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 Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé.

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Narkissos

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MessageSujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé.   Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. - Page 2 Icon_minitimeMar 27 Aoû 2024, 15:19

Présentation fine du (vaste et faux) problème: la distinction entre "amour" et "amitié" est fragile, dans la langue -- toutes les langues ne la font pas, ou pas de la même manière -- comme dans la "réalité"... Comme on l'a vu ailleurs, le (faux) problème s'applique aussi bien au grec "biblique" qu'à l'hébreu, puisque quand la traduction (Septante, bien avant le NT) préfère à erôs agapè (phonétiquement proche de l'hébreu 'hb, 'ahav) elle charge, de fait, le second de toute la charge "érotique" du premier... Je remarquais d'ailleurs récemment, en lisant Heidegger sur Aristote, que quand ce dernier (Aristote) emploie agapaô ktl. il lui donne un sens très proche du latin diligo, par exemple chez saint Augustin (dilige et quod vis fac, "aime et fais ce que tu veux"): ce que j'aime, ce que je préfère, ce que je désire, ce que je veux, d'une dilection ou prédilection toujours singulière, ce que je choisis sans autre raison que l'inclination ou la propension à ce choix même: "parce que c'était lui, parce que c'était moi", comme disait Montaigne de La Boétie... En hébreu, comme on l'a déjà dit, le dwd de "David" est plus proche d'erôs, et il colore les usages de 'hb qui ont "David" pour objet ou sujet -- plutôt objet que sujet, passif qu'actif, aimé qu'aimant, eromenos qu'erastes, pour les "a(i)mants" que sont tour à tour Saül, Jonathan, Mikal, les femmes, les servantes, les serviteurs ou compagnons, le Philistin Akish ou Yahvé lui-même... Cela rejoindrait d'ailleurs le thème de la "grâce", au moins par la formule hébraïque et biblique mç' hn l-`yny X, "trouver grâce aux yeux de X".
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MessageSujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé.   Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. - Page 2 Icon_minitimeVen 30 Aoû 2024, 16:07

Les royaumes de David et de Salomon
Le débat et ses enjeux méthodologiques
Par André Lemaire

Quatre prises de position
En schématisant quelque peu, on distingue quatre prises de position [9] :

1. Pour quelques commentateurs, toute la Bible aurait été rédigée tardivement, à l’époque perse (539-332), voire à l’époque hellénistique [10]. Pour eux, les figures de David et de Salomon ne sont donc que de pures fictions légendaires.

2. Pour d’autres, les récits concernant les règnes de David et de Salomon sont l’œuvre d’un rédacteur influencé par les idées du Deutéronome (d’où le qualificatif de « deutéronomiste ») qui aurait rédigé tous ces textes vers la fin du viiie siècle avant notre ère, ou sous le règne de Josias, ou même, durant l’Exil, vers 550. Pour ces commentateurs, trois siècles, au moins, sépareraient les règnes de David et de Salomon de leur mise par écrit. Dès lors, le rédacteur n’en aurait plus eu qu’un très vague souvenir disparaissant sous des développements légendaires. Ils admettent pratiquement l’existence historique de rois appelés David et Salomon mais pensent qu’on ne peut rien dire d’historique sur leurs règnes, rejetant l’existence d’une éventuelle royauté unifiée qui n’est attestée que dans l’historiographie biblique et dont l’archéologie matérielle ne décèlerait aucune trace. C’est pratiquement la position reprise par Israël Finkelstein [11].

3. À partir d’une analyse de détail du texte biblique, d’autres commentateurs pensent que, même si une partie de cette historiographie a été effectivement rédigée à l’époque du roi Josias, leur auteur a fait œuvre d’historien utilisant diverses sources anciennes plus ou moins proches des événements, ou reprenant et mettant à jour une historiographie royale ancienne [12]. L’historiographie royale se serait donc développée en plusieurs étapes, en plusieurs rédactions, depuis le début du règne de David (vers l’an 1000) jusque sous Ézéchias (fin du viiie s.) et même jusqu’au début de l’époque perse. Dans ce cas, l’appréciation historique de ces récits dépend de l’époque à laquelle chaque récit, chaque verset, voire chaque partie de verset, a été rédigé, ainsi que du genre littéraire du texte de type annalistique ou légendaire. Ces commentateurs philologiques proposent de distinguer histoire et légende, ce qui aboutit à une histoire critique du xe siècle.

4. Certains commentateurs, enfin, pensent que l’historiographie biblique est généralement fiable, qu’elle se rattache à une rédaction proche des événements ou à une rédaction plus récente. Il ne serait donc pas nécessaire d’essayer de distinguer les différents niveaux de rédaction, les résultats de ce travail de critique littéraire restant souvent incertains.

https://shs.cairn.info/revue-pardes-2011-2-page-79?lang=fr
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Narkissos

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MessageSujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé.   Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. - Page 2 Icon_minitimeVen 30 Aoû 2024, 16:56

Lemaire -- qui a un lourd passif de découvertes et d'interprétations contestées, à la hauteur de sa compétence scientifique -- me semble mener ici un combat d'arrière-garde pour une "archéologie biblique" qui met les textes traditionnels (au moins) au même niveau d'historicité probable que les données archéologiques -- sans s'interroger, puisque ce n'est pas son rayon, sur le genre littéraire de ces textes, qui les détourne de l'"histoire" (historique) bien plus sûrement que toutes les conclusions d'une archéologie sérieuse...

Bien entendu, les présupposés et les choix "idéologiques" jouent à tous les niveaux et dans tous les sens: conservatisme chrétien, voire fondamentalisme, et leurs antithèses critiques, nationalisme israélien ou palestinien (du moins jusqu'à ce que celui-ci passe sous l'influence d'un fondamentalisme islamique), chacun a mille raisons autres que "scientifiques" pour dire ce qu'il dit et croire ce qu'il croit. Moi aussi bien sûr, à plus forte raison puisque je ne suis ni archéologue ni épigraphiste.

A propos de l'inscription de Tell Dan -- je me souviens du site, merveilleusement vert et frais près des sources du Jourdain, non loin du Golan et de la guéguerre présente entre Israël et Hezbollah -- il est assez amusant de comparer les Wikipedia français et anglais. Evidemment il n'y a là rien de conclusif, ni sur le personnage de "David" ni sur un "royaume de Jérusalem" antérieur à celui de Samarie, ce qui revient à dire que chacun interprète les "faits" comme il l'entend...

Au fond ma réaction aux problèmes "historiques" est à peu près toujours la même -- je ne dis pas qu'elle soit bonne, ni saine, ni juste, ni surtout "scientifique", mais je l'assume: qu'il y ait ou non un David, un Salomon, un Saül, un Samuel, un Moïse, un Abraham, un Jésus "historiques", déductibles des textes par une opération historico-critique, ils n'auraient pas le centième de l'intérêt des personnages tels qu'ils se donnent dans les textes... Voilà pourquoi je préfère l'approche littéraire à l'approche historique, mais ça n'engage que moi (et encore) et ça ne prouve rien contre celle-ci.
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MessageSujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé.   Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. - Page 2 Icon_minitimeLun 02 Sep 2024, 12:36

La périodisation de l’histoire de l’Israël ancien :
constructions bibliques et historiques
Thomas Römer

L’époque de la royauté

La présentation biblique des trois premiers rois d’Israël – Saül, David et Salomon – pose également un certain nombre de problèmes. De ces trois rois, seul David est probablement mentionné dans une inscription de Tel Dan attestant le fait que le royaume de Juda a pu être désigné, au viiie siècle, sous le nom de «maison de David»28. Mais cela ne permet pas de reconstituer l’époque du «David historique ». Il est par exemple possible que la succession entre Saül et David constitue une construction théologique des auteurs des livres de Samuel qui voulaient faire de Saül le roi maudit, préfigurant tous les rois du royaume d’Israël détestés par les rédacteurs judéens, et de David le roi élu, détenteur d’une promesse divine lui assurant une dynastie éternelle29. Sur le plan historique, il semble plus plausible que le règne de Saül ait été plus important et que Saül et David aient régné en même temps sur des territoires différents30.

Néanmoins, les récits bibliques sur les origines de la monarchie reflètent une certaine réalité historique. On observe en effet qu’au début du ier millénaire surgissent dans le Levant des royautés qui correspondent à des entités claniques et tribales organisées de manière plus structurée. Bien que l’histoire de la royauté israélite et judéenne soit orientée selon les conceptions idéologiques des rédacteurs du Sud, ceux-ci se fondent sur des annales qui décrivent une chronologie qui peut être corroborée par des sources extrabibliques, assyriennes et babyloniennes notamment. Ainsi, ce sont surtout les livres des Rois qui reflètent une période historique, celle des royaumes d’Israël et de Juda, que l’historien, avec toutes les précautions nécessaires, peut exploiter. Il se pose néanmoins la question de la périodisation que celui-ci devrait adopter pour l’histoire du Levant de la deuxième partie du iie millénaire et du ier millénaire.

La périodisation de l’historien

Il faut d’abord se rappeler que, dans la présentation biblique, toute l’histoire d’Israël est présentée dans la perspective du petit royaume de Juda. Or l’archéologue et l’historien constatent que l’origine d’Israël se situe dans le Nord, qu’il faut sans doute réviser la chronologie (« chronologie basse ») et mettre au compte d’Omri, le vrai fondateur du royaume du Nord, les constructions importantes attribuées à Salomon en raison du récit biblique31. À cette époque, le royaume d’Israël était au moins trois fois plus peuplé que le petit royaume de Juda. C’est aussi à cette période, c’est-à-dire la deuxième partie du ixe siècle avant notre ère, qu’on observe les débuts de l’alphabétisation et de l’utilisation de l’écriture32. L’historien doit donc « réhabiliter » le royaume du Nord33 et repenser l’utilisation des événements historiques et légendaires par les auteurs bibliques.

