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 ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent

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Narkissos

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MessageSujet: ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent   ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent Icon_minitimeSam 03 Juin 2017, 23:17

Citation :
Car la parole de la croix est sottise pour ceux qui se perdent (ou: ceux qui sont en train d'être perdus), mais pour nous qui nous sauvons (ou: qui sommes en train d'être sauvés; variante: pour ceux qui se sauvent / sont en train d'être sauvés) elle est puissance de dieu. (1 Corinthiens 1,18).

Grâce au dieu qui toujours nous mène en triomphe dans le christ et manifeste en tout lieu, par nous, le parfum de sa connaissance; car nous sommes une bonne odeur de christ pour le dieu en ceux qui se sauvent et en ceux qui se perdent (idem); pour ceux-ci parfum de mort pour la mort, pour ceux-là parfum de vie pour la vie... (2 Corinthiens 2,14s).

Il y aurait beaucoup à dire sur ces deux textes pauliniens (en particulier, dans le second, sur l'image du triomphe romain avec ses vainqueurs et ses vaincus, et ses encens qui changent de sens, sinon d'odeur, selon le point de vue ou plutôt d'olfaction des uns et des autres); je voudrais surtout attirer ici l'attention sur l'antithèse qui leur est commune, entre "ceux qui se sauvent" et "ceux qui se perdent" (hoi sôzomenoi / hoi apollumenoi).

Comme on le voit, la traduction hésite à cause de la "voix" dite "moyenne-passive" du participe grec substantivé, entre un actif pronominal a priori réfléchi (ceux qui se sauvent / se perdent) et un passif (ceux qui sont en train d'être sauvés / d'être perdus); il n'y a en revanche aucune hésitation sur le temps et l'"aspect" du verbe, présent "progressif" d'une action en cours, commencée et non achevée, ni simplement passée ni simplement future, ni acquise une fois pour toutes ni totalement indéterminée, ni certaine ni incertaine: le "salut" et la "perdition" sont des processus (d'où "en train de"; en anglais those who are being saved / lost) -- opposés, symétriques, mais semblables par cela même. Cet aspect "dynamique" est encore renforcé par les tours typiquement pauliniens "de la vie à la vie", "de la mort à la mort", cf. ailleurs "de foi en foi" ou "de gloire en gloire".

Il faut aussi remarquer la place du "nous" entre ces deux processus. Dans le premier passage, là où il y a un "nous" (tous les manuscrits n'en ont pas: autre hésitation, textuelle celle-là), il est du seul côté du "salut"; dans le second, il n'est ni d'un côté ni de l'autre: "nous", comme souvent dans 2 Corinthiens (depuis 1,3ss), n'englobe pas les destinataires de l'épître ("nous" ce n'est pas "nous et vous", il y a un "vous" bien distinct de ce "nous"); "nous", ce sont "les apôtres" au sens paulinien (1 Corinthiens 4,9 etc.), non pas les Douze (surtout pas, peut-être: cf. 2 Corinthiens 11,5.13; 12,11) mais la "bande à Paul" si j'ose dire, ceux qui annoncent l'évangile paulinien aux non-juifs avec tous les aléas qui s'ensuivent -- et le tableau n'est pas glorieux, il insiste au contraire sur la souffrance et les humiliations qui prolongent la "croix" du Christ et son ambiguïté fondamentale, ambiguïté qui s'avère paradoxalement décisive. Les souffrances de "nous" emmenés en triomphe, autant vaincus que vainqueurs (cf. Colossiens 2,15 où ce sont les "puissances" du monde qui sont emmenées en triomphe), comme la croix elle-même sottise et sagesse, faiblesse et puissance, ont un effet critique ou discriminatoire, déterminant deux effets contraires chez deux "types" de personnes qui se différencieraient par cela même, "ceux qui se sauvent" et "ceux qui se perdent" -- on retrouvera ces deux catégories séparées ailleurs, la première en 1 Corinthiens 15,2, la seconde en 2 Corinthiens 4,3 et 2 Thessaloniciens 2,10.

Pour une réflexion sur l'idée paulinienne du "salut" et de la "perdition" c'est déjà, me semble-t-il, un bon point de départ. Utile pour comprendre l'évolution ultérieure de la "sotériologie" (doctrine du salut) paulinienne, toujours "dialectique", discriminante et dynamique, même lorsqu'elle s'exprime avec d'autres mots ou concepts (p. ex. "la chair" et "l'esprit", notamment dans l'épître aux Romains, où le mystère de la décision n'opère plus seulement entre deux "catégories de personnes", mais en chaque "individu").

D'un point de vue "doctrinal" ou "dogmatique" qui veut des réponses claires et définitives (c.-à-d. univoques et non plus ambiguës, statiques et non plus dynamiques) à des questions générales, cette pensée aboutit logiquement, fatalement, à un "dualisme" eschatologique: au jugement dernier il y aura, il y aura eu, des "sauvés" et des "perdus", des "élus" et des "réprouvés". Mais précisément la pensée paulinienne se tient en-deçà de cet éventuel "résultat": ce qui l'intéresse, c'est le processus même tant qu'il se joue et en tant qu'il se joue; et, en-deçà même de ses effets immédiats (la discrimination d'un se-sauver et d'un se-perdre), l'ambiguïté discriminante de la croix et d'un apostolat compris comme participation à la croix (c'est là, dans l'ambiguïté même de la croix et non "du bon côté", que le "nous" apostolique se situe). Ce qui se retrouvera plus tard chez les "saints" et les "mystiques", pour qui l'union au Christ signifie tout autre chose qu'"être (finalement) sauvé" plutôt que "perdu", et rend à vrai dire ce "résultat" parfaitement indifférent.
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MessageSujet: Re: ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent   ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent Icon_minitimeMer 07 Juin 2017, 16:49

Citation :
Comme on le voit, la traduction hésite à cause de la "voix" dite "moyenne-passive" du participe grec substantivé, entre un actif pronominal a priori réfléchi (ceux qui se sauvent / se perdent) et un passif (ceux qui sont en train d'être sauvés / d'être perdus); il n'y a en revanche aucune hésitation sur le temps et l'"aspect" du verbe, présent "progressif" d'une action en cours, commencée et non achevée, ni simplement passée ni simplement future, ni acquise une fois pour toutes ni totalement indéterminée, ni certaine ni incertaine: le "salut" et la "perdition" sont des processus (d'où "en train de"; en anglais those who are being saved / lost) -- opposés, symétriques, mais semblables par cela même. Cet aspect "dynamique" est encore renforcé par les tours typiquement pauliniens "de la vie à la vie", "de la mort à la mort", cf. ailleurs "de foi en foi" ou "de gloire en gloire".

Merci Narkissos pour cette analyse interessante et "pointue".

"Grâce soit rendue à Dieu, qui nous entraîne toujours dans son triomphe, dans le Christ, et qui, par nous, répand en tout lieu l'odeur de sa connaissance !

