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 Messiasnismes

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Narkissos

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MessageSujet: Re: Messiasnismes   Messiasnismes - Page 5 Icon_minitimeJeu 02 Juin 2022, 17:00

Le seul rapport que je voie entre cette recension multiple et notre sujet, c'est (one more time) qu'il n'y a pas de "messianisme" (au sens strict, c.-à-d. eschatologique ET impliquant le vocabulaire de l'"onction") dans les textes de l'AT -- y compris Ezéchiel dont on vient de parler et dont la perspective n'est décidément pas "monarchique", sans même parler de messianisme.

Ce qui s'en rapprocherait le plus, ce serait encore le deutéro-Isaïe qui transfère l'idéologie royale et le titre de "oint" (mashiah au sens large et ordinaire, non "eschatologique" malgré le caractère insolite du transfert) à Cyrus (voir aussi plus bas § 65, sur Blenkinsopp), soit à un roi ou "empereur" qui n'est ni davidique, ni judéen ni israélite. Si merveilleuse que paraisse la restauration de Jérusalem et du temple aux Judéens de retour d'exil, et peut-être davantage encore à ceux qui n'en sont pas revenus (diaspora), ça ne fait pas de Cyrus le protagoniste d'une "fin du monde" -- au contraire, cette restauration-là n'a de sens que dans une histoire qui continue, et qui est alors envisagée de façon optimiste (ça se gâtera vite, comme en témoigne entre autres le "trito-Isaïe", 55--66). Du point de vue politique, le deutéro-Isaïe tendrait plutôt à consacrer l'empire et la dynastie perse (achéménide) à partir de Cyrus qu'à favoriser une quelconque restauration monarchique en Juda -- contrairement à ce qui semble se tramer autour de Zorobabel dans la situation originelle d'Aggée et du proto-Zacharie par exemple (cf. supra 13.1.2022 et ici), et qui n'est d'ailleurs pas non plus strictement "messianique" dans la mesure où il s'agit de politique historique et non d'eschatologie. Plus généralement, les passages "universalistes" (dans l'ensemble du livre d'Isaïe,  des Prophètes ou d'ailleurs) reflètent souvent une situation d'"empire" ou de vassalité apaisée (perse ou hellénistique, plutôt du côté égyptien et lagide que séleucide), où la Judée n'est menacée par aucun ennemi, proche ou lointain -- ce que réalisera aussi l'empire romain, du moins quand il n'est pas perçu comme oppressif.

C'est pourtant la religion perse (zoroastrisme) qui aura fourni au judaïsme la plupart des éléments de ses développements ultérieurs (dualisme, angélologie, eschatologie, y compris peut-être l'idée d'une figure ultime de la victoire de la lumière sur les ténèbres, comparable au "Messie"; cf. supra 12.3.2019 et ailleurs), mais pour ainsi dire en différé: cela ne ressort guère qu'à partir de la crise maccabéenne et dans certains milieux plutôt à l'écart du judaïsme officiel du temple (Qoumrân, "apocalyptique", etc.).

