, à l'accouchement, à la "lèpre" (qui s'étend aux moisissures des maisons), au sang, au cadavre. Tout ça n'a rien à voir, de près ou de loin, avec la "morale" au sens où nous l'entendons. Mais dans la prédication des Prophètes, le mot va être subverti et retourné dans un sens anti-sacerdotal. Le vrai "péché", ce qui rend vraiment "impur", disent les Prophètes, ce n'est pas la faute rituelle, mais (par exemple) l'infidélité à son dieu (en contexte monolâtrique où il ne faut en adorer qu'un seul, même s'il y en a d'autres) ou "faire du tort à son prochain" (opprimer les pauvres, etc.). Le mot se charge ainsi d'un sens à la fois religieux et moral, sans perdre pour autant ses connotations "sacrales": à la faute morale s'attachent ainsi les métaphores de la souillure, de la tache, de la saleté, etc. Toute notre notion de "péché" est tributaire de ce "mélange des genres", qui est d'abord "biblique" et hébraïque, les traductions "automatiques" en grec puis en latin n'ayant fait que le répercuter d'une langue à l'autre.
Ce qui répond déjà un peu à tes questions 1, 3 et 4.
Quant à la n° 2, je me contenterai d'y répondre catégoriquement NON, sachant qu'il te faudrait de longues études de linguistique (phonétique, morphologie) pour comprendre vraiment pourquoi. Ce que tu transcris "RA" en français et que tu peux dès lors confondre avec n'importe quoi, le "Râ" égyptien qui est plutôt "Rê", mais aussi "rat", "ras", "raz", s'écrit en hébreu avec deux consonnes distinctes, resh et `aïn, dont la seconde, n'ayant pas d'équivalent en français, te paraît sans importance, mais tout connaisseur des langues sémitiques (l'arabe aussi bien) sait qu'elle est déterminante et ne se confond pas avec une autre... en hébreu la confusion est impossible entre ra` (resh-`aïn), ra' (resh-aleph), rah (resh-hé), rah (resh-heth), alors qu'en transcription française tout devient possible !
(Et, je ne dis pas ça pour toi, mais quand je vois certains spéculer depuis des années sur des langues qu'ils ignorent, je ne peux pas m'empêcher de penser que s'ils avaient consacré le quart de ce temps à les apprendre, ils les liraient déjà couramment depuis belle lurette et ne seraient plus tentés de dire n'importe quoi... évidemment ils auraient beaucoup moins de choses "originales" à dire, et ceci explique sans doute cela.) |
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| Sujet: Re: Péché et Culpabilité Lun 06 Oct 2014, 19:54 | |
| - Narkissos a écrit:
- Le "péché" est ce qui détermine l'impureté rituelle. Dans le Lévitique, le "péché" est associé aussi bien à la sexualité "légitime" qu'"illégitime", à la menstruation, à l'accouchement, à la "lèpre" (qui s'étend aux moisissures des maisons), au sang, au cadavre. Tout ça n'a rien à voir, de près ou de loin, avec la "morale" au sens où nous l'entendons.
Oui. Merci de ton explication. Si je comprends bien, 'se garder pur', c'est en tout premier se garder physiquement pur, c'est à dire avoir une hygiène de vie qui 'favorise' la croissance du 'groupe' au maximum : garder le camps pur car Dieu y 'habite' étant lié (dans la pensée hébraïque non dualiste) ??? - Narkissos a écrit:
- Le vrai "péché", ce qui rend vraiment "impur", disent les Prophètes, ce n'est pas la faute rituelle, mais (par exemple) l'infidélité à son dieu (en contexte monolâtrique où il ne faut en adorer qu'un seul, même s'il y en a d'autres) ou "faire du tort à son prochain" (opprimer les pauvres, etc.).
Est-ce que 'pousser à l'extrême' l'accent mis sur 'la faute rituelle' ne 'desservait' pour finir pas les personnes ? Les rites ayant été instauré au départ pour LE BIEN des personnes mais sans être 'au service des autres', les rites avaient soudain perdus leur 'sens premier' ? Je pense à Esaïe 1 et ... 'sur le jeune', notamment ... je re avec des textes - Narkissos a écrit:
- quand je vois certains spéculer depuis des années sur des langues qu'ils ignorent, je ne peux pas m'empêcher de penser que s'ils avaient consacré le quart de ce temps à les apprendre, ils les liraient déjà couramment depuis belle lurette
Oui. Plusieurs assemblées donnent la possibilité de prendre 'des cours de langue' mais c'est assez récent, en tout cas à ma connaissance. Pourquoi cela ne se faisait pas auparavant ? Puisse les nouvelles générations de chrétiens avoir accès à de tels cours ... Bien qu'avant les langues étrangères, c'est certainement le français que nous devrons 'transmettre'. Lire en français est déjà difficile pour une grande partie de la population francophone. Lire et comprendre, et lire 'entre les lignes' et savoir analyser un texte d'un simple coup d’œil ... Bien que j'ai vu de mes yeux, des universitaires, qui de plus étaient 'littéraires', et plusieurs d'entre eux connaissaient plusieurs 'langues mortes', (latin-grec) qui ne savaient pas 'lire un simple texte' en français. C'est à dire, un texte sans aucun termes compliqués, avec des phrases courtes, genre sujet verbe objet, mais ils ne comprenaient pas car le texte en question ne correspondait pas à ce qu'ils croyaient.
C'est à dire, aux commentaires qu'ils entendaient depuis des années à propos d'une phrase du texte sortie du contexte global de ce texte. Ils étaient totalement incapables de replacer 'la phrase mise en évidence' dans le contexte global du texte entier. C'était ......... 'fou' ! |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Péché et Culpabilité Lun 06 Oct 2014, 20:48 | |
| (J'ai modifié mon précédent commentaire. Le jeûne, c'est donc Esaie 58.) C'est le message central de la Bible en entier : être aimé de Dieu, aimer Dieu, aimer son prochain. Dieu instaure des rituels pour que le peuple hébreu 'se garde lui-même' en santé, prospère dans tous les domaines, etc) |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12454 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Péché et Culpabilité Mar 07 Oct 2014, 15:22 | |
| Si la pensée rituelle n'est pas "dualiste", elle n'est pas plus "physique" que "spirituelle", puisqu'elle ignore justement cette distinction. C'est dire qu'en plus de leur anachronisme, les concepts d'"hygiène" ou de "prophylaxie" sont tout aussi inadéquats à la décrire qu'un quelconque symbolisme qui attacherait aux rites un "sens" traduisible hors du rite. Ex.: si le porc est "impur", ce n'est pas "parce que c'est pas bon pour la santé" ni "parce que ça signifie quelque chose". Mais comme il nous est impossible de comprendre "impur" dans le cadre strict d'une pensée rituelle, nous allons forcément chercher une "explication" rationnelle, ou spirituelle, d'un côté ou de l'autre.
Sur la subversion prophétique du vocabulaire sacerdotal, je repensais hier au cas de ces "prophètes" qui sont aussi des "prêtres", comme Jérémie ou Ezéchiel, où le "mélange des genres" (faute religieuse et morale et impureté rituelle) atteint des niveaux spectaculaires. Le caractère littéralement pornographique et scatologique d'Ezéchiel, quand il parle d'idolâtrie, est impressionnant (surtout si la traduction n'est pas trop prude). |
| | | free
Nombre de messages : 10096 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Péché et Culpabilité Mar 07 Oct 2014, 17:18 | |
| - Citation :
- Comme je l'ai assez souvent dit sur ce forum (mais je ne saurais te dire exactement où), le mot hatta't (habituellement traduit hamartia en grec, peccatum en latin, péché en français) appartient au départ au vocabulaire sacerdotal, où il a un sens "sacral" et nullement "moral". Le "péché" est ce qui détermine l'impureté rituelle. Dans le Lévitique, le "péché" est associé aussi bien à la sexualité "légitime" qu'"illégitime", à la menstruation, à l'accouchement, à la "lèpre" (qui s'étend aux moisissures des maisons), au sang, au cadavre. Tout ça n'a rien à voir, de près ou de loin, avec la "morale" au sens où nous l'entendons.