Nous sommes en effet, pour Dieu, le parfum du Christ parmi ceux qui sont sur la voie du salut comme parmi ceux qui vont à leur perte : pour les uns, une odeur de mort, qui mène à la mort ; pour les autres, une odeur de vie, qui mène à la vie." 2 Cor 2, 14-16

Je ne sais pas si ce texte à un rapport direct avec ton propos, mais il me semble que ce texte nous présente le salut et la perdition comme un processus ("vont", mène") avec l'idée interessante que "le parfum du Christ" (= "nous") correspond poue ceux qui vont à la perdition à "une odeur de mort" et pour ceux qui sont sur la voie du salut, "une odeur de vie".
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MessageSujet: Re: ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent   ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent Icon_minitimeJeu 08 Juin 2017, 00:04

Ce texte a un rapport on ne peut plus direct à mon propos, puisque c'est justement l'un de ceux que je présente -- dans une traduction un peu plus "serrée" il est vrai. Mais la traduction plus "libre" (et aussi plus lisible) que tu cites rend bien l'aspect dynamique des diverses formules (d'ailleurs ça serait la NBS que ça ne m'étonnerait pas !)... ;)

---

En tout cas, sur l'idée d'une "économie" de la perdition et du salut (voire de la perte et du gain) dans laquelle les "apôtres" ne se situent pas simplement "du bon côté", c.-à-d. du côté des "bénéficiaires", mais au moins autant du côté des "payeurs", de ceux qui en font les frais, on peut relire 1 Corinthiens 4,8ss; 2 Corinthiens 1,3ss; 4,7ss (notamment v. 10-12: la mort en nous / la vie en vous); 6,3ss; 11,21ss; 12,7ss (etc.).
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MessageSujet: Re: ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent   ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent Icon_minitimeSam 27 Avr 2024, 10:42

La force dans la faiblesse
Étude dans la seconde
aux Corinthiens1

a. Le « vaincu » du Christ (2.14)

Un peu plus loin, au chapitre 2, verset 14, Paul se compare à un vaincu du Christ. L’expression a fait couler beaucoup d’encre, car on a cherché à écarter l’idée d’un Paul qui se décrit comme vaincu. C’est ainsi que la version Segond opte pour le sens factitif « faire triompher » : « que Dieu soit remercié, lui qui nous fait toujours triompher en Christ »14. L’expression fait pourtant référence à une pratique romaine où le général victorieux défilait à Rome lors d’une célébration triomphale avec les vaincus captifs derrière lui. Ce cortège triomphal était donc composé des vaincus devenus esclaves. Peter Jones note que « bien qu’étrange à première vue, cette interprétation cadre bien avec ce que dit Paul, ailleurs dans l’épître, de son apostolat »15. Dans ce verset, Paul s’applique à lui-même l’image d’un esclave vaincu par Jésus-Christ et conduit à la mort pour révéler la gloire de celui qui a triomphé de lui16. Nous préférons donc la traduction de la NBS, « grâce soit rendue à Dieu qui nous entraîne toujours plus dans son triomphe, dans le Christ », ou encore celle de la Semeur, « il [Dieu] nous associe toujours au cortège triomphal du Christ ». Cette interprétation correspond mieux d’une part au message central de l’épître, la force dans la faiblesse, d’autre part à l’usage courant de l’image dans le monde gréco-romain, et enfin à l’usage que fait Paul de cette expression ailleurs, comme en Colossiens 2.15, où l’apôtre parle des principautés que Christ livre publiquement en spectacle en les entraînant dans son triomphe. Paul n’est donc pas en train de dire qu’il participe au triomphe du Christ, mais plutôt de suggérer qu’il a été vaincu par lui, et qu’il est donc devenu son esclave. En s’identifiant ainsi aux vaincus du Christ, Paul fait référence à son passé, dont il aurait pu être fier et dans lequel il aurait pu se confier, mais qu’il considère à présent comme une perte, comme il le confie aux Philippiens :

Et pourtant, je pourrais, moi aussi, placer ma confiance dans ce qui vient de l’homme. Si quelqu’un croit pouvoir se confier en ce qui vient de l’homme, je le puis bien davantage : j’ai été circoncis le huitième jour, je suis Israélite de naissance, de la tribu de Benjamin, de pur sang hébreu. Pour ce qui concerne le respect de la Loi, je faisais partie des pharisiens. Quant à mon zèle, il m’a conduit à persécuter l’Église. Face aux exigences de la Loi, j’étais sans reproche. Toutes ces choses constituaient, à mes yeux, un gain, mais à cause du Christ, je les considère désormais comme une perte. Je vais même plus loin : tout ce en quoi je pourrais me confier, je le considère comme une perte à cause de ce bien suprême : la connaissance de Jésus-Christ mon Seigneur. A cause de lui, j’ai accepté de perdre tout cela, oui, je le considère comme bon à être mis au rebut, afin de gagner le Christ. (Ph 3.4-Cool

Christ a triomphé de lui, de son vieil homme, de sa propre justice, de son passé, de sorte qu’il se considère désormais comme le serviteur du Christ. C’est dans cette dépendance au Christ que Paul puise la force de son ministère et non dans ses capacités propres. Par cette image forte, Paul s’oppose ainsi aux « super-apôtres » qui se présentent comme triomphateurs (10.12, 18 ; 11.5).

Nous aussi, nous faisons partie de ce cortège, dans la mesure où le Christ est notre Seigneur et Sauveur. Cette image s’applique donc aussi à nous et devrait nous libérer de tout triomphalisme, surtout dans l’exercice du ministère. Elle nous rappelle que la victoire sur notre vieil homme passe par la croix qui nous arrache au mal, et que c’est dans cette attitude d’humilité, de dépendance, d’appartenance au Christ que se vit la dimension triomphale du royaume de Dieu.

https://larevuereformee.net/articlerr/n280/la-force-dans-la-faiblesse-etude-dans-la-seconde-aux-corinthiens
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MessageSujet: Re: ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent   ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent Icon_minitimeSam 27 Avr 2024, 11:38

Voir aussi ici (sur les "vases": le même article est cité 27.3.2023), et là (sur ce passage de 2 Corinthiens, plus spécifiquement et plus largement). Sans surprise, les présupposés "évangéliques" conduisent à sous-estimer les disparités littéraires internes d'une "épître" qui rassemble à l'évidence des "morceaux" très divers, et à consolider en revanche une image cohérente, mais artificielle, de l'"auteur", des "destinataires" et des "adversaires", fût-elle faite de bric et de broc...

Ce que j'essayais de souligner dans ce fil-ci, je m'en aperçois rétrospectivement, c'est déjà l'"aspect du temps" (des verbes, pour commencer, au participe présent substantivé) --  on pourrait aussi bien écrire du tant, weil -- dont nous avons beaucoup parlé depuis: im-parfait, in-accompli, in-fini, en cours, in progress, en voie, en route, en chemin (cf. Machado). Autant la "perte" ou la "perdition" (défaite, débâcle, chute, déchéance, déclin, décadence, etc.) que le "salut" ou la "gloire" (triomphe, règne, résurrection, élévation, ascension, etc.), la mort et la vie mêmes, sont des "procès" ou des "processus" qui non seulement sont synchrones, contemporains ou simultanés (en même temps, non pas instantanés mais dans la même durée), mais se superposent ou se conjuguent en leur temps et tant qu'ils durent dans une interdépendance, une "économie" qui traverse, transit et détermine autant une communauté (les uns pour les autres, nous pour vous) que des "individus" moins "indivis" qu'on pourrait le croire (p. ex. l'homme intérieur / l'extérieur, ailleurs l'esprit / la chair ou l'ancien / le nouveau). Tantôt les uns se perdent pour que les autres se sauvent, tantôt ceci en moi-nous se sauve tandis que cela se perd.

Sur les différentes façons d'envisager ces dualités, voir ici.
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MessageSujet: Re: ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent   ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent Icon_minitimeLun 29 Avr 2024, 12:55

«Entre ma mort et votre mort, l’odeur du Christ» (2 Co 2,16)
Jacqueline Assael

II. EXAMEN CRITIQUE DES INTERPRÉTATIONS TRADITIONNELLES

Le «parfum du Christ» et la portée de sa diffusion

Le terme grec eûwdía, traduit par «parfum», est indiscutablement connoté positivement puisqu’il comporte le préfixe eû- qui indique le bien. Cette senteur bienfaisante et agréable du Christ est puissante, dans le raisonnement de Paul, auprès de toutes les catégories d’humains entendant l’Évangile: ceux qui sont déjà vivants, éveillés à la voix de Dieu, et ceux qui ne le sont pas (cf. v. 14). La classification opposant, au verset 15, «ceux qui sont sauvés» et «ceux qui sont perdus» ne les distingue pas sous le rapport des effets produits sur les uns et sur les autres par cette parole. Autrement, le rapport causal ne se justifierait pas entre le verset 14, où Paul proclame l’influence unanimement bénéfique de sa prédication, et le verset 15; l’enjeu serait même complètement trahi. Par ailleurs, si les deux camps, celui des convertis et celui des «perdus» ne sont pas atteints par le même influx du message évangélique, les versets 15 et 16 entrent aussi en discordance avec le passage qui les suit immédiatement, dans lequel l’apôtre déclare ne pas «faire de la vente au détail» avec la parole de Dieu, mais la prononcer avec une valeur «absolue». Le parfum du Christ n’est donc pas défini par son ambivalence.