---

Sur les liens entre "histoire et eschatologie" (titre d'un fameuse série de conférences de Bultmann, en 1959) il y aurait beaucoup à dire, d'un point de vue plus "philosophique" (la relation entre Bultmann et Heidegger, qui étaient proches malgré beaucoup de divergences, notamment politiques, est plus complexe et moins unilatérale qu'on pourrait le croire, Bultmann ayant au moins autant "influencé" Heidegger dans un premier temps que Heidegger Bultmann ensuite; les deux développent dans des sens différents un certain "existentialisme" qui a quand même en commun une parenté kierkegaardienne). Toute situation "historique" est "eschatologique" en ce sens que chaque jour, chaque heure, chaque instant, est pour chacun (individu ou collectivité) le dernier (eskhaton) connu -- lapalissade: on connaît plus ou moins le "passé", pas du tout l'"avenir". Et il y a toujours au moins deux façons d'envisager l'avenir, soit comme un "futur" prévisible et calculable dans une certaine mesure à partir du présent et du passé, sur un mode sapiential, probabiliste ou statistique, soit justement comme l'"à venir", la "venue" ou l'"avènement" (cf. l'Ereignis-"événement-avenance" du "second" Heidegger) d'un "tout autre" qui arrive d'ailleurs ou de nulle part, qu'on ne peut en tout cas ni connaître ni maîtriser d'avance, qu'il s'agit donc d'attendre et d'accueillir ou non -- d'où l'importance extrême de la "décision" ou de la "résolution" dans cette perspective (là encore, échos différents de Kierkegaard chez Bultmann et Heidegger). A cet égard "histoire" et "eschatologie" sont profondément liées, dès lors qu'on ne considère plus l'"histoire" comme un livre déjà écrit ou un film déjà scénarisé, tourné, monté (et virtuellement le futur comme écrit ou filmé à l'avance à l'instar du passé; cf. p. ex. la jolie comédie américaine de René Clair, It Happened Tomorrow, "C'est arrivé demain"), mais comme un "événement" qui se décide et se joue à chaque pas, dans un "aujourd'hui" (hic et nunc, ici et maintenant) toujours aussi radicalement ouvert en dépit de tout ce qui le précède (Geschischte-Geschick, histoire-destin du Da-sein opposé à Historie chez Heidegger) -- ce qui est vrai de la moindre partie de pétanque comme d'une révolution ou d'une guerre mondiale. Cf. les développements du "dernier" Derrida (depuis les années 1980 surtout) sur l'hospitalité et l'hostilité (accueil ou rejet de l'étranger comme étranger), la messianité sans messie ni messianisme, etc.

Mais autant cette pensée de l'eschatologie peut ouvrir l'histoire à ce qui "vient" (et là on retrouve effectivement des thèmes "bibliques" et judéo-chrétiens, "messianiques" ou autres, p. ex. l'Elie de Malachie), autant une eschatologie déterminée comme celle des "apocalypses" judéo-chrétiennes tend à la refermer (si le "futur" est "écrit" au même titre que le "passé", si l'on sait déjà ce que l'on attend, on ne l'attend plus comme un autre, encore moins comme un tout-autre). D'une façon très différente, c'est aussi le cas du traitement johannique de l'eschatologie qui, quand il ne la supprime pas complètement, affirme une parfaite identité du "présent" (profond, originaire, intérieur, spirituel, gnostique) et de l'"à-venir" (cf. p. ex. 1 Jean 3,1ss; 4,17): nous n'attendons rien d'autre que ce(lui) qu'au fond nous sommes, parce que "nous" en provenons (et c'est aussi bien le fond de tout "monothéisme" et de toute pensée de l'"un").
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MessageSujet: Re: Messiasnismes   Messiasnismes - Page 5 Icon_minitimeMar 07 Juin 2022, 12:22

LECTURE NARRATIVE D'EZECHIEL 37,15-28
Notion biblique de réunification, de réconciliation et ses interpellations pour la situation actuelle au Vietnam

