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 transfigurations

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Narkissos

Narkissos


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MessageSujet: Re: transfigurations   transfigurations - Page 2 Icon_minitimeVen 04 Aoû 2023, 11:59

Encore un article "esthétique" remarquable -- qui revient entre autres, de façon beaucoup plus profonde à mon avis, sur la thèse de Danto (la transfiguration du banal) dont nous parlions hier matin.

Puisqu'il y est aussi question de Dreyer (p. 81, juste après ton second extrait), je ne peux pas m'empêcher de rappeler les "transfigurations" ou "illuminations" (Verklärung) discrètes qui m'ont le plus marqué chez lui (p. ex. ici, notamment dans Jour de Colère): combinant souvent un rayon pâle et rasant du soleil nordique et une esquisse de sourire qui apaise les traits du visage et éclaire le regard dans une impression générale d'abandon (lâcher-prise, Gelassenheit, etc.), éclaircie au sens "propre" et "figuré", une et multiple. Bergman s'en est d'ailleurs beaucoup inspiré, des Communiants à Sarabande (et quand on sort du noir et blanc, le soleil froid donne des couleurs merveilleusement chaudes, surtout quand on a un Sven Nykvist comme chef opérateur).

On retrouve toujours la même évidence aporétique: pour qu'il y ait transfiguration (révélation, apparition, épiphanie, etc.) du banal, il faut qu'il y ait d'abord et ordinairement une banalité du banal, qui va de soi et auquel on ne prête pas attention. Si tout était transfiguré (etc.) en permanence, il n'y aurait pas de transfiguration.

Les réflexions (corollaires) sur la temporalité de la transfiguration (etc.) sont tout aussi importantes, et elles rejoignent beaucoup de textes "bibliques", depuis les théophanies de l'AT (notamment à Moïse et Elie, d'ailleurs): on ne la voit pas venir, on y est sans savoir où on est, elle surprend, elle stupéfait; elle n'est pourtant pas instantanée, elle dure assez pour être une expérience, si fugace soit-elle; elle a déjà disparu, et c'est là qu'on en prend "conscience", après coup, qu'on "réalise" comme on dit en franglais -- et pourtant on n'en garde presque rien, qu'un souvenir insaisissable mais aussi indélébile, comme d'un rêve qu'en plus d'un sens on n'aurait pas rêvé.

En termes heideggeriens on pourrait dire que l'éclaircie ou l'allégie (Lichtung) de l'"être" (l'Être, l'estre, Seyn, aussi trans-formé ou raturé qu'on voudra) transfigure l'"étant" -- Heidegger lui-même emploie parfois le vocabulaire de la Verklärung, notamment dans Besinnung. J'y repense parce que de récentes lectures m'ont ramené à ce fil et à quelques autres, j'y reviendrai peut-être.
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MessageSujet: Re: transfigurations   transfigurations - Page 2 Icon_minitimeLun 07 Aoû 2023, 11:51

Transfigurations !
Marc Bonnet

Revenons au mythe de la Transfiguration qui permettrait à première lecture, de rendre compte de la différenciation devenue classique entre imaginaire et symbolique. En effet, dans le premier temps du récit, dès le choix de trois disciples parmi les douze apôtres, suivi de la marche vers le sommet d’une montagne, nous sommes immergés dans un monde imaginaire où la fonction scopique s’exerce à plein, se prolongeant dans la mise en scène d’une rencontre triangulaire au sommet. Entrecoupé par l’intervention de Pierre qui tente de refaire surface dans la réalité, nous sommes saisis par l’écoute de cette voix venue d’un ailleurs céleste qui nomme la place du fils et l’investissement paternel dont il est porteur, ce qui émerge d’une fonction hautement symbolique. Ainsi le mythe de la Transfiguration comporte deux phases : l’une empreinte d’imaginaire qui est dépassé dans l’accès au symbolique. Ce qui est intéressant de noter dans le mythe de la Transfiguration, c’est que le glissement de l’imaginaire au symbolique est présent dans le contenu de la vision elle-même, (vision des trois disciples que j’ai associé précédemment à une satisfaction hallucinatoire), dans la mesure où sont mis en scène dans un échange parlé, Jésus et des ancêtres référents de la Loi et de la parole prophétique.  À partir de ce point de glissement entre imaginaire et symbolique dans la scène imagée elle-même, nous pourrions nous questionner sur la validité d’une séparation marquée entre les deux registres qui, depuis l’apport de Lacan, constitue une référence devenue canonique dans la tradition psychanalytique française du moins, non seulement d’un point de vue théorique mais aussi dans le langage courant des analystes. Il me semble possible de constater que cette distinction systématisée entre imaginaire et symbolique a fait l’objet par la suite d’une sorte de discours marqué du sceau d’une idéalisation certaine tendant à décrier si ce n’est condamner tout fonctionnement imaginaire à l’aulne de la perfection symbolique... J’ai tenté de montrer à propos de l’identification primaire que deux références, imaginaire (de type narcissique) et symbolique (en terme d’identification au père de la préhistoire personnelle) étaient toutes deux présentes dès l’origine du sujet psychique et constituaient ainsi une double référence à sa constitution . Nous sommes confrontés à cette double référence dans les processus identificatoires que nous pouvons repérer dans le mythe de la Transfiguration : problématique d’identification narcissique entre les disciples d’une part, Jésus, Moïse et Élie d’autre part, et problématique d’identification symbolique représentée par la voix et le discours du Père, déjà présente, dans la discussion engagée avec ses deux compères (à la fois pairs et pères). La réalité de l’icône permet de saisir toute la complexité de l’articulation interactive entre imaginaire et symbolique.