Les affirmations de Paul sont radicales, car l’apôtre place son raisonnement sur le plan pneumatique des valeurs spirituelles. C’est pourquoi les analogies établies avec des phénomènes appartenant à l’ordre de la sensation physique, sômatique, n’ont pas de pertinence. Ainsi, Jean Chrysostome ou Théodoret de Cyr tentent pour leur part de justifier une bipolarisation du texte en remarquant par exemple que certains parfums jugés comme envoûtants attirent certains animaux, mais écartent toutefois certaines espèces qui les détestent. Thomas d’Aquin relativise lui aussi, à sa manière, les effets de ce parfum évangélique en se situant sur le plan des différences psychologiques entre les humains, qui produisent, de manière plus ou moins aléatoire, des réactions moralement bonnes ou mauvaises. Dans ce registre de pensée, il explique donc que l’excellence de la prédication apostolique peut susciter chez certains des relents d’envie ou de jalousie. Mais Paul évoque le souffle du Christ, duquel il se sent animé. Dans les prémisses de son action de grâce, au verset 14, il indique bien que, de son point de vue, cette «senteur», qui ne s’adresse pas aux sentiments nés du psychisme humain, est capable de s’imposer à l’esprit de tous, de manière irrésistible.

Ce principe fondamental disqualifie aussi d’autres types d’interprétation proposés actuellement. Par exemple, W. Barclay comprend que Paul distingue des vainqueurs et des vaincus dans sa démarche combattante, car il discerne à travers son style la suggestion métaphorique d’un cortège «triomphal», tel qu’il se forme à la mode romaine, après une guerre: «Pour ceux qui l’accepteront, il s’agit du parfum de la vie, comme cela l’était pour les vainqueurs. Pour ceux qui le refusent, il s’agit du parfum de la mort, comme cela l’était pour les vaincus». Mais cette vision politique excluant une part de l’humanité ne peut pas correspondre aux critères de l’apôtre, qui conçoit sa mission comme universelle.

Sous un autre angle, P. W. Barnett attribue un parfum contrasté et une influence évangélisatrice limitée à la prédication paulinienne parce que, selon lui, comme tout ce qui relève de l’humain, elle comporte en elle une part de bien et une part dévoyée: «L’apôtre bute sur la condition humaine, ‘parmi ceux qui sont sauvés et ceux qui périssent’». Mais cette hypothèse ne tient pas compte de la spécificité théologique du raisonnement et de la définition sans ambiguïté que Paul donne de ce parfum en l’identifiant, avec une valeur absolue, comme celui du Christ, et non pas comme une odeur qui viendrait de lui. Il ne saurait donc y avoir de corruption ni de faiblesse dans cette émanation divine.

En conséquence, dans l’enchaînement des versets 15 et 16, l’expression «de la vie à la vie» n’est pas seule à dessiner un cadre dans lequel est censé se répandre le «parfum du Christ», mais il en est de même pour la formule antiphrastique «une odeur de la mort à la mort», ce qui paraît évidemment beaucoup plus déconcertant. Donc, dans ces deux espaces, entre mort et mort, entre vie et vie, puisque cette senteur témoigne de la présence de Dieu, elle ne doit exhaler aucun relent nauséabond.

L’idée de «mort»

Cette condition implique que le parfum dont il est question ne se confond ni avec le point d’où il émane, ni avec le point où il parvient. Car dans la logique de cette épître, l’odeur du Christ ne peut en aucune manière diffuser les effluves de la mort. En effet, Paul exprime un principe très simple, là encore absolu:  «le souffle (de Dieu) vivifie» (3,6). Cette affirmation s’inscrit d’ailleurs dans un passage polémique où Paul oppose «la diaconie de la mort», (3,6-11), qu’il rapporte à la prédication juive proclamant la Loi, prononçant des jugements et «distinguant» donc entre les hommes (3,9), et «la diaconie du souffle», qui «justifie» (3,9). De ce point de vue, l’odeur du Christ ne peut donc pas parvenir et s’arrêter à la mort. Dans ce cas, le rapport des deux expressions locatives (êk – eîv) définit seulement le parcours de cette émanation, et non pas sa substance ou sa nature. La traduction de M. Thrall ne se réfugie pas dans l’ambiguïté; elle propose une interprétation de ces compléments de lieu particulièrement nette et précise20:

(...)

Mais d’après cette version du texte, la mort constitue le point d’aboutissement, le «résultat» des exhalaisons de la parole du Christ. La conséquence est fâcheuse et elle entre en contradiction avec la fierté apostolique de Paul.

Il faut donc imaginer l’intervalle dans lequel s’exhale le parfum du Christ en ouvrant la perspective de l’espace ainsi délimité. C’est-à-dire que dans l’expression «de la mort à la mort», la préposition eîv ne peut en aucun cas désigner un but, une destination finale, mais un état transitoire. Quant au rapport êk – eîv, il évoque d’une part le point d’origine de la parole et de l’odeur du Christ, d’autre part le point auquel elles accèdent, et aussi un mouvement de l’un vers l’autre. Cette dernière indication incite à imaginer que la «mort» dont il est question concerne non pas seulement ceux qui, «perdus», écoutent la prédication de Paul, mais aussi la source émettrice (êk) du message, autrement dit l’apôtre lui-même. Et dans cette relation, de la mort de Paul à la mort de ceux qui sont perdus, les effets de l’odeur du Christ interviennent, indépendamment de toute mort, avec la puissance spirituelle de sa vie divine :

«Nous sommes le parfum du Christ […], une odeur qui émane de (notre) mort et qui vous atteint jusque dans (votre) mort.»

https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_2013_num_44_2_4123#:~:text=2%2C14%20Gr%C3%A2ce%20soit%20rendue,parmi%20ceux%20qui%20sont%20perdus.


Dernière édition par free le Lun 29 Avr 2024, 14:31, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent   ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent Icon_minitimeLun 29 Avr 2024, 13:42

Nous avons souvent eu l'occasion d'apprécier Jacqueline Assaël dans des collaborations avec Elian Cuvillier, cette étude "monographique" est tout aussi stimulante. Elle passe sans doute complètement à côté de l'"aspect progressif" des participes présents qui faisait initialement l'objet de ce fil -- non pas "ceux qui sont sauvés" et "ceux qui sont perdus", mais "ceux qui se sauvent" et "ceux qui se perdent", ou "ceux qui sont en train d'être sauvés / perdus", selon qu'on incline vers le versant "moyen" (correspondant approximativement à notre pronominal réfléchi ou réciproque) ou "passif" du "moyen-passif": relire éventuellement le post initial. Mais à mon sens elle a tout à fait raison d'inclure le groupe "nous" (les "apôtres" au sens paulinien, pas seulement "moi, Paul") dans la trajectoire "de la mort à la mort" ou "de mort en mort". Autrement dit, ce ne sont pas (seulement) "les incroyants" contre "les croyants", mais bien aussi une "économie" interne à la communauté, quoique ouverte sur l'extérieur (avec ce paradoxe que le plus "central", les "apôtres", correspond au plus "extérieur", les "non-croyants" -- comme dans Galates le Christ-bénédiction au maudit). Je pense que sa "traduction" finale en fait trop par rapport à l'ambiguïté du texte pour être une véritable "traduction", mais c'en est une interprétation ou explicitation plausible, du moins sous ce rapport...

Accessoirement, je n'adhère pas (non plus) à son explication d'eilikrinia, terme qui n'implique aucune connotation de totalité ou d'intégrité, par opposition au "détail" (on pourrait dire aujourd'hui dealer de la parole de Dieu, au sens de détaillant): le mot signifie plutôt étymologiquement transparent ou limpide, à la lettre ce qui est jugé par (ou à) la lumière du soleil (ce qui justifierait, par contraste, la connotation d'altération associée au "trafic" du "détaillant").