Le prince : responsable et médiateur de l'alliance

En ce qui concerne l'utilisation de vocables 'roi' et 'prince', il est important de signaler d'emblée que ces deux vocables sont employés pour désigner les règnes non-israélites. Dans le livre d'Ézéchiel, le vocable melek et ses dérivations sont employés trente-sept fois dont vingt-cinq références aux rois étrangers. Selon W. Zimmerli, le titre prince est un titre préféré d'Ezéchiel pour désigner le roi de Jérusalem. Chez Ezéchiel et son école, ce titre est employé pour parler du futur roi . Le fait qu'Ezéchiel désigne les rois Israélites par mëlàkîm suppose une attitude antimonarchique que les traducteurs de LXX expriment en donnant 'âp/cov comme équivalent de melek . Chose remarquable, le titre roi est utilisé là où la juxtaposition « nation » et « roi » se met en place (v. 22 et v. 24) . La troisième unité ne prend donc plus le titre de roi mentionné à la deuxième unité, mais elle utilise le titre de prince comme au 34,24. Aux chapitres 40-48, le titre de prince pour désigner le futur chef d'Israël est confirmé clairement. Mais quel est au juste le rôle qu'Ezéchiel a attribué au chef d'Israël ? Aux dires de W. Zimmerli, dans ses oracles, Ézéchiel a mélangé les différentes sources de la tradition. « Ainsi, nous croyons qu'il soit possible de trouver chez lui des éléments de la prophétie d'Amos, d'Osée, et spécialement de Jérémie. En conscience et avec l'acceptation des anciennes traditions, quelques éléments de ceux-ci sont eux-mêmes très hétérogènes, le prophète formule son propre message qui on est sans aucun doute déterminé par les facteurs très personnels » . Selon ces anciennes traditions, certains membres du peuple d'Israël sont très critiques envers la royauté antérieure car ils voient en elle une menace de la royauté de Yahvé, qui est la seule admissible. Cette royauté antérieure est considérée comme équivalent de "la rupture de l'alliance". En contraste avec les prophètes du royaume du Nord et en particulier avec le prophète Osée, nous trouvons en Ézéchiel un seul passage où Yahvé est désigné comme le chef d'Israël dans l'instruction de la description du nouvel exode (20,33). Le nouveau description se termine toujours avec la promesse du nouveau culte dans "la haute montagne d'Israël" (20,40). Au regard méprisant contre les princes pécheurs d'Israël (22,6.25), Ézéchiel considère que le salut du peuple d'Israël ne se réalise pas sans une confirmation divine pour la maison royale de David. C'est la raison pour laquelle, « Israël, peuple de l'Alliance, ne peut avoir à sa tête un "melek" semblable à celui de Babylone (19,9), identique à celui des "autres nations" (IS 8,5-20 ; cf. Éz 20,32 et 25,Cool, mais doit avoir un chef dont le statut exceptionnel manifestera la vocation de ce peuple : exceptionnelle ; Israël, peuple de l'Alliance, doit s'organiser, en tout temps, comme il l'a été en ces temps privilégiés où l'Alliance fut conclue ; c'était alors un peuple de frères, de tribus rassemblées autour du sanctuaire de Dieu, sous la simple surveillance du "responsable", du "médiateur" de l'Alliance, tel ce "nasi", ce prince que prévoyait déjà la vieille prescription du code mosaïque (Ex 22,27) ». Ainsi, en gardant cette prescription du code mosaïque dont le prince est responsable et médiateur que le peuple entre dans une perspective du salut comprise comme la réalisation de l'alliance.

"Tu ne maudiras pas Dieu, et tu ne prononceras pas de malédiction contre un prince de ton peuple" (Ex 22,27).
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MessageSujet: Re: Messiasnismes   Messiasnismes - Page 5 Icon_minitimeMar 07 Juin 2022, 14:14

Lien (de téléchargement).

Contrairement à Lacocque (supra 2.6.2022), l'auteur de ce mémoire ne commet pas la bévue élémentaire de lire "fils" ou "descendant de David" là où il est écrit "David".  Et ça change tout évidemment, quant à la nature du texte et de l'"à-venir" envisagé. Si je dis aujourd'hui que Louis XIV régnera (au futur) sur la France ou Charlemagne sur l'Europe, cet énoncé appelle une interprétation, de type "poétique" ou "fantastique" par exemple: il ne peut pas être pris pour une simple prédiction concernant la suite ordinaire de l'histoire, puisque c'est un personnage du passé que je fais revenir dans l'"avenir". Par contre, si je dis "un descendant de (Louis XIV ou Charlemagne)", c'est une prédiction ordinaire d'un futur possible, si improbable et/ou invérifiable soit-elle. Rien que par ça (qui n'est pas rien) le tableau idéal d'Ezéchiel échapperait à la perspective d'une prédiction futuriste et "réaliste" -- même si ce n'est pas encore une "eschatologie" au sens le plus strict (fin de l'histoire ou fin d'un âge-monde), on s'en rapproche.

