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 LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE

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MessageSujet: LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE   LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE Icon_minitimeMar 22 Aoû 2023, 11:08

LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE

2. Un récit de propagande du règne de Josias Il ne fait clone aucun doute que les scribes à la cour de Jérusalem connaissaient la propagande assyrienne par l'écrit et par l'image. Cela conforte la thèse selon laquelle les récits de conquête en J os 1-12 sont à lire comme une contre-propagande judéenne face aux Assyriens.

(...)

Les auteurs de la première version de Jos l-12 sont les conseillers de Josias. Ils forment le même groupe que celui qui a rédigé la première version du Deutéronome en puisant dans les traités de vassalité assyriens. Ce faisant, ils poursuivent un but polémique : ils veulent en effet montrer que Yhwh est plus puissant que toutes les divinités de l'Assyrie, qu'elles s'appellent Assur, Hadad ou Ishtar. Et lorsque le livre de Josué insiste sur le fait que les autres peuples n'ont aucun droit à l'occupation de Canaan, ce constat s'applique en premier lieu aux Assyriens qui occupaient alors le pays. Déjà les Rabbins avaient remarqué que des termes comme « Amorites », « Perizzites », etc., devaient être un code pour désigner un autre peuple. Jos 1-12 mettant en scène la victoire contre les Cananéens vise d'abord les Assyriens. En affirmant la supériorité de Yhwh sur l'Assyrie et ses dieux, les auteurs de la version des conseillers de Josias l-12 transforment du même coup Yhwh en un Dieu aussi guerrier et militariste que l'est Assur.

C'est peut-être à l'époque de Josias qu'on a conçu pour la première fois l'installation d'Israël dans le pays comme le résultat d'une conquête militaire. Jos 1-12 est alors à lire comme un texte idéologique et non comme un rapport historique. Cela signifie, par exemple, que la pratique du hèrèm, de l'interdit, selon laquelle toute la ville conquise doit être exterminée (cf. surtout Jos 6 et 79 ) n'a jamais été appliquée de fait. Il s'agit d'une conception théologique. Puisque c'est la divinité qui a donné la victoire, tout lui revient. En réalité, on a peut-être sacrifié quelque bétail en considérant ce sacrifice comme un pars pro toto (symbolisant la totalité du butin).

De toute façon on ne peut utiliser Jos 1-12 pour reconstruire historiquement les origines d'Israël en Canaan, comme c'est malheureusement encore souvent le cas.

https://serval.unil.ch/resource/serval:BIB_8168.P001/REF.pdf


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MessageSujet: Re: LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE   LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE Icon_minitimeMar 22 Aoû 2023, 12:24

(La "reconnaissance de caractères" est parfois facétieuse: c'est un "donc" qui a été transformé en "clone" à la première ligne...)

J'imagine que Römer nuancerait quelque peu son propos historico-critique (de 1998) vingt-cinq ans plus tard, en particulier sur le poids "littéraire" dont il charge le "règne de Josias", qu'on ne connaît que par les Rois et ce qui en dépend (contrairement à Ezéchias, bien attesté hors "Bible"), et si proche de la chute de Jérusalem que cela rend une vaste entreprise littéraire, même "royale" et "officielle", improbable, dans les conditions générales de l'écriture antique et en particulier à une époque politiquement et militairement troublée... Certes les Rois rattachent le règne de Josias à la découverte de la "loi" et à une "réforme" de type deutéronomique, mais comme ils sont eux-mêmes pétris de "deutéronomisme" on tourne en rond. Il est vraisemblable que l'idée de la "conquête" soit pré-exilique et influencée par les conquêtes assyriennes, comme celle d'"alliance" au sens de traité suzerain-vassal, surtout depuis la chute de Samarie et le siège de Jérusalem sous Ezéchias, mais ça ne suffit pas à dater une écriture, encore moins à trier dans une écriture globalement post-exilique, d'époque perse voire hellénistique, des vestiges de "documents" ou de "rédactions" antérieurs. Du reste, une telle tradition aurait eu plus de chances de se développer pendant le long règne de Manassé*, "blacklisté" par les Rois qui ont probablement attribué soit à Ezéchias, soit à Josias, bon nombre de faits de son règne. D'autre part il ne faut pas oublier que les récits guerriers ne sont pas le monopole de Josué, puisqu'on en retrouve aussi dans la Torah (Exode, Nombres et même Genèse, la guerre mondiale fantastique du chap. 14), dans les Juges, dans Samuel (Saül, David), et qu'à chaque fois s'y mêlent des traditions populaires, locales ou régionales, et un projet "idéologique" (même si celui de Josué paraît le plus caractéristique, en grande partie parce qu'il joue un rôle crucial dans la périodisation de l'"histoire sainte": s'il y a un esclavage en Egypte, un Exode et un séjour au désert, il faut bien revenir en Canaan, d'où la "conquête"). Au passage, le rattachement de Josué à la tribu d'Ephraïm (p. 7) ne repose que sur son identification à un "Osée" (hoshea`) en Nombres 13.

* Si on prend un peu de recul par rapport aux récitations habituelles, on pourrait aussi s'interroger sur la "coïncidence" entre Manassé roi de Juda et "patriarche-tribu" associé à Joseph, à Ephraïm et à Benjamin depuis la Genèse, donc aussi à la tradition de l'Egypte, de l'Exode et du retour en Canaan.

P.S. Je constate ici (vers 2012) et là (2021) que Römer a moins bougé sur ce point que je ne l'imaginais, alors que (selon moi) c'eût été dans la logique de sa "méthode". Avantages et inconvénients de construire une "oeuvre" dans la durée, dont les différents éléments relèvent fatalement de moments de pensée différents (différance à tous les niveaux), auxquels on s'attache néanmoins, car on ne peut pas toujours tout reprendre "à nouveaux frais".
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Sauve qui sait : l’efficace « Madame Rahab »1
(une approche narrative de Josué 2)

Le temps dans ce récit

Nous pouvons relever quelques ellipses dans ce récit. On ne sait pas comment le roi a appris que des espions sont arrivés à Jéricho et qu’ils se trouvent chez Rahab. Les envoyés du roi de la ville ne nous sont pas non plus montrés en train de répéter les paroles du roi, qui disparaît d'ailleurs du récit dès qu'il a donné ses ordres (v. 3) ; nous ne savons pas davantage si Josué a eu une quelconque activité entre le départ et le retour de ses éclaireurs (vv. 2-22). Le narrateur passe aussi sous silence un certain nombre de déplacements : le voyage entre Shittim et Jéricho des deux hommes (v. 1) ainsi que leur trajet final depuis le pied de la montagne jusqu'au Jourdain (à lire « ils traversèrent » au v. 23, on croirait qu'aussitôt redescendus de la montagne, ils se trouvent au bord du fleuve). De même, le trajet des envoyés du roi vers la maison (entre les vv. 3 et 4) n'est pas même évoqué, sinon par ces mots : « le roi [...] envoya dire à Rahab ». La coopération du lecteur n'est d'ailleurs pas sollicitée pour rétablir ces oublis volontaires : ces informations manquantes n'ont guère d'importance pour la trame. Quels sont donc les moments de l'action que mettent en évidence les variations du temps dans le récit ?

Si l'action rapportée dans le chapitre 2 du livre de Josué s'étale sur un peu plus de trois journées (en incluant le temps dans les montagnes et les deux trajets des éclaireurs entre Shittim et Jéricho), seules quelques dizaines de minutes font l'objet d'une attention toute particulière : certains mots et gestes de Rahab et des autres personnages, entre l'arrivée des espions à Jéricho (v. 1), et leur départ nocturne depuis la fenêtre sur le rempart (v. 21), dont la mention est suivie d'un détail fort important : au v. 21b, nous assistons en effet à un ralentissement du récit, soulignant le geste d'attacher le cordon rouge, geste en apparence insignifiant mais qui conditionne la survie de Rahab. Cette focalisation sur un détail (qui aurait pu être omis par le narrateur) montre la femme accomplissant aussitôt et à l’avance (ce n’est pas encore le moment de la conquête) la consigne des espions, trop importante pour risquer d'être oubliée. Le rapport entre temps racontant et temps raconté manifeste donc de manière éclatante l'importance de l'intervalle entre l'arrivée des deux hommes chez Rahab et le moment où ils s'éloignent des murs de la ville.

https://hal.science/hal-02999341/document
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Intéressant -- même si je trouve toujours un peu surfaite l'"analyse narrative" quand elle consiste en une fastidieuse paraphrase métalinguistique d'un récit relativement simple et facile à lire, dont tout lecteur ou presque comprend spontanément l'essentiel.

Ce qui paraît évident c'est que la "conquête" n'a rien de "stratégique" au sens militaire ordinaire, contrairement aux récits de guerre réelle ou vraisemblable: les "espions" ne rapportent aucun "renseignement" concret et utile pour une bataille qui sera de toute façon rituelle et miraculeuse, sinon la confirmation ou le signe "prophétique" de l'accomplissement inéluctable du dessein divin dans la bouche la plus inattendue, celle de la prostituée cananéenne... Rahab, comme plus tard Saül, est "prophète" à son insu, c'est Yahvé qui parle par elle comme il parle à Josué et comme il a parlé à Moïse. Cet effet de confirmation de la parole divine adressée séparément à plusieurs, voire inscrite dans les choses ou les événements qui font "signe", jouera continuellement dans les livres des Prophètes (je pense notamment à Gédéon dans les Juges, mais ce ne sont pas les exemples qui manquent; cf. déjà l'ânesse de Balaam dans les Nombres), dont le livre de Josué est le premier dans le canon hébreu (premier des "Premiers prophètes", nebi'im ha ri'shonim).

Le rôle classique de la femme accueillante, hospitalière, épouse, mère, prostituée et/ou aubergiste presque par définition sexuelle, de Gilgamesh à Levinas (qui fait aussi de la femme la figure de l'accueil),  ambivalent aussi (parce qu'elle peut donner la mort comme la vie, cf. Yaël ou Judith), est amplifié par le nom même de Rahab (rhb avec un heth, à ne pas confondre avec rhb avec un pour le monstre de l'océan primordial -- quoique...), la racine hébraïque évoquant la largeur, l'étendue (p. ex. pour Salomon "large de coeur"; l'argot américain dit encore broad pour femme). D'ailleurs la femme est "sage" même quand elle est folle ou sotte, c'est elle qui sait, qui sait faire ou qui sait y faire, comme la prostituée-aubergiste de Gilgamesh qui instruit Enkidu, ou la femme (qui n'est pas encore Eve) l'homme en Eden.

On peut aussi remarquer que si le livre de Josué est ostensiblement "génocidaire", il est moins "ethniciste" ou "racialiste" qu'on pourrait le croire, puisque des non-Israélites (aussi plus loin les Gabaonites) sont épargnés et intégrés à "Israël". Mais ça se joue toujours dans le dos du protagoniste, Josué, qui est mis devant le fait accompli. L'action divine ne se réduit pas à l'exécution de son propre programme.