De nombreuses religions puritaines ne saisissent pas cette nuance. Nous avons déjà évoqué le "sacré" et les "tabous" dont les origines restent assez mystérieuses. Il est, d'ailleurs difficile d'expliquer la notion d'expiation par la mise à mort ou le sacrifice d'un animal ... Je pense que de nombreux croyants se sentent mal à l'aise face à ce concept. Les notions de péché, d'impureté, d'expiation et de sanctificationsont assez obscures. par exemple en quoi le sang menstruel rend-t-il impur ? |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Péché et Culpabilité Mar 07 Oct 2014, 20:23 | |
| - Narkissos a écrit:
Ex.: si le porc est "impur", ce n'est pas "parce que c'est pas bon pour la santé" ni "parce que ça signifie quelque chose". Mais comme il nous est impossible de comprendre "impur" dans le cadre strict d'une pensée rituelle, nous allons forcément chercher une "explication" rationnelle, ou spirituelle, d'un côté ou de l'autre. Hum ... les fruits de mer peuvent très vite provoquer une intoxication alimentaire. Je ne sais pas s'ils avaient déjà des congélateurs, des emballages sous-vide, des thermomètres pour prendre la température des lieux de stockage des fruits de mer ! Même si les fruits de mer auraient provoqués une légère intoxication, subir une attaque d'un autre camps-peuple' alors qu'une partie des hébreux étaient indisposés, les auraient grandement pénalisé. Il suffisait de 'pas grand chose' pour les rayer de la carte. Mais il y a plus 'flagrant' comme la viande qui reste 3 jours sur l'autel et qui devient une 'abomination', les maladies provoquées par les excréments, les cadavres, les contagions (les marques sur la peau, peuvent être des marques de varicelle, de vérole, de ... et non pas de lèpres et d'autres maladies que nous connaissons peut-être pas (plus ?). Il y a aussi toute l'hygiène concernant les MST, le col de l'utérus des femmes entre-ouvert pendant ses règles et après accouchement, etc, etc Pour le porc, actuellement, pour entrer dans un élevage de cochon, en occident, il faut avoir été 'aseptisé' de la tête aux pieds alors qu'il est possible d'entrer dans une étable sans se laver les mains auparavant, le cochon étant un animal très 'proche' de l'homme pour ses réactions fasse aux maladies ... Les vaches ne transmettent pas leurs maladies aux hommes (tant qu'elles broutent de l'herbe et non pas des cadavres d'animaux) ... A la sortie du désert, les hébreux venaient de passer 40 ans sans avoir une cheville foulée, leurs habits ne s'usaient pas, la nourriture leur tombait dans la main. Quels étaient leur connaissance en hygiène à leur sortie du désert ? Moise, élevé à la cour, devait par contre avoir été instruit de toutes les connaissances possibles ... |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12454 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Péché et Culpabilité Mar 07 Oct 2014, 21:06 | |
| C.Q.F.D.: on lit "pur/impur", mais on ne peut pas penser "pur/impur", alors on traduit "hygiène et prophylaxie".
Je ne dis pas qu'on ne puisse pas trouver de raisons médicales (Dieu sait qu'on l'a fait !) aux merveilleuses lois de Moïse -- au fait, pourquoi merveilleuses ? parce qu'elles venaient de Dieu ou de la sagesse des Egyptiens ? si c'est Dieu qui fait les lois, à quoi servent les Egyptiens ? -- je dis que ça déplace la perspective (du "rituel" au "médical"). |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Péché et Culpabilité Mar 07 Oct 2014, 21:21 | |
| D'où vient le cerveau des Égyptiens ? |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12454 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Péché et Culpabilité Mar 07 Oct 2014, 22:15 | |
| A peu près du même endroit que celui de tous les vertébrés, je présume, mais ça ne dit pas pourquoi la "sagesse égyptienne de Moïse" (idée des Actes et non de l'Exode) devrait expliquer le génie supposé de "ses" lois, si par ailleurs ce ne sont pas les siennes, mais celles de Dieu qui les lui dicte directement !
(Enfin bon, à répondre toujours à la marge des interventions du précédent, on s'éloigne très vite du sujet, et comme j'y contribue, je me repens et promets d'essayer de ne plus recommencer...) |
| | | free
Nombre de messages : 10096 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Péché et Culpabilité Mer 08 Oct 2014, 13:33 | |
| L'état de péché est mis en évidence dans la rencontre avec Dieu, dans le contraste entre la sainteté de Dieu et l'impureté de l'homme.
"car je suis un homme aux lèvres impures, j'habite au milieu d'un peuple aux lèvres impures, et mes yeux ont vu le Roi, le SEIGNEUR (YHWH) des Armées !" - Is 6,5
La sainteté de Dieu souligne le péché de l'homme et nécéssite une purification :
"Mais l'un des seraphim vola vers moi, tenant à la main une braise qu'il avait prise sur l'autel, avec des pincettes.Il toucha ma bouche et dit : Ceci a touché tes lèvres : ta faute est enlevée, ton péché est expié." (6,6-7) |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Péché et Culpabilité Mer 08 Oct 2014, 15:35 | |
| - Lamentations 3:37-40 a écrit:
Qui dira qu'une chose arrive, Sans que le Seigneur l'ait ordonnée? N'est-ce pas de la volonté du Très Haut que viennent Les maux et les biens? Pourquoi l'homme vivant se plaindrait-il? Que chacun se plaigne de ses propres péchés. Recherchons nos voies et sondons, Et retournons à l'Éternel;
- Plusieurs versions http://djep.hd.free.fr/LaReferenceBiblique/?Livre=23&Chap=45&Vers=7 d'Ésaïe 45:7 a écrit:
Je forme la lumière, et je crée les ténèbres, Je donne la prospérité, et je crée l'adversité; Moi, l'Éternel, je fais toutes ces choses. NBS Je façonne la lumière et je crée les ténèbres, je fais la paix et je crée le malheur; c'est moi, le SEIGNEUR (YHWH), qui fais tout cela. Semeur J’ai formé la lumière et créé les ténèbres, je donne le bonheur et je crée le malheur. Oui, c’est moi, l’Eternel, qui fais toutes ces choses.
Pour ce début de phrase : Je forme la lumière et Je crée les ténèbres; Je fais la paix, Plusieurs 'commentateurs' vont dans le sens : "J'établis le shalom entre la lumière et les ténèbres" ... |
| | | free
Nombre de messages : 10096 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Péché et Culpabilité Mer 08 Oct 2014, 15:59 | |
| - free a écrit:
- L'état de péché est mis en évidence dans la rencontre avec Dieu, dans le contraste entre la sainteté de Dieu et l'impureté de l'homme.
