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 Ce que je retiens : de Paul

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Narkissos
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Narkissos

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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 3 Icon_minitimeMar 06 Déc 2022, 17:20

Il n'y a d'"hérésie" (choix partisan) ou d'"hétérodoxie" (opinion différente), au sens étymologique comme au sens courant, que par rapport à une "orthodoxie" (opinion droite, bonne, juste) ou à une "catholicité" (doctrine ou pratique "universelle") de référence; le pharisaïsme n'est rien de tel avant 70 (c'est au contraire une hairesis, une "secte", un "parti" ou une "école" parmi d'autres), et probablement il n'y a rien de tel non plus du côté "(proto-)chrétien": la "grande Eglise" (catholique et orthodoxe par définition) n'émerge aussi, progressivement, que bien après 70, dans un trajet qu'on peut suivre à peu près, dans le NT, des deutéro-pauliniennes (surtout Ephésiens) aux Pastorales ou aux Actes des Apôtres. C'est dire que si le paulinisme initial est à l'évidence polémique, contre plusieurs rivaux ou adversaires, il n'est pas la contestation d'une position dominante qui n'est encore acquise par personne (en d'autres termes, le jeu reste ouvert); d'autre part il ne serait sûrement pas le seul à pouvoir prétendre au titre anachronique ou rétrospectif de "fondateur de l'hérésie": les milieux producteurs des textes johanniques, de Matthieu ou de Jacques, ou de l'épître aux Hébreux sont aussi éloignés de "Paul" que de la synthèse catholico-orthodoxe qui fera à tous les écrits une petite place dans son canon, en les corrigeant ici ou là, mais surtout en les laissant pour l'essentiel se neutraliser les uns les autres...
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 3 Icon_minitimeMar 06 Déc 2022, 17:41

Je me glisse sur la pointe des pieds dans ces échanges si riches et pleins d'appel à la réflexion pour poser une question assez simple qui peut-être n'a pas sa place dans la discussion de si belle envolée.

Paul peut-il être considéré comme celui qui a posé les fondements de christianisme, le christianisme du ou des premiers siècles ?
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 3 Icon_minitimeMar 06 Déc 2022, 20:09

Tout dépend de ce qu'on entend par "christianisme": le christianisme historique et institutionnel, soit ce que j'appelle "la grande Eglise" (orthodoxe et catholique par définition, quant au "tronc commun" en-deçà des schismes futurs), qui acquiert précisément son "existence" et son "identité" en même temps qu'une certaine consistance doctrinale et pratique en éliminant les "hérésies" au cours du IIe siècle, se réclame assurément de Paul (entre autres), surtout par la tradition qui va de l'épître aux Ephésiens aux Pastorales et aux Actes des Apôtres (il n'est que de voir la part prépondérante de ces textes dans les citations des Pères de l'Eglise). Mais les "hérésies" que ce christianisme rejette, en particulier la "marcionite", revendiquent au moins autant l'héritage de Paul, surtout celui des "premières" épîtres que la critique moderne (et d'abord luthérienne) jugera "authentiques". (On peut relire le début de ce fil, qui date de 2009 et évoque déjà la double "fondation" paradoxale, et d'un christianisme "officiel" et de ses "hérésies").

La logique de la "fondation" est par définition rétrospective et anachronique: c'est après coup qu'on assigne un "fondement", et le cas échéant un "fondateur", à quelque chose d'"établi" de façon relativement durable, qui a déjà une existence et une identité reconnues depuis un certain temps -- même si le "fondateur" désigné n'a jamais eu, en son temps, la conscience ni l'intention de "fonder" quoi que ce soit. C'est ce qu'on dit souvent de "Jésus" (cf. la formule fatale à Loisy, qui l'entendait pourtant en bonne part et en bon catholique, et qui lui a quand même valu l'excommunication: "Jésus attendait le royaume de Dieu et c'est l'Eglise qui est venue"), mais on peut le dire aussi bien de "Paul". Pour autant ce n'est pas simplement un contresens ou un malentendu: si des éléments comme la "tradition", l'"organisation", la "doctrine", la "discipline", prennent une importance considérable dans les "derniers" textes attribués à Paul (d'Ephésiens aux Pastorales), au détriment de l'originalité théologique, on ne peut pas dire qu'ils soient tout à fait absents des "premiers" (p. ex. la correspondance corinthienne).

La métaphore du fondement revient quelquefois dans les textes "pauliniens", en référence tantôt à "Jésus / Christ" tantôt à "Paul", puis aux "apôtres" et à d'autres choses: 1 Corinthiens 3,10ss; Romains 15,20; Ephésiens 2,20; 1 Timothée 6,19; 2 Timothée 2,19; cf. 1 Pierre 2,6ss qui décalque à sa façon Ephésiens, la figure de Pierre étant elle-même un moyen de déplacer le problème de la "fondation" (cf. Matthieu 16 et Luc-Actes -- dans les Actes les rares échos qui restent des "innovations pauliniennes" sont attribuées à Pierre).
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 3 Icon_minitimeMer 07 Déc 2022, 11:46

III. Était-ce une conversion ? ou le témoignage de Paul lui-même

Le second point sur lequel je m’arrête est le vocabulaire utilisé par Paul, dans le texte de l’épître aux Galates, pour parler de sa « conversion ». Paul emploie le terme de « révélation », littéralement « apocalypse ». Ce terme exprime ce qui a transformé son existence de pharisien « persécuteur de l’Église de Dieu » en un missionnaire annonçant le Christ aux « nations ».

Il y a donc bien, dans le discours paulinien, un « avant » et un « après » : avant, Paul est « zélé » qui poursuit l’Église de Dieu, par quoi on vient de le voir, il faut entendre qu’il cherche à faire exclure des synagogues ceux des juifs proclamant la messianité de Jésus, et abandonnant à ce titre - et aux yeux de Paul - l’observance stricte de la Loi. Ce juif pieux est attaché plus que les autres aux « traditions de ses pères ». L’événement qui le transforme c’est la « révélation » du Christ. Cet événement est compris par Paul comme inscrit dans un projet divin qui remonte avant sa naissance même. Tel Esaïe le prophète (Es 49,1) Paul a été « mis à part dès le sein de sa mère » pour annoncer la Bonne Nouvelle aux païens. Il est à noter ici la conjonction : révéler le Christ en lui et annoncer la Bonne Nouvelle aux païens. Cet événement subjectif s’il en est, fait vérité de l’existence de Paul et le conduit à des décisions qui ne le soumettent à aucune autre autorité que celle qu’il pense être celle de Dieu : sans consulter « ni la chair ni le sang », c’est-à-dire aucune autorité humaine (pas même celle des « colonnes » de Jérusalem) il se lance dans l’accomplissement de ce pour quoi il pense désormais avoir été appelé. Il faut ici expliquer le lien : révélation du Christ/annonce aux païens. Le contexte d’énonciation de l’épître aux Galates nous en donne une explication assez évidente : Paul s’adresse aux Galates pour leur demander de ne pas céder à la tentation de ceux qui voudraient les obliger à se faire circoncire. Pour Paul, la Bonne Nouvelle signifie justement la fin des particularismes identitaires et ethniques : en Christ il n’y a ni juif ni grec, donc la circoncision est indifférente (cf. Ga 3,28-29). Au cœur de l’expérience fondatrice de Paul, on l’a dit, une « révélation » : ce qui faisait l’identité religieuse du Paul « zélé pour les traditions de ses pères » est, par le Christ, devenu caduque. Une nouvelle compréhension de ce qui fonde le sujet : non plus des marques identitaires, religieuses ou nationales, mais un événement paradoxal, la croix. Elle fait advenir au cœur du monde une réalité « nouvelle » et qui constitue, pour le croyant, un regard différent en même temps qu’une contestation de la réalité précédente que l’on pourra alors dire « ancienne ». Le Christ assure un fondement à l’existence dont le centre est à l’extérieur de ce monde : ce qui constitue l’être chrétien est en effet situé « en Christ ». C’est au nom de ce « En Christ » que les identités mondaines, les particularismes de ce monde (juif/païen, esclave/homme libre, homme/femme, cf. Ga 3,28) sont rendus fondamentalement inopérants. Concrètement, cela fonde l’activité missionnaire et universaliste de Paul. En ce sens, on peut affirmer qu’au cœur de la « conversion » de Paul réside bien la nature universelle donc missionnaire d’un christianisme encore en devenir.

https://journals.openedition.org/cerri/373?lang=en#tocto1n3
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 3 Icon_minitimeMer 07 Déc 2022, 13:18

C'est étonnant que Cuvillier n'ait pas pensé à la conversion d'Héliodore (2 Maccabées 3) où un cheval (fantastique) joue un rôle central, bien qu'à la lettre on ne sache pas non plus si Héliodore tombe de cheval ou non -- mais c'est narrativement probable, comme pour le voyage plus ou moins "officiel" du Paul des Actes à Damas qui suppose un moyen de transport, char ou monture, sinon précisément un cheval... De même la "prédestination prénatale" de Galates 1 me fait plutôt penser à Jérémie 1 qu'à Isaïe 49 (où d'ailleurs le prophète n'est pas nommé, le sujet étant identifié au "serviteur = Israël" au v. 3, sans que ça convienne vraiment à l'ensemble du texte); chacun structure son intertextualité différemment.

La tradition du "Paul persécuteur" est certainement ancienne, mais le statut des passages réputés "autobiographiques" (1 Corinthiens 15, Galates 1 et Philippiens 3) me paraît quand même fragile: ils peuvent avoir été intégrés ou développés à un stade assez avancé de la transmission, lorsque le récit de la conversion du persécuteur était devenu incontournable (p. ex. au cours de la rédaction des Actes, d'ailleurs diversifiée selon les "éditions", orientales ou occidentales; les Pastorales s'y réfèrent aussi, cf. 1 Timothée 1,13). En tout cas ils pèsent relativement peu par rapport à la masse des textes pauliniens qui n'en parlent pas du tout (en particulier l'épître aux Romains, qu'on voie ou non une dimension "autobiographique" qui offrirait une tout autre image au chap. 7). Cette histoire a d'ailleurs des variantes, notamment dans les milieux "judéo-chrétiens", anti-pauliniens, qui considèrent que "Paul" (alias Simon dans les pseudo-Clémentines) ne s'est jamais "converti" et est toujours resté "persécuteur" sous une autre forme, en pervertissant "l'Eglise" pagano-chrétienne majoritaire et en l'éloignant de la Torah. On (Eisenman, si je ne m'abuse) a même discerné un "contre-récit" sous-jacent aux Actes (chap. 21), où c'est Jacques qui tenterait de faire assassiner Paul (ça paraît un peu tiré par les cheveux à première vue, mais de fait c'est bien une initiative de Jacques qui conduit au quasi-lynchage de Paul au Temple).