Du point de vue chrétien ou post-chrétien, le rapport de "Josué" à "Jésus" reste problématique: pour rappel c'est le même nom en grec, Ièsous, pour ses deux formes hébraïques et massorétiques, Yehoshoua`/ Yeshoua`, la seconde ayant perdu son élément théophore: Yahvé sauve / il sauve, quasi-homonyme du substantif pour "salut". Dans la Bible hébraïque ou l'"Ancien Testament", c'est principalement le "successeur de Moïse" dans le livre dont nous parlons, jeune assistant de Moïse dans la Torah (Exode 17,9ss etc.), mais aussi le grand prêtre du retour d'exil (Aggée-Zacharie), outre de rares personnages subalternes (1 Samuel 6,14.18, pour le retour de l'arche; 2 Rois 23,8, nom de fonctionnaire du règne de Josias). Il prend de toute évidence beaucoup d'importance à l'époque hellénistique et romaine, comme en témoigne le nombre des Ièsous chez Josèphe; entre-temps on peut noter le Siracide, qui s'appelle lui-même Yeshoua`/Ièsous dans une généalogie qui contient des noms de prêtres comme Simon ou Eléazar (1,1; 50,27; 51,1), et qui célèbre le Josué de la conquête (46,1ss) en insistant sur le sens de son nom (= "salut"). Philon qui commente essentiellement la Torah et non le livre de Josué insiste sur la relation de paideia de Moïse à Josué dans un sens typiquement hellénistique, tout en évitant autant que possible ses connotations homosexuelles ou plus exactement pédérastiques (De virtutibus, 55ss) et insiste aussi sur le sens du nom (De mutatione nominum, 121ss). On peut au moins deviner que le nom Ièsous était susceptible de plaire à des courants très divers du "judaïsme" du Ier siècle et de leurs "messianismes", aussi bien "zélotes" (nationalistes, guerriers, "sicaires") que sacerdotaux ou sapientiaux-philosophiques, selon l'aspect qu'on mettait en avant.
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MessageSujet: Re: LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE   LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE Icon_minitimeLun 28 Aoû 2023, 15:56

Théologie A. T. Le livre de Josué

La traversée du Jourdain

Les chapitres 3-5 du livre racontent le passage du Jourdan et de la conquête de Canaan. L'histoire est ponctuée par quatre moments clés:
La traversée du Jourdain;
La construction d'un mémorial;
La circoncision du peuple;
La célébration de Pâques.
Le récit est dynamique et enthousiaste, et reprend l’entière schéma du passage de la Mer Rouge. Dans l’Exode est Dieu en personne à guider Israël: «Dieu a conduit le peuple ... le Seigneur allait devant eux" (Es.13: 18,21), ici c’est l'Arche de l'Alliance qui se pose à la tête d'Israël: "Apportez l'arche de l'alliance, et passez devant le peuple» (Josué 3:6).
Dans l'Exode, la mer est divisée en deux et les Israélites passent au sec, ici se passe la même chose avec les eaux du Jourdain (peut-être en profitant d'une période de sécheresse). Dans l'Exode, les Égyptiens sont submergés par les eaux, et dans le livre de Josué, ce sont les rois Cananéens que, vues le passage miraculeux, sont emportés par la peur: "... Ils perdirent courage et furent consternés à l’aspect des enfants d’ Israël. " (Josué 5:1) Le mot hébreu "passage" est répété 21 fois dans le texte, un nombre qui est obtenu en multipliant trois par sept, deux nombres parfaits.

L'histoire se termine précisant que "la manne cessa le lendemain» (Josué 5:12), un signe évident de la fin d'une époque, celle des pérégrinations d'Israël à travers le désert. Mais s’en ouvre une nouvelle, celle qui est symbolisé par la circoncision du nouveau peuple né dans le désert, et donc, pas compromis pas l'infidélité, contrairement à ses pères qui se sont révoltés contre le Seigneur; c’est la nouvelle célébration de la Pâque, la première en Terre Promise. Donc, Dieu semble vouloir recommencer tout à nouveau avec un peuple qui se qualifie pour sa loyauté envers lui, comme il le fait après le déluge, Dieu a détruit l'humanité infidèle, mais Il se préoccupe de donner naissance à une nouvelle humanité sortie de l' arche.

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Problèmes de langues et de traduction (italien-français) mis à part, c'est un assez bon exemple du genre de soupe (minestra ?) à laquelle on arrive quand on essaie de mélanger une lecture traditionnelle des textes à des considérations "scientifiques" ou "critiques"...

Ce qui paraît clair, c'est que les auteurs de Josué n'ont pas cherché à fournir un récit vraisemblable -- et sans doute pas beaucoup plus selon les critères de leur époque et de leur milieu que selon ceux de l'historiographie gréco-romaine ou moderne... Hélas pour nous, la possibilité de réalisation technique a supplanté la fiction, mythique, épique ou légendaire: nous ne pouvons plus rêver innocemment comme Yahvé au déluge ou à Sodome et Gomorrhe d'exterminer tout le monde sans que ça prenne tout de suite un air sinistre, parce que c'est devenu techniquement possible et que ça s'est déjà produit tant de fois. Du coup les massacres de la Bible, que ce soient ceux de Josué, des Juges, de David ou d'Esther ne nous font plus rire ni sourire, parce qu'ils ne dépendent plus du miracle comme le fleuve ou le soleil qui s'arrêtent ou les murailles qui s'écroulent d'un coup de trompette, ils deviennent misérablement réalisables et ainsi détestables. Gabin, ou Prévert, dans Le Jour se Lève, pouvait encore dire "ça serait bien si tout le monde était mort, s'il n'y avait plus que nous deux", et ça devient de plus en plus difficile à dire, même par plaisanterie ou par jeu poétique... Le désir de destruction, d'incendie ou de submersion, de place nette, de table rase ou de recommencement à zéro n'en disparaît pour autant, il croît et s'approfondit, de génocidaire en spécio-suicidaire, sans pouvoir se dire ni se penser, si ce n'est sur le mode du divertissement préformaté.

Pourtant nous sommes toujours prêts à applaudir à des vraies guerres qui font des millions de vrais morts, pourvu qu'elles nous soient racontées du point de vue des vainqueurs avérés ou souhaités, ceux qui ont provisoirement ou durablement le bien, la justice, la vérité pour eux. Que celles de Josué, des Juges, de Saül, de David, soient dérisoires dans le sens de modestes ou d'invraisemblables, on les juge au fond avec la même partialité, d'après des idées générales: c'est bien parce que c'est dans la Bible et que le Dieu de la Bible les commande ou les approuve, c'est mal parce que c'est dans la Bible et qu'on ne tolère pas que le Dieu de la Bible approuve, même en fiction, ce que pourtant nous sommes tout à fait capables d'approuver, en vrai. Sans compter que les morts fictifs font parfois des petits bien réels à des millénaires d'intervalle, et qui ne tombent pas toujours dans le même camp ni du même côté de notre jugement.
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1. 5. Regard d’ensemble sur les difficultés du texte

Une première lecture des chapitres 3, 4 et 5 ne pose pas de problème et la narration peut sembler fluide. Pourtant, dès que cette lecture se fait plus attentive et plus précise, le texte révèle un certain nombre de tensions. On peut, en effet, relever des éléments contradictoires ou
incohérents, des différences de style et des ruptures dans la narration. En voici les principaux éléments.

Les éléments de contradiction à l’intérieur du texte sont les suivants :

• Le récit de la traversée du Jourdain : celle-ci est racontée en 3,14-17 : les prêtres qui portent l’arche sont suivis par le peuple, les eaux du Jourdain se coupent lorsque les pieds des prêtres atteignent l’eau, les prêtres s’immobilisent au milieu du Jourdain et tout le peuple traverse. Le verset qui suit en 4,1 confirme la fin de cette traversée pour toute la nation : « Et il arriva quand toute la nation eut fini de traverser le Jourdain ». Mais il est dit en 4,10 : « et ils se hâtèrent, le peuple, et ils traversèrent ». 

• Les douze pierres prélevées dans le Jourdain par les fils d’Israël conformément à l’ordre du Seigneur doivent être déposées au camp : « faites-les traverser avec vous et déposez-les au bivouac où vous passerez la nuit » (4,3). Cela se produit en 4,8 : « Les fils d’Israël firent exactement comme l’avait ordonné Josué, ils enlevèrent douze pierres du milieu du Jourdain, comme le Seigneur l’avait dit à Josué, d’après le nombre des tribus des fils d’Israël, ils les firent passer avec eux vers le bivouac et les déposèrent là ». Douze pierres sont dressées au milieu du Jourdain par Josué en 4,9 mais en 4,20 il est dit que les pierres prises dans le Jourdain sont dressées par Josué à Gilgal. 

• Les explications aux nouvelles générations concernant le mémorial des pierres ne portent pas sur les mêmes pierres : une première explication célèbre les pierres retirées du Jourdain et déposées au bivouac (4,6-7) ; une seconde concerne les pierres retirées du Jourdain et dressées par Josué à Gilgal (4,21-24). 

• En 4,10-11, on raconte que le peuple s’est hâté de traverser et que lorsqu’il eut fini, l’arche traversa à son tour (et donc aussi les prêtres qui la portent). On sait d’après le verset 18, que les eaux du Jourdain reviennent à leur place dès que les pieds des prêtres se détachent vers la terre sèche. Or le texte se poursuit par ce verset 12 : « Et ils traversèrent, les fils de Ruben et les fils de Gad et la moitié de la tribu de Manassé, en ordre de bataille, devant les fils d’Israël, comme Moïse le leur avait dit ». 

https://dial.uclouvain.be/memoire/ucl/en/object/thesis:330/datastream/PDF_01/view


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Beaucoup d'information utile dans ce mémoire, pour le peu que j'en ai sondé...

Pour rappel (lointain souvenir de traduction biblique), ce qu'on transcrit habituellement par "G(u)ilgal" est presque toujours (sauf en Josué 5,9 et 12,23) pourvu dans le texte massorétique d'un article (ha-gilgal), ce qui suggère que le mot s'entend d'abord comme un nom commun, le guilgal évoquant un cercle (gyl/gwl/gll tour, tourner, roue, rouler, etc.), ici de pierres dressées (ce qui peut rappeler d'innombrables monuments, y compris "préhistoriques", comme Stonehenge en offre un exemple spectaculaire, mais comme il y en a eu aussi au Proche-Orient et un peu partout), et ainsi désigner plusieurs lieux différents (on en a compté jusqu'à cinq selon les contextes "bibliques") qui tendent à se confondre dans les récits. Lieux et artefacts remarquables en tout cas, autour (!) desquels les générations "historiques" n'en finissent plus de réinventer des histoires "étiologiques", des récits censés expliquer leur existence, leur cause (aition), leur fonction ou leur raison d'être...