"car je suis un homme aux lèvres impures, j'habite au milieu d'un peuple aux lèvres impures, et mes yeux ont vu le Roi, le SEIGNEUR (YHWH) des Armées !" - Is 6,5
La sainteté de Dieu souligne le péché de l'homme et nécéssite une purification :
"Mais l'un des seraphim vola vers moi, tenant à la main une braise qu'il avait prise sur l'autel, avec des pincettes.Il toucha ma bouche et dit : Ceci a touché tes lèvres : ta faute est enlevée, ton péché est expié." (6,6-7) ... Le péché nécéssite une purification cultuelle et peut s'accompagner d'un acte cultuel d'expiation comme en Lév 5 ou le péché est assimilé à la non révélation d'un péché par un témoin de la faute, aussi bien qu'au fait d'être en contact avec un cadavre, dans tous ces cas, le pécheur apportera au SEIGNEUR, en réparation pour le péché qu'il a commis, une femelle prise sur le petit bétail, une brebis ou une chèvre, en sacrifice pour le péché. Le prêtre fera sur lui l'expiation de son péché. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Péché et Culpabilité Mer 08 Oct 2014, 19:38 | |
| Oui pour les péchés 'involontaires'.
Pour les péchés 'non-involontaires' par contre ... |
| | | free
Nombre de messages : 10096 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Péché et Culpabilité Jeu 09 Oct 2014, 11:03 | |
| - Béréenne attitude a écrit:
- Oui pour les péchés 'involontaires'.
Pour les péchés 'non-involontaires' par contre ... Il me semble que pour le Lévitique l'aspect cutluelle et rituel priment sur le côté moraliste du Deuteronome. Le péché volontaire ou involontaire est effacé si le rituel expiatoire est accompli : Lorsqu'un témoin, après avoir entendu une adjuration, pèche en ne déclarant pas ce qu'il a vu ou ce qu'il sait, il sera chargé de sa faute. Lorsque quelqu'un, sans s'en apercevoir, touche une chose impure quelconque, que ce soit le cadavre d'un animal impur, celui d'une bête domestique impure ou bien celui d'une petite bête impure, il devient lui-même impur ; il se met en tort. Lorsque, sans s'en apercevoir, il touche une impureté humaine dont le contact rend impur — quand il s'en aperçoit, il est en tort. Lorsque quelqu'un, en parlant à la légère de quelque manière que ce soit, sans s'en apercevoir, jure de faire du mal ou du bien — quand il s'en aperçoit, il est en tort — sur un de ces points.Celui donc qui se met en tort sur un de ces points confessera en quoi il a péché, 6puis il apportera au SEIGNEUR, en réparation pour le péché qu'il a commis, une femelle prise sur le petit bétail, une brebis ou une chèvre, en sacrifice pour le péché. Le prêtre fera sur lui l'expiation de son péché. - Lév 5,1-5 |
| | | Sherlock
Nombre de messages : 442 Age : 56 Date d'inscription : 09/04/2008
| Sujet: Re: Péché et Culpabilité Jeu 09 Oct 2014, 13:02 | |
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| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Péché et Culpabilité Jeu 09 Oct 2014, 14:31 | |
| Oui. Il est possible de 'se débarrasser' du péché involontaire. Par contre pour le péché volontaire, c'est autre chose.
Ce sont souvent des péchés 'individuels' aussi.
Dieu se considère toujours comme le Dieu de ces personnes. Ou plutot le contraire ... ET plutot le contraire ?
Par contre, lorsque le peuple entier sert d'autre Dieu ... lorsque le peuple entier abandonne Dieu ...
En essayant de s'imaginer l'environnement de ces époques, le peuple hébreu avait un Dieu qui prenait soin de lui mais il ne pouvait pas 'toucher Dieu', se représenter Dieu'.
Les autres peuples avaient des dieux 'visibles', souvent même des dieux 'humains', avec lesquels ils pouvaient interférer. Qu'apportaient par contre 'ces dieux' au peuple hébreu ? |
| | | free
Nombre de messages : 10096 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Péché et Culpabilité Mer 18 Sep 2024, 16:18 | |
| Chapitre II. De l’obsession de la faute à la représentation du corps souffrant : une religion du morbide
La mise en scène du péché
La question du mal
L’un des principaux attraits du catholicisme pour les décadents, c’est qu’il permet de rendre compte de la faille intérieure d’un moi divisé, qui aspire à un idéal spirituel sans pouvoir pour autant renoncer aux séductions du monde : la doctrine du péché et de la grâce permet à l’artiste de donner un sens à cette tension intérieure et à l’inquiétude qu’elle suscite. En ce sens, le pessimisme fin de siècle pouvait trouver un exutoire dans le catholicisme. Alors que l’article IX des Thirty-Nine Articles anglicans affirme que l’homme est par nature mauvais et mérite par conséquent le châtiment divin (« Original sin […] is the fault and corruption of the nature of every man […], whereby man is very far gone from original righteousness, and is of his own nature inclined to evil […] ; and therefore in every person born into this world, it deserveth God’s wrath and damnation »), la doctrine catholique, tout en voyant dans l’homme un être marqué par le péché, offre au pécheur le secours de ses dévotions et de ses sacrements : pratiques pénitentielles, indulgences, confession. Les décadents sont sensibles à cette reconnaissance de la faiblesse de l’homme, qui s’accompagne d’une croyance rassurante en la vertu rédemptrice du rite religieux.
Le sentiment de la fragilité humaine et le poids de la culpabilité sont en effet au cœur du pessimisme décadent, hanté par le thème de la faute, comme dans le poème d’Ernest Dowson « Impenitentia Ultima », où l’existence de l’amant se définit par sa culpabilité. La faute y est perçue non comme une entorse à la moralité, mais comme une réalité spirituelle, qui relève de ce mal (« Evil », par opposition à « natural […] Bad » ou « Puritan […] Wrong »1) dont parle T. S. Eliot (qui se disait anglo-catholique) dans son essai sur Baudelaire, et qui sépare selon lui le poète français de ce qu’il appelle « the modernist Protestantism of Byron and Shelley2 ». Ce sens du mal hante la littérature catholique anglaise depuis le XIXe siècle, jusqu’à Graham Greene qui, dans Brighton Rock (1938), oppose la morale toute profane de la protestante Ida Arnold au catholicisme tourmenté de Pinkie et de Rose :
‘I know one thing you don’t. I know the difference between Right and Wrong. They didn’t teach you that at school.’ Rose didn’t answer; the woman was quite right; the two words meant nothing to her. Their taste was extinguished by stronger foods—Good and Evil. The woman could tell her nothing she didn’t know about these—she knew by tests as clear as mathematics that Pinkie was evil—what did it matter in that case whether he was right or wrong3?
Rose et Ida ne parlent pas ici la même langue : Rose, qui appartient à la pègre de Brighton, vit dans l’univers métaphysique du Bien et du Mal, où tous les actes humains ont une portée spirituelle, alors qu’Ida représente les valeurs respectables de la classe moyenne anglaise, dont Oscar Wilde se moque par la bouche de Gilbert dans « The Critic as Artist » (1890) : « To be good, according to the vulgar standard of goodness, […] merely requires a certain amount of sordid terror, a certain lack of imaginative thought, and a certain low passion for middle-class respectability » (CWOW : 1154).
La vision de Rose, au contraire, comme celle de Baudelaire selon T. S. Eliot, s’inscrit, bien au-delà de la morale conventionnelle et du jugement humain, dans l’univers religieux du salut et de la damnation. On songe à François Mauriac, qui dans sa préface à l’édition française de La Puissance et la Gloire de Graham Greene, écrit que « ce n’est pas la vertu qui apparaît comme le contraire du péché, c’est la foi4 ». C’est la capacité de se damner, et la conscience de cette damnation possible, qui fait la grandeur de l’homme, ainsi que le souligne Eliot à propos de Baudelaire et de son siècle : « [T]he possibility of damnation is so immense a relief in a world of electoral reform, plebiscites, sex reform and dress reform, that damnation itself is an immediate form of salvation from the ennui of modern life, because it at least gives some significance to living5. » Pour Eliot, comme pour les décadents avant lui et Greene après lui (qui écrit : « Only the man of good will carries in his heart the capacity for damnation6 »), la perspective de la damnation peut être paradoxalement une forme de salut, car elle permet d’échapper à la médiocrité d’un monde où la morale a supplanté la foi dans le surnaturel.