Rappelons que la Transfiguration a fait l’objet d’une reprise iconographique importante dans l’art byzantin en insistant sur le fait que le Christ a révélé à ses disciples la lumière divine incréée comme le suggère le récit de Marc... Cette lumière irradie de la « mandorle » du Christ (de l’italien mandorla, l’amande, la « mandorle » est le grand ovale dans lequel est représenté le Christ) et se communique à tout ce qui l’entoure, aux vêtements des apôtres, de Moïse et d’Élie, au mont Thabor. Elle est l’élément fondamental des icônes qui cherche à figurer la création transfigurée par la puissance de l’Esprit saint... . Nous retrouvons le contraste entre luminosité et pénombre dans l’iconographie de la Transfiguration tant byzantine que russe. L’art iconographique implique la problématique de figuration et de figurabilité que nous trouvons dans divers processus d’expression de la psyché dont le rêve. Dans le mythe chrétien de la Transfiguration, la figuration des personnages et du contraste lumière/pénombre s’établit en lien étroit à un tiers invisible nommé Esprit saint dans la tradition chrétienne. Il s’agit donc d’une figuration spirituelle. Nous pouvons penser que le récit du rêve ou plus généralement la traduction de pensées liées à des images ainsi que le discours de l’analysant dans la cure analytique impliquent aussi, de manières différentes, un tiers invisible dont l’analyste peut être un des représentants possibles.

https://www.cairn.info/revue-topique-2003-4-page-213.htm
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Narkissos

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MessageSujet: Re: transfigurations   transfigurations - Page 2 Icon_minitimeLun 07 Aoû 2023, 13:12

Curieusement, cet article "psychanalytique" conson(n)e assez avec l'étude de théologie orthodoxe que tu nous proposais un peu plus tôt ce matin sur un autre fil... entre la coïncidence de l'image et du son, de la vue et de l'ouïe, de l'imaginaire et du symbolique (au sens lacanien) dans la Transfiguration, et la superposition de la théologie (trinitaire), de l'ecclésiologie (synodale) et du sacrement (eucharistique) dans la doctrine orientale, il y a plus qu'une ressemblance.

Je signale en passant que dans les textes des sémioticiens francophones on distingue souvent l'"icone" (sans accent circonflexe et accordé au masculin) de l'"icône" (féminine), pour éviter les associations religieuses -- ce que ne faisait évidemment pas Peirce en anglais, où icon est formellement identique dans l'usage spécifique de l'auteur et dans le lexique religieux d'où il le tire; bien sûr tout cela dérive de la même eikôn grecque, "image" au sens le plus général, de l'"idole" à l'"image de Dieu", Adam ou Christ (de toute façon l'auteur a l'air quelque peu fâché avec l'orthographe et la typographie -- à l'aulne, corrélât, exclue, etc. -- et du côté biblique il semble confondre Elie avec Isaïe [?], mais ça n'enlève rien à l'intérêt de son propos).