Je me disais, marginalement, que la formule fameuse (et apocryphe) attribuée à Lavoisier, "rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme", pourrait être renversée ou subvertie en "tout se perd, tout se crée, tout se garde, tout se sauve, tout se transforme ou se transfigure"; ou "tout change et rien ne change", comme dirait aussi bien Qohéleth que le Guépard ou Gattopardo de Visconti (ou de Lampedusa).
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MessageSujet: Re: ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent   ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent Icon_minitimeMar 30 Avr 2024, 12:56

Odeur de mort, Odeur de vie (à propos de 2 Cor. 2, 16)
Maurice Carrez

4°) Quel rôle jouent les deux participes présents : « ceux qui se sauvent » et « ceux qui se perdent » ?

Sôizomenois et apollumenois sont deux participes présents ; ils indiquent que le salut et la perdition sont des processus en cours et non des situations acquises. Il ne faut donc pas les traduire par perdus et sauvés.

Souvent 1 Co 1, 18, où ces deux participes se retrouvent associés, est cité comme texte présentant de fortes analogies avec 2, 15. On y lit en effet : «La prédication de la croix est une folie pour ceux qui se perdent, mais pour nous qui sommes en train d'être sauvés, elle est une puissance de Dieu. » Dans ce texte se perdre est lié à folie ; être sauvé est lié à puissance de Dieu. Faut-il en déduire que ce qui est vrai d'l Co 1, 18 l'est aussi de 2 Co 2, 15 ? Nous ne le pensons pas. En 1 Co 1, 1 les deux propositions ont chacune une signification opposée : se perdre marche avec folie ; être sauvé va avec puissance de Dieu. Ici en 2, 15 «De fait nous sommes pour Dieu la bonne odeur du Christ pour ceux qui sont sur la voie du salut et pour ceux qui sont sur la voie de la perdition » les deux participes sont présentés dans un parallélisme strict et tous deux sont compléments d'application de «bonne odeur ».

Pour Paul, le salut se voit à l'œuvre, dans sa réalisation en cours. Il évoque la présence de forces hostiles, opposées à Dieu, dont l'homme peut être arraché. Si Taction de la bonne odeur du Christ qui est celle que déploie l'apôtre, exprime l'expérience de la personne agissante du Christ parmi ceux qui en sont l'objet, à ce titre «parmi ceux qui sont sur la voie du salut » correspond tout à fait à sa destination.

Mais c'est aussi le cas pour «ceux qui sont sur la voie de la perdition ». Luc, disciple de Paul, a conservé l'arrière-plan palestinien de la notion dans Le 19, 9-10 : «Le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu (au parfait). » A plus forte raison, l'Évangile, l'action apostolique peuvent-ils atteindre ceux qui n'en sont pas au résultat, mais marchent seulement sur la voie de la perdition.

La bonne odeur du Christ ne distingue pas : elle s'adresse à tous aussi bien sauvés que perdus. C'est par sa manière d'agir qu'elle procédera différemment. (Sur l'opposition des deux verbes ou sur leur couple de totalité, cf Conzelmann 1 Co 55, η 12 ; Wilckens, Weisheit und Torheit, BHTh 26, 1959, 24 ; cf aussi W.C. Van UNNICK, l'usage de «sôzein » dans les évangiles synoptiques, in La formation des évangiles 1957, 178-194.


5°) Quel sens faut-il donner en 2, 16 à mort et à vie ?

Ce couple est fréquent en 2 Co : en 1, 8-9 (vivre-mort) ; en 4, 10-12 (mise à mort-vie-vivants-mort-vie-mortel-mort-vie) ; en 5, 14-15 (est mort -sont morts ; est mort-vivants-vivent -est mort et ressuscité) ; en 6, 9 (mourant -nous vivons). Tout au long de 2 Co, il est fait allusion à la mort du Christ et à ses effets pour les croyants. En 4, 10 l'apôtre dit : «Sans cesse nous portons dans notre corps la mise à mort de Jésus (ou l'agonie de Jésus) afin que la vie de Jésus soit elle aussi manifestée dans notre corps. Toujours, en effet, nous les vivants, nous sommes livrés à la mort à cause de Jésus afin que la vie de Jésus soit elle aussi manifestée dans notre existence mortelle. Ainsi la mort est à l'œuvre en nous, mais la vie en vous. »

Pour Paul, il ne s'agit pas de simples souffrances humaines, si terribles soient-elles : il s'agit de la participation à la mort de Jésus, de la communion à ses souffrances, de la conformité à sa mort (cf Ph 3, 10). Son ministère apostolique comporte de multiples épreuves (cf 1 1, 23-33), des oppositions de toute nature dont la situation à Corinthe est en tout point caractéristique, mais en même temps ce ministère est marqué par les signes distinctifs de l'apostolat : patience à toute épreuve, signes miraculeux, prodiges, actes de puissance (2 Co 12, 12) ; sa fécondité est marquée en effet par la puissance de Dieu qui donne sa pleine mesure dans la faiblesse. La personne entière de Paul est apostoliquement engagée dans l'annonce de la bonne nouvelle de la croix. Il y a dans sa vie, dans sa prédication, dans toute sa personnalité, un paradoxe qui se joue entre la mort du Christ et la vie du Christ : désormais sa prédication commence par l'annonce du Messie crucifié (1 Co 1 , 23).

Pourquoi alors dire comme J.F. Collange, avec beaucoup de nuances pourtant : «Pour ceux qui rejettent la prédication et l'apostolat de la croix, pour ceux qui sont sur la voie de la perdition, cette prédication — qui à leurs yeux a odeur de mort, vient de la mort et mène à la mort (énigmes de 2 Corinthiens p. 36). » Il serait au contraire nécessaire d'affirmer : pour ceux qui sont sur la voie du salut, la prédication et l'apostolat de la croix, cette prédication qui est fondée et scellée dans la mort du Christ : «Un seul est mort pour tous donc tous sont morts » (5, 14) consiste non seulement à s'y référer à l'origine, mais à en vivre dans une pleine communion «afin de ne plus vivre pour eux-mêmes » (5, 15), «mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux (5, 15) ».

L'odeur de vie qui mène à la vie résulte de la bonne odeur du Christ. La prédication apostolique s'adresse aux perdus. Ils doivent être sauvés eux aussi. La vie, c'est ici le Christ en personne, présent, vivant communiqué par la foi, reçu dans la communion avec lui. C'est précisément ce dont «ceux qui marchent à leur perte » ont besoin pour pouvoir ensuite être menés vers la vie. Les deux aspects du v. 16 sont exprimés par le couple de totalité complémentaire : mort du Christ, vie du Christ. L'odeur de mort et l'odeur de vie sont deux aspects de la même odeur, du parfum du Christ dont le ministère apostolique est porteur et réalisateur.

Le croyant sait déjà que Christ est mort pour lui. Il se reconnaît présent dans cette mort là, qui marque pour lui la rupture avec le cours ancien des choses. Il deviendra de ce fait une création nouvelle (cf 5, 17). La vie, la vie du Christ, du Ressuscité (4, 14) fait accéder les hommes qu'il arrache à la perdition, à leur style ancien d'existence, marque la nouveauté de sa condition nouvelle (4, 16 b). A cet égard en 2, 16, se retrouvent les deux composantes du baptême selon Rm 6, 4-5. Déjà en route vers le salut ou encore en chemin vers la perdition, tous ont besoin de cette bonne odeur du Christ répandue par le ministère apostolique. Mais les croyants ont déjà saisi l'importance de la mort du crucifié (1 Co 1 , 23) alors que ceux qui sont encore en chemin vers la perdition doivent se heurter, tel Paul, à la puissance de sa résurrection, à sa vie pour marcher vers la vie (Ph 3, 10).

