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| Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. | |
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Auteur | Message |
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free
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| Sujet: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. Mer 31 Juil 2024, 14:45 | |
| Jacques Vermeylen, La loi du plus fort. Histoire de la rédaction des récits davidiques de 1 Samuel 8 à 1 Rois 2
Au point de départ du texte de 1 S 8 - 1 R 2, il y a, selon l'A., trois récits plus ou moins longs remontant au règne de David lui-même. Écrits de propagande très élaborés littérairement, ils sont dus à la plume de scribes royaux. Dès la première moitié du règne de David voit le jour un récit que l'A. appelle «Saül-David» et qui correspond à la strate originaire de 1 S 11 - 2 S 7. Sa visée est de légitimer aux yeux des notables de l'ancien royaume de Saül la prise de pouvoir violente du nouveau monarque. Des éléments contestataires s'étant levés en Juda suite à la révolte avortée d'Absalom, un deuxième écrit, «Absalom-David» (2 S 13— 20*1), est composé au cours de la seconde partie du règne pour dissuader les amateurs de tenter un autre coup d'État contre David. Enfin, au début du règne de Salomon, un bref pamphlet émanant d'un partisan de la continuité davidique (1 R 1-2*) conteste le coup d'État sanglant que Salomon a perpétré à l'abri des murs du palais pour écarter Adonias, le candidat du vieux David qui, de son côté, pourrait bien avoir été assassiné.
Durant le règne de Salomon, ces trois écrits (avec deux brèves listes, 2 S 21,16-21 et 2 S 23,8-39*) sont réunis en une longue fresque, tout en subissant des modifications sensibles. En particulier, le troisième écrit, anti-salomonien à l'origine, est réorienté pour soutenir le pouvoir de celui qui est présenté avec insistance comme le fils de David - l'était- il historiquement? - et son successeur légitime. Une première édition de cette œuvre à la gloire de Salomon (1 S 1 - 1 R 2*) est achevée dès les premières années du règne pour légitimer le régime face aux partisans de la continuité. Au cours de la seconde moitié du règne, cette «histoire salomonienne de David» est retouchée et complétée pour culminer dans l'évocation de l'œuvre de Salomon (1 S 1 - 1 R 11*). Cette fois, l'écrit vise principalement les notables des tribus du nord restés nostalgiques de la royauté saülide.
Jusqu'ici, on a affaire à des écrits de propagande politique visant à légitimer, face à leurs opposants d'Israël et de Juda, la monarchie de David f puis celle de Salomon. Dieu n'y intervient que pour sacraliser un pouvoir acquis au prix de violences habilement masquées sous des récits où l'auteur prend volontairement ses distances par rapport à la vérité des faits, pour la maquiller sans vergogne à la gloire du souverain.
Plusieurs siècles plus tard, à l'époque de l'Exil, ce grand œuvre est repris par les deutéronomistes qui l'intègrent dans leur projet historiographique et théologique. L'A. distingue ici trois éditions successives. Au début de l'Exil, DtrH ajoute un certain nombre de textes pour montrer comment la défaillance des rois, infidèles à l'idéal que David représente, est responsable des malheurs de Jérusalem. Ensuite, lorsque se lève la génération des fils des déportés, DtrP retouche la même histoire pour montrer que, si les pères ont péché, leurs fils innocents seront bientôt l'objet de la miséricorde d'un Dieu auquel ils ont à se montrer fidèles. Enfin, vers la fin de l'Exil, DtrN met le même écrit au service d'une critique plus radicale: pour lui, la royauté est un régime qui n'a jamais plu au Seigneur, qui l'a concédé à contrecœur aux jours de Samuel, mais y a mis un terme avec raison. Quant à la rédaction finale de 1 S 8 - 1 R 2, elle est à dater de l'époque perse, avant 400 sans doute: un certain nombre d'ajouts tardifs trahissent en effet des soucis de cette époque: le culte et ses acteurs, le rapport aux autres peuples et surtout aux femmes étrangères, et la question de la fidélité de Dieu à ses promesses.
https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_2003_num_34_2_3292_t1_0218_0000_1
Dernière édition par free le Lun 12 Aoû 2024, 10:59, édité 1 fois |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. Mer 31 Juil 2024, 15:24 | |
| Pour ceux qui ne cliqueraient pas sur le lien ou ne liraient pas le texte jusqu'au bout, il s'agit d'une recension, voire d'un dézinguage ou d'un démontage en règle, bien que conforme à la courtoisie feutrée du monde académique et ecclésiastique, par André Wénin, éminent représentant de l'analyse narrative en honneur depuis la fin du XXe siècle (2003), du livre de Jacques Vermeylen (2000), combat d'arrière-garde ou baroud d'honneur d'une méthode historico-critique et documentaire à l'ancienne, mené par un de ses plus éminents représentants des décennies précédentes. Vingt ans plus tard tout cela paraît encore plus dépassé, et paraît tirer sur un cimetière plutôt que sur une ambulance ou même un corbillard. Non qu'il n'y ait rien d'"historique" dans les cycles ou histoires de David, comme dans l'ensemble de Samuel-Rois -- il s'agirait d'échos de traditions locales hétéroclites, comparables à celles des Juges, issues en l'occurrence du sud judéen (Bethléem, Hébron, Philistie, à la limite Jérusalem), comme "Benjamin" ( yamin, "droite" = "sud" quand on s' oriente vers l'est, cf. le Yemen en Arabie; mais en l'occurrence un peu au nord de Jérusalem) pour Saül (et Samuel); mais sans aucun rapport avec le cadre chronologique artificiel de la "grande histoire sainte", beaucoup plus tardive, qui les insère tous deux formellement, avec Salomon en troisième (quarante ans tout rond pour chacun des trois) avant le prétendu "schisme" (Roboam / Jéroboam inspiré de l'historique Jéroboam "II", roi de Samarie au VIIIe s. av. J.-C.), schisme lui-même inventé pour expliquer le royaume d'Israël-Samarie, antérieur historiquement à tout royaume tant soit peu autonome de Juda-Jérusalem... D'un "David historique" au fondateur mythique d'une dynastie nationale il y aurait, de toute façon, un écart considérable, et intraçable à partir des textes, tous post-exiliques à l'exception possible de rares fragments poétiques... Si maintenant on laisse de côté l'histoire sainte et l'histoire tout court, il paraît évident que la figure "littéraire" et "narrative" de David telle qu'elle apparaît dans les cycles de Samuel (dont il faut rappeler qu'ils ont connu plusieurs "éditions", dont témoignent la Septante et Qoumrân) est elle-même faite de bric et de broc, mais que dans l'ensemble elle est beaucoup moins celle d'un roi, ou même d'un grand chef militaire, que d'un "bien-aimé" comme son nom ( dwyd > dwd) l'indique: figure avant tout érotique, bucolique et courtisane, du jeune berger devenant harpiste à la cour, bel adolescent aimé de Saül et de Jonathan, mais aussi des femmes pour sa beauté et son art, avec les effets de triangle amoureux et de jalousie qui s'ensuivent; aimé de Yahvé aussi, l'un n'empêche pas l'autre. Par ailleurs associé dans un tout autre contexte à des actions d'éclat épisodiques et plus ou moins facétieuses, chef de bande à la façon d'un des "juges" les plus pittoresques (d'Ehoud à Samson), d'un Till l'espiègle ou d'un Robin des bois... La séquence royale de Saül à David, qui combine peut-être des traditions locales indépendantes ou concurrentes, semble assez secondaire; et si elle passe pour une usurpation, un coup d'Etat ou un changement de dynastie (façon Jéhu et plusieurs autres à Samarie), le rédacteur "deutéronomiste" ne peut guère faire autrement que de lui donner un tour providentiel (fautes de Saül, élection et onction secrète de David), puisque c'est ce qui fonde la seule dynastie qui vaille à ses yeux, celle de Jérusalem -- attestée historiquement à partir de la chute de Samarie et du règne d'Ezéchias. Dans cette succession d'allure à la fois illégitime et divine, où l'on retrouve les préférences de la Genèse pour le cadet sur l'aîné (cf. aussi la prière d'Hannah dont s'inspirera le Magnificat de Luc, puissants abaissés et humbles-faibles élevés), David n'est pourtant pas a priori dans la posture du "fort", il illustre plutôt la faiblesse: proverbialement face au géant Goliath (également tué par un autre !), déjà dans la situation du plus petit des frères, de l'exilé, etc. Bien entendu, un faible qui finit toujours par gagner, par ruse ou par la grâce des dieux, c'est quand même, en fin de compte, un fort... |
| | | free
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| Sujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. Ven 02 Aoû 2024, 11:08 | |
| David et le massacre des prêtres de Nob (1 S 21–22). Une lecture narrative André WÉNIN
2.5. Le rescapé et le coupable
En voyant ainsi l’oracle de l’homme de Dieu se réaliser, le lecteur se sera souvenu qu’il annonçait aussi un survivant (2,35). Il s’étonnera donc moins d’apprendre qu’un fils d’Ahimélek parvient à s’échapper.
20 Et s’échappa un fils, un seul, d’Ahimélek fils d’Ahitub, et son nom était Ébyatar, et il s’enfuit à la suite de David. 21 Et Ébyatar raconta à David que Saül avait tué les prêtres d’Adonaï. 22 Et David dit à Ébyatar : « Je savais en ce jour-là que Doeg l’Édomite était là, qu’il raconterait sûrement à Saül. C’est moi qui me suis tourné contre toutes les personnes de la maison de ton père. 23 Reste avec moi, ne crains pas, car c’est celui qui en veut à ma personne, qui en veut à ta personne. Oui, tu es bien gardé avec moi ».
Ébyatar, un fils au nom prédestiné (« Mon père a un reste »71), réussit, comme David l’a fait, à « s’échapper et s’enfuir » (mlt Nifal, brh Qal, voir 19,12.18), d’où peut-être la précision « à la suite de David » (’aharê dawid)72, qui signifie également que le rescapé rejoint ce dernier dans sa fuite. Cet ajout du narrateur a une puissante charge ironique. Alors que Saül et Doeg se sont appliqués à exterminer les prêtres ainsi que toute leur ville, ils n’y sont pas arrivés : ils ont même réussi, au contraire, à précipiter l’unique survivant des Élides dans les bras de David. C’est ce que le narrateur suggère en relatant brièvement le fait en termes choisis.
Ensuite, toujours en mode narratif, il signale qu’Ébyatar raconte la tuerie à David73, mais sans s’y attarder, comme pour mettre en évidence la réaction de celui-ci qu’il souligne en citant ses paroles.
Cette réaction finale commence par lever une incertitude qui avait suscité la curiosité dans le récit de la rencontre à Nob en 21,8. David était bel et bien conscient de ce que Doeg avait assisté à la scène. Et il n’était pas seulement au courant de sa présence ; il était sûr aussi qu’elle ne resterait pas sans suite car l’Édomite ferait rapport à Saül. Cette nouveauté crée une certaine surprise chez le lecteur, qui n’avait jusqu’ici aucun moyen de savoir ce que David avait en tête74. Son aveu amène donc le lecteur à reconsidérer son rôle par rapport aux faits racontés, d’autant que David lui-même endosse la responsabilité de la mort des membres de la famille d’Ébyatar75. Aussi, si le massacre est le résultat de la folie meurtrière de Saül et de la férocité de Doeg, s’il n’aurait pas été possible sans la passivité des serviteurs du roi qui, bien qu’ils aient refusé de tuer des prêtres, ne se sont pas opposés à ce qu’un autre le fasse, il est aussi à imputer en partie à David. Et ce qui, au chapitre 21, semblait relever de l’astuce débrouillarde d’un fugitif préoccupé de se procurer le nécessaire pour assurer sa fuite sans compromettre autrui, apparaît sous un autre jour, à présent. David connaissait la jalousie ombrageuse de Saül, son hostilité envers lui et ses accès de délire meurtrier. Comment peut-il avoir pensé que le rapport que Doeg lui ferait resterait sans lendemain ? N’aurait-il pas dû tenter quelque chose, dans ce cas : alerter le prêtre d’un possible danger, ou le prendre sous sa protection comme les hommes qui venaient à lui, voire songer à le mettre en lieu sûr comme ses parents (voir 22,1-4) ?