Il faudrait également rappeler que l’histoire d’Israël et de Juda fait partie de l’histoire du Levant et que la focalisation sur Israël et Juda n’est due qu’à l’influence de la Bible et de sa « chronologie ». C’est pour cela qu’il serait sans doute plus utile de proposer une chronologie qui fasse abstraction des périodes bibliques. Un premier moment serait constitué par l’âge du bronze récent (environ 1500-1200) et l’âge du fer I (1200-1000): ces deux époques correspondent à celle du regroupement de populations dans la montagne d’Ephraïm et en Transjordanie donnant naissance à « Israël ». Un deuxième moment renverrait à l’âge du fer IIA (1000-900), correspondant à l’émergence de la royauté israélite, et à l’âge du fer IIB (900-720), correspondant aux royaumes d’Israël et de Juda, ainsi grosso modo qu’à l’époque néo-assyrienne. Un troisième moment serait l’âge du fer IIC (720-539), correspondant à l’histoire de Juda jusqu’à sa destruction par les Babyloniens. Puis viendraient les époques perse (539-533), hellénistique (333-63) et romaine (dès 63 avant notre ère)34. L’adoption de cette chronologie permettrait un regard plus neutre et éviterait la collision entre histoire biblique et histoire de l’historien, tout en permettant à ce dernier d’utiliser le texte biblique, comme d’autres documents, dans son travail d’analyse et de reconstruction.

[ltr]https://hal.science/hal-03822430/document[/ltr]


David a-t-il régné du vivant de Saül ? Étude littéraire et historique de II Sm 2, 1-11
Jean-Claude Haelewyck

[ltr]https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-26 ... _26_2_2757[/ltr]
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Narkissos

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MessageSujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé.   Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. - Page 2 Icon_minitimeLun 02 Sep 2024, 13:26

Nous avons certainement déjà vu cette vaste synthèse de Römer (2014) dans d'autres fils afférents à d'autres textes, personnages ou récits bibliques -- vu l'ampleur du sujet on n'a que l'embarras du choix, faute de recherche automatique...

Au plan historique il semble en effet plus prudent, avant la chute de Samarie, de parler en ce qui concerne le sud de (petits) "royaumes" au pluriel, dans plusieurs régions et autour de plusieurs cités, "royaumes" dont l'existence, le pouvoir et l'étendue varient en fonction des influences extérieures, d'"Israël" (du nord) mais aussi (et d'abord) d'Egypte, de Philistie, du Sinaï (Edom), de Transjordanie (Ammon-Moab), de Syrie (Damas-Hamath), de Phénicie (Tyr-Sidon), et d'au-delà avec les "empires" anatoliens ou mésopotamiens successifs; à ce tarif nombre de "juges" du livre éponyme seraient aussi bien des "rois", seule la rédaction de la "grande histoire" (deutéronomiste par exemple) retardant artificiellement l'usage du nom de "roi" et le principe d'une monarchie (cf. le fameux lapsus chronologique de la Genèse, des rois en Edom avant Israël); comme elle anticipe, au contraire, le "royaume de Jérusalem", ou du moins lui prête une ancienneté et une continuité dynastique parfaitement fictive. L'idée que "Saül" et "David" fonctionnent comme "modèles" littéraires, typologiques et axiologiques, des mauvais et bons rois, et/ou des dynasties concurrentes du nord et du sud, me paraît en revanche très plausible, mais il faut remarquer que dans ce modèle c'est encore le nord relatif (Benjamin, comme son nom ne l'indique pas) qui aurait la préséance chronologique (Saül avant David).

L'autre lien (Haelewyck, 1995) fonctionnera peut-être mieux sous cette forme. Là on est, aux antipodes du précédent, dans une étude "historico-littéraire" à l'ancienne, qui continue de traiter les "couches rédactionnelles" comme des "documents" repérables, identifiables, séparables et au moins en partie reconstituables, toujours dans l'espoir d'arriver à "de l'histoire", déduite aussi conjecturalement que savamment de l'"histoire sainte"...

Il est tout à fait possible qu'un "David" et un "Saül" "historiques" aient existé, contemporains ou non, dans des (micro-)"royaumes" différents, en intersection géographique et/ou en interaction historique, et que des "traditions" locales en aient gardé quelque chose qui se retrouverait dans les récits bibliques des personnages correspondants: mais le rapport de l'un à l'autre, ou des uns aux autres, me paraît strictement intraçable, d'autant que dans une "tradition" il y a au moins autant de "littérature", fût-elle orale ("légende"), que d'"histoire"; et cela me semble d'ailleurs sans intérêt pour une lecture des textes tels qu'ils sont.

Je me souviens soudain d'une anecdote que nous avait racontée notre guide israélien et archéologue: dans un de ses premiers cours à l'université, le professeur s'adresse à une classe d'étudiants qu'il sait composée de "religieux" et de "laïques" (en substance): "je vais vous dire deux choses, attendez la seconde pour réagir: 1) Abraham n'a jamais existé" -- bronca immédiate des "religieux" -- "2: Il avait pourtant un cousin qui..." La boutade me semble assez bien illustrer, jusque par l'absurde, le rapport d'une "histoire sainte" à l'"histoire" (tout court).
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MessageSujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé.   Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. - Page 2 Icon_minitimeMer 04 Sep 2024, 15:05

La caractérisation des personnages royaux en Mt 1-2
Sébastien Doane

I. David, le roi qui engendre par la femme d’Urie

Dans la généalogie de Jésus, au verset 6, David est qualifié de roi (τὸν βασιλέα). Le texte mentionne alors qu’il engendre Salomon « par celle d’Urie » (ἐκ τῆς τοῦ Οὐρίου). Cette expression renvoie les lecteurs au récit du meurtre et de l’adultère — voire du viol[6] — commis par David en 2 S 11. La généalogie ne fait pas que rappeler les crimes de David, mais elle les présente comme une antithèse du titre de roi précédemment évoqué. Les actions de David ne sont pas dignes d’un roi, au contraire, elles sont même passibles de mort selon les codes de loi vétérotestamentaires[7].

Pour légitimer Jésus, la généalogie commence en soulignant le lien entre David et Jésus, le « fils de David ». Cette généalogie accentue alors la différence entre ces deux personnages par l’allusion aux pires crimes de David. Les lecteurs peuvent donc développer l’attente que Jésus soit présenté dans la suite de l’évangile comme un messie provenant de la lignée de David, mais un messie qui se distingue aussi de ce roi.

La suite de la généalogie présente les rois du royaume de Juda, descendants de David. Selon l’interprétation de l’histoire d’Israël proposée dans la généalogie de Mt 1, cette dynastie se termine avec la déportation à Babylone (Mt 1,11-12). Dans la dernière partie de la généalogie (Mt 1,12-16), il n’y a plus de roi. La mention de Zorobabel (v. 12) génère aussi un effet important à souligner. Zorobabel fait partie du premier groupe d’exilés revenant en Judée. Il est le premier gouverneur de Jérusalem mis en place par les Perses et voit à la reconstruction du Temple de Jérusalem. Les livres d’Agée (2,23) et de Zacharie (4,6-10) évoquent Zorobabel comme le centre de l’espoir d’un retour de la lignée davidique[8]. Cependant, cet espoir ne s’est pas concrétisé. Évoquer Zorobabel en Mt 1 rappelle l’échec de l’ultime tentative de raviver la lignée de David.

La fin de la généalogie comporte aussi un renversement. Une longue séquence d’engendrements (ἐγέννησεν, à l’actif) entre hommes se voit arrêtée au v. 16 par « Joseph, l’époux de Marie, de laquelle est engendré (ἐγεννήθη, au passif) Jésus, que l’on appelle Christ ». La modification du style répétitif amène aussi un lien généalogique différent. Contrairement aux 39 hommes précédemment mentionnés, Joseph, le descendant de David, n’engendre pas Jésus. Ce verset établit un lien entre Jésus et David, mais ce lien est étonnant puisqu’il passe par un engendrement au passif attribué à une femme. La naissance de Jésus se distingue donc de celles de ses ancêtres.

Ce bref parcours permet d’éclairer la portée politique de la généalogie de Jésus. Cette lignée est incontestablement royale, mais elle développe une tension avec la façon dont le pouvoir a été exercé par la royauté en Israël[9]. Comme le dit Élian Cuvillier : « La généalogie matthéenne, en même temps qu’elle justifie le titre Fils de David appliqué à Jésus, semble sinon le contester du moins en dire les insuffisances[10] ». Mt 1,1-17 subvertit le messianisme davidique en revisitant l’histoire du peuple juif pour proposer l’identité de Jésus comme Messie à la fois issu de David et différent de lui. Dès les premières lignes, ce texte laisse entendre que les interprétations courantes du Messie davidique de ses lecteurs se transformeront au cours de la lecture du récit[11]. Cette modification des attentes reliées au fils de David peut se comprendre à la lumière de l’ensemble de l’évangile qui présente Jésus comme un messie crucifié.

https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/2019-v75-n3-ltp05637/1073186ar/
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MessageSujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé.   Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. - Page 2 Icon_minitimeMer 04 Sep 2024, 16:15

La généalogie de Matthieu n'insiste pas du tout sur le "crime" de David -- ni sur l'adultère ni sur le meurtre indirect: "adultère" et "viol" sont d'ailleurs des notions également anachroniques, puisque 1) l'"adultère" de la Bible et de l'Antiquité en général ne concerne que la relation d'un homme marié ou non avec une femme mariée, ou fiancée, soit un "vol", une atteinte à la "propriété" du mari ou du fiancé, voire du père dans le cas d'une vierge non fiancée; 2) le "consentement" de la femme est accessoire, à peine marqué négativement dans la Torah, comme une présomption d'innocence ou de culpabilité (ne pas crier quand on est en ville, en situation objective d'être entendue; inversement, celle qui serait violée à la campagne est réputée avoir crié, puisqu'elle n'aurait pas pu être entendue; quant à la notion récente de "viol conjugal", elle aurait laissé les Anciens perplexes); et surtout 3) le roi n'est soumis à aucune "loi" ni juridiction hormis celles, directes et arbitraires, du dieu tutélaire... Bethsabée comme les trois autres femmes mentionnées à titre exceptionnel dans une généalogie masculine ne l'est pas pour une "faute", encore moins pour celle d'un autre (de David Matthieu ne dit aucun mal), mais comme "étrangère" (ce qu'est aussi Tamar dans la tradition), femme de Hittite, supposée elle-même non-Israélite, en tout cas hors norme "ethnique" encore plus que "morale". C'est cela qui correspond le mieux à l'idéologie matthéenne, la plus "juive" en un sens et aussi la plus "antijuive" (le royaume de Dieu passe d'Israël aux païens, aux nations, aux Gentils, ethnè, quitte à en faire "une autre nation", ethnos), bien plus qu'une dévalorisation de "David" à laquelle Matthieu ne laisse aucune place (contrairement à Marc qui conteste beaucoup plus radicalement le messianisme royal et davidique, autour du titre de "fils de David"). Le "messianisme" de Matthieu est ouvertement davidique, comme le "messianisme" pharisien (anti-sacerdotal), même s'il est anti-pharisien par ses implications politiques (sans oublier que les pharisiens eux-mêmes passent progressivement, par la force des choses, de la première à la seconde guerre juive, d'un messianisme davidique anti-romain à un messianisme toujours davidique mais strictement eschatologique, repoussé sine die, et au présent apolitique, pacifique, romano-compatible, pas si différent à cet égard du "christianisme" qui, depuis Marc ou l'épître aux Romains, laisse ou rend les choses de César à César).