En ce qui concerne les titres de "roi" (mlk-melekh) et de "prince" (nsy'-nasi'), cf. p. 11 note 23: il n'est pas du tout certain que le "roi" appartienne au texte "original", et de fait cela irait plutôt à contresens de la logique "antimonarchique" de l'ensemble, fort bien résumée dans ton extrait.

D'autre part, la "représentation" (royale, sacerdotale, démocratique aussi bien) est comme toujours à double tranchant: tant qu'on assimile le représentant au représenté, comme le descendant à l'ancêtre, qu'on les voit pour ainsi dire dans un droit alignement (une seule tête), la royauté de Yahvé (ou de David) fonde et conforte celle du roi régnant (comme aujourd'hui la "souveraineté du peuple" celle des "élus"): mais il suffit du moindre écart ou du moindre doute à ce sujet pour que le fondement bascule en abîme et que le rapport joue en sens inverse: la royauté du dieu devient opposable à celle du roi en exercice, celle de l'ancêtre à celle du descendant, le dieu ou l'ancêtre deviennent des recours ou des figures d'appel au moins symboliquement efficaces contre celui-ci.

D'autre part, je n'ai pas l'impression que le "prince" joue un rôle "médiateur" dans l'"alliance", ni au chapitre 34 ni au chapitre 37: les deux éléments (prince et alliance) sont juxtaposés dans les deux cas (doublet rédactionnel ?), mais l'alliance est toujours (directement) conclue avec un pluriel, "eux" = le peuple, sans médiation apparente.

A propos du titre de nasi' (= "prince"), il serait tout aussi intéressant de noter son usage dans le jugement de (= sur) Salomon en 1 Rois 11,34; en Ezéchiel même il s'applique aussi, au singulier ou au pluriel, aux rois de Juda "historiques" et condamnés, 7,27; 12,10.12; 19,1; 21,17.30; 22,6, et à d'autres, "rois" ou non, 26,16; 27,21; 30,13; 32,29; 38,2s; 39,1.18 -- avant son retour au singulier dans les chapitres (quasi eschatologiques) 44--48, comme vis-à-vis du temple et des prêtres sadocides.
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MessageSujet: Re: Messiasnismes   Messiasnismes - Page 5 Icon_minitimeJeu 16 Nov 2023, 12:48

Depuis quand existe-t-il un messianisme juif ?

III. Les débuts de l’attente messianique

Elie

Un texte aussi peu « messianique » que le livre I des Maccabées, vraisemblablement rédigé (en hébreu à l’origine) un peu avant l’an -100 nous montre que, vers cette époque, les Juifs de Judée vivaient dans l’attente. Lors de la purification du Temple reconquis sur les Séleucides (-164), Juda Maccabée aurait déposé les anciennes pierres de l’autel « en attendant que vînt un prophète qui donnerait une réponse à leur sujet » (I Mac. 4.46). Une vingtaine d’années plus tard, les Judéens donnèrent le pouvoir à son frère Simon et à ses descendants « jusqu’au moment où se lèverait un prophète digne de foi » (I Mac. 14.41). Qui était donc le prophète attendu ? Sans doute un nouvel Elie, un Elie redivivus. On devait espérer la réalisation de la prophétie de Malachie :

Voici que moi je vous envoie le prophète Elie avant que ne vienne le Jour du Seigneur, jour grand et redoutable. Il ramènera le cœur des pères vers les fils et le cœur des fils vers les pères.