À nouveau, dans ce passage, le narrateur se retire derrière le personnage de David dont il cite les paroles, qui resteront sans réaction. Au lecteur dès lors d’apprécier ce que cache ou laisse filtrer l’ellipse du discours de David quand, du « je savais que Doeg raconterait sûrement à Saül », il passe à l’aveu de sa culpabilité : « c’est moi… ». Certes, on pourra saluer la lucidité même tardive de David ainsi que l’honnêteté de sa confession. Mais après que le narrateur a glacé d’effroi le lecteur par sa façon de rendre l’escalade de barbarie qui a balayé les prêtres puis leur ville (v. 19-20), le laconisme et le ton neutre de l’aveu de David ne laisseront pas ce même lecteur sans un certain malaise, que ne dissipera pas entièrement l’offre de protection à Ébyatar. Après tout, n’est-ce pas la moindre des choses ? Sans compter que le fugitif a tout à gagner à l’opération. En effet, alors qu’on vient d’apprendre qu’il reçoit l’appui du prophète Gad (22,5), voilà qu’il va pouvoir compter désormais sur la présence à ses côtés du prêtre rescapé du massacre76. Le lecteur ne tardera d’ailleurs pas à apprendre que ce dernier a amené l’éphod avec lui et que, par ce moyen, Adonaï va accompagner de près David, lui permettant de s’illustrer comme libérateur d’une ville et d’échapper ensuite à Saül77. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. Ven 02 Aoû 2024, 12:04 | |
| Lien de téléchargement. Le grand avantage de l'analyse narrative, c'est qu'elle est à la portée de n'importe quel lecteur ou auditeur, lecteur de romans, spectateur de théâtre ou de cinéma, qui la pratique sans le savoir comme M. Jourdain faisait de la prose: elle ne requiert aucune connaissance ou théorie extérieure, contrairement aux méthodes historico-critiques, elle ne fait que développer des intuitions, des affects, des "ressentis" à partir d'une intelligence élémentaire de la lecture. Mais par là même elle ne peut prétendre qu'à une autorité relative, ce qui n'est d'ailleurs pas plus mal: toutes les lectures diffèrent, légitimement, même si aux yeux des unes et des autres elles ne se valent pas. Il y en a de plus ou moins attentives, naïves ou réfléchies, différentes aussi selon la sensibilité du lecteur et (de) sa culture. Toujours est-il que l'analyse fait ressortir ce que n'importe qui peut ressentir, à savoir que dans les cycles de David (comme dans la Genèse et le début de l'Exode, les Juges, les cycles d'Elie et d'Elisée, bref tout ce qui sort du style stéréotypé des "annales" royales, des codes sacerdotaux ou juridiques, ou de la rédaction-prédication moralisante dite deutéronomiste) on a affaire à d'excellents récits, captivants, semant des indices vrais et faux, ménageant des effets d'attente, de réminiscence, de suspense, de crainte, d'espoir, de surprise, de retournement de situation ou de dénouement: on ne s'y ennuie pas, et c'est là que la qualité "littéraire" de "la Bible" est la plus remarquable même à des yeux modernes (outre la poésie hymnique ou prophétique, dans un autre genre). En ce qui concerne David, il en résulte une figure tout à fait "humaine", comme on dit, pour le meilleur et pour le pire (humaine, trop humaine, allzumenschlich comme dirait l'autre...). Héroïque et courageuse par moments, lâche dans d'autres, forte et faible, avec la ruse et l'intelligence tactique, plus que stratégique, qui vont de pair avec la faiblesse -- comme Ulysse par exemple. Et toujours sensible, spontané dans le "mal" comme dans le "bien", peu calculateur à long terme. C'est Saül qui est le plus "chargé", mais même lui échappe au jugement moral parce que c'est le dieu qui l'a rendu fou pour le perdre, comme dans la tragédie grecque; et si terribles que soient ses actes on finit quand même par le plaindre, comme un choeur antique, avec David d'ailleurs... En tout cas le dieu en question n'a pas grand-chose à voir avec le Dieu moral, censément juste et impartial, du Deutéronome, encore moins avec la stricte rétribution individuelle des rois dans les Chroniques. Un dieu qui aimerait les hommes tels qu'ils sont, peut-être, ou plutôt qui aimerait les uns et haïrait les autres comme nous les aimons nous-mêmes, non selon des critères moraux, mais parce que chacun "a ses têtes": untel trouve ou ne trouve pas "grâce" à ses yeux, et ça peut varier d'un moment à l'autre. Arbitraire et souverain, comme un roi, c'est paradoxalement ce qui se rapproche le plus de notre idée de "liberté". De quoi mettre en abyme un "David selon son coeur", et le rapport de la "grâce" à la "fidélité" ( hesed associé à David et à l'"alliance")... (Cela me rappelle une strophe de Machado: Converso con el hombre que siempre va conmigo —quien habla solo espera hablar a Dios un día—; mi soliloquio es plática con ese buen amigo que me enseñó el secreto de la filantropía.Je parle avec l'homme qui toujours m'accompagne -- qui parle seul espère parler un jour à Dieu -- mon soliloque est un entretien avec ce bon ami qui m'a enseigné le secret de la philanthropie.) |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. Ven 02 Aoû 2024, 13:03 | |
| DAVID ROI, DE GOLIATH À BETHSABÉE Aspects de la figure de David dans les livres de Samuel André WÉNIN II. LE ROI PERD SON POUVOIR 1. Une déchéance inexorable (2 S 11-12)Si la victoire de David sur Goliath démontre qu’il peut légitimement prétendre au trône d’Israël, plusieurs signes attestent en revanche que le meurtre d’Urie sonne le glas de sa royauté. Dans le récit de l’adultère et du meurtre en 2 S 11–12, tout converge en effet pour signifier la déchéance du roi.Ainsi, la première partie du récit, le chapitre 11, voit David aux commandes de l’action. C’est lui le véritable protagoniste31. Sans bouger de son palais où il se promène tandis que ses hommes se battent (v. 2), il fait tourner les gens autour de lui. Il envoie Joab en campagne (v. 1), des messagers aux renseignements (v. 3), des émissaires pour prendre la femme (v. 4). Après la nouvelle de la grossesse, il envoie dire à Joab de lui envoyer Urie (v. 6) qu’il tente de persuader d’aller rejoindre sa femme (v. 8-13). Ses efforts restant vains, il renvoie Urie avec des ordres pour Joab (v. 14-15) avant d’attendre le retour du courrier qu’il réexpédie vers Rabba (v. 22-25). Finalement, il envoie prendre la femme d’Urie pour en faire son épouse (v. 27)32. Ainsi, c’est autour de David que tournent tous les mouvements, ses ordres sont exécutés (v. 6.12.16-17) et c’est lui qui reçoit les rapports (v.5.7.18 et 22)33.Cette position supérieure de David est encore soulignée par l’usage d’une terminologie royale. Le mot « roi » (melek) revient à sept reprises (v. 2.8[bis].9.19.20 et 24), et « Monseigneur » (’adonî) résonne quatre fois (v. 9.11[bis] et 13), tandis que les soldats sont invariablement appelés « serviteurs » du roi (‘ebed : v. 1.9.11.13.17.21.24 [ter]). Bref, on le voit, rien n’échappe à David, si ce n’est Urie, pour son malheur (v. 8-13). Car ce dernier passe outre aux invitations du roi lorsqu’elles s’opposent aux impératifs d’un ordre qu’il estime supérieur, à savoir la solidarité avec ses camarades et la fidélité aux lois de la guerre. Et ce n’est pas sans ironie qu’en s’adressant à David, il utilise le titre « Monseigneur » pour parler de Joab (v. 11). À ses yeux, le vrai maître est le général en campagne, et c’est à lui qu’il entend se montrer fidèle34.Tout autre est le tableau du chapitre 12. À peine le lecteur a-t-il appris que le Seigneur porte sur l’affaire un jugement radicalement opposé à celui du roi35, qu’il voit les choses basculer du tout au tout. Le Seigneur prend les choses en main. C’est lui, à présent, qui « envoie » Nathan auprès de David lui signifier son jugement (12,1.7 et 11). C’est lui qui frappe l’enfant de l’adultère pour attester les dires de son envoyé (v. 15). C’est lui qui, à la fin, envoie une seconde fois le prophète pour changer le nom de Salomon en Yedidya « à cause du Seigneur » (v. 25). Dans cette partie, plus de titres royaux, sinon pour rappeler que David tient sa royauté d’un don de Dieu (v. 7-. Plus d’ordres donnés ni de missions confiées par le roi. Au contraire. À présent les anciens font pression sur lui pour le faire changer d’attitude et ses serviteurs lui demandent des comptes concernant sa conduite étrange suite à la mort de l’enfant (v. 17.21). Enfin, seul David bouge dans cette scène de la maladie et du décès de son fils, alors que tous les autres personnages restent immobiles.Par rapport au chapitre 11, c’est vraiment le monde à l’envers36 : tous les signes d’un pouvoir souverain chez David y sont rejetés à l’arrière-plan.En réalité, si David s’agite ainsi dans la scène finale de cet épisode, c’est en fonction de l’enfant malade que le Seigneur a frappé. Mais il faut bien voir que ce fils de l’adultère est une figure de David lui-même, de ce David qui a abusé de son pouvoir pour tuer Urie et s’emparer de sa femme. Nathan l’indique clairement quand il détourne vers l’enfant la sentence de mort que David avait prononcée contre lui-même mais à son insu, en tranchant le cas de justice que le prophète lui soumettait. Ainsi, l’enfant est désigné comme le substitut de David37. Dans ces conditions, si celui-ci cherche Dieu dans l’espoir que l’enfant ne meure pas, c’est aussi le signe qu’il s’accroche – comme Saül en son temps (1 S 15, 24-31) – à un pouvoir qu’il sent lui échapper. Dès lors, quand le fils meurt, c’est David en quelque sorte qui meurt symboliquement38. Il le reconnaît lui-même lorsqu’il dit à ses serviteurs : « Maintenant (…) c’est moi qui vais vers lui, mais lui ne reviendra pas vers moi » (v. 23b).Ainsi, le châtiment de David ne consiste pas seulement dans la mort de l’enfant de Bethsabée – simple retour de la mort d’Urie. Il tient peut-être davantage dans le remplacement de David par son fils et sa propre relégation au second plan. La double nomination de Salomon pourrait être un indice en ce sens. Le premier nom, selomoh connote l’idée de paix : en nommant son fils, David pourrait ainsi évoquer la paix qu’il espère avoir retrouvée, comme l’a compris le Chroniste (1 Ch 22, 9.18). La suite du livre montre qu’il n’en est rien39. Du reste, l’étymologie propose un second sens pour ce nom : « son remplacement »40. Ici, en surface, David, ou mieux Bethsabée41, souligne que le second enfant prend la place du mort. Mais ce pourrait tout aussi bien être David que le fils supplante ainsi. En ce sens, n’est-il pas significatif que l’apparition suivante de Bethsabée et Salomon dans le récit se fasse justement à l’instigation de Nathan et ait pour objet le remplacement de David par ce fils (1 R 1, 11-31 ?).Or, à la fin du récit de 2 S 12, Nathan est dépêché par le Seigneur pour changer le nom du second fils de Bethsabée. Le nom qu’il lui impose est une variante du nom de David, mais en plus explicite : Yedidya, c’est l’« aimé du Seigneur » (v. 24-25)42. Avec lui, le successeur, le nouveau David est déjà là. Ce changement de nom est du reste motivé en deux mots, les deux derniers du récit : ba‘abûr yhwh, « à cause du Seigneur ». Qu’est-ce à dire ? Simplement ceci, je crois. Selon Nathan, la faute de David n’est pas seulement d’avoir tué Urie, mais aussi d’avoir méprisé le don de la royauté et la parole du Seigneur (v. 9a.10b). Dans ces conditions, si l’enfant qui meurt paie pour Urie, la faute du roi contre le Seigneur n’en demeure pas moins impunie. La destitution symbolique de David en faveur de son fils me semble à cet égard le châtiment approprié43.****En outre, David subit aussi les conséquences de son acte en tant que roi47. À cet égard, deux éléments de la fin de sa vie viennent nourrir ce tableau des suites désastreuses de l’affaire Urie. Il y a tout d’abord l’implication du Seigneur aux côtés de David. Avant 2 S 11, le Seigneur agit sans cesse en faveur de son élu de manière à assurer sa royauté et sa dynastie. Il le choisit à la place de Saül et agit pour affermir ce choix. Il répond à ses nombreuses sollicitations lorsque David le consulte pour des décisions, et il le délivre de ceux qui lui en veulent. Ces interventions directes sont encadrées d’un côté par l’envoi de Samuel en vue de l’onction (1 S 16, 1-13) et de l’autre par l’oracle de Nathan qui rappelle les débuts du jeune pasteur et promet une dynastie stable au roi qu’il est devenu (2 S 7, 8-16)48. Mais après la deuxième intervention de Nathan au chapitre 12, plus jamais le Seigneur n’agit en faveur de David. La seule fois qu’on le voit intervenir, c’est pour faire échouer le plan qu’Ahitophel a mis au point pour coincer David pendant sa fuite. Mais le narrateur ajoute que le but du Seigneur n’est pas d’aider David, mais d’amener le malheur sur Absalom (2 S 17, 14) et du même coup sur son père (voir 19, 1-5)49. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. Ven 02 Aoû 2024, 14:22 | |
| Lien de téléchargement. (N.B.: pour récupérer ce genre de lien, sur un PC comme le mien, avant de cliquer dessus il faut faire un clic droit, puis sélectionner "Copier le lien". Après tu peux faire un clic gauche comme d'habitude pour le télécharger et l'ouvrir directement, et coller [raccourci clavier ctrl+v] le lien enregistré dans ton post.)
Je parlais des avantages de l'analyse narrative dans l'échange précédent: cet autre texte de Wénin, plus ancien (1999 < 2013) et portant sur un ensemble beaucoup plus (trop ?) large (toute la première partie du cycle de David, jusqu'à Bethsabée/Bath-Shéba en principe mais en fait comparée à la suite > le seul épisode de Nob), en illustrerait les inconvénients: d'abord ceux de la paraphrase, nettement moins intéressante à la longue que les récits qu'elle commente; ensuite et surtout le mélange "synchronique" d'unités littéraires hétérogènes, qui met au même niveau des effets narratifs effectivement produits par une unité ou un enchaînement rédactionnel repérable et des rapprochements beaucoup plus artificiels, plus intertextuels qu'intratextuels, qui résultent d'une compilation et d'une rédaction tardives, ce qui noie les aspects pertinents du commentaire dans une impression générale d'arbitraire. Sans parler de la récupération apologétique, fondamentaliste ou conservatrice, qui permet de balayer d'un même revers de main la critique littéraire (et même textuelle dans le cas de 1 Samuel, TM-LXX-Qoumrân) avec l'historique, et invite à glisser insensiblement de la qualité littéraire à l'"inspiration divine": le prêtre ou le pasteur n'est jamais bien loin de l'exégète.
Cela n'enlève rien à l'intérêt de l'étude -- qui rejoint souvent, comme le montrent les notes, des commentaires anciens et classiques, historico-critiques ou conservateurs, qui pratiquaient la "narratologie" sans le savoir, ou du moins sans en faire une "discipline" à part, complémentaire ou concurrente d'autres "méthodes"; la pratique, commentaire ou paraphrase, est aussi vieille que les récits, tous les prédicateurs, scribes, rabbins, prêtres, pasteurs, imams, en font chaque semaine...
En tout cas, si l'ensemble plus ou moins aléatoire des récits devait illustrer quelque chose ou principe, du côté de la force et de la faiblesse, ce serait encore et toujours le mouvement perpétuel du cantique d'Hannah en 1 Samuel 2: ce qui est bas, abaissé, faible, humble, humilié, doit être élevé, mais une fois fort il redescend, inéluctablement; et ainsi de suite, avec les mêmes personnages ou d'autres.
Mais à mon sens -- je me répète -- le pire intrus dans de tels textes, c'est "Dieu", le Dieu monothéiste, omnipotent, omniscient, omniprésent, qui devient absolument monstrueux si c'est lui qu'on se figure à la place de Yahvé, dieu relatif et relationnel, dieu des uns et pas forcément des autres, en tout cas pas de tout le monde à la fois: dieu d'Abraham, d'Isaac ou de Jacob, de Saül ou de David... ce qu'on peut comprendre d'un dieu participant à l'histoire parmi d'autres acteurs, avec des sentiments et des passions, devient là totalement incompréhensible.
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A propos de l'épisode de Nob (échange précédent), il faut remarquer aussi l'indépendance des cycles narratifs (Samuel-Saül-David, Elie-Elisée etc.) par rapport à tout le cadre de la Torah (antidaté mais qui se présente comme antérieur et normatif pour le lecteur non prévenu de "la Bible" et de l'"histoire sainte"), en particulier dans le domaine cultuel (sanctuaires multiples et prêtrises locales, rites divers et divinatoires) qui ne correspond pas du tout, la plupart du temps, aux "codes sacerdotaux" ultérieurs, pas même à la perspective centralisatrice du Deutéronome -- on peut dire que c'est leur intérêt narratif, sans doute en partie traditionnel et local, qui les sauve de la "normalisation" générale. Mais il faut aussi noter leurs différences internes, qui devraient inciter à cantonner l'exégèse, même narrative, à des unités littéraires restreintes: Ainsi l'Ahimélek du chapitre 22 est probablement une variante d'Ahiya (14,3.18; il devient Abimélek en 1 Chroniques 18,16), il est fils et non père d'Ebyatar ou Abiathar en 2 Samuel 8,17 (et dans les Chroniques). Etc. |
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| Sujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. Lun 05 Aoû 2024, 14:28 | |
| La dimension axiologique de la narration biblique de meurtres. Les exemples d'Éhud (Jg 3,16-22) et de Joab (2 S 3,27-30; 20,8-10) André Wénin
JOAB ET ABNER (2 S 3,27-30)
Le récit de cet assassinat est situé par le narrateur après deux événements qui contribuent à lui donner sa portée particulière. Le premier est un fait de guerre tragique auquel Abner est directement mêlé. Ce cousin du roi Saül (1 S 14,50-51), le chef de son armée, a accordé son soutien, après la mort tragique du roi, à un fils de ce dernier, Ish-Boshet, qu’il a installé sur le trône d’Israël (2 S 2,8-10), seule la tribu de Juda s’étant ralliée à David (2,4). Une guerre éclate alors entre les deux royaumes: les Israélites sont sous les ordres d’Abner, tandis que Joab est à la tête des «serviteurs de David» (2,12-13)15. Suite à la défaite des premiers, le jeune frère de Joab et d’Abishaï, Asaël, se lance à la poursuite d’Abner. Le voyant fondre sur lui, ce dernier le prie par deux fois de cesser de le pourchasser. «Écarte-toi de derrière moi – lui dit-il la seconde fois. Pourquoi devrais-je te frapper et t’abattre? Comment alors pourrais-je lever ma face vers ton frère Joab?» (v. 22). Mais Asaël refuse à nouveau de cesser la poursuite et Abner finit par le frapper de l’arrière de sa lance. Atteint en plein ventre, le jeune guerrier s’effondre (v. 23). Ses deux frères poursuivent alors Abner, mais il leur échappe (v. 24). Une fois hors d’atteinte, ce dernier appellera Joab pour le supplier de mettre un terme à cette lutte fratricide (v. 26), ce qu’il acceptera (v. 27-28).