Déterminer un "point de vue du lecteur", à partir d'une "intertextualité" présumée objective ou commune, comme si tout lecteur avait la même et la même que l'"auteur", est un projet tentant, mais impossible et absurde: parmi les premiers lecteurs ou auditeurs de Matthieu il y avait probablement des gens qui ne savaient rien de l'"Ancien Testament", d'autres qui en avaient entendu quelque chose en grec, d'autres en hébreu, qui en connaissaient des extraits ou des passages, approximativement ou par coeur, dans un "contexte" relatif ou tout à fait "hors contexte", par des citations plus ou moins exactes ou des anthologies apologétiques (testimonia): le même texte ne pouvait pas évoquer pour tous la même chose; de ce point de vue "nous" n'échappons pas à la règle, que nous nous croyions ou non "destinataires".
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MessageSujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé.   Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. - Page 2 Icon_minitimeJeu 05 Sep 2024, 15:17

CONCUBINE

Chez les Hébreux, la concubine occupait une position semblable à celle d’une épouse de second rang ; d’ailleurs, on parlait parfois d’elle comme d’une épouse. Il semble que les concubines étaient des esclaves d’une des trois catégories suivantes : 1) la jeune Hébreue vendue par son père (Ex 21:7-9) ; 2) l’esclave étrangère achetée ; ou 3) l’étrangère faite captive au cours d’une guerre (Dt 21:10-14). Certaines étaient les esclaves ou les servantes de la femme libre, comme celles de Sara, de Léa et de Rachel. — Gn 16:3, 4 ; 30:3-13 ; Jg 8:31 ; 9:18.

Le concubinage existait avant la conclusion de l’alliance de la Loi. La Loi l’admit et le réglementa, ce qui assura la protection des droits tant des épouses que des concubines Shocked (Ex 21:7-11 ; Dt 21:14-17). Les concubines n’avaient dans la maisonnée pas autant de droits que la femme en titre, et un homme pouvait avoir simultanément plusieurs femmes et des concubines (1R 11:3 ; 2Ch 11:21). Lorsque la femme d’un homme était stérile, elle lui donnait parfois sa propre servante comme concubine, et l’enfant qui naissait à la concubine était considéré comme celui de la femme libre, sa maîtresse (Gn 16:2 ; 30:3). Les fils des concubines étaient des enfants légitimes et pouvaient hériter. — Gn 49:16-21 ; voir aussi Gn 30:3-12.

La coutume orientale voulait que les femmes et les concubines d’un roi puissent uniquement devenir celles de son successeur légal. C’est pourquoi Absalom, qui montra le plus grand irrespect envers David, son père, essaya d’asseoir sa tentative d’usurpation de la royauté en ayant des rapports avec les dix concubines de celui-ci (2S 16:21, 22). Après l’intronisation de Salomon, Adoniya, un de ses frères plus âgés qui avait déjà tenté d’obtenir la royauté, alla trouver la mère du nouveau roi, Bath-Shéba, et lui dit : “ Tu sais bien toi-​même que la royauté aurait dû me revenir ”, après quoi il la pria de demander à Salomon Abishag la Shounammite, qui était apparemment considérée comme une femme ou une concubine de David. Salomon répondit avec colère : “ Demande aussi pour lui la royauté ”, puis il ordonna qu’Adoniya soit mis à mort, ce qui indique qu’il voyait dans sa demande une volonté de s’approprier le royaume. — 1R 1:5-7 ; 2:13-25.

Dieu ne jugea pas opportun de rétablir la monogamie, norme qu’il avait instituée à l’origine dans le jardin d’Éden, avant la venue de Jésus Christ sur la terreShocked Toutefois, il protégea la concubine au moyen de lois. Le concubinage contribua logiquement à un accroissement plus rapide de la population en Israël. — Mt 19:5, 6 ; 1Co 7:2 ; 1Tm 3:2 ; voir MARIAGE (La polygamie).

Au sens figuré. L’apôtre Paul compare Jéhovah au mari d’une femme libre, la “ Jérusalem d’en haut ”, qui est la “ mère ” des chrétiens engendrés de l’esprit, de même qu’Abraham était le mari de Sara. Il compare la relation que Jéhovah entretenait avec la nation d’Israël représentée par sa capitale, Jérusalem, à celle qui unit un mari et une concubine. Par l’alliance de la Loi, Jéhovah était ‘ marié ’ à Jérusalem comme à une “ servante ”, à une ‘ concubine ’, relation analogue à celle d’Abraham avec Agar, esclave et concubine. — Ga 4:22-29 ; voir aussi Is 54:1-6.

https://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/1200001020?q=concubines+david&p=par


"Pourquoi donc as-tu méprisé la parole du Seigneur, en faisant ce qui lui déplaisait ? Tu as abattu par l'épée Urie, le Hittite ; tu as pris sa femme pour en faire ta femme, et lui, tu l'as tué par l'épée des Ammonites. Maintenant, l'épée ne s'écartera jamais de ta maison, parce que tu m'as méprisé et parce que tu as pris la femme d'Urie, le Hittite, pour en faire ta femme. Ainsi parle le Seigneur  : Je suscite un malheur contre toi du sein de ta maison ; je prendrai tes propres femmes sous tes yeux pour les donner à l'un de tes proches, et il couchera avec tes femmes sous les yeux de ce soleil. Toi, tu as agi en secret, mais moi, je ferai cela à la face de tout Israël et à la face du soleil" (2 Sam 12,9-12).

Le Dieu du roi David n'a jamais condamné le fait qu'il possède des concubines, au contraire, il annonce qu'qu’il prendra les siennes pour les donner à d’autres. Cette parole se réalisera en 2 Samuel 16,20-22, dans lequel nous voyons Absalom, l’un des fils de David, capturer le harem de son père et avoir des relations sexuelles avec ses femmes, au vu et au su de tout le monde.
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MessageSujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé.   Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. - Page 2 Icon_minitimeJeu 05 Sep 2024, 15:49

En tout cela la Watch, malgré son sectarisme particulier, ne se distingue pas beaucoup d'une lecture chrétienne, moderne, protestante, américaine, puritaine de textes "bibliques" qui ne lui ressemblent pas... Cela dit, c'est amusant que le commentaire sur Galates mette "Jéhovah" soi-même dans la situation du polygame et concubin, fût-ce par "comparaison"...

Plus généralement, ce qu'on appelle la "morale", chrétienne ou post-chrétienne, humaniste par exemple, constitue bien le principal obstacle à la lecture des textes "bibliques" et antiques en général -- non que les textes anciens fussent dépourvus de "morale": il y a toujours déjà eu du "bon" et du "mauvais" plus ou moins consensuels, mais pas avec le même "contenu" (qu'est-ce qui est "bon" ou "mauvais") d'une époque, d'un lieu ou d'un milieu à l'autre. Seul le rythme ou le tempo du changement (du "contenu", non du "principe") change: la quasi-totalité de la littérature du XXe siècle est déjà illisible à la majeure partie des jeunes générations, alors qu'à d'autres époques on a pu lire les mêmes textes à peu près de la même manière pendant des siècles.

Mais nonobstant les variations du "contenu" le personnage de David (p. ex.) questionne le "principe" moral lui-même: on n'a pas besoin d'être "bon", quel que soit le critère de la "bonté", pour être "aimé", désiré (dwd, 'hb), par les dieux comme par les hommes ou les femmes; et il ne suffit pas non plus d'être "bon" pour l'être; il s'agit de "grâce", de "trouver grâce aux yeux" d'autrui, ce qui n'est pas tout à fait la même chose...
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MessageSujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé.   Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. - Page 2 Icon_minitimeJeu 05 Sep 2024, 16:18

Machiavel et les « arts de la paix »
Nathanaël Monier-Dana

14D’abord présenté comme un jeune pâtre sous le règne du roi Saül, le fils de Jessé se distingue lorsqu’il tue en duel, dans la vallée d’Elah, le héros des Philistins, le géant Goliath, à l’aide de sa fronde. À la mort d’Ishbaal, le fils de Saül, il devient roi d’Israël et entreprend une politique de conquête : il capture notamment Jérusalem et agrandit les limites de son royaume qui s’étendra des frontières égyptiennes jusqu’à l’Euphrate. Aussi David est-il qualifié d’« eccellentissimo », c’est-à-dire possesseur d’une très grande vertu, laquelle est d’abord « per arme » : à nouveau la vertu du prince excellent est liée à la question militaire. Les Écritures relatent qu’il a vaincu Goliath, a mis en déroute les Amalécites, les ennemis héréditaires des Hébreux, et surtout qu’il a réellement fondé l’unité des tribus israélites jusqu’alors dispersées. En somme, il existe une gesta des actions militaires du roi David. Cette politique agressive d’expansion est clairement évoquée lorsque Machiavel dit de lui qu’il a battu tous ses voisins (« battuti tutti i suoi vicini »), faisant entrer Israël dans la catégorie des États de domination, comme cela était posé plus tôt :

