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 Ce que je retiens : de Paul

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Narkissos
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 2 Icon_minitimeMer 10 Juin 2015, 16:04

C'est tout à fait évident dans le contexte immédiat de 3,23 -- je traduis de façon un peu plus serrée et plus raide que d'ordinaire (à la limite du supportable, du bon côté quand même de cette limite j'espère !) les v. 21ss:
Maintenant donc, hors de la Loi (ou: de toute loi), la justice de Dieu est manifestée, attestée par la Loi et les Prophètes (cf. notamment Genèse 15,6 et Habaquq 2,4, la "Loi" étant donc prise ici comme "Ecriture" témoin et non plus comme "loi" prescriptive, au sens juridique) -- justice de Dieu par la foi de Jésus-Christ pour tous ceux qui croient; car il n'y a pas de distinction: tous, en effet, ont péché et manquent à (ou: ne sont pas à la hauteur de) la gloire de Dieu, étant justifiés gratuitement (ou: pour rien, par pur don) par sa grâce, par la rédemption qui est en Christ Jésus -- lui que Dieu a établi d'avance en expiation-propitiation, par la foi, en son sang, pour montrer sa justice dans le laisser-passer des (= qu'il était juste quand il laissait passer les) péchés passés, dans la patience de Dieu, en vue de montrer sa justice dans le temps présent, pour qu'il soit juste en justifiant celui de la foi de Jésus.
On remarque qu'il y a encore chez Paul une certaine tension entre l'idée ordinaire de "justice" et celle de "justification" par la grâce et par la foi. Il faut que Dieu soit juste quand même, bien qu' il "justifie" le pécheur (ce qui n'est pas normalement "juste"); c'est ce qui convoque le langage obscur du sacrifice (expiation-propitiation) au point même de la tension, pour l'apaiser (la tension logique, tout comme la divinité!) y compris rétrospectivement (si Dieu a laissé passer les péchés passés, c'est qu'il anticipait l'expiation-propitiation-rédemption-réconciliation en Christ). Dans l'interprétation luthérienne, en revanche, l'expiation (etc.) est un acquis, de sorte qu'il n'y a plus de tension à proprement parler mais plutôt une révélation: la "justice" de Dieu ne consiste désormais en rien d'autre qu'en la "justification" du pécheur; un peu comme dans le marcionisme, le Dieu de "l'Evangile" (paulino-luthérien) apparaît foncièrement différent du Dieu de la "Loi", leurs "justices" mêmes sont diamétralement opposées: la "justice" du premier est contraire à la "grâce", la "justice" du second, c'est la "grâce" même.
[La (ou plutôt une) différence entre Marcion et Luther, ce serait peut-être que chez ce dernier le "Dieu de la Loi" apparaît comme une illusion, une sorte de mauvais rêve dont on se réveille à la lumière de l'Evangile, de la grâce et de la foi, où le Dieu unique montre son vrai visage; alors que chez Marcion comme dans certains gnosticismes le "Dieu de la loi" semble avoir une "réalité", inférieure mais persistante, et conserver une zone de légitimité à laquelle l'Evangile de la grâce et de la foi fait échapper, mais qu'il n'abolit pas pour autant. D'où la combinaison curieuse à nos yeux d'une certaine "gnose" avec le "millénarisme" p. ex., qui permet aux deux "règnes", spirituel et matériel, d'y retrouver chacun son compte.]
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 2 Icon_minitimeJeu 11 Juin 2015, 14:55

Citation :
On remarque qu'il y a encore chez Paul une certaine tension entre l'idée ordinaire de "justice" et celle de "justification" par la grâce et par la foi. Il faut que Dieu soit juste quand même, bien qu' il "justifie" le pécheur (ce qui n'est pas normalement "juste"); c'est ce qui convoque le langage obscur du sacrifice (expiation-propitiation) au point même de la tension, pour l'apaiser (la tension logique, tout comme la divinité!) y compris rétrospectivement (si Dieu a laissé passer les péchés passés, c'est qu'il anticipait l'expiation-propitiation-rédemption-réconciliation en Christ).

Narkissos,

fais-tu allusion à Rm 5, 6-10 :

"En effet, lorsque nous étions encore sans force, le Christ, en son temps, est mort pour des impies. A peine mourrait-on pour un juste ; peut-être quelqu'un aurait-il le courage de mourir pour un homme bon. Or voici comment Dieu, lui, met en évidence son amour pour nous : le Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs. A bien plus forte raison, maintenant que nous sommes justifiés par son sang, serons-nous donc sauvés de la colère par son entremise ! Car si, lorsque nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu au moyen de la mort de son Fils, à bien plus forte raison, une fois réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie."

Je trouve le raisonnement de Paul alambiqué et une lapalissade.
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 2 Icon_minitimeJeu 11 Juin 2015, 17:36

1. Je ne faisais "allusion" à rien, consciemment du moins.
2. Le rapprochement avec 5,6-10 est intéressant, mais il faut bien noter que le rapport "avant / maintenant" n'est pas tout à fait le même dans les deux passages: au chapitre 3 il s'agissait d'expliquer pourquoi Dieu n'avait pas puni le péché AVANT le Christ, et plus particulièrement AVANT la Loi (ce qui introduisait la référence à la Genèse et à Abraham, cf. chap. 4). Au chapitre 5, l'"avant" c'est le temps même de la mort du Christ (qui ne peut évidemment mourir que pour des "injustes", puisque c'est sa mort seule qui va les "justifier"), opposé à un "maintenant" où la mort du Christ et la justification du pécheur sont un "fait accompli".
Cela dit, il y a plein de choses intéressantes à relever aussi dans ce second passage, notamment l'opposition entre "juste" et "bon" du v. 7 qui correspond exactement à la distinction marcionite entre les deux "Dieux" (il n'y a pas d'"homme" dans le texte grec). De sorte que ce qui passe dans la lecture habituelle pour une simple considération psychologique un tantinet superflue (on mourrait plus facilement pour un homme bon que pour un homme juste) pourrait aussi s'entendre dans un sens strictement théologique (le Christ meurt, non pour le Dieu "juste" de la Loi, mais pour le Dieu "bon" de la grâce qui précisément montre ainsi son propre amour = révèle sa vraie nature).
3. "Alambiqué", ça ne fait guère de doute. "Lapalissade" (c.-à-d. évidence qui se passerait avantageusement d'être dite), je n'en suis pas sûr. En général l'argumentation de Paul, à mon sens, produit plutôt des paradoxes, c.-à-d. des contre-évidences. Ce qui peut donner ici l'impression d'évidence c'est le raisonnement a fortiori (qal wahomer en rhétorique rabbinique: combien plus, à plus forte raison), qui fait mine d'appuyer le paradoxal sur un certain "bon sens" (p. ex. celui qui présuppose cette tension entre "justice" et "grâce" dont je parlais, comme si c'était "plus facile" de sauver un pécheur justifié que de justifier un pécheur tout court; ou, d'un autre point de vue, qu'il est "plus facile" à un Christ vivant de sauver qu'à un Christ mort de justifier). Il est vrai en outre qu'à force de retournements "dialectiques" tout se rejoint, et qu'au bout du compte on peut estimer que la "justification par la foi" réduit le concept même de "justification" à l'absurde. Mais cette conclusion, il me semble, vaudrait encore le détour -- la justification par la foi comme chemin détourné, et peut-être pourtant pas le plus long, pour en finir avec la justification ?
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 2 Icon_minitimeMar 16 Juin 2015, 11:30

Citation :
Alambiqué", ça ne fait guère de doute. "Lapalissade" (c.-à-d. évidence qui se passerait avantageusement d'être dite), je n'en suis pas sûr. En général l'argumentation de Paul, à mon sens, produit plutôt des paradoxes, c.-à-d. des contre-évidences. Ce qui peut donner ici l'impression d'évidence c'est le raisonnement a fortiori (qal wahomer en rhétorique rabbinique: combien plus, à plus forte raison), qui fait mine d'appuyer le paradoxal sur un certain "bon sens" (p. ex. celui qui présuppose cette tension entre "justice" et "grâce" dont je parlais, comme si c'était "plus facile" de sauver un pécheur justifié que de justifier un pécheur tout court; ou, d'un autre point de vue, qu'il est "plus facile" à un Christ vivant de sauver qu'à un Christ mort de justifier).

Effectivement c'est ctte analyse que je considerais comme une "lapalissade" mias j'ai peut-être négligé que pour Paul Dieu avait déjà accompli en Christ tant de choses pour l’humanité,que celui-ci était habité par une confiance et une sérénité qui l'ont amené à dire :

 "Si, en effet, quand nous étions ennemis de Dieu, nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils, à plus forte raison, réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie" (Rm 5, 10).

J'aime cette espérance sereine ... Les croyants sont qualifiés par Paul de "saints" (Rm 1, 7),   la justification conduit les croyants vers la sanctification (Rm 6, 19 et Rm 6, 22).
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 2 Icon_minitimeMar 16 Juin 2015, 13:22

On retrouve à peu près la même "logique" dans la conclusion (partielle) de 8,31ss, où le futur (ou l'"inaccompli") de l'"espérance" s'appuie de manière analogue sur un présent-passé de l'"accompli" ou de l'"acquis":

Que dirons-nous donc à ce sujet? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ?
Lui qui n'a pas épargné son propre Fils, mais qui l'a livré pour nous tous, comment ne nous donnera-t-il pas aussi tout avec lui, par grâce ?
Qui accusera ceux que Dieu a choisis ? C'est Dieu qui justifie ! Qui condamnera ? C'est Jésus-Christ qui est mort ! Bien plus, il s'est réveillé, il est à la droite de Dieu, et il intercède pour nous !
Qui nous séparera de l'amour du Christ ?, etc.


On peut juger globalement absurde cette façon d'étayer des propositions "irrationnelles", sinon "déraisonnables", sur des séquences de "raison" logique et chronologique; mais la construction même n'en est pas moins fascinante; même dans le délire il y a des enchaînements logiques, fragmentaires mais rigoureux; et il me semble que les théories les plus "sérieuses", pour autant qu'elles sont aussi des constructions de "logique" et de "foi", n'échappent pas au mélange des genres. "Paul" se tient peut-être entre les deux, il y a chez lui un art de théoriser le délire et de faire délirer la théorie...

Citation :
Les croyants sont qualifiés par Paul de "saints" (Rm 1, 7),   la justification conduit les croyants vers la sanctification (Rm 6, 19 et Rm 6, 22).

