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| Qu'-est-ce que l'histoire ? (humour) | |
| | Auteur | Message |
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Sherlock
Nombre de messages : 442 Age : 56 Date d'inscription : 09/04/2008
| Sujet: Qu'-est-ce que l'histoire ? (humour) Ven 29 Aoû 2008, 16:44 | |
| Salut à tous ! A méditer pour ceux qui restent le nez plongé dans les bouquins " Si Dieu avait voulu que l'on prit la Vie sérieusement, il ne nous aurait pas donné le sens de l'humour."Cheers |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Qu'-est-ce que l'histoire ? (humour) Ven 29 Aoû 2008, 22:01 | |
| Bonsoir à tou(te)s, En contrepoint, la formule de Stephen Dedalus dans l'Ulysse(s) de James Joyce: History is a nightmare from which I am trying to awake. (L'histoire est un cauchemar dont j'essaie de me réveiller.) |
| | | VANVDA
Nombre de messages : 1610 Date d'inscription : 09/05/2008
| Sujet: Re: Qu'-est-ce que l'histoire ? (humour) Sam 30 Aoû 2008, 12:48 | |
| La phrase est superbe!
Disons simplement qu'elle n'a pas la même saveur dans Calvin & Hobbes que dans la bouche de Robert Faurisson. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Qu'-est-ce que l'histoire ? (humour) Mer 12 Jan 2022, 13:08 | |
| Je ressuscite ce fil (14 ans plus tard, il ne devrait même plus "sentir" comme Lazare au quatrième jour) pour son titre (sauf "l'humour" entre parenthèses, en plus d'un sens du "sauf": il ne perd rien pour attendre). L'"histoire" est à l'évidence un " aspect" essentiel du "temps": on ne peut pas séparer "l'histoire" du "temps" comme un "contenu" d'un "contenant", on peut pourtant parler du "temps" (presque) sans parler d'"histoire" (c'est ce que feraient notamment le psaume 90 ou Qohéleth évoqués dans le lien précédent). La chose paraît d'autant plus complexe que le mot français "histoire" ne distingue pas du tout ce que d'autres langues distinguent diversement ( history et story en anglais, Historie et Geschichte en allemand): événement et récit, histoire "vraie" ou fiction (mythe, épopée, drame tragique ou comique, légende, fable, conte, roman etc.), histoire collective ou individuelle (biographie, histoire personnelle, familiale, nationale, mondiale, délimitée conventionnellement par l'invention de l'écriture -- par opposition à la "préhistoire", mais tous les peuples n'ont pas la même histoire de l'écriture, les Gaulois ou les "Indiens d'Amérique" n'étaient pas "préhistoriques" pour autant, pas plus qu'un illettré contemporain ne serait "préhistorique" -- ou au contraire indéfiniment extensible, histoire naturelle, histoire de l'univers). Métonymie sans commencement ni fin assignables de l'"histoire" et de l'"écriture", qui précéderaient et déborderaient toute "histoire" et toute "écriture" déterminées et lui succéderaient encore, sans cesser d'être foncièrement la même chose, "de l'histoire" et de l'"écriture". L'"histoire" saisit la "pensée" (humaine) par son caractère à la fois irréversible, incontournable et contingent: ce qui a eu lieu a eu lieu, d'après Agathon cité par Aristote même les dieux n'y pourraient rien changer, et pourtant rien n'y paraît strictement nécessaire, contrairement à la "mathématique" par définition intemporelle et anhistorique, même s'il y a aussi une histoire des mathématiques. Penser l'histoire effective, c'est toujours la rapporter à la virtualité d'une autre histoire ou d'une absence d'histoire (de la page blanche à l'uchronie ou à la dyschronie), autrement dit à un "irréel": tout ce qui s'est passé ou produit aurait pu aussi bien ne pas se passer ou ne pas se produire, rien n'était "écrit" ou tout n'a jamais été qu'écrit et aurait pu s'écrire différemment (on retrouve par là aussi un rapport non moins métonymique de l'histoire à l'écriture). Ce sentiment de "contingence" se colore d'affections et de jugements divers (pessimisme ou fatalisme, optimisme ou enthousiasme du "destin", déclin ou décadence, providence ou progrès, indifférence ou détachement): ce qui est pour Stephen Dedalus un cauchemar (cf. supra) peut être un rêve merveilleux pour d'autres, mais l'impression "onirique" est la même, paradoxalement confirmée par l'impossibilité du réveil. On n'échappe pas à l'histoire et pourtant on ne penserait même pas l'"histoire comme telle" sans se donner l'illusion d'y échapper (par la religion ou la philosophie, la contemplation, l'action ou la création, la poésie, la littérature et l'art en général) -- bien que toutes ces "échappées" soient aussitôt rattrapées par l'histoire et deviennent à leur tour de l'histoire. Reste la question essentielle des "leçons de l'histoire", qui est aussi le rapport des "échappées" provisoires à l'histoire apprise, comprise, interprétée d'une certaine manière. Il n'est sans doute pas de "sagesse" qui n'ait entendu tirer des leçons de l'histoire ( via l'observation, l'expérience, l'analyse, la déduction ou l'induction et la prescription), variables selon la position des sages (sagesse du paysan, de l'artisan, du commerçant, du mendiant, du berger ou du nomade, du propriétaire terrien ou bourgeois, du roi, du courtisan, de l'empereur, ce n'est assurément jamais la même et pourtant il y va toujours d'une interprétation de l'histoire). Si c'est immémorial à défaut d'être intemporel, il y a aussi une histoire de l'histoire, et des époques où l'histoire et le sens de l'histoire prennent un tour remarquable (ç'a été notamment le cas du XIXe siècle européen, à partir de Hegel): socialismes, fascismes, progressismes politiques, sociaux, moraux, scientifiques et techniques avec les "réactions" qu'ils déterminent, tout cela dépend d'une certaine interprétation de l'histoire dont on déduit au jour le jour des décisions qui "font l'histoire", toujours de façon contingente et arbitraire. De ce rapport à l'histoire nous ne sommes absolument pas "sortis", malgré ce qu'on a appelé un peu vite la "fin des idéologies". |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Qu'-est-ce que l'histoire ? (humour) Jeu 13 Jan 2022, 11:31 | |
| Le rôle de l'historien selon Hegel : la science de l'Histoire
La réussite de l’historien est sa capacité à comprendre les processus. Tous les événements, les individus et les institutions sont un processus en constante évolution. Rien n'est éternel, sauf le changement lui-même: ainsi, le défi ultime pour tout historien est sa capacité à comprendre l'interdépendance, à la fois temporelle et logique, entre les événements, les individus et les institutions. Toutes les évènements sont le résultat direct de l'affrontement entre deux forces opposées; en saisissant cette dialectique, les historiens peuvent comprendre pourquoi les événements se produisent. Les individus jouent un rôle important dans la création de leur propre histoire, mais en tant qu'individus, ils sont incapables de comprendre leur propre rôle dans le grand « plan de la Providence »
Ainsi, la science historique selon Hegel est une science globale : une histoire qui ne serait pas pétrie par les questions culturelles, intellectuelles, religieuses, sociales, géographiques, morales et technologiques serait une histoire inefficace. Rien de ce qui contribue au caractère d'un peuple ne peut être ignoré.
https://la-philosophie.com/hegel-histoire
Les leçons de l'histoire, HEGEL :
https://www.philolog.fr/les-lecons-de-lhistoire-hegel/ |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Qu'-est-ce que l'histoire ? (humour) Jeu 13 Jan 2022, 12:53 | |
| Hegel est plus souvent résumé plus ou moins grossièrement (comme dans le premier lien) que lu attentivement (comme dans le second, qui analyse finement un seul paragraphe): c'est l'effet même de sa volonté de "système", qui se prête à la schématisation au mieux émaillée de formules mémorables, mais ses textes méritent d'être suivis patiemment (je n'y suis pour ma part venu que très tard): c'est long, ça peut paraître ennuyeux, c'est pourtant souvent amusant et toujours plus subtil que ce qu'en retient un "résumé". Reste que la pensée ultérieure, surtout politique et pas seulement marxiste, a été beaucoup plus influencée par les "schémas hegeliens" que par les textes de Hegel, et qu'il n'y a rien de tel que la lecture des textes pour "déconstruire" les "schémas" (Derrida est à cet égard exemplaire, qui n'a cessé de relire Hegel comme Platon pour les faire "dialoguer" non seulement avec de la "philosophie" mais avec de la "littérature", p. ex. Hegel et Genet dans Glas).