2, 16 est donc un verset tout chargé du mystère christologique joint au ministère apostolique. La bonne odeur du Christ qu'est Paul lui-même est pour tous. Mais l'aspect qu'elle porte est différent pour les croyants et pour ceux qui ne le sont pas encore. Cette odeur est comme porteuse des mêmes promesses : mort du Christ déjà reçu dans le baptême pour le croyant ; vie du Christ qui peut empoigner l'incroyant qui ne l'a pas encore reçue.

https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1984_num_64_2_4758


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MessageSujet: Re: ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent   ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent Icon_minitimeMar 30 Avr 2024, 13:53

Sur ce sujet (thème et texte) nous avions aussi ce fil-ci -- voir encore celui-là, avec un autre article de Maurice Carrez quatre ans plus tard (1988), cité le 4.11.2020.

L'influence de Carrez était encore importante à la Société biblique française dans la décennie suivante, elle a pesé (en bien le plus souvent, à mon goût) sur la NBS, de sorte que je me souviens assez clairement de ses options (et, parfois, de ses marottes) -- je remarque quand même ici un détail que j'avais un peu oublié: le "parfum" qu'il est tentant, dans ce contexte, d'associer au triomphe romain peut aussi convoquer d'autres connotations, non seulement rituelles mais sapientiales (parfum de la connaissance, p. 137, notamment d'après le Siracide). Là encore, je pense qu'il n'y a aucune raison de "choisir", car les résonances (si on glisse de l'olfactif à l'auditif) sont naturellement multiples.

Plus prudemment qu'Assaël, Carrez proposait deux "traductions" (p. 140 et 142), la première étant plutôt ce que j'appellerais une "interprétation"... plausible, mais discutable, et à mes yeux encore réductrice, si on la lit avec les parenthèses: il ne suffit pas de renverser l'interprétation courante pour faire "le contraire", comme le dit un peu naïvement le résumé-abstract -- l'interprétation proposée n'est d'ailleurs pas exactement un "contraire". Il faudrait toujours faire l'aller-retour entre les différentes exégèses ou interprétations et les textes, traduits aussi "littéralement" que possible si on ne peut pas se reporter aux langues originales, pour en entendre peu à peu tout le potentiel; mais c'est une tâche sans fin.

L'idée qu'on ne "choisit" pas simplement et définitivement entre "salut" et "perdition", que d'une manière ou d'une autre ces processus ou expériences se superposent et s'entremêlent, ou interagissent, dans des communautés, des groupes comme chez chaque (prétendu) in(-)dividu, rejoint d'ailleurs les formules évangéliques, qui veut sauver sa vie / son âme la perdra, premiers derniers, etc.
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MessageSujet: Re: ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent   ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent Icon_minitimeJeu 02 Mai 2024, 15:31

1.18 Car la parole de la croix est folie à ceux qui périssent ; mais pour nous qui sommes sauvés, elle est puissance de Dieu.

Le car annonce la preuve de cette assertion (v. 17) : que ce serait détruire l’essence même de l’Evangile que de le prêcher comme parole de sagesse. — L’antithèse des mots folie et puissance est envisagée par Rückert et par Meyer comme inexacte, puisque l’opposé de la folie, c’est la sagesse, non la force. Mais ces interprètes n’ont pas compris que le terme de sagesse eût dit ici trop ou trop peu ; trop par rapport à ceux qui repoussent l’Evangile et aux yeux desquels il ne peut être que folie ; trop peu pour ceux qui sont disposés à le recevoir et qui ont besoin de trouver en lui mieux qu’une sagesse qui les éclaire. Comme le péché est un fait, le salut doit être saisi avant tout comme un fait, non comme un système. C’est un acte opéré par le bras de Dieu agissant avec puissance sur la conscience et dans le cœur du pécheur : Voilà ce qui seul peut arracher à la ruine un monde qui se meurt sous la malédiction et dans la corruption du péché. — Les deux datifs : toØc ‚pollumènoic, à ceux qui périssent, et toØc swzomènoic, pour ceux qui sont sauvés, n’ont pas un sens exactement semblable ; le premier indiquant une simple appréciation subjective, le second renfermant en outre une relation effective, l’idée d’un effet produit. Les participes sont au présent, non comme anticipant un résultat final, éternel (Meyer), ou comme renfermant l’idée d’une prédestination divine (Rückert), mais comme énonçant deux actes qui s’accomplissent au moment même où Paul les mentionne. En effet la perdition et le salut se consomment graduellement chez l’homme simultanément avec la connaissance qu’il reçoit de l’Evangile. — L’adjonction du pronom ™mØn, à nous, provient de ce que la lettre est destinée à être lue en pleine assemblée de croyants.

Cette manière dont Dieu traite dans l’Evangile la sagesse humaine est l’accomplissement des menaces déjà prononcées contre elle dans les écrits prophétiques.

https://www.koina.org/page-7/page299/files/godet_1corinthiens.pdf
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MessageSujet: Re: ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent   ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent Icon_minitimeJeu 02 Mai 2024, 15:48

Le commentaire de Godet (1886) exprimait très bien l'"aspect" "progressif" (ou "régressif", en tout cas "processif") des participes, contrairement à sa traduction ("nous qui sommes sauvés", ça s'entendait déjà au XIXe siècle, et encore plus aujourd'hui, au sens d'un "accompli": c'est fait, c'est un acquis, c'est comme si c'était fait). Mais par rapport à 2 Corinthiens la différence est considérable, car le "nous" ici ne distingue pas "les apôtres" du reste des "croyants-fidèles". Il y a bien en 1 Corinthiens une opposition entre "eux" et "nous", ceux du dehors et ceux du dedans, les "incroyants" et les "croyants"; et en 2 Corinthiens la frontière extérieure ne sera problématisée que parce que l'intérieur sera différencié, entre "nous = apôtres" et "vous" = autres "chrétiens"... Il y aurait là de quoi méditer: plus un groupe se veut homogène, égalitaire, indifférencié, plus il tend à être exclusif -- moins il y a de différence dans le "nous", plus il y en a entre celui-ci et "eux", "les autres" -- et inversement, en plus d'un sens de l'inverse ou du contraire.


Dernière édition par Narkissos le Ven 03 Mai 2024, 10:44, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent   ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent Icon_minitimeVen 03 Mai 2024, 10:43

La Bible, le sacrifice et la bonne odeur de Dieu

Régis Burnet

3. « Le parfum de sa connaissance »

Ainsi assimilé à une odeur, l’apôtre qui se sacrifie pour la communauté peut rejoindre une métaphore extrêmement courante dans toute la littérature hellénistique : l’idée que la sagesse et la vertu sont comme un parfum qui peut se respirer.

Il s’agit de l’expression d’une croyance très répandue dans l’Antiquité, voulant que respirer la bonne odeur de quelqu’un soit une manière de s’imprégner de lui20. On se souvient que dans les familles romaines, les plus proches parents se précipitaient sur la bouche des plus illustres de leurs mourants pour recueillir dans leur propre bouche le dernier souffle censé leur communiquer un peu de sa vertu. La vertu exhale en effet une odeur par elle-même qui permet la transformation morale de celui qui la respire. Ainsi le langage et les manières du sage ou du grand homme ont un pouvoir transformateur sur ses disciples.

On trouve cette même idée dans le monde juif, en particulier dans ce livre tardif, fortement marqué d’influences hellénistiques, qu’est le Siracide. Dans le chapitre 24, la Sagesse parle et affirme :

« Comme la cannelle et le baume aromatique, comme la myrrhe de choix j’ai exhalé mon parfum, comme du galbanum, de l’onyx et du stacte22, comme une nuée d’encens dans la Demeure. » (Si 24,15).

Et Philon d’Alexandrie, commentant l’histoire d’Abraham, ne dira pas autrement dans son De Somniis.