Le paradoxe souligné par Cuvillier demeure toutefois dans les textes tels qu'ils sont, c'est-à-dire tels qu'ils nous sont parvenus, et il n'est pas inintéressant, quoique banal, et même s'il n'est nulle part mis en évidence comme tel: ce qui a été fait et vécu en toute bonne conscience, voire avec une certaine fierté du devoir accompli à défaut de plaisir, peut devenir rétrospectivement sujet de honte et d'amers regrets -- et inversement sans doute.

A propos des citations de Philon (qu'il me semble avoir vues il n'y a pas très longtemps, je ne sais plus où ni si c'était dans le même article), il faut rappeler que Philon (d'Alexandrie) représente un judaïsme hellénistique, philosophique, médio-platonicien, qui interprète "allégoriquement" (c.-à-d. "philosophiquement", dans un sens à la fois cognitif et moral) la Torah (= Pentateuque). Or de ce type d'interprétation on peut tirer deux conséquences opposées quant à l'observance littérale, et notamment rituelle, de la loi (de la circoncision aux sacrifices du Temple en passant par les règles alimentaires): 1) elle n'a plus aucune importance, et peut (voire doit) être abandonnée par ceux qui en ont compris et intégré le "vrai sens", allégorique et philosophique; 2) elle doit d'autant plus être maintenue comme signe et rappel du "sens" qu'on a compris. Philon se range expressément dans le second camp, et s'oppose d'autant plus vivement au premier que les arguments "philosophiques" à faire valoir dans ce débat-là sont faibles ou inexistants; il le fait en outre dans une situation de diaspora où les modes de coercition intra-communautaire sont pratiquement réduits (autrement dit, un programme de répression religieuse hyper-violent ne débouche que sur des conséquences modestes, p. ex. quand les lois de l'empire et/ou de la cité ne permettent pas à une minorité ethno-religieuse d'appliquer la peine de mort, qui se commue automatiquement en excommunication ou en schisme). Le point de vue "hellénistique anti-rituel", et spécialement "anti-Temple", auquel s'oppose Philon est précisément celui qu'exprime Etienne, l'"helléniste", dans le discours d'Actes 7, Etienne dont le Saul-Paul des Actes est censé approuver la lapidation, avant de "persécuter" à son tour des judéo-chrétiens de la diaspora (à Damas; mais "Damas" a acquis, dans le judaïsme qoumranien et assimilé, un sens symbolique qui excède toute géographie, c'est pour ainsi dire le lieu d'exil des purs -- même si ce sens échappe totalement aux rédacteurs des Actes, il a pu contribuer au développement du récit traditionnel). Le Paul des épîtres (du moins Romains-Galates), lui, adopterait le point de vue opposé à celui de Philon et le radicaliserait encore, en faisant porter sa critique non seulement sur le rituel mais sur le principe même de la loi (nomos).

---

Pour revenir à la question de l'"élection" (cf. supra 5.12.2022, et aussi le fil sur la grâce), on peut remarquer que le débat traditionnel (Paul / Jacques, Augustin / Pélage, Luther / Erasme, Calvin / Arminius, Jansenius / Molina, etc.) porte avant tout sur le sujet, et sous forme d'alternative: qui choisit ou qui décide, "Dieu" ou "l'homme" ? Ce qui y passe habituellement inaperçu c'est le verbe même, "choisir" ou "décider" (et par extension "vouloir", "désirer", etc.): sans conteste il y a du choix, de la décision, de la sélection, c'est la trame même de la réalité, du devenir et de l'histoire autant que de l'imaginaire, du temps qui fait continuellement passer de l'inaccompli à l'accompli, du désir et de la crainte à l'événement, de la puissance à l'acte, de la possibilité, de l'hypothèse ou de la probabilité à la certitude irréversible... Mais cela se passe aussi bien de "sujet" ou de "cause", ou (au choix !) co-implique des "sujets" ou des "causes" innombrables... Réduire le "sujet" du choix ou de la décision, ou la "cause" de l'événement à un seul "individu", c'est le doter d'une "liberté" et d'une "responsabilité" fantastique et vertigineuse, c'est une pure fiction du langage et de sa grammaire (il faut un sujet à un verbe), qui n'est cependant pas sans effets réels (que l"'homme" se croie "libre" ou "déterminé", son comportement en sera de toute façon affecté). Dans un autre sens, congédier la question du "sujet" ou de la "cause" ne fait pas disparaître l'essentiel: il y a du "devenir" et de l'"événement", donc du "choix", de la "décision", de l'"élection", à chaque pas, que seul pourrait assumer un "sujet" ou une "cause" embrassant tous les "sujets" et toutes les "causes" -- soit "Dieu" dans sa définition "philosophique", où le monothéisme devient indiscernable d'un panthéisme ou d'un athéisme, comme le "tout" bascule dans le "rien" et inversement...
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 3 Icon_minitimeJeu 18 Jan 2024, 11:46

free a écrit:
Paul souffle souvent le chaud et le froid dans le cadre de ses controverses avec "ses" Eglises et il défend d'une manière acharnée son autorité et sa légitimité :

"C'est pourquoi, absent, j'écris cela ; afin que je n'aie pas, une fois présent, à user de sévérité selon l'autorité que le Seigneur m'a donnée pour construire et non pour démolir" (2 Co 13,10).

Le début et la fin des quatre chapitres se correspondent. Le paragraphe initial 10,1-11 est délimité par une inclusion : à «absent/pré¬ sent » (apôn/parôn) des v. 1-2 répondent «absents/présents » (apontes/ parontes) des v. 10-11. Exactement de la même manière, le paragraphe final 13,1-10 est inclus entre parôn/apôn (v. 2) et apôn/parôn (v. 10, avec un chiasme). Cette antithèse spatiale est associée de part et d'autre, d'une façon qui est l'objet de la controverse avec les Corinthiens, à l'antithèse de deux comportements, caractérisés par des désignations il est vrai diverses de la force et de la faiblesse. Sur cet arrière-fond disputé, Paul affirme au début et à la fin dans des termes identiques que «le Seigneur lui a donné autorité pour la construction et pas pour la destruction » (10,8 et 13,10). La dernière mention est amenée par les mots : «C'est pourquoi je vous écris ceci de loin afin que... » et formule la conclusion de tout le développement. Une telle proclamation démarque solennellement la mission de Paul de celle, beaucoup plus «destructrice » de Jérémie (Jr 1,10 ; 18,7-9). Si l'apôtre peut affirmer en effet qu'il a mandat de «détruire les pensées orgueilleuses » (10,4-5, avec kathairesis et kathairein ; cf. 13,2b-3 à comparer avec Jr 1,9; 13,10a), il revendique tacitement en faveur des Corinthiens l'accomplissement des promesses que le prophète avait énoncées dans une perspective eschatologique : «< ainsi parle le Seigneur (Jr 24,5) >... je les construirai et je ne les détruirai plus » (Jr 24,6; 42,10 = LXX 49,10; cf. 31,27s = LXX 38,27s). Ces formules ne se trouvent qu'en ces deux endroits dans toute l'œuvre de Paul.

https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1990_num_70_1_5053


https://etrechretien.1fr1.net/t299p25-ce-que-je-retiens-de-paul?highlight=paul  (Lun 5 Déc - 14:35)


"Mettez-vous vous-mêmes à l'épreuve, pour voir si vous êtes dans la foi ; examinez-vous vous-mêmes. Ne reconnaissez-vous pas que Jésus-Christ est en vous ? A moins, peut-être, que l'examen ne soit un échec en ce qui vous concerne. J'espère en tout cas que vous reconnaîtrez que l'examen n'est pas un échec en ce qui nous concerne. Cependant nous souhaitons, devant Dieu, que vous ne fassiez rien de mal ; non pas pour que l'examen paraisse un succès en ce qui nous concerne, mais pour que, vous, vous fassiez le bien, même si l'examen semblait être un échec en ce qui nous concerne. Car nous n'avons pas de puissance contre la vérité ; nous n'en avons que pour la vérité. Nous nous réjouissons lorsque, nous, nous sommes faibles, tandis que vous, vous êtes forts : ce que nous souhaitons, c'est votre épanouissement. C'est pourquoi, absent, j'écris cela ; afin que je n'aie pas, une fois présent, à user de sévérité selon l'autorité que le Seigneur m'a donnée pour construire et non pour démolir". (2 Co 13,510).

2 Corinthiens 10-13 : Paul et l’expérience de Dieu

1.— Le conflit à Corinthe

Reconstruire la crise corinthienne est une entreprise risquée, et le résultat, disons-le, reste hypothétique. Nous ne possédons qu’une version eu conflit, et la position des adversaires nous est médiatisée par la présentation, forcément partiale, qu’en fait l’apôtre. Parmi les scénarios possibles, je tiens pour le plus vraisemblable celui que propose Bornkamm.

Après une première effervescence maîtrisée par l’envoi de 1 Co, quelques années plus tard, le conflit, né de l’amalgame du christianisme et des spiritualités hellénistiques, a rebondi à Corinthe. Sa réactivation tient à la présence de prédicateurs charismatiques itinérants, judéo-chrétiens de tradition (11/22), dont l’autorité se fonde sur les signes miraculeux, les guérisons, les phénomènes extatiques qui jalonnent leur activité (12/1, Ils). Paul les taxera ironiquement de «super-apôtres » (11/5 ; 12/11). Lui-même, incapable d’aligner un palmarès aussi brillant, voit son autorité ruinée : «ses lettres, dit-on, ont du poids et de la force ; mais, une fois présent, il est faible et sa parole est nulle » (10/9). Une première missive (2/14 -7/4) échoue. Puis une visite de Paul à Corinthe tourne à la catastrophe : l’apôtre doit s’en aller, après un incident blessant (2/5 ; 7/12). De retour à Ephèse, en proie à une grande agitation, Paul livre un dernier effort passionné pour se faire entendre ; cette lettre, qu’il dira plus tard avoir écrite. dans les larmes » (2/4 ; 7/Cool, correspond — en tout cas partiellement — aux ch. 10-13. Tite est chargé de remettre la missive. Paul se rend à Troas, puis en Macédoine, où, contre toute attente, il reçoit de Tite la bonne nouvelle du dénouement de la crise (7/5-7).