Cette attente est bien perceptible au ier siècle et dans le Nouveau Testament. Lorsqu’apparaissait une figure charismatique, on lui demandait : « Es-tu Elie ? »

L’Élu de justice (I Hénoch)

Entre temps, l’idée avait surgi que le prophète Elie serait l’annonciateur d’un autre personnage qui présiderait au « Jour du Seigneur », compris comme Jugement dernier. La figure daniélique du Fils de l’homme, investi par l’Ancien des Jours lors du jugement des empires, avait été recueillie par une apocalypse, le livre d’Hénoch. Cet ouvrage, écrit en araméen, est sans doute composite : on peut penser que sa rédaction s’est étalée sur les deux siècles précédant l’ère chrétienne et a subi aussi quelques influences ultérieures. Sous sa forme la plus complète, il nous est parvenu en ghez, car il est devenu un livre sacré dans l’Église éthiopienne. Dans la section la plus récente, connue sous le nom de « Parabole d’Hénoch »6, le héros voit apparaître un personnage aux côtés d’un vieillard qui est une représentation anthropomorphique de Dieu. Hénoch interroge alors un ange : « Qu’est-il ? D’où vient-il ? Pourquoi accompagne-t-il le Principe des Jours ? », et il lui est répondu :

C’est le Fils d’homme auquel appartient la justice […]
Car c’est lui que le Seigneur des Esprits a élu.
(I Hénoch 46, 2-6)

Ce Fils d’homme n’est désormais plus une figure collective mais une figure individuelle préexistante au monde et gardée en réserve pour la fin des temps :

Avant que soient créés le soleil et les signes,
Avant que les astres du ciel soient faits.
Son nom a été prononcé devant le Seigneur des Esprits.
Il sera un bâton pour les justes […]
Il sera la lumière des nations […]
C’est pour cela qu’il est devenu l’Élu et celui qui a été caché par devant Lui, dès avant la création du monde et jusqu’à l’avènement du siècle.
(I Hénoch 48, 3-6)

Le Fils d’homme appelé aussi « L’Élu » ou « Le Juste » joue un rôle essentiel auprès de Dieu dans le Jugement dernier. C’est une figure quasi divine, un être angélique d’aspect humain, qui occupe un siège au ciel devant « le Principe des jours ». À deux reprises, il est également appelé « Messie » et c’est à lui qu’est promis l’empire universel.

V. L’attente du Messie au Ier siècle

33Entre temps une immense catastrophe s’était abattue sur les Juifs. Ceux de Judée s’étaient imprudemment soulevés contre une puissance romaine alors à son zénith. Leur révolte avait été écrasée, le Temple incendié, Jérusalem détruite. Deux apocalypses juives de la fin du ier siècle, connues sous le nom de II Baruch et IV Esdras, reflètent l’état d’esprit des survivants :

Heureux celui qui n’est point né
ou naquit pour mourir aussitôt
Mais malheur à nous les vivants
qui avons vu les douleurs de Sion
Et le sort de Jérusalem.
(II Bar. 10, 6-5)

Pourquoi suis-je né ? Pourquoi le ventre de ma mère n’a-t-il pas été mon tombeau ? Ainsi je n’aurais pas vu la peine de Jacob et l’épuisement d’Israël. (IV Esd. II, V, 35)

34Où était l’Alliance ? L’élection ? La justice divine ? La vie valait-elle la peine d’être vécue ? À ces questions angoissantes, toutes deux s’efforcent de trouver des réponses qui donnent encore quelque raison de vivre.

35Baruch et Esdras reçoivent en retour de leurs interrogations des révélations d’en haut. Le monde approche de sa fin, l’avènement de la rédemption est pour bientôt. Au désespoir répond la promesse, à l’impatience l’assurance que l’attente sera de brève durée, à l’insistance l’idée que le monde doit atteindre son point de maturation. L’histoire est divisée en grandes périodes, la catastrophe récente est elle-même le signe de la fin des temps.

La jeunesse du temps est passée, la vigueur de la création est consumée. Peu de choses manquent encore à l’avènement du temps pour qu’ils soient passés. La cruche est proche du puits, le navire du port. Le tracé de la route s’achève à la ville, et la vie approche de sa fin.
(II Bar. 85, 10)

36Il faut avoir atteint le fond du malheur pour mériter la rédemption. C’est alors que surgira le Rédempteur, le Messie. Il apparaît dans les deux textes sous forme de vision symbolique.