Je trouve la notion de "sanctification" assez trompeuse -- en tout cas la façon dont elle est habituellement comprise en français, dans le protestantisme en particulier, comme un processus de devenir-saint qui suivrait (plus ou moins [sur-]naturellement ou automatiquement, mais progressivement) une "justification" initiale, ne me paraît pas du tout correspondre à l'emploi qu'en fait généralement "Paul". Dans 1 Corinthiens 6,11, p. ex. (c.-à-d. avant Romains selon toute vraisemblance), il est clair que "justification" et "sanctification" (qu'il vaudrait peut-être mieux traduire par "consécration") sont comprises comme un seul et même "événement" initial -- qui fait de tous les croyants des "saints" ou des "consacrés" d'office, si l'on peut dire, en même temps que des "justes", indépendamment de toute considération morale passée et même future. Le premier texte de l'épître aux Romains que tu cites (1,7) s'inscrit toujours dans la même logique, et je ne suis pas certain que les deux autres (6,19.22) la contredisent formellement. Il s'agit toujours dans l'exhortation d'"actualiser", de "réaliser" ou d'"effectuer" une sanctification-consécration acquise en principe. Elle est un "but" comme la justice est un "but" (cf. v. 16, eis dikaiosunèn // eis hagiasmon, v. 19), bien qu'on soit déjà "justifié", c.-à-d. "déclaré/rendu juste" comme on est aussi "déclaré/rendu saint-consacré". Ce qui est au futur et s'oppose dans cette mesure à une justification passée-présente, dans le raisonnement a fortiori des chapitres 5 ou 8, ce n'est pas la "sanctification", c'est le "salut" (qui est bien, lui, décrit comme un "processus", cf. le participe présent hoi sôzomènoi, ceux qui sont en train d'être sauvés, p. ex. 1 Corinthiens 1,18). Il est vrai qu'on peut être aussi dit "sauvé" au passé, mais alors c'est "en espérance" (Romains 8,24)...
Cela dit, je suis d'avis qu'il ne faut pas rendre la "doctrine paulinienne" plus cohérente qu'elle n'est, mais pas plus incohérente non plus, et surtout pas autrement cohérente ou incohérente qu'elle ne ressort d'un examen attentif des textes.
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 2 Icon_minitimeLun 24 Oct 2022, 13:48

En relisant ce vieux fil, avec beaucoup plus d'intérêt que je n'en escomptais, je me suis étonné qu'on n'y ait pas mentionné, parmi les rejetons lointains mais remarquables de la "justification par la foi" paulinienne puis luthérienne, l'"innocence du devenir", l'un des titres du livre que Nietzsche n'a jamais écrit (mais que d'autres ont écrit à sa place en sélectionnant et en rassemblant à leur façon certains de ses fragments posthumes, sous le titre de La volonté de puissance). Il faudrait de préférence l'entendre en allemand, Unschuld des Werdens, non-faute, non-coulpe, non-culpabilité de type "forensique" ou "judiciaire", proche du vocabulaire économique de la dette et du devoir et de sa métonymie morale; à ne pas confondre avec le "sentiment de culpabilité" psychologique, comme dans l'usage de l'anglais guilt qui a lourdement déformé celui de notre "culpabilité", ni avec la nuisance ou le nocif comme dans le français "in-nocence". Voir éventuellement par ici.

Ce n'est évidemment pas que le "devenir" (ou l'"histoire") soit exempt de faute et de faux, de tort causé et subi, de tromperie, de ruse, de mensonge et d'erreur en tout genre -- c'est pour ainsi dire sa matière même, ce que Nietzsche plaide contre toute "morale" traditionnelle depuis le début de son oeuvre. C'est plutôt que la "faute" n'est en définitive imputable à personne en particulier, sinon à des figures totalisantes (les dieux, le dieu ou le diable, l'homme, Adam ou le Christ), faute de "loi" susceptible de la précéder ou de la surplomber; et cela, c'est exactement la problématique de l'épître aux Romains (cf. en particulier l'usage de logizomai pour imputer-compter, dans une métonymie à la fois juridique, judiciaire et comptable, 2,3.26; 3,28; 4,3-24; 6,11; 8,18.36; 9,8; 14,14): "innocence du devenir" devient ainsi une traduction surprenante, mais tout à fait défendable, de "justification du pécheur"...

---

P.S.: en écrivant ce qui précède j'avais à l'esprit Romains 5,13 qui emploie, non logizomai, mais le plus rare ellogeô (de en + logos), qu'on ne retrouve qu'en Philémon 18 avec un sens tout à fait comptable, mettre la dette de X = Onésime sur le compte de Y = Paul. Dans Romains 5 il s'agit bien de montrer que la logique juridique (de la loi, nomos) n'atteint pas le fond du "problème", puisque la mort est bien là (d'Adam à Moïse, selon la Torah-livre/récit) quand même il n'y a pas de Torah-loi, nomos -- donc pas non plus de faute ou de péché imputable à quiconque. Il faut donc sortir de la perspective de la "loi", de la "faute" et de l'"imputation" juridico-comptable pour reprendre la question sur les bases du "mystère" qui la rapportent à des figures mythiques, Adam / Christ...

Cf. aussi ici 26.10.2022 les références de Nietzsche à une "foi" de type paulino-luthérien, et dans l'effondrement de l'opposition entre "Dionysos" et "le Crucifié" quelque chose d'assez semblable à la rencontre turbulente, dans le paulinisme, de la logique juridique de la "loi" et de la "faute" et de celle, très différente, du "mystère" de mort et de vie (qui n'est pas loin du "dionysiaque").
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 2 Icon_minitimeLun 21 Nov 2022, 13:15

Citation :
En relisant ce vieux fil, avec beaucoup plus d'intérêt que je n'en escomptais, je me suis étonné qu'on n'y ait pas mentionné, parmi les rejetons lointains mais remarquables de la "justification par la foi" paulinienne puis luthérienne, l'"innocence du devenir", l'un des titres du livre que Nietzsche n'a jamais écrit (mais que d'autres ont écrit à sa place en sélectionnant et en rassemblant à leur façon certains de ses fragments posthumes, sous le titre de La volonté de puissance). Il faudrait de préférence l'entendre en allemand, Unschuld des Werdens, non-faute, non-coulpe, non-culpabilité de type "forensique" ou "judiciaire", proche du vocabulaire économique de la dette et du devoir et de sa métonymie morale; à ne pas confondre avec le "sentiment de culpabilité" psychologique, comme dans l'usage de l'anglais guilt qui a lourdement déformé celui de notre "culpabilité", ni avec la nuisance ou le nocif comme dans le français "in-nocence". Voir éventuellement par ici.

ÊTRE ET DEVENIR
Nietzsche, dans la perspective de la mort de Dieu, récuse la distinction, d'origine essentiellement platonicienne, de l'être et du devenir. Cette distinction permet de penser la permanence et l'essence d'un objet ou d'un corps quelconques, attachées à sa substance (ce qui demeure d'un sujet identique, par exemple une personne, qui reste la même tout le temps qu'elle vit), tout en conciliant cette permanence avec le changement, le devenir, la contingence, la « corruption ». Etre et devenir sont donc opposés par les Grecs comme repos et mouvement.
En se réclamant (peut-être abusivement) d'Héraclite, Nietzsche récuse toute idée d'être, de substance, tant de l'âme que du corps. L'esprit et les pulsions du corps sont continuellement en mouvement. Il n'y a pas d'être (c'est ce qu'il appelle « égypticisme »), tout devient, aussi bien dans l'esprit que dans le corps et la matière. A cette critique se joint celle de la distinction entre chose en soi et phénomène, opérée par Kant et reprise par Schopenhauer. Pour Kant, nous ne connaissons pas les choses telles qu'elles sont en soi, mais telles qu'elles nous sont données dans l'espace et dans le temps. Or, pour que quelque chose nous soit donné, nous apparaisse, se manifeste (du grec phainomenon : qui apparaît), il faut bien supposer (penser, sans pouvoir le connaître) l'existence de quelque chose qui apparaît. La chose en soi est à penser, mais est inconnaissable. Schopenhauer reprend cette dualité, d'abord en posant que la chose en soi est la volonté, et ensuite en disant que le phénomène, ce qui apparaît à notre esprit, est la seule manifestation de cette volonté : il oppose ainsi la représentation consciente à la  chose en soi inconsciente. [...]
 

L'expression que Nietzsche utilise pour caractériser la vraie nature des choses  est « innocence du devenir » (Unschuld des Werdens). Cette formule signifie que le devenir (l'histoire, la vie comme genèse et corruption, comme naissance et déclin) est dépourvu de toute finalité, de tout but qui lui donnerait un sens, une direction, une signification immanente ou transcendante : le sens de l'histoire, le progrès, l'ordre, la nécessité, le destin, la raison, l'Esprit (ainsi qu'on peut le voir chez Hegel, chez Marx, ou encore chez Platon et Aristote), mais aussi la décadence, la dégénérescence, la perte des traditions. Dans le mot Unschuld, il  y a Schuld, qui signifie faute être, la nature, les choses et les sociétés ne sont pas « en faute », coupables de déchéance ou d'absence de sens (comme par exemple dans une philosophie de l'absurde, et déjà d'une certaine façon chez Schopenhauer). Mais Schuld signifie aussi dette la nature, l'être, l'histoire ne nous « doivent » rien, ne poursuivent pas une fin, ne vont pas dans une direction qui leur donneraient un but et un sens (téléologie). Tel est le sens dernier de la célèbre doctrine, dont Nietzsche au demeurant ne dit rien dans le Crépuscule des idoles, de l'éternel retour de l'identique : rien n'est, tout devient, tout revient, éternellement, du pareil au même, sans qu'il y ait d'autre signification à cette répétition que le devenir lui-même, puisque la répétition signifie que les choses n'ont pour but qu'elles-mêmes. Ajoutons, pour finir, que le mot de « surhumain » désigne l'idée d'un être humain qui, au lieu de refuser le devenir, le chaos terrible et énigmatique, l'innocence du devenir, comme le fait le faible, serait, non pas au-dessus de l'humain, mais au-delà de l'humain..(la particule liber signifie dans Ubermensch non pas tant « sur », « au-dessus », que « de l'autre côté », « au-delà », en sorte que, si c'était possible, il faudrait traduire par « outre humain », comme les Anglo-Saxons, qui traduisent, non par superman, mais par overman).
https://hansenlove.over-blog.com/article-pour-comprendre-nietzsche-72851775.html

Citation :
P.S.: en écrivant ce qui précède j'avais à l'esprit Romains 5,13 qui emploie, non logizomai, mais le plus rare ellogeô (de en + logos), qu'on ne retrouve qu'en Philémon 18 avec un sens tout à fait comptable, mettre la dette de X = Onésime sur le compte de Y = Paul. Dans Romains 5 il s'agit bien de montrer que la logique juridique (de la loi, nomos) n'atteint pas le fond du "problème", puisque la mort est bien là (d'Adam à Moïse, selon la Torah-livre/récit) quand même il n'y a pas de Torah-loi, nomos -- donc pas non plus de faute ou de péché imputable à quiconque. Il faut donc sortir de la perspective de la "loi", de la "faute" et de l'"imputation" juridico-comptable pour reprendre la question sur les bases du "mystère" qui la rapportent à des figures mythiques,
Adam / Christ...

– Deuxième époque : depuis Adam jusqu’à Moïse (v. 14) ou, plus simplement, jusqu’à la Loi. Dans la Bible, cela correspond à toute la section qui va de Genèse 4 à Genèse 50, dominée par l’histoire des trois patriarches, Abraham, Isaac et Jacob, et tout particulièrement le premier d’entre eux, Abraham, personnage qui a déjà longuement servi dans l’exposé que Paul a fait de la justification par la foi au chapitre 4 de cette lettre.