Ce qui est certain et que met bien en valeur ce mémoire (cf. la conclusion), ce sont les échos multiples (au point d'être confus) que le livre de Josué dans ses diverses rédactions et/ou éditions (cf. p. 8ss) tente de fournir au récit général de l'Exode et de la Torah jusqu'au Deutéronome -- la traversée miraculeuse du Jourdain rappelant celle de la mer Rouge ou mer des Joncs, difficile de passer à côté (c'est le cas de le dire). Mais l'idée du passage qui s'ouvre in extremis dans l'impasse apparente est aussi un ressort classique du récit en général (narrow escape, échappée de justesse), et en particulier de l'historiographie édifiante, notamment des Chroniques où les victoires sacerdotales ou "liturgiques", contre toute vraisemblance "stratégique", ressemblent également, par exemple, à la traversée du Jourdain ou à la prise de Jéricho par la procession de l'arche, des prêtres et des trompettes -- ce qui du côté "diachronique" suggérerait plutôt des rédactions très tardives, jusqu'à l'époque hellénistique.

Cette question de datation changerait évidemment quelque chose à l'aspect "propagande" évoqué dans ton titre, car s'il ne s'agit plus d'un roi (Josias, Manassé, Ezéchias) et d'un royaume plus ou moins indépendant mais d'une province ou d'une sous-province (par rapport à Samarie) dans un empire (perse ou hellénistique), qui vaut surtout par son "temple" comme centre symbolique d'une vaste diaspora, et dont les "responsables locaux" sont avant tout des prêtres, on passerait d'une intention principalement "politique" à une intention essentiellement "religieuse". Ce qui expliquerait aussi dans le livre de Josué l'importance de "Jérusalem", jamais mentionnée dans la Torah, et dont la prise est le point culminant de la "conquête" (chap. 10, avec un Adoni-Zedeq, variante du Melchi-Zedeq de la Genèse, encore transformé en Adoni-Bezeq dans les Juges), malgré la contradiction flagrante avec les traditions qui l'attribuent à David (2 Samuel), contradiction expliquée tant bien que mal par la permanence des "Jébusites". Le "temple" lui-même étant représenté par l'"arche" mobile qui joue un rôle central dans les chapitres 1--8 (la "tente" n'apparaît en revanche qu'à la fin du livre, 18--19 et 22), et qui traduit à sa façon depuis la Torah l'expérience de l'exil.
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L’arche et La conquête du pays


L’arche et La conquête du pays Si l’arche remplissait originairement une fonction de palladium (désignant dans le monde antique une statue sacrée ou le bâtiment abritant cette statue) matérialisant la présence de Yhwh durant la guerre, il semble logique que l’arche apparaisse également dans le livre de Josué. Ici, cependant, la fonction originale de l’arche semble avoir changé. Dans le récit de la traversée du Jourdain (Jos 3-4), l’arche est surtout reliée aux prêtres qui la portent, et apparaît donc davantage comme un objet liturgique, semblable au rôle qu’elle a dans le livre des Chroniques.


La majorité des commentateurs s’accorde sur le fait que les versets mentionnant l’arche n’appartiennent pas au récit original de la traversée du Jourdain. Selon Bieberstein, le récit original de Jos 3-4 contient seulement, dans le chapitre 3, les versets 3,1.5.13b.14a et 16* :


3,1 Josué se leva de bon matin ; ils partirent de Shittim, lui et tous les fils d’Israël, et arrivèrent au Jourdain ; là, ils passèrent la nuit avant de traverser 5 Puis Josué dit au peuple : « Sanctifiez-vous, car demain Yhwh accomplira des merveilles au milieu de vous : 13b les eaux du Jourdain, les eaux qui descendent d’amont, seront coupées et elles s’arrêteront en une seule masse. » 14a Le peuple sortit de ses tentes pour passer le Jourdain. 16* Alors les eaux qui descendent d’amont s’arrêtèrent, elles se dressèrent en une seule masse, très loin, à Adam […] et celles qui descendent vers la mer de la Araba, la mer du Sel, furent complètement coupées, et le peuple traversa en face de Jéricho.


Une telle reconstruction minimaliste laissera certains lecteurs sceptiques, mais on peut penser que Bieberstein a raison d’affirmer que tant l’arche que les prêtres qui s’occupent d’elle n’appartiennent pas au récit original. En effet, ce récit de la traversée n’est pas un récit de conquête, mais un récit de passage, qui n’est pas sans rappeler la traversée de la mer en Ex 14. Le récit ancien ne contenait donc pas de mention de l’arche qui fut insérée dans ce texte par des rédacteurs ultérieurs. Le fait que l’arche soit, dans certains passages, appelée « l’arche de l’alliance de Yhwh » et qu’elle soit transportée par les prêtres pointe également vers une date tardive de ces insertions , puisqu’elles associent à la fois le concept deutéronomiste de l’« arche de l’alliance » et l’insistance sur le rôle des kohanîm caractéristique de la tradition sacerdotale.


En Jos 6, qui décrit la chute des murs de Jéricho, la situation est quasiment identique à celle décrite en Jos 3-4 puisque la majorité des versets mentionnant l’arche est associée aux prêtres. Seul Jos 6,11 parle de « l’arche de Yhwh » sans mentionner les prêtres : « L’arche de Yhwh tourna autour [wysb] de la ville pour en faire le tour une fois, puis ils rentrèrent au camp et y passèrent la nuit. » Ce verset fait partie du récit ancien mais, comme l’a démontré Bieberstein, la mention de « l’arche de Yhwh » a probablement remplacé une leçon originale ‘am. Pourquoi cela ? Toutes les occurrences de la racine s-b-b (« marcher autour ») en Jos 6 concernent le peuple, aussi peut-on imaginer que cela était également valable pour le verset 11. L’insertion de l’arche de Yhwh dans le récit ancien serait ainsi une tentative d’introduire l’arche dans le récit de la conquête de Jéricho, en raison de sa fonction militaire. Les additions aux versets 7 et 11 visent à attribuer la destruction de Jéricho non pas à l’action du peuple mais à la présence de Yhwh à l’intérieur de son arche.


Le Sitz im Leben original de l’arche est reflété dans la tradition conservée en Nb 10 et surtout dans le récit de l’arche dans le Premier livre de Samuel. Ce n’est que plus tard que l’arche a été intégrée dans le Pentateuque et dans le livre de Josué.


https://serval.unil.ch/resource/serval:BIB_3AA6C9A433E0.P001/REF.pdf
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MessageSujet: Re: LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE   LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE Icon_minitimeMer 06 Sep 2023, 12:16

Etude très intéressante (et récente, dit l'écho: 2019) de Römer, bien qu'elle ne concerne qu'assez peu Josué. Pour ma part je ne me suis jamais passionné pour la datation des strates rédactionnelles (sinon dans un sens relatif: plus ou moins anciennes ou récentes, pour tâcher de comprendre lesquelles précèdent ou modifient lesquelles) et encore moins pour la quête de l'"original" (aussi désespérée ou futile à mon sens que celle de "l'arche perdue"). Je constate toutefois une difficulté, toujours la même mais qui s'accroît, par rapport aux textes de Römer cités précédemment: si l'insertion de l'arche dans le récit de Josué est secondaire, par rapport à un récit originel de passage du Jourdain qui imiterait déjà ostensiblement celui de la mer (Rouge ou des Joncs -- sans "arche" sinon précisément le sarcophage de Joseph, cf. note 2 p. 96), et que toutes ces rédactions successives, les plus récentes censées réagir aux plus anciennes et les corriger, doivent être attribuées au règne de Josias, dont la réforme ne commencerait qu'à la dix-huitième année sur une trentaine en tout, cela fait décidément beaucoup d'écriture (divergente, voire contradictoire) en très peu de temps: il devait y avoir embouteillage de scribes et explications animées autour du temple et du palais...

Quoi qu'il en soit, le rapprochement avec les Chroniques (cf. supra 30.8.2023) me paraît en effet hautement significatif, et il dissuaderait d'opposer le "liturgique" ou le "rituel" au "guerrier" ou au "stratégique": c'est précisément en célébrant le culte selon la règle qu'on gagne miraculeusement les batailles (ou inversement, en y dérogeant qu'on les perd, cf. Acan), voilà bien une idée -- si "magique" ou "superstitieuse" qu'elle nous paraisse -- commune à Josué et aux Chroniques (cf. Roboam, Abiya, Asa, Josaphat, Ezéchias, etc.), tels du moins que nous pouvons les lire (ou les relire).
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CORPORATE PERSONALITY :
LA POSSIBLE JEUNESSE THÉOLOGIQUE
D’UNE ANCIENNE NOTION EXÉGÉTIQUE 

I. UNE ANCIENNE NOTION ET SES CRITIQUES


Le premier concerne l’usage du paradigme juridique. Si cet aspect permet de comprendre comment un individu peut agir au nom du groupe et comment le groupe peut être représenté, réellement, dans l’action d’un de ses membres, elle restreint singulièrement le champ de la notion. De fait, la première remise en cause de cet aspect législatif pointe le fait que toute la Loi, et sa mise en œuvre concrète dans les épisodes narratifs, vise à punir le coupable et lui seul. Le passage de Jos 7,16-26, invoqué par Robinson à l’appui de sa thèse, tend précisément à dégager la faute individuelle. Akân, l’unique coupable, est mis à mort, et sont détruits avec lui tous ses biens : « […] ses fils et ses filles, ses bœufs, ses ânes, son petit bétail, sa tente et tout ce qui était à lui » (Jos 7,24). Selon Porter, l’application du paradigme juridique mettrait en cause la validité de la notion, bien qu’elle puise en lui une de ses racines majeures. L’auteur remarque de surcroît que la punition des fils pour la faute des pères ne relève pas d’une vision corporative, mais plus simplement du droit de propriété : la mise à mort du père et de son patrimoine entraîne la mort des enfants parce qu’ils sont un élément de ce patrimoine. En réinterprétant la Personality comme Responsibility (Kaminsky) la notion gagne en précision, mais perd une part de son domaine d’efficacité herméneutique, en excluant la réciprocité interne dans le rapport un/tous. 


II. LES COMPOSANTES D’UNE FIGURE


Comme nous l’avons déjà mentionné, l’épisode de la mort d’Akân fut invoqué comme un exemple net de la Corporate Personality, d’une part parce que son acte met en danger tout le groupe et d’autre part parce que sa mort est aussi la mort des siens et le salut du groupe. A contrario, on a fait remarquer que le récit relate une procédure juridique qui a pour but d’isoler le coupable du reste du peuple, et donc qu’il est seul dans sa mort, seul coupable et seul puni, ses fils et filles étant considérés comme faisant partie de ses biens. La mise en œuvre de la Loi a un effet inverse de celui escompté par la notion en question, qui n’aurait donc plus aucune pertinence à ce niveau. La difficulté ici est que le récit est comme tronqué par les lectures trop pressées de mettre en valeur la Corporate Personality ou de la détruire, car seul est communément invoqué le court passage du jugement (v. 16-26).