Le récit du second événement intervient immédiatement après cet épisode. Entre Abner et Ish-Boshet qu’il a installé comme successeur de Saül, les relations s’enveniment. Le général, dont le pouvoir s’affirme de plus en plus, s’approprie une concubine du roi décédé. Quand Ish-Boshet le lui reproche, Abner se met en colère devant ce qui lui apparaît comme une ingratitude caractérisée à son égard, car il s’est toujours montré loyal, et jure solennellement de céder le royaume d’Israël à David (3,7-10). Sur quoi il envoie une ambassade à celui-ci pour lui proposer un traité. Après avoir rempli l’unique condition de David – lui rendre sa femme Mikal, fille de Saül –, Abner engage des pourparlers avec les anciens d’Israël et avec Benjamin, la tribu de Saül. Une fois leur accord obtenu, il vient trouver David à Hébron, lui promettant de lui rallier tout Israël qui l’acceptera comme roi (3,17-21a). «Et David le laissa partir et il s’en alla en paix (beshâlôm) » (v. 21b).
Au vu de ce qui précède, on ne peut avoir de doute quant à l’intention droite des deux hommes: entre eux, la paix est bel et bien une affaire conclue. Mais Abner est à peine parti que Joab, de retour d’une expédition où il a amassé beaucoup de butin, arrive à Hébron avec sa troupe. Apprenant qu’Abner est venu et que David l’a laissé repartir en bons termes avec lui, il s’en prend vigoureusement au jeune roi, lui reprochant sa naïveté vis-à-vis du général ennemi. Selon lui, celui-ci est venu avec l’intention de le tromper et, dans ce but, de recueillir un maximum d’informations sur lui (3,23-25). Sans attendre la réponse, il laisse le roi.
26 Joab sortit de chez David et il envoya des messagers derrière Abner et ils le ramenèrent depuis la citerne de Sira, mais David ne le sut pas. 27 Et Abner revint à Hébron et Joab l’attira au milieu de la porte16 pour parler avec lui tranquillement et là, il le frappa au ventre et il mourut pour le sang d’Asaël son frère. 28 Et David l’apprit après cela et il dit: «Je suis innocent, moi et ma royauté devant Adonaï pour toujours du sang d’Abner fils de Ner. 29 Qu’il revienne sur la tête de Joab et sur toute la maison de son père et qu’il ne manque pas dans la maison de Joab un malade de gonorrhée et de lèpre, un qui s’appuie sur un bâton, un qui tombe par l’épée et un qui manque de pain » . 30 Or Joab et Abishaï son frère avaient assassiné Abner parce qu’il avait fait mourir Asaël leur frère à Gabaon au combat.
Si le meurtre lui-même est relaté rapidement au verset 27, il faut prendre en compte son contexte immédiat pour bien saisir la façon dont le narrateur oriente l’appréciation du lecteur.
Mais d’abord, soulignons rapidement les analogies repérables entre cette histoire et celle de Jg 3. De part et d’autre, le meurtrier réussit à attirer sa victime dans un lieu caché aux regards des autres personnages, prétextant un dialogue en tête-à-tête. Mettant à profit la confiance de la victime convaincue qu’il n’y a aucun danger à s’isoler avec lui, l’assassin frappe au ventre à l’improviste. Un seul coup suffit pour tuer l’adversaire. Au vu de ces ressemblances, mais aussi du vocabulaire employé17, il est clair que les deux faits racontés sont comparables : il s’agit de part et d’autre d’un meurtre facilité par une ruse.
Mais si les histoires sont indéniablement analogues, il en va tout autrement des récits. Cela ne tient pas au fait que le meurtre d’Églôn est raconté avec davantage de détails, mais plutôt au travail du narrateur. Dans le cas de Joab, aucune ironie à l’encontre de la victime ne vient détourner le lecteur de l’horreur de l’assassinat qui, pour lui comme pour la victime, constitue une surprise – et une surprise choquante eu égard à la ruse employée pour tromper Abner et au contexte de paix grâce auquel la ruse de Joab devient possible. Au demeurant, le narrateur de 2 S 3 recourt à un jeu précis de focalisations, de manière à orienter l’appréciation du fait qu’il raconte, de sorte que le lecteur va pouvoir préciser son impression première, un sentiment d’effroi.
Dès la première lecture, on aura remarqué sans difficulté que les versets 27 et 30 font état du même fait, mais avec des différences notables. Celles-ci sont dues à la différence de point de vue. Au verset 27, le narrateur relate les faits selon le point de vue raconté de Joab18; au verset 30, c’est selon le sien propre. Le meurtre est donc raconté d’abord à partir de la perspective du meurtrier. Au moment où Abner revient (avec les messagers), Joab – dont on sait qu’il est furieux que David l’ait laissé partir – l’attend à l’entrée de la ville. La suite montrera que, dès cet instant, il met en œuvre un plan prémédité. En effet, dès son arrivée, il attire Abner à l’intérieur de la porte. Ce n’est donc pas par hasard s’il l’attend à cet endroit: sans doute veut-il éviter d’alerter David qui ignore tout, comme le suggère la fin du verset précédent. On notera le choix du verbe «attirer» (na†ah Hifil) qui décrit l’action à partir de Joab entraînant Abner en un recoin choisi à dessein. Quant à l’expression «pour parler avec lui tranquillement » (basshèlî), c’est-à-dire au calme, voire pacifiquement19, elle semble curieuse. L’expression de l’hébreu suggère qu’il s’agit d’un discours indirect libre par lequel le narrateur intègre à même le récit ce que Joab dit ou laisse entendre à Abner: «c’est pour parler avec toi tranquillement». (C’est sans doute ce que les traductions cherchent à rendre en recourant à l’expression «comme pour parler…»20, pour suggérer que c’est là ce que Joab fait croire à Abner, ou ce que celui-ci est censé percevoir de ses intentions.) C’est ce qui permet de saisir à posteriori qu’il s’agissait d’une ruse. En effet, à ce point, ni Abner ni le lecteur21 ne peuvent savoir que Joab a l’intention de tuer. On ne le comprend que lorsqu’il frappe au ventre celui qu’il a réussi à attirer à l’écart. La fin du verset, «il mourut pour le sang d’Asaël son frère», est à nouveau révélatrice du point de vue du tueur, comme l’indique le choix du verbe «mourir» (mét). Aux yeux de Joab, il ne s’agit pas d’un assassinat; c’est une simple mort, une mort qui en punit une autre: celle de «son» frère à lui. Pour la seconde fois, la composition de la phrase montre que le narrateur transpose ici la pensée de Joab: «Il meurt pour le sang d’Asaël mon frère»22. Et de fait, dans le récit de ce meurtre, plus d’un mot clé rappelle la mort tragique du jeune frère de Joab23.
Dans l’esprit de Joab, il s’agit donc de faire justice. Mais est-ce l’avis du narrateur? Il faut attendre, avant de l’apprendre, que David se soit clairement désolidarisé de l’assassin, proclamant sa propre innocence (ce que le narrateur appuie anticipativement par deux fois, v. 26b et 28a), puis déclare, non sans emphase, que si quelqu’un doit subir les conséquences négatives de cet acte, c’est Joab et sa maison (v. 28-29). C’est alors que le narrateur conclut24: «Joab et Abishaï son frère avaient assassiné Abner parce qu’il avait fait mourir Asaël leur frère à Gabaon au combat» (v. 30). Par rapport au récit précédent qui livre le point de vue de Joab, plusieurs différences sont significatives, les principales portant sur le choix des termes. Quand, pour décrire le geste de Joab, le verset 27 use de deux verbes descriptifs – Joab a frappé (nâkâh, hifil), de sorte que l’autre meurt (mét) –, le narrateur recourt au verbe hârag qui décrit l’acte comme un assassinat. Ensuite, le narrateur revient lui aussi sur ce qui, aux yeux de Joab, justifiait son geste, mais là encore, il modifie le vocabulaire. Au verset 27, avec le terme dâmîm, «sang répandu», «assassinat», l’acte d’Abner est qualifié du point de vue de Joab, pour qui, dès lors, l’exécution du général ennemi est un acte de justice («pour le sang d’Asaël son frère»). Le narrateur rectifie cette façon de voir en renvoyant implicitement à ce qu’il a raconté dans la scène de la mort d’Asaël. Selon lui, Abner n’a pas «assassiné» le frère de Joab, il l’a «fait mourir… à Gabaon au combat», c’est-à-dire à la loyale, sans ruse ni méchanceté, et même après l’avoir averti en faisant mention de son frère Joab25. Bref, de l’avis du narrateur, au contraire de ce que pense Joab dont le sens moral apparaît donc douteux, cet acte ne relève pas d’une vengeance légitime par laquelle il ferait justice à un frère lâchement assassiné.
Enfin, dernière différence, plus surprenante, celle-là: le narrateur révèle après coup la complicité d’Abishaï avec Joab son frère dans le meurtre d’Abner. S’il mentionne cela lui-même, c’est que c’est la vérité narrative. Il a donc évité de parler d’Abishaï au verset 27, ce qui était indispensable pour pouvoir rendre le point de vue de Joab, et cela, dès le moment où celui-ci envoie des messagers rechercher Abner. De plus, avec ce procédé, le narrateur mettait le seul Joab en cause dans le récit du meurtre, suggérant ainsi qu’il assumait cet acte comme s’il était seul à le poser et à en prendre toute la responsabilité. Dans l’esprit du lecteur, c’est cette impression première qui restera, même si le narrateur corrige à posteriori le récit.
Cette analyse le montre: le narrateur ne traite vraiment pas le meurtre d’Abner par Joab comme celui d’Églôn par Éhud. En Jg 3, il fait tout pour attirer le lecteur dans le camp du Benjaminite en déployant une ironie ravageuse à l’égard des étrangers qui réduisent Israël en servitude et en faisant du coup d’éclat d’Éhud le premier acte de la libération pour laquelle Dieu l’a suscité. Au contraire, dans sa narration de la mort d’Abner, en épousant le point de vue du tueur mais aussi en surprenant le lecteur au moment même où la victime est elle aussi surprise par le coup mortel, il fait en sorte que le lecteur soit choqué par la fourberie de Joab qui commet cet acte de traîtrise à la faveur d’une paix à peine signée et envers un homme qui a montré par ailleurs sa droiture26. Ce faisant, il prend nettement ses distances à l’égard de Joab, ce que confirme la suite: d’une part, il montre David condamnant fermement l’action de son général ; d’autre part, il fait entendre son point de vue de narrateur, lequel s’écarte clairement de celui de l’assassin. A posteriori, il dénonce ainsi la ruse de Joab comme une forfaiture. Car au moment où celui-ci estime faire justice, c’est, pour le narrateur, une basse vengeance qu’il accomplit avec la complicité de son frère.
https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_2014_num_45_2_4208
Joab
Absalom fils de David nomme Amasa chef de l'armée à la place de Joab et Joab tue Absalom. David envisage de nommer Amasa chef de l'armée à la place de Joab et Joab tue Amasa. Seba (en) le fils de Bochri un Benjaminite se révolte contre David et Joab le poursuit. Seba se réfugie dans la ville d'Abel-beth-maachah et est assiégé par Joab. Pour éviter la prise de leur ville les habitants coupent la tête de Seba et la jettent à Joab qui retourne alors à Jérusalem. David demande à Joab de dénombrer Israel et Juda. Joab parcourt le pays pendant neuf mois et vingt jours et apporte à David le rôle du dénombrement. Joab soutient Adonias et non Salomon pour la succession de David. David demande à Salomon de mettre à mort Joab. Benaja tue Joab sur ordre de Salomon et devient chef de l'armée à la place de Joab.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Joab |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. Lun 05 Aoû 2024, 15:46 | |
| Les "assassinats ciblés", commandités officiellement ou en secret, par une autorité présumée légitime (roi, Etat) ou pratiqués à son insu, et parfois contre elle, sont décidément une vieille tradition... (qui n'a d'ailleurs rien de spécifiquement israélite ou israélien). Elle aurait tout son mérite, à mon avis, si elle évitait ou remplaçait les guerres (façon David et Goliath, pour le coup, le combat singulier qui se substituerait à la bataille rangée); malheureusement, ça s'y ajoute et ça n'évite ni ne remplace rien, au contraire, ça relance indéfiniment la guerre.
L'analyse narrative de Wénin (toujours lui) est intéressante, mais il me semble qu'elle ne fait pas assez de cas de la différence considérable qui affecte "le lecteur" lui-même. Entre celui de l'"original", ou plus largement de l'Antiquité ou du moyen-âge, en grec ou en latin, qui était plutôt un auditeur qu'un lecteur, et le "moderne", lui-même fort différent selon qu'il appartient à une classe aisée et sécurisée d'une société occidentale, démocratique, en paix, en "état de droit", ou à une banlieue agitée, à une dictature ou à un pays en guerre, l'appréciation de la "violence" sera aussi fort différente, indépendamment de toute intention ou stratégie de l'"auteur" et/ou du "narrateur"... Il n'empêche que celui-ci (l'"auteur" et/ou le "narrateur") continue de manipuler à titre posthume et sans le savoir ledit lecteur moderne, dont les sentiments et les jugements sont certainement affectés par la narration; mais cette manipulation ne maîtrise rien, une partie considérable de nos réactions affectives et morales échappe irrémédiablement à tout ce qu'il avait pu calculer, prévoir ou espérer; nulle "autorité" exégétique, fût-elle narratologique, n'y peut rien: un texte ou un récit est lu comme il est lu et fait à chacun l'effet qu'il lui fait.
Il reste probable que pour la plupart des lecteurs l'image de David ne s'arrange pas au moment de la "succession" (1 Rois 2), quand il ferait secrètement régler ses comptes par Salomon, en annulant ainsi les signes de faiblesse ou de magnanimité (là encore, question d'appréciation) qu'il avait donnés jusque-là. Avec le David pleurant sur Absalom on compatit encore volontiers, en dépit ou à cause de son déclin; avec celui-là c'est plus difficile (mais ce n'est jamais qu'une lecture, la mienne, une réception affective du récit parmi d'autres, anachronique comme toutes les autres). Une critique littéraire tant soit peu "diachronique" n'aurait aucune peine à montrer qu'on a là une tout autre vision (p. ex. "deutéronomiste") de la "justice" et de la "rétribution", qui tente de "corriger" après coup ce qu'elle n'a pas aimé dans les grands cycles narratifs de David. Une fois encore, l'analyse littéraire et/ou narrative me semble gagner à circonscrire son champ à de réelles unités littéraires et/ou narratives, car quand elle veut embrasser indistinctement tous les textes/récits hétéroclites rassemblés dans l'intégralité finale d'un "livre" ou d'un "corpus" (pour la seule raison, en l'occurrence, qu'il est "canonique") elle perd fatalement de sa pertinence.
Cela dit, sans préjudice des différences d'appréciation culturelles et personnelles, un "héros" comme David reste (largement) sympathique et populaire parce qu'il a aussi des faiblesses, comme tous les "héros" de la "littérature" épique, tragique ou romanesque (Enkidu, Danel, Ulysse, etc.). C'est ça qu'on aime (dwd), qu'on soit homme, femme, enfant ou dieu, qu'on aime tantôt admirer et tantôt plaindre. |
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| Sujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. Mar 06 Aoû 2024, 11:17 | |
| - Citation :
- Cela dit, sans préjudice des différences d'appréciation culturelles et personnelles, un "héros" comme David reste (largement) sympathique et populaire parce qu'il a aussi des faiblesses, comme tous les "héros" de la "littérature" épique, tragique ou romanesque (Enkidu, Danel, Ulysse, etc.). C'est ça qu'on aime (dwd), qu'on soit homme, femme, enfant ou dieu, qu'on aime tantôt admirer et tantôt plaindre.