Partant, si quelqu’un voulait ordonner une république toute nouvelle (ordinare una republica di nuovo), il devrait examiner s’il veut qu’elle s’agrandisse en territoires et en puissance comme Rome, ou qu’elle reste dans des limites étroites. (Ibid., 1, 6, p. 80-81)

15En vérité, comme cela a été posé au chapitre 6 du livre I, il n’y a que deux « modèles » à suivre pour le prince-fondateur, qu’il soit Romulus ou David : celui de Rome ou celui de Sparte ou Venise. C’est-à-dire choisir d’emblée de dominer ses voisins – et bâtir les lois et constitutions en fonction – ou bien de rester « dans ses limites ». Or, c’est bien au schème de l’expansion que répond David en passant par la question des armes, point essentiel de sa vertu. Cependant, la virtù davidienne n’est pas que guerrière ; elle s’exprime aussi « dans la doctrine, dans le jugement ». Il est toutefois surprenant de ne pas voir ici évoqué l’un des traits de caractère de David qui illustre son ambivalence : c’était un roi-musicien. Autrement dit, il jouait et apaisait les âmes – c’est ainsi qu’il fait la rencontre, encore jeune pâtre, du roi Saül qui souhaitait que l’on calme son âme tourmentée depuis que « l’Esprit de l’Éternel s’était retiré de lui » (Samuel 16:14). Il existe donc deux facettes de David : roi guerrier et roi musicien, général impitoyable avec ses ennemis et chanteur apaisant l’âme de ses sujets. Cette dimension importante du personnage est ici laissée de côté, sans doute parce qu’elle inciterait à mettre en avant la concorde et l’harmonie intérieure ; or, ce n’est sans doute pas ce que Machiavel a en tête lorsqu’il écrit que David, « après avoir vaincu et battu tous ses voisins, […] laissa à Salomon, son fils, un royaume paisible (un regno pacifico) ».

16Il y a lieu de s’interroger sur cette « paix » dont hérite Salomon. Dans ce contexte, c’est parce que « tous » les voisins ont été battus que le royaume est en « paix ». D’où il s’ensuit que, pour avoir « la paix », il faut mettre hors d’état de nuire tous les pays susceptibles de poser danger. La paix n’est donc pas le résultat d’une négociation entre deux partis belligérants mais bien la conséquence, toujours temporaire, d’une victoire militaire totale. Aussi, par la guerre et la conquête de ses voisins, David laisse-t-il à son fils Salomon « un royaume paisible, que celui-ci put conserver par les arts de la paix (con l’arte della pace) et non par la guerre » (1, 19, p. 132). Le syntagme « arts de la paix » ressurgit ici, au travers de la question de l’avènement du fils de David, Salomon. Mais si le fils de Jessé était célébré, dans les lignes précédentes, pour sa vigueur, Salomon est décrit sur le mode de la passivité : il hérite de son père, « conserve » le royaume et profite de la virtù davidienne encore présente. À contre-courant de la tradition biblique, Salomon est davantage dépeint comme un intendant – dont le mérite est d’avoir su maintenir la gloire du royaume, sans l’augmenter mais sans la diminuer non plus – que comme un des plus grands rois d’Israël.

17La question est de savoir comment ce prince, moins excellent que son père, a su maintenir le royaume d’Israël en l’état. Le premier élément explicatif est la virtù de David qui a mis longtemps à s’épuiser complètement. Le second élément nous interpelle plus fortement : « con l’arte della pace, e non con la guerra » (celui-ci put conserver [le royaume] par les arts de la paix, et non par la guerre), écrit Machiavel.

18En vérité, cet « arte della pace » du chapitre 19 ressemble aux « arts de la paix » introduits plus tôt dans le livre I des Discours. Cette technè de la religion via son institutionnalisation était, dans le chapitre 11, attachée à la figure de Numa, présenté comme un grand roi, plus important, à certains égards, que son illustre prédécesseur. Or, de même que le tempérament de David est proche de celui de Romulus, celui de Salomon s’apparente au caractère « quieto e religioso » de Numa. Ainsi, il s’agit d’un parallélisme historique quasiment parfait. Salomon, lui aussi, est le second roi. Sa responsabilité historique est également immense : il hérite d’un royaume colossal, qui s’est étendu très rapidement, et sa tâche consiste avant tout à le conserver. De même, Machiavel sait que Romulus et David ont tous deux eu recours à une violence extraordinaire et que le rôle de leurs successeurs était surtout de maintenir la paix là où les fondateurs avaient failli. Romulus avait tué son frère et Tite-Live rapporte que si son royaume s’était considérablement agrandi, les divisions internes faisaient rage lorsque Numa prit le pouvoir ; de même, David « le bien-aimé » provoqua le courroux divin et cessa d’être le préféré de Dieu lorsqu’il se résolut à envoyer mourir le mari de celle qu’il convoitait ardemment, Bethsabée. Il n’est pas tout à fait vrai qu’à l’intérieur des royaumes « paisibles » dont héritent Numa et Salomon règne initialement l’harmonie ; l’héritage des seconds rois consiste plutôt en de vastes royaumes dont la survie n’est pas menacée de l’extérieur et qui ne sont pas en état de guerre civile. Aussi, c’est grâce à la vertu des princes-fondateurs et à l’art de la paix que ces seconds rois ont pu « conserver » le royaume ; « l’art de la paix » est donc défini comme une technè de la conservation du royaume en l’état.

19Machiavel choisit délibérément l’exemple de Salomon pour parler de cette technè de conservation du royaume ou de la république. Aujourd’hui encore, deux faits restent attachés à la légende de Salomon : le premier est son jugement réputé infaillible – c’est le fameux « jugement de Salomon ». Le second est, dans ce contexte, plus frappant : en effet, c’est sous Salomon que se termine la construction du second Temple de Jérusalem. À l’instar du chapitre « De la religion des Romains », l’art de la paix renvoie ici à une institutionnalisation-utilisation de la religion. Le Temple de Jérusalem est le cœur même de la religion juive : il est l’espace fédérateur des sacrifices et des prières ; en ce sens, son apparition régule la vie de la cité et participe à la mise en ordre de la civiltà. Ainsi, Salomon aurait utilisé à son profit cette technè de la religion consistant à utiliser le sentiment religieux des Hébreux et à réguler les institutions religieuses. C’est donc à la lumière de la finalité qu’est la conservation (conservare) du royaume que doit être compris le recours aux arts de la paix ; au contraire, le recours aux armes, par Romulus ou par David, ne relève pas du champ de la conservation : la guerre augmente ou fait perdre. Aussi, le règne du second prince peut-il avoir des effets dramatiques. Comme l’écrit Machiavel :

Mais il ne réussit pas pour autant à laisser le royaume à son fils Roboam qui, n’étant pas semblable à son aïeul par sa vertu, ni à son père par sa bonne fortune, hérita avec peine de la sixième partie du royaume. (Ibid.)

20Ce n’est pas la virtù de Salomon qui est mise en avant mais sa bonne « fortuna » en sa connotation astrologique : d’emblée apparaissent les faiblesses de l’arte della pace face à la grandeur de la virtù davidienne. Car si David avait laissé un royaume « paisible » à son fils, ce dernier ne parvient pas à faire de même et Machiavel suggère que c’est là l’origine de la ruine du royaume unifié d’Israël. Il y a donc une supériorité évidente de la vertu guerrière du prince excellent sur les arts de la paix comme technè de la religion, instrument du prince moins vertueux (ou même « faible »). Là où David n’avait pas besoin de réussite et de fortuna, sa seule vertu étant suffisante, Salomon, lui, en eut besoin. Aussi, si Roboam avait succédé à David, il aurait sans doute pu conserver le royaume ; mais, succédant à un prince déjà moins vertueux, comme le prouve le recours aux arts de la paix, il « hérita avec peine de la sixième partie du royaume ».

https://journals.openedition.org/asterion/2749#tocto1n2
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MessageSujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé.   Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. - Page 2 Icon_minitimeJeu 05 Sep 2024, 18:04

Intéressant détour par Machiavel: tant qu'à faire on aurait pu citer Qohéleth, identifié à Salomon, dont la "sagesse" serait le savoir (et la) pratique (tekhnè, ars) d'une rythmique: "un temps pour la guerre et un temps pour la paix"...

Par rapport au schéma machiavélien (sinon machiavélique), on pourrait remarquer que le David "biblique" (de Samuel-Rois surtout) ne mène pas tant de guerres de conquêtes, et qu'on ne sait pas trop comment on passe de récits de batailles très réduites et localisées à l'image rédactionnelle d'un "grand Israël", obtenu par soumission spontanée des "tribus" et des peuples alentour sans guerre ni conquête apparente, dont Salomon hériterait sans avoir à combattre... Quant au thème de l'"artiste", du harpiste au psalmiste, il devient surtout "religieux" avec les Chroniques, qui font de David, avant Salomon, le concepteur du temple et de son culte -- la figure du roi artiste suit par ailleurs des chemins moins pieux, du moins au regard d'une religion institutionnelle, sacerdotale et consensuelle, par exemple dionysiaques ou orphiques du côté grec: cf. Antiochos, Néron (qualis artifex pereo) ou Héliogabale.
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MessageSujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé.   Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. - Page 2 Icon_minitimeVen 06 Sep 2024, 10:42