Si l’on prend la narration dans son entier, l’épisode de la prise de Aï englobe les chapitres 7 et 8 — si l’on considère que la construction de l’autel (Jos 8,30-35) et l’inscription d’un « double de la Loi de Moïse » (v. 32) viennent clore la prise de la ville. La prise de Aï semble facile au premier abord, puisque deux ou trois mille hommes devraient suffire à sa conquête (Jos 7,3), alors qu’il faudra par la suite que « tous les gens de guerre » s’y engagent (Jos 8,1-3). La défaite est mentionnée en deux versets (v. 4-5). Elle eut pour effet de faire fondre et se liquéfier le cœur (sing.) du peuple (v. 5b). S’ensuit un dialogue entre Josué et le SEIGNEUR, le premier se lamentant d’avoir passé le Jourdain, en termes similaires à ceux employés par d’autres qui regrettèrent d’être sortis d’Égypte. La réponse du SEIGNEUR révèle à Josué la raison de la défaite : « Israël a péché ! Ils ont même transgressé mon Alliance que je leur avais prescrite et ont même pris de l’anathème » (v. 11). Tous les membres du peuple (« les fils d’Israël ») sont devenus un anathème (v. 12), qui ne cessera que lorsque l’« anathème qui est au milieu de toi, Israël » (v. 13) disparaîtra. Suit la découverte du coupable et la mise à mort d’Akân


Le récit continue avec la prise de Aï mais, contrairement à la première attaque, la victoire est l’objet d’un engagement du SEIGNEUR : « […] monte contre Aï ! Vois ! J’ai livré à ta main le roi de Aï et son peuple, sa ville et son territoire » (Jos 8,1). Non seulement le SEIGNEUR s’engage, mais il se montre aussi chef de guerre en donnant à Josué l’astuce qui permettra la prise de la ville (v. 2c). Le récit de la conquête proprement dite s’étale du v. 3 au v. 25. La conclusion de cet épisode guerrier décrit le sort fait à la ville et à ses habitants, puis celui fait à son roi. 


Avec le récit de la prise de Aï, commence le récit de l’entrée en possession de la Terre promise. Si nous considérons que la prise de Jéricho est une sorte de lever de rideau liturgique au récit de la conquête proprement dite, il s’agit de la première « vraie » bataille, de la première « vraie » saisie d’un pan de la terre promise par Dieu. D’où l’érection de l’autel et l’inscription d’un double de la Loi — en réalité d’un double du double de la Loi (cf. Dt 18,18). Or, au seuil du récit, la position du narrateur change de configuration. Jusqu’alors à peu près neutre quand il s’agissait de décrire la prise de Jéricho, ayant le même point de vue partiel que le lecteur, il devient brusquement omniscient au moment de commencer le récit de la conquête de Aï : « Les fils d’Israël commirent une infidélité concernant l’anathème : Akân […] prit de l’anathème et la colère du SEIGNEUR s’enflamma contre les fils d’Israël » (Jos 7,1). Un tel incipit vide l’intrigue narrative de tout suspens : nous savons que Aï ne sera pas prise, nous en savons la raison, qui plus est nous connaissons le coupable. L’erreur stratégique provoquant la défaite n’a pas d’importance. Elle n’est que l’expression humaine de la colère du SEIGNEUR découlant de la désobéissance d’Akân/« les fils d’Israël ». La colère du SEIGNEUR rend le chef de guerre aveugle sur les moyens à employer pour la bataille. À cause de ce prologue, l’intrigue narrative bascule : il ne s’agit plus de savoir comment se passera la conquête de la ville, mais de savoir comment Israël va dénouer la crise interne annoncée. Une telle prise de parole du narrateur rend inutile tout engagement de Dieu. Nous savons d’emblée que la ville ne sera pas donnée, ce qui signifie, obliquement et dramatiquement, que le SEIGNEUR pourrait ne rien faire pour son grand nom (cf. 7,9), abandonnant Israël à lui-même. 


https://www.erudit.org/en/journals/ltp/1900-v1-n1-ltp02888/1038541ar.pdf
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Merci pour ce texte stimulant: sa perspective dépasse de beaucoup le livre de Josué mais je me permets d'en dire un mot parce qu'il me fait réagir de façon complexe, voire contradictoire, en soulevant des questions que je trouve importantes et en y répondant d'une façon dont je me sens très éloigné (pour faire trop vite au risque de la caricature injuste, un néo-intégrisme catholique à la sauce philosophique Michel Henry, non nommé mais perceptible derrière la [sur]valorisation de la "chair" -- comme il y en a eu d'autres naguère à la sauce Girard ou Marion). Il en reste cependant une évidence: dès qu'on "explique" des textes avec d'autres mots que les leurs (de la simple traduction à la paraphrase ou à l'interprétation théologique ou philosophique) on les "trahit", on en fait autre chose que ce qu'ils sont, et c'est inévitable car sans ça on ne pourrait même pas les lire, encore moins avoir une chance de les "comprendre", fût-ce de travers. Le concept de "personnalité corporative" (corporate personality) me rappelle par ailleurs des souvenirs, car il était à la mode dans les années 1980, en particulier chez les théologiens "évangéliques" que j'ai fréquentés à l'époque: c'était une étiquette ou un sparadrap commode que l'on pouvait coller sur un certain nombre de "problèmes" théologiques ou exégétiques, mais surtout moraux (exemplairement l'idée de rétribution collective, transgénérationnelle, qui allait d'anecdotes narratives comme celle d'Acan aux "contradictions bibliques" comme celles du Deutéronome, entre Décalogue et rétribution individuelle, et aux problèmes dogmatiques "fondamentaux" comme le "péché originel" ou l'interprétation expiatoire de la mort du Christ), en se faisant croire qu'on les avait résolus parce qu'on les avait recouverts d'un "concept"...

Nos "concepts" de "propriété" ou de "responsabilité" sont aussi anachroniques et discutables, devant une histoire comme celle d'Acan, que celui de "personnalité corporative", et ceux qui me viendraient naturellement à l'esprit comme à n'importe quel "moderne" (conception "rituelle", "magique" ou "superstitieuse") le seraient tout autant. Mais cela permet au moins de comprendre que quand on parle d'"individu" et de "collectivité" (famille, société, nation, communauté) sans s'interroger sur de telles notions on ne sait toujours pas plus que l'Antiquité de quoi on parle -- autrement dit, les questions sont toujours à poser, quoi qu'il en soit des réponses.

Sur le livre de Josué, on peut remarquer aussi, autour de la prise d'Aï, le curieux retour de la "stratégie" vraisemblable (ruse, etc.) quand le "miracle" fait défaut, même après que le "problème rituel" (sous toute réserve de formulation) a été résolu; on ne revient que progressivement au miracle pur, et alors encore supérieur à celui de Jéricho (arrêter le soleil: il faudrait relire la progression -- accidentée -- des chapitres 6--10)...
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Les guerres de Josué : origine et violence
Shmuel Trigano

La mémoire biblique des guerres de Josué

Récapitulons donc les caractéristiques de l’inscription de la violence des guerres de Josué dans la mémoire biblique.

15– Tout d’abord, elle ne concerne aucunement un récit fondateur. La fondation en effet n’est pas violence pour la pensée biblique. Elle s’inscrit dans le schéma de la création : Dieu se retire pour faire place à l’homme (c’est le sens même du shabbat, cessation de l’action créatrice après la création de l’homme, le sixième jour). La violence dérive de ce que l’homme fait de ce retrait. Saturer le vide qui en naît, le combler, constitue la violence suprême car cela revient à annuler le lieu même d’émergence de la vie et est donc au principe de tout meurtre. C’est ce que la pensée biblique a défini comme « l’idolâtrie », qui comble le vide de l’absence créatrice de Dieu : « Vous ne pourrez pas aisément servir l’Éternel car c’est un Dieu jaloux qui ne supporterait ni vos offenses, ni vos péchés. Si vous abandonnez l’Éternel pour servir les dieux étrangers, à son tour, il vous maltraitera et consommera votre ruine après avoir été votre bienfaiteur » (Jos., 24, 19-20).

16– Le surgissement d’Israël rouvre dans l’humanité ce vide fondateur. Le peuple n’en est pas le héros mais Dieu. La finalité y est la Tora et pas l’exaltation nationale. Cette dernière est au contraire systématiquement déçue. Akhan l’Hébreu veut s’approprier le butin est condamné tandis que, Rahab, la prostituée cananéenne de Jéricho, qui est présentée dans le Midrach comme l’arrière-grand-mère du roi David se voit exaltée. Le butin et les dépouilles des combats sont propriété divine. Israël ne doit rien y prélever.

17- – Dans le récit, Dieu prend en charge la violence, le sang versé par Israël si bien que le deuxième problème que pose le livre de Josué c’est la figure de Dieu comme Ish milkhama, « guerrier » qui prend en charge la responsabilité de la violence dont Israël est l’instrument. « C’est l’Éternel votre Dieu qui combattait pour vous » (23, 3). « L’Éternel votre Dieu a dépossédé à votre profit des peuples grands et considérables. Et vous, nul n’a pu vous résister jusqu’à ce jour, un seul homme d’entre vous en combattant poursuivait mille hommes, car c’est l’Éternel votre Dieu qui combattait pour vous comme il vous l’a promis. Mais veillez bien sur vous même en n’aimant que l’Éternel votre Dieu » » (23, 9-10).

18– La finalité énoncée concerne la séparation et la sainteté d’Israël, appelé à ne pas prononcer les noms des dieux cananéens, mais non la « pureté » biologique d’Israël, comme d’aucuns le pensent, un concept moderne qui n’a aucun sens dans l’univers biblique. À ces serments faillis, prononcés devant de faux dieux, on oppose le serment de Dieu de donner la terre en héritage. L’alternative est claire tout au long de la conquête : ou Moi ou « les dieux qu’adoraient vos pères au delà du fleuve » (24, 14), « les dieux des Amoréens dont vous occupez le pays » ou l’Éternel. « Repoussez les dieux que vos pères ont adorés au delà du fleuve et en Égypte et n’adorez que l’Éternel. Que s’il vous déplaît de servir l’Éternel, choisissez dès à présent qui vous voulez servir, soit les dieux qu’adoraient vos pères au delà du fleuve, soit les dieux des Amoréens dont vous occupez le pays. Pour moi et ma famille, c’est l’Éternel que nous servons » (24, 14). Le danger pour Israël, lui-même né d’une séparation d’avec l’Égypte, serait de tomber dans la fusion avec les Cananéens qui, eux-mêmes, développaient une religion tellurique fusionnelle (avec les cultes orgiaques de fertilité). C’est le sens de l’anathème sur les biens des Cananéens : Israël se voit enjoint de ne rien s’approprier (Jos, 7, 10). Si cela arrive comme avec Akhan, il ne pourra plus se tenir face à ses ennemis… Dieu se retirera. « L’Éternel votre Dieu les chassera devant vous et vous conquerrez leur pays… Mais attachez-vous résolument à observer et pratiquer tout ce qui est écrit dans le livre de la doctrine de Moïse sans vous en écarter ni à droite ni à gauche. Si vous allez avec ces peuples… l’Éternel votre Dieu cessera de déposséder ces peuples à votre profit. Ils deviendront pour vous un piège et un écueil, une verge à vos flancs et des épines dans vos yeux jusqu’à ce que vous ayez disparu de ce bon pays que l’Éternel votre Dieu vous a donné » (23, 5-6).