Effectivement, je trouve le personnage que le personnage de David est attachant, ses faiblesses le rendent plus proches de nous, loin des personnages irréprochables et sans failles.Épisode oedipien dans la bible : Absalon veut remplacer David, son père, il couche avec ses concubines et meurt accroché par les cheveuxL'histoire est racontée dans II Samuel (15-20). Après avoir tué son frère Amnon qui avait violé sa soeur Tamar (II Samuel 13), Absalon reçoit le pardon de son père, qui a un faible pour lui en raison de sa beauté (II Sam 14).Absalon séduit les israëlites en voulant rendre la justice (II Sam 15.1-6). Il se fait couronner à Hébron (15.7-12), le peuple suit Absalon (15.12-15), lassé peut-être de la guerre. Absalon s'installe à Jérusalem et a commerce avec les concubines de son père au vu de tout Israël pour que la rupture soit irréversible (16.20-22).Absalon est mal conseillé (17), David organise une armée et bat celle de son fils (18.1-. Absalon embarrasse sa chevelure dans un chêne (18.9-10). [Il est puni au point de sa beauté et de sa virilité - castration symbolique]. Il est tué contre l'avis de David [les Erynies]. On n'ose pas le lui dire, il devine. Il pleure, Joab le lui reproche (19). Il revient à Jérusalem et pardonne à tout le monde, sauf aux concubines : elles sont séquestrées jusqu'à leur mort en état de veuvage perpétuel (20.3).Israël et Juda se divisent [comme si c'était la sanction du crime d'Absalon]. Mais Cheba, fauteur de division, est décapité, et l'unité est rétablie (20).Après s'être réinstallé (notamment dans la guerre) (21), David prononce un Cantique où s'expriment la colère et la voix de dieu (II Sam 22.9, 22.14). La loi est rétablie.Ce ne sera pas la dernière rivalité entre fils pour la succession de David; plus tard, Adonias se trouvera en concurrence avec Salomon.https://www.idixa.net/Pixa/pagixa-0605061640.html |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. Mar 06 Aoû 2024, 11:55 | |
| Œdipe aussi est un personnage attachant-malgré-tout...
Soit dit en passant, la possession des femmes (épouses, concubines, esclaves, harem) du souverain précédent (père ou autre) est un élément symbolique important de la prise de pouvoir (succession légitime ou usurpation, coup d'Etat, insurrection, révolution de palais, conquête, etc.): on le retrouve aussi bien dans l'histoire d'Adoniya (avec Abishag, 1 Rois 2,13ss) que dans celle d'Abner du côté de la dynastie de Saül (2 Samuel 3, avec Riçpa, concubine de Saül): la prétention à la femme signifie prétention au trône (ce qui ne va pas de soi pour un lecteur moderne).
Autre chose qui n'apparaît pas forcément dans la transcription traditionnelle des noms propres, c'est qu'Absalon/m = Ab(i)shalom ou Avishalom sonne clairement comme un "double" de "Salomon" = Shelomo; de même que le nom de Yedidya donné à celui-ci en fait un prolongement de "David"... De fait on retrouve chez Absalom, dans un sens tragique, tous les motifs attribués à l'un et à l'autre, sagesse (y compris ruse), jugement, beauté... Sur un Absalom non plus on ne peut guère s'empêcher de pleurer, comme sur un Saül ou un Jonathan d'ailleurs, avec David lui-même (Absalom ! Absalom ! est encore un titre de Faulkner, d'après 2 Samuel 18,33; 19,4): la tragédie ou l'"humanité" des personnages dépasse le jugement ou le catalogage "moral" des bons et des méchants, des justes et des injustes, qu'il soit deutéronomiste, pharisien ou chrétien... |
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| Sujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. Mar 06 Aoû 2024, 12:46 | |
| La Couronne et la lyre : Présence du roi David dans la littérature française de la Renaissance ( Article très long dont je n'ai lu que la partie "fondement scripturaire). Dominique Vinay Le fondement scripturaire de l’histoire de DavidContrairement à Moïse ou à Abraham, dont l’histoire apparaît dans un récit unique, suivi et homogène, de l’Ancien Testament, deux récits distincts relatent le règne de David sur la terre de Judée!: Samuel et les Rois d’une part et les Chroniques d’une autre, que complète le testament poétique des Psaumes. Il en résulte une diversité de points de vue qui étoffe la biographie officielle du roi hébreu en réalisant la rencontre de versions différentes. Pour la rédaction du deutéronomiste seulement, la mise en forme s’est exercée à partir de traditions orales ou de documents écrits, différents en âge et en caractère, mais néanmoins regroupés ensemble en dépit de certains décalages. Pour Samuel et les Rois, il y eut au moins deux rédactions, l’une au lendemain de la réforme de Josias, l’autre pendant l’Exil. C’est seulement à l’époque postexilique que prend forme le témoignage des Chroniques. Pour cette raison, les différents livres (ou de grandes sections d’entre eux) dévolus à David gardent leur individualité et présentent des témoignages contrastés sur son règne. Sans étudier David et l’histoire d’Israël dans la diversité de chacun de ces livres (d’excellents théologiens ont déjà fourni des études précises sur le sujet10), il n’est pas inutile d’en évoquer les principales lignes de force. David y apparaît sous des jours différents!: il est une figure héroïque, sainte, pécheresse, poétique. Un bref survol de ces attributs, constitutifs de la culture sacrée à son sujet, nous permettra de montrer la variété de voies qui font du «!chantre des cantiques d’Israël!»11 un repère biblique complexe, un défi pour les poètes férus de sujets d’envergure. Le témoignage de Samuel et des Rois La première esquisse du règne de David, point de départ de toutes les traditions davidiques, apparaît sous un angle historique dans Samuel (I et II) et les Rois, trois livres qui cristallisent autant de siècles de tradition orale. Dans la Bible hébraïque, Samuel I et II ne constituent qu’un seul livre dont l’unité dérive de la paternité de l’ouvrage, attribuée au prophète lui-même. La division en deux livres est le fait des éditeurs grecs. En réalité, l’auteur de ces textes est un groupe de prêtre, des «!réviseurs deutéronomistes imprimant à leur œuvre un caractère théologico-sapiential!»12, qui raconte la geste providentielle du melek et met en relief la part de Yahvé dans sa montée au trône. La structure narrative du récit emprunte quelques éléments aux scénarios symboliques des jeune et frêle, combat un monstre (Goliath) et en récompense de sa victoire épouse la fille du roi (Michol)!; bientôt, une hostilité naît entre lui et son beau-père!; il traverse une période d’exil dont il sort victorieux et grandi13. Il devient roi et étend son pouvoir sur tout le pays. Le personnage est partie d’un système narratif si puissant qu’un simple regard sur la configuration de son destin évoque d’emblée un grand nombre de figures mythiques élevées, elles aussi, de l’anonymat à la gloire. À cette structure mythique et héroïque se greffe également la lecture religieuse!: elle forge le personnage sacré, peut-être fortement idéalisé, de l’élu. Dans cette source, l’histoire de David reflète l’esprit dans lequel elle fut écrite!: elle apparaît comme une histoire du salut. Une intervention divine en faveur du garçon au moment de l’onction par le prophète Samuel14 suggère que dès l’enfance, il se laisse guider par Dieu!: Yahvé écrit avec lui les grandes lignes de leur alliance commune, de sorte que le héros ressort grandi, sur le plan théologique, de cette proximité avec le divin. Tout cela engendre une reconnaissance de David comme héros du peuple Juif, appelé à devenir un chef puissant et pieux, un modèle humain mais aussi un peu plus qu’humain, le lieu d’une médiation entre Dieu et les hommes. Un oracle de Nathan confirme l’efficacité de la bénédiction spéciale dont il est l’objet, appelé à paraître dans la construction du royaume d’Israël et dans la promesse d’hégémonie politique étendue à toute la descendance du psalmiste! : Ainsi parle Yahvé Sabaot. C’est moi qui t’ai pris au pâturage, derrière les brebis, pour être chef de mon peuple Israël. J’ai été avec toi partout où tu allais!; j’ai supprimé devant toi tous tes ennemis15. Je te donnerai un nom comme le nom des plus grands de la terre. […] Quand tes jours seront accomplis et que tu seras couché avec tes pères, je maintiendrai après toi ton lignage issu de tes entrailles et j’affermirai sa royauté. C’est lui qui construira une maison pour mon Nom et j’affermirai pour toujours son trône royal. Je serai pour lui un père et il sera pour moi un fils.16 La figure théologique du roi d’Israël naît de cette alliance divine!: trouvant en David un « !homme selon son cœur!», Yahvé le prend (II Sam. 7, , en fait son fils et demeure avec lui jusqu’à sa mort (II Sam. 13, 12)17. Pour cette raison, David se présente comme un roi sacré, un mashiah (l’oint, le messie), dont la dignité spéciale investit non seulement sa personne mais aussi son trône et sa descendance, source du salut. Il y a dans ses œuvres un aspect d’exemplarité et de perfection, une empreinte divine apposée à l’entreprise humaine. Sa fonction n’est pas seulement celle de chef d’un empire, mais celle d’un allié de Dieu, de sorte qu’il incarne la notion fondamentale de sacerdoce royal18. En lui se réalise l’archétype biblique du souverain doué d’un corps politique et d’un corps mystique, dont la fortune politique se ramifie dans les conceptions monarchiques de l’Empire chrétien, aussi longtemps (au moins pour la France) que régneront ses rois19. Pourtant, dans Samuel, cette dignité particulière de l’élu n’éclipse pas ses faiblesses, ses erreurs et ses errances!: Samuel et les Rois ayant pour principal sujet les rapports d’Israël avec Yahvé, la fidélité mais aussi l’infidélité du peuple choisi à la parole des prophètes, le personnage cumule les contradictions!: on sait que malgré son élection, il pèche contre Yahvé lors de son adultère avec Bethsabée et lors du recensement de son peuple, qu’il se repent mais paie toute sa vie ces fautes à travers les crimes de ses fils. Sa transparence politique est également sujette à caution!: lui, l’ennemi de Goliath, un Philistin incirconcis, n’hésite pas à se réfugier auprès de ces mêmes Philistins dans leur ville royale, à Gath, au temps de la persécution saülienne!; il mène leurs guerres, jusqu’à accepter de s’engager avec eux contre Israël20. Seule la méfiance de ses nouveaux frères d’armes lui épargnera la bataille. Il est homme de guerre et d’ambitions dans tous ses conflits avec les nations voisines et avec ses rivaux hébreux, et ce encore au moment de mourir!: sur le point de passer de ce monde à l’autre, il demande à Salomon de commettre pour lui un crime posthume, l’assassinat de Shimei (I Rois II, 9), que David lui-même avait pourtant qualifié jadis d’«!homme de sang!» (II Sam. XVI, . À la fois éprouvé et repentant, être de faiblesse mais aussi de puissance, il réalise dans ses déboires la rencontre éprouvante de l’humain et du divin. En ce sens, il n’est pas Dieu fait homme, comme le sera le Christ, mais un intermédiaire laissé par Dieu à sa condition d’homme et à travers lequel il se fait conducteur de l’histoire. Les livres de Samuel font de David une figure théologique tout en contrastes, et donc intéressante pour des lecteurs et des auteurs autant sensibles aux récits d’aventures qu’aux mystères spirituels enserrés dans chacun d’eux. Le parfait David des Chroniques La seconde source biblique qui évoque le roi hébreu se présente comme un panorama prophétique de l’histoire juive depuis la création du monde jusqu’à la captivité de Babylone. Écrites six siècles après le règne de David, au temps de la désillusion et de l’espérance – espérance que Dieu libérera son peuple annexé à l’Empire romain et qu’un davidide montera à nouveau au trône – l es Chroniques exaltent en David le type même du libérateur, le dépositaire d’une promesse de salut à la clé du temps biblique et de l’avenir des hommes. À l’origine de cet ouvrage se trouve un paradoxe, reçu par les Anciens comme un écueil théologique important!: l’incompatibilité de la débâcle politique d’Israël avec la fidélité de Yahvé pour son peuple, auquel Dieu avait pourtant promis un règne et une stabilité éternels21. Pour cette raison, ce livre dit ‘historique’ de la Bible propose de relire certains aspects de la vie du bethléemite sous un angle messianique!: il reformule en termes nouveaux l’alliance de Yahvé avec son serviteur, laquelle n’engage plus sa lignée au complet mais un unique descendant de la dynastie des davidides, une figure du Sauveur! : Je maintiendrai après toi ton lignage!: ce sera l’un de tes fils dont j’affirmerai le règne. C’est lui qui me bâtira une maison et j’affirmerai pour toujours son trône. Jeserai pour lui un père et il sera pour moi un fils. (I Chr. 17, 11-12). Désormais, ce n’est plus l’ensemble de la lignée davidique qui tient lieu de fils à Yahvé (II Sam. 7, 8-15) mais bien « !l’un de tes fils!», attendu comme un libérateur national!: la promesse de Samuel est devenue prophétie. Le type messianique qu’incarne David amène également le chroniqueur à polir le récit de sa vie dans le sens d’une moralité accrue. Les fautes du monarque sont passées sous silence22!: le cadet de Jessé est le type même du roi parfait, à l’image de son successeur messianique. En revanche, son rôle politique et religieux est l’objet d’une surenchère et fait l’objet d’une étude de détail et de longues énumérations!: fondateur du royaume23, il est l’Élu qui n’a jamais régné que sur «!tout Israël!» (I Chr. 11, 1) et son intronisation à Hébron, qui préfigure le banquet messianique, rassemble quelque 340!000 guerriers de toutes les nations conquises pour une fête, prophétique, de trois jours24. S’il laisse à Salomon la construction du Temple, lui-même en est le véritable organisateur. Les chiffres, certes exagérés par le chroniqueur, parlent d’eux-mêmes!: sur les 38!000 lévites de trente ans et plus, David en nomme 4!000 pour les fonctions de chantre, et ils «!louaient Yahvé avec les instruments que David avait faits à cette intention!» (I Chr. 23, 1). Il désigne pour les diriger un maître de chœur, Héman, fils de Coré25, et lorsque celui-ci se retire pour devenir le théologien du roi, Asaph 26 lui succède. Il les répartit en trois guildes, selon leur appartenance familiale aux lignées lévitiques d’Héman, d’Asaph et de Yedutûn, et «!ils chantaient tous sous la direction de leur père dans le temple de Yahvé!» (I Chr. 25, 6)!; à chacun des vingt-quatre fils de ceux-ci est confiée la direction d’un groupe de douze chantres, ce qui nous amène au nombre de 288 choristes officiels du Temple de Jérusalem27. Le rôle du monarque dans l’organisation du culte fait de lui une figure de fondateur religieux et de réformateur, un modèle d’intérêt donc pour ceux qui prônent au siècle des Réformes non seulement une rénovation du culte mais une connaissance plus intérieure de son monument poétique, les psaumes. Le pécheur de Samuel est devenu le plus pieux des rois d’Israël, il a acquis dans les Chroniques une envergure morale et théologique majeure. Lire aussi : Les psaumes et leur auteurhttps://theses.hal.science/mwg-internal/de5fs23hu73ds/progress?id=RYz7CRWXGNnnEep0xawotf_EnBL_K45WIo3BOhvRMn0,&dl |