"Cette nuit-là, la parole du Seigneur parvint à Nathan : Va dire à David, mon serviteur : Ainsi parle le Seigneur  : Est-ce toi qui me bâtiras une maison pour que j'y habite ? Pourtant, je n'ai pas habité dans une maison depuis le jour où j'ai fait monter d'Egypte les Israélites jusqu'à ce jour, mais je me suis déplacé avec une tente pour demeure. Partout où je me suis déplacé avec tous les Israélites, ai-je dit un seul mot à aucune des tribus d'Israël à qui j'avais ordonné de faire paître Israël, mon peuple ? Ai-je dit : « Pourquoi ne me bâtissez-vous pas une maison de cèdre ? » Maintenant, tu parleras ainsi à David, mon serviteur : Ainsi parle le Seigneur (YHWH) des Armées : C'est moi qui t'ai pris au pâturage, derrière le troupeau, pour que tu sois chef sur mon peuple, sur Israël. Partout où tu es allé, j'ai été avec toi et j'ai retranché tous tes ennemis devant toi. Je te ferai un grand nom, comme le nom des grands de la terre ; je fixerai un lieu à Israël, mon peuple ; je le planterai pour qu'il y demeure et qu'il ne soit plus agité, pour que les hommes injustes ne recommencent plus à l'affliger comme par le passé. Depuis le jour où j'ai institué des juges sur Israël, mon peuple, je t'ai accordé le repos en te délivrant de tous tes ennemis ; or le Seigneur t'a annoncé que c'est le Seigneur qui fera une maison pour toi. Quand tes jours seront accomplis et que tu te seras couché avec tes pères, je susciterai après toi ta descendance, celui qui sera sorti de toi, et j'affermirai son règne. C'est lui qui bâtira une maison pour mon nom, et j'affermirai pour toujours son trône royal". (2 Sam 7,4-13)


La Prophétie de Nathan et le Temple. Remarques sur II Sam. 7 
Marcel Simon

C’est effectivement sur la question du Temple que Sam. et Chron. divergent de la façon la plus nette. Dans la Chronique, le verset qui en annonce la construction par Salomon, «c’est lui qui me bâtira une maison », répond à une nécessité : Jahveh, las de l’instabilité et de la vie nomade, entend bien avoir une résidence stable, une maison construite. Il sait gré à David de son intention, mais il réserve la réalisation du projet à Salomon. Le refus n’est que provisoire, et renferme une acceptation pour l’avenir. Cette acceptation se lit clairement dans le libellé même du refus : «Ce n’est pas toi qui me construiras la maison de résidence » (rawb roan, v. 4) : non pas toi, mais un autre ; et le fait que la maison soit déterminée par l’article prouve assez qu’elle est déjà présente dans l’esprit de Dieu : il a conçu le même projet que David ; c’est bien le Temple de Jérusalem qu’il a lui aussi choisi comme résidence. Salomon ne sera, en l’occurrence, que l’instrument de la volonté divine, dont David a eu comme une intuition.

La tendance du rédacteur apparaît plus clairement encore dans II Chron. 6, 5-9, 25, où Salomon rappelle, en l’accommodant, la promesse de Dieu à David : «Depuis le jour où j’ai fait sortir du pays d’Egypte mon peuple, je n’ai pas choisi de ville, parmi toutes les tribus d’Israël, pour qu’on y bâtisse une maison où réside mon nom, et je n’ai pas choisi d’homme pour qu’il fût chef de mon peuple d’Israël ». Jusqu’à présent, nous restons dans la ligne de la prophétie initiale, infléchie cependant dans un sens favorable à la monarchie, dont les destinées sont solidaires de celles du Temple : ni ville, ni sanctuaire, ni roi, telle est la situation au départ, et l’absence de l’un de ces éléments entraîne celle des autres. Mais c’est là une situation toute provisoire : le choix d’une résidence se double de celui d’un souverain : «Mais j’ai choisi Jérusalem pour que mon nom y réside, et j’ai choisi David pour qu’il règne sur mon peuple d’Israël ». Il implique aussi la construction d’un temple : «David, mon père, avait l’intention de bâtir une maison au nom de Jahveh, Dieu d’Israël ». Pour en avoir compris la nécessité, David a mérité la faveur divine : «Puisque tu as l’intention de bâtir une maison à mon nom, tu as bien fait d’avoir eu cette intention. Seulement, ce ne sera pas toi qui bâtiras la maison, ce sera ton fils, sorti de tes entrailles ».

Revenons maintenant au texte de Samuel : «Est-ce toi qui me construirais une maison pour que j’y réside ? » (v. 5). L’accent est tout diffèrent. La maison est impersonnelle, une maison quelconque. Au lieu d’une négation, une interrogation étonnée : comment, toi — non pas toi, David, mais toi, humain — , tu aurais l’audace de m’emprisonner entre des murs construits, moi qui suis Dieu ? C’est à la race humaine, me semble-t-il, que Jahveh parle ici en parlant à David, et l’inter¬ rogation prend ainsi la force d’un refus, beaucoup plus absolu que la négation de la Chronique.

Dieu entend rester fidèle à ses habitudes du désert. Pas plus qu’il n’a demandé de maison jusqu’à présent, pas plus il n’en veut pour l’avenir. Il ne faut point renverser les rôles : ce n’est pas à David de lui construire une demeure, c’est bien plutôt à lui de construire la «maison » de David. C’est lui qui a, dans le passé, appelé, guidé, protégé David ; c’est lui a installé Israël en Canaan et l’a délivré de ses ennemis ; c’est lui encore qui élèvera et consolidera la «maison » royale, la dynastie, et cela par une libre décision, et non pas en égard à la pieuse intention qu’avait conçue David de construire un temple ; le rappel de sa vocation par Dieu semble vouloir le souligner.

Dans ces conditions, le verset 13, qui annonce la construction du Temple par un autre que David, et où M. Mowinckel nous invite à reconnaître «la pointe même de tout le récit » 26, apparaît comme un corps étranger. Il rompt l’enchaînement normal des idées ; il rend presque inintelligibles, et le jeu de mot sur «maison », entendue par David au sens matériel, par Dieu au sens métaphorique de dynastie, et par le fait même l’idée maîtresse du passage, savoir les rôles respectifs de David, qui ne peut qu’obéir, et recueillir les bienfaits divins, et de l’Eternel, à qui seul il appartient de construire la «maison » royale. Supprimons-le : notre texte prend alors une force et une cohérence singulières.

M. van den Bussche, qui s’est lui aussi penché sur ce problème, refuse, comme M. Mowinokel, de conclure à l’interpolation. C’est au contraire, nous l’avons vu, la menace du verset suivant qu’il considère comme interpolée. Je n’entrerai pas dans le détail de son argumentation, plus ingénieuse à mon avis que convaincante27. Je noterai simplement qu’il apporte, dans une de ses remarques, un appui involontaire à la thèse que je reprends ici après beaucoup d’autres critiques. Constatant que, dans Sam., il est dit du Temple qu’il sera construit, non pas «à moi » (ainsi Chron., v. 12), mais «à mon nom », il estime que cette variante «s’oppose à l’authenticité de la formule de Sam., qui trahit le judaïsme » 28 : entendons qu’elle ne se trouvait pas dans le Proto-Samuel, fidèlement reproduit, selon M. van den Bussche, par le Chroniste. Je le pense aussi, mais il me paraît évident que c’est le verset tout entier, et non pas seulement le «à mon nom » qui était absent de la source initiale. Il est, dans Sam., manifestement interpolé, peut-être à la suite du Chroniste, mais de façon moins habile. Le «à mon nom » substitué, — sans doute sous l’influence d’autres textes, où le Temple est donné comme construit pour le nom de Jahveh 29, — au «à moi » qui figure en Chron., trahit en effet une date tardive ; mais, en outre, le rédacteur de notre Samuel n’a pas pris la peine de procéder, comme le Chroniste, aux retouches de détail complémentaires, susceptibles, en modifiant la perspective d’ensemble, de donner au texte remanié la cohérence qu’il possède dans la Chronique.

https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1952_num_32_1_3298
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MessageSujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé.   Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. - Page 2 Icon_minitimeVen 06 Sep 2024, 11:30

Etude ancienne (1952) mais fort intéressante, surtout par l'éclairage inhabituel qu'apporte un retour sur Samuel-Rois et les Chroniques de ce qu'on peut appeler vaguement une nébuleuse judéo-chrétienne hellénistique (Philon-Etienne-Hébreux, à quoi on pourrait ajouter, différemment, Marc et Paul: même les pseudo-Clémentines antipauliniennes citées à la fin en sont proches sur la question du temple): il y a eu, à différentes époques, dans divers lieux et milieux, toute sorte de raisons pour vénérer ou mépriser le temple, l'idée de temple en général ou tel temple particulier, notamment celui de Jérusalem, le premier, le second, de l'époque perse à l'époque romaine. Et malgré les différences de contextes, de sens et d'intention, on retrouve une continuité verbale des expressions, de vénération ou de mépris, qui ressortent et resservent à des fins différentes d'une époque à l'autre.

La rédaction "principale" de Samuel-Rois et des Chroniques (qu'on peut qualifier de "deutéronomiste" d'une part, de "sacerdotale" d'autre part, sous réserve de préciser ce qu'on entend par là) fait bien apparaître une différence idéologique majeure: d'un côté c'est la dynastie royale de Juda et de Jérusalem qui compte, dans une perspective politique qui peut encore espérer un rétablissement au début de l'époque perse (d'où l'importance du rétablissement de Joïakin à la fin de 2 Rois ou sa valorisation dans certains passages de Jérémie, et les ambitions attachées à Zorobabel dans Aggée-Zacharie); de l'autre, à l'époque hellénistique, c'est le temple, son culte et son sacerdoce au sens large, de plus en plus artistique (chantres, instruments), qui captent de façon permanente tout l'héritage "davidique".