On est proche de la définition que Huysmans donne de ce qu’il nomme « sadisme » dans À rebours, lorsqu’il affirme que ce mal, qui est selon lui « un bâtard du catholicisme7 », ne peut prendre racine que dans l’âme d’un croyant : « Cet état si curieux et si mal défini ne peut, en effet, prendre naissance dans l’âme d’un mécréant ; il ne consiste point seulement à se vautrer parmi les excès de la chair ; […] il réside aussi dans une joie tempérée par la crainte8 ». Le sadisme est pour Huysmans la volupté paradoxale que suscite le sentiment de culpabilité lié à la transgression. Or la transgression n’est possible, selon Des Esseintes, que dans un monde régi par une loi surnaturelle. Une infraction à la simple morale humaine ne saurait susciter le plaisir ambigu que donne la violation de la règle divine dans l’univers catholique.
Cette dissociation de la foi et de la morale, qui fait de la religion le domaine du mysticisme et du surnaturel et non celui des bonnes actions, est prégnante dans les œuvres catholicisantes de la fin de siècle. Chez les poètes convertis, en particulier, la conscience du péché va de pair avec un rejet virulent de l’agnosticisme, fût-il humaniste et vertueux. Dans le poème intitulé « A Sad Morality », Lionel Johnson se moque de ceux qu’il appelle « les Penseurs », qui refusent de croire à l’enfer et au paradis. Ces « Penseurs », que le Diable espérait gagner à lui (« And the Devil thought with glee, ‘They are on their way to me […]’ », connaîtront un sort bien pire aux yeux de Johnson que les tourments de l’enfer :
‘Tis a melancholy story—but the Thinkers and their glory Went to neither Purgatory, Hell nor Paradise. For the earth which they’d bedevilled, and indecently dishevelled, By the Thought wherein they revelled, and their Virtuous Vice,
Floated off into the Void of the Cosmic unemployed, And in Chaos it enjoyed a pure Nothingness. (CPLJ: 215)
Ce poème peut être lu comme un commentaire parodique sur les progrès de la science et le développement de l’agnosticisme dans les milieux intellectuels à la fin du XIXe siècle. Pour Johnson, comme pour la plupart des autres convertis de la décadence, l’adhésion au catholicisme va de pair avec un rejet du scepticisme et de la foi dans le progrès. Johnson dénonce ici non pas l’hétérodoxie de ces penseurs bien-pensants, mais le vide métaphysique de leur vision, qui les condamne à l’espace vague, indéterminé et dépourvu de sens de leur « Vice Vertueux ». De même que pour T. S. Eliot la voie de la damnation choisie par Baudelaire vaut mieux que le pharisaïsme satisfait de ses contemporains, « because it at least gives some significance to living9 », de même, pour Lionel Johnson, le croyant qui se damne consciemment est supérieur à l’agnostique qui ignore son péché.
Johnson dépeint dans son œuvre un monde rendu tragique par la conséquence du péché et la possibilité toujours présente de la damnation. L’enfer est évoqué de manière directe dans un certain nombre de poèmes, comme « Visions », poème eschatologique dépeignant successivement l’enfer, le purgatoire et le paradis, ou « The Dark Angel », poème du dédoublement, à la fois confession et psychomachie, où le poète s’adresse à cette part ténébreuse de lui-même, à laquelle il donne la forme d’un ange maléfique. L’« ange sombre » semble être envoyé par Dieu pour montrer au poète déchiré entre sa foi et son art que son amour de la beauté l’éloigne des réalités d’en haut, et la damnation y est présentée comme une mort spirituelle, irrévocable et éternelle, dédoublement et répétition de la mort corporelle.
Les perspectives eschatologiques fournies par la doctrine catholique permettent ainsi au poète de donner le poids et la gravité des combats spirituels à cette déchirure intérieure qui prend, dans « The Dark Angel » de Johnson mais aussi dans de nombreux textes de la période, la forme du conflit de l’Ange et de la Bête. Le thème du double, version intériorisée du conflit entre forces du bien et du mal, connaît d’ailleurs une grande popularité à la fin du siècle, comme en témoignent des œuvres comme The Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde (1886) de R. L. Stevenson, ou Dracula (1897) de Bram Stoker. Un des thèmes de ce roman, qui par ailleurs tend à exploiter un substrat catholique de pacotille, est l’altération de la personnalité qui touche ceux qui, comme Lucy Westenra, ont été vampirisés. On peut aussi citer « The Person in Question », nouvelle de John Gray écrite en 1892 qui dépeint une crise d’identité, où le dédoublement de la personnalité mène le héros aux confins de la folie, ou « The Fisherman and his Soul », où Wilde conte l’histoire d’un pécheur qui renonce à son âme par amour pour une sirène, mais que son âme ne cesse de hanter pour lui rappeler sa condition d’être humain.
https://books.openedition.org/psn/7371?lang=fr |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Péché et Culpabilité Mer 18 Sep 2024, 18:25 | |
| C'est tout un livre, Le calice vide -- l'imaginaire catholique dans la littérature décadente anglaise, de Claire Masurel-Murray (2012): à parcourir ce seul chapitre déjà long, il semble fort intéressant, sur un pan de la littérature anglaise de la fin du XIXe siècle que je connais très peu, à part Wilde (et encore, je suis loin d'avoir tout lu de lui); mais c'est aussi en rapport étroit avec la poésie française contemporaine, notamment Baudelaire qui a heureusement nourri mon adolescence, grâce à des professeurs de lycée avisés, avant que j'arrête de lire, du moins ce genre de littérature... Marginal sans doute par rapport à nos discussions bibliques ou théologiques en général, et à celle-ci en particulier -- il concernerait aussi bien celle-là. C'est peut-être un avantage du catholicisme, en effet, bien qu'il ne l'ait certainement pas fait exprès, d'avoir entretenu une ambiguïté constante entre la souffrance du châtiment et de la rédemption, ou plutôt une polyvalence générale de la souffrance où ne se distinguent plus le pécheur, le sauveur, l'innocent, le coupable, la victime, le bourreau, le méchant, le juste, le martyr, le saint; et pas non plus le "sadique" et le "masochiste", la cruauté et la compassion, la jouissance et la souffrance, le désir et la peur -- par rapport à un protestantisme plus soucieux de séparer et d'opposer rationnellement et moralement les rôles et les poles, sans pour autant y parvenir... Le résultat c'est que dans tout ce post-romantisme on devient catholique comme on devient sataniste, par dégoût de l'ennui distillé par une modernité rationaliste, moraliste et technoscientifique. "Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ? / Au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau". (Fin des Fleurs du mal.) Mais j'ai l'impression que cela devient tout à fait illisible aux (plus jeunes) générations d'aujourd'hui, massivement éduquées au refus commun de la souffrance et de la culpabilité dans l'anesthésie générale, plus promptes que jamais pourtant à désigner et à caricaturer des coupables et des victimes, reconstituant ainsi à leur insu une réserve inépuisable de souffrance et de culpabilité, dans un chaudron de perversité où se mélangent sans fin désir, terreur, jouissance et souffrance, cruauté et compassion, pour de nouvelles compositions du même qui n'auront au fond rien de nouveau, dans la nuit noire comme sous le soleil. |
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| Sujet: Re: Péché et Culpabilité Jeu 19 Sep 2024, 10:44 | |
| Culpabilité tragique et culpabilité biblique Paul Ricœur
La vision tragique de la culpabilité — la « faute tragique » — d’une part, et la vision biblique de la culpabilité — le «péché biblique » — d’autre part, vont nous fournir les deux pôles de cette ambivalence ; encore que la faute tragique soit souvent bien près de se confondre avec le péché biblique et que le péché biblique ait souvent aussi une résonance tragique fort troublante : J’ai endurci le cœur du Pharaon...