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| Sujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. Mar 06 Aoû 2024, 13:45 | |
| Ton lien n'aboutit nulle part: j'indique celui-ci qui a l'air de fonctionner, bien que chez moi le document n'en finisse pas de charger, mais c'est (de nouveau) un problème de connexion. Si c'est une thèse de doctorat universitaire, surtout d'il y a déjà quelque temps (2003), il n'est pas étonnant que ce soit long. Elle est sûrement plus intéressante sur le coeur de son sujet (la littérature française de la Renaissance) que sur les textes bibliques dont l'auteur(e) n'est pas spécialiste. Mais c'est bien l'effet "canonique" qui met tous les textes sur le même plan et ouvre entre eux le jeu d'une intertextualité infinie, outre les traditions ultérieures et/ou extérieures; qui rassemble les motifs les plus disparates sur "David", jeune et beau, aimé des hommes, des femmes et des dieux, berger, musicien, poète, amoureux, guerrier, courageux, rusé, roi, juge, père, humilié, pourchassé, exilé, victorieux, jusqu'à devenir une figure quasi messianique et eschatologique (retour de David ou avènement d'un fils de David) et en fait un nom et un personnage incontournables, que chaque époque et chaque milieu investit à sa manière, selon ses goûts, sa sensibilité et ses intérêts. P.S.: j'ai enfin accès au texte (703 pages !), dans un PDF qui a l'avantage de ne pas transformer les espaces fixes en points d'exclamation... pas totalement cependant car outre la connexion exécrable mon ordinateur est en fin de course. Mais j'arrive en tout cas à lire le chapitre I (p. 26-40) qui correspond à ton extrait, et dont les notes comportent beaucoup de compléments utiles, en particulier sur les traditions patristiques et rabbiniques. En ce qui concerne les guerres de David contre Israël, que tu soulignes, Dominique Vinay (p. 33 n. 20) renvoie à 1 Samuel 22: il s'agit plutôt du chapitre 27 dont la rédaction (en partie deutéronomiste ?) évite en fait cette conséquence (David razziant en fait des non-Israélites et faisant un faux rapport à Akish, ce qui "moralement" peut nous paraître plus que douteux); mais la conséquence n'est pas évitée dans les chapitres suivants qui aboutissent, de fait, à la mort de Saül et de Jonathan, bien que David soit écarté de l'action comme malgré lui (chap. 29ss: là encore, difficile de faire la part du double langage du protagoniste et de l'effet "providentiel" produit par le narrateur et/ou par tel ou tel rédacteur). Au passage, je suis tout à fait en désaccord avec l'interprétation de 1 Chroniques 17,11s: en hébreu, il n'y a aucune insistance sur une figure unique (l' un de tes fils), mais une formule des plus banales, "de ta semence-descendance, de tes fils": comme on l'a vu, dans les Chroniques il n'y a pas de "messianisme" pour la bonne raison qu'il n'y a pas d'eschatologie, "David" est actualisé perpétuellement dans le temple, par le culte (y compris les Psaumes) et la prêtrise (ointe, mashiah). Par contre il est compréhensible qu'une lecture "chrétienne" (ou aussi bien "pharisienne") l'interprète ainsi. |
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| Sujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. Lun 12 Aoû 2024, 10:41 | |
| « C’est devant YHWH que j’ai dansé » Quelques réflexions sur la danse du roi David en 2S 6
3. La « danse » du roi : 2S 6,14-16
14 Pour décrire l’activité à laquelle s’adonne le roi, qui semble plutôt intense, le verbe ḳrr est utilisé, verbe que l’on ne retrouve qu’à deux reprises dans toute la Bible hébraïque, soit en 2S 6,14 et 16, toujours au pilpel[15] participe, ce qui démontre à notre avis le caractère unique du comportement du roi. Le verbe ḳrr a vraisemblablement le sens de « tourner en rond » ou de « tourner sur soi-même »[16]. Au piel, ce verbe aurait donc le sens de tourner énergiquement sur soi-même et pourrait également, comme le suggère Seow (1989), avoir un lien avec le mot « bélier » (ḳr), et faire référence au sautillement de l’animal. Il est donc possible que le roi David bouge vigoureusement « devant YHWH », en tournant sur lui-même et en imitant les mouvements d’un animal comme le bélier. Le verbe ḳrr est utilisé une fois de plus au verset 16, précédé cette fois du verbe pzz au piel participe. La racine pzz, qui a des parallèles avec l’arabe et le syriaque (voir Wright 2002, 221), et qui peut avoir le sens de « sauter », « sautiller », mais aussi, d’« être agile » ou « excité » (BDB, 808), n’est utilisée qu’à trois reprises dans toute la Bible hébraïque (Gn 49,24 ; 2S 6,16 et 1R 10,18). Étant donné que la racine pzz dans les langues apparentées à l’hébreu fait vraisemblablement référence à des mouvements rapides, comme ceux d’un animal effrayé ou excité, il est possible, comme le suggère Seow (1989, 111), que le participe mpzz décrit une danse qui implique des sauts et des mouvements rapides, précipités, comme ceux de certains animaux, comme le bélier, le jeune taureau, etc. Les deux participes utilisés semblent donc décrire des gestes semblables et complémentaires. Le roi tourne sur lui-même, en sautillant « devant YHWH », en reproduisant possiblement des mouvements, des gestes d’excitation, etc., que l’on peut observer chez certains animaux, comme le bélier ou le jeune taureau.
15 Or, ce n’est pas parce qu’il danse « devant YHWH » ou parce qu’il bouge comme un animal que sa femme réagit. C’est parce qu’il danse vigoureusement, vêtu simplement d’un éphod de lin, que le roi se « dévoile » devant le peuple, une pratique jugée dégradante, vulgaire, indigne d’un roi selon la reine. En effet, selon le récit que l’on retrouve en 2S 6,20, Mikal aurait vu David en action lorsque la procession reprend. Lorsqu’il revient chez lui pour bénir sa famille, après avoir béni le peuple, Mikal, qualifiée de « fille de Saül », sort à sa rencontre et l’invective sur un ton sarcastique : « Comme il s’est honoré aujourd’hui, le roi d’Israël, qui s’est découvert aujourd’hui aux yeux des servantes de ses serviteurs, comme se découvre un homme sans valeur[17] ! ». La reine n’accuse donc pas le roi d’avoir « dansé », « célébré », etc., mais de s’être « dévoilé », « découvert », bref, « dénudé » comme l’aurait fait un homme vulgaire, sans dignité, etc.[18] Il est possible qu’aux yeux de Mikal, la danse de David ait eu un caractère érotique. Mais en aucun temps, contrairement à ce que suggèrent Clines (1991b, 137-138) et Wright (2002, 223), le roi n’a l’intention de séduire les femmes esclaves. De plus, le transfert de l’arche n’est pas nécessairement présenté, contrairement à ce que suggère Römer (2014, 124), comme une célébration « comportant des connotations sexuelles ou érotiques. » Seul le roi David se dénude, partiellement et accidentellement, semble-t-il, conséquence de sa danse effrénée et parce qu’il porte simplement un éphod en lin, ce qui est par ailleurs intrigant. Pour bon nombre d’auteurs[19], le port de ce vêtement souligne la qualité sacerdotale de David et justifie le fait qu’il danse comme un prêtre.
16 Dans les textes sacerdotaux, l’éphod est porté par le grand-prêtre[20] sur son vêtement et semble être un objet voué à la divination, au même titre que l’Ourim et le Toummim[21]. Mais il pourrait s’agir d’une tradition sacerdotale tardive puisque, dans quelques passages, l’éphod semble désigner un objet de culte, possiblement une statue. C’est le cas, notamment, en Jg 8,27 : Gédéon fabrique un éphod qui deviendra, selon le texte biblique, « l’objet des prostitutions de tout Israël ». On retrouve un passage intrigant en 1S 21,10, alors qu’il est question de l’épée de Goliath qui est « enveloppée dans un drap derrière l’éphod ». Dans ce cas, il pourrait s’agir d’une statue. Ailleurs dans le livre des Juges, l’éphod ne semble pas faire directement référence à une statue. En Jg 17,5, un prêtre du nom de Mikah fabrique un éphod et des téraphim, possiblement des objets destinés à la divination. En Jg 18,14, l’éphod ne fait clairement pas référence à une statue divine puisqu’il est question d’un éphod, de téraphim, d’une sculpture sacrée et d’une idole en métal fondue (voir aussi 18,17.18 et 20). On retrouve une liste semblable en Os 3,4 : « En effet, les Israélites resteront longtemps sans roi, sans chef, sans sacrifice, sans statue, sans éphod et sans téraphim. » Même s’il ne s’agit pas d’une statue à proprement parler, il s’agit d’un objet qui accompagne une statue. Il est possible, comme le souligne Meyers (1992, 550), que l’éphod ait été un vêtement dont on revêtait les statues de cultes qui auraient pu faire partie de la religion israélite à une certaine époque. Comme en Mésopotamie et en Égypte ancienne, certains membres de l’élite royale et sacerdotale, de même que des statues divines, portaient de riches vêtements décorés de manière semblable. Il est donc possible qu’avant d’être porté par les prêtres, l’éphod recouvrait une statue divine et pouvait, à l’occasion, être utilisé à des fins divinatoires.
Dans tous les passages cités ci-dessus, il n’est évidemment pas question d’un vêtement sacerdotal. De plus, il n’est pas clair dans les textes du livre des Juges que l’éphod ait été utilisé pour connaître la volonté divine. On retrouve toutefois trois exemples dans le Premier livre de Samuel (1S 23,6.9 et 30,7) où l’éphod est clairement utilisé à des fins divinatoires. Bien que la forme précise de l’objet ne soit pas donnée, il est improbable qu’il s’agisse d’un vêtement sacerdotal puisqu’il est dit que le prêtre Abiathar rejoint David « l’éphod en main » (1S 23,6). Plus loin, David lui demande « d’apporter l’éphod » (1S 23,9 et 30,7), ce qu’il n’aurait pas eu besoin de faire si le prêtre le portait comme vêtement. Il n’y a donc aucune raison de croire qu’il s’agissait d’un vêtement sacerdotal au début de l’époque monarchique.
Mais dans le cas qui nous intéresse, David porte un « éphod de lin ». Le fait que Samuel portait aussi un éphod de lin « devant YHWH » est intrigant et fournit un indice intéressant. Au moment où cet épisode est raconté, Samuel n’est qu’un enfant et n’est donc pas encore prêtre. À noter qu’il porte ce vêtement alors qu’il « sert devant YHWH », littéralement « sert la face de YHWH » (mešārēṯ ’èṯ-penê YHWH). Il pourrait donc s’agir d’un vêtement — ou d’une pièce de vêtement — que Samuel porte parce qu’il est en « présence de Dieu », voire en présence de sa statue. Même chose dans le cas de David qui porte un éphod de lin parce qu’il est en « présence de Dieu » et non parce qu’il joue le rôle d’un prêtre[22]. Par ailleurs, il n’y a aucun exemple de prêtres dansant dans la Bible hébraïque, que ce soit devant l’arche ou ailleurs, alors que les transes prophétiques devaient inclure de la danse. Bref, David se comporte davantage comme un prophète extatique que le leader cultuel de la procession. Et c’est pour cette raison, en partie, que la reine réagit.
https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/2017-v25-n1-theologi04204/1055241ar/ |
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| Sujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. Lun 12 Aoû 2024, 11:42 | |
| Etude intéressante (et récente, dit l'écho: 2017), quoique à mon avis méthodologiquement déficiente dans son usage de la langue, de la grammaire et du lexique hébraïques: ce n'est pas parce qu'un terme est "rare" (dans le tout petit corpus, principalement "biblique", de l'"hébreu classique" dominé par des rédactions plus ou moins stéréotypées qui fournissent l'essentiel du vocabulaire "fréquent") qu'il décrit une action ou un comportement rare; d'autre part il est probablement vain de ramener l'"éphod" qui dénote manifestement des choses et des fonctions très différentes selon les textes (vêtement sacerdotal, tunique ou pagne, objet cultuel et/ou divinatoire, selon que les textes tiennent ou ne tiennent pas compte de la "normalisation" de la Torah) à un seul objet (signifié, référent). De même les arguments tirés du genre grammatical en hébreu (masculin / féminin, § 4 et note 4) sont fragiles: si la "charrette" ou le "chariot" (`glh) paraît naturellement du genre féminin, l'arche (ou coffre, 'rwn) change de genre selon les textes...
A mon avis Bellavance minimise à tort l'élément sexuel, érotique ou plus précisément orgiastique, de la scène: la "transe" n'est pas seulement "prophétique" (dans la représentation des "prophètes" à l'ancienne, ceux de Samuel-Rois précisément; on peut penser à celle des prophètes de Baal en 1 Rois 18, avec encore un verbe "rare", pour sauter, boiter, s'il ne correspondait au nom de la "Pâque", psh, sans doute encore un terme de danse-transe rituelle avant qu'Exode 12 ne l'interprète au sens de sauter [par-dessus] les maisons où il y a le sang de l'agneau, pour l'"ange exterminateur"): elle est associée à tout un culte qui a aussi une dimension de sexualité sacrée et qui s'étend, plus ou moins selon les circonstances, à tous les participants, y compris les prêtres (hiérogamie, "prostitution sacrée", cf. encore les descriptions du culte du "veau" ou "taurillon d'or" dans l'Exode ou des Moabites-Madianites dans les Nombres). La "fête" sacrée abolit (provisoirement) les distinctions de classe, de fonction et de rang, au contraire de l'ordre social dominant dans les rédactions tardives qui s'efforcent de distinguer nettement le roi, le prêtre, le prophète (lequel n'a dès lors lui-même plus grand-chose d'extatique): on peut remarquer qu'ici David joue aussi bien le rôle d'un prêtre (il sacrifie, il offre, il bénit). Bien entendu, les traces de la "religion populaire" qui est à peu près la même partout dans la région, sans même parler de la distinction artificielle entre "israélite" et "cananéen", sont tellement encadrées et réprimées par les présupposés de la Torah et les rédactions qui en dépendent, qu'elles deviennent difficiles à lire dans le détail (il ne faut pas s'étonner d'y trouver du vocabulaire "rare"); mais elles restent assez claires dans l'ensemble des récits qui échappent tant soit peu au "cadre officiel", justement parce qu'ils sont "populaires" (comme une bonne partie des "cycles" de Saül, de David, d'Elie et d'Elisée, ou encore des micro-récits des Juges). Le David qui renonce à toute "dignité" pour "faire la fête", c'est encore celui-là qu'on "aime" (dwd, avec tout son "érotisme"), même dans un tout autre genre de "religion".
Soit dit en passant et dans la même veine, outre la "statue" de Yahvé il ne faut pas négliger sa sexualité, son association probable à une parèdre féminine, épouse, soeur et/ou mère, qui va de soi dans la "religion populaire" (cf. encore les traces bibliques de l'ashéra ou de la "reine du ciel" dans Jérémie). L'idée dominante du dieu masculin sans féminin, voire neutre, androgyne ou asexué, est encore plus artificielle que celle du dieu sans image -- ou sans autre image que l'"homme" lui-même homme et femme, selon le premier récit de la Genèse...