Dans ce débat où l’autorité de l’apôtre est en jeu, et partant la validité de son évangile (11/4), Paul a gagné. Son but, qui était de conduire les Corinthiens à se reposer une question qu’ils estimaient close, à savoir la question des «preuves » de l’apostolat (13/3-6), est atteint. Le changement souhaité s’est produit. Discrédité a priori, l’apôtre-fondateur est parvenu par l’écriture de 2 Co 10-13 à renverser la situation. Quelle argumentation, quelle stratégie a-t-il mises en œuvre pour réussir ce changement ?


Où chercher la preuve ? (13/1-10)

Paul revient sur ce qu’il disait, au début du discours, de sa présence et de son absence à Corinthe (10/1-11) 54, mais pour annoncer que sa prochaine venue ne sera pas laxiste : «je n’épargnerai pas » (v. 2). Il ressaisit dans une formule ce qu’attendaient de lui les Corinthiens : ils cherchaient la preuve que le Christ parle en lui (v. 3) ; à cette quête, toute son apologie a voulu répondre, mais en fracturant l’image de Dieu qui la sous-tend.

Sa façon de renvoyer aux chrétiens de Corinthe la démonstration des preuves qu’ils lui avaient imposée pourrait passer pour de l’ironie  (v. 5) : «Mettez-vous vous-mêmes à l’épreuve, pour voir si vous êtes dans la foi ; faites la vérification de vous-mêmes ; ou bien ne reconnaissez-vous pas vous-mêmes que Jésus-Christ est parmi vous ? Sinon, la vérification est négative pour vous ». Mais Paul n’ironise pas. L’exigence de vérification sur soi, qu’il relance aux Corinthiens, ne traduit pas un mouvement d’humeur, mais constitue l’ultime phase de son argumentation. Elle est christologique. La preuve que le Christ parle avec puissance au travers de l’apôtre, qui vient de se décrire faible, doit être cherchée dans la communauté, dont l’existence même est un signe de la puissance de Dieu (1 Co 1/26-31 ; 3/7-9). La présence du Christ «parmi vous » authentifie le service de l’apôtre. Le kérygme, dans la dualité qui le constitue entre l’impuissance du Crucifié et la puissance résurrectionnelle de Dieu, est requis comme un modèle pour la lecture du réel. Le mimétisme christique de l’apôtre est frappant : l’apôtre est faible dans sa communion au Crucifié, mais il vivra avec le Christ de la puissance que Dieu déploie envers la communauté (v. 4). 4/11-15 avait déjà fait entendre des accents semblables, à la différence qu’ici la puissance divine est déjà perceptible dans la communauté.

Notons que, là encore, Paul se met d’accord avec ses opposants sur un fait : le présent doit faire apparaître la puissance de Dieu et permettre qu’on le glorifie. Mais le lieu d’émergence de la puissance est déplacé, de la personne de l’apôtre à la réalité de l’Eglise. Or, si la vie des chrétiens à Corinthe se dissout dans la conformité aux excès païens (12/20), le seul emblème théologiquement admissible de la puissance de Dieu échappe à sa fonction.

La faiblesse qu’il porte en lui, Paul demande qu’on ne la résorbe pas dans une christologie triomphaliste, mais qu’on en comprenne le sens : sa fragilité est trace d’une autre fragilité ; elle est icône de la Passion. La communauté peut — et doit, d’où l’impératif éthique ! — se comprendre comme une icône de la puissance du Dieu qui fait vivre. Il faut accepter cette règle et, plus encore, il faut s’en réjouir. Car, et Paul une fois de plus cristallise sa pensée dans un paradoxe, «quand nous sommes faibles, alors vous êtes forts » (v. 9). Le retour au «nous » est à relever ; il soustrait la situation de Paul au cas particulier, et donne à cette maxime christologique sa valeur de norme pour l’apostolat. Sa fragilité n’est pas seulement explicable, elle est nécessaire.

https://www.persee.fr/doc/ether_0014-2239_1988_num_63_4_3027
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 3 Icon_minitimeJeu 18 Jan 2024, 16:36

N.B.: Le premier renvoi interne à ce fil est au 5.12.2022 (article de M.A. Chevallier, 1990).

Vers la fin des années 1980 l'exégèse du NT semblait prometteuse, même chez Marguerat (1986/88), mais elle n'a guère tenu ses promesses par la suite... c'était une conjonction heureuse, en francophonie comme ailleurs, dans la discipline et dans d'autres (Betz, Luz, Vouga, Fuchs, mais aussi Watzlawick et Palo Alto), qui m'avait passionné à l'époque, mais une quinzaine d'années plus tard (quand j'ai relevé le nez du chantier de la NBS) l'atmosphère avait complètement changé, ce qui restait de ce monde-là était devenu bien plus frileux...

Nous avons dû parler assez souvent du texte étudié ici (2 Corinthiens 10--13), mais je ne retrouve pas de fil spécifique; il a été évoqué sur divers thèmes (p. ex. la faiblesse ou la fierté, kaukhaomai etc.). L'analyse rhétorique de Marguerat (qui sur ce point doit beaucoup à Betz) est très utile, mais -- pour en rester à ton extrait -- je ne crois pas qu'on puisse opposer un "christianisme", ou même un "paulinisme", à des "spiritualités hellénistiques" et/ou "judéo-chrétiennes" (qui seraient en l'occurrence à peu près les mêmes): c'est à ce stade un creuset ou une nébuleuse -- ce ne sont pas les métaphores qui manquent -- où les groupes restent poreux et partagent beaucoup de traits communs, où donc les antagonismes sont en grande partie personnels, partisans ou claniques (ça ne ressort peut-être d'aucune épître autant que de 2 Corinthiens, même si c'est probablement un patchwork de plusieurs épîtres) plutôt qu'idéologiques, doctrinaux ou pratiques. L'impression qui ressort en tout cas de ce texte c'est que le monde des "apôtres" est une (sacrée) foire d'empoigne, où tous les coups et les vacheries sont permis -- et aussi, négativement, qu'on est encore très loin de ce qui va distinguer idéologiquement ou théologiquement le "paulinisme" de Romains-Galates de tout le reste.
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 3 Icon_minitimeVen 19 Jan 2024, 12:16

Citation :
Nous avons dû parler assez souvent du texte étudié ici (2 Corinthiens 10--13), mais je ne retrouve pas de fil spécifique; il a été évoqué sur divers thèmes (p. ex. la faiblesse ou la fiertékaukhaomai etc.). L'analyse rhétorique de Marguerat (qui sur ce point doit beaucoup à Betz) est très utile, mais -- pour en rester à ton extrait -- je ne crois pas qu'on puisse opposer un "christianisme", ou même un "paulinisme", à des "spiritualités hellénistiques" et/ou "judéo-chrétiennes" (qui seraient en l'occurrence à peu près les mêmes): c'est à ce stade un creuset ou une nébuleuse -- ce ne sont pas les métaphores qui manquent -- où les groupes restent poreux et partagent beaucoup de traits communs, où donc les antagonismes sont en grande partie personnels, partisans ou claniques (ça ne ressort peut-être d'aucune épître autant que de 2 Corinthiens, même si c'est probablement un patchwork de plusieurs épîtres) plutôt qu'idéologiques, doctrinaux ou pratiques. L'impression qui ressort en tout cas de ce texte c'est que le monde des "apôtres" est une (sacrée) foire d'empoigne, où tous les coups et les vacheries sont permis -- et aussi, négativement, qu'on est encore très loin de ce qui va distinguer idéologiquement ou théologiquement le "paulinisme" de Romains-Galates de tout le reste.

Le texte décrit une véritable guerre de pouvoir avec la volonté de fonder sa légitimité, nous y découvrons une rhétorique paulinienne profonde et  d'une redoutable efficacité mais recélant une certaine perversité et une folie passionnelle ... Comme quoi, même la profondeur d'une vision peut contribuer à manipuler les personnes (Avec la plus grande sincérité ... ce qui n'arrange rien).

L'apôtre Paul, un apôtre authentique

"Si seulement vous pouviez supporter de ma part un peu de déraison... mais vous me supportez bien ! Car j'ai une passion jalouse pour vous, la passion jalouse de Dieu lui-même, parce que je vous ai fiancés à un seul homme, pour vous présenter au Christ comme une vierge pure. "Toutefois, de même que le serpent a trompé Eve par sa ruse, je crains que votre intelligence ne se pervertisse et ne s'écarte de la simplicité et de la pureté à l'égard du Christ. En effet, si le premier venu proclame un autre Jésus que celui que nous avons proclamé, ou si vous recevez un autre esprit que celui que vous avez reçu ou une autre « bonne nouvelle » que celle que vous avez accueillie, vous le supportez fort bien.
Or j'estime n'avoir été inférieur en rien à ces super-apôtres. Si je suis profane pour ce qui est de l'éloquence, je ne le suis pas pour ce qui est de la connaissance ; nous vous l'avons clairement montré, de toute manière et à tous égards.
Ou bien ai-je commis un péché en m'abaissant moi-même pour vous élever, lorsque je vous ai annoncé gratuitement la bonne nouvelle de Dieu ? J'ai dépouillé d'autres Eglises, en recevant d'elles un salaire pour vous servir. Et lorsque chez vous j'ai manqué de tout, je n'ai été à charge à personne, car les frères venus de Macédoine ont suppléé à ce qui me manquait. En tout, je me suis gardé d'être un fardeau pour vous, et je m'en garderai. Par la vérité du Christ qui est en moi, personne ne m'interdira cette fierté dans les contrées d'Achaïe ! Pourquoi ? Parce que je ne vous aime pas ? Dieu le sait !
Ce que je fais, je le ferai encore, afin d'ôter tout prétexte à ceux qui en voudraient un pour être considérés comme nos égaux en ce qui fait leur fierté. De tels individus sont des apôtres de mensonge, des ouvriers trompeurs, qui se transforment en apôtres du Christ. Et ce n'est pas étonnant, car le Satan lui-même se transforme en ange de lumière. Il n'est donc pas étrange que ses ministres se transforment aussi en ministres de justice. Leur fin sera selon leurs œuvres" (2 Co 11,1-15)..