II. — La « faute tragique »
Les admirables chœurs de la tragédie grecque — et singulièrement les chœurs d’Eschyle — nous révèlent que le spectacle tragique, que l’émotion tragique sont aussi une source de méditation et de savoir ; ainsi s’écrie le chœur dans Agamemnon, la première pièce de la trilogie de Orestie :
«Zeus, quel que soit son vrai nom, si celui-ci lui agrée, c’est celui dont je l’appelle. J’ai tout pesé : je ne reconnais que Zeus, propre à me décharger du poids de ma stérile angoisse... Il a ouvert aux hommes les voies de la prudence, en leur donnant pour loi «souffrir pour comprendre ». Quand en plein sommeil, sous le regard du cœur, suinte le douloureux remords, la sagesse en eux, malgré eux, pénètre. Et c’est bien là, je crois, violence bienfaisante des dieux assis à la barre céleste. » (Ag . 160 sq.).
Souffrir pour comprendre, πάθει μάθος . . . Par ce comprendre, la tragédie est prête à être reprise dans la réflexion ; elle est offerte comme un trésor substantiel à la méditation : K. Jaspers a raison de voir en elle un « savoir tragique », dont la philosophie peut faire son «organon » 2.
Les mythes de la tragédie grecque nous placent devant une «énigme » qui sera au centre de toute notre interrogation : l’énigme de la faute inévitable.
Dans la tragédie, le héros tombe en faute, comme il tombe en existence. Il existe coupable. La tragédie grecque bloque dans la catégorie de l’inéluctable exister et faillir ; tout ce que fait Œdipe pour éviter le parricide et l’inceste l’y précipite plus sûrement. Le tragique c’est d’abord cette indivision, cette indistinction de la finitude et de la culpabilité. Mais cette indistinction n’est encore que le « phénomène » du tragique, sa manifestation dans l’homme ; l’indivision de l’être-homme et de l’être-coupable repose sur une théologie implicite ; le secret de la tragédie est théologique ; et cette théologie a pour noyau la problématique du «dieu méchant » ; là est la clé de l’anthropologie tragique.
III. — Le « péché biblique »
Passons sans transition du mythe tragique de Prométhée au mythe biblique du premier homme — au mythe de la chute. Nous l’avons annoncé comme le contre-pôle du mythe tragique. Voyons jusqu’à quel point l’opposition vaut et tient.
Mais d’abord il faut faire droit à une question préalable : en quel sens peut-on dire qu’ils appartiennent au même univers des mythes ? En quel sens, par conséquent, se prêtent-ils à une comparaison homogène ? Cette appartenance commune tient d’abord à la structure du récit. Cette structure n’apparaît qu’à un lecteur moderne qui a conquis la coupure du mythe et de l’histoire. Pour le rédacteur jahviste et pour ses contemporains, les récits sur les origines ne sont pas d’un genre essentiellement différent des chroniques de Saül et de David, par exemple ; les traditions orales ou écrites se rapportant aux patriarches et aux premiers hommes sont à leurs yeux coordonnables à la même histoire et au même temps que les récits que nous tenons aujourd’hui pour historiques ; par une marche régressive de la mémoire folklorique, la chronique s’enfonce dans la profondeur d’un temps où les groupes ethniques étaient représentés par une seule famille, par un seul ancêtre ; au delà de ce temps des patriarches, elle atteint un temps où une seule famille, un seul couple, portait le destin de l’humanité, avant la dispersion des peuples et des langues. La chronique du premier couple a ainsi une fonction étiologique ; toutes les misères actuelles de la condition humaine — la dureté du travail et l’avarice de la nature, les douleurs de l’enfantement, la honte sexuelle et le vêtement, etc. —, toutes ces misères, la chronique du premier couple les rapporte à un événement unique, qui fut une désobéissance ; cet événement qui eut lieu une fois, en un certain lieu, introduisit une cassure dans la nature humaine ; et cette cassure, à partir de ce jour néfaste, traverse toute l’histoire à la manière d’une malédiction collective.
(...)
1) Le premier trait de l’expérience biblique — et plus précisément hébraïque — du péché concerne la situation du pécheur devant Dieu. Le péché a d’emblée une grandeur religieuse et non point morale ; il n’est pas la violation d’un commandement abstrait, il n’est pas une désobéissance à des valeurs, mais la lésion d’un rapport personnel à Dieu. Le péché est fortement rattaché à la sphère du sacré de plusieurs manières : d’abord, il ne faut jamais perdre de vue qu’il est toujours aperçu dans une perspective de rédemption amorcée ; il est ce dont le pénitent se repent ; dans l’acte de repentir, il apparaît rétrospectivement comme une agression contre Dieu : contre Toi j’ai péché, contre Toi seul ; mais la rupture avec Dieu n’apparaît qu’après coup, seulement dans l’acte d’invocation qui replace le péché devant Dieu et déjà en Dieu.
Sans doute, la faute tragique aussi est aperçue dans l’horizon d’un acte d’invocation ; c’est pourquoi les admirables chœurs tragiques ont un accent si proche du lyrisme des Psaumes.
Mais qui est invoqué ainsi ? C’est ici que l’anthropologie biblique plonge dans une théologie radicalement autre que la théologie tragique. Nous demandions à propos du Prométhée enchaîné : qui est Zeus ? Il faut demander maintenant : contre qui ai-je péché ? Il apparaît alors que la notion de péché est inséparable de la découverte de la sainteté de Dieu ; le péché est la véritable situation de l’homme en face du Dieu de sainteté prêché par les Prophètes. Cette découverte commande toute la conscience hébraïque de la culpabilité : car elle met fin à la culpabilité indivise des dieux et des hommes : finis les dieux à face d’animaux, finis les titans et les monstres. Reste un simple homme coupable en face d’un Dieu de sainteté.
Du même coup, la structure mythique du récit de chute laisse passer une intention qu’on peut bien appeler anti-mythologique ; parce qu’il campe un simple homme face à la sainteté de Dieu, le mythe ne peut plus être qu’un mythe psychologique, qui raconte un drame de conscience, une tentation et un choix coupable ; comme mythe psychologique, il ruine tous les autres mythes proprement démonologiques. C’est cette intention destructrice qu’il faut voir avant d’entrer dans le nouveau mythe ; il fait partie d’un complexe spirituel de destruction des mythes baaliques. Cette destruction n’est pas moins manifeste dans le récit de chute qu’elle ne le sera dans le récit postérieur de création de Genèse 1. La vanité de l’homme, dont le mythe nouveau entreprend de raconter la naissance, n’a été découverte que dans le sillage de la vanité des dieux et des idoles. La première vanité, le premier néant, pour les Prophètes, c’est la vanité, le néant des idoles. L’idole n’est rien. L’homme vain, c’est d’abord celui qui a rapport aux dieux vains. Il n’est rien parce qu’il invoque le rien, parce que la vanité de ses idoles le contamine. Cette critique de l’idole comme faux-dieu est à l’arrière-plan de la réflexion théologique des auteurs du récit de chute. C’est cette intention anti-mythique qui rattache le mythe de chute à la foi d’Israël.