Quant aux problèmes de traduction du v. 21 que Bellavance tranche de façon péremptoire (§ 21), en ignorant les problèmes textuels sous-jacents, la Septante confirme le futur (ce qui correspond à une lecture de l'hébreu comme parfait consécutif), tout en y ajoutant une bénédiction (eulogètos kurios, béni soit Yahvé) et en joignant explicitement la danse (orkheomai au futur, deux fois) à la joie ou au jeu (paizô, de pais, paidos, "enfant"). |
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| Sujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. Mer 21 Aoû 2024, 10:51 | |
| Quand la Bible rivalise avec le roman psychologique. L’énigme du bien-aimé Philippe de Maistre
4 – Une figure évanescente
a – Une idole insaisissable
La vision finale du père et de la fille se disputant autour d’une idole de bois est particulièrement éloquente. Poursuivant une même chimère, ils sont aussi pathétiques l’un que l’autre. L’un veut saisir David pour le mettre à mort et, ce faisant, il ne saisit que le rappel de sa propre condamnation. L’autre voulait étreindre celui qu’elle aime, et se retrouve au lit avec un objet inerte. Le message est clair : David ne se laissera enfermer ni par le regard et le projet de Saül, ni par ceux de Mikal. Pour le lecteur, ceux-ci ne sont donc pas les « portes d’entrée » qui lui permettront de pénétrer le secret de David. Leur regard ne conduit qu’à une idole, à la représentation de leurs propres rêves de possession : « Leurs idoles faites de main d’homme : elles ont une bouche et ne parlent pas ; elles ont des yeux et ne voient pas… ». Par rapport à ces projections, David apparaît souverainement libre. Et la suite le confirmera, à travers la course effrénée des chapitres suivants et les multiples péripéties de sa fuite au désert et de sa disparition dans l’obscurité des grottes où ses poursuivants chercheront en vain à le dénicher. Quant à Mikal, elle disparaît totalement de la scène. Elle n’est plus mentionnée qu’à la fin de 1 Sm 25, où il est rapporté que David épouse deux autres femmes. C’est la rencontre étonnante entre David et Abigaïl où l’enthousiasme de David contraste avec son peu d’empressement à l’égard de Mikal. Si celle-ci est mentionnée, ce n’est qu’en annexe, de manière accessoire : « David avait aussi épousé Ahinoam de Yizréel, ainsi devinrent-elles toutes les deux ses femmes. Saül avait donné sa fille Mikal, épouse de David, à Palti, fils de Laïsh, de Gallim »
b – Un roi impassible
Mikal réapparaîtra ensuite, fidèle à ce qu’elle est : un objet de tractations politiques. Ainsi, après la mort de Saül, David cherchera à conclure la paix avec Abner au terme d’une violente guerre civile. C’est alors qu’il exigera, comme condition pour engager les négociations, qu’on lui rende sa femme Mikal « que j’ai épousée, dira-t-il, pour cent prépuces de philistins » . Cette précision montrant encore le terrain sur lequel il se place. Le narrateur crée un effet de contraste saisissant en relatant la réaction de Palti, le nouveau mari de Mikal : « Ishboshet l’envoya prendre de chez son mari, Palti, fils de Laïsh. Son mari partit avec elle ; il alla jusqu’à Bakhourim, en pleurant derrière elle. Abner lui dit : Va, retourne ! Et il s’en retourna ». Le texte est pathétique dans son extrême concision. Le sort de Palti — sa douleur sincère — est réglé en deux mots. Les sentiments n’ont plus droit de cité. Quant aux retrouvailles de David et Mikal, elles sont passées sous silence. Les préoccupations politiques envahissent maintenant tout le récit. Le lecteur ne peut, à ce stade, qu’être étonné de l’absence de tout dialogue entre les époux, phénomène exceptionnel quand on songe à l’importance des dialogues dans le récit biblique. Ce silence ne rend que plus brûlante l’attente d’une confrontation et d’une explication entre les deux époux.
3 – Un regard accusateur
a – Mikal à la fenêtre
L’entrée de David dans Jérusalem est observée. Mikal est à sa fenêtre. Cette fenêtre qui la sépare de David depuis le jour de sa fuite. Si la scène joue le rôle de révélateur pour chacun, c’est évidemment le cas en ce qui concerne Mikal : « Comme l’arche du Seigneur entrait dans la cité de David, Mikal, la fille de Saül, regarda par la fenêtre et vit le roi sauter et tournoyer en présence du Seigneur, et elle le méprisa dans son cœur ». L’art de la réserve et de l’ellipse atteint ici son sommet. Chaque mot est pesé. Mikal n’est plus que la « fille de Saül », le rappel fantomatique de celui qui a été destitué, le prolongement du regard de son père. Si, en une phrase, le narrateur met à nu le cœur de Mikal, le résumant à un mouvement de mépris pour celui qu’elle aimait, il ne donne pas la raison de cette réaction. Le lecteur doit pallier ce manque par son imagination et sa mémoire. Il se remémore alors l’immense vide qui couvre l’histoire de Mikal depuis la précédente mention de « la fenêtre ». Il devine la foule des attentes, désillusions et rancœurs qui ont dû envahir peu à peu l’espace intérieur et la solitude de Mikal.
b – La scène de ménage
Ce « trop plein » doit s’exprimer. C’est ce qui donne lieu à l’affrontement final. David semble se faire attendre, prenant son temps, ne faisant qu’augmenter l’exaspération de son épouse délaissée. Mais l’heure de l’explication a sonné. Aussi Mikal précède-t-elle son royal époux : « Mikal, fille de Saül, sortit à sa rencontre et elle dit… ». L’ironie est ici à son comble. Mikal accomplit le geste de l’épouse — « Sortez à la rencontre de l’époux » —, répondant à l’invitation de se joindre à la fête — « resterez-vous au repos derrière vos murs quand les ailes de la colombe se couvrent d’argent… » — et à accueillir la bénédiction du héros : « David s’en retournait pour bénir sa maisonnée… ». Mais si l’échange verbal tant attendu et si longtemps différé explose enfin, ce n’est pas de joie… Le fait que l’explication ait lieu à l’extérieur n’est pas anodin. L’intimité des époux est inexistante. Mikal ne parle d’ailleurs pas à son époux mais, de manière à être entendue de tous, « au roi », en employant sarcastiquement la troisième personne. Le paradoxe est qu’elle lui reproche son indécence au moment où elle déballe en public ce qui devrait rester une affaire privée. La réponse de David nous est connue. Elle est suivie immédiatement d’une conclusion lapidaire, en forme de condamnation : « Et Mikal, fille de Saül, n’eut pas d’enfant jusqu’à sa mort ». Une ellipse est ainsi tragiquement placée entre la fin du verset précédent relatant la réponse de David et le début du présent verset. Le verset 23 est une sorte d’épilogue à l’histoire de David et Mikal. Il nous présente la stérilité de Mikal comme un fait objectif, mais le lecteur se souvient de la nuit de noce tronquée. S’il est sensible au drame personnel des époux, il conclura qu’après leur violent échange en public, David a renoncé à toute relation conjugale avec Mikal.
https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-theologique-2010-1-page-3.htm |
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| Sujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. Mer 21 Aoû 2024, 11:31 | |
| Intéressant éclairage littéraire et comparatif, anachronique comme toute lecture -- toute description, narration, analyse d'une expérience de lecture produit encore du texte, de l'écriture, de la littérature, de la lecture... On peut sans doute distinguer la "littérature" moderne, par exemple romanesque, de toutes les "littératures" anciennes, on ne saurait l'en détacher, et pas non plus de ce lien historique qui fait que c'est dans une tradition formée par "la Bible", "le Livre" au centre de "la religion" et lui échappant progressivement par la technique de l'imprimerie, qu'est née (ce qu'on appelle aujourd'hui) "la littérature", dégagée en principe de toute préoccupation religieuse, politique, juridique, morale, économique, idéologique, historique ou scientifique. Pourtant les ficelles de la narration, storytelling, ce qui fait une "bonne histoire", restent toujours à peu près les mêmes, en amont comme en aval de "la Bible", et dans toutes les "cultures" qui n'ont eu aucun rapport à cette tradition-là, pour autant que nous savons les lire, toujours à notre manière bien sûr...
Pas de doute en tout cas que les cycles de David, si hétérogènes qu'ils soient par leurs "sources" ou l'intention de leurs "auteurs" (rédacteurs, compilateurs, éditeurs), font toujours une excellente histoire, aussi par ce qui en elle nous échappe -- pas forcément les mêmes éléments que ceux qui échappaient aux premiers destinataires, aux lecteurs et aux auditeurs antiques; mais eux non plus n'y comprenaient pas tout, une part d'obscurité étant nécessaire au jeu même du récit et de l'intrigue. Quand tout est clair c'est ennuyeux à mourir, quand tout est obscur aussi, question de dose où le hasard s'avère souvent meilleur que le calcul. |
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| Sujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. Mer 21 Aoû 2024, 12:09 | |
| ISH-BOSHETH(Homme de Honte). Sans doute le plus jeune fils de Saül, son successeur sur le trône. Les listes généalogiques indiquent qu’il portait aussi le nom d’Eshbaal, lequel signifie “ Homme de Baal ”. (1Ch 8:33 ; 9:39.) Toutefois, dans d’autres endroits, comme en Deux Samuel, il est appelé Ish-Bosheth, nom dans lequel “ Bosheth ” remplace “ Baal ”. (2S 2:10.) On rencontre le terme hébreu boshèth en Jérémie 3:24, où il est traduit par “ chose honteuse ” (MN) ou “ honte ”. (CT ; Da ; Od.) Dans deux autres passages, baʽal et boshèth se trouvent en parallèle et en apposition, de sorte que l’un explique et définit l’autre (Jr 11:13 ; Ho 9:10). Dans d’autres exemples encore, le terme “ Bosheth ” ou une de ses formes se substitue à “ Baal ” dans des noms de personnages. Par exemple, “ Yeroubbésheth ” pour “ Yeroubbaal ” (2S 11:21 ; Jg 6:32) et “ Mephibosheth ” pour “ Merib-Baal ”, ce dernier étant un neveu d’Ish-Bosheth. — 2S 4:4 ; 1Ch 8:34 ; 9:40. On ne connaît pas la raison d’être de ces noms doubles ou de ces substitutions. Une des théories avancées par des spécialistes tente d’expliquer la dualité des noms par un changement apporté lorsque le nom commun “ baal ” (propriétaire, maître) en vint à désigner particulièrement Baal, le répugnant dieu cananéen de la fertilité. Toutefois, le même livre biblique de Deux Samuel, où figure le récit concernant Ish-Bosheth, rapporte que le roi David lui-même appela un lieu de bataille Baal-Peratsim (qui signifie “ Propriétaire des Brèches ”) en l’honneur du Seigneur Jéhovah, car il dit : “ Jéhovah a fait une brèche chez mes ennemis. ” (2S 5:20). D’autres pensent que le nom Ish-Bosheth était peut-être prophétique, annonçant la mort honteuse que connaîtrait le personnage et la fin désastreuse de la dynastie de Saül. Après la mort de Saül et de ses autres fils sur le champ de bataille à Guilboa, Abner, parent de Saül et chef de son armée, emmena Ish-Bosheth de l’autre côté du Jourdain à Mahanaïm, où il fut fait roi sur toutes les tribus à l’exception de Juda, qui reconnaissait la royauté de David. À cette époque, Ish-Bosheth avait 40 ans, et il est dit qu’il régna deux ans. Puisque la Bible ne précise pas à quel moment ces deux années de règne se situent dans la période de sept ans et demi où David régna à Hébrôn, il est impossible de résoudre les divergences d’opinions qui séparent les biblistes sur cette question. Malgré tout, il semble plus raisonnable de penser qu’Ish-Bosheth fut fait roi peu après la mort de son père (et non cinq ans plus tard) ; dans ce cas, un intervalle d’environ cinq ans dut s’écouler entre son assassinat et le moment où David fut fait roi sur tout Israël. — 2S 2:8-11 ; 4:7 ; 5:4, 5. Le court règne d’Ish-Bosheth fut perturbé par des troubles internes et externes. La guerre qui opposait sa maison à celle de David “ se prolongeait ” ; au cours d’un combat, il perdit 360 hommes et David 20 (2S 2:12-31 ; 3:1). Pendant ce temps, Abner, son parent, renforçait sa position à ses dépens, au point même d’avoir des rapports avec une des concubines de Saül, ce qui, au regard de la coutume orientale, équivalait à une trahison. Quand Ish-Bosheth le reprit pour cet acte, Abner lui retira son soutien et conclut avec David une alliance prévoyant entre autres le retour de Mikal, la femme de David, qui était la propre sœur d’Ish-Bosheth (2S 3:6-21). Quand Yoab tua Abner, la position d’Ish-Bosheth s’affaiblit encore. Peu après, deux de ses capitaines l’assassinèrent pendant sa sieste de midi (2S 3:22-27 ; 4:1, 2, 5-7). Cependant, quand ces meurtriers apportèrent la tête d’Ish-Bosheth à David dans l’espoir d’une récompense, celui-ci les fit mettre à mort et ordonna que la tête soit enterrée dans le tombeau d’Abner, à Hébrôn. — 2S 4:8-12. C’est ainsi que la dynastie de Saül, qui aurait pu durer “ pour des temps indéfinis ”, connut une fin brutale et humiliante à cause, non pas des péchés d’Ish-Bosheth, mais de ceux de son père (1S 13:13 ; 15:26-29). Ish-Bosheth, il est vrai, fut un dirigeant faible, qui obtint le trône et le conserva principalement grâce à la force d’Abner. Toutefois, David parla de lui comme d’“ un homme juste ”. — 2S 4:11. https://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/1200002211 The Names Mephibosheth and Ishbosheth Reconsidered Michael Avioz Bar-Ilan University La théorie de la substitution L’approche de la plupart des érudits face à ce problème est que le remplacement de baal par bosheth était intentionnel.2 Le premier à faire cette suggestion fut probablement Thenius dans son commentaire sur Samuel, publié en 1842. Cependant, les érudits ont généralement faire référence à Abraham Geiger, même s'il écrivait sur ce sujet vingt ans après Thenius.3 Selon Geiger, le nom baal désignait initialement le Dieu d'Israël. Le L’époque du prophète Osée (milieu du VIIIe siècle avant notre ère) fut un tournant dans lequel ce nom fut alors attribué au dieu cananéen, et des réserves contre son usage ont donc été exprimées. Durant cette période, l'élément baal dans les noms personnels était changé en bosheth. Cette opinion repose sur l'hypothèse que les copistes ou les commerçants n'ont pas veulent mentionner le nom de Baal dans le Livre de Samuel afin qu'ils le changent en nom à caractère moqueur qui exprimerait leur attitude envers le culte de Baal. Pour Par exemple, Segal écrit ce qui suit dans son commentaire sur Samuel4 : La forme originale du nom était Ishbaal ou Eshbaal, comme dans 1 Chr. 8h22, 9h39, c'est-à-dire l'homme du Baal ou du Maître, apparemment essentiellement un titre pour YHWH. Cependant, lorsque le nom Baal fut uni aux idoles cananéennes et le nom fut changé en bosheth, un nom péjoratif. utilisé par les prophètes (Jér. 3:24; 11:13; Osée 9:10). Ainsi ils changèrent le nom de Meribaal en Mephibosheth et Jerubaal à Jerubesheth (4 :4 ; 11 :21 ; comparer 1 Sam. 14 :49). Cependant, le Chroniqueur n'avait plus peur d'utiliser l'élément baal dans ces noms, car à son époque le culte de Baal avait déjà été éradiqué en Israël depuis plusieurs générations. Comme nous le verrons plus tard, je ne relie pas le remplacement aux commerçants ou aux copistes, mais plutôt à l'un des processus d'édition derrière le Livre de Samuel. Certains définissent l'échange de Mephibosheth avec Meribaal comme des dysphémismes, en substituant « un terme offensant ou désobligeant pour un terme inoffensif. »5 Noms qui contiennent l'élément baal a été remplacé dans le Livre de Samuel car Baal était apparenté au monde des croyances cananéennes. Ce remplacement a entraîné la suppression du nom Baal de certains livres, symbolisant à la fois une attaque contre le nom de Baal et minimiser son importance. (J'ai oublié la façon de retrouver le lien de l'article ) |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. Mer 21 Aoû 2024, 13:14 | |