LA FAIBLESSE. GLOIRE DE L'APOSTOLAT SELON PAUL ÉTUDE SUR 2 CORINTHIENS 10-13

Le ch. 11 a une autre tonalité, plus personnelle et plus franchement agressive. Paul doit d’abord se défendre contre les accusations des «super-apôtres » (5), en particulier sur la question de l’entretien financier de l’apôtre par ses communautés (7-11). Puis dès le v. 12, Paul passe à l’attaque : prenant le masque du fou, il peut à la fois se moquer de la vanité des faux apôtres (12-15) mais surtout faire, au second degré, sa propre apologie (16-32). Paul l’annonce comme un kauchasthai kata sarka (une «glorification toute humaine », v. 18), et en même temps, il décrit bel et bien son combat et ses souffrances pour l’évangile. Le ton change peu à peu, et l’ironie mordante des v. 22ss destinée à montrer que Paul à de quoi se vanter lui aussi (c’est le sens du kauchasthai du v. 18) débouche finalement sur la longue et poignante litanie des dangers et des peines effectivement éprouvés. Et c’est là, au v. 30 précisément, que pour la première fois Paul se sert du verbe kauchasthai en modifiant sa tonalité : parlant de la faiblesse des Eglises et des croyants à laquelle lui-même prend part (v. 29), il déclare : «s’il faut se glorifier (sous-entendu : bien entendu, ce n’est ni légitime ni nécessaire, mais je parle toujours comme un fou), c’est de ma faiblesse que je me glorifierai ». La formule est encore paradoxale, et d’une certaine manière ironique ; mais déjà s’amorce un sens nouveau que Paul développera plus loin (dès 12/5).

c) 2 Co 11/1-15 : le désintéressement de Paul, occasion de «gloire» ou de mépris ?

Le désintéressement de Paul (cf ll/7ss) a été interprété comme un manque d’assurance, comme une faiblesse. Il lui faut donc une fois encore revenir sur ce point. Le malentendu semble avoir été double : on reproche à Paul de n’avoir rien demandé aux Corinthiens et l’on en conclut soit que l’apôtre manque d’assurance, soit qu’il fait preuve de froideur (v. 11). Mais le malentendu devient calomnie au moment où certains laissent entendre que tout cela est une ruse de Paul pour mieux dissimuler sa volonté de dépouiller les Corinthiens lorsque ceux-ci seront en confiance. C’est la calomnie dont Paul se fait explicitement l’écho en 12/13-18 (partie, v. 16s) et qui transparaît dans l’expression de 11/18 : «j’ai pillé, dépouillé (èsulèsa ) d’autres églises ». Certains ont donc interprété les dons venus spontanément de Macédoine 14 (v. 9) et qui permirent à Paul de se consacrer plus complètement à l’évangélisation (Ac 18/5 ; 2 Co 11/7) comme une sorte de tribut versé par les églises «conquises ».

Paul s’explique donc sur ce point, en faisant en passant constater que s’il y a accepté ce subside (opsônion : solde), c’est «pour vous servir, vous » (v. Cool ! Ayant ainsi rétabli la vérité, il rappelle que le principe qui le guide est de n’être à la charge de personne (v. 9c). Ce qui signifie, non qu’il n’accepte rien de personne — preuve en soit ce qu’il vient de dire des frères de Macédoine — mais qu’il ne demande rien de lui-même. Ce principe, c’est plus qu’une décision tactique, c’est son style d’existence apostolique qu’il exprime ainsi.

C’est pourquoi il utilise une formule solennelle : «Par la vérité du Christ en moi, on ne m’empêchera pas de dire dans les pays d’Achaïe cet honneur qui est le mien »  (11/10). D’où il appert que le principe qu’il s’est donné d’annoncer gratuitement l’évangile n’est pas une fantaisie personnelle, encore moins une ruse, mais bien une façon de dire le sens même de son apostolat (sa kauchèsis). Et le calomnier sur ce point, c’est atteindre, au delà de sa personne, sa vocation même (cf 1 Co 9/ 15s). En aucune façon l’apôtre ne doit faire obstacle, barrage, à l’évangile qu’il annonce. Que ce soit, comme ici, par des demandes financières ; que ce soit, comme il le dira plus loin, en mettant en avant ses expériences spi¬ rituelles ou ses exploits de missionnaire : rien de tout cela ne doit prendre une place qui détournerait de l’évangile. Par contre, comme il va le dire explicitement plus loin lorsqu’il parlera de sa faiblesse, il y a une manière de vivre dans le dépouillement qui est à elle seule une proclamation de l’évangile.

C’est pourquoi Paul est bien décidé à persévérer dans cette attitude (11/12). Du même coup il ne donnera aucun prétexte à la calomnie de ses adversaires qui, tout en lui reprochant son désintéressement (signe qu’il n’est qu’un missionnaire de deuxième zone, amateur), voudraient bien qu’il y renonce pour pouvoir enfin s’égaler à lui. Paul laisse donc clairement entendre que ses adversaires sont en fait mus par des intérêts financiers et qu’ils cachent sous l’apparence d’apôtres leur volonté de profiter de la crédulité des Corinthiens pour les exploiter (ce sont des ergatai dolioi, 11/13).

d) 2 Co 11/16-33 : se vanter de ses souffrances, est-ce vraiment parler comme un fou ?

Dans l’élan du débat polémique qu’il mène avec ses adversaires, Paul en vient à parler de ses mérites personnels. Il y est contraint par le mépris dont sa personne même est l’objet (cf 11/6) ; mais le risque est grand de tomber ainsi dans le piège tendu par ceux qui voudraient justement que le débat porte sur les mérites personnels et visibles des différents «apôtres ». Il faut donc à la fois parler de soi pour détruire l’argumentation des adversaires, et ne pas en parler puisqu’il s’agit de montrer que le vrai problème n’est pas là. Il faut donc à la fois mikron ti kauchasthai (se vanter un peu, cf 11/16) et montrer qu’une telle attitude n’est pas «selon le Seigneur », mais «selon la chair » (11 /17s). C’est ce que permet le discours annoncé comme «dans la folie» (en aphrosunèi, 11/17) 19 : discours du bouffon qui, parce qu’il s’avance masqué, peut lancer aux forts et aux raisonnables leurs quatre vérités. Paul ainsi gagne sur les deux tableaux : il annonce clairement que ce qu’il va dire, l’éloge de lui-même qu’il va prononcer, est à prendre au second degré, comme le discours indirect d’une autre gloire plus secrète ; et il ridiculise ses adversaires dont les prétentions sont elles aussi disqualifiées comme vantardises folles (ce sont en effet des aphronoi, des insensés, 11/19).

Se glorifier soi-même est une folie. Et pourtant ! Paul n’est évidemment pas aussi fou qu’il le prétend ; et le bouffon qui décrit sa gloire par la longue et douloureuse litanie de ses épreuves et de ses souffrances ne ressemble peut-être pas à un «super-apôtre » (11/5 ; 12/11), mais il ressemble à celui qu’il annonce, le Christ crucifié (cf 1 Co 11/1 : mimètai mou guinesthé, kathôs, kagô Christou).

Ainsi il n’est pas interdit de parler de soi, mais pour faire voir comment le ministre du Christ (diakonos , 11/23) porte dans sa vie la marque même de son Seigneur : la faiblesse. Et s’il a pu un instant regretter de s’être montré faible à Corinthe (11/21), il est amené par l’énumération même de ses épreuves apostoliques à reconnaître finalement que la faiblesse est bien le signe éminent de sa vocation («s’il faut se glorifier, c’est de ma faiblesse que je me glorifierai», 11/30).

https://www.persee.fr/doc/ether_0014-2239_1980_num_55_2_2560
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 3 Icon_minitimeVen 19 Jan 2024, 13:58

C'est fort intéressant de comparer cette étude à la précédente: on peut voir tout ce que Marguerat en début de carrière (1986/88) devait à Fuchs (1980), et ce que les deux devaient à Betz -- dont j'ai surtout pratiqué, un peu plus tard, le commentaire de l'épître aux Galates... C'était en effet une époque faste pour la discipline.

Dans ces textes archi-polémiques (je parle de 2 Corinthiens 10--13), où le conflit est plus "personnel" et "partisan" que strictement théologique ou idéologique, bien que tout soit lié, on a surtout tendance à oublier qu'on n'entend qu'un seul son de cloche, d'autant qu'il (ou elle, le son ou la cloche) a été canonisé(e), et archi-canonisé(e) dans le protestantisme ("Paul", et surtout celui de Romains-Galates, c'est "le canon dans le canon" dans toute la tradition luthérienne, ce qui règle et régit non seulement l'évaluation mais l'interprétation de tout le reste, du NT et de la Bible). On pense rarement que les "adversaires" des textes, et singulièrement ceux de "Paul", ont pu être tout aussi sincères et logiques à leur façon, qu'à leurs yeux ils avaient certainement raison; on se contente du portrait à charge qu'en font les textes "canoniques", on aurait plutôt tendance à surcharger la caricature pour donner toute la "raison" à notre "apôtre", même quand il joue ostensiblement (de) la déraison...