Le premier péché est ainsi un péché d’homme : cette sévère épuration des mythes a pour effet de ramasser en un point unique tout le mal épars dans la création (il est vrai que le thème du serpent, comme on verra, agit en sens contraire). Les malédictions qui terminent le récit ont pour effet de dériver toute la misère humaine de cet événement humain unique et les chapitres suivants de la Genèse (Abel et Caïn, Babel, Déluge, etc...) veulent montrer à leur tour comment tout le mal de l’histoire, le crime, le malentendu, la multiplicité des langues et des cultures, l’impiété, dérivent de cette unique catastrophe, de cette catastrophe purement humaine.
Ce resserrement de tout le mal dans l’homme et dans un acte de l’homme est donc solidaire de cette longue mise en accusation de l’homme par les Prophètes de la part de Dieu : l’homme du jardin d’Eden, c’est aussi le roi David démasqué par Natan le Prophète. Le récit de la Genèse consacre, à l’intérieur des mythes d’origine, cette double conquête de la sainteté de Dieu et de la culpabilité de l’homme. Mais cette conquête s’exprime ici par un mouvement à l’intérieur du monde des mythes, un mouvement qui «décosmologise » le mal pour le «psychologiser », qui ramène du démonique à l’humain. (Nous verrons tout à l’heure que ce mouvement est compensé par un autre et que le thème du serpent introduit des traits complémentaires, voire contraires, qui ramènent le problème de la faute au voisinage de la vision tragique de l’homme et du monde).
https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1953_num_33_4_3349 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Péché et Culpabilité Jeu 19 Sep 2024, 12:09 | |
| Belle trouvaille que ce texte ancien de Ricoeur (1953), qui a certes beaucoup développé et nuancé les mêmes thèmes dans ses publications ultérieures. Il semble aujourd'hui plus intéressant, avoir moins ou mieux vieilli, dans sa présentation et son analyse de la tragédie grecque que dans celles des textes "bibliques", en grande partie parce que les études "bibliques", surtout vétérotestamentaires, ont considérablement évolué depuis. Le principal problème est à mes yeux d'anachronisme, non seulement quant à la datation des textes, mais quant aux présupposés d'une analyse philosophique ou théologique de leur contenu. Si l'on suppose comme un a priori des textes un "monothéisme moral" qui en est tout au plus une lointaine conséquence, le "terrain commun" présumé de l'opposition diamétrale du judaïsme pharisien, synagogal et rabbinique et du christianisme ecclésiastique, catholique, orthodoxe, ayant rejeté les "gnoses" comme ledit "judaïsme" au IIe siècle, alors on voit "Dieu" partout, ce "Dieu"-là, unique, tout-puissant et bon, qui devient irrésistiblement celui de la théologie et de la métaphysique -- y compris dans des textes où il n'est pas: car, j'y reviens toujours, le Yahvé, l' elohim de la plupart des textes bibliques, notamment le récit de l'Eden, n'est pas "Dieu" dans ce sens-là, mais bien un dieu au sens polythéiste du terme, si suprême et unique qu'il soit devenu -- bien plus proche à cet égard de Zeus et des divinités tragiques, personnage, acteur, locuteur, agité de sentiments, d'émotions et de passions, de désirs et de craintes, de fatalité aussi, embarqué malgré lui dans l'histoire qu'il a initiée; donc, si l'on veut parler en termes de "finitude", aussi "fini" que l'homme, l'animal ou n'importe qui ou quoi qui se nomme, d'un nom commun ou d'un nom propre. En d'autres termes, les récits dits des "origines" ne révèlent strictement rien d'une origine au sens où la recherchent une théologie ou une philosophie. (Voir aussi cet autre fil peut-être plus proche de la question précise de l' origine du "péché".) Comme on l'a remarqué maintes fois, dans le récit de l'Eden il n'y a pas de "péché", comme il n'y a pas de "Dieu" au sens du "monothéisme moral": la corrélation chrétienne que souligne Ricoeur (on ne "pèche" que devant ou contre "Dieu") subsiste paradoxalement dans l'absence des deux termes -- il n'y a pas de "Dieu", il n'y a pas de "péché" non plus; reste que l'avènement de l'"homme/femme" et de sa "réalité" telle qu'il ou elle la comprend (y compris la mort, la sexualité, la naissance, la souffrance, le travail, etc.) ne se dit effectivement qu'en se racontant, dans un récit, narratif, temporel, diachronique, diégétique, dont il/elle est le protagoniste, le responsable, le coupable, entraînant avec lui/elle les personnages périphériques, même ceux qui narrativement le précèdent, dont Yahvé- 'elohim ou le serpent... Aucune métaphysique là-dedans, et cependant de la place pour toutes les métaphysiques du monde entre les mots et les lignes du récit. Reste qu'à l'autre bout de l'histoire, non dans les textes mais pas non plus sans eux, il se constitue bien, différemment dans le christianisme et dans le judaïsme, une notion de "péché" qu'on peut dire "originale", bien qu'elle combine beaucoup de vieilles notions pour en faire autre chose: ce n'est plus exclusivement rituel, ni moral, ni juridique, ni social, ni politique, bien que ça intègre toutes ces dimensions; de même la "sainteté" ou le "divin" auquel le "péché" s'oppose devient tout autre chose que le "sacré" et le "divin" antiques, tout en en gardant les traces. Soit dit en passant, cela me rappelle des souvenirs: j'ai découvert Ricoeur, à Vaux-sur-Seine, par Blocher qui l'appréciait beaucoup, tout en tenant des positions opposées sur bien des points en tant qu'"évangélique", voire "pape des évangéliques" (mais les évangéliques ont beaucoup de papes); j'ai même eu l'occasion d'entendre Ricoeur invité à Vaux-sur-Seine par Blocher, pour une conférence d'ailleurs très intéressante -- l'estime entre les deux hommes était asymétrique mais réciproque. N'empêche que dès ma première semaine à Vaux-sur-Seine, consacrée à une lecture du texte hébreu de la Genèse, je me suis instantanément accroché avec Blocher sur son interprétation qui me paraissait délirante, en réaction précisément à Ricoeur (mais ça je l'ai compris plus tard): récit symbolique, figuré, mais historique et non mythique. En fait ça se comprend à partir de la notion d'"histoire" que Ricoeur mettait déjà en oeuvre dans l'article précité, et qui devait presque tout à Heidegger: "historique" au sens "existential" de geschichtlich, "historial" traduit-on souvent, dans la mesure où tout ce qui arrive à l'"homme", même le "mythe", est "historique" -- parce que ça lui arrive, dans le temps, comme un événement, et jamais sans qu'il y participe. Et en ce sens-là c'est juste, l'"homme" est toujours responsable de ce qu'il est, y compris de sa "connaissance du bon et du mauvais" que personne ne lui a imposée, quand même elle lui devient instantanément une fatalité -- bien que le récit de l'Eden le dise plutôt en termes de " honte" que de "péché" et de "culpabilité"; a fortiori de "finitude". |
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| Sujet: Re: Péché et Culpabilité Lun 23 Sep 2024, 12:49 | |
| L'inscription de la culpabilité est ineffaçable : elle s'écrit, s'archive, se capitalise, prolifère toujours plus - y compris par les actes ou les oeuvres qui visent à innocenter
1. En racontant l'histoire du vol du ruban, Jean-Jacques Rousseau cherche à s'excuser, s'innocenter, comme si un aveu, une confession, une oeuvre, pouvait lui donner le dernier mot, celui qui l'excuserait définitivement. La rémission de la faute ou le pardon se présentent toujours comme le dernier mot. C'est un signe vers la fin des temps, la clôture de l'histoire, l'eschatologie, le jugement dernier. Mais cette inscription finale ne peut qu'échouer. Le repentir n'empêche pas le retour de la faute. Il n'assure pas le pardon. Au-delà du dernier mot, la culpabilité continue.