| Lien de téléchargement -- clic droit sur la référence du moteur de recherche (Google ou autre), copier le lien, puis le coller (au bon endroit)... L'article est en anglais, ton extrait provient probablement d'une traduction automatique... Pour faire court, qu'il y ait eu une intention d'éviter le mot Baal, pris pour théonyme dans des noms théophores, et de le remplacer par un terme de mépris, bosheth = honte, cf. aussi Jérubbaal / Jérubbe-os-heth associé(s) à Gédéon dans les Juges (bien qu'il s'agisse peut-être là de la fusion de deux personnages), cela ne fait guère de doute. Mais toute la question est de savoir où, quand et chez qui (auteurs, rédacteurs, éditeurs, scribes) se manifesterait une telle "intention": le fait que le nom Baal, présumé original, soit préservé dans le texte globalement le plus tardif (les Chroniques) devient alors déconcertant à première vue, sauf à supposer que l'auteur des Chroniques travaille sur un texte de Samuel-Rois différent de celui qui nous est parvenu dans la tradition massorétique (ce qui est avéré sur d'autres points, pas si clairement sur celui-là). On peut aussi rappeler, comme on l'a remarqué récemment, que les Chroniques (sacerdotales, au sens large) se montrent beaucoup plus "tolérantes" et "inclusives" au plan religieux, ethnique et idéologique que la rédaction dite "deutéronomiste", pourtant "laïque", de Samuel-Rois. D'autre part les variations du théonyme et de son substitut ( baal / bosheth) n'expliquent nullement celles du reste du nom, 'ish / esh et surtout mephi / merib (plus proche du yeroub de Jérub-baal, combat, querelle, litige, procès). A noter que des variations similaires existent aussi dans les généalogies de David (comparer 2 Samuel 5,16 et 1 Chroniques 14,7 Elyada / Beelyada, p. 19). En tout cas ce problème d'onomastique concerne assez peu le personnage de David, contrairement à ses relations avec les personnages de la "maison de Saül" ainsi nommés dans le récit (de Samuel-Rois principalement, car pour les Chroniques ce ne sont plus que des noms dans des listes). Les rebondissements du rapport à Mephibosheth sont particulièrement remarquables (2 Samuel chap. 4; 9; 16; 19; 21), et contribuent au caractère complexe de David (sensible, fidèle, trompé, détrompé, injuste et de mauvaise foi tour à tour); de même les rapports complexes de David et d'Ish-bosheth et de leurs "généraux" respectifs, Joab et Abner, dont nous avons déjà parlé (2 Samuel 2--4). Je remarque au passage, ça ne m'avait pas frappé ou je l'avais oublié, une certaine symétrie dans le traitement des "femmes royales" avec les mêmes implications politiques (cf. Absalom, Adoniya, supra 6.8.2024): Ish-Bosheth accorde diplomatiquement Mikal, fille de Saül, à David, mais refuse la concubine de Saül à Abner, ce qui joue un rôle déterminant dans le cours des événements racontés. |
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| Sujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. Lun 26 Aoû 2024, 10:48 | |
| LES INTERROGATIONS SUR L’AVENIR DE LA DYNASTIE DAVIDIQUE AUX ÉPOQUES BABYLONIENNE ET PERSE ET LES ORIGINES D’UNE ATTENTE MESSIANIQUE DANS LES TEXTES DE LA BIBLE HÉBRAÏQUE Thomas Römer
La critique du roi et l’attente d’un roi meilleur
L’époque dite de l’exil babylonien eut des milieux intellectuels judéens, hauts fonctionnaires déportés à Babylone ou restés dans le pays, pour assurer la gouvernance au service des Babyloniens. Ces milieux s’interrogèrent sur la nécessité de la continuité de la lignée davidique. Le thème de la royauté est central dans les livres de Samuel et des Rois qui, après une première édition au VIIe siècle avant notre ère, connurent une révision à l’époque néo-babylonienne9. Le livre des Juges contient une fable sur la royauté qui possède un parallèle étonnant avec une fable d’Ésope10, selon laquelle c’est l’arbre le plus inutile (le buisson d’épines) qui accepte de se faire oindre roi par les autres arbres ( Jg 9, 8–15). Les livres de Samuel présentent les origines de la royauté d’une manière ambiguë en faisant alterner dans 1 S 8–12 des récits négatifs et positifs sur la mise en place de la monarchie en Israël11. Et même David, fondateur de la « vraie » lignée royale et détenteur de la promesse divine d’une dynastie éternelle (2 S 7), est dépeint dans l’histoire de sa succession comme un roi ne respectant ni le droit ni la justice (voir notamment l’histoire de son adultère et celle de la révolte de son fils Absalon). Même l’arrivée au trône de Salomon (1 R 1) est le résultat d’intrigues et de manigances12. Dans les livres des Rois qui relatent l’histoire de la royauté israélite et judéenne, seul le roi fondateur David, ainsi qu’Ézéchias et Josias trouvent grâce aux yeux des rédacteurs. En 2 R 22–23, Josias est même décrit comme un nouveau David : « Il fit exactement ce qui est droit aux yeux de YHWH et suivit exactement le chemin de David son père » (2 R 22, 7). Cette vision positive est peut-être le résultat d’une mise par écrit de la politique de centralisation de ce roi au VIIe siècle. Celle-ci se termina d’une manière abrupte lorsque Josias, pour des raisons quelque peu mystérieuses, se fait tuer par le roi d’Égypte à Megiddo. L’édition babylonienne des livres des Rois explique la mort de Josias comme une mort « en paix » (2 R 22, 19–20), car elle lui évite d’assister à la destruction de Jérusalem.
La question de l’avenir de la dynastie davidique n’est pas ouvertement traitée. La promesse d’une dynastie éternelle (2 S 7) garde-t-elle pour les rédacteurs de l’époque babylonienne sa pertinence ? Espéraient-ils le maintien de la lignée davidique ? La fin mystérieuse de 2 R 25, 27–30 a souvent été interprétée en ce sens. Le texte relate la sortie de Yehoyakin de sa prison babylonienne et son ascension à la table du roi babylonien à laquelle il occupe une place privilégiée. Les informations données en 2 R 25, 29–30 peuvent être mises en rapport avec une tablette babylonienne de l’époque de Nabuchodonosor II qui mentionne des rations d’huile à « Yeyohakin, roi du pays de Juda » et aux « cinq fils du roi du pays de Juda »13. L’auteur de 2 R 25, 27–30 savait apparemment que les rois et notables exilés à Babylone bénéficiaient d’allocations du roi de Babylone, mais il a donné à cette pratique une nouvelle signification. A la suite de G. von Rad14, plusieurs auteurs ont vu dans cette fin une ouverture messianique, l’espoir que la réhabilitation du roi judéen signifie aussi la continuité de sa dynastie15. Il faut cependant noter que le roi, selon 2 R 25, reste en exil « tous les jours de sa vie » et que le texte des Rois, contrairement aux Chroniques, ne mentionne nullement ses fils et successeurs potentiels. Une toute autre interprétation serait de s’appuyer sur les motifs littéraires qui rapprochent ce passage du « roman de la diaspora », les histoires de Joseph en Gn 37–50, de Daniel en Dn 2–6 et du livre d’Esther. Dans tous ces cas, un exilé quitte sa prison et devient le « second » auprès le roi (Gn 41, 40 ; 2 R 25, 28 ; Est 10, 3 ; Dn 2, 48) ; l’accession à ce nouveau statut étant marqué par un changement de vêtements (Gn 41, 42 ; 2 R 25, 29 ; Est 6, 10–11 ; 8, 15 ; Dn 5, 29). Tous ces récits insistent sur le fait que le pays de déportation est devenu celui où des Juifs peuvent habiter et même mener des carrières intéressantes. On pourrait donc lire le rapport sur le destin de Yehoyakin, comme une invitation à accepter la situation de diaspora16. On ne se mettra sans doute jamais d’accord sur le sens à donner à la finale des livres des Rois, et on pourrait aussi se demander si cette ambiguïté concernant l’avenir de la royauté ne reflète pas une réelle hésitation dans le milieu deutéronomiste des VIe et Ve siècles17.
Autres réponses à l’exil de la royauté judéenne
D’autres milieux attendaient, cependant, la restauration de la lignée davidique. Ainsi, des rédacteurs donnent au livre prophétique d’Amos une nouvelle finale dans laquelle YHWH promet de relever la « hutte de David » (Am 9, 1). D’autres textes de cette époque accentuent les traits fabuleux de l’idéologie royale traditionnelle liés à l’avènement du roi parfait. Ceci est notamment le cas pour Is 9, 1–6, et 11, 1–5 (6–9)18 qui ont été insérés dans le livre d’Ésaïe comme une relecture de l’oracle d’Is 7. Ces textes constituent une suite messianique, mettant en scène l’annonce (7,14–17), la naissance, les noms (9,1–6) et le règne (11,1–5) du roi idéal. Les noms donnés à ce roi à venir (9,5) « Merveilleux Conseiller, Dieu-Fort, Père à jamais, Prince de la paix, ‘Grand-dans-son règne’ » sont inspirés de la titulature royale égyptienne19, et la description de son gouvernement correspond à l’arrivée d’un temps de justice.
Dans des textes du début de l’époque perse apparaît le personnage de Zorobabel qui était apparemment de descendance davidique (selon 1 Chr 3, 16.19, il est le petit-fils du roi Yoyakin qui avait été exilé à Babylone). Le livre du prophète Aggée annonce son intronisation : « Je vais ébranler ciel et terre. Je vais renverser les trônes des royaumes et exterminer la force des royaumes et des nations (. . .). En ce jour-là, oracle de YHWH des armées, je te prendrai, Zorobabel, fils de Schealthiel, mon serviteur, oracle de YHWH. Je t’établirai comme un sceau ; car c’est toi que j’ai choisi, oracle de YHWH des armées » (Ag 2, 21–23). On retrouve dans cet oracle quelques éléments de l’idéologie royale, notamment les dimensions cosmiques de l’intronisation d’un nouveau roi, la victoire contre les ennemis et l’élection du roi par la divinité. Aggée représente apparemment un milieu nationaliste croyant que la royauté judéenne pourrait se poursuivre au moment où le Temple serait reconstruit. Éspérait-on que les Perses acceptent un roi judéen de la ligne davidique si celui-ci se comportait de manière loyale vis-à-vis du suzerain perse ? Un tel espoir ne se réalisait pourtant pas. En Za 3, 1–10 apparaît la figure du grand-prêtre Josué. En Za 4, 14, il forme un couple avec Zorobabel, et les deux sont « désignés pour l’huile » (la racine « oindre » est pourtant évitée). Ce texte reflète l’idée d’une dyarchie, d’une séparation des pouvoirs politique et sacerdotal. À la fin du cycle des visions de Zacharie, c’est pourtant seulement le prêtre Josué qui est couronné (Za 6, 11–14). Il est possible que ce texte ait été modifié pour éclipser le personnage de Zorobabel20. Sa disparition de l’histoire et des textes biblique est en effet assez intrigante : a-t-il péri lors d’une guerre civile ou a-t-il été condamné à mort par les Perses?21
https://serval.unil.ch/resource/serval:BIB_FE3405CD23D0.P001/REF.pdf |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. Lun 26 Aoû 2024, 11:50 | |
| Utile synthèse de Römer -- sans date apparente, elle doit remonter à une dizaine d'années puisque la référence la plus tardive que je vois est de 2011. Elle concernerait surtout ce fil, et ceux consacrés aux nombreux textes bibliques évoqués (il n'est d'ailleurs pas impossible qu'elle ait déjà été citée quelque part, car j'ai l'impression de l'avoir déjà lue). Pour rappel, outre la question toujours débattue de la datation des textes, il ne faut pas confondre 1) une idéologie royale, qui peut produire des énoncés hyperboliques idéalisant la figure du roi, mais s'inscrit toujours dans une perspective "historique", "politique" et/ou "militaire" (on veut concrètement maintenir ou rétablir une royauté plus ou moins autonome, comme cela a pu encore être le cas à Jérusalem au début de l'époque perse, autour de Zorobabel et de Josué-Jésus), et 2) un "messianisme" eschatologique supposant une "fin de l'histoire", même si l'une peut conduire à l'autre (en partie parce que la première ne se réalise pas et ne semble plus pouvoir se réaliser dans l'"histoire"). D'autre part, comme on l'a vu récemment à props des Chroniques, dans la suite de l'époque perse et à l'époque hellénistique c'est surtout la prêtrise qui assume l'héritage davidique: c'est dans ce contexte que se justifiera la dynastie hasmonéenne, sacerdotale (sauf évidemment aux yeux de ses opposants, qoumraniens, hénochiens ou pharisiens, pour qui elle est à divers titres illégitime). D'un certain point de vue c'est un juste retour des choses, puisque l'"onction royale" (nulle part mentionnée dans la Torah) était elle-même dérivée de l'onction sacerdotale, donnant au roi un statut d'archi-grand-prêtre, en amont de la séparation des fonctions... (un peu comme en Angleterre le roi ou la reine est chef de l'Eglise au-dessus de l'archevêque de Cantorbéry). Comme on l'a remarqué ci-dessus, le David de Samuel-Rois, qui échappe en grande partie aux normes de la Torah, peut parfaitement jouer un rôle sacerdotal, sacrifier et bénir, ses fils être prêtres, etc. D'autre part, ainsi qu'on l'a souligné dans l'autre fil, (en particulier à partir de juin 2022), il faut distinguer les textes qui impliquent un "fils = descendant de David" de ceux (p. ex. Ezéchiel) qui suggèrent un retour de David, un David redivivus, retour d'une figure du passé (comme Elie etc.). |
| | | free
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| Sujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. Lun 26 Aoû 2024, 12:11 | |
| ISRAËL : DE LA FÉDÉRATION TRIBALE À L’ÉTAT MONARCHIQUE Philippe de Robert
Certes, un tel changement n’est pas intervenu du jour au lendemain : plusieurs étapes ont conduit à la monarchie salomonienne. Comme en témoigne le début des livres de Samuel, le point de départ semble être la pression militaire de type colonial que les Philistins firent subir aux tribus Israélites. Pour y faire face, on doit envisager un nouveau régime politique et confier à un chef «charismatique», le benjaminite Saul, des pouvoirs plus étendus et permanents. Malgré quelques succès, celui-ci succomba. Ce fut le judéen David qui recueillit son héritage et, reconnu roi par sa propre tribu puis par celles du Nord, repoussa définitivement l’ennemi philistin. De lui proviennent les innovations essentielles : l’unification du pays sous un régime d’union personnelle par un pouvoir royal autonome s’appuyant sur une armée de métier, le choix d’une capitale neutre appelée à devenir métropole religieuse par le transfert de l’arche, l’établissement d’un principe dynastique. Son fils Salomon, après s’être imposé parmi les héritiers possibles, acheva cette œuvre par la construction du temple et l’organisation administrative du royaume.
Cet avènement de la monarchie n’est-il pas alors le fruit d’une évolution somme toute normale ? Même si le caractère progressif de cet avènement a pu être souligné par les analyses d’A. Alt (u) ou de M. Weber (12), lequel y voit la conséquence de la tension entre le type sociologique de la cité-état et celui de la confédération, il est difficile d’y voir un processus endogène. Le changement fut imposé d’abord par les circonstances extérieures : la montée du danger philistin, culminant avec la bataille d’Aphek ( - 1050) qui vit la prise de l’arche et la fin du sanctuaire de Silo, marquant ainsi une rupture certaine. Il fut influencé aussi par un certain nombre d’exemples voisins : les principautés cananéennes et phéniciennes, la pentapole philistine, mais aussi des régimes plus développés comme les royaumes araméens et hittites et même l’organisation de l’empire égyptien (13).
