Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah

(Cela me rappelle des souvenirs lointains du jéhovisme, qui décrétait la "loi mosaïque" abolie en général, mais s'y référait quand même de façon très "légaliste" lorsque ça lui chantait, y compris sur cette pratique des "voeux" qui y était restée, jusqu'à un certain point, populaire -- c'était aussi le signe d'une certaine "piété personnelle" qui échappait aux consignes et aux règles générales, même si elle jouxtait par ailleurs la "superstition"... De tout ça il ne doit plus rester grand-chose.)

La loi de Nombres 30 limite quand même, en principe, le droit de "veto" (ex voto) du père ou du mari au jour où il a été informé: il ne pourrait plus se raviser ensuite...

Les "voeux" en tout genre (qorban, herem, neder, nazir dont on a déjà parlé, p. ex. supra 7-15.2.2024) se situent à une frontière confuse entre 1) le droit civil et profane, coutumier même s'il est codifié, qui donne effectivement tout pouvoir au père ou au mari, et 2) le "sacré", ce qui est consacré au sacrifice, à la destruction ou au service du sanctuaire et des prêtres... D'autre part la question "pratique" qu'il faut se poser pour toutes les lois de ce genre, qu'il s'agisse de voeux, de sabbat ou d'héritage, c'est dans quelle mesure et dans quels contextes elles seraient réellement applicables, "enforçables" dirait-on en franglais: qui pourrait concrètement imposer une telle loi à un père de famille ou à un mari ? En règle générale, quand on a affaire à des lois inapplicables, ou "non-enforçables", c'est qu'il s'agit de lois "idéales", "utopiques" si l'on veut, dont la visée n'a jamais été vraiment "législative" mais littéraire et idéologique. C'est le cas dune bonne partie des "lois" de la fin du Lévitique et des Nombres, comme d'Ezéchiel, le prêtre-prophète en exil qui légifère dans le vide et prépare ainsi sans le savoir l'"apocalyptique" autant que la Torah "sacerdotale", quand celle-ci se détache de toute réalité rituelle ou sociale.

Josué succède à Moïse

"Le SEIGNEUR dit à Moïse : « Monte sur cette montagne de la chaîne des Avarim et regarde le pays que je donne aux fils d’Israël. Tu le verras, puis tu seras enlevé, toi aussi, pour rejoindre ta parenté comme l’a été ton frère Aaron. Ceci parce que dans le désert de Cîn, lors de la querelle que me chercha la communauté, vous avez été rebelles à ma voix quand je vous commandais de manifester ma sainteté à leurs yeux en faisant jaillir de l’eau. » Il s’agit des eaux de Mériba de Qadesh dans le désert de Cîn.
Moïse dit alors au SEIGNEUR : « Que le SEIGNEUR, le Dieu qui dispose du souffle de toute créature, désigne un homme qui sera à la tête de la communauté, qui sortira et rentrera devant eux, qui les fera sortir et les fera rentrer ; ainsi la communauté du SEIGNEUR ne sera pas comme des moutons sans berger. » Le SEIGNEUR répondit à Moïse : « Prends Josué, fils de Noun ; c’est un homme qui est inspiré. Tu lui imposeras la main, tu le présenteras au prêtre Eléazar ainsi qu’à toute la communauté et tu l’établiras dans sa charge sous leurs yeux. 20Tu lui donneras une part de ta puissance afin que toute la communauté des fils d’Israël lui obéisse. Il se présentera devant le prêtre Eléazar qui demandera pour lui, devant le SEIGNEUR, la décision du Ourim. C’est d’après cette décision qu’ils sortiront et qu’ils rentreront, lui et tous les fils d’Israël : toute la communauté. »
Moïse fit comme le SEIGNEUR le lui avait ordonné ; il prit Josué et le présenta au prêtre Eléazar ainsi qu’à toute la communauté. Il lui imposa les mains et l’établit dans sa charge, comme le SEIGNEUR l’avait dit par l’intermédiaire de Moïse" (Nb 27,12-23).

"Itinéraire d'une traversée : analyse narrative de Jos 3-5"
du Faÿ, Blanche

Josué est-il un prophète ? Une des formules d’appel des prophètes « Lève-toi, va... » Jon 3,2 ; « Lève-toi, sors... » Ez 3,22 est aussi utilisée pour Josué : « Lève-toi, passe le Jourdain... » (Jos 1,2).

Lorsque Moïse demande un successeur, voici la réponse du Seigneur : « Prends Josué, fils de Noun ; c’est un homme qui est inspiré (littéralement « en qui est un esprit ») Tu lui imposeras la main, tu le présenteras au prêtre Eléazar ainsi qu’à toute la communauté et tu l’établiras dans sa charge sous leurs yeux. Tu lui donneras une part de ta puissance afin que toute la communauté des fils d’Israël lui obéisse. Il se présentera devant le prêtre Eléazar qui demandera pour lui, devant le Seigneur, la décision du Ourim. » (Nb 27,18-21). Un homme « inspiré » est un prophète selon Nb 11,29 : Moïse s’exclame, en effet : « Si seulement tout le peuple du Seigneur devenait un peuple de prophètes sur qui le Seigneur aurait mis son esprit ! » Certes, le texte de Nb 27 ne précise pas si l’esprit en Josué est un esprit de Dieu, mais l’argument de Claude Coulot semble aller dans ce sens. Il pense en effet que « la succession Moïse-Josué avait reçu une connotation prophétique selon Dt 18,15-20120 » (« C’est un prophète comme moi que le Seigneur ton Dieu te suscitera du milieu de toi, d’entre tes frères ; c’est lui que vous écouterez ... »). Rappelons que le prophète suscité par Dieu est un homme de l’alliance : « il relit même toute l’histoire d’Israël comme histoire de l’alliance entre Dieu et son peuple ».