Malgré mon allergie habituelle aux analyses psychologiques de l'"auteur" et de ses "intentions" (particulièrement problématiques dans le cas d'un texte manifestement composite comme 2 Corinthiens), force est de remarquer une certaine continuité entre le souci de se justifier qui occupe en permanence le "Paul" de la correspondance corinthienne (ou supposée telle) et la théorie ultérieure de la "justification" (générale, Romains-Galates) qui, de toute évidence, ne lui était pas encore venue à l'esprit; même si celle-ci s'énonce en grec avec un autre vocabulaire (dikaioô etc.) et un autre type de rhétorique, juridique, judiciaire, forensique.
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 3 Icon_minitimeVen 19 Jan 2024, 14:33

 En lisant 2 Co 10-13, je réalise que les visions et révélations accordées à Paul en 2 Co 12,1-10, s'insèrent dans cette vive polémique qui oppose Paul à ses adversaires, ce qui donne un sens particulier (pas la même saveur) à l'expérience extatique que décrit Paul. En 2 Co 12,12 Paul revendique les "les signes distinctifs de l'apôtre" qui correspondent comme il le précise à des "des signes, des prodiges et des miracles". Ainsi, le récit des visions semblent être instrumentalisé par Paul, pour fonder sa légitimité d'apôtre et cela, avec une certaine "fausse humilité" (Tout en ayant vécu une expérience extraordinaire et privilégiée, il ne peut pas être accusé d'être trop orgueilleux car Dieu a veillé à ce qu'il ne puisse pas le devenir)  :

"à cause de l'excellence de ces révélations. Aussi, pour que je ne sois pas trop orgueilleux, il m'a été donné une écharde dans la chair, un ange de Satan pour me frapper — pour que je ne sois pas trop orgueilleux" (12,7).

Habilement, il transforme ses faiblesses en puissance (ses défauts en qualités) ..; Il aurait réussi un éventuel entretien d'embauche pour le poste d'apôtre :

"Trois fois j'ai supplié le Seigneur de l'éloigner de moi, et il m'a dit : « Ma grâce te suffit, car ma puissance s'accomplit dans la faiblesse. » Je mettrai donc bien plus volontiers ma fierté dans mes faiblesses, pour que la puissance du Christ repose sur moi. Aussi je me plais dans les faiblesses, dans les outrages, dans les désarrois, dans les persécutions et les angoisses, pour le Christ ; en effet, c'est quand je suis faible que je suis fort" (12,8-10). 
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 3 Icon_minitimeVen 19 Jan 2024, 16:13

Il faut dire que les "postes d'apôtre" (mot qui, pour rappel, signifie simplement envoyé, émissaire, missionnaire, représentant) ne manquaient pas, puisque chaque groupe, géographique et/ou idéologique, Eglise ou synagogue, ekklèsia ou sunagôgè = assemblée locale, parti, école ou secte (en grec hairesis) avait les siens -- et qu'il n'y avait probablement pas encore de frontière nette entre judaïsme(s), christianisme(s) et bien d'autres choses (mystères, gnoses, philosophies)... Cela ne tombe pas sous le sens quand on entend le mot (transcrit et non traduit du grec apostolos) à partir d'une histoire sainte où il y a "douze apôtres" (de Jésus-Christ) en tout et pour tout, puis éventuellement "Paul" comme supplément unique, au moins en son genre...

Outre les liens déjà signalés sur la "faiblesse" et la "fierté" ("glorification" dans certaines vieilles traductions, mais sans rapport direct avec la "gloire", doxa), on peut en effet rappeler le thème extrêmement retors de l'humilité, dont nous avons aussi beaucoup parlé. D'autre part, la "folie" dans beaucoup de bibles tend aussi à confondre des mots et des concepts sensiblement différents: la moria de 1 Corinthiens 1--2, folie douce ou catatonique, plus proche de la bêtise ou de la sottise, de l'imbécillité ou de l'idiotie au sens moderne que de la psychiatrie, n'a pas grand-chose à voir avec la mania effervescente, à la lettre enthousiaste, associée aux charismes au chapitre 14, ni avec l'aphrosunè ou "déraison" rhétorique de 2 Corinthiens. La "faiblesse" en revanche, avec sa connotation pathologique (astheneia, c'est aussi la maladie) et son opposition à la "puissance" (dunamis), est assez constante.
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 3 Icon_minitimeLun 22 Jan 2024, 12:49

L'écharde dans la chair : un signe visible de la présence de Dieu? : La dimension dramatique de la vie : perspectives à partir de 
II Corinthiens 12,1-10 - Pierre de Salis.

3. L'écharde dans la chair: un signe de l'existence de Dieu?

Deux parties structurent la péricope. Paul mentionne en premier lieu une expérience extatique qu'il aurait vécue (12,2-6). Les «super-apôtres» devaient priser ce genre de performances spirituelles, considérées comme des signes visibles de l'efficacité de Dieu en eux. Ils pouvaient ainsi faire valoir le sérieux de leur ministère apostolique. La communauté de Corinthe devait être très impressionnée.

Il raconte en deuxième lieu ses prières adressées au Seigneur à la suite d'une affliction - l'écharde dans la chair (12,7-10).

Pour Paul, l'expérience mystique paraît à première vue produire l'effet contraire : il déclare ne pouvoir en tirer aucune supériorité, aucune révélation, aucune autorité. «L'ascension céleste aboutit à un mur pour ce qui est de la légitimation de son bénéficiaire». Pourtant, l'apôtre - c'est là toute la subtilité de son ironie - présente cet épisode comme s'il s'agissait d'un fait réel. Il parle de lui - à la troisième personne. Il mentionne une date (14 ans auparavant), une action (il a été pris), une destination (le troisième ciel, le paradis). Selon la cosmologie juive, le ciel était conçu comme ayant plusieurs niveaux. Le troisième est le plus élevé: c'est là que Dieu habite. L'appellation de paradis désigne vraisemblablement la même chose. Paul conclut par une pointe ironique: il a eu part à des choses qu'on ne peut pas entendre : (...) (12,4). L'ironie joue sur les deux sens de (...) : ce qui est inexprimable par des mots, ce qu'il est interdit de dire. L'ineffable laisse imaginer le caractère extraordinaire de l'expérience. L'interdit fait penser au caractère sacré de la révélation. En définitive, Paul décrit une expérience extatique dont il ne peut rien dire. De plus, l'apôtre fait ironiquement preuve d'un détachement quasi total en mentionnant deux fois son ignorance: «était ce dans son corps? Je ne sais. Etait-ce hors de son corps? Je ne sais. Dieu le sait» (v. 2 et 3) !

Ces éléments révèlent le caractère impitoyable de son ironie. Si les «super apôtres» ont des expériences aussi ineffables et mystiques à faire valoir, qu'ils le disent !

Avons-nous affaire à un épisode réel de la vie de Paul ou une simple parodie d'ascension céleste? Aucun indice textuel ne permet de trancher la question. En tous les cas. Paul relate cet épisode sous le mode de la parodie. Ironiquement, il annonce qu'il dispose lui aussi d'arguments spectaculaires pouvant légitimer son ministère: «Paulus parodiert Typisches und identifiziert sich damit nur ironisch»32.

Paul rappelle, au v. 1, la thèse à laquelle il veut rallier les Corinthiens séduits par les «super-apôtres»: l'orgueil est en soi chose bien inutile Il nous éloigne du Seigneur. Le principe, justifié à l'aide d'une preuve scripturaire. déclarant: «que celui qui s'enorgueillit, mette son orgueil dans le Seigneur» (10,17) 33, reste à plus forte raison valable quand on réfléchit à l'apport que pourraient représenter les visions et les révélations. On ne peut en tirer aucune gloire supplémentaire, et encore moins un fondement solide et défendable du ministère apostolique.

Au v. 5, Paul continue de se tenir à distance. Puisqu'il ne peut rien dire de son expérience mystique, puisqu'il n'en tire ni justification, ni gloire, ni légitimation, il revient sur le terrain de la faiblesse humaine. Seule cette dernière reste la cause de la gloire du fou, et cela à plus forte raison après le détour extatique.

Au v. 6. Paul développe la thèse annoncée au v. 1. La seule manière de se faire valoir sans tromper ses interlocuteurs, c'est de montrer ses faiblesses. Il est impossible de se faire une opinion supérieure au sujet d'un fou. La polémique continue!

Aux v. 7 à 9a. Paul fait un pas supplémentaire, en mentionnant un deuxième élément de sa vie d'apôtre. Sous la forme d'une arétalogie. Paul rapporte ici un petit récit tourné en miracle de guérison («Heilungswunder»). Il suit la disposition classique de ce genre de récits. 
Le v. 7b mentionne le motif de la maladie.
Le v. 8a indique la triple prière adressée au Seigneur.
Le v. 8b décrit le contenu de la prière.
Le v. 9a représente la réponse du Seigneur, sous la forme d'un oracle.
Les v. 9b-10a marquent l'aboutissement du processus de glorification dans la faiblesse: la puissance du Christ.

Le v. 10b conclut le thème des visions et des révélations sous la forme «d'un gnome paradoxal en je».

Avons-nous affaire ici stricto sensu à une parodie ? Le style relève incontestablement de la parodie, mais cela ne veut pas dire pour autant que Paul relate un épisode sorti de son imagination. D'une part, comme nous l'avons vu, Paul joue au fou pour pouvoir se vanter de ses «avantages humains» (11.17). Raconter une parodie au sujet d'une souffrance contredit l'objectif fondamental de Paul qui est de montrer comment la puissance du Christ donne toute sa force dans la faiblesse de ses labeurs apostoliques. D'autre part, Paul fait part aux Corinthiens de la désormais célèbre image de l'écharde dans la chair. Cette dernière joue un rôle décisif. Elle fait le lien entre l'ascension au ciel et l'oracle de guérison. Elle barre la route à une utilisation de l'ascension au ciel à des fins glorieuses, comme la louange de soi. ou le signe visible d'une
rencontre avec Dieu légitimant l'apôtre. Elle garantit l'authenticité du ministère de Paul de la même façon que la liste des labeurs apostoliques (11,23-28) ont légitimé les «ministres du Christ» (11,23). De la même façon, la descente nocturne et silencieuse en corbeille le long de la muraille de Damas(11.32-33) et la redescente ineffable du paradis aboutissent au même résultat. L'ironie de l'apôtre est forte: seul un fou peut se vanter de fuir comme un lâche ou un inconscient - si Paul avait été attrapé au cours de sa fuite, on peut imaginer qu'il aurait été condamné à mort. De plus, seul un fou peut se vanter d'avoir part, dans l'extase, à une révélation secrète inutile pour l'édification de la communauté ! Heureusement pour lui, il ne peut se glorifier de rien si ce n'est de sa faiblesse.