Accessoirement, ça me fait remarquer que par rapport à la scène du baptême "l'Esprit" est tout à fait absent de la Transfiguration, et sur ce point les trois (synoptiques) sont (pour une fois) d'accord... Mais là encore, comme pour l'absence de transfiguration dans le quatrième évangile, on peut aussi bien dire que l'absent est partout, spectralisé dans toute la scène, que la Transfiguration même est une traduction ou une représentation de "l'Esprit"...
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MessageSujet: Re: transfigurations   transfigurations - Page 2 Icon_minitimeMar 08 Aoû 2023, 11:46

"Car notre cité, à nous, est dans les cieux, d’où nous attendons, comme sauveur, le Seigneur Jésus Christ, qui transfigurera notre corps humilié pour le rendre semblable à son corps de gloire, avec la force qui le rend capable aussi de tout soumettre à son pouvoir" (Ph 3,20-21).

Sur l'idée de con-formation ou con-figuration (termes qui malgré leur côté "technique" calquent assez exactement le grec sum- = *sun-morphizô et ses dérivés, p. ex. l'adjectif sum-morphos au v. 21 avec un verbe de radical quasi synonyme, skhèma <=> morphè), cf. p. ex. 1 Corinthiens 15,43.49.53; 2 Corinthiens 3,18; 4,10s; Romains 6,8; 8,17.29; 12,2; 1 Jean 3,2. On peut dire que c'est un concept essentiel du paulinisme au sens le plus large, et bien au-delà du paulinisme.

https://etrechretien.1fr1.net/t1354-si-sur-quelque-point-vous-pensez-differemment-epitre-aux-philippiens
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MessageSujet: Re: transfigurations   transfigurations - Page 2 Icon_minitimeMar 08 Aoû 2023, 12:18

Merci de rappeler ce fil, qui partait du v. 10 (pour sum-morphizô) et reste en grande partie pertinent au présent sujet jusqu'au 13.2.2020 au moins...

On peut encore constater que -- selon toute vraisemblance chronologique -- bien avant les récits de la Transfiguration des Synoptiques, le vocabulaire de la trans-, con-, dé- / -figuration ou -formation était au coeur du "mystère" chrétien, dans des textes d'ailleurs très différents les uns des autres, aussi bien pour décrire le "mythe" central (p. ex. Philippiens 2, Christ-Adam) que ses plus lointaines conséquences eschatologiques, sotériologiques et cosmologiques (la fin, le "salut", la résurrection comme trans-formation ou trans-figuration des corps et du monde, Philippiens 3 etc.) ou ses plus immédiates implications pratiques, éthiques ou parénétiques (transformation "spirituelle", ici et maintenant, de la "personne" ou du "comportement", p. ex. Romains 12).
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MessageSujet: Re: transfigurations   transfigurations - Page 2 Icon_minitimeMer 09 Aoû 2023, 10:03

1.2.2. A la transfiguration

Une longue tradition, sans doute dérivée des versions latines de la Bible, nomme « transfiguration » l'épisode raconté en Mt 17,1-8; Mc 9,2-8; Lc 9,28-36. Le grec de Matthieu et de Marc porte : Jésus fut métamorphosé devant eux (métamorphôtè). Luc ne nomme pas le phénomène mais le décrit. Sa description rejoint celles des deux autres Synoptiques. Les vêtements de Jésus deviennent resplendissants, d'un blanc aussi éclatant qu'une lumière fulgurante, son visage comme le soleil (Mt), d'un aspect autre. Le résultat de la métamorphose est si beau que les spectateurs Pierre, Jacques et Jean, sont, pour leur part, dans l'euphorie malgré leur effroi.

La relecture de l'événement par la seconde épître de Pierre (1,16-18) le qualifie de perception oculaire de la « majesté » du Seigneur Jésus Christ, car il reçut de Dieu le Père honneur et gloire quand une voix portée par la gloire magnifique vint à lui en ces termes : « Celui-ci est mon fils, mon bien-aimé, en qui j'ai trouvé mon plaisir ». Dans les Synoptiques, après la phase d'anamorphose , avec l'arrivée de la nuée qui couvre de son ombre toute cette splendeur, Matthieu ajoute que Jésus touche les trois disciples tombés face contre terre et qu'ils redescendent de la montagne (Mt, Mc).