37En II Baruch 36-37, une immense forêt est submergée par une source, seul subsiste un cèdre altier qui passe en jugement devant une vigne. Le cèdre « survivant de la forêt du mal » représente le dernier chef de Rome qui réunit en elle toutes les formes d’immoralité, il est exécuté par le Messie « semblable à la source et à la vigne ». Ainsi Dieu, à travers son Messie, assurera le salut de la vigne, symbole biblique d’Israël, dont il est resté, malgré les apparences, le fidèle gardien.

38Pour représenter Rome, IV Esdras recourt à un tout autre symbole, celui de l’aigle, un aigle monstrueux à trois têtes et six couples d’ailes. Un lion le défie et annonce que la terre sera bientôt libérée de sa domination inique. Ce lion (le lion de Juda) n’est autre que « le Messie que le Très Haut a réservé pour la fin des temps » (IV Esd. V, XII, 32), celui que Dieu appelle « mon fils » (IV Esd. VII, 28). Le Messie joue ici aussi un rôle de juge : le corps de l’aigle condamné brûle de même que le grand cèdre est livré aux flammes. Dans cette fonction il est l’héritier du Fils d’homme de Daniel et de l’Élu de justice d’Hénoch.

https://journals.openedition.org/bcrfj/177
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MessageSujet: Re: Messiasnismes   Messiasnismes - Page 5 Icon_minitimeJeu 16 Nov 2023, 13:35

Sur cet excellent article, voir supra 19.1.2022. Et, sur "le Fils de l'homme", ce dont on parlait ce matin même à propos de Daniel: quant à l'identification du visionnaire, Hénoch en l'occurrence, à la figure du Fils de l'homme eschatologique, cf. 1 Hénoch 71,11ss (cité aussi dans la note 6 de Hadas-Lebel):
Citation :
Je tombai sur ma face, et tout mon corps fondit, et mon âme fut changée, et je criai à haute voix d’un souffle puissant, et je bénis, et je louai, et j’exaltai (le Seigneur). 12. Et ces bénédictions qui sortirent de ma bouche furent (trouvées) agréables devant cette Tête des jours [cf. l'Ancien des jours de Daniel 7]. 13. Et cette Tête des jours vint avec Michaël et Gabriel, Raphaël et Phanuel, et des milliers et des myriades d’anges innombrables. 14. Et elle vint à moi, et elle me salua de la voix et me dit : « Toi, tu es le fils de l’homme qui a été engendré pour la justice, et la justice demeure sur toi, et la justice de la Tête des jours ne t’abandonnera pas. »

Mais c'est au fond le même schéma que pour Elie, Moïse, Melchisédeq, ou même l'Adam premier / dernier: tout nom ou personnage de l'histoire (sainte) peut en principe "revenir" dans la figure ultime, qui n'est pas nécessairement multiple pour autant. (Cela vaudrait d'ailleurs aussi bien pour Josué-Jésus, soit le successeur de Moïse qui réalise les promesses, soit le grand prêtre de la restauration -- ce dernier étant a priori le seul à être "oint", mashiah-khristos, en dehors des rois, exemplairement David).

Un autre intérêt de l'extrait que tu cites aujourd'hui, c'est de souligner que l'"eschatologie" est paradoxalement le résultat d'un certain désespoir historique: c'est quand on ne croit plus à "l'avenir" ordinaire, prévisible, calculable, envisageable, ou qu'on ne le désire plus, qu'on veut la "fin" -- qui ne peut pourtant s'exprimer que comme un "avenir extra-ordinaire"...

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MessageSujet: Re: Messiasnismes   Messiasnismes - Page 5 Icon_minitimeLun 04 Déc 2023, 14:19

6. Le messianisme dans Jérémie, Isaïe et Daniel

Le messie pacifique deviendra peu à peu le serviteur de Yahvé, le serviteur souffrant (Is 52-53). On trouve dans les écrits du Deuxième Isaïe le livret messianique davidique. L'Esprit de Dieu sera sur le serviteur pour une alliance avec le peuple et les paroles demeureront de génération en génération. 