Mais sur le personnage de David la différence est moindre: on n'est plus dans les récits traditionnels, populaires, vivants, qui lui donnaient du relief, de la couleur et du caractère, bon ou mauvais à tel ou tel point de vue, mais dans ce que j'appelais la rédaction "principale", idéologique d'une idéologie ou d'une autre: royale, politique et distincte du sacerdoce et du culte d'une part, sacerdotale et cultuelle d'autre part. Samuel-Rois relativise l'importance du temple, mais reconnaît la bonne intention de David et ne lui reproche rien, il la récompense au contraire par la promesse de la dynastie (politique, historique, nullement eschatologique ou "messianique" à ce stade), qui vaut mieux que le temple (dont on sait au moins, au moment de la rédaction, qu'il a été détruit); quant aux Chroniques, si elles expliquent la préférence accordée à Salomon sur David pour la construction effective du temple par l'opposition des guerres ou du sang et de la paix, elles ne font pas non plus de reproche à David, puisqu'elles l'associent totalement à Salomon en lui donnant même la priorité dans le projet (plan révélé, fonds rassemblés, organisation de la prêtrise, des lévites et des chantres, tout cela est porté au crédit de David).
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MessageSujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé.   Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. - Page 2 Icon_minitimeDim 08 Sep 2024, 11:39

Citation :
Mais sur le personnage de David la différence est moindre: on n'est plus dans les récits traditionnels, populaires, vivants, qui lui donnaient du relief, de la couleur et du caractère, bon ou mauvais à tel ou tel point de vue, mais dans ce que j'appelais la rédaction "principale", idéologique d'une idéologie ou d'une autre: royale, politique et distincte du sacerdoce et du culte d'une part, sacerdotale et cultuelle d'autre part. Samuel-Rois relativise l'importance du temple, mais reconnaît la bonne intention de David et ne lui reproche rien, il la récompense au contraire par la promesse de la dynastie (politique, historique, nullement eschatologique ou "messianique" à ce stade), qui vaut mieux que le temple (dont on sait au moins, au moment de la rédaction, qu'il a été détruit); quant aux Chroniques, si elles expliquent la préférence accordée à Salomon sur David pour la construction effective du temple par l'opposition des guerres ou du sang et de la paix, elles ne font pas non plus de reproche à David, puisqu'elles l'associent totalement à Salomon en lui donnant même la priorité dans le projet (plan révélé, fonds rassemblés, organisation de la prêtrise, des lévites et des chantres, tout cela est porté au crédit de David).

Les David de la Bible hébraïque
André Wénin

Un seul personnage de la Bible hébraïque porte le nom de David – c’est le roi que nous connaissons tous. Mais s’il y a un seul David, pourquoi parler des David de la Bible ? Parce que si le personnage est unique, les portraits que ce livre en donne sont multiples. Le plus connu est évidemment celui qui est au centre des deux livres de Samuel où son nom se lit à 576 reprises, à quoi, l’on peut ajouter les 96 occurrences des livres des Rois, situées surtout au début du premier de ces livres1. Mais David est aussi très présent dans les livres des Chroniques où son nom revient 261 fois dans un récit qui suit en partie celui des livres de Samuel mais qui donne du grand roi une image sensiblement différente. Le Psautier – dont une tradition très ancienne lui attribue la paternité – mentionne David à 88 reprises, les neuf dixièmes des occurrences se trouvant dans les « titres » placés en tête des psaumes2. Quant aux prophètes et aux sages, ils parlent beaucoup moins de David3. Je n’en tiendrai pas compte dans cette présentation où je partirai du grand récit de Samuel avant de jeter un regard plus rapide aux deux autres portraits, en commençant par celui qui émerge du Psautier.

1.2. Un pouvoir secoué par les querelles internes

Après un chapitre de transition résumant les guerres de conquêtes menées par David et dressant une brève liste de ses fonctionnaires (Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. - Page 2 Icon_cool, commence le récit de la façon dont David gère le pouvoir une fois son trône affermi. Il commence par honorer un engagement pris envers son ami Jonathan en invitant le fils de celui-ci, Mephiboshet, à résider à la cour et à manger à la table du roi – geste certes généreux, mais manière aussi de tenir à l’œil un homme de sang royal potentiellement menaçant. Suit une longue séquence relatant une guerre qui sera déterminante pour la suite du règne de David : la double campagne contre les Ammonites dont le jeune roi Hanoun a méprisé les émissaires envoyés par David pour le féliciter. C’est au cours de cette guerre impliquant aussi les Araméens que se passe un événement crucial : l’adultère de David avec Bethsabée, la femme d’Urie, un soldat que le roi rappelle du front puis envoie à la mort après qu’il a fait échouer – intentionnellement ou non, on ne le sait pas – les efforts de David pour l’envoyer coucher avec sa femme et endosser ainsi la paternité de l’enfant de l’adultère. On connaît la suite : David épouse Bethsabée, la chose déplaît à Yhwh qui envoie Nathan chez  David. Suivent la condamnation de ce dernier et sa reconnaissance de la faute, la mort de l’enfant puis la naissance d’un autre fils du couple, Salomon (9–12).

L’oracle de condamnation proféré par Nathan a ici la fonction d’annonce du sujet pour la suite du récit : « l’épée ne s’écartera jamais de ta maison… je vais amener sur toi du malheur venant de ta propre maison » (12,10.11). La fin du règne de David sera en effet terriblement mouvementée. Car puisque le roi a montré que le pouvoir permet à celui qui le détient de commettre n’importe quel abus à son propre profit, il devient singulièrement plus attrayant que s’il s’agit de risquer sa peau pour le bien-être du peuple ! Après qu’Amnon, l’aîné de David9 est entré dans ce jeu pervers en violant sa demi-sœur Tamar, les malheurs vont s’accumuler car les fils de David vont manœuvrer pour tenter d’obtenir le pouvoir. Absalom, le frère utérin de Tamar, va profiter du fait qu’il doit venger sa sœur pour assassiner son frère aîné et l’écarter ainsi de la succession. Banni par David puis gracié suite à l’intervention de Joab, impatient de monter sur le trône, il fomente un coup d’État pour renverser son père. Celui-ci est contraint de fuir rapidement Jérusalem, non sans y avoir laissé des gens fiables capables de le tenir informé et de déjouer les plans de l’usurpateur. C’est grâce à eux qu’avec l’appui discret de Yhwh, la révolte sera matée mais aussi qu’Absalom sera tué au plus grand désespoir de son père. Mais David n’en a pas fini pour autant. Un aventurier nommé Shèva prend le relai d’Absalom, mais sa révolte sera brutalement réprimée par Joab (13–20)10. 

Enfin, du vivant de David, Adonias, le fils qui suit Absalom dans l’ordre de succession, se donne des airs de prince héritier sans que son père le réprimande. Et alors que David est en train de s’éteindre peu à peu, Adonias réunit ses partisans sans doute pour se faire oindre roi.
Mais avec l’aide de Bethsabée, le prophète Nathan déjouera ses plans et, invoquant un serment que David n’a probablement jamais fait, ils amèneront le vieux roi à désigner Salomon comme son successeur et cela, avant même de mourir. Évincé, Adonias n’en tentera pas moins un dernier essai de se hisser dans les sphères du pouvoir, un essai qui lui sera fatal puisqu’il sera tué pour avoir défié indirectement le pouvoir de son frère. En cela, Salomon agit conformément aux derniers conseils de son père, lui recommandant d’écarter soigneusement tous les personnages dangereux pour son trône.

3. Le David des livres des Chroniques17

Les livres des Chroniques est une œuvre tardive qui doit avoir vu le jour dans les milieux lévitiques du temple de Jérusalem vers la fin de l’époque perse, une époque où le Psautier était en train d’acquérir ou allait bientôt acquérir sa forme définitive – y compris avec les titres biographiques dont il vient d’être question. Ces deux livres témoignent d’ailleurs d’une image de David qui n’est pas loin de celle que donnent les autres titres des psaumes où figure le nom du grand roi.

Dans sa reprise de la trame des livres de Samuel et des Rois – mais l’influence littéraire est-elle directe ou non ? –, les Chroniques mettent clairement deux rois en évidence pour le rôle central qu’ils ont joué dans la construction du Temple de Jérusalem, le lieu de la présence de YHWH, là où il fait habiter son Nom, ses yeux et son cœur (2 Ch 22,9 et 7,16). Le thème de l’élection (verbe bḥr) est d’ailleurs repensé dans ces livres en fonction de ce lieu saint. Il évoque deux grands élus : David (1 Ch 28,4 ; 2 Ch 6,5.6) et Salomon (1 Ch 28,5.6.10 et 29,118) : dans la ville « choisie », Jérusalem (2 Ch 6,5.6.34.38 ; 12,13 ; 33,7), ils édifieront le lieu « choisi » par Dieu (2 Ch 7,12) pour le service duquel ont été à leur tour « choisis » les lévites (1 Ch 15,2 et 2 Ch 29,11). C’est ainsi que l’essentiel de ce que Chr raconte de David et Salomon tourne autour de cette édification. 

Dans ce récit, David fait énormément pour le Temple – c’est sans comparaison avec les livres de Samuel. Après avoir introduit l’Arche à Jérusalem, il exprime le souhait de lui construire une demeure (1 Ch 17,1 = 2 S 7,1), ce que Yhwh refuse par la bouche de Nathan, qui en reporte la réalisation à la génération suivante (v. 11). Pourquoi cela ? Parce que les nombreuses guerres de David ont souillé ses mains d’un sang qui les rend rituellement impures (1 Ch 18–20 : cf. 22,Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. - Page 2 Icon_cool, bien que ses succès jamais démentis soient un signe sûr de la bénédiction de Dieu (14,10-16). C’est d’ailleurs le butin provenant de ces guerres, qui fournira l’essentiel des matériaux précieux que David accumule pour servir à la construction du Temple (1 Ch 18,1-4.11 ; 22,3-5.14-16 ; 28,14-18). David choisit aussi le lieu où il sera édifié : après s’être repenti du péché consistant à recenser le peuple (1 Ch 21, cf. 2 S 24, avec modifications), il construit un autel sur l’aire d’Ornân, et son choix sera clairement approuvé par Dieu (1 Ch 21,25-26.28).

Une fois l’emplacement trouvé, David organise les préparatifs. Il investit Salomon de la tâche concrète de bâtir la demeure et il ordonne à « tous les chefs d’Israël » d’assister son fils dans cette œuvre (1 Ch 22). Après lui avoir cédé le trône – plus question de lutte pour la succession, ici –, il répartit les tâches des lévites (23), prêtres (24), chantres (25), portiers, trésoriers et autres attachés au Temple (26), se posant ainsi en organisateur du clergé (23,6.25-32 ; 24,3.31 ; 25,1 ; 26,32). On le voit : l’essentiel de l’action de David selon le Chr est orienté vers le Temple et le culte. C’est au point qu’en exprimant ses dernières volontés, il rappelle encore une fois l’élection de Salomon, il lui confie le plan de la Maison et le matériau pour réaliser les objets cultuels et il exhorte Israël à collaborer de tout cœur avec son nouveau roi (1 Ch 28,1–29,9).