Ce qui est clair en tout cas c'est que l'"histoire" doit être "lue" et "interprétée" comme une écriture -- même quand elle se donne sous forme de "tradition orale"; et qu'elle ne peut l'être que dangereusement, de l'intérieur même d'une "histoire" en cours d'"écriture", qui n'est jamais finie alors même que son "sens" dépendrait de sa "fin". Interprétation impossible et pourtant nécessaire d'un "contingent" (non-"nécessaire" en principe) qui n'en répond pas moins à une certaine "logique", nécessairement "circulaire" (la question décisive devenant celle de l'"entame du cercle", comment et par où commencer: c'est déjà la question introductive de la Phénoménologie de l'esprit que Hegel ne cessera de reprendre, entamant toujours le même cercle par un autre bout sans bout -- logique, science, raison, religion, art, histoire).
Lire et interpréter tout en l'écrivant une "histoire" qui par définition ne se répète jamais, alors que la lecture et l'interprétation n'en sont rendues possibles que par des effets de répétition, tout en se regardant lire et être lu, interpréter et être interprété, écrire et être lu, par l'effet réflexif, spéculaire et spéculatif (miroir) d'une "conscience" de l'histoire qui est aussi "conscience" de soi, cela a de quoi donner le tournis, comme un vertige ou une ivresse. Pourtant l'"histoire" n'est jamais plus "historique" et plus dangereuse que quand elle ne doute de rien, quand ses "leçons" paraissent univoques et consensuelles, quand son "sens" ou sa "raison" s'imposent comme une évidence incontestable. Cas de tous les "empires" appelés ainsi ou autrement, a fortiori de la "mondialisation" en cours puisqu'elle ne peut plus se rapporter à aucune autre "histoire" que la sienne.
Dernière édition par Narkissos le Mar 18 Jan 2022, 12:03, édité 1 fois |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Qu'-est-ce que l'histoire ? (humour) Mar 18 Jan 2022, 12:01 | |
| L’impossible transposition profane ? Un cas problématique tiré de l’histoire récente
Le segment particulier de l’histoire du salut, éclairé par quelques chapitres de Jérémie, laisse entrevoir toute l’obscurité d’une histoire comparable où les acteurs humains seraient simplement laissés à leur propre jugement, à leurs passions et à leurs péchés, sans révélation prophétique. En ce cas, de façon indirecte, la révélation enseigne du moins à ne pas faire des raccourcis indus et à ne pas sacraliser les interférences momentanément salutaires. Par exemple, de la victoire des alliés contre l’Allemagne nazie en 1945, il est impossible de conclure à la pureté d’intention des Anglais, des Américains ou des Russes. Même si les dirigeants nazis promouvaient une exaltation païenne de la race allemande et une haine quasi religieuse du Peuple élu, leur défaite ne peut être lue comme une consécration de leurs adversaires.
En effet, l’histoire biblique enseigne une possibilité importante de l’action divine : Dieu peut mobiliser telle ou telle puissance politique comme l’instrument temporaire de son dessein, coïncidant éventuellement avec un châtiment temporel de tel ou tel peuple, sans pourtant autant que cet instrument soit en lui-même sanctifié ni à l’abri d’une défaite ultérieure ou d’un jugement sévère. Sans donner accès aux intentions divines, la lumière prophétique des Écritures évite toutefois de tirer des conclusions péremptoires et de caricaturer l’engagement divin.
L’exemple évoqué suggère que la vertu illuminative des Écritures ne consiste pas seulement à éclairer les situations humaines et les complexes politiques sous l’angle du commencement et de la fin, du dessein originel de Dieu et des promesses de l’eschatologie finale. C’est assurément l’essentiel et le plus sûr, mais la révélation scripturaire peut aussi déverser une lumière, très partielle, sur des conflits en cours ou sur leurs dénouements, du moins pour retenir les croyants d’y projeter des vues trop courtes, simplistes et partiales.
Assurément, la relation interne de tel ou tel événement du monde à son orientation vers le salut et l’eschaton n’est pas humainement discernable. Personne ne peut dire, par les seules ressources de son discernement propre, si une séquence historique représente au final un rapprochement ou un éloignement à l’égard du Royaume, car l’ambivalence reste la marque de fabrique de l’histoire, jusque dans les événements qui paraissent heureux à certains, avant même qu’ils n’aient pu observer leurs conséquences latérales souvent inattendues. Les historiens d’une période ont mille exemples à ce sujet. Mais l’interprétation chrétienne de l’histoire en cours ne consiste pas à sélectionner des séquences temporelles privilégiées, qui seraient particulièrement proportionnées au Royaume, mais à exercer plutôt une vigilance évangélique permanente, sans céder aux raccourcis de l’enthousiasme ou de la déception politiques.
À l’épreuve des cas concrets, il serait hasardeux de vouloir transposer une séquence de l’histoire biblique sur une séquence d’histoire profane. Retenons surtout que l’histoire biblique théologiquement interprétée fournit de précieuses indications sur les modes d’action de Dieu. Interpréter bibliquement un segment d’histoire profane revient principalement à tenir compte de l’identité révélée de Dieu pour ne pas lui imputer des manœuvres indignes de lui et à éviter les raccourcis explicatifs au profit des vainqueurs d’une séquence donnée. Nous sommes donc reconduits vers un propos moins circonstanciel pour assurer une pertinence relative de la théologie de l’histoire.
https://www.cairn.info/revue-des-sciences-philosophiques-et-theologiques-2014-2-page-353.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Qu'-est-ce que l'histoire ? (humour) Mar 18 Jan 2022, 13:09 | |
| Etrange combinaison de perspicacité philosophique et de naïveté théologique -- qui là encore peut être feinte, stratégique, diplomatique, pédagogique... quoi qu'il en soit des intentions, reste un texte et ses ambiguïtés.
Au plan "historique", il me paraît indéniable qu'un certain "sens de l'histoire" (consensus non sur un "sens" défini et précis de l'"histoire", mais sur son importance et sur le fait qu'elle puisse et/ou doive avoir un "sens", qu'il faille lui en trouver un, sans préjudice du "comment") a culminé vers le milieu du XXe siècle et s'est effondré ensuite, et que la théologie comme bien d'autres choses a été affectée par ce mouvement. Au plan "philosophique", cognitif ou structurel, que tout "sens de l'histoire" dépend d'une "eschatologie" ou d'une "téléologie" (religieuse ou pas, explicite ou pas, consciente ou pas): la "fin" n'est pas forcément conçue comme une fatalité heureuse ou malheureuse, "écrite à l'avance", mais quand même il ne s'agirait que d'un "objectif" qu'on peut indifféremment atteindre ou manquer ça n'en serait pas moins une "fin" qui donne le "sens" (cf. une fois de plus l'"histoire ou fable chinoise" du paysan et du cheval, racontée différemment à chaque fois ou presque, mais dont la "leçon" fondamentale reste à peu près celle-ci: impossible de savoir le "sens" bon ou mauvais d'un événement ou d'une série d'événements tant que l'histoire n'est pas finie -- et elle n'est jamais vraiment finie).
