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| Les regrets de Dieu | |
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free
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| Sujet: Les regrets de Dieu Mar 15 Oct 2013, 11:45 | |
| Si Edith Piaf chantait " Non! Rien de rien ... Non! Je ne regrette rien ", la Genèse fait dire à Dieu, "Yahvé regretta d'avoir fait l'homme sur la terre, il en fut peiné au cœur ".
Ainsi s'ouvre notamment le gouffre du repentir ou du regret divin: "Dieu" regrette d'abord d'avoir créé -- autant dire, au moins pour un lecteur moderne, qu'il regrette d'exister, puisque c'est par rapport à la création qu'il existerait, ou contre-existerait, ce qui revient au même -- et finalement d'avoir détruit. Entre les deux, il aura décidé de tout détruire, puis de tout sauver en sauvant un peu (un reste) de tout. Les explications morales ou utilitaires tournent court: l'homme était "mauvais" au début, il l'est toujours à la fin, le massacre aura donc été parfaitement inutile. La rédaction, du reste, ne tente pas de masquer le "problème", elle le souligne au contraire, sans lui indiquer la moindre esquisse de solution. Il n'est que de comparer l'introduction (vi, 5ss) et la conclusion (viii, 21s) :
Et Yahvé vit que le mal de l'homme sur la terre était abondant, que toutes les inclinations des pensées de son cœur n'étaient que mal, toujours. Yahvé regretta d'avoir fait l'homme sur la terre, il en fut peiné au cœur. Et Yahvé dit; Je vais effacer l'homme que j'ai créé de la surface du sol, de l'homme au bétail, aux bestioles et aux oiseaux du ciel, car je regrette de les avoir faits. Mais Noé avait trouvé grâce aux yeux de Yahvé.
Et Yahvé sentit l'odeur apaisante (du sacrifice, "apaisante", nihoah, faisant jeu de mot avec le nom de Noé, Noah), et Yahvé dit à son cœur: Jamais plus je ne maudirai le sol à cause de l'homme(, -- il faudrait pouvoir traduire avec et sans virgule pour percevoir l'ambiguïté de l'original) parce que l'inclination du cœur de l'homme est mauvaise, et jamais plus je ne frapperai tout vivant comme je l'ai fait. Car tous les jours de la terre, semailles et moissons, froid et chaud, été et hiver, jour et nuit, ne cesseront plus.
Passons sur l'incohérence logique qui permet encore à un "Dieu" unique, par définition "transcendant" au temps et à toute histoire, de créer, de détruire et de sauver, de projeter et de regretter, plus généralement d'agir et de parler dans le temps de l'histoire (ne fût-ce que celui du récit) -- nous lui devons d'avoir tout de même un récit, mythique par tout ce qui le constitue tel, quoique fort indigent par rapport aux mythes polythéistes qu'il recueille et transforme. Par contre, le gain de profondeur, toute accidentelle qu'elle soit, paraît indéniable: voilà un créateur à jamais captif de sa création, un auteur inextricablement pris au réseau de l'histoire, de la mémoire et de l'écriture où il se débat, nostalgique de la page blanche, qui voit toute tentative d'effacement dégénérer en vaine rature; un tout-puissant impuissant à défaire, débile devant l'indélébile.
http://oudenologia.over-blog.com/article-autour-du-deluge-120551297.html
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| | | free
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| Sujet: Re: Les regrets de Dieu Mar 15 Oct 2013, 16:22 | |
| Il semble que l'auteur du livre des Nombres ne conçoive pas la possibilité pour Dieu de manifester des regrets :
« Dieu n'est pas homme pour mentir, ni humain pour se repentir. A-t-il jamais parlé sans qu'il tienne parole ? Et n'accomplit-il pas ce qu'il a déclaré? » (23,19)
Pour lui, "le repentir" est une caractéristique humaine.
On retrouve une idée semblable en 1 Sam 15, 29 :
« La Splendeur d'Israël ne se dément pas et ne se repent pas, car Il n'est pas un homme et n'a pas à se repentir. » |
| | | le chapelier toqué
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| Sujet: Re: Les regrets de Dieu Jeu 07 Nov 2013, 12:10 | |
| J'ai toujours été émerveillé par ces deux passages du récit du déluge qui nous décrivent un dieu tellement humain avec sec contradictions que j'ai eu une profonde méfiance à leurs propos, alors que j'acceptais sans coup férir le reste du récit qui n'était pas moins particulier. Je me demande si les scribes qui l'ont recopié se sont posés des questions à leur sujet, s'ils y ont vu les contradictions que le lecteur moderne attentif peut découvrir? |
| | | free
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| Sujet: Re: Les regrets de Dieu Mer 05 Mar 2014, 17:31 | |
| "Je ne maudirai plus jamais la terre à cause de l'homme, parce que les desseins de l'homme sont mauvais dès son enfance, plus jamais je ne frapperai les vivants comme je l'ai fait" (Gn 8,21)
" Il en sera pour moi comme aux jours de Noé : j'avais juréque les eaux de Noé ne se répandraient plus sur la terre ; je jure de mêmede ne plus m'irriter contre toi et de ne plus te rabrouer" (Is 54,9)
Ces textes nous décrivent un Dieu qui regrette (voilà un créateur à jamais captif de sa création http://oudenologia.over-blog.com/article-autour-du-deluge-120551297.html ) d'avoir tenter de détruire l'humanité ou le second temple et qui s'engage à ne plus renouveller ces destructions et à protéger sa création contre toute irruption du mal mais Dieu ne semble pas capable de tenir ces promesses ... Il fournit lui-même la cause, "parce que les desseins de l'homme sont mauvais dès son enfance".