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MessageSujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé.   Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. - Page 2 Icon_minitimeDim 08 Sep 2024, 13:18

Je disais au début de ce fil (fin juillet début août) que l'analyse narrative perd un peu de son intérêt quand elle tend à (sur-)interpréter de façon cohérente tous les détails de textes disparates; elle en perd aussi, peut-être davantage, quand elle veut comparer des ensembles nettement distincts (ici Samuel-Rois / Psaumes / Chroniques), mais que du coup (question de temps, d'espace, d'auditoire ou de lectorat) elle ne peut en faire qu'une paraphrase ou un résumé trop sommaire. Je remarque par ailleurs que Wénin (2017) évacue complètement l'aspect "érotique" du personnage de David dans Samuel-Rois, mais c'est sans doute plutôt une affaire de contexte général, ecclésiastique, que de place ou de temps dans un colloque, car il me semble que dans les autres textes que nous avons lus de lui il le passait également sous un silence pudique. L'inconvénient de cela, c'est que de la "sexualité" de David on ne retient que la "faute"...

Un détail: dire que le texte massorétique est la "mère" de toutes les versions (p. 2) me paraît abusif, surtout en ce qui concerne Samuel-Rois où il est désormais avéré (notamment grâce aux mss de Qoumrân) que la Septante et les Chroniques ont travaillé, au moins dans certains passages, sur un texte hébreu différent du texte pré-massorétique (lequel a tout au plus servi de base aux traductions occidentales depuis saint Jérôme, la Vulgate latine et toutes les traductions catholiques qui en dépendaient -- sauf pour les psaumes inscrits dans la liturgie d'après la Septante -- et les traductions modernes, d'abord protestantes, sur un texte hébreu tout à fait "massorétique" (et donc post-pharisien, même si les "massorètes" du moyen-âge étaient aussi des "qaraïtes" réfractaires à la tradition rabbinique: le texte hébreu "pré-massorétique", standardisé, était alors le seul disponible). Cela ne vaut pas pour tout le christianisme oriental qui dépendait de la Septante (y compris via le syriaque, le copte, l'éthiopien, l'arménien, le géorgien, le slavon, etc.).

En ce qui concerne l'"alliance" et le retournement des "maisons" (maison de Yahvé, maison de David) dont nous parlions précédemment, Wénin n'en dit pas grand-chose concernant 2 Samuel (7), mais c'est dans le paragraphe qui précède (le début de) ton extrait (p. 4, avant l'intertitre): son approche "globale" de Samuel-Rois ne lui permet pas de distinguer (du moins ici) entre les récits populaires et la rédaction "deutéronomiste" préoccupée de "dynastie". Quant aux Chroniques et à leur rapport au Psautier, il me semble que l'essentiel se joue davantage à l'époque hellénistique qu'"à la fin de la période perse": nous en avons parlé dernièrement dans le fil correspondant.

Les observations sur le "David du Psautier" (p. 6s) sont très intéressantes, mais il faut remarquer que c'est le contenu des psaumes en général (qu'ils soient associés à David ou à d'autres noms) qui produit la figure de l'individu humilié, angoissé, souffrant, suppliant, qui n'a le plus souvent rien de royal ni de guerrier -- figure secondairement rattachée à "David" par les su(per)scriptions tardives, très variables d'ailleurs en hébreu et en grec; et plus rarement encore à des épisodes des récits de Samuel-Rois... Du point de vue historico-critique, ce constat rejoindrait pour les Psaumes celui que Wénin fait avec raison sur les textes "prophétiques" et "sapientiaux' (p. 1 § 1 n. 3): de "David" hors de Samuel-Rois // Chroniques il est en fait peu question, et de l'"histoire" ou des "histoires de David" encore beaucoup moins (c'est surtout la "figure royale", triomphante, juste et puissante, qui intéresse les "Prophètes", ou plutôt les rédactions tardives des livres correspondants -- non les aventures du "jeune David" ni les mésaventures du "vieux").
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MessageSujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé.   Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. - Page 2 Icon_minitimeLun 09 Sep 2024, 10:53

David est-il parmi les prophètes ? La mention du nom de David dans les oracles des prophètes postérieurs
Jean-Pierre Sternberger

Inversement, les personnages des plus anciens rois ne semblent guère avoir retenu l’attention des prophètes écrivains. Saül, réputé être le premier roi d’Israël, n’est évoqué que de manière fort indirecte avec, en Es 10/29, le nom de la ville de Gibéa de Saul (Give’at Shaoul), étape au nord de Jérusalem sur la route des troupes assyriennes à l’assaut du pays de Juda. En dehors de cette allusion possible, le roi n’apparaît que dans les «livres historiques », en 1 S, 2 S, 1 Ch, ainsi que dans les titres des psaumes 52, 54 et 59, c’est-à-dire dans des textes édités après l’exil et, pour certains, assez longtemps après6.

De même, le seul texte dans un livre prophétique mentionnant Salomon se trouve en Jr 52/20, récit du pillage, dans le Temple de Jérusalem, des objets placés là par Salomon. Or cet appendice historique, qui reprend 2 R 25 sans oracle ni aucune référence au prophète, ne peut être attribué à Jérémie : il n’y a, de fait, aucune mention du roi Salomon dans des textes des Prophètes.

Si les recueils d’oracles sont silencieux en ce qui concerne Saül et Salomon, David y est bel et bien mentionné à divers titres. Trouverait-on dans le personnage du roi guerrier et poète la référence commune aux scribes et aux prophètes ? En parcourant ce dossier, nous verrons que la chose n’est pas aussi simple.

Le texte le plus ancien concernant David pourrait se trouver dans les écrits d’Osée et Amos, supposés contemporains. Voici, en vrac, les trois versets concernés:

«Après cela les enfants d’Israël rechercheront à nouveau le Seigneur, leur Dieu, et David, leur roi, ils se tourneront en tremblant vers le Seigneur et vers ses biens, dans l’avenir. » (Os 3/5).

«Allongés sur des lits d’ivoire, vautrés sur leurs divans, ils se régalent de jeunes béliers et de veaux choisis dans les étables ; ils improvisent au son de la harpe,
chantant comme David leurs propres cadences » (Am 6/4-5).

«Ce jour-là, je relèverai la hutte croulante de David, j’en colmaterai les brèches, j’en relèverai les ruines, je la dresserai comme aux jours d’autrefois » (Am 9/11).

Deux de ces textes (Os 3/5 et Am 9/11) appartiennent à des oracles de salut placés en contrepoint d’oracles de malheur précédant immédiatement dans l’édition actuelle. Du premier, André Caquot pouvait penser qu’il constituait la plus ancienne attestation d’une idéologie davidique du grand Israël7. Cette mention est pourtant étrange dans un livre où la monarchie, parenthèse dans l’histoire d’Israël, caractérise une période sombre entre deux séjours au désert8. De fait, la plupart des commentateurs s’accordent aujourd’hui avec H. W. Wolff9 pour voir dans cette mention de David un ajout deutéronomiste à l’ouvrage. Nous retrouverons l’expression «David leur roi » dans un autre passage relevant du même courant d’édition, en Jr 30/9, alors que l’expression «à la fin des jours» semble caractériser l’expression de l’eschatologie judéenne.

Le texte d’Am 9/11 s pose également plusieurs problèmes10. H. Cazelles" pense que cet oracle et l’image de la «cabane » -la soukkah -de David ne présupposent pas nécessairement la destruction de Jérusalem. Telle n’est pas l’opinion de H. W. Wolff2, et R. Martin-Achard, dressant la liste de tous les arguments pour une date récente, en conclut que «ces versets, comme souvent dans les livres prophétiques annoncent un “ happy end ”, que rien dans les oracles précédents ne justifie13 ». Encore une fois, il semble bien que nous ayons affaire à un ajout tardif (au plus tôt exilique).

Am 6/4-5 est très différent des deux autres passages. Il se réfère non au roi mais au compositeur musicien David14, et a également été lu comme une des plus anciennes références à un empire davidique15. Mais les mots «comme David», absents de la version grecque (LXX), interrompent le rythme du poème (J. Soggin). K. Elliger16 y voit une erreur de copiste, et H. W. Wolff un ajout tardif postexilique17.

Ainsi, ces mentions que l’on pourrait croire les plus anciennes de David relèveraient, après analyse, d’éditions postérieures. On ne s’en étonnera pas outre mesure : ce sont là des oracles prononcés dans le royaume du Nord alors que David est avant tout un roi de Jérusalem, c’est-à-dire du Sud18. Or c’est effective¬ ment avec un prophète de Jérusalem et du Sud, au livre d’Esaïe, que nous trouvons des références mieux établies.

La maison de David désigne ici le centre de décision à Jérusalem. D’un point de vue littéraire, ces versets introduisent un récit historique qui contraste avec les oracles qui l’entourent et au cours duquel le prophète se trouve en tête-à-tête avec le roi. Ceci n’est pas sans rappeler les épisodes relatés dans les chapitres d’Es 36 à 3919. Pour K. A. D. Smelik20, Es 7/1-2, qui n’émane pas du prophète mais parle de lui à la troisième personne, ressemble à 2 R 16/5 comme Es 36/1 est semblable à 2 R 18/1321, le tout appartenant au matériau éditorial mis en place assez tardive¬ ment, après l’exil, peu de temps avant l’édition de l’histoire deutéronomiste.

https://www.persee.fr/doc/ether_0014-2239_1994_num_69_1_3301
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MessageSujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé.   Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. - Page 2 Icon_minitimeLun 09 Sep 2024, 11:50

Excellente étude de Jean-Pierre Sternberger (1994), que je (re?)lis avec d'autant plus de plaisir qu'il a été, dans les années suivantes, l'un des contributeurs "extérieurs" (à la Société biblique) de la NBS que j'ai le plus appréciés... Elle tombe à point nommé parce qu'elle documente et argumente très précisément ce que je n'ai fait que suggérer trop vaguement à la fin de mon post précédent, sur le caractère tardif, secondaire d'une part, "idéal" d'autre part, des références "prophétiques" à "David", presque sans aucun rapport avec le "personnage" construit par les récits "populaires", non ou moins "deutéronomistiques", de Samuel (dans 1 Samuel surtout); cf. sa conclusion générale pages 60s.