Dieu lui a mis une écharde dans la chair. Un ange de Satan a été chargé de le frapper, afin de lui éviter tout orgueil. Cela fait peut-être même déjà 14 ans, après l'expérience extatique, que Paul a hérité de cette affliction. Il n'a pas pu y échapper. Il aurait voulu s'en débarrasser, mais rien n'y a fait ! Cette souffrance devait être bien connue des Corinthiens, qui devaient bien voir en elle une des causes de la faiblesse si durement reprochée à leur apôtre.

Le sens étymologique de (...) est difficile à déterminer. Paul ne donne pas d'indication susceptible de guider notre interprétation. Plusieurs sens sont possibles, notamment le bois pointu, le pieu sur lequel on fiche une tête, la palissade, l'épine, le supplice et le poteau de torture. Quel que soit le sens retenu, il s'agit d'une souffrance brûlante dont l'apôtre a eu envie de se débarrasser.

Quant au sens de (...), il ne signifie pas seulement le corps, mais embrasse tous les aspects de l'existence humaine. Pour Paul, il s'agit de la totalité de la condition humaine, condition toujours placée sous le signe de la fragilité, de la souffrance et de la mort: «les fonctions physiques et spirituelles sont considérées dans leur unité profonde comme une expression commune de la vie humaine».

Face à la douleur. Paul a prié trois fois, avec conviction, avec sincérité. «Cette prière, insistante, légitime, adossée à l'assurance nourrie par les Psaumes que Dieu exauce le pauvre qui le supplie, cette prière se heurte à un refus. C'est le coup de théâtre». Avec conviction, Paul interprète donc le refus du Seigneur comme un message très clair: «ma grâce te suffit: ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse.» Le génie théologique de Paul prend ici le pas sur l'ironie du fou: la grâce de Dieu change de registre. Elle n'est plus à comprendre comme un signe miraculeux de puissance et de guérison : elle devient désormais un signe de rupture, manifestant la présence du Christ crucifié. Elle devient le corollaire de la puissance de Dieu accompagnant l'apôtre sur les chemins de l'existence. La polémique atteint son paroxysme. La direction est inversée. L'apôtre ne fait pas de la recherche de la faiblesse une fin en soi. Au contraire, il s'agit d'être prêt à tout «pour Christ», en voyant que «dans les faiblesses, les insultes, les contraintes, les persécutions et les angoisses» (12.10) repose la puissance du Christ.

L'écharde dans la chair joue donc un rôle très précis dans l'argumentation de Paul. Elle relie le récit de l'extase au récit de la triple prière. Elle signifie l'inutilité de l'extase et l'utilité du non-exaucement de la prière. Paul montre aux Corinthiens que seule la faiblesse est synonyme de rupture. «Quelque chose d'autre se fait jour, dont Paul n'avait peut-être pas perçu la profondeur : l'apostolat doit être faible, s'il est vraiment porteur de la force du Christ (12,9).

Paul montre que la faiblesse qu'on lui a tant reprochée est le critère le plus authentique de son ministère. Sa vocation apostolique porte les marques de cette acceptation de la dimension dramatique de l'existence. En évoquant l'écharde plantée dans sa chair, Paul s'institue en signe vivant que la contingence est l'espace nécessaire dans lequel la grâce de Dieu déploie sa puissance. Grâce à l'image de l'écharde, les Corinthiens peuvent comprendre que «les signes distinctifs de l'apôtre se sont produits» (12,12) sous leurs yeux. Grâce à l'écharde, la communauté en crise peut voir que son fondateur «n'est pas un surhomme; l'acceptation des limites [...] signifie, au contraire de ce que semblent avoir pensé les adversaires, que l'apôtre n'est pas au dessus de la vérité, mais à son service». Cette vérité s'inscrit - en rupture -
dans l'ordre de la chair. Elle n'est pas un mystère - dont il conviendrait de chercher les clés au troisième ciel Elle invite les chrétiens de Corinthe à progresser sur le chemin de l'existence, chemin risqué et fragile, chemin placé sous le signe de «la patience à toute épreuve» (12,12). L'humanité forte de la puissance du ressuscité est à ce prix. L'écharde inscrit donc la puissance de la résurrection au cœur du terreau humain. Elle symbolise la nécessaire inscription de la grâce divine dans l'ordre de la faiblesse humaine.

De plus, l'écharde marque une rupture. Elle advient brutalement au cœur de l'épreuve. La grâce divine éprouve la dimension dramatique de l'existence humaine. Paul fait de la «patience à toute épreuve» le critère prioritaire pour défendre la légitimité de son apostolat. C'est bel et bien le premier des «signes distinctifs de l'apôtre» (12,12). Cette patience s'inscrit à contre-courant du désir humain de «signes miraculeux, prodiges et actes de puissance» (12.12). Elle se pose en opposition permanente. A ce prix seulement, Paul peut se présenter comme un signe authentique de la présence du Christ crucifié et ressuscité parmi les Corinthiens.


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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 3 Icon_minitimeLun 22 Jan 2024, 14:01

Cet article (1995) reprend beaucoup de ceux qui ont été cités ou évoqués précédemment (Betz, Fuchs, Marguerat...). L'idée qui me vient après l'avoir parcouru -- elle aurait aussi bien pu me venir plus tôt, c'est peut-être parce que j'ai parlé de spectacle entre-temps -- c'est que le "paradoxe" (p. ex. la force dans ou par la faiblesse) ne se démontre pas et ne démontre rien, mais il (se) montre (monstre, monstration, etc.). On glisse de la rhétorique, de la preuve et de la conviction de type judiciaire, même quand le type s'étend à d'autres domaines, religieux, philosophique, scientifique, etc., vers le spectacle, théâtre ou cinéma (et en retour bien sûr on ne peut pas manquer de voir du théâtre ou du cinéma dans tous les domaines de la rhétorique, y compris au tribunal; thème fréquent chez Guitry p. ex.).

En ce qui concerne "Paul", c'est assurément plus sensible dans la correspondance corinthienne, et notamment dans ces chapitres 10--13 de la "seconde épître" qui n'est pas vraiment une épître, que dans la rhétorique plus théorique, impersonnelle et irénique de Romains -- où, comme je le suggérais plus haut, "Paul" serait passé de sa justification particulière ou de celle de son groupe ("nous" = les "apôtres" associés, fût-ce contre d'autres "apôtres") à une théorie générale de la justification, pour tout le monde et pour personne en particulier (il n'y a plus d'opposition nette entre "nous" et "vous")... En revanche les deux aspects, le pathos et la théorie, se combinent (à nouveau ?) dans l'épître aux Galates, qui vire de l'ironie au sarcasme.
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 3 Icon_minitimeLun 22 Jan 2024, 16:58

Paul que l'on connaissait, sous le nom de Saul, si tant est que les spectateurs du martyr d'Etienne aient continués de suivre les pas de cet homme dynamique, a passé du rôle de persécuteur, dominateur à celui de dominé acceptant sa souffrance et son handicap comme grâce divine.

Ce qui n'est pas évident et plus facile à dire qu'à comprendre. En effet déclarer . "Je souffre et j'ai demandé à Dieu de me soulager mais ce Dernier m'a expliqué que je suis grandis dans ma situation", voilà bien une déclaration que peu de gens soient susceptibles d'accepter de comprendre.

Certes, les disciples de Christ ont fait de la mort de leur maître une source de joie et de réconfort, encore faut-il connaitre les tenants et les aboutissants d'une doctrine aussi forte lorsque l'on y souscrit mais paraissant ridicule aux yeux du citoyen lambda.

Paul semble reprendre une telle argumentation avec un certain succès.
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 3 Icon_minitimeLun 22 Jan 2024, 17:47

Je ne suis pas sûr (c'est une litote) que le "Paul" des épîtres gagne à être commenté par celui des Actes, mais quoi qu'il en soit la force (paradoxalement) persuasive du paradoxe, qu'il s'agisse de "Paul" ou de "Jésus", demeure incontournable: la puissance dans la faiblesse, la sagesse dans la folie, la vie dans la mort, l'élévation dans l'abaissement, le premier dans le dernier, le salut dans la perdition, l'espérance dans le désespoir, ça marche, contre toute attente, ça marchait alors et ça marche toujours, au moins pour quelques-uns... Le quia absurdum est un ressort étonnant, et inusable.
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 3 Icon_minitimeMer 24 Jan 2024, 12:34

"Nous n'oserions pas nous égaler ou nous comparer à quelques-uns de ceux qui se recommandent eux-mêmes. D'ailleurs, en se mesurant à leur propre mesure et en se comparant à eux-mêmes, ceux-là manquent d'intelligence. 13Quant à nous, nous ne voudrions pas faire les fiers hors de toute mesure ; nous prendrons au contraire pour mesure le domaine que Dieu nous a départi en nous faisant parvenir aussi jusqu'à vous. 14Nous ne dépassons pas nos limites, comme si nous n'étions pas parvenus jusqu'à vous ; car c'est bien jusqu'à vous que nous sommes arrivés avec la bonne nouvelle du Christ. 15Nous ne mettons pas, hors de toute mesure, notre fierté dans les travaux d'autrui. Mais nous avons l'espérance, si votre foi augmente, de devenir encore plus grands parmi vous, dans notre propre domaine, 16en annonçant la bonne nouvelle dans les régions situées au-delà de chez vous, au lieu de mettre notre fierté en ce qui a déjà été fait dans le domaine d'autrui. 17Que le fier mette sa fierté dans le Seigneur ! 18Car ce n'est pas celui qui se recommande lui-même qui est approuvé, c'est celui que le Seigneur recommande". (2 Co 10,12-18).


2 Corinthiens 10-13 : Paul et l’expérience de Dieu
Daniel Marguerat (Désolé mais je reviens à Marguerat).

3.2. Le canon de l’apostolat (10/12-18)

La seconde séquence ne poursuit pas sur la voie du recadrage amorcé en 10/1 mais répond symétriquement au comportement adverse. Paul dénonce : à la différence de lui, les prédicateurs rivaux «se recommandent eux-mêmes » (v. 12), ils «se glorifient sans mesure des travaux des autres » (v. 15). Le passage tourne sur deux notions : la «glorification » humaine et la «mesure » ou canon de l’apostolat.