Jusqu’à la Loi, nous dit donc Paul, le péché était dans le monde. Et puisque le péché entraîne la mort, cela explique pourquoi le livre de la Genèse est rempli du thème de la mort, dans ses généalogies, dans la vie des patriarches aussi : la mort a régné depuis Adam jusqu’à Moïse. Pourtant, nous dit Paul, ils n’avaient pas péché dans la ressemblance de la transgression d’Adam, c’est-à-dire que les péchés qu’ils commettaient bel et bien n’étaient pas du même ordre que celui d’Adam et n’entraînaient pas exactement la même sanction.

Pourquoi ? Parce que, nous dit la fin du v. 13, le péché n’est pas imputé quand il n’y a pas la Loi. Le principe énoncé ici est une reprise de ce qu’il a déjà dit au chapitre précédent (4,13) : la loi produit la colère ; et là où il n’y a pas de loi, il n’y a pas non plus de transgression. Et quel est le contexte ? Une discussion sur la vie d’Abraham pour montrer que le principe de la foi précède celui des œuvres dans la relation d’Israël à son Dieu.

Autrement dit, dans ces deux passages, en disant que le péché n’est pas imputé quand il n’y a pas de Loi, il dit en fait que le pardon des péchés est accordé sous le régime de la grâce. La deuxième époque est donc l’époque de la grâce, celle de la justification par la foi dont Abraham est le représentant emblématique. La mort, pourtant, règne même sur eux, car même si les péchés sont pardonnés, la solidarité avec Adam demeure telle, que la conséquence de la mort physique demeure.

https://parlafoi.fr/2021/12/09/interpretation-klineenne-rom-5/

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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 2 Icon_minitimeLun 21 Nov 2022, 14:34

Deux documents très différents (extrait de glossaire d'une traduction de Nietzsche et sermon calviniste sur Romains 5), mais de grande qualité dans leur genre respectif...

Ce que je soulignerais davantage que le second, c'est que l'"époque" Adam-Moïse (incluant celle d'Abraham, chap. 4), qui n'est pas seulement une époque au sens chronologique mais plutôt une situation-type, celle de "l'homme naturel" sans contact avec une "loi divine" ni avec un "évangile" (cela l'auteur lui-même le dit très bien), est celle qui permet précisément à "Paul" de sauter de la logique (quasi-, simili-, para-, voire anti-)"juridique" à la logique tout autre du "mystère": la mort et la vie, qui constituent comme le "dieu" ou le "christ" l'objet même du mystère, ne relèvent pas originellement ni essentiellement d'une "justice" ni d'une "comptabilité"; celles-ci pourraient à la rigueur justifier la mort d'un Adam-individu (oublions Eve, "Paul" ici l'oublie aussi) mais non celle de ses descendants; comme la "création" ou l'"être" même, tout cela ne peut se penser que comme une sorte d'arbitraire ou d'an-archie abysso-fondamentale qui précéderait par définition toute "justice", et à quoi seule pourrait répondre quelque chose comme la "foi".

Là encore, on devine une profonde affinité entre "Paul" et Nietzsche en dépit de malentendus et de contresens massifs et tenaces -- dans la majeure partie de l'oeuvre de Nietzsche Paul est l'ennemi juré, le nihiliste au pire sens du terme, négateur même de "Dieu" et du "Christ" dans ce qu'ils gardent quand même, pour Nietzsche, de positif; pire encore que Socrate, Platon ou Kant, en passant par Luther; de même que "le Crucifié" est longtemps l'antithèse de "Dionysos", et pourtant à la fin (dans la "folie" si l'on veut mais une folie tellement juste, y compris dans une perspective plus large de "l'histoire des religions") ils se retrouvent.
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 2 Icon_minitimeLun 21 Nov 2022, 16:10

Le péché originel. Approche paulinienne

Des v. 13-14 remontons au v. 12, dont ils sont une explicitation. La difficulté se trouve tout à la fin de ce verset que nous traduirons seulement après avoir examiné les diverses interprétations qui en sont généralement faites.

12 Voilà pourquoi, de même que par un seul homme le péché entra dans le monde, et par le péché la mort, et ainsi la mort s’est répandue sur tous les hommes, tous péchèrent. 

La gamme des interprétations peut être divisée en deux :

1) les commentateurs pour qui le eph’hôi… est une proposition relative, renvoyant à une personne, Adam (« en qui [tous péchèrent] », « à cause de qui », « à cause de celui par qui », « à la suite de qui »), ou à une situation (« au point que [tous péchèrent] », « à cause de quoi » ou « sur la base de quoi », « régime sur la base duquel [tous péchèrent] », ou « situation dans laquelle… »);

2) les autres, très nombreux aujourd’hui, pour qui la proposition est subordonnée, causale ou consécutive. Le sens causal a été perçu avec diverses nuances : « puisque », « parce que », « étant donné que » (eph’hôi équivaudrait ainsi à l’hébreu `al ken ou au grec dioti), « étant remplie la condition que (tous péchèrent) ». Fitzmyer a suggéré de lire le passage comme une consécutive : « Voilà pourquoi, de même que le péché entra dans le monde par un seul homme, et par le péché la mort, ainsi la mort s’est répandue sur tous les humains, avec pour résultat que tous péchèrent. »

Parmi toutes ces propositions de traduction du v. 12d, quatre ont eu ou ont encore la faveur des exégètes. Il suffira de les présenter et commenter brièvement, car c’est l’ensemble des données qui va en réalité permettre de choisir la plus adaptée au contexte, autrement dit, à l’expolitio des v. 13-14 :
… et ainsi la mort passa à tous les hommes,

a) cet Adam en qui (ou « à cause de qui ») tous péchèrent [relative],
b) situation dans laquelle (= sur la base de quoi) tous péchèrent [relative],
c) étant donné que (ou « du fait que ») tous péchèrent [causale],
d) avec pour résultat que tous péchèrent [consécutive].

https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2008-1-page-1.htm
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 2 Icon_minitimeLun 21 Nov 2022, 18:11

Je comprends bien que ce soit de l'hébreu pour quelqu'un qui n'a pas fait de grec, mais si tu supprimes de la copie la transcription des mots sur lesquels porte précisément la discussion qui suit, celle-ci devient incompréhensible pour tout le monde. Je la rétablis donc, en la soulignant et en y ajoutant une traduction mot-à-mot:

Romains 5,12 a écrit:
Voilà pourquoi, de même que par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et [qu']ainsi la mort s’est étendue à tous les hommes, eph’hô(i) = sur qu[o]i, qui (masculin, personnel) OU quoi  (neutre, impersonnel) tous ont péché...

A partir de là on percevra peut-être mieux les raisons et les enjeux des différentes possibilités de traduction et d'interprétation énumérées par Aletti.

Ce détail exégétique me paraît cependant très accessoire par rapport à la perception générale d'"Adam" dans cette affaire: car si l'on commence à soupçonner qu'Adam n'est pas seulement un "individu" de l'"espèce humaine", fût-il le premier, mais bien le "type" de l'humain-image-de-dieu qui est aussi son "idéal", dont le potentiel n'est pas épuisé par le "péché" ni par la "chute" -- autrement dit, que "le Christ" ne s'oppose pas à "Adam" de l'extérieur, comme un personnage à un autre, mais bien comme un autre aspect du même -- alors toute la "comparaison" et sa "dissymétrie" ostensible changent de sens. Je me souviens de l'illustration watchtowérienne de la balance horizontale censée illustrer Romains 5,12ss, dans une totale méconnaissance du texte qui insiste justement sur leur disparité: c'est au contraire un Adam-pécheur complètement subsumé, absous, englouti et dépassé, en un mot relevé par l'Adam-Christ qu'il eût fallu montrer (bien sûr il ne s'agissait pas pour la Watch d'illustrer le raisonnement de Romains 5, mais sa propre doctrine de la "rançon correspondante" qui est tout autre chose).

Soit dit en passant, d'"Adam à Moïse" il y en a bien (au moins) un, selon la Genèse et avant Abraham, qui ne serait pas mort: Hénoch, auquel "Paul" ne paraît pas s'intéresser, contrairement à beaucoup de ses contemporains -- cf. les développements du livre d'Hénoch, et en particulier les "Paraboles" qui sont sensiblement de la même époque, où Hénoch s'identifie avec "le Fils de l'homme": quasi-rédemption de l'Adam-pécheur à la septième génération de l'Adam-total, comme le souligne Jude [14]. On pourrait en dire autant de Melchisédek dans ses diverses versions "magnifiées" (Qoumrân, Hébreux, Nag Hammadi), si ce n'était pas un autre avatar de la même figure. D'autre part, par rapport à l'Adam archétypique, image de Dieu, les "anges" et le "diable" ne seraient pas forcément antérieurs ni inférieurs, comme semble le présupposer Aletti (que j'ai connu mieux inspiré): revoir éventuellement ici.
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 2 Icon_minitimeMar 22 Nov 2022, 12:31

Loi, péché et mort

En ce qui concerne la mort dans sa déclinaison paulinienne, il convient alors de repérer qu’elle désigne la position subjective de l’humain sous la loi Or, l’humain sous la loi est par excellence celui qui vit comme mort – qui est mort tout en croyant qu’il vit. En d’autres termes, vivre sous la loi c’est être mort sans le savoir, et même être mort tout en étant absolument et sincèrement persuadé d’avoir réussi sa vie. Et peut-être en effet la pire des malédictions que l’on puisse prononcer contre quelqu’un est-elle de lui souhaiter de réussir sa vie… L’expression réussir sa vie est d’ailleurs particulièrement instructive. Elle implique trois choses : premièrement, une image idéale de la vie, une représentation supposée adéquate de ce qu’est la vie et particulièrement la vie bonne, la vie réussie ; deuxièmement, une vie considérée comme une propriété, un objet de possession – réussir sa vie ; troisièmement, la croyance que c’est par soi-même que l’on vit, par ses propres forces et par ses performances qui permettent de se réaliser (comme on dit). Cette logique nous est familière : c’est exactement celle de la justification par les œuvres dont, à la suite de Paul, Luther reste celui qui en a le mieux décrypté le fonctionnement et dénoncé l’impasse, c’est-à-dire précisément le caractère mortifère. Les affres de Luther au couvent reflètent en effet le désespoir dans lequel on peut être plongé lorsque l’on est captif d’un imaginaire de la sainteté qui enchaîne à la recherche d’une perfection inatteignable ...

... S’il est vrai que pour Paul la puissance du péché c’est la loi, il est également vrai que la puissance de la loi c’est le péché, et cette correspondance s’éclaire de deux manières. En premier lieu, il faut prendre distance avec une définition superficielle du péché. Théologiquement, le péché n’est pas une faute éthique mais une puissance d’asservissement qui tient le désir humain sous sa coupe. Dans sa compréhension paulinienne, le péché est plus précisément la puissance qui pousse l’être humain à instrumentaliser ses réussites dans un détournement légaliste et méritoire de la loi : « Ainsi donc, la loi est sainte et le commandement, saint, juste et bon […]. Mais […] le péché […] en se servant de ce qui est bon, […] m’a donné la mort » (Rm 7,12 sq.). Autrement dit, le péché comme puissance pousse – tel l’aiguillon – le sujet à renverser la finalité de la loi, de telle sorte que la loi qui en principe inscrit la vie dans l’ordre de la relation (à Dieu, au prochain) devient, par un mouvement de torsade, le moyen pour le sujet de s’autocréer en se faisant cause de lui-même et, par conséquent, en se fermant à toute relation. Or, se fermer à toute relation est probablement la quintessence de la compréhension biblique de la mort. S’isoler souverainement en se posant – imaginairement – comme maître de l’Origine et de la Fin, c’est cela être mort.