Par contre, je me demande vraiment comment on peut revenir de telles considérations à la perspective d'une eschatologie "biblique" et "chrétienne" univoque (en gros l'histoire sainte et l'eschatologie du catéchisme), sans que celle-ci en soit le moins du monde interrogée ou mise en question -- fût-ce pour constater qu'une telle "histoire" ne peut avoir que des points de contact limités avec l'"histoire profane", autrement dit l'"histoire" tout court... Il y a là une subtilité (ou la duplicité d'un "double langage") typiquement "ecclésiastique" (l'auteur est dominicain) qui m'échappe. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Qu'-est-ce que l'histoire ? (humour) Jeu 20 Jan 2022, 13:31 | |
| Un livre conjugué à l’irréel du passé, ce mode du conditionnel cher aux grammairiens qui exprime une éventualité qui, si elle avait eu lieu, aurait fait tourner les choses différemment mais qui, dans les faits, ne s’est pas déroulée. En fidèles continuateurs de Charles Renouvier, l’auteur d ’Uchronie 1876 , Anthony Rowley et Fabrice d’Almeida avertissent qu’il s’agit du « roman vraisemblable de ce qui aurait pu se passer ». Voici donc une histoire potentielle pour laquelle il s’en est fallu de peu qu’elle ne soit celle que l’on aurait vécue. Jeanne d’Arc blessée mortellement à Orléans, c’est l’avenir de la monarchie française qui s’en trouverait altéré, les auteurs faisant intervenir un vieux sage qui aurait prodigué à Charles VII ses conseils de bonne gouvernance. Louis XVI eût-il atteint Montmédy, le cours de la Révolution en aurait été tout autre, même si le roi n’était pas à l’abri d’un attentat. Vaincu à Austerlitz, Napoléon aurait eu un destin plus stable et l’Europe ne s’en serait pas ressentie plus mal. Quant à son neveu, que ne s’est-il fait opérer de son calcul rénal avant Sedan ! Ainsi refait-on l’histoire, ici avec talent et brio, pour mieux en percer les logiques.
https://www.lhistoire.fr/livres/et-si-refaisait-lhistoire |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Qu'-est-ce que l'histoire ? (humour) Jeu 20 Jan 2022, 18:21 | |
| Il n'est pas inutile de rappeler ici ton lien à l'excellent article d'André Rousseau dont nous avons parlé aujourd'hui même sur un autre fil "fourre-tout", quant aux formes linguistiques de l'"irréel" qui permettent déjà d'en appréhender le concept. La notion d'"irréel" est intimement liée à celle d'"histoire", si l'"histoire" en tant que "contingent" (= non-"nécessaire" d'un point de vue "logique") c'est précisément ce qui aurait pu ne pas se produire ou se produire autrement (mais ne le "peut" plus dès lors que ça s'est produit: qu'il s'agisse du tirage du loto, d'une partie de pétanque, d'un match de foot ou de choses plus sérieuses ou plus graves, c'est toujours la même "logique sans logique" qui est le mystère même de l'"être", du moins si on ne le sépare plus du "temps" ou du "devenir"). De fait l'"irréel" est le seul "recul" possible (et en même temps impossible) par rapport à l'"histoire" et au "passé" en général, qui "permette" (sans l'autoriser: tout cela conserve un caractère illégitime, frauduleux ou clandestin de "contrebande") un rapport de la "pensée" (logique, raison, etc.) à l'"histoire", une "compréhension", une "intelligence" ou une "analyse" de l'"histoire", en donnant à celle-ci l'illusion d'échapper à la pure tautologie littéralement idiote du "fait accompli" (ce qui a lieu a lieu, ce qui a eu lieu a eu lieu, ce qui aura eu lieu aura eu lieu) -- soit le non-sens irréductible de toute "histoire", comme le dit mieux Shakespeare à la fin de Macbeth: Life's but a walking shadow, a poor player, That struts and frets his hour upon the stage, And then is heard no more. It is a tale Told by an idiot, full of sound and fury, Signifying nothing.(La vie n'est qu'une ombre qui passe, un pauvre acteur qui se pavane et s'agite durant son heure sur la scène et qu'ensuite on n'entend plus. C'est une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien.) Il faut toutefois remarquer que le jeu (au sens "mécanique" autant que "ludique" ou "théâtral") de l'"irréel" et de l'"histoire", entre l'"irréel" et l'"histoire", est d'amplitude limitée: on peut toujours imaginer qu'un "fait" isolé ne se soit pas produit ou se soit produit autrement, mais non envisager la chaîne ou la cascade infinie en tous sens de conséquences ou de coïncidences qui auraient pu en résulter, surtout si tous les événements sont soumis à la même oscillation (si un seul l'était en fait, tous le seraient en droit: comme l'observe souvent Nietzsche, vouloir qu'une chose soit différente, c'est vouloir que tout soit différent, autrement dit ne rien vouloir de ce qui est). On peut toujours imaginer, pour reprendre les exemples chéris de Leibniz, qu'Adam n'ait pas péché ou que Tarquin n'ait pas violé Lucrèce, il en résulte une infinité de "mondes possibles" (ou "compossibles"), mais ces mondes-là finissent tous par se ressembler parce qu'ils sont sans visage... L'"irréel" (du passé ou du présent) est évidemment lié au sentiment de "liberté" ou d'"indétermination" que nous éprouvons face au "présent" et à l'"avenir", dans la crainte comme dans le désir, par rapport à ce qui est en train de se jouer ou de s'écrire (soit l'autre "aspect" du "temps", l'"inaccompli" tel qu'il s'exprime p. ex. dans la conjugaison hébraïque): c'est ce sentiment qui se rétro(pro)jette inévitablement sur le passé ou l'"accompli" (lequel est aussi projetable sur l'avenir, notamment en français par le futur antérieur, ce qui aura eu lieu), créant le fantasme de l'"autre histoire" logiquement "possible", quoique factuellement impossible. Si "l'avenir" n'est pas (encore) "joué" ni "écrit" (*il* ne le sera jamais tant qu'*il* est "avenir", donc "irréel" par nature si l'on peut dire), il n'y a pas de raison que "le passé" l'ait été davantage en son temps (quand *il* était "présent" ou "avenir"). C'est aussi bien la "logique" que le "désir" qui se réinscrivent dans l'"irréel", faisant en quelque sorte vibrer tout "réel" et toute "histoire" par une sorte de "sympathie" fantasmatique, fantomatique ou spectrale. Cela pourrait aussi s'appeler la " grâce". |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Qu'-est-ce que l'histoire ? (humour) Ven 21 Jan 2022, 11:39 | |
| Pour Hegel, l’histoire de l’humanité représente donc le mouvement même à travers lequel la Raison universelle se réalise et s’accomplit. Rosenzweig, qui a consacré sa thèse de doctorat à la philosophie politique de Hegel (thèse publiée en 1920, sous le titre : Hegel et l’État), a très vite décelé les dangers inhérents à cette vision téléologique de l’histoire. Car celle-ci se présente chez Hegel comme une sécularisation de la notion théologique de théodicée ; elle implique que tout ce qui survient dans l’histoire est justifié du point de vue du projet divin. Selon une célèbre formule de Hegel – d’ailleurs empruntée à Schiller –, l’histoire universelle est le lieu d’un jugement universel. Autrement dit, le critère suprême de la légitimité d’une action historique ne résiderait pas dans sa valeur morale intrinsèque, mais dans sa réussite ou dans son échec. L’entreprise juste serait donc celle qui réussit. Cette réussite peut être immédiate, mais elle peut également être différée jusqu’à la fin des temps. D’où, par exemple, la version marxiste du messianisme, selon laquelle les souffrances présentes seront toutes justifiées à la fin de l’Histoire, au moment du triomphe final de la Révolution. C’est au nom de la suprématie de l’éthique que Rosenzweig refuse cette vision de l’histoire. Pour lui, comme plus tard pour Levinas, chaque instant est jugé en lui-même ; l’injustice présente ne saurait être justifiée au nom de l’utopie d’un stade final de l’histoire où toutes les contradictions seraient résolues.