Malgré son caractère saisissant, les textes décrivent cette expérience comme corporelle, les vêtements mêmes y participent, et non comme affleurement de l'âme ou prise de possession de Jésus par l'Esprit ou fusion avec Dieu le Père, ou passage à une autre forme, fût-elle supérieure. Les trois spectateurs la vivent également corporellement, de leurs yeux, de leurs oreilles, de leur agitation. Un corps, c'est-à-dire une personne humaine, a soudainement et momentanément été vu autrement, dans toute l'extension de l'honneur reçu de Dieu, à l'intérieur d'une relation filiale privilégiée. La transfiguration de Jésus est le moment d'épiphanie de l'événement de l'incarnation.

https://www.erudit.org/en/journals/theologi/1997-v5-n2-theologi1871/024948ar.pdf
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MessageSujet: Re: transfigurations   transfigurations - Page 2 Icon_minitimeMer 09 Aoû 2023, 13:38

Sur cet article d'O. Genest, voir aussi ce fil sur "l'âme" (21.9.2020) -- et éventuellement celui-ci, sur "l'esprit" (15.6.2021), qui cite l'article suivant (J.G. Nadeau) du même numéro de la même revue.

Je n'avais pas réagi à la première citation, probablement en panne d'internet ou de connexion (c'était l'époque Covid), mais il me semble bien avoir déjà lu ce texte que je trouve trop unilatéralement "moniste" par rapport à la vaste diversité de l'"anthropologie biblique", si on tient à l'appeler comme ça. Reste qu'en effet dans les récits synoptiques de la Transfiguration il n'y a pas plus d'"âme" que d'"esprit", bien que tous ces récits puissent se lire comme une "traduction" de la "spiritualisation" du "corps" et/ou de l'"âme" telle qu'elle est envisagée dans d'autres textes, eschatologiques ou parénétiques (cf. mon avant-dernier post ci-dessus).

Ce qui est traduit par "aspect (du visage)" dans Luc (9,29) c'est eidos, qu'on peut aussi traduire par "forme" ou "apparence": terme éminemment visuel, apparenté au video latin et dont dérive aussi l'idea, "idée"... Notons qu'à la lettre la "beauté" n'est pas thématisée non plus, même si elle est suggérée.

Il me semble que notre principal décalage par rapport aux textes bibliques et plus généralement antiques tient précisément à notre notion d'"individu", indivisible comme son nom l'indique, qui nous fait rejeter le "dualisme" et la multiplicité ou complexité anthropologique en général (dichotomie corps / esprit OU âme, trichotomie corps / âme / esprit, trichotomie de l'"âme" elle-même chez Platon, etc.): l'individu, sujet, conscience ou corps est irréductiblement fermé sur lui-même (c'est la définition du péché selon Luther, incurvatus in se), et ses "relations" sont conçues comme strictement extérieures et artificielles, communication par signes arbitraires, etc. -- autrement dit inconcevables. "Monades" sans porte ni fenêtre, comme dirait Leibniz, mais sa "monade" à lui était au fond unique, toujours la même de "Dieu" au moindre grain de poussière, ce qui était une autre forme de "communion" ou de "communication". Sous ce rapport on peut remarquer que le "corps" paulinien est à la fois un et collectif (1 Corinthiens 12) et pluriel et individuel (chap. 15: là encore, le chapitre est assez différent du reste et il n'est pas sûr que cette différence soit "voulue", mais elle est bel et bien là). Et que, comme je l'ai signalé dès le début, la Transfiguration évangélique implique plusieurs personnages, que tantôt elle distingue et tantôt elle confond (Jésus seul).

Tout autre est tout autre et tout autre qu'un autre, voilà une aporie qui ne s'arrête ni à l'"individu" ni à sa division ni à sa relation, une impasse qui est aussi bien le lieu de tous les passages, de l'un à l'autre et inversement.

Je suis en train de lire la deuxième année du séminaire de Derrida sur l'Hospitalité (II, 1996-7, Seuil 2022), qui est en grande partie consacré à des textes de Levinas (mort en 1995): l'idée fondamentale, archi- ou abysso-fondamentale, que tout "je est un autre" comme disait Rimbaud, mais pas seulement un autre, des autres et de l'autre en tout sens et à perte de vue, cette idée-là peut être abordée sous tous les angles (par l'ontologie avec Heidegger, par l'existence avec Sartre, par l'éthique avec Levinas, par le langage avec Lacan, par l'écriture avec Derrida, etc.), mais elle est incontournable dès qu'on pense le temps, le devenir, le mouvement, le changement, la relation. Il y va toujours de quelque chose qui ressemble à la transfiguration ou à la défiguration, à l'altération ou à l'aliénation, à l'épiphanie ou à la révélation, où rien n'est qu'en apparaissant et en différant de soi-même, ce qui ruine d'avance toute logique binaire et statique.
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MessageSujet: Re: transfigurations   transfigurations - Page 2 Icon_minitimeJeu 10 Aoû 2023, 10:44