19– Le serment d’alliance de la Brit est toujours fondé sur la dépossession identitaire. Aimer Dieu, c’est s’engager dans une relation non fusionnelle. Quitter les dieux, c’est quitter la fusion. Ce qui est anathémisé (herem) est ce qui n’a pas renoncé à la fusion et à l’appropriation (les Cananéens, les Égyptiens, Akhan l’Hébreu). L’anathème détruit celui qui sature le vide de la séparation propre à la création (c’est-à-dire qui pratique « l’idolâtrie ». La meilleure preuve en est que Rahab quoique membre de la population anathématisée est sauvée par son ouverture à ce que symbolise Israël tandis que l’Hébreu Akhan est lapidé pour tourner le dos à ce message…

20– Cette mémoire est un témoignage contre le peuple. Josué dit ainsi au peuple « Vous êtes témoins contre vous-mêmes que c’est pour le culte de Dieu que vous avez opté. Ils répondirent « nous le sommes ». Eh bien répudiez les dieux de l’étranger qui sont au milieu de vous et tournez uniquement vos cœurs vers l’Éternel, Dieu d’Israël » (22).

https://www.cairn.info/revue-pardes-2004-1-page-13.htm
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En lisant ça, je me dis que tout discours, mais singulièrement juif, sur (et contre) l'"antisémitisme" nourrit malgré lui l'"antisémitisme", a fortiori quand il tourne à l'"antichristianisme" en déclarant le christianisme essentiellement antisémite, même et surtout si ce n'est pas sans raison. Cercle ou entrelacs vicieux s'il en est, dont on ne risque pas plus de sortir en essayant d'y répondre, de le démentir ou de le réfuter qu'en y adhérant ou en abondant dans son sens.

J'en garde tout de même l'idée, d'ailleurs classique, que toute "fondation", réelle, symbolique ou imaginaire, est "violente" par définition (ce qu'exprime incidemment le "sacrifice de fondation" déguisé en malédiction prophétique concernant Jéricho, 6,26), et que dans le livre de Josué (mais déjà dans la Torah, de l'Exode au Deutéronome, même dans la Genèse si l'on compte le déluge, la guerre mondiale fantastique d'Abraham ou le quasi-sacrifice d'Isaac) la divinité assume la violence fondatrice (je ne reviens pas sur les contradictions de l'article précité à ce propos, dignes d'un "argument du chaudron": la fondation "biblique" n'est pas "violente", elle l'est dans l'Exode et pas dans Josué, etc.); à mon sens toutefois ça n'a rien d'exceptionnel puisque la violence est toujours sacralisée, avec ou sans "Dieu", par le seul fait qu'elle est fondatrice. Celles de la Révolution française et de sa Terreur le sont aussi bien, sans "Dieu", par "la République" qu'elles instaurent, quand même celle-ci, dans un premier temps, n'a pas fait long feu: l'énième République française, rien qu'en se numérotant ainsi, se réclamera toujours de la première et de sa fondation sanglante, sanctifiée par la place même qu'elle occupe par rapport à toute suite.

Du point de vue strictement exégétique cependant, l'interprétation (ici juive, rabbinique, et morale, mais on pourrait en dire autant de beaucoup d'autres) se complique inutilement la vie: il n'y a aucune contradiction a priori entre le Décalogue et les commandements ou les récits d'extermination, même génocidaires; "tu n'assassineras pas", "tu ne commettras pas de meurtre", ce n'est pas absolument "tu ne tueras point", cela n'interdit pas plus la guerre, surtout "sainte" ou "sacrée", que la peine capitale... Voir ou revoir Broken Lullaby, "L'homme que j'ai tué", de Lubitsch (1932).

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Nous parlons de "conquête" par habitude ou par commodité, puisque c'est l'appellation ordinaire de l'"histoire sainte"; mais le verbe yrš (1,11.15; 3,10; 8,7; 12,1; 13,1.6.12s; 14,12; 15,14.63 etc.; il est encore plus fréquent dans le Deutéronome qui expose le "programme" que Josué ne fait qu'exécuter), traditionnellement rendu par "hériter", ne concerne pas seulement ni même principalement les affaires d'héritage, au sens de "succession familiale", il signifie aussi bien, selon les formes, les constructions et les contextes, entrer en possession de quelque chose (terre, ville, maison, bien), déposséder quelqu'un (d'une terre, etc.), être possédé ou dépossédé -- qu'il s'agisse d'héritage ou de transaction commerciale (achat, vente), de victoire militaire, de spoliation ou d'exaction quelconque...

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S'il y a une particularité de la "littérature" hébraïque "classique" ou "biblique" (c'est à peu de textes près le même corpus), par rapport à la grecque par exemple (probablement par rapport à beaucoup d'autres qui ont été moins riches ou moins bien conservées), ce serait peut-être de n'avoir quasiment qu'un seul "genre" narratif: là où le Grec ou l'hellénophone distingue aisément du mythe, de l'épopée, du drame tragique ou comique, généralement de forme poétique, dont une "histoire" au sens "historique" ou "historien" se dégage tardivement (à peu près en même temps que la "philosophie") par une forme prosaïque et une volonté de rigueur ou d'exactitude, même si ce n'est pas celle de l'historicité moderne puisqu'elle fait la part belle aux légendes, miracles, oracles ou autres interventions divines, l'hébreu (ou "la Bible") offre un seul (grand) type de récit, dans la "Torah" comme dans les "Prophètes": généralement prosaïque, il a toujours l'air factuel, qu'il soit plus ou moins vraisemblable, cohérent ou contradictoire, et il semble servir sans réserve ce que nous appelons des "idéologies" diverses (politiques, sociales, religieuses). On a l'impression d'un mépris total des "faits" et même de la "vraisemblance", mais c'est peut-être justement parce qu'on en attend à tort quelque chose d'"historique", à la façon antique (gréco-romaine) sinon moderne. Qu'"Israël" s'invente toutes les "origines" possibles (Mésopotamie, Syrie, Egypte, Sinaï) hormis la plus probable, celle d'une autochtonie au moins relative, pour un peuple qui linguistiquement ne diffère guère de ses voisins, dût-il pour cela inventer aussi des "Cananéens" miraculeusement hétérogènes à exterminer, c'est assez frappant -- on peut y voir les effets des exils et de la diaspora, en tirer toute sorte de leçons "spirituelles" sur la "dépossession", mais on constatera quand même que ça a des effets beaucoup moins sympathiques, quand il s'agit par exemple de faire des "autochtones" non exilés des "étrangers" (les "Samaritains"), et pour le moins ambivalents quand on fait peser sur sa propre histoire une infidélité factice à une "loi" antidatée... Je suis conscient que ces considérations sont facilement exploitables et ont été souvent exploitées dans un sens "antisémite" (le peuple sans racines, chez qui les faits, l'"être" ou l'"essence" des choses se volatilisent et qui peut transformer n'importe quoi en n'importe quoi, comme le fait essentiellement l'argent ou le langage), mais je pense qu'elles méritent réflexion dans la mesure où il s'agit d'un modèle de "culture" qui nous concerne autant qu'un autre et sans doute davantage -- il ne s'agit pas d'être "pour" ni "contre" puisque nous y sommes, que ça nous plaise ou non.
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MessageSujet: Re: LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE   LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE Icon_minitimeJeu 21 Sep 2023, 10:20

Les livres de Josué et des Juges confrontés à l'archéologie récente

ad 2. Le site de Aï (Khirbet et -Tell), à l'est de Ramallah, a été abandonné depuis le BA III (vers 2400 av. J.C.) jusqu'à l'époque du Fer I, vers 11508, où le site fut occupé pacifiquement par les  Israélites jusqu'en 1050 av. J.C. La motivation du récit biblique est à chercher dans une polémique territoriale entre la tribu de Benjamin et d'Éphraïm. Le récit de Jos 8 nous parle d'une embuscade de Josué et de sa fuite simulée, - comme stratagème semblable à celui du récit du crime de Guibéa de Benjamin contre le lévite et sa concubine (Jg 19-21). Ce récit jette la honte et le déshonneur sur Benjamin et lui applique une punition exemplaire (Jg 20,48). Le récit de Jg 20,14-28 a une sérieuse base historique (tradition liée à Béthel et à Éphraïm) et a pu servir de modèle littéraire à la composition du récit de la prise de Aï par les Benjaminites. Jos 8 serait une légende pseudo-historique qui justifierait la revendication d'autonomie de Aï et Guibéa (deux villes importantes de Benjamin) et
correspondrait à l'acte de naissance légitime pour la tribu de Benjamin après la dévastation de ses villes par Éphraïm (Jg 20). 

On peut penser également que la victoire des Benjaminites à Aï (Jos Cool est l'exact contre-pied littéraire de leur défaite historique à Guibéa (Jg 20). Le rappel du manque d'hospitalité des Benjaminites (Jg 20,4-6) est compensé par la conduite généreuse de l'homme de la montagne d'Éphraïm (Jg 19,16-21). Peut-être faut-il y voir aussi une polémique judéenne contre Saül qui avait fait de Guibéa sa résidence principale (I S
15,34). 

ad 3. Certains auteurs pensent que le traité avec les Gabaonites (Jos 9) renvoie à un souvenir réel du xne siècle av. J.C.11. Les Hivvites étaient installés à Gabaon et contrôlaient la route de BethHorôn et de la plaine d'Ayyalon. Une alliance de ceux-ci avec la tribu d'Éphraïm et de Benjamin se comprendrait parfaitement dans le but de résister aux Cananéens installés entre Béthel et Sichem et aux Philistins qui occupaient la plaine
côtière.

L'existence d'un tel accord ne peut être ni infirmée ni confirmée pour la période ancienne (xme-xiie s. av. J.C.) de l'installation. Ce qu'on peut affirmer avec certitude, c'est qu'elle a été conclue au plus tard au temps de Saül (1020-1000 av. J.C). De toute façon, l'épisode de Gabaon (Jos 10 et 11) représente probablement le seul récit vraiment ancien de la première partie du livre de Josué (ch. 1 à 12). Nadav Na'aman14 pense, pour sa part, que le pacte avec les Gabaonites n'est pas antérieur à l'époque de Saül. La famine de trois ans, au temps de David, est due à la violation par Saül de l'accord avec les Gabaonites. Pour la faire cesser, David livre sept descendants du roi parjure qui seront démembrés à Gabaon sur la montagne de Yahvé (II S 21,1-14). Le récit de la bataille de Josué contre les Gabaonites (Jos 10) aurait été construit d'après la seconde campagne de David contre les Philistins (II S 5,22-25). David avait remporté une première victoire dans la vallée des Rephaïm, lors d'une attaque frontale à Baal-Peraçîm (II S 5, 17-2 1)15. David lance une seconde attaque de nuit, par surprise, vis-à-vis des micocouliers (II S 5,23). Il poursuit les Philistins «depuis Gabaon jusqu'à l'entrée de Gézer» (v. 25), à la limite de leur territoire.