« [Terah] n’était pas capable de se remplir de sagesse, ni même de la goûter, mais simplement de la sentir. Car il est dit que ces chiens qui sont dressés pour la chasse peuvent, en exerçant leur odorat, découvrir les endroits où rôde leur gibier à grande distance, car ils sont rendus par la nature merveilleusement réceptifs au sens extérieur de l’odorat. Ainsi, de la même manière, l’amoureux du savoir prend en chasse le doux parfum qui est exhalé par la justice, et par toutes les autres vertus, et est impatient de contempler ces qualités dont provient cette admirable source de plaisir. Et comme il en est incapable, il tourne sa tête circulairement, ne sentant rien d’autre et ne cherchant que l’odeur la plus sacrée de l’excellence et de la nourriture, car il est impatient de connaître la sagesse. » (Philon, De Somniis 1, 4849).

La métaphore de l’odeur devient donc par excellence la métaphore de la vie spirituelle. Pour Paul, elle présente un double intérêt. D’une part, elle permet de joindre la première comparaison qu’on vient d’apercevoir entre la vie offerte pour le Christ et l’encens avec une propriété bien connue de l’odeur : c’est le pouvoir se répandre. Le détour par les odeurs permet d’exprimer de manière imagée le processus de l’Évangélisation qui est comme un parfum déversé depuis le tombeau vide et qui vient embaumer le monde habité. D’autre part, elle est une manière subtile d’exprimer ce processus de transformation difficile à saisir que sont la Croix et la Résurrection. Par son offrande de bonne odeur, le Christ est fait lui-même bonne odeur de la Sagesse et de la connaissance divine. Le Dieu qui sent bon se transforme en cette senteur même. Jésus, bonne odeur de sacrifice, est en quelque sorte rendu à lui-même.

https://journals.openedition.org/pallas/5380
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MessageSujet: Re: ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent   ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent Icon_minitimeVen 03 Mai 2024, 11:10

Merci pour cet article, qui intéresserait encore plus ce fil-ci, ou encore celui-là. Pour 2 Corinthiens 2 Burnet ne tient pas du tout compte du "triomphe" contextuel, mais il fait apparaître en revanche un des passages possibles du "sacrifice" à la "sagesse" (qu'on pourrait transposer sans beaucoup de changement du "mystère" à la "gnose").

Toutes les métaphores et leur provenance concrète se mêlent, comme les parfums, et leur interprétation est aussi une question... de goût -- d'ailleurs le "goût", ta`am, est lui-même en hébreu un terme sapiential, proche du "discernement" (p. ex. Job 12,11). On peut remarquer, du reste, que le vocabulaire de l'olfaction est extrêmement pauvre, encore plus que celui du goût -- il y a sûrement des langues plus riches que d'autres en la matière mais je n'en connais pas... Pour qualifier un parfum on n'a guère en français que des adjectifs qui ne le définissent nullement, subtil, capiteux, entêtant, à la rigueur âcre; pour le goût au moins on a sucré, salé, amer, acide -- soit précisément ce qui reste du goût quand on perd l'odorat -- mais pas beaucoup plus (cf. la manie métonymique des oenologues qui naguère trouvaient dans un vin de la framboise, de la banane, tout sauf du raisin; a fortiori pour son "nez"...). Du coup l'odeur dont nous ne savons pas parler nous renvoie plus immédiatement à des relations et à des souvenirs, odeur de ceci ou de cela que nous (re-)connaissons instantanément alors même que nous sommes incapables de la décrire (mais c'est aussi en partie vrai de la vision d'un visage, du moins pour la plupart des gens: ce n'est pas parce que nous reconnaissons instantanément quelqu'un que nous saurions le dessiner).

Rien en revanche sur "ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent".
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MessageSujet: Re: ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent   ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent Icon_minitimeVen 03 Mai 2024, 11:27

Citation :
En tout cas, sur l'idée d'une "économie" de la perdition et du salut (voire de la perte et du gain) dans laquelle les "apôtres" ne se situent pas simplement "du bon côté", c.-à-d. du côté des "bénéficiaires", mais au moins autant du côté des "payeurs", de ceux qui en font les frais, on peut relire 1 Corinthiens 4,8ss; 2 Corinthiens 1,3ss; 4,7ss (notamment v. 10-12: la mort en nous / la vie en vous); 6,3ss; 11,21ss; 12,7ss (etc.).


"Mais nous portons ce trésor dans des vases de terre, pour que cette puissance supérieure soit celle de Dieu et non la nôtre. Nous sommes pressés de toute manière, mais non pas écrasés ; désemparés, mais non pas désespérés ; persécutés, mais non pas abandonnés ; abattus, mais non pas perdus ; nous portons toujours avec nous, dans notre corps, la mort de Jésus, pour que la vie de Jésus aussi se manifeste dans notre corps. Car nous qui vivons, nous sommes sans cesse livrés à la mort à cause de Jésus, pour que la vie de Jésus aussi se manifeste dans notre chair mortelle. Ainsi, en nous, c'est la mort qui est à l'œuvre, mais en vous, c'est la vie" ( 2 Co 4,7-12).

2 Co 5, 1-10

31 Ce passage semé de difficulté et pour lequel ont été proposés de nombreuses interprétations, s’insère dans un long développement sur le ministère des apôtres. Ce développement est interrompu par l’évocation des épreuves traversées par les apôtres, et qui commence en 4,7. La section 5, 1-10 en constitue le second volet : Paul, usant d’un « nous » qui englobe ses lecteurs, y parle de la mort elle-même, après qu’il ait, en 4, 7-18 parlé, sur le mode du « nous » apostolique, de la mort à l’œuvre pendant la vie elle-même : « nous portons partout et toujours en notre corps la nécrose de Jésus » (4, 10) ; « nous les vivants, nous sommes sans cesse livrés à la mort à cause de Jésus » (4, 11). Cependant cette sorte de mise à mort est source de vie pour les corinthiens, et Paul lui-même la vit dans la foi, « sachant que celui qui a ressuscité le Seigneur Jésus nous ressuscitera avec Jésus et nous placera auprès (de lui) avec vous » (4, 12). Cette foi dans la résurrection explique que Paul et les apôtres ne se découragent pas (4, 16). L’expérience est certes celle d’une précarité et d’une destruction ; mais ce n’est là qu’apparence, ce qu’on voit, l’homme extérieur, « la légère tribulation d’un moment ». Il y a en regard ce qu’on ne voit pas, ce qui est éternel, l’homme intérieur. Cette autre réalité n’est point présente, mais attendue : ce qu’on ne voit pas encore, c’est la masse éternelle de la gloire que préparent les tribulations présentes. Lorsque Paul met en avant l’homme intérieur ou ce qu’on ne voit pas, c’est toujours en contraste avec la réalité future, eschatologique, attendue dans la foi (4, 16-18).

32 Insensiblement cette foi de l’apôtre dans la gloire future va l’amener à parler de la condition commune des chrétiens, dans laquelle elle s’inscrit et sur laquelle elle s’appuie. Le « nous » de 5,1 s’accroche naturellement à celui de 4, 16-18, dans la continuité d’une argumentation : « car nous savons que si notre demeure terrestre, la tente, vient à être détruite ». La maison terrestre (5, 1) est ce qu’on voit (4, 18) ; si elle est détruite, car elle est « pour un temps » (4, 18), nous savons qu’il y a, à la fin, mais d’une possession assurée, une autre maison. Celle-ci est qualifiée par quatre termes : elle est de Dieu, non faite de main d’homme (comme le temple relevé en trois jours et qui est le corps de Jésus10, éternelle (cf., à nouveau 4, 18) et céleste ; elle est donc semblable au corps spirituel de 1 Co 15, 42-44.