2. En écrivant la culpabilité, en la transformant en œuvre, on ne l'atténue pas, on l'accroît. On ne produit pas moins de honte, mais plus. On ne décharge pas la dette, on la charge encore plus. On peut affirmer, déclarer son innocence (comme Rousseau), prier, supplier, appeler la grâce de Dieu (comme Saint Augustin), on n'exonère rien en écrivant.
"L'excuse écrite produit de la culpabilité. Elle inefface la faute. L'inscription de l'œuvre, l'événement du texte dans son corps graphique, loin d'exonérer, voilà au contraire une opération de l'opus qui surcharge, génère et capitalise une sorte d'intérêt (je n'ose pas dire de plus-value) de culpabilité. Elle la surproduit, cette honte, elle l'archive au lieu de l'effacer" (Papier machine, p69).
3. Ecrire ses fautes est aussi un plaisir, une jouissance, une jubilation ambiguë. En les racontant, en les couchant sur le papier, en s'auto-justifiant, en les réécrivant, on ne les efface pas - au contraire - on les répète, on en renouvelle l'effet, on les fait survivre, y compris après sa disparition, au-delà de la mort. L'aveu ne supprime pas la faute, il en ajoute une nouvelle, celle de l'avoir écrite, de l'avoir mise en œuvre publiquement.
https://www.idixa.net/Pixa/pagixa-1407240908.html |
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| Sujet: Re: Péché et Culpabilité Lun 23 Sep 2024, 13:18 | |
| Cf. ici 1.10.2023. J'ai relu Papier machine depuis, je crois en avoir parlé dans un autre fil (mais lequel ?). Curieusement je pensais ces jours-ci à quelque chose d'assez proche, à la façon dont la "morale" contemporaine se remet depuis peu à poursuivre les morts jusque dans la tombe, au-delà de leur mort (dernièrement l'abbé Pierre, ou plus récemment encore M. Al-Fayed), réclamant de la "justice" et même des procès contre des défunts, contrairement au principe juridique (au moins moderne) selon lequel la mort éteint l'action judiciaire... On ne va pas encore jusqu'à déterrer les cadavres pour leur infliger une infamie posthume, comme on a pu le faire dans l'Antiquité ou au moyen-âge, mais on détruit les statues, les images, les épitaphes, et la justice s'en prend avec d'autant plus d'ardeur aux survivants supposés complices, comme s'ils étaient coupables aussi de la disparition du coupable, de sorte que tous les héritiers, ayants-droits, proches, amis, sympathisants, s'empressent de se désolidariser des morts par une surenchère de vindicte rétrospective. Cette flambée de hargne et de ressentiment collectifs, entraînant des foules de gens qui ne sont nullement "victimes" mais se proclament a posteriori "solidaires des victimes", porte d'ailleurs davantage sur des personnages ambigus, dont certains survivants au moins peuvent encore garder une image positive, que sur les "vrais méchants" de l'histoire dont la mémoire est d'office interdite, ou vouée exclusivement à l'exécration... Les "solutions" (châtiment, vengeance, pardon, justification, etc.) sont décidément aussi problématiques que le "problème" (péché, faute, crime, etc.). |
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| Sujet: Re: Péché et Culpabilité Lun 23 Sep 2024, 14:23 | |
| - Citation :
- Curieusement je pensais ces jours-ci à quelque chose d'assez proche, à la façon dont la "morale" contemporaine se remet depuis peu à poursuivre les morts jusque dans la tombe, au-delà de leur mort (dernièrement l'abbé Pierre, ou plus récemment encore M. Al-Fayed), réclamant de la "justice" et même des procès contre des défunts, contrairement au principe juridique (au moins moderne) selon lequel la mort éteint l'action judiciaire...
Cette "acharnement" judiciaire posthume m'a aussi surpris (Les communes débaptisent les édifices et les rues qui portent son nom) , l'abbé Pierre est réduit uniquement à ses "erreurs" au point d'en oublier toutes ses œuvres, comme si le fait d'être un homme de "bien" immunisait contre toutes formes de travers et de faiblesses. Nous nions la complexité de l'être humain, sa part d'ombre et de lumière, le fait qu'il être réellement un homme de "bien" et avoir dans le même temps des faiblesses et de mauvais penchants (Tous les termes que j'emploie sont piégés mais ...). Les absents ont toujours tort. Endettement et rédemption : la libération par la grâce24 Du point de vue ontologique, non seulement l’homme, être per aliud, doit ce qu’il est à Dieu, mais il doit aussi assumer ce qu’il n’est pas, son moindre être, c’est-à-dire le néant dont il provient et qui rend raison de toutes ses carences. Tout ce qui en l’homme ne vient pas de Dieu est néant : l’imperfection humaine n’est pas le fruit de la volonté divine, mais la marque du néant dont proviennent tous les êtres qui ne se sont pas donné l’être. Anselme résume au mieux cette idée au début de son De casu diaboli :« Celui-là [le Créateur] tient donc seul de soi tout ce qu’Il a, et toutes les autres [choses] ne tiennent quelque chose que de Lui. Et de même qu’elles ne tiennent de soi que néant, de même elles ne tiennent quelque chose que de Lui32. »25 Déjà Irénée avait insisté sur cette double origine de l’homme : de Dieu, l’homme tient qu’il est et qu’il est bon, tandis que du néant, il tient ce qu’il manque d’être et sa condition de pécheur. Par sa déficience ontologique – ou son déficit d’être –, l’homme cause tout ce qui est imparfait dans le monde. En des termes plus concis : seul Dieu est. Le « ego sum qui sum » du livre de l’Exode (3, 14) en dit ainsi autant du nom de Dieu que de la définition de l’être33.26 Dès lors, du point de vue moral, il suffit de définir le mal comme carence pour décharger Dieu de toute culpabilité : ce sera donc une idée récurrente que le mal n’est rien, qu’il n’a pas de substance (contre les gnostiques et manichéens), qu’il n’est qu’un manque d’être relatif à l’homme en tant que créé. Ainsi pour Augustin, vouloir le mal, c’est ne rien vouloir ou encore vouloir le néant. Plus encore, le déficit que doit assumer l’homme ne le tient pas seulement débiteur face à Dieu : il est débiteur face à ce qu’il aurait pu être s’il n’était pas tombé dans le péché et par là dans le néant. Le dogme de l’innocence originelle établit ainsi cette position initiale non débitrice, position de plénitude accordée par Dieu à l’homme. Ce dernier s’est endetté librement : la chute n’est pas seulement désobéissance morale, mais aussi négation de l’être – introduction du non-être dans le monde.27 L’idée de faute et de culpabilité est très souvent rattachée à la tradition chrétienne. Pourtant, il est difficile d’ignorer à quel point les intrigues des tragédies grecques se nouaient autour des fautes des héros, fautes d’autant plus catastrophiques qu’héroïques. Ce n’est pas la faute, mais l’innocence originelle comme condition initiale de la moralité humaine qui caractérise le christianisme. Aussi, nous risquons l’hypothèse que ce n’est pas tant le sentiment de culpabilité que le sentiment que cette culpabilité nous met en dette (au double sens signalé plus haut) qui est exacerbé par les penseurs chrétiens.28 Par là, nous suivons le rapprochement souligné par Nietzsche dans la seconde dissertation de la Généalogie de la morale entre la faute et la dette à travers l’unité du terme allemand Schuld/Schulden, qui signale l’antériorité