Ainsi le concept d'un messie souffrant sera développé par Isaïe. Pourtant, dans le judaïsme, on ne parle pas de souffrances du messie mais bien de douleurs prémessianiques. Le règne du messie est glorieux. Le messie libère de la souffrance. Comment concilier l'image d'un roi glorieux avec celle d'un homme accablé par la souffrance? «Au premier abord l'antithèse est absolue: le Messie viendra pour régner avec éclat, non pour souffrir ». Donc l'idée du messie souffrant n'est pas très populaire dans le judaïsme. Certes, pour certains maîtres, il fallait que le messie ait souffert. Cependant, il n'y a pas de tradition ferme sur les douleurs du messie et on ne parle jamais de mort expiatrice du messie, fils de David. Effectivement, le messie fils de David ne semble pas faire face à la mort; c'est le messie fils de Joseph qui doit mourir comme n'importe quel humain43 •

Le portrait du Serviteur résulte du groupement de quatre textes: Is 42, 1-4; 49, 1-6; 50, 4-9; 52, 13-53, 12. Dans le second texte (Is 49, 1-9a), le Serviteur y est explicitement identifié à Israël (v.3) et les traits nationalistes du message qui suit sont renforcés44• Dans Is 55 la perspective collective prédomine nettement: «Prêtez l'oreille et venez à moi, écoutez et que vive votre être. Je conclurai avec vous une alliance éternelle faite de grâces promises à David. Voici que je fais de toi un témoin pour les peuples, un chef et un maître pour les nations.» (vv.3-4). L'interprétation collective de certains textes a ouvert la porte à l'espérance messianique collective. Les nombreux textes traitant du serviteur souffrant peuvent être rapportés au messie comme des prédictions touchant la destinée du peuple juif en général (ainsi le fameux chapitre 53 d'Isaïe sur le Serviteur souffrant). Cette interprétation que Yahvé sollicite l'ensemble du peuple, a fait partie de l'expérience religieuse d'Israël, sous divers modes et à diverses époques45. C'est une croyance qui aurait pu faire l'objet de mouvements messianiques pour certains groupes. 

https://core.ac.uk/download/pdf/51238295.pdf
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MessageSujet: Re: Messiasnismes   Messiasnismes - Page 5 Icon_minitimeLun 04 Déc 2023, 15:35

Ce mémoire récite ici Lagrange (1909: voir les notes)... Le seul "messie" = "oint" du deutéro-Isaïe s'appelle Cyrus (chap. 45), la seule autre référence à une "onction" dans le livre d'Isaïe étant dans la troisième partie (trito-Isaïe, 61,1); quant à David, il n'est mentionné qu'une fois dans le deutéro-, en 55,3, dans le sens extrêmement général de la fidélité à l'alliance, sans rien qui suggère un accomplissement individuel, ni dans un "retour de David" comme dans Ezéchiel, ni dans un "fils de David" comme dans certains passages de Jérémie. Rien n'indique par ailleurs que dans le deutéro-Isaïe les "chants du serviteur" aient la même origine ni la même visée (souvent les traits collectifs dominent, Israël, Jacob, etc., mais en 52--53 ce n'est justement pas le cas, tout suggère une référence à un personnage individuel et passé). Que tous ces textes qui n'avaient au départ aucun rapport contribuent, au tournant de l'ère "chrétienne" et dans plusieurs milieux juifs et/ou proto-chrétiens, à la constitution d'une figure eschatologique dominante et que celle-ci vienne à être désignée prioritairement par le mot mashiah ou khristos, sans distinction entre les sens originels des textes invoqués, cela ne fait toutefois guère de doute. Mais il faut choisir, au moins provisoirement, (à) quel jeu on joue, soit celui de l'exégèse qui s'attache à ce que les textes disent en respectant leurs différences, soit celui de la croyance qui gomme les différences en tâchant d'oublier qu'elle les a elle-même gommées...
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