****

40 Je pense au contraire que les arguments en faveur de l’interprétation que j’ai développée sont solides : il faut lire d’un même trait les v. 2-4 et 6-8 ; ce qui les joint, c’est la catégorie de la puissance divine et le don des arrhes de l’Esprit : c’est-à-dire le don encore incomplet de l’Esprit. La catégorie des arrhes nous tourne, sans discussion possible, vers celle d’accomplissement eschatologique, exactement comme en Rm 8, 23 où « nous qui avons les prémices de l’Esprit gémissons dans l’attente de l’adoption filiale, la rédemption de notre corps ». Au v. 7 d’ailleurs, Paul fonde l’assurance sur la foi, non sur l’apparence. C’est reprendre la catégorie de ce qu’on voit et de ce qu’on ne voit pas de 4, 18 : ce qu’on voit n’a qu’un temps, ce qu’on ne voit pas est éternel. Faisons ici aussi le détour par Rm 8, 24 : « C’est en espérance que nous avons été sauvés ; mais une espérance qu’on voit n’est plus une espérance ; ce que l’on voit, qui l’espère ? Si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons avec patience. »

41 D’ailleurs l’assurance exprimée aux v. 6-8 avait déjà son pendant en 4, 16 : « C’est pourquoi nous ne perdons pas courage » : où « c’est pourquoi » renvoyait à la résurrection. « Sachant que celui qui a ressuscité le Seigneur Jésus nous ressuscitera aussi avec Jésus et nous placera (près de lui) avec vous » (4, 14).

42 On devrait certes argumenter davantage ; mais cela suffit pour notre propos. Revenons à la problématique de Paul face à la mort. L’apôtre éprouve dans sa chair, en raison des fatigues et dangers de l’apostolat, quelque chose qu’il compare à la mort : c’est déjà la mort à l’œuvre, c’est aussi le risque de la mort. Malgré les apparences, il sait cette mort féconde pour les corinthiens, comme celle du Christ, et porte les yeux sur l’espérance eschatologique, qui lui permet de dire que la déliquescence présente et imminente à la fois de son corps de chair — ce que l’on voit — ne fait pas le poids en regard de la gloire promise, qui est éternelle et qui appartient à l’homme intérieur, celui de la foi et de l’espérance, des réalités qu’on ne voit pas encore. C’est dire que la maison céleste de la résurrection est assurée : nous l’avons (de la même façon en Phil 3, 20-21 : « notre citoyenneté est dans les cieux, d’où nous espérons comme sauveur Notre Seigneur Jésus-Christ, qui transformera le corps de notre humiliation dans la conformité au corps de sa gloire).

43 Vers cette plénitude encore cachée, Paul est tendu dans l’ardeur du désir : il gémit. Mais ici, inattendue, apparaît l’angoisse de la mort anéantissement, celle de se dévêtir, d’être trouvé nu. La perte — momentantée — du corps était abordée sereinement en 1 Th et 1 Co à propos de la mort d’autrui — car Paul se comptait avec ses lecteurs parmi les survivants à la Parousie ; elle devient ici tragique, car il s’agit de la mort propre — la nôtre, la mienne. Ce que l’on voit résiste. Il faut le rappel de la foi, de la puissance divine, des arrhes de l’Esprit, pour sauter du désir angoissé à l’assurance qui sait, et trouve la mort préférable. Quitter ce corps affligeait ; quitter ce corps est maintenant plus désirable parce que la conviction du terme final, maison céleste, société du Seigneur l’emporte à cause des arrhes de l’Esprit ; la foi est tournée vers l’avenir et continue à s’appuyer sur lui avec assurance malgré le vide de la mort.

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MessageSujet: Re: ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent   ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent Icon_minitimeVen 03 Mai 2024, 12:10

Sur ce chapitre de Sevrin (1988), voir ici 22.9.2020 et 21.8.2023.

Comme on l'a déjà remarqué (supra 27.4.2024), dans le contexte de 2 Corinthiens (2,14--5) la différenciation interne à la communauté (nous / vous) glisse vers une différenciation interne à l'"individu" (homme intérieur / extérieur), mais là aussi il y a inversion: la mort processus (nekrôsis), la souffrance, l'humiliation, la corruption ou pourrissement (diaphtheirô, 4,18) affectent le plus intérieur, nous = les apôtres, source, noyau ou foyer de la communauté, comme l'homme extérieur (exô) qui ne se distingue plus de "ceux du dehors" (exô) -- de part et d'autre de la vie processus.

Sans vouloir relancer ici la question générale du "salut" qui nous a beaucoup occupés par le passé, j'ai l'impression que le malentendu fondamental sur l'antithèse "salut / perdition", comprise a priori dans le monde chrétien, surtout protestant, calviniste, orthodoxe ou évangélique, comme quasiment identique et superposable à "chrétien / non chrétien" (ce qui peut valoir à première vue pour 1 Corinthiens 1, beaucoup moins pour 2 Corinthiens) a aussi empêché de percevoir l'aspect temporel, "progressif" ou "processif", des formules dont nous parlons (ceux qui se sauvent / se perdent au présent, ceux qui sont en train d'être sauvés / perdus). S'il y allait en effet du salut éternel des uns et de la perdition éternelle des autres, alors un salut "en cours" paraissait moins assuré d'aboutir à la fin qui seule comptait pour chacun, alors que "l'assurance du salut" devenait au contraire une obsession (en particulier dans le protestantisme "piétiste", puis "évangélique")... C'est peut-être déjà une des raisons pour lesquelles le paulinisme ultérieur (Romains-Galates, puis les "deutéro-pauliniennes", Colossiens-Ephésiens) a renoncé à présenter le "salut" sous cet aspect temporel en en faisant plutôt un "accompli", un acquis (vous êtes déjà sauvés, ressuscités, élevés au ciel en Christ), tout en reportant le "procès" sur d'autres termes et notions (p. ex. le "renouvellement", de l'intelligence en Romains 12, de l'homme nouveau dans les deutéro-pauliniennes, etc.; mais c'était déjà celui de "l'homme intérieur" en 2 Corinthiens 4).

Comme le "salut" et la "perdition" la pensée dite "paulinienne" aussi est en procès ou en cours, in progress, sur des lignes qui bifurquent, divergent et convergent autant chez le même "auteur" présumé que d'un "auteur" à l'autre. C'est précisément ce mouvement que perd la théologie, même la prétendue "biblique", en totalisant le chemin dans une "somme" -- ce que "Paul" pensait de ceci ou de cela, comme si ça n'avait jamais bougé, ou comme si ça n'avait fait que se construire ou se compléter; comme s'il ne fallait pas, là aussi, perdre pour sauver, lâcher des idées pour en trouver et en développer d'autres.
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MessageSujet: Re: ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent   ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent Icon_minitimeLun 06 Mai 2024, 12:25

La mort au pluriel ou la mort dans l’âme
Sur le pluriel de thanatos en 2 Co 1,10 dans le papyrus 46 et les manuscrits en minuscule
Jacqueline Assaël

Les divers registres de la vie et de la mort dans le lexique néotestamentaire et la question de la mort au pluriel en 2 Co 1,10

Dans un passage du premier chapitre de la Deuxième épître aux Corinthiens, Paul est censé, selon la plupart des commentateurs, rendre grâce à Dieu d’avoir échappé au péril physique de la mort. L’apôtre évoque alors les difficultés insurmontables qu’il a rencontrées dans son ministère en Asie et, selon le texte tel qu’il est restitué dans l’édition de Nestle-Aland faisant autorité actuellement, il avoue :

8Car nous ne voulons pas que vous l’ignoriez, frères : la tribulation qui nous est survenue en Asie nous a accablés à l’excès, au-delà de nos forces, à tel point que nous désespérions même de conserver la vie (exaporèthènaï hèmas kaï tou zèn). 9Vraiment nous avons porté (eschèkamen) en nous-mêmes notre arrêt de mort, afin d’apprendre à ne pas mettre notre confiance en nous-mêmes mais en Dieu, qui ressuscite les morts. 10C’est lui qui nous a délivrés d’une telle mort (èk tèlikoutou thanatou errusato hèmas) et nous en délivrera ; en lui nous avons cette espérance (elpikamen) qu’il nous en délivrera encore.