Tel est le fond de la logique paulinienne : la loi, qui était censée garantir l’ouverture du désir humain à l’altérité de Dieu, ne fait plus que servir le désir humain de se faire dieu soi-même en se rendant étanche, hermétique à tout ce qui n’est pas soi, ne vient pas de soi et ne conduit pas à soi. De la sorte, le péché comme aiguillon de la mort vient se substituer au sujet, prendre sa place, ce qui conduit le sujet à occuper littéralement la place de la mort – la place du mort. Et c’est la deuxième manière dont péché et loi s’activent et s’entretiennent l’un l’autre selon Paul : « Sans la loi, le péché est chose morte […]. Mais le commandement est venu, le péché a pris vie et moi je suis mort » (Rm 7,8 sq.). La loi est le carburant qui alimente la frénésie de l’être humain à s’autojustifier, à se rendre maître de sa propre identité en s’identifiant à ses œuvres. Pour le dire ainsi : le péché possède l’homme en l’incitant en permanence et par tous les moyens – et d’abord par le moyen du bien qu’il fait – à se posséder lui-même. Se posséder soi-même par ce que l’on fait, être la somme de ses actes, utiliser la loi de l’Autre pour devenir à soi-même sa propre loi selon une logique de réduction de la subjectivité à la surface lisse d’un miroir – telle est, en quelques mots, la manière dont le péché utilise la parole de Dieu pour mettre Dieu hors-je, c’est-à-dire pour condamner l’humain à une éternité de solitude, une ère glaciaire de la vie du désir dont mort est un des noms possibles.

https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2016-1-page-111.htm


Dernière édition par free le Mar 22 Nov 2022, 15:06, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 2 Icon_minitimeMar 22 Nov 2022, 15:01

Le "sujet" (c'est le cas de le dire) a beau être battu et rebattu, presque depuis l'Eden auquel il renvoie invariablement, c'est un des meilleurs "traitements" que j'en aie vus depuis longtemps, en particulier dans cette veine "luthéro-lacanienne" de Montpellier, inégale mais toujours féconde (G. Antier apparaîtrait même comme une heureuse résurrection anticipée de J.D. Causse, sans préjudice de leurs différences). Cela mérite en tout cas d'être lu du début à la fin et très attentivement.

Ce qui m'étonne un peu (ce n'est pas un reproche ni une objection, seulement une réaction ou le symptôme d'une différence "personnelle", peut-être pathologique d'ailleurs) c'est qu'on y trouve toujours matière à "prédication" dans tous les sens du terme -- à affirmer et à nier, à adopter ou à rejeter, à apprécier ou à déprécier, à recommander ou à déconseiller, à persuader ou à dissuader -- quand il suffirait d'un tour de ré-flexion supplémentaire (ou excédentaire, de plus ou de trop) pour constater que tout ce qu'on fait mine d'exclure se ré-intègre de lui-même: le narcissisme, le spéculaire et la spéculation, l'id-entité et l'immortalité imaginaires d'un "moi" divino-humain et forcément pervers, qui finit par s'annuler en se totalisant, la trans-mutation, trans-formation ou trans-figuration (dans le NT et même chez "Paul", à côté d'allassô il y a aussi tous les meta, de morphè ou skhèma) de la chair en esprit, et ainsi de suite, tout cela est aussi profondément "chrétien", y compris dans le "transhumanisme" moderne ou postmoderne, que ce qui y résiste avec les meilleures raisons... L'illusion à mon sens, à la fois vitale et mortelle, c'est de s'imaginer qu'il faut toujours choisir entre une "vie" et une "mort" (cf. Deutéronome 30) qui non seulement sont les deux côtés de la même chose, les deux pôles du même axe métonymique, mais ne cessent d'échanger leurs places, comme si "la vie la mort" était une danse macabre, et pourtant joyeuse, de tous et de personne.
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 2 Icon_minitimeMar 22 Nov 2022, 17:29

L'image de l'être humain dans l'Épître aux Romains

Selon l'Épître aux Romains , Dieu prouve sa justice par le fait qu'il a destiné le Christ à être sacrifice d'expiation. Il opère l'expiation en Christ (3,25s), dans la mort substitutive duque la connexion fatale entre le comportement et le sort de l'individu (ce que les Allemands appellent Tun-Ergehens-Zusammenhang) est brisée de façon tout à fait salutaire. Le péché des humains ne retombe plus sur eux, car Christ le prend sur lui à leur place : la colère divine accumulée contre les mauvaises actions des humains (Rm 2,5) se déverse sur le Crucifié, que Dieu à destiné à être ιλαστηριον, expiation : c'est ainsi que l'ordre cosmique perturbé par le péché est rétabli par la mort du Christ et que la délivrance est rendue possible : à l'universalité du péché répond l'universalité de la justification.

Un peu plus loin, aux chapitres 5 et 8, s'ajoute un nouveau motif à la δικαιοσύνη θεου : c'est celui de l'amour de Dieu : Γ αγάπη θεου. Dieu nous a prouvé son amour en ceci que Christ est mort pour nous - et ceci précisément à un moment où nous n'étions en rien aimables puisque nous étions encore sans force et impies. Dieu n'a pas épargné ce qu'il avait de plus précieux, son propre Fils (8,32), pour justifier les êtres humains qui s'étaient rebellés contre lui et s'étaient faits ses ennemis (5,9), afin de les réconcilier avec lui (5,10). Et c'est en ayant à nouveau recours à la typologie d'Adam, qu'il avait opposée à celle du Christ en Rm 5,12ss, que Paul opère une généralisation : de même que le péché et la mort qui en est la conséquence touchent sans distinction tous les humains en raison de leur origine adamique, de même la justice qui conduit à la vie est offerte sans distinction à tous les humains. Alors que le péché provoque la colère de Dieu (1,32 ; 1,18), l'acte libérateur du Christ est expression de la grâce de Dieu : En Christ, Dieu oppose sa grâce à sa colère. En Christ, Dieu oppose sa justice au péché. En Christ, Dieu oppose la vie (éternelle) à la mort (5,21).

La raison et l'origine de cette transformation de l'image de Dieu se trouvent donc dans l'acte libérateur opéré par le Christ. La mort du Christ marque le tournant où change l'image de Dieu. Dans la façon dont cette transformation est décrite, on peut observer le passage progressif de la δικαιοσύνη θεου (3,21) à ΐ'άγάπη θεου (5,5.8 ; 8,39) : dans un premier temps, il est question de la mort expiatoire du Christ qui rétablit l'ordre cosmique perturbé ; dans un second temps, la mort du Christ est, en plus, interprétée comme preuve de l'amour de Dieu. La réconciliation est d'abord comprise comme suppression d'une perturbation objective, ensuite comme le rétablissement d'une relation personnelle. On constate donc que des catégories juridiques objectives sont élargies et s'approfondissent pour devenir des catégories relationnelles subjectives qui témoignent d'un engagement intérieur profond : la réconciliation de type légal devient réconciliation personnelle. La réconciliation juridique et matérielle est approfondie et dépassée pour devenir pleine réconciliation par l'amour de Dieu. Arrêtons-nous là en ce qui concerne la transformation de l'image de Dieu.

https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1997_num_77_1_5431
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 2 Icon_minitimeMar 22 Nov 2022, 19:32

Le thème de l'image (de Dieu / de l'homme) me semble plutôt discret dans l'épître aux Romains, en tout cas par rapport à l'importance qu'il va prendre par la suite -- notamment sur la question de savoir si l'image de Dieu est ou non, plus ou moins, "perdue" ou "altérée" chez l'homme à la suite du "péché" (originel): ce qu'on cite généralement dans ce sens-là c'est 3,23 qui parle de "gloire (doxa) manquée" et non d'"image perdue", et qui a pour sujet "tous", "Juifs et non-Juifs" selon le contexte: autrement dit l'humanité réelle, historique, phénoménale, considérée d'un point de vue ethnique et/ou confessionnel très particulier, et non "Adam" ou "l'Homme/Humain" comme type-idéal, qui peut encore se réaliser autrement dans le Christ et par lui chez "tous" (cf. 8,29, où "image" traduit eikôn, d'où "icône", comme dans Genèse 1,26sLXX; voir aussi Romains 1,23 où la "gloire" du Dieu incorruptible est changée par les idolâtres en "image" d'êtres corruptibles, humains ou animaux, d'après la formule du psaume 106; on peut aussi trouver dans le homoiôma du même verset et de 5,14; 6,5; 8,3 un écho de la "ressemblance", homoiôsis, de Genèse 1,26LXX; dans le reste du corpus, cf. 1 Corinthiens 11,7 sur le rapport "gloire-image"; 15,49 sur les deux "images" de l'homme-Adam, le terrestre ou terreux et le céleste; 2 Corinthiens 3,18; 4,4; Colossiens 1,15; 3,10).

Une tout autre chose me venait à l'esprit, qui rejoindrait aussi une discussion récente sur la grâce, quant au "saut" qualitatif ou paradigmatique du (simili-)juridique et/ou judiciaire au "myst(ér)ique" dans l'épître aux Romains, c'est le vocabulaire du "règne" (basileuô etc.): qu'il ait pour sujet la "mort", le "péché", la "grâce" ou ses bénéficiaires, ou le Christ lui-même (5,14.17.21; 6,12; cf. 1 Corinthiens 4,8; 15,25; 2 Timothée 2,12), il y a encore correspondance entre un "hors-loi" négatif et positif, qui précède et excède par définition toute loi et toute "justice", comme le "roi" est plus qu'un législateur, un juge ou un justiciable, même s'il peut éventuellement devenir l'un ou l'autre. Cela me rappelait, à tort ou à raison, les nombreuses discussions, chez Derrida, du vocabulaire de la "violence" chez Heidegger (walten, Gewalt, auquel tout notre lexique de la "valeur" et de la "vaillance" se rattache aussi par le latin valeo): comme la capacité et l'action guerrière fait (ou défait) le pouvoir du "roi", c'est la puissance et l'acte, la raison du plus fort, qui feraient d'un "créateur" un "roi" par excellence (d'autant que la création même est souvent exprimée en termes guerriers, combat et victoire sur des puissances adverses et occultes, océaniques et ténébreuses, même si c'est plutôt moins évident dans "la Bible" qu'ailleurs): en-deçà et au-dessus de toute considération de "justice" ou de "droit" qui supposent d'abord un être et de la différence, des étants et des relations entre eux, un monde susceptible d'être réglé ou arbitré par une "autorité".

---

Je reviens un peu sur l'échange précédent, autour de l'article de G. Antier.