La notion de glorification (kauchasthai ) est à la fois décisive dans la pensée paulinienne et capitale dans ce passage. Sur les 54 occurrences pauliniennes de kauchasthai et des substantifs kauchèma/kauchèsis, plus de la moitié surgit dans 2 Co, et 19 s’accumulent dans les ch. 10-13 ! Les équivalents français (se glorifier, s’enorgueillir) sont trompeurs, car ils captent le kauchasthai dans des catégories morales ; mais ce que Paul entend par là, après la LXX, est d’ordre ontologique : il entend cette quête de l’homme «vers ce qui pourrait donner sens et raison à sa vie » ; se glorifier n’est donc pas céder au péché d’orgueil mais désigne «le mouvement de la conscience vers ce qui la justifie »  ; cette quête anthropologique est ambivalente, puisqu’elle peut s’égarer quand l’homme cherche en soi le kauchèma, et s’accomplir lorsqu’il reconnaît en Dieu Celui qui le fait vivre. Ici, la glorification de soi est commentée par l’expression «se recommander soi-même » (v. 12, 18) et opposée à l’axiome scripturaire qui problématisé la recherche des preuves : «Que celui qui se glorifie trouve sa gloire dans le Seigneur » (aussi 1 Co 1/31 ; reprise de Jr 9/22s).

La seconde notion est la mesure ou canon de l’apostolat. Paul fait un jeu de mots : «Nous ne nous glorifierons pas sans mesure, mais selon la mesure de la règle (kanôn ) que Dieu nous a impartie, et c’est de parvenir jusqu’à vous » (10/13) 19. L’expression est elliptique. Paul au verset suivant se défend de «s’allonger outre mesure », de dépasser les bornes, pour atteindre les Corinthiens. La clef est à chercher en Rm 15/20, où il explicite le canon de l’apostolat qu’il sous-entend ici : «Je me suis fait un point d’honneur de n’annoncer l’évangile que là où le nom de Christ n’avait pas encore été prononcé, pour ne pas bâtir sur les fondations qu’un autre avait posées ». Paul s’est tenu à sa règle et respecte .es champs missionnaires d’autrui ; les autres ne l’ont pas fait. La réfutation est serrée : j’ai reçu du Seigneur la règle qui m’a fait venir à Corinthe (v. 13) ; j’y suis arrivé le premier (v. 14) ; j’ai suivi une stratégie d’extension missionnaire à partir de Corinthe (v. 15s).

Les catégories requises (la mesure, le canon) dénotent le terrain du droit où évolue le discours. Ce n’est pas seulement que Paul se présente en lésé, puisque ses rivaux s’arrogent les droits du fondateur Mais les plus brillantes performances spirituelles ne remplacent pas, en Eglise, le fondement théologique de l’autorité. Paul réclame que ce fait soit reconnu . il dispose quant à lui d’une norme objective, la norme que Dieu lui a fixée, et c’est l’évangélisation des païens.

https://www.persee.fr/doc/ether_0014-2239_1988_num_63_4_3027
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 3 Icon_minitimeMer 24 Jan 2024, 13:07

Je n'ai rien contre Marguerat Smile , surtout dans cet article "de jeunesse" ! C'est la suite qui m'a souvent paru décevante, pour ce que j'en ai lu -- et plus encore la position quasi centrale, sinon incontournable, qu'il a fini par occuper dans la discipline et sa vulgarisation, et qui semble avoir fait de lui LE "spécialiste francophone du NT", le plus connu, le plus cité et le plus récité y compris par les non-spécialistes (je ne parle pas seulement de lecteurs ordinaires mais d'historiens, de journalistes et d'autres prescripteurs ou "influenceurs"), et la figure de proue d'un pseudo-consensus quasiment inamovible par effet de répétition générale, et globalement conservateur... Cela ne l'empêche évidemment pas d'être souvent intéressant et instructif.

Je ne reviens pas sur le thème de la fierté (ou "glorification")... Il faudrait (?) par contre s'engager dans l'énorme problème des références d'allure historique, ou autobiographique, disséminées dans la correspondance corinthienne et dans l'ensemble du corpus paulinien, de leur chronologie interne, au moins relative (Corinthiens globalement avant Romains, mais dans le détail ça se discute chapitre par chapitre ou paragraphe par paragraphe), et du rapport à faire ou à ne pas faire entre elles et les récits des Actes. En somme il ne faut pas oublier que quand nous lisons "Paul", même dans les épîtres réputées authentiques, nous lisons souvent un texte du premier siècle, mais un texte stabilisé et fixé dans le détail tout au long du deuxième (avant, pendant et après la crise "marcionite"). Ce qui rend extrêmement fragile tout ce qu'on croit pouvoir en tirer sur la personne, la biographie ou la psychologie de l'"auteur" présumé ou la reconstruction d'une histoire du christianisme primitif.

Que signifierait d'ailleurs la position de "fondateur", ou d'initiateur, attribuée à "Paul" par rapport à "l'Eglise" de Corinthe, là où il n'y aurait pas encore d'identité "chrétienne" constituée, nettement distincte du "judaïsme" et d'autres mouvements religieux et/ou philosophiques ? L'ekklèsia en l'occurrence ne pourrait être qu'un réseau informel de plusieurs assemblées de "maisons", diverses autant dans leur doctrine que dans leur pratique, avec des effets d'influence, de rapprochement, d'attraction et de répulsion, de fusion et de scission, tant que la nébuleuse ne se regroupe pas autour de deux noyaux clairement antagonistes, la "grande Eglise" (catholique, orthodoxe) et la "Synagogue" (pharisienne), outre les divers "mystères" et "gnoses" repoussé(e)s par celles-là ? Le "paulinisme" n'est qu'un mouvement parmi d'autres, en dialogue sympathique ou conflictuel avec ceux-ci, et évoluant lui-même au gré des rencontres.
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 3 Icon_minitimeJeu 25 Jan 2024, 13:22

Pseudépigraphies Crypto-Paul, deutéro-Paul, trito-Paul et quarto-Paul - François Vouga

I – Le crypto-Paul : 2 corinthiens 12, 1-10

Conçu d’un point de vue chronologique d’histoire littéraire, afin de faire apparaître les enchaînements, le parcours paulinien commence, situation bizarre, par une figure de pseudépigraphie inversée. Mis au défi par ses amis de Corinthe de rendre compte de son itinéraire spirituel, Paul commence son récit autobiographique en parlant de lui-même comme d’un autre : « Je connais un homme dans le Christ » (2 Co 12, 2). Plus précisément : il entame son récit en distinguant deux parties de lui-même, comme si le « je » qui écrit était à la fois un autre et lui-même : « De cet homme, je me ferai valoir, mais, de moi-même, je ne me ferai pas valoir, si ce n’est de mes faiblesses » (2 Co 13, 5).

Pourquoi ce renoncement ? L’apôtre en fournit deux explications.

La première en appelle à l’évidence : il ne veut rien raconter que ses interlocuteurs de Corinthe ne puissent vérifier par eux-mêmes, « de peur que quelqu’un ne m’estime au-dessus de ce qu’il voit ou de ce qu’il entend de moi » (2 Co 12, 6).

La seconde explication ne contredit pas la première, mais elle vient ajouter une dimension nouvelle à la réflexion : Paul se fait valoir de l’autre homme, mais pas de lui-même, « à cause de la démesure des révélations » (2 Co 12, 7). Pour éviter tout malentendu, il précise bien le sens du propos : il ne serait pas fou de se faire valoir de sa rencontre de la transcendance, des « révélations » reçues, car il ne ferait que dire la vérité (2 Co 12, 6). Mais, ce faisant, il ramènerait ces révélations à une mesure humaine, il en trahirait la « démesure », l’absolue singularité.

En quoi consistent donc cette démesure et cette absolue singularité ?

La suite du récit ne raconte rien de ce qui a constitué l’expérience intime de l’apôtre, mais il rend compte de la signification universelle qu’elle a revêtue pour lui et qu’elle peut gagner désormais pour les Corinthiens : la puissance libératrice qui lui a été confiée ne dépend pas de sa propre force, mais, au contraire, elle prend précisément toute sa dimension transformatrice de gratuité dans la situation de faiblesse patente qui est la sienne. C’est en étant faible que Paul est fort. On remarque en effet que le récit de l’apôtre rend paradoxalement compte d’un exaucement : le Seigneur a bel et bien entendu sa demande deux fois répétée, il lui a répondu. Il n’a cependant pas donné suite à sa prière en retirant l’écharde de sa chair – on lève un obstacle et on se heurte au suivant –, mais il l’a exaucée en révélant la force qu’habite sa faiblesse.

Pour tenter de cerner l’essentiel : le point de départ de l’autorité de l’apôtre ne réside pas dans son génie ou sa personnalité. Son autorité, qui va faire croître les Corinthiens, ne réside pas en lui, ce que montre bien sa faiblesse, mais elle vient d’une force qui lui est extérieure, qui lui est donnée et qui l’habite comme elle va prendre corps dans les destinataires de la Bonne Nouvelle de sa lettre. Au lieu de se faire valoir, le « je » qui rédige cette dernière renvoie à la puissance libératrice de la grâce. Il s’ensuit, pourrait-on dire, que ce n’est pas Paul qui écrit, mais Christ qui parle en lui (cf. Ga 2, 19 !) et qui tient la plume. De sorte que ce n’est pas Paul qui sort grandi de son explication – comment en ressentirait-il le besoin, puisque la grâce de Dieu elle-même vit et agit en lui –, mais que ce sont les Corinthiens eux-mêmes qu’il libère.

La pseudépigraphie inversée adoptée par Paul transforme la défense attendue de son apostolat en événement de la présence de l’Évangile : en créant la fiction par laquelle lui-même devient un autre (« Je connais un homme dans le Christ », 2 Co 12, 2), Paul libère l’Évangile, bonne nouvelle pour l’universalité de l’humanité, de lui-même, pour l’offrir aux lecteurs de la lettre, à Corinthe, dans toute l’Achaïe (2 Co 1, 2) et en tout lieu – et en tout temps – où le nom du Christ est invoqué (cf. 1 Co 1, 2 !). Une pseudépigraphie paulinienne fondatrice libère l’Évangile de Paul.

2 Corinthiens 12, 1-10
1Faut-il se faire valoir ?
C’est inutile,
mais j’en viendrai aux visions et aux révélations du Seigneur.