S’il est essentiellement exogène, le processus qui conduisit à la monarchie israélite présente-t-il une originalité ? Sans doute, au témoignage des textes, par la tension explicite dont il s’accompagna. L’ensemble des chapitres 8 à 12 de 1 Samuel met en scène cette tension par la juxtaposition de récits d’orientation différente : quoique marqués par l’historien qui les rédigea plusieurs siècles après, les textes «anti-royalistes» reflètent sans doute, comme le discours de Samuel en 1 S, 8, 10-18, l’opposition que le projet rencontra et le fait que la royauté fut ressentie comme une institution étrangère (14). Le débat ne se situe pas seulement entre textes pro-royalistes anciens et anti-royalistes tardifs, mais bel et bien entre partisans et adversaires d’une innovation qui se heurte à une tradition. La réussite de la monarchie n’a pas pu effacer les textes qui la contestaient, pas plus que son échec final n’a pu faire disparaître ceux qui l’approuvaient.
Il convient maintenant d’examiner les éléments qui attestent, à travers cette mutation, la continuité de la tradition ancienne.
Elle se manifeste tout d’abord dans le domaine politique. Il faut commencer par évoquer, paradoxalement, les textes mêmes que je viens de citer et qui révèlent que la monarchie a été ressentie comme une rupture. L’opposition qu’ils reflètent à l’institution nouvelle s’appuie en effet sur la conception ancienne des rapports sociaux, qui apparaît aux opposants comme seule légitime et qui est donc restée bien vivace. Elle s’appuie également sur la conception de la royauté exclusive de YHWH qu’expriment certains textes comme la réponse prêtée à Gédéon en Juges, 8, 23 : «Ce n’est pas moi qui serai votre souverain ni mon fils. C’est YHWH qui sera votre souverain».
Plus tard, Y opposition (1S) s’exprime ouvertement au cours du règne de David lors de la révolte de son fils Absalom qui s’appuie sur les revendications des tribus, notamment en ce qui concerne l’exercice de la justice, pour chasser son père de Jérusalem. Après son échec, cette révolte sera suivie de celle de Sheva, de la tribu de Benjamin, qui n’est plus une tentative de succession anticipée comme celle d’Absalom, mais une véritable sécession, rejetant l’autorité de David sur l’ensemble des tribus du Nord : «Nous n’avons pas de part avec David, pas d’héritage avec le fils de Jessé !» (2 Samuel, 20, 1).
Ce cri se fera entendre à nouveau une génération plus tard, lorsqu’après la mort de Salomon les tribus du Nord exigent à la diète de Sichem une modification de la politique royale que leur refuse Roboam : le schisme est alors consommé, et cette fois le jeune roi ne pourra s’y opposer. Après moins d’une centaine d’années d’expérience, la monarchie unie vole en éclats au moment où elle semblait avoir atteint son apogée (7 Rois, 12).
La cause principale en est manifestement l’existence d’une opposition d’abord contrainte au silence, puis se manifestant au grand jour avec le benjaminite Sheva et l’éphraïmite Jéroboam. Elle plonge ses racines dans la tradition politique de la fédération et notamment la conception de l’autonomie tribale.
Certes, il ne s’agit pas avec le schisme d’un retour pur et simple à la situation pré-monarchique. Non seulement la tribu de Juda reste fidèle à la dynastie de David qui se maintient à Jérusalem, mais encore les tribus du Nord se donnent elles-mêmes un roi, le leader de la résistance à Salomon, Jéroboam Ier. L’institution royale est donc maintenue, même au Nord, mais sous une forme plus proche de ses débuts avec Saul, et où le principe dynastique n’arrivera jamais à s’imposer longtemps. Les rois de Samarie devront souvent leur pouvoir à l’initiative populaire des tribus ou plus fréquemment au pur et simple coup d’État militaire.
https://www.persee.fr/doc/ktema_0221-5896_1985_num_10_1_1941 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. Lun 26 Aoû 2024, 13:10 | |
| Il ne reste décidément plus grand-chose de cette (pseudo-)"histoire d'Israël", "histoire sainte" ou "biblique" tout juste délestée du plus invraisemblable et paraphrasée dans des termes "profanes" et "techniques", politiques, militaires, stratégiques, diplomatiques ou socio-économiques, immanents et savants, telle qu'elle pouvait encore s'enseigner tranquillement en 1985, sans la moindre référence à une archéologie autonome, dans les universités (d'Etat qui plus est, à Strasbourg...). De Robert lui-même a dû manger son chapeau quelques années plus tard, face au changement de paradigme porté par Römer et bien d'autres... Mais la méthode était commode, puisqu'il suffisait de retraduire le langage "profane" du professeur en langage "religieux" du prédicateur pour (re-)trouver son catéchisme quasi intact.
Une fois abandonnée la légende d'une séquence "amphictyonie" ou "ligue de tribus" / "monarchie unie" sur "tout Israël" / "schisme" (séquence qui garde toute sa pertinence pour la lecture de l'"histoire sainte", mais ne saurait y être dissociée de toute la chaîne qui l'y précède, Création - Déluge - Patriarches - Egypte - Exode - Conquête: il faudrait décider arbitrairement où s'arrête la "légende" et où commence l'"histoire"), les cycles de Samuel, de Saül et de David, qui par leur qualité narrative échappent à la normalisation de la rédaction dite "deutéronomiste", apparaissent comme des traditions locales et populaires, à l'instar de celles des "Juges" -- on ne peut pas en dire autant de Salomon auquel s'attachent peu de récits vivants et pittoresques, mais une image générale et artificielle de gloire "mondiale" nécessaire à l'articulation du "grand récit": il faut un "grand royaume uni" pour avoir un "schisme" et justifier ainsi la préséance théorique de Jérusalem sur Samarie, à rebours de l'"histoire réelle" (où Jérusalem n'émerge vraiment qu'après la chute de Samarie). |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. Lun 26 Aoû 2024, 14:42 | |
| Dans ce cahier, l’auteur présente une lecture narrative de la longue histoire qui oppose David au roi Saül. Les chap. 24 et 26, qui présentent deux moments de cette confrontation, encadrent le récit de 1 S 25 dans lequel David rencontre Abigayil. Cette dernière le détourne de son projet de se venger de son mari insensé Nabal. Dans un premier chap., le lecteur découvre les personnages de 1 S 24 et 26. Saül se caractérise par le port d’un manteau qui dit sa royauté. En en coupant un pan, David le prive de sa royauté, et rompt l’alliance avec lui et sa descendance. Mais rempli de remords David souffre de la violence faite à l’oint de yhwh. Au chap. 26, David s’empare de la lance de Saül avec laquelle il a voulu le tuer. Avec l’aide de Dieu, David prive Saül d’un emblème de sa royauté, dénonce l’incurie des gardes et démontre par là son élection. Cependant, il refuse ici de faire violence au roi. Le deuxième chap. sur 1 S 25 valorise la belle Abigayil au détriment de Nabal rude et insensé. Symboliquement Nabal représenterait Saül par sa rudesse et le mépris qu’il affiche : « Qu’est ce que le fils de Jessé ? » Abigayil joue un rôle essentiel pour détourner David de son projet de violence contre Nabal. Elle lui évite de verser le sang innocent et de devenir injuste. Elle sauve sa royauté. Apprenant que Dieu a frappé Nabal, David Lui rend grâce d’avoir mis sur sa route Abigayil et de l’avoir détourné de la violence. Abigayil a enseigné à David l’art de gouverner sans violence . David comprend alors qu’il est accompagné de Dieu. Le troisième chap. montre l’importance des déplacements. Abigayil comble l’espace physique et symbolique que Nabal a creusé entre David et sa famille. Les mouvements ascendants et descendants de David et Saül ont une portée symbolique entre les deux rivaux. Celui qui s’élève lui-même est condamné et celui qui s’abaisse est élevé. David n’est jamais plus puissant que lorsqu’il renonce à se venger. 1 S 24-26 met en lumière les tensions qui existent entre la liberté humaine en acte et l’intention divine. Le narrateur laisse le lecteur devant une situation complexe dans laquelle Dieu a choisi David contre Saül tout en ne permettant pas à David d’éliminer son rival.Cette lecture aurait pu s’attarder davantage sur les intentions de l’insistance à raconter l’humiliation, l’impuissance, la quête obsessionnelle de Saül à tuer, et sa non-royauté. David n’est-il pas devenu un géant avec Dieu, face auquel Saül apparaît vaincu d’avance, malade et persécuté ? Le tragique de Saül grandit-il David ? Vient-il dire que le pouvoir rend fou ? Autant de questions pour inviter à lire cette étude claire qui permet d’entrer heureusement dans 1 S 24-26. https://shs.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2008-2-page-271?lang=fr |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. Lun 26 Aoû 2024, 15:08 | |
| C'est un passage que j'ai toujours -- depuis mes premières lectures adolescentes -- trouvé très touchant, un des plus beaux portraits féminins de la Bible, riche en poétique métaphorique (le "sachet de vie" qui préserve l'âme vs. la fronde qui éjecte la pierre, 1 Samuel 25,29); surtout si on le rapporte à Bethsabée/Bath-Shéba, ce qui est difficilement évitable: adultère différé par sagesse, la mort de Nabal (le fou), contrairement à celle d'Urie, n'incombant qu'à son "coeur de pierre"... Si le sort de Nabal illustre celui de Saül, ce qui résulte entre autres de son insertion entre les deux variantes du récit où David épargne Saül, Abigaïl contraste aussi avec la "pimbêche" Mikal. Mais Saül même est émouvant avec ses palinodies, entre accès de fureur jalouse et meurtrière et bouffées de remords qui semblent aussi sincères qu'inutiles, alternant le pathétique avec le comique (Saül aux chiottes ou endormi, comme le Baal des sarcasmes d'Elie). |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Le roi David ou La loi du plus fort ou du plus rusé. Mar 27 Aoû 2024, 14:25 | |
| L'amitié selon la Bible hébraïque Par Thomas Römer
L’amitié entre David et Jonathan
Cette relation a fait couler beaucoup d’encre et a donné lieu à des discussions enflammées. David et Jonathan n’étaient-ils « que » des amis ou étaient-ils des amants ? [8] D’une certaine manière cette question est fort mal posée, puisque le verbe’ahab, qui est employé pour décrire l’attachement de Jonathan envers David, et vice versa, peut se traduire par amitié ou par amour. L’histoire de David et Jonathan se déroule principalement en 1 S 18-20 et 2 S 1.
« Or, dès que David eut fini de parler à Saül, Jonathan s’attacha à David et l’aima comme lui-même. Ce jour-là Saül retint David et ne le laissa pas retourner chez son père. Alors Jonathan fit alliance avec David, parce qu’il l’aimait comme lui-même. Jonathan se dépouilla du manteau qu’il portait et le donna à David, ainsi que ses habits, et jusqu’à son épée, son arc et son ceinturon » (1 S 18, 1-4).
Un conflit de loyauté
C’est ainsi que le récit biblique met en scène la première rencontre entre David et Jonathan : les deux protagonistes font connaissance à la fin d’une bataille. Dès les premiers mots, leur relation paraît extraordinairement forte et intime. Deux guerriers réputés, des héros, dont l’un est fils de roi, prennent sans même se connaître un engagement qualifié par des termes très forts, auquel l’un et l’autre vont se tenir sans faillir leur vie durant.
La première rencontre entre Jonathan et David, telle qu’elle se trouve décrite dans le 1er livre de Samuel au chapitre 18, fait d’emblée apparaître un certain nombre d’éléments constitutifs de la relation. Les thèmes et les termes qui apparaissent seront développés dans la suite de l’histoire : le verbe « aimer », la conclusion d’une alliance, le motif de la complémentarité des deux amis, autant d’éléments qui vont permettre de qualifier une relation hors du commun. Dès ces premiers versets, on découvre un autre fait important : les termes principaux qui qualifient le lien entre David et Jonathan peuvent presque systématiquement être compris sur plusieurs registres qui ne s’excluent pas les uns et les autres. Et le narrateur semble jouer avec ces différents registres au cours de l’histoire des deux amis. C’est le cas notamment pour le verbe « aimer », qui apparaît déjà deux fois dans ces quatre versets. Ce verbe ainsi que les noms qui lui sont liés reviennent de manière récurrente pour qualifier l’attachement de Jonathan et David tout au long de leur histoire. Jusqu’à se retrouver trois fois dans un même verset en 1 S 20, 17 !
Comme nous l’avons déjà souligné, la racine hébraïque ´ahab (« aimer ») désigne l’amour dans le sens le plus vaste du terme : l’amour entre deux amants, l’attachement filial mais aussi à la faveur divine, et la loyauté politique ; cette dernière signification se rencontre notamment dans le cadre des traités de vassalité du Proche-Orient ancien. C’est aussi cet amour-là que Yhwh réclame pour lui en Deutéronome 6, 5 : « Tu aimeras Yhwh, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ta vie et de toute ta force. »
On a surtout insisté sur la dimension politique du verbe « aimer » pour expliquer l’attachement de Jonathan pour David [9]. Or, il faut noter une différence importante par rapport aux traités de vassalité assyriens, où le verbe « aimer » apparaît abondamment : dans l’amitié entre David et Jonathan les rôles sont inversés. Il ne s’agit pas de deux rois égaux, ni d’un vassal qui doit son amour au vainqueur, mais bien d’un prince qui s’abaisse à aimer un inconnu. Cette utilisation met en évidence le caractère exceptionnel de l’alliance contractée et de l’attachement de Jonathan pour David. Jonathan, le fils du roi, supérieur à tout autre homme à l’exception de son père, se déshabille et offre spontanément les attributs de son pouvoir à un quasi inconnu.
Par la remarque que Jonathan aima David « comme soi-même » se met en place un jeu d’identification entre David et Jonathan. David est pour Jonathan comme un autre soi-même, celui qui prend sa place, parce qu’il la lui a offerte. Dans la suite du récit, un certain nombre de situations concrétiseront cette identification qui constitue un élément important pour comprendre la relation entre les deux hommes. Ainsi, en 1 S 19, Jonathan se tient devant son père, à la place de David, pour le défendre. Plus tard, au chapitre 20, Jonathan se substitue à David face à la colère de Saül, qui essaye alors de le tuer comme il voulait tuer David. Jonathan se trouve alors dans un conflit de loyauté. Dans l’Antiquité, l’obéissance et la fidélité absolues vis-à-vis de son géniteur font partie des fondements les plus importants de la société. Jonathan est déchiré entre son père, le roi, auquel il doit doublement obéissance, et David, envers lequel il s’est spontanément engagé, jusqu’à en faire son égal et un autre soi-même. Le récit souligne le caractère dramatique de cette situation, accentuant la difficulté de la position de Jonathan. En fin de compte, Jonathan sera obligé de choisir l’un ou l’autre camp. Et contre toutes les conventions de l’Antiquité, Jonathan choisira David et s’opposera à son père.
On observe la même attitude de la part de Mikal, fille de Saül et femme de David, qui s’oppose à son père par la ruse, lorsque celui-ci veut arrêter David. Elle prétexte une maladie du dernier lui permettant de s’enfuir avant que les émissaires de Saül ne mettent la main sur lui (1 S 19, 11-17). Le narrateur souligne ainsi l’attachement des deux enfants de Saül à David, ce qui les amène à transgresser les obligations de loyauté.
https://shs.cairn.info/revue-transversalites-2010-1-page-31?lang=fr#s2n1 |
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