Là où "Paul" me semble échapper à ses interprétations "lacaniennes" -- plus ou moins d'ailleurs selon la finesse desdites interprétations, et de Paul et de Lacan -- c'est qu'il n'y a chez lui aucune tendance à la sacralisation ou à la valorisation, ni du "sujet" ("je", egô nominatif, même opposé au "moi" ou me accusatif, objet ou image) ni du "désir" (epithumia). Comme on l'a souvent remarqué, le premier (le "sujet") fait l'objet, si l'on peut dire, d'un véritable escamotage, il se dérobe ou se subtilise, s'efface et disparaît, rétrospectivement et prospectivement, avant comme après: ce n'est pas moi quand c'est le péché en moi, ce n'est toujours pas moi quand c'est l'esprit ou le Christ en moi, ce n'est même pas moi dans le passage de l'un à l'autre qui est plutôt passif (être choisi, destiné, justifié, sanctifié, sauvé, crucifié, ressuscité) qu'actif (oeuvre, décision, etc.): au fond il n'y a de sujet qu'assujetti, à un bon ou à un mauvais maître, seigneur ou roi, la "liberté" même étant un "règne" ou un "régime" et la "libération" subie -- ce que Luther retrouvera à sa façon dans sa notion de "serf-arbitre", sur un registre féodal: la liberté chrétienne c'est d'être en même temps seigneur et serviteur ou chevalier servant, Herr et Knecht, comme on est toujours à la fois (semper simul) juste, pécheur et pénitent. Quant au second (le "désir"), il est l'essence même du "péché" selon l'interprétation radicale du dixième commandement tronqué en Romains 7 -- tu ne désireras pas, à condition bien sûr que l'on ne traduise pas epithumeô par "convoiter" pour en réduire la portée... sur ce point même l'épître de Jacques (chap. 1) sera, pour une fois, d'accord avec l'épître aux Romains. Cela n'empêche évidemment pas l'auteur ou les auteurs des épîtres pauliniennes de dire "je", "moi", et d'employer le verbe "désirer" (epithumeô) en bonne part, comme si de rien n'était, dans l'expression ordinaire. Mais le fond du "mystère" paulinien et post-paulinien (on peut dire encore plus largement "chrétien" si l'on y rattache les logia des évangiles, se renier soi-même, prendre sa croix etc.) passe bien par la (dé-)négation ou la mort (crucifixion, baptême ensevelissement/résurrection, eucharistie démembrement/remembrement) et du "sujet" et du "désir", ce qui ne va certes pas dans le sens de la psychologie populaire de nos jours (mais peut bien rejoindre ce que disait et écrivait Lacan lui-même, p. ex. quand il commentait l'Au-delà du principe de plaisir de Freud).
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 2 Icon_minitimeMar 29 Nov 2022, 11:48

À la rencontre de Paul
Connaître Paul aujourd'hui — un changement de paradigme ?
David M. Neuhaus

Paul pense, parle et écrit en grec. « La langue grecque de Paul est exempte de lourdeurs sémitiques et n’a donc sans doute pas été apprise tardivement comme une langue étrangère ». Fitzmyer va dans le même sens : « son utilisation de la langue grecque montre non seulement une bonne formation hellénistique et une certaine dépendance par rapport aux philosophes et rhétoriciens populaires de son époque, mais également sa formation juive (…) Son écriture n’est pas saturée de sémitismes (araméens ou hébraïques) ». Au demeurant, il n’y a pas de preuve dans les lettres, qu’il ait parlé l’hébreu ou même l’araméen. Paul, Josèphe, Philon et leurs contemporains sont aussi Juifs qu’hellénistes, et le judaïsme de leur milieu est un judaïsme hellénisé. L’enjeu ne porte pas simplement sur la question de l’identité juive ou grecque de Paul. Si le judaïsme de Paul fut déjà hellénisé, ne faut-il pas aujourd’hui repenser les thèses sur ‘l’hellénisation’ du christianisme ? Nous sommes tentés d’insister sur une rupture entre une racine juive du christianisme et un développement helléniste postérieur. Déjà O. Cullman, dans une critique de la thèse de J. Daniélou sur cette ‘hellénisation’, montre bien qu’avec la reconnaissance des judaïsmes variés, l’hellénisme comme le judaïsme sont déjà présents chez les premiers disciples de Jésus bien avant Paul : « Le judaïsme palestinien renferme en même temps des éléments marqués par un certain syncrétisme hellénistique, et il ne faut pas croire que les membres de la première communauté chrétienne se soient recrutés uniquement parmi les tenants d’un seul courant de ce judaïsme si varié ».

 Le judaïsme du premier siècle fut également très soucieux de l’universalité de son message. Le monde juif du temps de Paul s’avère fort complexe, non seulement à cause de la multiplicité des sectes et des confessions juives, mais aussi parce que beaucoup de païens étaient attirés par le judaïsme et encouragés par des missionnaires juifs. Ceux-ci ont contribué à étendre l’appartenance au judaïsme, depuis les convertis complets (circoncis), qui pratiquaient toute la Loi, jusqu’aux sympathisants qui fréquentaient parfois le Temple ou les synagogues. J. Neusner parle d’une activité « missionnaire » du judaïsme bien avant l’ère chrétienne, et il montre son utilisation politique par les Hasmonéens en Galilée même. Ainsi, la circoncision était déjà, à l’époque de Paul, un problème discuté dans le judaïsme. Flavius Josèphe cite le problème de la conversion de la famille royale des . Également, l’insistance chez Philon sur les lois rituelles, spécialement sur celles relatives à la circoncision, montre que cette question a été posée au temps de Paul par d’autres Juifs . Bref, l’action missionnaire et universaliste du judaïsme est souvent oubliée. On a trop longtemps opposé le faux portrait d’un judaïsme enfermé et particulariste à l’universalité chrétienne. En fait, il y avait une mission juive active et résolue à convaincre les païens sinon de la religion juive du moins de la vérité monothéiste. J. Fitzmyer mentionne une expulsion des Juifs de Rome en 139 avant notre ère à cause de leurs activités missionnaires : une accusation est mentionnée dans les écrits de Cicéron. De son côté, H. Räisänen soutient que 1Th 2,14-16, où Paul critique fortement les Juifs, s’explique par une compétition entre missionnaires juifs et chrétiens auprès des païens. Selon A. Segal, une théologie chrétienne de la mission pourrait trouver ses racines dans une théologie missionnaire juive.

La littérature juive en langue grecque — la Septante, les apocryphes et la littérature exégétique et philosophique du judaïsme hellénistique — est indiscutablement la source la plus importante pour comprendre Paul et les lettres pauliniennes. Autrefois, on a essayé de montrer que Paul était enraciné dans un judaïsme « rabbinique » de langue araméenne et/ou hébraïque. On s’appuyait sur Luc qui présente Paul comme l’élève de Gamaliel. Selon certains exégètes protestants du XVIIIe siècle, Paul a utilisé l’Ancien Testament en hébreu. W. Whiston, par exemple, a soutenu que les citations de Paul sont tirées du texte hébraïque original et que les différences, parfois frappantes, entre les citations de Paul et le texte massorétique sont le résultat de la corruption de ce texte original par les rabbins postérieurs. Après les découvertes de Qumran et d’autres manuscrits de l’époque, cette thèse a été finalement abandonnée. Aujourd’hui, on peut affirmer que Paul a utilisé seulement des versions grecques de l’Ancien Testament. C. Stanley montre que parmi les 83 citations explicites qu’on rencontre dans les lettres pauliniennes authentiques (45 dans Rm, 13 dans 1Co, 7 dans 2Co, et 9 dans Ga), cinq seulement divergent de la Septante : « L’utilisation par Paul de la Septante (…) n’est d’aucune manière une concession à l’ignorance de son auditoire de langue grecque. Elle montre plutôt sa manière d’étudier la version grecque courante de son époque ». Il y avait probablement déjà à l’époque de Paul des versions grecques corrigées, plus proches de la version hébraïque (préfigurant les versions plus tardives du IIe siècle, d’Aquila par exemple), ce qui explique les divergences des citations de Paul par rapport à la Septante.

Cette utilisation exclusive des versions grecques se retrouve chez d’autres contemporains juifs de Paul, comme le montre une comparaison avec les écrits de Josèphe et de Philon. L’Ancien Testament dans sa version grecque joue un rôle essentiel dans le passage du judaïsme biblique au christianisme. « La théologie et la foi de ce judaïsme à la fois hellénisé et authentiquement juif, aurait été une préparation à l’Évangile. La Septante aurait été l’étape déterminante qui aurait rendu possible ou, tout au moins, facilité l’expression et la diffusion du christianisme ». La Septante révèle déjà des influences de la pensée grecque dans la traduction des termes hébraïques. Une langue est en effet inséparable d’une pensée : le judaïsme exprimé en langue grecque témoigne d’une pensée déjà hellénisée.

https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2002-3-page-353.htm
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 2 Icon_minitimeMar 29 Nov 2022, 17:03

Excellent "état de la question", suivant la formule académique (status quaestionis), vers le tournant du millénaire. J'ai certes fréquenté de moins en moins la littérature spécialisée depuis, mais je n'ai pas l'impression que le "paradigme" général (ou mainstream) ait beaucoup changé, en ce qui concerne Paul (et plus largement le NT) -- du moins par rapport aux grands mouvements de balancier qui avaient agité l'exégèse savante, d'abord surtout allemande et luthérienne (donc aussi anti-catholique qu'anti-judaïque) depuis la fin du XIXe siècle, puis plus diverse et nuancée (avec toutefois quelques excès dans les retours de balancier) après la Seconde Guerre mondiale.

Personnellement -- mais cela tient beaucoup à d'autres lectures que j'ai faites entre-temps, de biblistes plus marginaux, et surtout d'auteurs littéraires ou philosophiques tout à fait étrangers aux "sciences bibliques": ça n'a donc pas grand-chose de "personnel" -- je serais plutôt d'avis de "dé-personnaliser" (dés-autor-iser ou dés-authentifier) la question: au lieu de tout ramener à un "auteur" présumé dont il faudrait retracer la biographie et l'évolution, en triant de façon hasardeuse ce qui est vrai ou faux dans ce qu'on (ou il) dit de lui, ce qui est "authentiquement" de lui ou non dans les textes rattachés à son nom, ce qui est plus ancien ou plus récent, etc., et en le comparant de surcroît à un autre "individu" (Jésus) censé l'avoir précédé sans avoir eu de rapport direct avec lui , mieux vaut à mon avis prendre comme un tout le corpus des textes qui ont le mérite d'exister, et qui recouvrent quelque chose de beaucoup plus long et large qu'un individu -- toute une trajectoire diversifiée d'écriture et de pensée qui commence certainement bien avant 70, pour aboutir à la crise marcionite des années 140 qui met soudain un "corpus paulinien" (sans les Pastorales, ni Hébreux, mais avec Colossiens-Ephésiens p. ex. au même titre que 1 Corinthiens ou 1 Thessaloniciens) sur le devant de la scène (romaine). C'est en référence à ce corpus que je tends à écrire "Paul" avec des guillemets, non pour neutraliser ses différences internes mais au contraire pour ne pas les réduire à l'alternative authentique / inauthentique ou originel / secondaire, qui se traduit en outre par un jugement de valeur (comme si ce qui est "vraiment de Paul" valait mieux que ce qui n'est pas de lui; on ne peut même pas dire que le plus ancien vaille mieux que le plus récent, car ce ne sont pas les premières épîtres probables qui forment le "canon dans le canon" du paulinisme, mais Romains-Galates)...