La rédaction actuelle de l'épisode de Gabaon (Jos 9-10) permet d'autant moins de dégager un texte primitif ancien du fait qu'elle est inextricablement mêlée aux prescriptions deutéronomistes sur la conduite de la guerre sainte. Dt 20,11 précise qu'on ne peut conclure un traité qu'avec des villes qui se rendent inconditionnellement et que toute la population sera soumise à la corvée. Dt 20,15 ajoute que ceci n'est valable que  pour «les villes qui sont très éloignées de toi», - ce qui explique la supercherie des Gabaonites (Jos 9,6-9). Dt 29,10 parle du «résident qui est au milieu de toi, depuis celui qui coupe ton bois jusqu'à celui qui puise ton eau», - expression parallèle à celle de Jos 9,21.23.27. 

https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_1997_num_28_2_2881
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N.B.: c'était de "l'archéologie récente" en 1997...

En tout cas ce document est un bon témoin du naufrage de "l'archéologie biblique" héritée du XIXe siècle dans le dernier quart du XXe, et du combat d'arrière-garde de beaucoup de biblistes qui y assistaient sans avoir pris la mesure de ce qui se passait et surtout sans en avoir intégré ni même compris le principe, en essayant désespérément de sauver dans des textes qui n'avaient (quasiment) rien d'historique des bribes d'historicité. Si un livre comme Josué s'est avéré NON historique (ce qui ne veut pas dire "faux" !) chaque fois que c'était vérifiable, pourquoi le présumer encore historique là où ce n'est pas vérifiable ? -- simplement parce que ce n'est pas vérifiable ?

Les ressemblances littéraires et narratives entre les textes, en revanche, méritent d'être notées, ici entre la prise d'Aï et celle de Guibéa, tout aussi laborieuse, dans les annexes des Juges (qui présentent bien d'autres analogies évidentes, avec l'histoire de Sodome et Gomorrhe dans la Genèse, ou avec les histoires de Saül dans 1 Samuel). Dans tous ces récits il y a sans doute de l'histoire (au partitif), de la poussière d'histoire longtemps recyclée par des traditions locales et orales, à leur tour utilisées comme matériau dans la construction des récits "bibliques" et du "grand récit" de l'"histoire sainte". Mais les textes ont leur intérêt en eux-mêmes, indépendamment de "l'histoire" qu'on peut (ou non) imaginer "derrière" ("ce qui s'est vraiment passé") et de leur exploitation confessionnelle ultérieure.

En tout état de cause, le détail ne devrait pas nous faire perdre de vue les choses évidentes qui ne sont jamais dites, qui seraient plutôt tues, niées ou déniées, à la limite de la "malhonnêteté intellectuelle", dans ce genre d'article: l'opposition entre "Cananéens" et "Israélites", nécessaire non seulement à la "Conquête" de Josué mais à tout ce qui la précède dans la Torah, depuis Abraham et les Patriarches de la Genèse, l'Exode et le désert, est un pur artifice, aberrant à tous les points de vue (historique, géographique, ethnique, linguistique, culturel, religieux) sauf celui du "récit biblique" (ou de l'"histoire sainte"). Cela ne veut évidemment pas dire que la population d'"Israël" / "Canaan" est parfaitement homogène et intégralement autochtone, il y a eu comme partout des invasions et des dominations extérieures (hittite p. ex. bien avant la Syrie, l'Assyrie ou Babylone évoquées dans les textes "bibliques), des migrations et des influences (d'Egypte, des "Peuples de la Mer" dont les "Philistins", Syrie, Phénicie, Transjordanie), des guerres et des fusions de clans, mais cela n'a guère de rapport avec ce que nous avons appris dans l'"histoire sainte"...
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Citation :
Nous parlons de "conquête" par habitude ou par commodité, puisque c'est l'appellation ordinaire de l'"histoire sainte"; mais le verbe yrš (1,11.15; 3,10; 8,7; 12,1; 13,1.6.12s; 14,12; 15,14.63 etc.; il est encore plus fréquent dans le Deutéronome qui expose le "programme" que Josué ne fait qu'exécuter), traditionnellement rendu par "hériter", ne concerne pas seulement ni même principalement les affaires d'héritage, au sens de "succession familiale", il signifie aussi bien, selon les formes, les constructions et les contextes, entrer en possession de quelque chose (terre, ville, maison, bien), déposséder quelqu'un (d'une terre, etc.), être possédé ou dépossédé -- qu'il s'agisse d'héritage ou de transaction commerciale (achat, vente), de victoire militaire, de spoliation ou d'exaction quelconque...


Les trois racines d'une théologie de la « Terre » dans l'Ancien Testament 

Si le thème de la promesse est le plus fécond parce qu'il est créateur d'histoire, il convient de ne pas négliger deux autres composantes voisines qui ont leur importance pour une théologie de la terre. Dans son étude susmentionnée sur l'héritage, le P. Dreyfus fait remarquer que « l'héritage de Dieu, c'est le peuple et non une terre » (op cit p. 31) et pense qu'il faut faire entrer ce concept dans une théologie de l'alliance et non dans une théologie de la terre ; c'est certainement exact, mais il est certain aussi que le terme de nachalah, comme d'ailleurs ses synonymes et associés tels que chalaq, yarash, 'achaz évoquent des réalités territoriales ou immobilières qu'on possède et qu'on partage. Les textes où il est question d'Israël comme héritage de Yahweh appliquent l'expression au peuple plutôt qu'au pays ; le seul texte explicite où l'héritage concerne le pays est I Sam 26, 19 : David étant chassé de son territoire est coupé de son héritage, mais il faut se demander si dans I Sam 10. 1 2 Sam 21.3 20.19 l'idée de terre n'est pas sous-jacente à celle de peuple. 

Les promesses relatives au pays insistent à plusieurs reprises sur les limites du pays, car un pays n'existe que lorsqu'il a des frontières bien définies, mais il faut remarquer que dans la plupart des textes qui s'expriment à ce sujet, ces frontières sont plus idéales que réelles. Un texte classique comme Deut 11.24 veut exprimer la totalité à l'aide des quatre points cardinaux : désert (sud) Liban (nord) Euphrate (est) mer occidentale (ouest), encore que ces représentations idéales prennent parfois un appui dans la réalité telles qu'elle se présentait par exemple au temps de David, ainsi les expressions « du torrent d'Egypte au grand fleuve » (Gn 15.18) ou « du torrent d'Egypte a Lebo Hamath (Jug 3.3 I Rois 8.65 Am 6.14). Les frontières ont une importance grandissante en fonction des menaces qui pèsent sur elles, et Israël en a fait à maintes reprises l'expérience.  Il est cependant significatif qu'il ait résolu le problème moins par la nécessité de se défendre que par l'utopie de la foi, parce que la terre était toujours et avant tout, terre promise et terre de Dieu ...

... Un autre exemple d'utopie venant au service de l'histoire est l'obligation de parcourir le pays en long et en large comme gage de la possession future : c'est le cas pour Abraham (Gn 12) et quand après sa séparation d'avec Loth, il contemple le pays dans les quatre directions, son regard équivaut à une prise de possession, de même le pays contemplé par Moïse du haut du Mont Nebo n'est pas la réalisation du suprême désir d'un mourant, il s'agit pour le narrateur de montrer que Moïse est le véritable propriétaire du pays (Deut 34.1-4).


https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1975_num_55_4_4296
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C'est encore plus vieux (1975), mais ça me rappelle des souvenirs, d'un cours d'Emile Nicole à Vaux-sur-Seine dans les années 1980, qui dialoguait en particulier (et en différé) avec Edmond Jacob sur ce thème de la "terre" qui était assez "chaud" dans les milieux "évangéliques" soumis à une forte influence américaine et "sioniste"... ce sur quoi Nicole se montrait encore plus réservé que Jacob, peut-être aussi parce qu'il était mieux placé pour voir les dégâts dudit "sionisme évangélique".

Evidemment on n'y comprend rien si l'on ne revient pas aux "fondamentaux" du polythéisme ancien, spécialement levantin et proche-oriental, où le "dieu" (tutélaire), le "peuple" et la "terre" font un "lot", aussi au sens du "tirage au sort" inséparable des notions d'"héritage" et de "patrimoine" (ou du "destin", moira à la grecque; sachant qu'il n'y a pas de "hasard", ou que le hasard et la "volonté des dieux" ne font qu'un). Ce qui peut s'exprimer indifféremment à partir des trois positions: 1) à chaque dieu (tutélaire) son peuple et sa terre, 2) à chaque peuple son dieu et sa terre, 3) à chaque terre son dieu et son peuple. Perspective qui ne fait qu'effleurer dans les textes "bibliques", par exemple en Deutéronome 32,8s (à la faveur du décalage entre les textes qoumranien, massorétique et septuagintique) ou dans le dialogue de Jephthé en Juges 11 (malgré la confusion entre Moab et Ammôn: Yahvé a son peuple et sa terre comme Kamosh a son peuple et sa terre, telle est la règle "diplomatique" qui permet de gérer les conflits territoriaux); ou encore quand un David chassé de sa terre par Saül s'estime condamné à servir d'autres dieux, ou quand un Naaman demande de la terre d'Israël pour adorer Yahvé.

L'ironie amère, c'est que l'antisémitisme s'est particulièrement construit sur l'idée contraire du peuple sans terre, correspondant au judaïsme phariséo-rabbinique consécutif aux guerres judéo-romaines: peuple supposé menacer les valeurs de la terre par des valeurs sans terre, celles du commerce et de la finance qui délocalisent ou disloquent tout en transformant n'importe quoi en n'importe quoi...
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”Canaan ou le don d’une terre déjà habitée”
Katell Berthelot

Une terre qui appartient à d’autres ?