La même critique de l’idéologie du progrès forme également le cœur de la vision de l’histoire de Walter Benjamin. Dans son dernier texte, les thèses Sur le concept d’histoire de 1940, il remet en question la conception même de la temporalité sur laquelle cette idéologie repose : « L’idée d’un progrès de l’humanité dans l’histoire est inséparable de l’idée selon laquelle elle parcourt un temps homogène et vide. La critique de l’idée d’un tel parcours doit constituer le fondement de la critique de l’idée de progrès en général. » Et un peu plus loin : « L’histoire est l’objet d’une construction dont le lieu n’est pas le temps homogène et vide, mais un temps plein du “temps de l’aujourd’hui” . » Ce « temps de l’aujourd’hui », comme « le tremplin vers l’éternité » de Rosenzweig et « l’irruption de la transcendance dans l’histoire » de Scholem, renvoient tous trois au refus du modèle historique des Lumières, et ce, au nom d’une autre vision de l’histoire, pour laquelle, comme le dit encore Benjamin, « chaque instant est la petite porte par laquelle peut entrer le Messie ».
C’est dans les notes préparatoires aux thèses Sur le concept d’histoire que Benjamin énonce avec le plus de précision les diverses implications de ce thème. C’est ainsi qu’il résume, dans la formule suivante, la critique de l’idéologie du progrès historique et, inversement, l’idée que le tissu de l’histoire peut à tout moment se déchirer pour laisser soudain apparaître une constellation historique entièrement imprévue : « Le Messie interrompt l’histoire ; le Messie n’apparaît pas au terme d’une évolution. » De même, il souligne l’idée que le temps historique ne doit pas être conçu comme une ligne continue, mais comme une juxtaposition discontinue d’instants dont chacun est porteur d’une « faible charge messianique». Or, chaque instant du temps est lourd de mémoire historique, et en même temps chargé d’espérance utopique. Autrement dit, notre relation au passé et notre imagination de l’avenir ne sont pas extérieures à notre sensation du présent, mais elles lui sont immanentes. Les trois dimensions du temps sont vécues ensemble dans notre expérience de l’instant présent. C’est pourquoi Benjamin peut écrire que « le monde messianique est un monde de totale et intégrale actualité».
https://www.cairn.info/revue-lignes-2008-3-page-31.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Qu'-est-ce que l'histoire ? (humour) Ven 21 Jan 2022, 12:32 | |
| N.B.: Cet article a déjà évoqué ici (19.1.2022), mais il est tout aussi pertinent au présent fil. Il y a un lien profond entre le "messianisme" ou l'"eschatologie" en général et l'"irréel" dont nous parlions précédemment: la "fin" de l'"histoire" qui seule permettrait de conférer un "sens" à celle-ci, c'est encore l'"irréel" d'un "accompli" projeté cette fois sur l'horizon de l'"à-venir", toujours du point de vue d'une "histoire en cours", non (encore) finie, autrement dit "inaccomplie". L'avenir au sens le plus banal étant aussi l'"irréel" (par rapport au présent et au passé), sa correspondance avec l'"à-venir" absolu d'une eschatologie est tout sauf une coïncidence: ce n'est pas pour rien que le "messie" s'appelle aussi "celui qui vient", ho erkhomenôn (bien que ce titre ne soit pas au départ "messianique", il serait plutôt tiré de la figure d'Elie ou de celle du "Fils de l'homme" qui ne sont pas "oints", ni "messies" ni "christs", ni comme rois ni comme prêtres), et que cette appellation finit même par être intégrée à l'"explication" du nom divin dans l'Apocalypse (celui qui est, qui était et qui vient, littéralement l'étant, l'était [ sic, c'est aussi un barbarisme en grec] et le venant, 1,4.8; 4,8; où le présent du verbe venir se substitue au futur du verbe être dans le développement de la formule d'Exode 3, celui qui est, qui était et sera, tel qu'on le retrouve dans la littérature rabbinique). On peut penser aux méditations du "dernier" Derrida sur une "messianité sans messianisme et sans messie" impliquée dans toute "espérance" et dans tout "à-venir", ou sur le "viens, viens" de l'"hospitalité" ambiguë (qui peut aussi dire une "hostilité", le défi d'un "viens-y voir un peu", selon toute la chaîne spectrale du host-guest-ghost), qui se confond avec celui du désir érotique ("viens, viens" comme Fort/Da, jeu de présence et d'absence où se noue aussi la "pulsion de mort", suivant l' Au-delà du principe de plaisir de Freud): c'est aussi la formule répétée de l'Apocalypse (22,17.20; cf. déjà 6,1ss pour les "sceaux", sans compter tous les autres "viens", à l'impératif, du livre) et un trait commun à tous les christianismes "eschatologiques" (cf. Maran-atha ou Marana-tha, selon qu'on interprète l'araméen transcrit en grec comme un indicatif ou un impératif, "le Seigneur vient" ou "Seigneur, viens !", 1 Corinthiens 16,22). --- Nous parlions plus haut (12.1.2022) de l'aspect "onirique" de l'"histoire" (rêve ou cauchemar, celui-ci rejoignant paradoxalement l'insomnie par l'impression de ne pas pouvoir s'en réveiller; c'est encore une forme d'"irréel" et de jeu de l'"irréel" avec le "réel", nécessaire à l'intuition et au concept mêmes de "réel"): il vaudrait pour toutes les "histoires", "petites" (histoires plus ou moins banales des "vies" et des "générations" qui passent, comme nous l'avions remarqué ici à partir du Psaume 90 ou de Calderón, La Vida es sueño) et "grandes" (nations, civilisations, mondes en tout genre), histoires "vraies" ou fictions, tantôt "heureuses" et tantôt "malheureuses". Du côté (relativement) "grande histoire" (nationale) et "heureux", je m'étonne que nous n'ayons pas encore cité le début du psaume 126: "Quand Yahvé ramena les ramenés ou revint avec les revenants ( šwb... 't-šybh) de Sion, nous fûmes/devînmes ( hyh) comme des rêveurs (ou des gens qui rêvent, hlmym)..." La sensation de l'"historique" en toute histoire, même banalisé au sens de l'événement "important" (remarquable, mémorable, inattendu, inespéré, inouï, sans précédent, etc.), se traduit instantanément par le rêve (ou le cauchemar) -- quoique cet "instantané" soit rétrospectif (dans le poème ou dans le livre qui le dit au passé), comme d'ailleurs dans le "rêve" ou le "cauchemar" remémoré, raconté et reconstruit après le réveil. On peut repenser aussi à la fameuse libération de Pierre en Actes 12, où le rêve débouche sur une réalité transformée (de la prison à la liberté) qui est aussi bien l'éveil d'un cauchemar. |
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| Sujet: Re: Qu'-est-ce que l'histoire ? (humour) Mar 25 Jan 2022, 14:46 | |
| Le corps comme otage Franz Kaltenbeck
Si l’on suit la logique de l’affirmation de Lacan, on se rend compte que l’histoire des historiens ne suffit pas. Il faut aussi celle des déportés survivants. Cela ne veut pas dire que l’histoire des historiens ne saurait être vraie, mais elle doit se mesurer à cet impossible à dire auquel se heurtent les déportés. Anne-Lise Stern a écrit un grand livre à partir de sa déportation. Analysée par Lacan, elle l’a influencé en cette matière. Le savoir-déporté est, entre autres, un savoir de témoin. C’est aussi un livre clinique dédoublé du récit d’une vie. L’énonciation d’un survivant d’Auschwitz a ceci de particulier que ceux qui l’y avaient envoyé voulaient sa mort. Un tel survivant était très seul. Et à son retour, on ne l’écoutait que rarement. Tout le monde n’est pas comme Blaise Pascal qui a écrit : « Je ne crois que les histoires dont les témoins se feraient égorger. »
(...)