Sur l'histoire d'Izatès d'Adiabène dans Josèphe, voir ici AJ XX, ii (vieille traduction mais c'est apparemment la seule en ligne, et on accède facilement au grec en hypertexte).
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 2 Icon_minitimeMer 30 Nov 2022, 11:37

1.3 Saint Paul selon Nietzsche (P 27).

1.3.2 Regard sur la théologie paulinienne (P 32). 

Certes, un regard en profondeur sur la théologie paulinienne nécessiterait un espace qui déborde largement le cadre de ce mémoire. Néanmoins, nous tenons à exposer quelques traits de cette théologie car elle révèle comment Nietzsche comprend le christianisme, et donc en conséquence, ce qui, exactement, sera ici à dépasser, à retourner. Un moment des fragments posthumes indique l’immensité de la dette du christianisme envers saint Paul: « le christianisme a promis le royaume des cieux à la pauvreté spirituelle : mais le premier chrétien cultivé et riche en esprit a donné au christianisme sa dialectique et sa rhétorique, sans lesquels il aurait péri par sa pauvreté spirituelle ». En quoi consistent justement cette dialectique et cette rhétorique ? Nous nous concentrerons ici sur l’inadéquation entre la
volonté de l’homme et sa conduite, sur la Loi qui ouvre sur le péché et sur le fait que seule la foi en la résurrection du Christ peut ouvrir sur la justice.

D’abord, l’inadéquation entre une volonté et la manière dont elle est effectuée (sur le plan factuel) constitue pour saint Paul un échec. On trouve, entre autres, ce constat dans la formule de l’Épître aux Romains: « le bien que je veux, je ne le fais pas, mais le mal que je ne veux pas, je le pratique ». C’est donc dire qu’être sous la loi ne suffit pas pour engendrer une conduite juste. Ceci n’implique pas nécessairement (nous n’y sommes pas encore) que la foi seule ouvre sur la justice. Par contre, il est déjà possible de dire qu’aux yeux de saint Paul, l’incapacité de l’homme à pratiquer le bien est révélatrice d’un manque, du fait qu’il nous manque quelque chose pour être dans la justice. Or, comme Nietzsche le notera dans ses fragments posthumes, ce manque est au cœur de l’histoire du christianisme : « tous les hommes suffisamment profonds sont d’accord-Luther, Augustin, saint Paul en sont conscients –sur le fait que notre moralité et ses péripéties ne coïncident pas avec notre volonté consciente ». Jacob Taubes, dans sa Théologie politique de Paul, reviendra ce passage de Nietzsche en l’expliquant ainsi :

tous ces gens comprennent que ce n’est pas le Moi qui gouverne l’homme, que ce n’est pas l’homme autonome, le Moi, qui est au gouvernail, si je puis dire, mais que derrière lui agissent des forces qui sapent la volonté consciente, qui ne la dépassent pas mais qui la sapent.

Saint Paul, pour Taubes lisant Nietzsche, apparait donc ici comme celui qui prend conscience du chaos de l’existence, mais qui cherche à ordonner celui-ci, à régler le problème. On verra au troisième chapitre dans quelle mesure le Dionysos de Nietzsche apparait comme un principe de vie qui répond, ici, à cet élan paulinien.

Ensuite, le deuxième principe fondamental de la théologie paulinienne réside dans le fait que la loi ouvre sur le péché. Quand saint Paul dit en Rom VII, 7, 19: « Je n’aurais pas su la convoitise si la loi n’avait dit : tu ne convoiteras pas. Mais le péché a pris occasion du commandement pour produire en moi toute convoitise, car sans la loi le péché est mort », cela signifie que le péché se présente devant nous de par la Loi seule. En d’autres termes, on peut déduire qu’il faut d’abord que la Loi existe et qu’on soit conscient de son existence pour qu’il soit possible de contrevenir à la Loi. Et comme il est impossible de ne pas contrevenir à
la Loi, sous la chair, il faut être sous un autre règne.

Enfin, le troisième principe établit que seule la foi ouvre sur la justice, par-delà la Loi. Mais ici, la foi qui ouvre sur la justice est à entendre dans un premier même temps comme une résolution au problème du péché originel, et dans un second temps comme une alternative à l’impasse selon laquelle il est impossible de justifier par la Loi. Car justifier par la Loi, ce serait en fait laisser entendre qu’une justification peut procéder, pour l’homme, de ses propres œuvres : ce qui en définitive impossible et non-souhaitable, car cela reviendrait à méconnaitre la justice divine. Plus encore, celui qui voudrait obtenir justice de par les œuvres de la Loi, en fin de compte, voudrait obtenir la justice par lui-même, et ainsi substituer sa propre justice à celle de Dieu. Comme nous le verrons au prochain chapitre, Nietzsche, en s’opposant à Luther et à Paul, souhaite défaire le geste paulinien qui vise à exclure la possibilité d’un salut qui passerait par les œuvres. Pour Paul, croire qu’autre chose que la foi peut ouvrir à la justice, c’est en même temps ne pas réaliser l’ampleur du sacrifice que Dieu fait en offrant son fils pour racheter nos péchés, et en même temps prétendre, ce que personne  ne peut faire, qu’il est possible d’être juste sous la Loi. On comprend donc que la théologie paulinienne, dans ses trois principes, constitue en fait une réflexion sur la transgression qui apparait comme une nouveauté face à Jésus; cette réflexion implique le constat de l’incapacité de l’homme à vivre sous la Loi tout autant qu’elle impose la nécessité de quelque chose de plus que la Loi.

1.3.3 Continuité avec le Judaïsme

1.3.4 Ruptures avec le Judaïsme

1.4.1 Rendre l’homme coupable

1.4.3 Un attentat contre la réalité

https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/20289/Karazivan_Paul-Andre_2017_memoire.pdf?sequence=2&isAllowed=y
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 2 Icon_minitimeMer 30 Nov 2022, 15:40

Je n'ai fait que feuilleter ou survoler ce mémoire, mais il me semble très précieux par le choix de son sujet et de ses auteurs, et la qualité de ses analyses.

A mon avis, le principal problème n'est pas du côté de la "foi" (dont on a vu combien son "objet" était variable, dans le NT et même dans le corpus paulinien au sens large, où l'on passe de la  "foi-confiance" en quelqu'un -- Dieu, Christ, apôtres, prophètes -- à la "foi-croyance" à quelque chose -- parole, promesse, évangile, enseignement ou doctrine -- et même à la foi "absolue", du moins sans "objet" explicite) mais des "oeuvres" (ergon-erga, Werk(e), Work(s): on reconnaîtra la parenté de ces termes du grec au germanique et leur sens de "travail", mais sans la connotation latine d'agitation, de dislocation ou de mouvement imposé, voire de torture ou de trituration, trepalium etc.). Paul (de Romains-Galates) oppose principalement sa "foi" aux "oeuvres de la loi", a priori juive et mosaïque, mais celle-ci est aussi "morale" (compassion, bienfaisance, générosité) que "rituelle" (de la circoncision aux règles alimentaires ou aux sacrifices, du moins tant qu'il y en a) selon nos catégories. Il n'a évidemment rien contre les "bonnes actions" (même s'il doit constamment s'en justifier contre des adversaires qui interprètent ainsi sa critique des "oeuvres", comparer p. ex. Galates 2,10 et l'épître de Jacques), mais contre leur indexation à un principe juridique, judiciaire et comptable, une "loi" et un "jugement": cette critique-là déborde largement le judaïsme ou l'antijudaïsme pour attaquer en son principe la "loi" même au sens grec, nomos, dans toute sa métonymie morale, son calcul des bonnes et mauvaises actions conditionnant implicitement ou explicitement une récompense ou un châtiment futurs, y compris sous la forme d'une nemesis comme "remise en place" (nomos et nemesis dérivent de nomè, la "pâture" assignée à chacun) corrigeant une hubris ou dé-mesure. De ce côté-là on ne saurait faire plus "nietzschéen" avant la lettre ou, pour remettre l'anachronisme à l'endroit, Nietzsche s'avérerait tout à fait paulinien dans sa critique la plus radicale de la "morale" (qu'elle soit socratique ou platonicienne, juive ou chrétienne, kantienne ou hegelienne, de gauche ou de droite). En revanche, le type d'"oeuvre" que Nietzsche valorise (et qui ne rentrait guère dans la pensée paulinienne) n'est ni "rituel" ni "moral" mais "artistique", catégorie qui peut se subdiviser à son tour en "technique" (tekhnè-ars) et "po(ï)étique" ou "créatrice" (poieô) -- ce n'est toutefois pas une division pour Nietzsche, chez qui le "grand art" est technopolitique et la "grande politique" technique et artistique. Par là Nietzsche met en lumière un point aveugle de la tradition paulinienne (augustinienne, luthérienne): en dévaluant radicalement les "oeuvres" (erga), elle s'est interdit de penser droitement la praxis ("pratique") et la poièsis ("création"); en simplifiant grossièrement, on pourrait dire que Marx a mis le doigt sur la première lacune et Nietzsche sur la seconde.

Ne plus considérer ses "oeuvres" sous l'aspect "accompli" (y compris au futur antérieur, ce sera fait, ç'aura été fait, il faut le faire pour que ça soit fait), comme un "capital" ou une "dette", un "crédit" ou un "débit", un "gain" ou une "perte", voilà l'originalité majeure de Paul et de toute sa suite, que nous n'avons pas encore digérée; mais on n'en a pas pour autant fini avec les "actes" dans un sens strictement "éthique" (non plus soumis au jugement d'une "morale" plus ou moins sacrée, même réduite à la "conscience" et au "for intérieur", mais au sens d'èthos=habitus, d'habitude et d'habitation, de mode ou de style de vie, comme dans l'"éthologie animale"; l'acte comme façon de vivre et de mourir) mais "esthétique", "sémiotique", "poétique", etc. (acte artistique, théâtral, performance signifiante, agissante, visant ou produisant un effet, pas forcément le même d'ailleurs; indépendamment pourtant de ses conséquences effectives, heureuses ou malheureuses en plus d'un sens).