Penser le corps augmenté à partir du concept de « corps spirituel »
Jean-Marc Moschetta

Le christianisme hérite du fait que sa proposition fondamentale est de procurer à l’homme la vie « en abondance » (Jn 10,10). Certaines traductions de la Bible parlent même de vie « surabondante ». Il y a déjà là une indication du fait que la promesse chrétienne ne vise pas la restauration ou la restitution de facultés naturelles dégradées accidentellement ou par l’effet du vieillissement, mais un accomplissement total de la qualité de la vie, au-delà même de ce que l’on pourrait associer à la notion de santé. La pensée chrétienne a également très tôt intégré l’idée centrale d’une « conversion » (metanoia) qui constitue un axe fondamental de l’éthique chrétienne. Or le mot « conversion » désigne un changement qui va bien au-delà du regret des péchés. Il se réfère à un bouleversement complet dans la vie de l’homme, un retournement qui convoque toutes les dimensions de l’être, corporelle, psychique, sociale, etc. Dans la praxis chrétienne, l’appel à la conversion est donc d’emblée appel à une rupture dans le cours normal des événements de la vie et se réfère aux paraboles sur le Royaume dont Jésus use avec génie pour expliciter « l’urgence de l’essentiel », selon la belle expression d’Edgar Morin. Ainsi, « se convertir » au sens chrétien constitue un enjeu proprement métaphysique avant d’être une injonction morale qui viserait, par petites touches, à s’ajuster progressivement à une vie droite, simplement conforme – ce qui ne serait pas si mal – aux directives morales des dix commandements. Dans la tradition chrétienne, mais plus particulièrement il est vrai selon la conception du christianisme oriental, existe l’idée que le destin de l’homme est rien moins que d’être transformé en Dieu. C’est le concept de theosis, ou de « divinisation », qui sous-tend par exemple la théologie de saint Paul lorsqu’il annonce qu’à la fin, Dieu sera « tout en tous » (1 Co 15,28). La notion d’élévation ou de transfiguration de l’homme est donc au cœur de l’eschatologie chrétienne et peut bien sûr être confondue avec la promesse de certains techno-prophètes qui prédisent un avenir dans lequel les hommes seront « comme des dieux », biologiquement immortels et pratiquement omniscients. Cette ambiguïté appelle un discernement éthique et théologique fondé sur le parti pris de l’anthropologie chrétienne. Notre hypothèse est que le nœud du problème réside au niveau d’une définition étroite du corps, et que le concept paulinien de « corps spirituel » (soma pneumatikon) peut servir de point de départ pour penser convenablement la notion de « corps augmenté ».

(...)

Par-delà la mort biologique

Ayant identifié la notion théologique de corps spirituel proposée par Paul comme rejoignant la notion philosophique de corps existentiel, mais enrichie théologiquement de l’horizon d’un accomplissement en humanité, il apparaît dès lors que la résurrection peut sans difficulté intégrer la possibilité d’un corps augmenté, c’est-à-dire un corps biologique hybridé avec la technologie. De plus, le cas d’un corps génétiquement modifié pour devenir biologiquement immortel ne change pas radicalement la donne dans la mesure où la résurrection de la chair ne vise pas premièrement le corps biologique ou corps objectif, mais le corps phénoménal, ou corps vécu. Ainsi, même si les hommes deviennent un jour biologiquement immortels – encore que toujours mortels par maladie ou par accident – il leur restera à revêtir le corps de gloire, celui qui seul confère à l’homme son statut divin. De manière étonnante, Paul lui-même exprime cette hypothèse lorsqu’il parle des hommes qui seront trouvés en vie (biologiquement) lorsque reviendra le Christ en gloire. Pour ceux-là, il restera encore à être « transformés » : « Nous ne mourrons pas tous, mais tous nous serons transformés » (1 Co 15,51 ; voir aussi Ph 3,21). Ce qui montre bien que la mort biologique n’est pas une condition de possibilité de la résurrection.