Joyce vit l’histoire comme cauchemar dont il voudrait s’éveiller. Selon lui, l’histoire propage la violence. Mais au-delà de cet argument contre la violence que l’histoire accumule, Joyce la refuse aussi pour cause de son écriture. Il ne refuse pas seulement l’autorité de l’histoire.
Lacan affirme que l’histoire « n’est rien de plus qu’une fuite dont ne se racontent que des exodes ». Joyce ne peut pas se conformer à cette fuite. Dans ses épiphanies, il cherche l’éternité de l’instant.
Dans « Nestor », Stephen assène ses vérités en forme d’étranges métaphores : « Dieu est un grand cri dans la rue. » L’histoire comme cauchemar dont il voudrait se réveiller rappelle ce qu’il dira plus tard à propos de Finnegans Wake. Quand il aura terminé l’écriture de ce livre, sa fille Lucia sortira peut-être de la nuit de sa schizophrénie.
L’histoire broie les corps, elle ne les laisse pas non plus toujours être. C’est ce que dit Joyce à travers la mort précoce de Rudy, le fils de Bloom. C’est justement l’advenir du corps, qui n’est pas encore pris dans la fuite de l’histoire, qui intéresse Joyce.
Lacan fait tourner son écrit « Joyce le symptôme » autour de cette phrase qui a l’air d’être si évidente : « L’homme a un corps. » « Avoir » est toujours articulé à « être ». Le corps est donc chez Lacan du côté de l’avoir alors qu’il lie l’être à la parole. La parole est le seul lieu où l’être a un sens. C’est à partir de là que Lacan a construit son néologisme « parlêtre ». En effet, sans parole, pas de preuve possible de l’être contre le néant, comme me l’a fait remarquer récemment un analysant. Pour Lacan, « le sens de l’être est de présider à l’avoir ». « L’homme a un corps » veut dire qu’il parle avec son corps.
https://www.cairn.info/revue-savoirs-et-cliniques-2009-1-page-77.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Qu'-est-ce que l'histoire ? (humour) Mar 25 Jan 2022, 16:26 | |
| Pour la petite histoire (l'"autobiblibiographie", ce qu'on a lu, relu ou pas, plus ou moins bien ou mal, et dans quel ordre, est aussi une "histoire", unique comme une autre, bordée et transie d'irréel), j'ai (re-)lu Ulysses jusqu'au bout (le monologue sans ponctuation de Molly, ... and yes I said yes I will Yes) il y a seulement deux ou trois ans, après l'avoir commencé maintes fois (la fameuse phrase sur l'histoire-cauchemar, qui m'avait saisi il y a fort longtemps comme en témoigne le début de ce fil, est au début du livre). Et j'ai toujours Finnegans Wake à lire, ou du moins à essayer de lire, indéfiniment puisque je l'ai commandé et acheté après l'avoir vainement cherché en bibliothèque, et je ne sais pas si j'y arriverai ou non (parce que je le remets à plus tard, en faisant passer devant lui d'autres livres, plutôt "philosophiques" que "littéraires", que je dois rendre). A toutes fins utiles, je recommanderais plutôt (c'est banal) de commencer Joyce par le recueil de nouvelles Dubliners (cf. le superbe dernier film de John Huston, The Dead, qui en est partiellement tiré), et A Portrait of the Artist as a Young Man, où l'on trouve déjà Stephen Dedalus en "double" de l'auteur (ils sont plus "faciles" et supportent mieux la traduction quand on ne lit pas l'anglais).
Sur l'article précité qui me touche (aussi par Lacan que j'ai lu un peu, beaucoup, pas tout, avant de lire Joyce), je me contenterai d'une petite remarque: l'histoire broie les corps, certes, mais le langage les broie tout autant, et les corps sont aussi faits de l'histoire et du langage qui les broient ensemble, l'une avec et contre l'autre. |
| | | free
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| Sujet: Re: Qu'-est-ce que l'histoire ? (humour) Mer 26 Jan 2022, 11:23 | |
| - Citation :
- je m'étonne que nous n'ayons pas encore cité le début du psaume 126: "Quand Yahvé ramena les ramenés ou revint avec les revenants (šwb... 't-šybh) de Sion, nous fûmes/devînmes (hyh) comme des rêveurs (ou des gens qui rêvent, hlmym)..." La sensation de l'"historique" en toute histoire, même banalisé au sens de l'événement "important" (remarquable, mémorable, inattendu, inespéré, inouï, sans précédent, etc.), se traduit instantanément par le rêve (ou le cauchemar) -- quoique cet "instantané" soit rétrospectif (dans le poème ou dans le livre qui le dit au passé), comme d'ailleurs dans le "rêve" ou le "cauchemar" remémoré, raconté et reconstruit après le réveil. On peut repenser aussi à la fameuse libération de Pierre en Actes 12, où le rêve débouche sur une réalité transformée (de la prison à la liberté) qui est aussi bien l'éveil d'un cauchemar.