Cette traduction soulève un certain nombre de difficultés liées à la représentation particulière de la vie et de la mort illustrée dans les écrits du Nouveau Testament. Tout d’abord, d’après cette lecture, Paul désespèrerait de demeurer physiquement en vie. Cette réaction est étonnante et même incohérente de la part d’un apôtre qui explique par ailleurs que la mort lui serait « un gain » (Ph 1,21) et qui ne se préoccupe habituellement que de se maintenir en Vie, c’est-à-dire à l’écoute de Dieu. En fait, pour parvenir à l’interprétation qui a été citée, il est nécessaire d’extrapoler le sens du verbe exaporèthènaï d’une manière quelque peu abusive. En effet, ce verbe indique des questionnements et des apories d’ordre plutôt intellectuel, et il n’a aucun rapport avec les idées d’espérance ou de désespérance, surchargées de spiritualité dans la théologie chrétienne. De plus, pour établir une traduction à partir de cette hypothèse, il faut ajouter une idée dans le texte, celle de la « conservation » de la vie. La Bible à la Colombe manifeste quelque gêne à cet égard et note cette expression entre parenthèses. Par ailleurs, selon ce mode de compréhension, « l’arrêt de mort » alors vécu par Paul et ses compagnons est défini comme un fait conjoncturel par l’emploi d’un passé qui situe cet état d’anéantissement en un point précis du temps, tandis que le texte grec comporte un parfait établissant les données permanentes de la condition humaine. Ensuite, le vocabulaire apparenté à l’idée de nécrose et le registre lexical illustré par le substantif thanatos sont confondus. Ainsi, il apparaît équivalent que Dieu « ressuscite les nécrosés » et qu’il tire Paul et ses compagnons d’une mort appelée thanatos. Dans les versions existantes, un certain nombre de points grammaticaux, lexicaux et sémantiques révèlent donc que ce texte est suffisamment embarrassant pour que les traducteurs jugent nécessaire d’interpréter, d’expliciter, d’extrapoler ou de réduire le sens de certaines expressions.

*****

Thanatos comme une solution de continuité réitérée entre la vie psychique et la vie de l’esprit. Thanatos comme « péché » selon Origène en 2 Co 1,10

Si les versets 1,8-10 ne suffisaient pas à déterminer de quel mode de vie il est question, le passage développé en correspondance au chapitre 4 explicite ce point. Paul explique alors au verset 11 :

Toujours, en effet, nous, les Vivants (oï zôntes), nous sommes livrés à la mort (thanaton) pour la cause de Jésus, pour que précisément ce soit la Vie (zôè) de Jésus qui se manifeste dans notre chair mortelle (thnètèi sarki).

Dans ce texte, la nomenclature est claire : le terme thanatos se rapporte naturellement à la chair (sarki) et le substantif zôè correspond à l’essence du divin, autrement dit à la Vie. Toute la problématique, pour Paul, consiste à expliquer comment les Vivants, c’est-à-dire les croyants inspirés par le souffle de Dieu, peuvent simultanément déchoir dans la mort, thanatos. Or, dans sa logique, le phénomène se produit lorsque le corps ou l’âme, la psychè, se rompent ou se corrompent. Dans ce cas, l’être charnel de l’humain est détruit, mais son essence spirituelle demeure intacte par définition. À travers sa ruine personnelle, le croyant manifeste alors la présence de Dieu en lui.

Grâce à la comparaison de ces deux textes, plusieurs points s’éclairent dans les versets 8-10 du premier paragraphe. L’idée d’un pluriel appliqué au mot thanatos s’entend, en 4,11, à travers la présence de l’adverbe aeï : « toujours nous mourons ». Paul emploie ainsi un autre procédé pour formuler le principe de ce que Jean Chrysostome appelle la doctrine de la résurrection. La leçon èk tèlikoutôn thanatôn, soutenue par une tradition textuelle plus solide qu’il ne paraît de prime abord, est de la sorte renforcée par la cohérence thématique de la pensée théologique. L’accablement et les défaillances du corps et de l’âme, la psychè, anéantissent chaque jour, dans la conscience du croyant, la perception du souffle qui transcende l’existence mortelle. Il connaît alors, en quelque sorte, non pas dans son esprit, puisqu’il garde la foi, mais dans sa chair, des intermittences de la Vie, une mort qui se multiplie entre les phases de résurrection inspirées par Dieu.

Cette interprétation correspond à la lecture de ce passage paulinien communiquée ou formulée par Origène. En effet, en marge du commentaire qu’il apporte au verset 1,9, et plus spécialement à l’expression hôsté exaporèthènaï hèmas kaï tou zèn dans le manuscrit athonite de la Grande Lavra étudié par E. von der Goltz, un scholiaste s’est interrogé sur la nature de la vie en question. Le texte est un peu effacé, mais son sens demeure clair : poïou zèn ou tôi (? tou) / kosmikô (?) alla tou zèn / tou alèthinou (« De quelle vie ? Non pas la vie mondaine, mais la vie véritable»). Cette glose s’inscrit dans la droite ligne de la compréhension du texte paulinien produite par ailleurs par Origène lui-même. Car l’Alexandrin identifie sous ce mot « mort », employé au pluriel, la dénomination du « péché » conçu comme éloignement par rapport à Dieu et comme perte de conscience de sa présence : « Quas ergo hic mortes plures commemorat nisi peccatorum ? » (« Quelles sont donc ces morts nombreuses dont il fait ici mention, sinon celles des péchés ? »). La lecture d’Origène est donc résolument spiritualiste, comme le révèle aussi la suite de son raisonnement construit sur le mode de l’absurde :

Car s’il n’avait pas dit cela des morts des péchés, Paul semblait, d’après sa sentence, devoir rester immortel, exempt de cette mort commune, lui qui déclare : « Il nous a délivrés de tant de morts et nous en délivrera ; en Lui nous espérons qu’il nous délivrera encore ». Car s’il a délivré et délivrera, jamais ne se trouvera un temps où mourra celui que le Seigneur délivrera sans cesse.

La logique d’Origène est imparable. Elle justifie le pluriel de thanatos et confère à la réflexion de Paul une élévation spirituelle que l’apôtre revendique en permanence dans le contexte immédiat de ce verset problématique en se défendant de raisonner kata sarka, « selon la chair » (Cf. 2 Co 1,12 ; 1,17).

Ce point de vue a été suivi par un autre Père alexandrin, Didyme, qui, dans ses formulations propres, rejoint Origène pour définir thanatos comme une rupture par rapport à l’essence spirituelle de la Vie : « [Paul] évoque la mort qui arrache l’âme à la vie éternelle». L’interprétation est plus claire et plus assurée que la théorie de la résurrection appliquée par Jean Chrysostome à ces versets. Dans ce contexte, Didyme rapporte exclusivement et explicitement la portée de thanatos à l’âme (psychè) et non pas au corps, attestant que dans son mode de compréhension la mort subie par Paul est d’ordre psychologique et qu’elle lui interdit, momentanément, tout accès à la plénitude spirituelle de l’existence.

https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2016-1-page-57.htm
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MessageSujet: Re: ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent   ceux qui se sauvent et ceux qui se perdent Icon_minitimeLun 06 Mai 2024, 13:21

Le choix textuel du pluriel est tout à fait défendable (je constate avec soulagement que la variante a bien été signalée dans la note de la NBS, de même que la notion d'incertitude au lieu du désespoir au v. 8, où la traduction aurait cependant mérité d'être révisée...); en revanche, la traduction-interprétation proposée me semble de nouveau trop claire et univoque par rapport à un texte qui, même dans cette hypothèse, reste ambigu, puisqu'il n'a même pas les moyens graphiques de distinguer une "Vie" d'une "vie" par une majuscule... Il me paraît de toute façon difficile de séparer l'"intellectuel", le "psychologique", le "mental", l'"existentiel" ou le "spirituel" sinon par quelque forme de dogmatisme, théologique ou anthropologique: dans l'expérience comme dans la langue, il y a une métonymie (lisse, dirait Deleuze) de la vie et de la mort qui s'accommode aussi bien du pluriel (souffrir mille morts) que du procès (nekrôsis, la mort processus, en acte, en cours ou in progress: on voit dans un miroir la mort travailler sans cesse, comme dit Cocteau dans Orphée) ou de la répétition (chaque jour je meurs, déjà 1 Corinthiens 15,31; je suis mort tant de fois, dit Chaplin à la fin de Limelight)...
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