Nous voyons donc comment la christologie paulinienne et la notion de corps spirituel permettent d’échapper aux apories d’une vision trop restrictive du corps, simplement référée au corps biologique. En prenant en compte une définition du corps inclusive du tissu de relations et d’expériences qui constitue l’étoffe de l’existence, l’anthropologie chrétienne rend mieux compte de la Résurrection de Jésus et rend également possible la pensée d’un salut pour le corps augmenté. Elle souligne le fait que l’augmentation du corps n’a rien à voir avec sa transfiguration et proclame que c’est faire fausse route que d’espérer, par la seule augmentation des capacités fonctionnelles de l’individu, « devenir comme des dieux ». En réalité, l’acquisition de nouvelles capacités n’aboutit qu’à délaisser celles que nous avions déjà, si bien que lorsque nous verrons ce que nous ne voyons pas encore, nous cesserons de voir ce que nous voyons. Ainsi, la perspective du salut en Jésus Christ ouvre-t-elle à une anthropologie de la transfiguration plus que de « l’augmentation ». Et parce qu’elle ne se réfère pas à une définition seulement biologique du corps, parce qu’elle appelle à une transformation du corps compris comme nœud de relations constituantes, elle se rend disponible à une définition de l’homme qui assume sa dimension technologique. Ce faisant, le Christ libère l’homme de l’appréhension technologique au moins autant qu’il nous libère de l’aliénation technologique. Au jugement dernier, il ne viendra pas trier entre ce qui est naturel et artificiel, entre organismes biologiques et organismes technologiques, mais entre ce qui élève l’homme en son humanité et ce qui le déshumanise.

https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2019-2-page-59.htm?ref=doi
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MessageSujet: Re: transfigurations   transfigurations - Page 2 Icon_minitimeJeu 10 Aoû 2023, 11:56

La théologie chrétienne et le "transhumanisme" technoscientifique n'étant que des moments de la même histoire ou événement, si éloignés soient-ils, il n'est pas étonnant qu'ils aient un air de famille...

Si tout ce que je nomme et que je crois désigner, définir, identifier et concevoir en le nommant se révèle différent de lui-même, et ne peut d'ailleurs se révéler qu'ainsi, je ne saurais que très précairement le distinguer de quoi que ce soit, et encore plus difficilement l'y opposer. Si ce que j'appelle un "corps" est "de l'autre" de part en part, il n'a pas d'"autre", pas même "un autre corps" (selon la formule d'O. Genest dans l'article précédent). Il n'y a plus qu'une métonymie différentielle in-finie du "corps" que les usages pauliniens illustrent remarquablement mais ne sauraient circonscrire, et que les notions modernes de "corps biologique" ou de "corps augmenté" n'arrêteront pas davantage. On peut aussi réentendre à partir de là la fameuse formule de Spinoza, nul ne sait ce que peut un corps.
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MessageSujet: Re: transfigurations   transfigurations - Page 2 Icon_minitimeVen 11 Aoû 2023, 08:53

LES ENJEUX DE LA TRANSFIGURATION. LECTURE EXÉGÉTIQUE D’UN ÉVÉNEMENT PRÉFIGURATIF, FAITE SUR LE TEXTE DE LA VULGATE
Tarciziu-Hristofor Șerban

7. Il y est question aussi de nubes lucida, c’est à dire d’« une nuée lumineuse » (mêmes termes, nubes, en : Ex 24,15 ; 40,34 ; Nb 9,18 et surtout 2M 2,Cool qui ne recouvre probablement que Jésus, Élie et Moïse (obumbravit eos…). Autrement dit, Dieu se charge de mettre à l’abri de sa gloire ceux que la bonne volonté de Pierre voulait abriter sous une hutte de branchages !