de la logique économique – et psychique – de la dette sur l’idée morale du devoir34. La dualité sémantique du devoir et de la dette relève ainsi d’une même généalogie, d’un mouvement de spiritualisation d’un rapport de violence économique où le débiteur est redevable à l’égard du créancier. De même, les termes « devoir », « dû » renvoient bien à une parenté sémantique entre l’aspect quantitatif et l’aspect moral de ce qui fonde l’économie du salut.29 Notre hypothèse s’appuie tout particulièrement sur la pensée anselmienne qui fait de l’injustice « l’absence de la justice due », fruit de l’abandon par la volonté de la justice qu’elle aurait pu conserver :« Puisque rien d’autre que la justice n’a été ajouté, il est certain, (une fois) la justice mise de côté, qu’il ne reste rien d’autre que ce qu’il y avait auparavant, sauf que la justice reçue l’a faite débitrice, et que la même justice – délaissée – a laissé comme certaines belles traces d’elle-même. Le fait même, en effet, qu’elle demeure (encore) débitrice de la justice montre qu’elle s’est trouvée embellie par la noblesse de la justice. Mais voici qui est encore juste : ce qui a reçu une fois la justice la doit toujours, à moins qu’il ne (l’)ait laissé échapper sous l’effet de la violence. Et certainement la nature, convaincue d’avoir eu même un jour un bien si noble, et de toujours (le) devoir pour (l’)avoir, se prouve bien plus digne que celle qui se découvre ne pas avoir ce même (bien) ni (le) devoir même un jour. […]Avoir-eu ou devoir montrent la dignité naturelle, ne-pas-avoir fait l’ignominie personnelle. Devoir, en effet, résulte de Celui qui a donné, ne-pas-avoir, au contraire, de celui qui a abandonné. Car, s’il doit, c’est qu’il a reçu ; au contraire s’il n’a pas, c’est qu’il a délaissé35. »30 L’injustice n’est donc que le délaissement par l’homme – en raison de sa liberté définie comme pouvoir de conserver la justice – de la justice qu’il a d’abord reçue et c’est cette réception même – « l’avoir-eu » – qui implique le devoir. Parce que la relation de justice qu’entretient Dieu avec l’homme est elle-même un don de Dieu, alors la dette n’est pas seconde, surajoutée après coup : elle est incluse dans la facticité humaine. Comme le souligne Michel Corbin, « la chose donnée, ce que je dois ou debitum, est la relation à Dieu qui constitue la créature comme telle : je dois cette relation à Dieu car je la dois à Dieu, en sorte que cette relation – où je suis ce que je suis, où j’ai ce que j’ai – n’a pas d’autre fin que sa propre croissance, en tant que reconnaissance toujours plus grande de Dieu toujours plus grand dans ses dons36 ». Aussi le devoir de justice consiste-t-il dans la « dette de gratitude » qui définit l’homme dans sa facticité, c’est-à-dire dans la relation intrinsèque avec son Créateur37. Parce qu’il reçoit, l’homme est débiteur ; mais parce qu’il abandonne, il s’endette toujours plus.https://books.openedition.org/psorbonne/14205?lang=fr |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12454 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Péché et Culpabilité Lun 23 Sep 2024, 16:06 | |
| Encore un livre (Peggy Avez, L'envers de la liberté, Sorbonne 2017) qui s'annonce fort intéressant, si j'en juge par ce seul chapitre de grande qualité sur la théologie chrétienne. Il rejoint d'ailleurs, sur la question de la "liberté", ce que j'avais esquissé ici, au moins quant à l'évolution du concept dans la philosophie tardive, grecque et romaine, stoïcisme surtout mais aussi platonisme, dans les mystères et les gnoses, christianisme(s) compris; mais il met mieux en évidence le double bind ou la double contrainte de la "dette", multiple et innombrable en fait, qui lie (c'est le sens de bind, bound, Bund) dans tous les cas, qu'elle soit due, payable ou non, remise ou prolongée indéfiniment, avec un supplément de perversité de la " grâce" qui en rendant le remboursement impossible lierait à une gratitude infinie. "Violence" de toute façon, jusque dans la révolte, forcément ingrate, qui en romprait les chaînes. Car la " justice" et le "droit" eux-mêmes dont elle pourrait se justifier, fût-ce a posteriori comme chez Camus, sont inextricablement liés à cette économie comptable du "devoir" et de la "dette", et de la "peine" comme souffrance subie, évitée, consentie, infligée, épargnée, redoutée, désirée (châtiment, expiation, sacrifice, grâce): sacré sac de noeuds (gordiens ?) dont on ne sortirait, très provisoirement, que par le tranchant violent de l'arbitraire, pour s'y empêtrer à nouveau dès lors qu'on voudrait le justifier. Je repensais d'ailleurs, en retrouvant ici Nietzsche et Deleuze (et Guattari), au Marchand de Venise de Shakespeare, et à la façon dont le "Juif" Shylock met à nu et en abyme toute la logique de la dette en réclamant pour solde de tout compte a pound of flesh, une livre de chair, du corps de son débiteur... La cruauté sanglante et douloureuse sous la neutralité abstraite des chiffres. D'un autre point de vue tout peut se résumer à la question tautologique et antinomique de la "con-science", de sa réflexivité spéculaire (miroir, miroir), inséparablement "cognitive", "existentielle" et "morale". Qui se sait ou se sent être, agir, subir, dans la durée qui conditionne une " mémoire", une reconnaissance des traces, et une anticipation (désir, peur), un rapport au "passé" et à l'"avenir", finirait par se sentir "coupable"; ce serait aussi bien animal, végétal, minéral, angélique ou divin le cas échéant, quand même seules les particularités "humaines", "sociales", "historiques" du langage et de la représentation donneraient à cela la forme fantasmatique d'un rapport à une origine et à une responsabilité absolues, abyssales. Si "Dieu" avait une "conscience", il se demanderait aussi d'où il vient, pourquoi il est ce qu'il est, pourquoi il a fait ce qu'il a fait -- c'est d'ailleurs une telle image que donne souvent le "dieu" de la Bible... - free a écrit:
- Les absents ont toujours tort.
Au moins auraient-ils sur les présents l'avantage de n'avoir plus à répondre de rien -- comme Dieu, finalement... L'au-delà renaît de ses cendres, de la frustration que représente au regard d'un idéal de "justice" la mort même comme "justice" ultime, jamais assez "juste" aux yeux des "justes". |
| | | free
Nombre de messages : 10096 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Péché et Culpabilité Lun 23 Sep 2024, 19:29 | |
| - Citation :
- Au moins auraient-ils sur les présents l'avantage de n'avoir plus à répondre de rien -- comme Dieu, finalement...
L'au-delà renaît de ses cendres, de la frustration que représente au regard d'un idéal de "justice" la mort même comme "justice" ultime, jamais assez "juste" aux yeux des "justes". Les humains ont besoin d'avoir leurs héros et leurs "saints" qu'ils vouent au déshonneur, s'ils ne sont aussi "saint" que ce qu'ils l'avaient imaginé ou voulu. Je ne sais pas si l'abbé Pierre a rechercher ce statut de "juste" ou de "saint", mais si ce n'est pas le cas, il parait illogique de vouloir brûler ce que l'on a sacralisé et de réclamer un comportement réputé exemplaire à une personne qui ne l'a jamais revendiqué (Le fait d'être exemplaire). |
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