GRAND PRÊTRE

Moïse plaça “ dans le pectoral ” l’Ourim et le Thoummim (Lv 8:. On ne sait pas au juste ce qu’étaient l’Ourim et le Thoummim. Certains spécialistes sont d’avis qu’il s’agissait de sorts qu’on jetait ou qu’on tirait du pectoral sous la direction de Jéhovah et qui répondaient essentiellement par “oui” ou par “non” aux questions. Si tel était le cas, ils pouvaient être placés dans la “ poche ” du pectoral (Ex 28:30, Ce). C’est peut-être ce qu’indique 1 Samuel 14:41, 42. D’autres croient que l’Ourim et le Thoummim avaient un rapport avec les pierres du pectoral, mais cette hypothèse paraît moins probable. Il est aussi question de l’Ourim et du Thoummim en Nombres 27:21 ; Deutéronome 33:8 ; 1 Samuel 28:6 ; Ezra 2:63 ; et Nehémia 7:65. — Voir OURIM ET THOUMMIM.

Le grand prêtre portait ces vêtements magnifiques lorsqu’il s’avançait vers Jéhovah afin de l’interroger sur une affaire importante (Nb 27:21 ; Jg 1:1 ; 20:18, 27, 28). Par ailleurs, le jour des Propitiations, lorsque les sacrifices pour le péché étaient terminés, il ôtait ses vêtements de lin blanc et revêtait ses vêtements de gloire et de beauté (Lv 16:23, 24). Il semble qu’il portait également ces derniers en d’autres circonstances.

https://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/1200002023

Lien de téléchargement pour le mémoire (de 2012). Il a déjà été cité sur Josué (son objet principal) le 30.8.2023.

Il ne faut peut-être pas associer trop exclusivement l'"esprit" (souffle, vent, rouah-pneuma-spiritus) à la "prophétie": rien que dans les Nombres, on a vu au chapitre 5 un "esprit de jalousie" (chap. 5), au chapitre 11 une part de "l'esprit qui était sur Moïse" distribuée à des "anciens" dont la fonction n'était pas spécialement "prophétique", même si la "prophétie" (au sens de transe) faisait partie de leur "initiation" ou de leur "ordination" (rien de tel pour les "juges" d'Exode 18; noter d'ailleurs la glose de Nombres 11,25 qui tente de neutraliser, contre toute vraisemblance, l'aspect initial et ponctuel de cette "prophétie": "et ils ne finirent pas" -- à moins qu'on lise comme en Deutéronome 5,22 "et ils ne continuèrent pas"); dans la suite immédiate c'était le "vent" qui apportait les cailles (v. 31); "un autre esprit" caractérisait encore Caleb en 14,24, et "l'esprit-souffle de dieu ou des dieux" inspirait Balaam, "prophète" (devin, oracle) pour le coup, en 24,2; pour rappel, dans l'Exode l'"esprit" caractérisait aussi bien les artisans du tabernacle, dont la contrepartie salomonienne (Hiram le roi et l'artisan) n'était même pas "israélite" mais phénicienne (Tyr).

En Nombres 27 on peut noter un titre divin qui m'a toujours fasciné par son côté "panthéiste" ou "panenthéiste" (comme dirait Tillich), "dieu des esprits-souffles de toute chair" (déjà 16,22) -- juste avant la description de Josué comme "homme en qui il y a (de) l'esprit". Que rouah soit ici sans article ne signifie pas qu'on doive le (ou la) traduire par un article indéfini (un esprit) ou un partitif (de l'esprit); la syntaxe de l'article est plus variable et subtile que ça, en hébreu comme dans beaucoup de langues, surtout pour des noms communs qui sont à la limite de la généralité, de la personnification, de l'abstraction ou du concept (cf. la différence d'usage de l'anglais au français, où on est bien obligé de traduire "what is man" ou "what is truth" par "qu'est-ce que l'homme" ou "qu'est-ce que la vérité"). Quant à l'ourim, en Nombres 27 il est expressément associé au grand prêtre Eléazar qui est placé en face de Josué (antagonisme aussi fonctionnel qu'on voudra, mais "l'esprit", ici du moins, n'est pas du côté de la prêtrise). En tout cas il est clair dans le Deutéronome que "le prophète comme Moïse" c'est d'abord Josué, en grec Ièsous... (Jésus et Lazare, si l'on veut activer les réminiscences johanniques, mais ici la Septante transcrit "Eléazar".)