Je repense à la fameuse formule latine de Nietzsche que j'avais découverte chez Jüngel avant de la retrouver dans L'Antéchrist: deus, qualem Paulus creavit, dei negatio, "(un/le) dieu tel que Paul l'a créé est une négation de dieu". Pour un "athée" qui de surcroît valorise la "création", ce pourrait être un double éloge au lieu d'un reproche. D'une certaine façon Nietzsche a "créé" Dionysos et le "sur/ultra-humain" comme Paul a "créé" le Crucifié, le dieu crucifié et le Dieu du Crucifié, avant de s'aviser qu'ils se ressemblent plus qu'il ne le croyait, car tous deux relèvent du "mystère" au sens de l'Antiquité tardive, c'est-à-dire d'un mythe de participation (ou communion). L'opposition entre "Jésus" et "Paul" ressemble en outre à celle de Dionysos et d'Apollon telle que le jeune Nietzsche la comprenait dans la Naissance de la tragédie, et aussi à celle de la "volonté" et de la "représentation" chez son premier maître, Schopenhauer. Il y a d'un côté le dieu ou le héros, de l'autre la "théorie" (autrement dit le spectacle) qui le met en scène et le rend intelligible: "Paul" est évidemment du côté de la théorie, comme Nietzsche lui-même l'est dans la mesure où il pense "systématiquement", ou jusqu'à ce qu'il renonce au "système". Bien entendu, l'homme crée des dieux, des mythes et des rites depuis toujours, en tout cas depuis bien avant ce qu'on appelle l'Histoire (associée à l'écriture), et au coeur du langage la négation reste son principal outil "symbolique", qui détermine l'ouverture infinie de son "imaginaire". Cela dit la principale "création" de Paul, ce qui reste de "lui" encore plus massivement que le "dieu", c'est "l'Eglise", dans toute la métonymie de l'édifice et de l'édification, de la construction et du constructif, du corps-organisme au temple, architecture et hiérarchie, qui même sans "dieu" modèle encore notre sens de la "société"; dans une continuité certaine de la civilisation gréco-romaine qui elle-même récapitule à sa manière toutes les "Antiquités", mais avec quelques inflexions tout de même...
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 2 Icon_minitimeLun 05 Déc 2022, 12:14

II. Théologie de l’élection et théologie de la croix

À Corinthe, on le sait, Paul doit aborder les questions soulevées par des spéculations théologiques sur la sagesse qui à ses yeux reviennent à supprimer la signification théologique de la croix du Christ : « Car Christ ne m’a pas envoyé baptiser, mais annoncer l’Évangile, et sans recourir à la sagesse de la parole, pour ne pas réduire à néant la croix du Christ » (1 Co 1,17)17. Paul oppose ici délibérément « sagesse » et « croix ». Aux « pneumatiques » qui, à Corinthe, se réclament de la sagesse, il reproche de refouler la croix du Christ de leur image de Dieu, de vouloir se rendre Dieu disponible, et par là de nier pratiquement la condition créée de l’existence humaine et le fait qu’elle est référée à un Dieu dont on ne dispose pas. Or cette prétention, argumente Paul, Dieu l’a désavouée dans la croix de Jésus. De fait, dans la croix de Jésus, Dieu a demandé à l’homme de s’ouvrir à son agir, totalement paradoxal au regard du jugement de l’homme, et de se soumettre à la seule souveraineté de Dieu.

Sa conception théologique et anthropologique fondamentale, il la formule de façon ramassée en 1 Co 1,18 : « La parole (logos) de la croix, en effet, est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui sont en train d’être sauvés, elle est puissance (dunamis) de Dieu ». Cette thèse, Paul la justifie dans une démarche en trois temps :

1) du point de vue théologique et sotériologique par le constat que, face à l’incapacité de la sagesse du monde de connaître Dieu et de le reconnaître comme Dieu, Dieu s’est engagé dans une voie de salut entièrement nouvelle, celle de la folie du kérygme, c’est-à-dire de la croix, et a décidé de sauver ceux qui croient (1,19-25) ;

2) du point de vue ecclésiologique par l’élection de ceux-là précisément qui n’ont aucune valeur aux yeux du monde, pour qu’aucune chair ne se vante devant Dieu, la sagesse de Dieu se manifestant précisément dans cet agir qui met en cause les représentations habituelles de Dieu (1,26-31) ;

3) du point de vue existentiel et biographique par la manière dont il s’est présenté lui-même à Corinthe, une manière qui extérieurement était faible, mais qui en vérité avait figuré la folie de la croix pour qu’on ne confonde pas la foi avec la sagesse du monde (2,1-5).

Pour la question qui nous intéresse ici, c’est surtout l’affirmation relative à l’élection (1,26-31) qui est importante. La construction très élaborée de cette section comporte à nouveau trois temps qui, de leur côté, sont articulés en séries de trois. Pour justifier sa thèse relative à la puissance de salut de la croix, Paul rappelle tout d’abord au v. 26b la vocation des chrétiens dans son rapport avec leur statut social. Que Dieu soit tout particulièrement l’avocat des faibles correspond à la foi d’Israël et s’inscrit donc bien, en tant qu’affirmation théologique, dans l’héritage de la tradition juive. Cependant la pointe de l’argumentation de Paul n’est pas ici le fait que Dieu soit l’avocat des faibles en tant que tels, il s’agit bien plutôt pour l’Apôtre, par l’exemple de l’élection de ce qui est faible aux yeux du monde, de contredire les « pneumatiques » de Corinthe qui se surestiment et qui, pour cette raison, risquent de sombrer. Il s’agit donc en fait de l’interprétation ecclésiale de la thèse programmatique de 1,18. Dans l’explication du logos de la croix, l’élection de ceux qui, concernant leur culture, ne peuvent exhiber que des déficiences et qui politiquement sont sans influence, doit être comprise de façon analogue au chemin extérieurement insensé de Dieu qui passe par la croix (voir 1 Co 1,21).

Pour la question qui nous intéresse ici, c’est surtout l’affirmation relative à l’élection (1,26-31) qui est importante. La construction très élaborée de cette section comporte à nouveau trois temps qui, de leur côté, sont articulés en séries de trois. Pour justifier sa thèse relative à la puissance de salut de la croix, Paul rappelle tout d’abord au v. 26b la vocation des chrétiens dans son rapport avec leur statut social. Que Dieu soit tout particulièrement l’avocat des faibles correspond à la foi d’Israël et s’inscrit donc bien, en tant qu’affirmation théologique, dans l’héritage de la tradition juive. Cependant la pointe de l’argumentation de Paul n’est pas ici le fait que Dieu soit l’avocat des faibles en tant que tels, il s’agit bien plutôt pour l’Apôtre, par l’exemple de l’élection de ce qui est faible aux yeux du monde, de contredire les « pneumatiques » de Corinthe qui se surestiment et qui, pour cette raison, risquent de sombrer. Il s’agit donc en fait de l’interprétation ecclésiale de la thèse programmatique de 1,18. Dans l’explication du logos de la croix, l’élection de ceux qui, concernant leur culture, ne peuvent exhiber que des déficiences et qui politiquement sont sans influence, doit être comprise de façon analogue au chemin extérieurement insensé de Dieu qui passe par la croix (voir 1 Co 1,21).

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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 2 Icon_minitimeLun 05 Déc 2022, 13:45

Outre ce qui a été dit plus haut (p. ex. 29.11.2022) sur le rapport problématique d'un corpus de textes ("pauliniens") à un "auteur" et "personnage" ("Paul"), je ne suis guère convaincu par le présupposé chronologique de cet article (1 Thessaloniciens avant 1 Corinthiens), même s'il est assez répandu. Une partie de la difficulté tient au fait que le chapitre 15 de 1 Corinthiens, qui offre les analogies les plus manifestes avec 1 Thessaloniciens 4, occupe lui-même une place incertaine dans la construction de sa propre "épître" (probablement augmentée, pour ne pas dire rafistolée, au fil du temps; cf. p. ex. ici 23.11.2022). En dehors de ça les indices de datation (même relative) de 1 Thessaloniciens sont plutôt maigres, à moins de s'en rapporter au récit des Actes...

La question de l'"élection" ou du "choix" (c'est la même chose, eklogè, eklegomai etc.) a sans doute une préhistoire "biblique" ou "juive" très particulière (notamment avec le passage du polythéisme au monothéisme, même relatif: on passe d'une banalité ethnico-religieuse, chaque dieu tutélaire "choisit" son peuple, ou en "hérite" comme par tirage au sort, à une affirmation inouïe, le Dieu unique "choisit" un seul peuple parmi tous); mais cette particularité ne doit pas cacher (comme l'arbre la forêt) sa généralité contemporaine: presque toutes les religions (nouvelles ou renouvelées) de l'époque hellénistique et romaine, en particulier les "mystères", sont des religions d'"élection" dans un double sens (d'un point de vue extérieur, "sociologique", les adeptes "choisissent" leur religion, mais dans le discours interne de celle-ci ils sont "choisis" par la divinité, ce qui fonde et nourrit le sentiment de co-appartenance communautaire): c'est le fait de l'empire, de l'urbanisation, du déracinement et du mélange des populations (cosmopolitisme) réunies par la même langue (koinè surtout, même en Occident): on n'a pas besoin d'être égyptien ou en Egypte pour être initié aux mystères d'Osiris, ni d'être perse pour Mithra, ni d'être phrygien pour Attis, etc. On n'a pas besoin non plus d'être juif pour se rapporter au dieu du judaïsme, à condition qu'il s'adapte; mais une fois qu'on a et/ou qu'on est "choisi" on appartient à quelque chose, on a simultanément un dieu et des "frères (et soeurs)"...

Que les "critères d'élection" soient en partie sociaux, économiques, culturels, ET paradoxaux (élection des pauvres, des faibles, des humbles, des ignorants, etc.), ce n'est même pas une invention du christianisme ni du paulinisme, si l'on en juge par la valorisation religieuse du lexique de la pauvreté dans le judaïsme du Second Temple, dans les Psaumes et à Qoumrân par exemple, où des appellations comme "les pauvres (`nwym, 'byônym) de Yahvé" deviennent des auto-désignations d'un groupe de fidèles parmi les fidèles, qu'elles gardent encore ou non, plus ou moins, leur référence à une pauvreté concrète, subie ou choisie (p. ex. par le partage communautaire des biens privés): dans ce cas c'est une logique "sectaire", intra- et non inter-ethnique, mais dans un autre contexte (diaspora) on passe facilement de l'une à l'autre. Des "pauvres" (critère socio-économique) aux "païens" (ethnico-rituel) ou aux "pécheurs" (sacro-moral) il y a à chaque fois un grand pas, mais aussi une certaine continuité du passage.
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 2 Icon_minitimeLun 05 Déc 2022, 15:58

La dialectique de l’Évangile et de la rhétorique chez saint Paul

II – La paideia héllénistique et la parrhèsia évangélique s’affrontent 

Pour comprendre la description que Paul fait de son arrivée initiale à Corinthe et de sa conduite là-bas (1 Co 2,1-5 et 1 Co 9), il faut tenir compte de l’état d’esprit sophistique, de la passion qui entourait l’éloquence, et des attentes que cela suscitait à l’égard de tout nouvel orateur. Là comme à Athènes, « les Grecs … se seraient attendus à ce qu’il se mette en valeur, charme son auditoire, cherche à gagner leur approbation par de la virtuosité oratoire et, peut-être, vise à être rémunéré pour ses efforts ». Les difficultés éprouvées de part et d’autre, et que l’intervention d’Apollos a plutôt aggravées, tiennent au choc, plus spirituel encore que culturel, entre ces perceptions conventionnelles et la dynamique de la proclamation apostolique. Plusieurs points d’impact sont repérables : le rôle du langage dans la persuasion, l’argent, le rapport du prédicateur à la communauté et la valeur des biens culturels. La critique paulinienne des traditions correspondantes (1 Co 1-4) déplaît aux responsables de l’ekklèsia qui appointent après son départ des enseignants plus conformes à leurs souhaits. Ceux-ci retournent contre Paul chaque raison de son apologie anti-sophistique (2 Co 10,10 ; 11,6 ; 12,16-18). L’Apôtre riposte en montrant que leurs arguments reposent sur une vision du monde en contradiction avec la foi chrétienne (2 Co 10-13). Pour l’exposé du différend, nous traiterons d’abord du cadre rhétorique général, puis de la transformation que Paul fait subir à chacun des moyens persuasifs traditionnels (ethos, logos, pathos ).