Si certains textes bibliques utilisent l’expression « terre (ou : pays) d’Israël » (Eretz Israel ou encore Ademat Israel), dans la plupart des passages de la Torah, la terre est appelée « terre (ou : pays) de Canaan », ou encore « la terre » tout court. L’utilisation récurrente de l’expression « terre de Canaan » pour désigner la terre d’Israël a posé question aux commentateurs juifs de l’Antiquité. Elle peut en effet être interprétée comme signifiant que la terre appartenait à l’origine aux Cananéens. Le midrash Sifra sur le Lévitique témoigne du caractère problématique de cette interprétation aux yeux de certains sages. Lorsqu’il commente Lévitique 20, 24, verset où Dieu déclare à Israël : « Je vous donnerai (la terre) en héritage », l’auteur du midrash attribue alors à Dieu les propos suivants :

« Dans le futur je vous donnerai (leur terre) en héritage éternel ( םלוע תשורי( .Et si vous dites : “Tu ne peux nous donner que ce qui appartient à d’autres ?”, (je vous répondrai Smile N’est-elle pas à vous ? La terre n’est autre que la part ( קלח ( de Shem, et vous êtes les enfants de Shem, tandis qu’eux (les Cananéens) ne sont que les enfants de Ham, et quelle est leur part (litt. : leur bien) dans le pays, sinon d’en être les gardiens jusqu’à ce que vous y veniez ? » (Sifra, Qedoshim, perek 11 [5, 2]).

Il faut s’arrêter un instant sur la question que le midrash attribue potentiellement à Israël : « (Toi, Eternel), tu ne peux nous donner que ce qui appartient à d’autres ? » ( םירחאלשמ אליא ונל ןתת ךל ןיא( . Cette interrogation porte en elle une remise en question radicale de la providence et de la justice divines. Dieu ne pouvait-il pas donner à son peuple une terre libre d’occupants ? Ne pouvait-il pas préserver la terre qu’il destinait à Israël de toute installation humaine intempestive ? Enfin, la dépossession des Cananéens était-elle légitime si à l’origine la terre leur appartenait ?

https://shs.hal.science/halshs-01474601/document
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Merci pour cet excellent petit article, qui montre bien comment l'idée de la "conquête" (non seulement dans le livre de Josué mais dans tous les textes de la Torah qui en constituent le "programme") est devenue problématique pour le judaïsme pharisien et rabbinique à l'époque romaine, au point d'appeler plusieurs explications et justifications contradictoires entre elles. Il y a évidemment à cela des raisons "politiques": après les guerres judéo-romaines, l'image d'un peuple guerrier était ruineuse pour le judaïsme, il fallait donc réduire les récits de guerre à des circonstances exceptionnelles et non reproductibles; mais c'était aussi une affaire de "sensibilité morale", qui se ressent dans d'autres domaines: ainsi  la Torah prescrivait généreusement la peine capitale, en "Israël" même, mais l'interprétation rabbinique la neutralisera le plus souvent en multipliant les conditions au point de la rendre pratiquement impossible. On voit bien tout le danger pour un judaïsme moderne, contemporain de l'Etat d'Israël, qui tend à court-circuiter toute sa tradition herméneutique pour retrouver "la Bible" dans sa littéralité la plus brutale, aussi sous l'influence des "fondamentalistes" chrétiens qui prennent les récits pied de le lettre.

D'un tout autre point de vue, historique, il faut rappeler que "Canaan" est d'abord, des millénaires avant tout texte "biblique", une appellation géographique plutôt qu'ethnique, désignant grosso modo ce que nous appelons le Levant, toute la zone côtière à l'est de la Méditerranée, du Sinaï à la Phénicie incluse, dont "Israël" fait naturellement partie, et qui parle pour l'essentiel des langues "sémitiques" en dépit des invasions et des dominations du nord (p. ex. hittite, bien avant la Mésopotamie) ou du sud (Egypte). C'est donc l'assignation des "Cananéens" bibliques, dès la table des nations de la Genèse, à une tout autre "famille" ethnique (celle de Cham, associée à l'Afrique, à commencer par l'Egypte), qui est l'aberration principale. A partir de là on est donc dans une "ethnologie" parfaitement fantaisiste, dont on peut faire n'importe quoi.

D'autre part la construction même des textes "bibliques" en un grand récit (sinon encore un grand livre) les amène à se contredire, sans doute plus que leurs "auteurs" ne l'auraient voulu: l'installation des Patriarches venus de Mésopotamie ou de Syrie en Canaan dans la Genèse est plutôt pacifique, négociée, transactionnelle (cf. notamment l'histoire de la tombe de Sara, chap. 23), mais elle doit ménager une place pour les récits de l'Exode ou du Sinaï (d'où le roman de Joseph), et pour la "conquête" (d'où la malédiction de Canaan, la "table des nations" et la prédiction de Genèse 15); de même l'idée des "enclaves cananéennes" et d'une conquête inachevée dans le livre de Josué est nécessaire pour justifier les récits militaires des Juges, de Saül ou de David. La plupart des "problèmes" s'expliquent par des motifs littéraires et narratifs, par le besoin de cohérence du "grand récit" en train de se former, plutôt que par l'"histoire" ou même par des "traditions" (dont les traces sont sans doute nombreuses, mais fragmentaires, éparses et méconnaissables).
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Le livre de Josué : De la conquête au dernier des Justes 
Jacques Cazeaux

Une signature symbolique

Le dernier épisode de la grande parenthèse qui interrompt le récit de la chute de Jéricho est éloquent. C’est une scène étrange, manifestement décisive pour la compréhension de l’ensemble. Josué voit un homme épée en main. Josué va au-devant de lui et lui demande s’il est à nous ou à nos oppresseurs. L’homme se présente alors comme le prince des armées du Seigneur (chap. 5, v. 13-15). Il répond tout d’abord à la sommation « Non, car je suis le prince… » Il n’est en somme ni de « nous » ni des « oppresseurs », mais d’une armée supérieure, surplombant pour ainsi dire les antagonistes. D’autre part, la mention des armées a naturellement parlé au lecteur dans un sens offensif : il attend que le messager céleste donne à Josué une mission de guerre, voire une tactique. Sur le coup, la réponse est toute différente : comme à Moïse, jadis, il est demandé à Josué de se déchausser pour se tenir sur une terre sainte… La réponse militaire attendue va venir ensuite, mais sous une forme à son tour inattendue : c’est une procession liturgique, l’Arche en tête, qui viendra à bout de Jéricho, et les armes de Josué comme les armées du Seigneur n’y donneront aucun coup (chap. 6, début). Que Josué, tel Moïse, ait dû se déchausser, c’est le signe que la Terre ne lui appartient pas, cette Terre qu’il va pourtant conquérir. L’entreprise effective, la Conquête, ne se résorbe pas en elle-même. Que de raideurs, d’opiniâtretés aveugles seraient évitées dans les plus saines des actions, politiques et autres, si le responsable pouvait sentir devant lui la présence d’un Autre, d’autre chose, une distance. C’est parce qu’Abraham était toujours attentif à la Voix, plus qu’au contenu précis de Son commandement, qu’il a pu entendre l’ordre d’épargner Isaac qui suivait l’ordre de le sacrifier. Il n’aurait rien entendu, s’il était resté rivé à son idée propre, s’il avait fait sien, précisément, l’ordre premier du Seigneur, cet ordre qui restait du Seigneur et non de lui, Abraham. Et ce n’est pas la suite qui va nous faire oublier cette distance, ce surplomb, cette ouverture idéale de la conscience d’Israël.

L’affaire « Gabaon » (chap. 9-10, v. 27)

On ne s’étonnera plus que la conclusion du double épisode de Jéricho et de Aï nous montre la proclamation solennelle de la Loi sur le mont (chap. 8, v. 30-35). L’anachronisme est flagrant : il faudrait avoir pacifié le pays pour se livrer à cette proclamation. Mais on notera l’insistance mise par le bref récit sur la présence d’un tout Israël qui englobe les émigrés : une inclusion significative marque leur importance, puisque la lecture même de la Loi est prise entre leurs deux mentions (chap. 8, v. 33b puis 35b).

 Survient alors l’épisode tragi-comique des Gabaonites. Comme l’affaire de Jéricho, celle-ci se dédouble. Le chapitre 9 raconte la ruse des Gabaonites, qui s’introduisent frauduleusement dans l’alliance d’Israël ; le long chapitre 10 fait rebondir l’affaire : les Gabaonites sont exposés à une guerre, et Josué les défend. Ce simple résumé des deux sections en montre l’ironie. C’est donc pour défendre des ennemis retors et parjures qu’Israël se remet en campagne. Du point de vue d’un mathématicien philosophant en logique, l’on voit qu’après avoir paru assurer l’extension d’Israël, le chroniqueur étudie sa compréhension. Il ne s’agit plus d’asseoir son monde selon un mouvement centrifuge, mais d’en protéger une parcelle, selon une réaction centripète. Le paradoxe vient de ce que cette parcelle est plus noire que les assaillants qui la menacent et encore moins d’Israël originairement que le ramassis emporté d’Égypte, jadis… Certes, l’on peut souligner ici le respect d’Israël pour les accords, les alliances, les conventions signées ou scellées – ou « coupées ». Mais l’essentiel reste que la définition d’Israël en est fortement ébranlée – ou sublimée.

https://www.cairn.info/revue-pardes-2004-1-page-43.htm
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J'ai d'abord été rebuté (et quelque peu déçu, s'agissant de Cazeaux que nous avons eu l'occasion d'apprécier précédemment) par le tour "apologétique" de l'introduction, et par la naïveté apparente qui consiste à attribuer au "génie" conscient, intentionnel, d'un "rédacteur ultime" (§ 2), des effets d'écriture qui échappent à toute maîtrise. Mais la suite vaut bien qu'on ne s'arrête pas là, car la lecture de Josué qu'elle propose se montre remarquablement attentive et perspicace, et mériterait qu'on y revienne aussi sur d'autres passages.

Je m'en tiens pour le moment à la portion que tu cites.

C'est un choix discutable (donc aussi défendable) que de traduire çr/çar par "oppresseur(s)", d'après une étymologie possible (çrh, serrer, restreindre, contraindre, d'où aussi détresse, angoisse, etc.) plutôt que par "ennemi(s)" ou "adversaire(s)", qui paraît ici plus "naturel": le mot fonctionne très souvent en parallélisme avec 'yb/'oyev, le terme le plus courant pour "ennemi(s)", ce qui suggère une quasi-synonymie fonctionnelle. Pas plus loin qu'en Deutéronome 32,27.41.43 il s'applique aussi aux ennemis-adversaires de Yahvé, on hésiterait à dire ses "oppresseurs", encore que ce ne soit pas totalement exclu... En tout état de cause, si on l'interprète ainsi cela marquerait plutôt la distance entre le récit de la conquête irrésistible (tout au moins dans le récit de la prise de Jéricho) et la situation réelle d'"Israël" ou de "Juda" qui, de l'époque assyrienne à l'époque hellénistique, n'ont guère eu d'"ennemis" que des supérieurs, royaumes ou empires dont ils étaient vassaux, fidèles ou rebelles, ou simples provinces.

Les remarques sur le "déchaussement" du chapitre 5, en contraste avec la notion même de conquête, dépossession vs. prise de possession (yrš), me paraissent excellentes. En ce qui concerne les "émigrés" du chapitre 8, ce sont plutôt des "résidents étrangers" (gr/ger) qui supposent un Israël déjà installé (ce qui s'inscrirait plutôt bien dans la lecture de Cazeaux). Quant aux Gabaonites, on a déjà vu plus haut le rapport complexe du récit de Josué avec d'autres, notamment ceux de Saül dans 1 Samuel.