Nous étions comme en rêve : le Psaume 126 (125) Le Psaume 126 (125) est une célébration de la délivrance. D'abord, la délivrance du peuple de la Bible qui est sorti de la captivité de Babylone et aussi la délivrance de l'Église de tous les périls qui la menacent. Le croyant peut reprendre les paroles de ce magnifique mémorial de l'action de Dieu dans sa vie lors d'une libération d'un trouble intérieur. Nous proposons la version du Psaume telle qu'on la trouve dans la liturgie des heures. 1 Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion, nous étions comme en rêve! 2 Alors notre bouche était pleine de rires, nous poussions des cris de joie; alors on disait parmi les nations : 3 « Quelles merveilles fait pour eux le Seigneur!» nous étions en grande fête! 4 Ramène, Seigneur, nos captifs, comme les torrents au désert. 5 Qui sème dans les larmes moissonne dans la joie : 6 Il s'en va, il s'en va en pleurant, il jette la semence; il s'en vient, il s'en vient dans la joie, il rapporte les gerbes. Les survivants des camps de concentration et des fours crématoires hitlériens, dès que de leur navire ils apercevaient le mont Carmel, entonnaient ce Psaume. « Nous chantions le Psaume 126 qui semblait écrit pour cette circonstance, le retour des captifs de Sion vers la Terre Promise. Les captifs que le Seigneur ramenait enfin libres en Terre Promise, c'était nous! Le rire qui emplissait la bouche du psalmiste, voici 2500 ans, était notre rire, et notre langue chantait son chant! » (André Chouraqui) La valeur religieuse du Psaume 126 reste cependant, pour le chrétien, condensée dans la sentence du Seigneur : « Si le grain de froment ne meurt, il reste seul; si, au contraire, il meurt, il porte beaucoup de fruits. » Ce sont les mots de Jésus décrivant sa Passion. Ils font comprendre en plénitude la parole du psalmiste : « Qui sème dans les larmes moissonne dans la joie. » Toute la vie, avec ses épreuves de toutes sortes, est pour chacun de nous «un temps d'exil» qu'il doit consacrer aux laborieuses semailles de sa purification dans la pénitence, et de sa sanctification. Cela est vrai surtout de la période du Carême qui est un temps concentré, un moment fort pour le changement du cœur. Le caractère paroxysmal de l'Exil et du Retour aura été de contribuer à faire découvrir le vrai Dieu, car les Hébreux ont vu que le Seigneur les accompagnait dans l'épreuve pour être aussi avec eux dans la joie. Notre itinéraire personnel ressemble beaucoup à cet épisode de l'histoire du peuple d'Israel. De plus nous sommes appelés à connaître la vie éternelle, une récolte merveilleuse de joie. http://www.interbible.org/interBible/cithare/psaumes/2006/psa_060407.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Qu'-est-ce que l'histoire ? (humour) Mer 26 Jan 2022, 12:02 | |
| Nous l'avons souvent remarqué, les Psaumes sont l'exemple même, l'exemple exemplaire d'une (ex-)appropriation infinie (telle prière, tel poème -- au psaume 126 seul le v. 4 serait formellement une "prière", adressée au dieu à la deuxième personne -- passe d'une génération, d'une époque, d'un lieu, d'un milieu, d'une langue, d'une culture, d'une situation, d'un dieu ou d'une religion à l'autre sans que les mots changent, ou si peu: une prière à Baal ou à un Yahvé fort semblable à Baal [29], à l'Atum égyptien [104] devient dans le texte même une prière à [un tout autre] Yahvé, puis au "Seigneur" éventuellement identifié au Christ, tandis que le lecteur, auditeur, récitant individuel ou communautaire, s'approprie tout naturellement la première personne, je, moi ou nous du locuteur, d'une "situation" historique ou imaginaire à l'autre). Dans une large mesure ce principe d'ex-appropriation littéraire et verbal (je suis, nous sommes tout "je" ou "nous" que je lis ou nous lisons, entendons, répétons, récitons, etc.) vaut aussi pour l'"histoire": chaque génération ne cesse de s'approprier l'histoire des autres, de ses "ancêtres" présumés "réels" (dans le cas du judaïsme) ou "spirituels" (dans le cas du christianisme ou de l'islam qui, même s'il ne perpétue pas les textes de ses prédécesseurs, s'approprie leur histoire en la transformant).
Je voulais surtout souligner l'aspect "onirique" que prend l'"histoire" dès qu'elle paraît "historique", même au sens banalisé d'"importante" ou "remarquable", et aussi bien dans un sens "heureux" (délivrance, victoire, guérison, restauration comme un rêve) que "malheureux" (malheur ou catastrophe comme un cauchemar). Dans cette situation seuls nous accompagnent les mots et les images des autres, maintes fois employés dans d'autres circonstances, et pourtant authentiquement nôtres dès lors que nous les employons à notre tour. |
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| Sujet: Re: Qu'-est-ce que l'histoire ? (humour) Mer 26 Jan 2022, 12:32 | |
| Recréer l’histoire : appropriation et usages publics du passé
Depuis une trentaine d’années, le champ de l’histoire publique s’est imposé comme une aire disciplinaire à part entière, qui questionne aussi bien les pratiques historiennes institutionnelles que le statut épistémologique et social de l’autorité de l’historien et le rôle des publics comme acteurs potentiels de la fabrique de l’histoire. Aujourd’hui cependant les enjeux originaires des débats liés au développement de l’histoire publique se sont profondément modifiés,dépassant le cadre initial de l’articulation entre production de connaissance savante et savoir public. L’irruption du tournant mémoriel à l’échelle internationale depuis les années 1990 a ouvert de nouvelles perspectives, car les demandes publiques de mémoires ont permis l’accès de nouveaux acteurs, en donnant aussi à voir de nouvelles tensions, voire des « guerres de mémoires » concurrentes, qui disent des régimes d’appropriation publique de l’histoire clivés ou antagonistes. Par ailleurs, l’articulation entre savoir, pouvoir et démocratie a pris une importance inédite, et elle se trouve désormais au cœur des débats actuels de l’histoire publique. La prise en considération des publics non-académiques comme acteurs à part entière de la production de l’histoire formule un nouvel horizon d’engagement citoyen et ouvre la possibilité d’une pratique de l’histoire en régime participatif, voire en régime de démocratie directe. Des pratiques d’histoire publique peuvent aussi se revendiquer comme contre-histoire et afficher un savoir historique alternatif comme contre-pouvoir. L’organisation de cette École thématique vise à analyser les enjeux historiographiques, poli- tiques, sociaux et culturels émergents dans le champ de l’histoire publique, mais aussi à identifier les nouveaux acteurs et à cartographier le renouveau des modes contemporains d’appropriations collectives du passé.
https://imageson.hypotheses.org/3173
Uchronie
Dans la fiction, l’uchronie est un genre qui repose sur le principe de la réécriture de l’Histoire à partir de la modification du passé. « Uchronie » est un néologisme du xixe siècle créé par Charles Renouvier fondé sur le modèle d’utopie (u-topie), avec un « u » (pour « ou » préfixe de négation) et « chronos » (temps) : étymologiquement, le mot désigne donc un « non-temps », un temps qui n’existe pas. On utilise également l’anglicisme « histoire alternative » (alternate history). On dit parfois que l'histoire contrefactuelle et l'uchronie se distinguent par la prééminence donnée soit à l'événement déclencheur (histoire contrefactuelle), soit à ses suites fictives (uchronie), ce qui est loin d'être admis par beaucoup d'amateurs.
L’auteur d’une uchronie prend comme point de départ une situation historique existante et en modifie l’issue pour ensuite imaginer les différentes conséquences possibles. Cette volonté de changer le cours de l’histoire pour imaginer ce qu’elle aurait pu être rappelle la phrase de Blaise Pascal : « Le nez de Cléopâtre : s’il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé » (Pensées, édition Brunschvicg, fragment 162).
Régis Messac donne en 1936 dans sa revue Les Primaires cette définition de l’uchronie : « Terre inconnue, située à côté ou en dehors du temps, découverte par le philosophe Renouvier, et où sont relégués, comme des vieilles lunes, les événements qui auraient pu arriver, mais ne sont pas arrivés ».
https://fr.wikipedia.org/wiki/Uchronie |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Qu'-est-ce que l'histoire ? (humour) Mer 26 Jan 2022, 13:11 | |
| Je trouve symptomatique que dans l'article de Wikipédia (au demeurant instructif, du point de vue de l'"histoire" de la littérature et de la philosophie) le mot d'"irréel" soit totalement absent, alors qu'il constitue la condition même, inséparablement linguistique et logique, d'une "uchronie" (et de n'importe quelle "histoire" comprise comme "contingente", c.-à-d. rapportée à de l'"irréel" comme possibilité rétrospective, possible en droit et impossible en fait s'agissant du "passé": qui aurait pu ne pas se produire ou se produire autrement). Preuve que la "révolution" ou le "tour linguistique de la pensée", qui remonte à plus d'un siècle (Saussure et son innombrable postérité), est loin d'avoir atteint tous les "champs" promis à son empire, ou du moins tous les "esprits" qui y opèrent...