1Moi-même, quand je suis venu chez vous, frères, ce n’est pas avec le prestige (huperochè) de la parole ou de la sagesse que je suis venu vous annoncer le mystère de Dieu. 2Car j’ai décidé de ne rien savoir parmi vous, sinon Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié. 3Aussi ai-je été devant vous faible, craintif et tout tremblant : 4ma parole et ma prédication n’avaient rien des discours persuasifs (peithois) de la sagesse, mais elles étaient une démonstration (apodeixis) faite par la puissance (dunamis) de l’Esprit, 5afin que votre foi (pistis) ne soit pas fondée sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu.
(1 Co 2,1-5, trad. TOB)

Dans ce passage sont repérables des termes qui peuvent avoir à la fois un sens religieux et un sens technique en rhétorique (apodeixis, dunamis, peithô, huperochè, ). Jouant sur l’usage biblique ou grec, l’Apôtre (ou ses éventuels collaborateurs) reprend un langage familier à ses correspondants et lui fait subir un réajustement sémantique qui en exploite et en dénonce l’ambiguïté. Paul tient sans doute à se démarquer tant des maîtres juifs que des prédicateurs itinérants imitateurs des sophistes, car les uns et les autres, quoique différemment, s’appropriaient indûment la sagesse et la puissance du Christ. Lui-même s’interdit d’autre sujet de discours que « le mystère de Dieu » (v. 1) ou la « sagesse de Dieu, mystérieuse » (v. 7), c’est-à-dire « celle qui était cachée » et a fait l’objet d’une révélation d’en haut, appelée par les Écritures mais les dépassant, car il s’agit d’une nouvelle relation que Dieu établit de son initiative (v. 7, cf. 1,30) .

Paul différencie également la conviction que ces « sages » éloquents emportaient, de la confiance établie par « la puissance de l’Esprit » (v. 5). Cependant, ce qu’Aristote considérait comme le principal moyen persuasif, l’ethos, est l’objet de la plus grande attention. L’Apôtre remplace la supériorité personnelle du prédicateur par celle du Messie en croix et ne fait aucun effort pour se mettre en valeur en tant qu’orateur : il cherche au contraire à éviter de créer trop bonne impression. En se présentant « faible, craintif et tout tremblant » (v. 3), l’Apôtre déjoue le report normal, sur sa propre personne, de l’intérêt du public et de la gloire de la conversion. Ce n’était pas la pratique de ses détracteurs (2 Co 10,10-12), qu’il parodie en paraissant « se vanter » de tout ce qu’il a subi, histoire de « faire le fou » comme eux (2 Co 11,16 ; 12,1). Il dit ailleurs se refuser à pratiquer la séduction de son public par la flatterie (kolakeia) : « nous parlons non pour plaire aux hommes, mais pour plaire à Dieu qui éprouve nos cœurs » (1 Th 2,4-5 ; cf. Ga 1,10). Flatter transformerait l’annonce de l’Évangile en une transaction indigne de lui, or « nous ne sommes pas comme tant d’autres qui trafiquent (kapèleuontes) de la parole de Dieu » (2 Co 2,17). C’est ce qu’explicitent les références à l’argent dans les Lettres aux Corinthiens, à resituer à l’horizon de l’époque. Les orateurs publics retenus par les municipalités, s’ils faisaient montre de libéralité à leur égard, demandaient de leur côté des honoraires élevés à leurs clients et étaient réputés pour leur cupidité, alimentée par un style de vie dispendieux. En veillant par son artisanat à procurer ses services gratuitement (1 Co 9,1-23), l’Apôtre casse cette logique commerciale et enlève un « obstacle » à l’Évangile : il peut se faire « tout à tous » (9,22).

https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-theologique-2003-3-page-374.htm
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 2 Icon_minitimeLun 05 Déc 2022, 16:35

C'est oublier que la critique de la rhétorique et de la sophistique (éloquence, persuasion, virtuosité oratoire, argumentative et démonstrative) fait partie intégrante de la tradition grecque la plus classique, depuis Socrate et Platon au moins dont les adversaires déclarés, plus ou moins caricaturés, sont précisément les "sophistes" (Gorgias, Protagoras, etc.) -- ou Diogène (le "Cynique") qui radicalise la figure de Socrate contre Platon lui-même... Chaque génération intègre dans sa rhétorique l'anti-rhétorique de la précédente, et inversement. La civilisation la plus raisonneuse est aussi celle qui se méfie le plus du raisonnement et de ses artifices, et "Paul" ne serait jamais plus "grec" que lorsqu'il se voudrait anti-grec.

Cela ne fait d'ailleurs que confirmer l'évidence qu'avec les épîtres (dites) de "Paul" nous avons bien affaire à une "rhétorique" (sophistique ou dialectique, comme on voudra), qui n'est un artifice de persuasion qu'en étant aussi une pensée. En quoi on sort du domaine strictement "religieux" du culte et du rituel qui peuvent susciter de la pensée mais n'en requièrent pas.
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 2 Icon_minitimeLun 05 Déc 2022, 17:35

Paul souffle souvent le chaud et le froid dans le cadre de ses controverses avec "ses" Eglises et il défend d'une manière acharnée son autorité et sa légitimité :

"C'est pourquoi, absent, j'écris cela ; afin que je n'aie pas, une fois présent, à user de sévérité selon l'autorité que le Seigneur m'a donnée pour construire et non pour démolir" (2 Co 13,10).

Le début et la fin des quatre chapitres se correspondent. Le paragraphe initial 10,1-11 est délimité par une inclusion : à «absent/pré¬ sent » (apôn/parôn) des v. 1-2 répondent «absents/présents » (apontes/ parontes) des v. 10-11. Exactement de la même manière, le paragraphe final 13,1-10 est inclus entre parôn/apôn (v. 2) et apôn/parôn (v. 10, avec un chiasme). Cette antithèse spatiale est associée de part et d'autre, d'une façon qui est l'objet de la controverse avec les Corinthiens, à l'antithèse de deux comportements, caractérisés par des désignations il est vrai diverses de la force et de la faiblesse. Sur cet arrière-fond disputé, Paul affirme au début et à la fin dans des termes identiques que «le Seigneur lui a donné autorité pour la construction et pas pour la destruction » (10,8 et 13,10). La dernière mention est amenée par les mots : «C'est pourquoi je vous écris ceci de loin afin que... » et formule la conclusion de tout le développement. Une telle proclamation démarque solennellement la mission de Paul de celle, beaucoup plus «destructrice » de Jérémie (Jr 1,10 ; 18,7-9). Si l'apôtre peut affirmer en effet qu'il a mandat de «détruire les pensées orgueilleuses » (10,4-5, avec kathairesis et kathairein ; cf. 13,2b-3 à comparer avec Jr 1,9; 13,10a), il revendique tacitement en faveur des Corinthiens l'accomplissement des promesses que le prophète avait énoncées dans une perspective eschatologique : «< ainsi parle le Seigneur (Jr 24,5) >... je les construirai et je ne les détruirai plus » (Jr 24,6; 42,10 = LXX 49,10; cf. 31,27s = LXX 38,27s). Ces formules ne se trouvent qu'en ces deux endroits dans toute l'œuvre de Paul.

https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1990_num_70_1_5053
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 2 Icon_minitimeLun 05 Déc 2022, 20:16

La "sévérité" évoque en l'occurrence un certain "tranchant" (apo-tomôs, adverbe, aussi Tite 1,13, et le substantif apo-tomia Romains 11,22; cf. tome, atome, dichotomie, anatomie, trachéotomie, etc., soit différents types de "découpages" possibles ou impossibles).

Toute la dialectique de la présence et de l'absence ou de la présence différée, de la parole, de la voix et de l'esprit présumés vivants et de l'écriture ou de la lettre présumées mortes (cf. chap. 3--4), serait aussi à replacer dans une longue tradition grecque (cf. notamment le Phèdre de Platon et ce que Derrida en a tiré dans La Pharmacie de Platon). On peut noter que la "force" de "Paul" est associée au type de communication ordinairement jugé "faible" (l'écriture) et inversement (c'est la "présence du corps", parousia tou sômatos, qui est faible, asthenès, et le logos qui compte pour rien, ex-outhen-èmenos, 10,10): soit à peu près le contraire des Actes qui présenteront Paul comme un orateur ou un porte-parole brillant (l'Hermès de Barnabé-Zeus, 14,12 !) et passeront ses lettres sous silence, le dépouillant aussi de toute pensée originale...

Le rapprochement de "Paul" et de "Jérémie" (là encore, un corpus ou un grand livre composite et un personnage de référence) est intéressant à de nombreux titres, au-delà des métaphores comme construire / détruire, planter / arracher, etc.: ils écrivent et font écrire, passent tous deux pour traîtres à leur nation (ethnos) ou à leur communauté au profit de l'étranger, et même de l'ennemi (de Babylone à Rome, qui écrase la Judée et persécute les chrétiens selon une vision simplifiante mais courante), se disent élus avant leur naissance (introductions de Jérémie et de Galates) mais pour un sort humainement peu enviable qu'ils racontent beaucoup, etc. -- outre les motifs "théologiques" plus évidents (malgré de gros malentendus) comme la "nouvelle alliance"...
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 2 Icon_minitimeMar 06 Déc 2022, 16:21

La pensée de l’apôtre Paul fonde toutes les hérésies

aul va jusqu’au bout de ses affirmations ; il renverse les valeurs sociales et les modèles de vertu qui sont bien, ici, ceux de l’Empire : Regardez-vous donc, frères, vous les appelés ; il n’y a pas parmi vous beaucoup de sages selon la chair, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de nobles. Mais Dieu a choisi ce qu’il y a de stupide dans le monde pour faire honte aux sages, et Dieu a choisi ce qu’il y a de faible dans le monde pour faire honte à ce qu’il y a de fort, et Dieu a choisi ce qu’il y a de vil dans le monde et de méprisé, ce qui n’existe pas, pour abolir ce qui existe, afin que nulle chair ne se vante devant Dieu. (1 Cor. I, 26-29)
Le renversement de la loi porte en lui le culbutage de tout ce qui tient par la loi, c’est-à-dire, les hiérarchies d’une sagesse normative et d’un pouvoir institué. Nul législateur, nul hiérarchie, nul archonte, nul puissant ne saurait, désormais, se prévaloir d’une quelconque légitimation divine.

Irénée dit que toutes les hérésies dérivent de Simon de Samarie (qu’il appelle Simon le Magicien) (CE I, 23, 2). La communauté que celui-ci devait créer, après avoir été baptisé par Philippe, a été probablement la première à élaborer l’idée de rupture d’avec la Torah et à développer une gnose chrétienne. Ce qui détermine l’hérésie, ce qui sépare, ce n’est jamais la spéculation sur les anges, mais la conception (du fondement) de la loi ! « Les Simoniens étaient en fait des pauliniens radicaux » écrit R. M. Grant (in Gnosticism and Early Christianity, New-York 1959). Il se demande si la confusion de Simon avec Paul ne se trouve pas chez Irénée comme elle se trouve dans les Homélies Clémentines et dans certains milieux judéo-chrétiens où, sous le nom de Simon, c’est Paul (ou son disciple Marcion) qui est attaqué.

http://www.chemins-cathares.eu/030700_controverse_sur_paulinisme.php
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