A. Le moi et l’autre homme (l’homme intérieur)
2Je connais un homme dans le Christ,
voici quatorze ans
– était-ce dans son corps ? Je ne sais pas
était-ce hors de son corps ? Je ne sais pas,
Dieu le sait ! –
cet homme a été enlevé jusqu’au troisième ciel.
3Et je sais de cet homme
– était-ce dans son corps,
était-ce sans son corps ? Je ne sais pas,
Dieu le sait ! –
4qu’il fut enlevé au paradis
et qu’il entendit des paroles indicibles
qu’il n’est pas permis à un homme de raconter.

B. Le moi, l’autre homme (l’homme intérieur) et l’homme extérieur (la personne visible)
5De cet homme, je me ferai valoir,
mais de moi-même, je ne me ferai pas valoir, si ce n’est de mes faiblesses.
6Car si je veux me faire valoir, je ne serai pas fou,
car je dirai la vérité.
Mais je m’en abstiens
– de peur que quelqu’un ne m’estime au-dessus de ce qu’il voit ou entend de moi,
– 7et à cause de la démesure des révélations.

C. Le moi et l’homme extérieur
C’est pourquoi,
pour que je ne me gonfle pas trop,
il m’a été donné une écharde dans la chair, un ange de Satan,
pour me frapper,
pour que je ne gonfle pas trop.
8À son sujet, trois fois j’ai prié le Seigneur,
pour qu’il l’éloigne de moi.
9Et il m’a dit :
« Ma grâce te suffit,
car la force s’accomplit dans la faiblesse. »
C’est donc bien plus volontiers que je me ferai valoir de mes faiblesses,
afin que repose sur moi la force du Christ.
10C’est pourquoi je me plais
- dans les faiblesses,
- dans les outrages,
- dans les désarrois,
- dans les persécutions,
- dans les angoisses,
pour le Christ.
En effet, quand je suis faible, alors je suis fort.

Le parcours à travers la pseudépigraphie paulinienne commence donc par une forme paradoxale de pseudépigraphie inversée : sous l’aspect de « l’homme intérieur », comme le destinataire et récepteur de la démesure et de la singularité absolue des révélations de Dieu, sujet constitué par l’expérience de la transcendance, Paul se présente dans sa propre lettre comme un autre.

Son intention affirmée consiste à établir une claire distinction entre la faiblesse apostolique de la personne de Paul et la puissance libératrice de l’Évangile. Plus clairement encore : la faiblesse de l’apôtre met en évidence, de façon à éviter toute confusion, l’extériorité – au sens de l’altérité d’une singularité absolue – et la dimension universelle, indépendante de la personne de l’apôtre et valable pour tous, de la puissance transformatrice de la grâce de Dieu.

La thèse à laquelle la fiction pseudépigraphique donne forme réside dans un effet pragmatique de distinction par lequel l’Évangile décentre Paul de lui-même et, par là-même, s’émancipe de sa personne. Elle consiste en l’affirmation selon laquelle l’apôtre n’est pas un médiateur nécessaire, qui enfermerait ses auditeurs et ses lecteurs dans une relation de dépendance, mais ce que Søren Kierkegaard appelait une simple occasion destinée à s’effacer devant la contemporanéité de la force du Christ dont les destinataires sont invités à faire eux-mêmes l’expérience.

https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2013-4-page-529.htm
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 3 Icon_minitimeJeu 25 Jan 2024, 14:33

Je suis particulièrement heureux de retrouver ici (en 2013) tout le génie de Vouga, que j'avais énormément apprécié dans les années 1980-90 et qui m'avait quelque peu déçu ensuite, dans sa Théologie du Nouveau Testament -- affaire de "sujet" (topic) ou de "champ" sans doute: l'acuité qu'il avait montrée dans l'exégèse analytique et comparative tendait à se perdre dans de trop vastes généralités sur une lecture plus ou moins "existentialiste" du "christianisme", mais elle réapparaît intacte ici.

On est en effet au coeur du problème de la "pseudépigraphie" d'un "auteur" supposé qui, dans les textes présumés "authentiques", pratique la dénégation de son propre "sujet" -- "ce n'est pas moi" (mais le Christ, l'esprit, le péché, la chair, etc.) avec l'aporie que ça implique (qui est donc celui qui dit "ce n'est pas moi" ?) -- la question est au coeur de ce fil depuis le début (2009), ça vaut la peine de le relire... Et bien sûr il faut replacer dans cette curieuse perspective, avec tous ses effets de "bougé", les textes d'allure autobiographique dont je parlais hier, mais déjà plus haut (7.12.2022) -- aussi bien 1 Corinthiens 1--2 ou 15 que Philippiens 3 par exemple, qui ne sont pas traités dans cette étude au demeurant excellente (on appréciera notamment la différence faite dans les Pastorales, entre 2 et 1 Timothée, dans cet ordre... nous avions lu des choses similaires entre-temps chez Cuvillier, je crois, cf. aussi supra Antier, 22.11.2022: il reste au moins une partie de la discipline qui n'est pas tout à fait enlisée dans la répétition).

C'est pourquoi (je m'aperçois qu'ici même je me répète aussi, cf. supra 29.11.2022) je préfère toujours écrire "Paul" entre guillemets (ou pinces à linge, comme disait Derrida), pour rappeler que le "sujet" d'un texte est toujours hypothétique (l'hupo-thesis n'est jamais loin du sub-jectum), et que sa métonymie se résume pas à une différence binaire entre "authentique" et "pseudépigraphe" (ou "inauthentique"): la numérotation des "Paul" (proto-, deutéro,- trito-, quarto-) est déjà un progrès, mais le "je(u)" du sujet paulinien me semble plus lisse, moins cloisonné (moins "strié" comme disait Deleuze); pour la même raison, je (?) pense, il ne se limite pas non plus à une dualité intérieur / extérieur (rien qu'en 2 Corinthiens, il y aurait une certaine tension entre "homme intérieur" et "hors du corps" !), chair / esprit, ancien / nouveau, etc.
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 3 Icon_minitimeJeu 25 Jan 2024, 15:38

"Ne formez pas avec les non-croyants un attelage disparate. En effet, quelle association peut-il y avoir entre la justice et le mal ? Quelle communion entre la lumière et les ténèbres ? Quel accord entre le Christ et Bélial ? Quelle part, pour le croyant, avec le non-croyant ? Quel contrat, pour le sanctuaire de Dieu, avec les idoles ? En effet, nous sommes, nous, le sanctuaire du Dieu vivant, ainsi que Dieu l'a dit : J'habiterai et je marcherai au milieu d'eux ; je serai leur Dieu, et eux, ils seront mon peuple. Aussi sortez du milieu d'eux et séparez-vous, dit le Seigneur ; ne touchez pas ce qui est impur, et moi, je vous accueillerai" (2 Co 6,14-17).

Je relis ce texte à travers le prisme de la polémique qui opposait Paul à ses adversaires, et je me demande, si les "incroyants" ("non-croyants") dont il est question ne concerne pas ses adversaires, qualifiés aussi (peut être) de fils des ténèbres, de Bélial et non pas les païens en général. Nous retrouvons en 2 Co 4,4 ; cette notion "d'incroyants" qui semble aussi viser les adversaires de Paul :

 "pour les gens sans foi dont l'intelligence a été aveuglée par le dieu de ce monde, de sorte qu'ils ne voient pas resplendir la bonne nouvelle de la gloire du Christ, qui est l'image de Dieu" (2 Co 4,4). 

Je trouve qu'il y a chez Paul une intention polémique évidente (avec un ton véritablement agressif), tout en lançant une invitation à la réconciliation.
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MessageSujet: Re: Ce que je retiens : de Paul   Ce que je retiens : de Paul - Page 3 Icon_minitimeJeu 25 Jan 2024, 15:49

Pour rappel, ce passage de style plus "qoumranien" que "paulinien" détonne à plus d'un titre dans le contexte, même si, comme tu le suggères, le ton polémique de l'ensemble a pu favoriser son introduction dans le bric-à-brac que constitue la "Seconde aux Corinthiens". Voir ici.

Il faut rappeler en outre que les "non-croyants" ou "incroyants" sont aussi bien des "infidèles" (le négatif ou privatif a-pistoi, comme l'affirmatif pistoi, "croyants" ou "fidèles", est à cet égard ambigu, selon que le substantif est pris au sens actif ou passif, celui qui croit ou qui est cru, crédible, fiable, fidèle, digne de foi ou de confiance), et que le sens probable de cette appellation varie en fonction du contexte (supposé): une traduction comme la NBS tend à rendre de façon cohérente les usages (présumés) "pauliniens", mais cette volonté de cohérence formelle peut être trompeuse quand les textes sont hétéroclites, le contexte apparent étant alors lui-même factice. D'autant que l'importance de la "foi" (pistis) varie aussi d'un contexte "paulinien" à l'autre: il ne faut pas présupposer pour la correspondance corinthienne, même supposée authentique, la doctrine ultérieure de Romains-Galates.

---

A propos de l'échange précédent, il me semblait avoir déjà vu cet article de Vouga, et en effet: c'était ici, 18.10.2019. ("A mesure que je deviens vieux je m'en aperçois mieux j'ai le cerveau qui flanche / Soyons sérieux disons le mot c'est même plus un cerveau c'est comme de la sauce blanche...")

Pour revenir au "sujet", à la fois le topic de ce fil général sur "Paul" et le subjectum, la première personne (je, moi) de "Paul" ou de n'importe qui (ce que "je" retiens), il me semble que le corpus (!) paulinien constitue un lieu idéal pour l'expérience ou l'épreuve de la question: c'est le "sujet" même du lecteur qui est mis en question, en problème, en paradoxe, en dialectique, en aporie, en crise, en panne, en dé-(con-)struction, en (dé-)négation, scindé, brisé, disloqué, démantelé, par tel texte en particulier et par les différences entre les textes. En revanche les réponses, ou les solutions variées qui se dessinent ici ou là (spirituelles, intérieures, extatiques, communautaires, mystiques, gnostiques, théologiques, ecclésiastiques, psychologiques) ne gagnent rien à être systématisées ou synthétisées (ce qui se fait toujours au profit de l'une et au détriment des autres, et même celle qui semble en profiter s'en trouve déformée); elles ne valent d'ailleurs sans doute jamais les questions (la réponse est le malheur de la question, eût dit Blanchot).
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