La question de l'"appropriation de l'histoire" (premier lien, présentation de colloque) est en effet d'une brûlante "actualité", si l'on en juge par tous les épouvantails "de gauche" érigés et agités depuis quelque temps par une certaine (extrême-)droite (cancel culture, woke, etc.) -- en quoi l'extrême-droite ne fait que retourner une arme depuis plus longtemps utilisée contre elle ("révisionnisme"; il y a d'ailleurs eu plus tôt un usage d'extrême-gauche, maoïste notamment, du concept de "révisionnisme", contre les partis communistes classiques, cf. les films de Godard dans sa période "politique", depuis La Chinoise au moins). Par-delà l'"actualité", l'"histoire" (le récit de l'histoire) est toujours un enjeu décisif, ouvert en principe à toutes les appropriations et à toutes les contestations: comme la langue, elle appartient à tout le monde et à personne en particulier, ce qui permet (sans les autoriser) toutes les "échappées" et leurs reprises (rattrapages, récupérations) successives. On pourrait dire, en parodiant une énième fois Clemenceau, que l'histoire est une chose trop grave pour la confier à des historiens, et pourtant il faut bien des historiens méthodiques et des contradictions entre eux, ne serait-ce que pour "baliser" un terrain qui se prête par nature à la "folie" absolue.
(Je me souviens qu'à l'école je détestais l'histoire, enseignée comme une longue suite de dates et d'événements, de noms de personnes et de lieux indiscutables qui ne répondaient pourtant à aucune "logique": je l'apprenais pour l'oublier aussitôt, j'étais au fond plus fier de l'oublier que de l'apprendre. Elle n'a pris un certain intérêt pour moi que lorsque j'ai commencé à y voir des "enjeux", et peut-être plus encore à partir du moment où j'ai pris conscience de son caractère "contingent", en rapport avec l'"irréel" et l'"inaccompli": l'histoire en train de s'écrire, non écrite d'avance comme après coup, l'histoire qui retrouve sous cet "aspect" sa charge et sa ressource de possibilité, de potentialité ou de virtualité, se remet dans une certaine mesure à "vibrer" ou à "vivre"; mais par là même inséparable de la "fiction".) |
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| Sujet: Re: Qu'-est-ce que l'histoire ? (humour) Jeu 27 Jan 2022, 11:35 | |
| Envisagée ainsi, la reconnaissance inclut la prise en compte de deux dimensions temporelles : la trace du passé traumatique d’une part, et le poids présent que fait peser ce passé non reconnu d’autre part, comme si le passé n’était lourd à porter qu’en raison de cet indicible. Les deux premiers objectifs mis en avant dans le rapport de la Mission de préfiguration du centre de ressources pour la mémoire de l’immigration montrent bien ce double rapport au temps [ 2004]. Il s’agit dans un premier temps de « sauvegarder », c’est-à-dire de ne pas perdre « les traces encore présentes des grandes vagues d’immigration du xxe siècle ». Dans un deuxième temps, « il s’agit de reconnaître l’histoire des immigrés dans la construction de la nation française, qu’il s’agisse du rôle qu’ils ont joué ou de ce qu’ils ont apporté et que nous partageons. Cette reconnaissance passe pour partie par le rappel des faits, et constitue également une forme de réparation, pour une partie de l’Histoire de France qui a souvent été occultée. [...] Ainsi, plus qu’un devoir de mémoire, la vocation de l’institution est de remplir un devoir d’histoire » [p. 16].
Pourtant, cette formulation prête à confusion car elle semble postuler que le « rappel des faits » suffit à écrire l’histoire et que la mission des responsables de l’institution est de simplement « reconnaître l’histoire des immigrés ». Or ni l’opération mémorielle ni l’opération historiographique ne connaissent cette simplicité. Appliquée à la dimension nationale, la première n’est jamais réductible à un acte de remémoration : la nation ne se souvient pas, on lui prête des souvenirs à partir d’une sélection entre les mémoires collectives de divers groupes réclamant qu’on leur accorde une place dans cette mémoire. Pour reprendre la distinction élaborée par Gérard noiriel [ 2004, p. 17-26], les « producteurs de mémoire » veulent sauver de l’oubli les groupes qu’ils défendent, tandis que les « producteurs d’histoire » ont pour vocation d’aider à comprendre et à expliquer le passé. Les historiens doivent donc également protéger leur magistère contre des producteurs de mémoire déguisés en producteurs d’histoire. Ce fut notamment le cas en mars 2005 en réaction à l’inclusion dans la loi du 25 février 2005 de cet article sur « le rôle positif de la France outre-mer» sus-mentionné. Le texte publié dans Le Monde réclame l’abrogation urgente de cette loi au nom du respect dû à l’histoire et aux historiens. Les premiers mots de ce texte – qui se transforma en pétition signée à ce jour par plusieurs milliers de chercheurs – sont éloquents : « nous sommes historiens. » Les formules utilisées pour dénoncer l’article 4 – « histoire officielle », « mensonge officiel », « communautarisme nationaliste » – s’opposent en tout point à celles qui viennent souligner la « responsabilité particulière » des historiens : « pluralité » de la société issue de la colonisation et de l’immigration, « complexité des phénomènes » et nécessité de « l’explication des processus ». Cette profession de foi montre bien à quel point, à l’instar de l’opération mémorielle nationale, l’opération historiographique n’est pas simple . L’histoire produite n’est pas unanime, y compris parmi les historiens, car ces derniers non seulement font également partie de groupes cherchant à défendre leur mémoire, mais ils sont aussi liés à une discipline professionnelle valorisant la confrontation des points de vue scientifiques et non l’unanimité.
Les dimensions de la politique de reconnaissance
Devant l’échange infini d’arguments qui, tous, prétendent remplir cette très contemporaine exigence de reconnaissance tout en s’opposant les uns aux autres au nom d’une « vraie » ou d’une « juste » reconnaissance, il importe de saisir de manière synthétique quels sont les enjeux d’une telle politique. Qu’est-ce qu’une politique de reconnaissance des traumatismes, des discriminations et des préjugés historiques ? nous ne souhaitons pas poser cette question en termes normatifs, ce qui consisterait à prendre position sur le contenu idéal d’une telle politique. nous aimerions au contraire montrer que l’usage quasi unanime du terme de « reconnaissance » recouvre, et souvent cache, des actes politiques différents et des rapports différents au passé et au futur. Comme l’avait souligné Paul Ricœur dans Parcours de la reconnaissance [ 2004], « reconnaître » est un terme polysémique comportant, selon lui, trois niveaux d’action distincts : prendre pour soi, avouer, accorder une place à. Quand il s’agit de crimes, de traumatismes, de préjugés et de discriminations passés, cette polysémie peut être saisie à travers de multiples opérations pratiques. En nous fondant sur l’étude de différentes politiques nationales – mais il serait tout à fait possible d’étendre l’analyse à des organisations privées ou à des églises –, nous avons identifié huit grandes dimensions de la politique de reconnaissance, que nous avons par commodité baptisées « les huit R ».