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En dehors de ton extrait, me paraissent particulièrement pertinentes les remarques relatives à l'histoire d'Akan (chap. 7), interprétée dans un sens "anti-monarchique": l'insistance sur (la tribu de) Juda est évidente (v. 1,16ss), le suspense de sa désignation (implicitement par le procédé des "sorts sacrés", façon ourim/toummim, où la divinité ne répond que par oui ou par non, contrairement à la communication directe de Yahvé à Josué dans le même chapitre) y insiste encore. Mais là encore il faut souligner que l'"anti-monarchisme", qui serait tout à fait à contresens d'une "réforme de Josias", prend encore un autre sens aux époques où la "monarchie" n'est plus qu'un passé révolu sans espoir de "restauration". D'autre part, la lecture des épisodes relatifs aux tribus orientales (à l'est du Jourdain) me semble aussi intéressante, non seulement en rapport avec le prétendu "schisme" (Juda / Israël ou Ephraïm, Jérusalem / Samarie) mais avec l'ensemble des exils et de la diaspora.
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MessageSujet: Re: LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE   LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE Icon_minitimeJeu 05 Oct 2023, 11:50

Une frontière pour se reconnaître et vivre ensemble. Réflexions sur la territorialité dans quelques récits de l’Ancien Testament
Dany Nocquet

Remarques d’ensemble

En projetant la fidélité exemplaire des tribus de Transjordanie, à l’époque de Josué, époque idéale de respect de la loi aux commencements d’Israël, ce texte a une triple visée.

1 – Avec Nb 32, Jos 22 souligne combien Israël de l’intérieur est redevable de l’Israël de l’extérieur dans l’accomplissement de la promesse du pays. Ces deux textes élargissent la notion du pays promis. Une territorialité de la promesse reconnaît les frontières en les enjambant.

2 – Ce passage laisse entendre avec humour qu’à l’époque de Josué, il y a déjà le respect scrupuleux d’une centralité du culte yahwiste ; mais bien avant le temps de Jérusalem, les Israélites unis ont respecté cette règle avec le sanctuaire nordiste de Silo, le lieu de la demeure de Yhwh.

3 – En utilisant la phrase « vous n’avez pas de part avec nous », l’auteur prend position contre l’attitude exclusiviste de Néhémie ; Jos 22 réagit à l’exclusion des Samariens et des yahwistes d’origine ammonite de la construction de Jérusalem par Néhémie (Ne 2, 20) :

Je leur fis cette réponse : Le Dieu du ciel nous fera réussir. Nous, ses serviteurs, nous bâtirons ; mais vous, vous n’avez ni part, ni droit, ni évocation dans Jérusalem [Ne 2, 20] (NBS).

Jos 22 est une apologie de ceux qui vivent leur foi yahwiste en dehors de la Judée, validant à la fois l’orthodoxie religieuse et cultuelle, et à la fois l’identité israélite de la diaspora et de Samarie. En faisant de l’autel construit sur le Jourdain le témoin de la nouvelle foi yahwiste d’Israël au Dieu unique, ce texte étonnant relativise la centralité jérusalémite, en appelant à une unité qui légitime différentes appartenances territoriales devant Yhwh, différences marquées par des frontières.

En montrant combien la Transjordanie est un lieu habitable pour une partie d’Israël et un lieu propice au culte de Yhwh depuis la sortie d’Égypte, Jos 22 (avec Nb 32) est la trace vive d’une réflexion sur la situation religieuse de la diaspora et de la Samarie à l’égard de la Judée et du temple de Jérusalem à l’époque perse. Bien d’autres textes, en lien avec l’au-delà du Jourdain, déploient une empathie remarquable auprès de territoires étrangers et de peuples qui vivent dans leurs frontières légitimes (Gn 19, 30-38 ; Nb 22-24 ; Dt 2, 8-23).

https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2017-HS-page-51.html
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MessageSujet: Re: LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE   LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE Icon_minitimeJeu 05 Oct 2023, 14:16

Excellent article de Nocquet (2017; accessible aussi par ici), qui développe mieux que je ne l'aurais rêvé l'intuition que je me contentais de suggérer à la fin de l'échange précédent, en réaction à l'article de Cazeaux: la "Transjordanie" de Nombres 32 et Josué 22 comme image du rapport de la "terre" d'Israël = Canaan à la diaspora. A noter qu'il intéresserait autant d'autres textes examinés dans une perspective semblable (Genèse pour les Patriarches, Exode pour Jethro), avec un pas supplémentaire de la diaspora aux "païens" (non-Juifs, non-Israélites, non-Hébreux inclus dans un monothéisme universel, incluant même les polythéismes).

Force est de reconnaître que le "livre" de Josué, dont on retient habituellement l'exclusivisme le plus violent, exterminateur et génocidaire, est aussi idéologiquement divers que beaucoup d'autres. On peut d'ailleurs remarquer que la frontière sollicitée de l'extérieur au chapitre 22 le sera ensuite de l'intérieur, au terme du long discours d'adieu (chap. 23--24) qui s'achève sur l'inquiétante possibilité que Josué-Jésus soit (avec sa "maison") le seul fidèle, dissuadant presque les tribus de renouveler une alliance qui ne peut aboutir pour l'ensemble du peuple qu'à une (auto-)malédiction... Non seulement on ne perdrait rien à être "dehors", mais on ne gagnerait pas forcément à être "dedans"...
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L'interprétation rabbinique du commandement d'anathème sous la conquête de Canaan
Entre « Tu l'inviteras au préalable à la paix » (Dt 20:10) et « Tu ne laisseras subsister aucune âme » (Dt 20:16)

La cruauté du précepte d’anathème

Les injonctions de la Tora concernant la conquête de la terre de Canaan par les Hébreux sortis d’Égypte sont particulièrement violentes et extrêmement choquantes pour la conscience moderne. Prises au premier degré, elles requièrent ni plus ni moins l’éradication des peuplades autochtones, comme en témoigne le verset suivant :

Quand l’Éternel ton Dieu te les aura livrés entre tes mains et que tu les auras vaincus, voue-les à l’anathème et ne conclus aucun pacte avec eux, ni ne les laisse en place. (Dt 7:2)

Le sens précis du terme « anathème » (hèrèm) avec ses implications varie quelque peu dans la littérature biblique mais dans le contexte d’une bataille, il s’agit clairement et essentiellement d’une extermination totale de la population. Ainsi en va-t-il dans la guerre menée par Moïse contre Sihon, roi de Hechbon, avant même l’entrée en Canaan :
 
Nous prîmes alors toutes ses villes, et nous frappâmes d’anathème toute ville où se trouvait encore âme qui vive, y compris femmes et enfants ; nous ne laissâmes pas un seul survivant. Nous ne prîmes pour nous que le bétail et le butin des villes conquises. (Dt 2 : 34-35)

Un long passage du Livre de Josué rapporte la mise en œuvre méticuleuse et systématique de cette éradication :

Ce même jour, Josué avait pris Makkéda, l’avait passée par les armes et avait voué à la mort son roi ainsi que tous les habitants, sans épargner personne. Il procéda pour le roi comme il l’avait fait pour celui de Jéricho. De Makkéda, Josué marcha avec tout Israël sur Libna à qui il livra bataille. L’Éternel la fit également tomber, elle et son roi, aux mains d’Israël qui en passa tous les habitants au fil de l’épée, sans en épargner un seul, et qui fit à son roi ce qu’il avait fait au roi de Jéricho […]. (Jos 10 : 28-30. La litanie macabre se poursuit jusqu’au verset 43)

La raison d’une telle intransigeance est explicite :

Tu ne feras point de pacte avec eux ni de compromission avec leurs divinités. Qu’ils ne subsistent point sur ton territoire car ils te feraient prévariquer contre Moi, de sorte que tu en viendrais à adorer leurs divinités, et ce serait pour toi un écueil. (Ex 23 : 32-33)

Les ambiguïtés bibliques

Malgré les injonctions répétées d’anathème, certains passages bibliques laissent entrevoir que les choses ne se seraient pas toujours passées selon ces directives. Le Livre de Josué rend compte lui-même de populations appartenant à diverses bourgades qui n’ont été ni décimées ni même expulsées mais seulement soumises au tribut (Voir également : Jos 15 : 63 ; 16 : 10) :

Les fils de la tribu de Menachè ne purent déposséder la population de ces villes, les Cananéens étant résolus à demeurer dans ce pays. Devenus plus forts, les Israélites soumirent les Cananéens à un tribut mais ne les expulsèrent point. (Jos 17 : 12-13)

Et plus tardivement, dans l’histoire d’Israël, Salomon épargne les Cananéens de son temps :

Toute la population survivante des Amoréens, des Héthéens et des Jébuséens, des Phérézéens, lesquels ne font pas partie des enfants d’Israël, et tous leurs descendants qui étaient après eux dans le pays, les enfants d’Israël n’ayant pu les exterminer, Salomon les soumit au tribut, ce qu’ils font encore aujourd’hui. (I R 9 : 20-21)

Ce texte, comme d’autres qui seront relevés par l’interprétation rabbinique, laisse entendre que ce n’est pas toujours par incapacité mais bien par décision délibérée que des villes cananéennes furent épargnées. L’un de ces textes, qui justement proclame que la rude besogne a été correctement accomplie, présente un message paradoxal :

Pendant de longs jours, Josué guerroya avec tous ces rois. Pas une seule ville, à l’exception des Hévéens habitant de Gabaon, ne se soumit pacifiquement aux enfants d’Israël et ils durent les conquérir, une à une, par les armes. Dieu en effet avait résolu de déterminer leur cœur à engager la lutte contre Israël afin qu’ils soient décimés sans merci et qu’ainsi, ils soient anéantis comme l’avait ordonné l’Éternel à Moïse.
(Jos 11 : 18-20)

Certes, Dieu est désigné comme ayant « endurci le cœur » des rois cananéens – comme jadis celui de Pharaon – de sorte qu’ils s’engagèrent dans la bataille et périrent. Mais la reddition, plutôt que la lutte, est présentée comme une alternative qui aurait été bel et bien légitime et effective. Cette politique ne peut donc être mise simplement sur le compte d’une faiblesse ou d’une désobéissance à l’injonction divine.

La tâche de l’exégèse rabbinique consista précisément à tenter de lever ces ambiguïtés. En somme, il s’agissait de définir à quelles conditions il était possible, sinon obligatoire de surseoir à l’anathème. Deux raisons principales au salut des peuplades se laissent identifier : la reddition et la repentance. Nous allons en examiner les modalités telles qu’elles ont été discutées dans la littérature rabbinique.

https://www.cairn.info/revue-pardes-2004-1-page-63.htm#re4no4
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