J'ajouterais, trente ans plus tard, que l'inscription de Tel Dan, dont nous avons déjà parlé plus haut (30.8.2024) et dont Sternberger s'excusait (n. 1) de n'avoir pas pu tenir compte, ne change effectivement rien à l'affaire: même si on lit bytdwd comme un nom composé, toponyme ou autre, rien n'oblige à interpréter le second élément comme le nom propre "David" plutôt que comme un nom commun, par exemple "(maison du) bien-aimé"; et rien dans cette inscription araméenne (= syrienne) à l'extrême nord-est d'Israël (du Nord !) ne la rattache à Juda ni à Jérusalem, au sud... La ressemblance avec la formule "biblique" de "maison de David" est évidemment tentante pour les apologistes, encore cette formule doit-elle être, dans "la Bible" aussi, datée et interprétée texte par texte (cf. p. 55ss en commençant par Isaïe 7, morceau probablement tardif, où ce n'est ni le nom d'une ville ni d'une dynastie comme en 2 Samuel 7, mais peut-être du palais royal et de sa métonymie politique, la cour, le gouvernement, "centre de décision" dit Sternberger, "le château" dirait Kafka; à comparer à la "ville ou cité de David" qui est, selon les textes, soit "Jérusalem" soit un ensemble urbain ou architectural à l'intérieur de celle-ci...).
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MessageSujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé.   Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. - Page 2 Icon_minitimeLun 09 Sep 2024, 12:37

L’entrée du Christ à Jérusalem.
Lumières de l’Ancien Testament.
Philippe LEFEBVRE

L’entrée avant l’entrée

De la même manière, l’entrée à Jérusalem est anticipée dans les récits qui concernent David. Celui-ci, on l’a rappelé, ne se rendra maître de la cité qu’assez tardivement dans son cursus d’Oint du Seigneur. La ville est si sûre de sa force que les habitants haranguent David en ces termes : « Tu n’entreras pas ici, car même les aveugles et les boiteux te repousseront» (2 Samuel 5, 6). Pourtant il prend la ville ; le texte est à ce propos étonnamment elliptique : une phrase suffit 11 ! Mais, bien longtemps auparavant, David est entré dans la cité. Il est alors un tout jeune homme, berger pour le compte de son père. Venu sur le front de l’armée de Saül afin d’y ravitailler ses frères, il se porte volontaire pour combattre Goliath que personne ne veut affronter. Vainqueur du champion philistin d’un coup de fronde, il monte sur le corps effondré du géant, lui soutire son épée et le décapite. Alors « David prit la tête du Philistin et l’apporta à Jérusalem» (1 Samuel 17, 54).

On ne parvient pas à rendre compte de cette indication : David n’entrera dans la cité, jusque-là fermée aux Israélites, que deux ou trois décennies plus tard. Que le texte produise un effet d’annonce, c’est certain : il montre déjà l’adolescent de Bethléem en roi de Jérusalem. Mais cette portée « idéologique » ne suffit pas à éclairer cette phrase énigmatique. Selon une présentation dont on trouve ailleurs bien des exemples, David est mis en scène comme héros d’Israël, mais aussi comme hôte d’un territoire ennemi : il pénètre à Jérusalem, détenue par l’ethnie jébuséenne. Il remet ainsi en chantier les frontières les plus assurées. David est issu d’Israël et s’oppose aux Jébuséens : cependant il entre chez eux, le temps d’y déposer son trophée. On verra de même David, le vainqueur de Goliath de la ville de Gath se réfugier longtemps à Gath12 ! Quand David entre à Jérusalem et quand il y revient après le coup d’état d’Absalom, il est détenteur d’une double appartenance: il est solidaire de son peuple Israël qui est « ses os et sa chair » (2 Samuel 5, 1), il s’est aussi aventuré en terre étrangère, à Jérusalem notamment quand elle était encore une ville païenne. C’est bien de Yeroushalayim que David est roi: les deux Jérusalem.

Nous avons signalé plus haut que la prise de Jérusalem qui serait le sujet idéal d’un grand récit épique ne donne lieu à aucun développement littéraire (2 Samuel 5). On dirait que la tête de Goliath, placée dans la cité, se substitue à toute victoire ultérieure : c’est comme si le triomphe était assuré d’avance, matérialisé par cette tête du géant vaincu. Notons en passant que le seul indice biblique d’un « Lieu du crâne » à Jérusalem, avant que les Évangiles n’en parlent, serait l’endroit où, dans cette ville, la tête du Philistin est déposée.

Ce qui entre à Jérusalem avec le Fils de David

Quand il entre à Jérusalem, Jésus, Fils de David, reprend un parcours que son ancêtre a jadis fait : comme David, il est pétri de solidarités qu’on pourrait juger incompatibles. Il s’avance dans la ville sainte et pourtant il a « mangé avec les publicains et les pécheurs », pactisé avec un centurion romain, fréquenté une cananéenne alors qu’il n’est «envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël» (Matthieu 15, 24). Il est de fait tout de suite mis en cause : des disciples acclament en lui «le roi qui vient au nom du Seigneur» et des Pharisiens demandent que ces gens se taisent (Luc 19, 38-40). Autrefois «les boiteux et les aveugles» de Jérusalem devaient barrer le passage au messie David, aujourd’hui, dès après son entrée, « des aveugles et des boiteux s’approchent de lui dans le temple et il les guérit» (Matthieu 21, 14). En revanche, il en a chassé les marchands avec violence (Matthieu 21, 12-13). Appartenances diverses, frontières remises en cause : le Christ est entré dans sa cité.

Ânesse, ânon. Mémoire de David

Que dire alors de l’ânon dont parlent aussi Matthieu et les trois autres évangélistes ? Il renvoie quant à lui davantage à la tribu de Juda dont David et sa lignée sont issus. La grande bénédiction de Jacob sur son fils Juda annonce un avenir royal : « Le sceptre ne sera pas retiré à Juda ni le bâton de commandement d’entre ses pieds ». Et Jacob ajoute : « Il attache son âne à la vigne, le petit de son ânesse à un cep de qualité » (Genèse 49, 10-11). Un âne, petit d’une ânesse, on le trouve dès le début de l’histoire de David : le garçon vient d’être oint « au milieu de ses frères » à Bethléem ; il est envoyé par son père Jessé à Saül, menant un âne chargé de pain, d’une outre de vin et d’un chevreau » (1 Samuel 16, 20)17.

En demandant l’ânesse et l’ânon dont il a prévu la location auparavant, Jésus « résout » en quelque manière un dilemme de longue date : la royauté vient-elle par Saül ? Faut-il, si l’on choisit l’un, éliminer l’autre de sa mémoire ? Jésus assume le double héritage – nous sommes bien à Yeroushalayim. Il serait intéressant de constater, spécialement à partir de son entrée à Jérusalem, à quel point les figures de Saül et de David affleurent dans les gestes et les paroles de Jésus. Le messie rejeté que fut Saül et le messie glorieux que fut David se retrouvent en sa personne. Jésus, chevauchant une ânesse et un ânon, manifeste concrètement qu’il se donne comme l’héritier des deux royautés.

https://www.unifr.ch/at/fr/assets/public/files/Personen/Lefebvre/communio-xxxiv-1-lentree-du-christ-a-jerusalem.pdf
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MessageSujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé.   Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. - Page 2 Icon_minitimeLun 09 Sep 2024, 13:35

J'aime décidément bien les interprétations -- il faudrait entendre ce mot dans un sens quasi musical, ou théâtral -- de Philippe Lefebvre: interprétations "libres" qui nous changent agréablement de l'exégèse "sèche", au ras des textes, quand elles sont à la fois bien informées et heureusement inspirées... Cet article (2009) intéresserait bien d'autres de nos discussions passées, sur Jérusalem, Melchisédeq, les Rameaux, etc.; mais peut-être encore plus un "thème" que nous n'avons, je crois, jamais traité comme tel, et qui d'ailleurs ne s'y prêterait guère, celui du double et des dédoublements ou multiplications (de personnages, de situations, d'événements, de récits, de discours), qui traverse (entre autres) toute "la Bible". A propos de Matthieu, du reste, l'histoire de l'ânesse et de l'ânon ne s'explique pas seulement par la citation de Zacharie (un parallélisme poétique se traduisant dans le récit par deux animaux), mais par un trait général de l'évangile qui dédouble régulièrement ses motifs (personnages, miracles, logia); c'est aussi chez Matthieu qu'on trouve expressément le thème du "double", angélique, les enfants, les petits, ont leurs "anges" au ciel (18,10).

Il faudrait effectivement plusieurs Jérusalem, plusieurs David, plusieurs Jésus, plusieurs histoires (au sens "historique", histories) pour faire place à toutes leurs histoires (au sens "narratif", stories), en les combinant à l'infini d'une manière ou d'une autre (ça pourrait rappeler l'ultime conclusion du quatrième évangile, hyperbolique ou borgésienne avant la lettre: le monde même n'en contiendrait pas les livres) -- il nous reste les textes tels qu'ils sont, à laisser résonner, consoner ou dissoner les uns avec les autres, à chaque lecture, récitation ou réminiscence différemment...

D'un point de vue exégétique (sec), l'allusion à la formule de 2 Samuel 5 sur les "aveugles" et les "boiteux" paraît plus vraisemblable chez Matthieu (21,14), qui non seulement cite davantage l'AT (LXX) mais valorise nettement plus la figure de David que Marc (cf. ici 14.8.2024)... N'empêche qu'elle peut être perçue ou non d'un lecteur-auditeur à l'autre; à vrai dire elle n'aurait pu l'être, dès le départ, que que de très peu sans commentaire "savant" (d'où, peut-être, l'importance du scribe qui tire de son trésor du neuf et du vieux, "signature matthéenne" ou non, 13,52).
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