8. Comme au baptême de Jésus (Mt 3,17; Mc 1,11; Lc 3,22), une Voix interprète l’événement pour les disciples : Hic est Filius meus dilectus in quo mihi bene conplacuit ipsum audite, c’est-à-dire « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je me complais/qui a toute ma faveur, écoutez-le ». Autrement dit, ce sont à peu près les mêmes mots qu’alors, complétés par l’impératif de lui obéir : « écoutez-le ! » (Mt 17,5 ; voir aussi Mc 9,6; Lc 9,35). En fait, la Voix céleste unit en quelques répliques le destin messianique du Fils (Filius – Ps 2,7) à celui d’Isaac (quem diligis…, Gn 22,2) et à celui du Serviteur en qui le Père se complaît (conplacuit sibi in illo anima mea…, Is 42,1). En ce cas, la parole proclamée par la Voix céleste, qui réunit un passage de la Torah, un autre des Prophètes et un autre des Psaumes, tous les trois ramenés à la même vérité et à la même inspiration, veut dire que la nécessité de la Passion du Messie est inscrite dans la Loi (Isaac), dans les Prophètes (le Serviteur) et dans les Psaumes (le Fils). En fin, l’impératif qui achève le discours céleste rappelle la consigne de Moïse au sujet du Prophète (tout aussi grand que lui) que Dieu suscitera au milieu du peuple (Dt 18,15) : ipsum audies, c’est-à-dire « que tu l’écoutes/lui obéisses ». On peut y deviner une subtile suggestion de ne plus écouter Moïse, mais le Fils (Mt 11,27), et le Fils dans sa gloire de Serviteur.

9. Face à cette scène la réaction des apôtres est sur mesure. Déjà Marc (9,5) avait mentionné la peur terrassante des disciples (erant enim timore exterriti…) et Luc (9,33) la crainte (timuerunt…) qui les avait rendus incohérents. De son côté Matthieu (17,6) insiste encore plus en disant que discipuli ceciderunt in faciem suam…, c’est-à-dire ils tombèrent sur leur face…, et il met cette attitude en relation non pas avec la vision mais avec l’audition de la Voix céleste, jusqu’à l’intervention de Jésus qui les réconforte (v. 7). Il faudrait relire à ce propos la vision apocalyptique de l’homme vêtu de lin en Dn 10,5-7.9-10.12a :

Les mêmes éléments de théophanie apparaissent en Daniel et dans le récit de Matthieu, dans le même ordre : la splendeur lumineuse du visage, la voix, la crainte, l’encouragement (Jésus qui touche les disciples de la main et leur dit : …nolite timere, c’est-à-dire « craignez pas ! »). On peut reconnaître à travers ces données communes, selon X. Léon-Dufour, « le schéma d’une révélation, apocalypse qui ordinairement exige le secret et progresse par une conversation avec l’ange interprète ».14 Or, à la révélation de la Gloire du Fils de l’homme (terme de Daniel), font suite l’injonction de ne dire à personne de ce qu’ils avaient vu (Mc 9,9) et une conversation des disciples avec Jésus concernant le retour d’Élie (Mt 17,9.10-13).
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Narkissos

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MessageSujet: Re: transfigurations   transfigurations - Page 2 Icon_minitimeVen 11 Aoû 2023, 11:24

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Le détour par le latin et la Vulgate en soi n'apporte pas grand-chose, sinon quelques variations des configurations intertextuelles: en changeant de langue de nouveaux échos apparaissent d'un texte à l'autre, qui n'existaient pas en grec, et d'autres disparaissent. Mais cet article apporte aussi quelques compléments bienvenus à notre discussion précédente, par les citations "extra-" ou "para-bibliques" (p. 34, 2 Baruch, 4 Esdras, et le Midrash du Deutéronome), ou même "bibliques" (Daniel 10 dans le dernier paragraphe, numéroté 9, de ton extrait, p. 36) et/ou "deutérocanoniques" (n° 7 de ton extrait, p. 35, 2 Maccabées 2,8 qu'il vaut la peine de lire dans son contexte: Jérémie annonce que Dieu fera apparaître dans une "gloire" et avec une "nuée" semblable à celle de la tente de Moïse et du temple de Salomon l'arche et les accessoires du temple qu'il [Jérémie] a cachés dans une grotte de la montagne de Moïse au moment de la destruction du temple par les Babyloniens). Quant au rapprochement avec Moïse suggéré par le "écoutez-le", d'après Deutéronome 18, il peut être lu dans des sens tout à fait différents selon les évangiles: écoutez-le plutôt que Moïse pour Marc, comme vous écoutez (toujours) Moïse pour Matthieu, après avoir écouté Moïse pour Luc(-Actes)...

Comme toujours, les rapprochements intertextuels et les interprétations possibles s'ajoutent et se multiplient, tout choix y demeure "arbitraire", et par là même il n'est jamais question de rien "prouver" ou "démontrer", quand même on peut beaucoup "montrer".
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