https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2005-2-page-137.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Qu'-est-ce que l'histoire ? (humour) Jeu 27 Jan 2022, 12:47 | |
| A lire ce texte de 2005, il me semble que dix-sept ans plus tard nous sommes toujours dans la même "problématique" mais que son "assiette" (c.-à-d. l'espace, le plan ou l'aire de base où le "problème" se "pose", et négativement ce qui en est exclu) s'est sensiblement rétrécie. De différence mémorielle ou historiale (étant entendu que si "histoires" et "mémoires" diffèrent de bien des manières, elles sont aussi artificielles ou "construites" les unes que les autres) "nous" ne voulons plus guère entendre parler. La question décisive à mon sens étant précisément la définition de ce "nous", qui se souvient (veut se souvenir, ou faire semblant de se souvenir) de quoi, comment et avec qui. A vouloir créer de toutes pièces (c'est le cas de le dire) une "histoire" ou une "mémoire" communes, uniques pour une collectivité donnée (un Etat-nation comme "la France", l'Europe politique ou géographique, voire "le monde"), on est à peu près sûr de construire une "histoire" non seulement artificielle mais foncièrement hétérogène, faite de compromis politiques ou diplomatiques entre différentes "histoires" et "mémoires" inconciliables, où personne ne se reconnaît, sauf ceux qui voient un intérêt présent ou futur à (feindre de) s'y reconnaître... Ce processus de construction d'une histoire commune est aussi bien la destruction de toutes les histoires effectives (et je n'entends par là ni "réelles" ni "vraies"). Une fois n'est pas coutume, je cite ce que j'écrivais ici le mois dernier (et donc l'année dernière), avant même de rouvrir ce fil (bien que j'aie ajouté après coup un lien à celui-ci), parce qu'il y est aussi question de "reconnaissance": - Narkissos a écrit:
- Reconnaître l'histoire et le sens de l'histoire, de l'autobiographie à la cosmogonie en passant par toute sorte de fiction, ce n'est pas forcément une reconnaissance au sens de gratitude ou d'agrément, pas non plus un ressentiment, fût-ce sous l'espèce retorse du repentir; encore moins l'indication d'une direction à suivre, poursuite, prolongement ou accomplissement, retour ou écart. Possible et/ou impossible, ce ne le serait que de l'intérieur de l'histoire, toujours la même jusqu'aux pointes de ses racines et de ses ramifications, si l'on pouvait parler d'intérieur sans extérieur -- mais dans ce cas indépendamment de la place qu'on y occupe. Un dernier homme, qu'on se le figure seul, nu, amnésique et aphasique dans sa grotte ou interconnecté par milliards d'exemplaires en réseau social et en temps réel, n'en serait pas moins tributaire et redevable de tout, horreurs et merveilles naturelles et culturelles de tous les temps, connues ou inconnues, passées et futures, comprises ou non comme telles -- au même titre que n'importe quel protagoniste de quelque péripétie remarquable en amont, héros, dieu ou monstre en pleine action, passion ou exaction, à la merci de la postérité comme de sa provenance et des circonstances.
On pourrait dire aussi, dans un sens partiellement différent, que la "reconnaissance" de l'histoire des autres est nécessaire à toute "connaissance de l'histoire", de chaque histoire particulière et singulière, et a fortiori d'une "histoire en général" qui ne saurait être qu'infiniment complexe, voire littéralement inénarrable, autrement dit plus du tout une "histoire" racontable et recevable par quiconque et par quelque "communauté" que ce soit. Ce qui n'exclurait en rien de l'"histoire" ou de la "mémoire" l'artifice et la fiction, ni les rapports de force, les conflits et les négociations qui se jouent continuellement dans le récit ou la réécriture de l'histoire comme et autrement que dans l'histoire écrite ou racontée. L'histoire continue de s'écrire à même l'écriture continue de l'histoire, à plusieurs voix et à plusieurs calames, c'est aussi sa calamité... Sur la "mémoire", cf. aussi ceci (ça ne nous rajeunit pas). Et sur la "repentance", ici ou là. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Qu'-est-ce que l'histoire ? (humour) Ven 04 Fév 2022, 16:12 | |
| Il est utile et important de bien savoir distinguer l’histoire et la mémoire pour connaître à la fois leurs spécificités et leurs interactions. Afin de mesurer l’apport spécifique du travail historique et celui des témoins, ainsi que le dialogue des mémoires qu’ils peuvent susciter, cette question de l’histoire et de la mémoire s’impose comme un véritable objectif d’apprentissage de l’histoire scolaire. Reste à savoir sur quels contenus et dans quelles conditions.
(...)
À propos de la question de la mémoire, nous nous proposons de partir d’une synthèse de l’historien Antoine Prost dans laquelle il s’est efforcé de distinguer l’histoire de la mémoire. Il a ainsi mis en évidence quatre tensions entre les devoirs d’histoire et de mémoire : la mémoire porte sur des faits précis qui sont expressément désignés ; le devoir de mémoire consiste a priori à proscrire l’oubli ; la demande de mémoire se présente comme largement affective ; elle correspond en général à une vision particulière, inscrite dans une perspective identitaire. De son côté, l’histoire a une vocation plus exhaustive ; elle ne craint pas l’oubli ; elle se veut plus objective ; et elle tend aussi davantage à assumer une portée plus générale, plus universelle, même si ce n’est souvent qu’à une échelle nationale. Il existe en fin de compte une interaction qui est nécessaire entre l’histoire et la mémoire, et il ne s’agit donc pas de stigmatiser la mémoire pour valoriser l’histoire : d’où l’idée de l’utilité d’un véritable travail de mémoire, d’où la pertinence de toujours tendre à remettre de l’histoire dans la mémoire pour favoriser la mise à distance et l’analyse critique.
Ce qui distingue l’histoire ...
- L’histoire investigatrice parcourt les temporalités et n’est pas une histoire antiquaire.
- La demande d’histoire correspond à une posture intellectuelle critique.
- L’histoire est une reconstruction du passé à partir des demandes du présent.
- Une recherche de vérité et d’unité du récit de l’humanité qui soumet à la critique les mythes et l’invention de la tradition.
- Une pluralité à partir de laquelle construire une unité ouverte.
- Exercer un regard dense
… de la mémoire
- Une mémoire biographique, avec ses témoins, et une mémoire culturelle des origines.
- La demande sociale de mémoire est surtout affective.
- La mémoire correspond à une remémoration de certains faits du passé.
- Une recherche d’identité concernant des individus ou des groupes qui passe souvent par des mythes et l’invention de la tradition.
- Une pluralité divisée qui le restera en préfigurant la complexité
- Lutter contre l’oubli
https://www.unige.ch/fapse/edhice/files/3514/2496/8306/heimberg_barcelona.pdf |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Qu'-est-ce que l'histoire ? (humour) Ven 04 Fév 2022, 17:43 | |
| Je me méfie en général de la distinction et de l'opposition artificielles de termes (comme "histoire" et "mémoire") qui sont, de fait, utilisés de façon partiellement interchangeable. Chacun peut sans doute les définir à son gré, tant qu'il parle tout seul (et encore: la confusion chassée par la porte du soliloque y rentre souvent par la fenêtre, sans que le locuteur s'en aperçoive), mais il ne peut rien contre l'usage courant qui, légitime ou non d'un autre point de vue, est en dernière instance la seule source de légitimité d'une langue. Heureusement cet article est beaucoup plus nuancé et intéressant que le schéma précité pourrait le laisser croire.
Entre une "mémoire" personnelle ou individuelle et une "mémoire" collective, il y a en effet d'énormes différences qui requièrent la médiation d'une "histoire" tout aussi ambiguë, où l'"historique" comme récit factuel ou événement(s) raconté(s) se distingue difficilement du mythe, de la légende ou de la fiction, puisque tout cela relève de la narration. Même dans une "mémoire personnelle", combien de "souvenirs" sont construits ou reconstruits par le récit des autres, et transformés par notre "propre" récit au fil de ses récitations ? Ni "histoire" ni "mémoire" du "passé" n'échappent par ailleurs aux sollicitations et aux enjeux du présent et de l'avenir, dans la mesure où on raconte ou remémore (commémore, etc.) toujours pour quelque chose, en vue d'un certain but (p. ex. favoriser la concorde sociale, la fierté identitaire d'un ensemble ou d'une partie, le repentir, le ressentiment ou l'indignation, la bonne ou la mauvaise conscience des uns ou des autres). |
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