En (8,21) Dieu renonce à maudire la terre après avoir constaté que le mal habite l'homme ... L'homme n'est pas responsable de son état et de ses tendances au mal. Même l'expérience du déluge ne suffit pas à éradiquer le mal du coeur de l'homme ... Dieu regrette la catastrophe qu'il a provoqué car elle n'apporte pas de solution au mal qui taraude l'homme.
Dernière édition par free le Jeu 06 Mar 2014, 12:06, édité 2 fois |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Les regrets de Dieu Mer 05 Mar 2014, 19:32 | |
| Dans le texte de la Genèse il y a deux entrées ou l'on peut constater que Dieu a des regrets. - Citation :
- 5 Le SEIGNEUR vit que la méchanceté de l’homme se multipliait sur la terre : à longueur de journée, son cœur n’était porté qu’à concevoir le mal, 6 ¶ et le SEIGNEUR se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre. Il s’en affligea 7 et dit : « J’effacerai de la surface du sol l’homme que j’ai créé, homme, bestiaux, petites bêtes et même les oiseaux du ciel, car je me repens de les avoir faits. »
Ge. 6 5-7 TOB Il est question dans ce premier texte des regrets de Dieu à propos de l'homme, puis de la décision de la destruction définitive de toute vie sur terre. Le "Seigneur" se repent d'avoir fait l'homme sur terre. S'il en était bien ainsi nous pourrions, à bon droit, douter de la puissance pour ne pas dire de la toute puissance de Dieu et de sa capacité de gérer une situation qui ne doit pas lui poser trop de problèmes. - Citation :
- 20 ¶ Noé éleva un autel pour le SEIGNEUR. Il prit de tout bétail pur, de tout oiseau pur et il offrit des holocaustes sur l’autel. 21 Le SEIGNEUR respira le parfum apaisant et se dit en lui-même : « Je ne maudirai plus jamais le sol à cause de l’homme. Certes, le cœur de l’homme est porté au mal dès sa jeunesse, mais plus jamais je ne frapperai tous les vivants comme je l’ai fait.
Ge 8.20-21 Après avoir détruit toute vie sur terre à l'exception des animaux ayant pris place dans l'arche construite, sur les plans de Dieu, par Noé et sa famille, le "Seigneur" émet le même constat que celui qui nous est rapporté au chapitre 6, mais à la différence du premier texte cité Dieu décide, tenant compte de la condition humaine, de ne plus jamais frapper les vivants comme lors du déluge. S'il fallait considérer Dieu au travers de ces textes, nous serions bien embarrassés puisque nous aurions à faire face à une divinité prenant une décision, majeure, puis après son exécution revenant sur ses premiers propos, simplement après avoir eu les narines chatouillées par l'odeur de l'encens montant jusqu'à elle. |
| | | free
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| Sujet: Re: Les regrets de Dieu Ven 29 Jan 2016, 17:41 | |
| Dieu se repent, soit en bien, soit en mal, suivant que se repentent ou non les hommes.
"Lorsque le SEIGNEUR leur suscitait des juges, le SEIGNEUR était avec le juge et les délivrait de la main de leurs ennemis pendant tous les jours du juge ; car le SEIGNEUR avait du regret, à cause de leurs soupirs devant ceux qui les opprimaient et les tourmentaient." Jg 2,18
Dieu se repent d'avoir établi Saül comme roi, pourtant le texte précise que Dieu ne ment pas et n'a pas de regret ; ce n'est pas un être humain, pour qu'il ait du regret" 1 Sam 15,29
"Samuel ne revit plus Saül jusqu'au jour de sa mort ; en effet, Samuel menait deuil sur Saül : quant au SEIGNEUR, il regrettait d'avoir investi Saül de la royauté sur Israël." 1 Sam 15,35 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Les regrets de Dieu Ven 29 Jan 2016, 18:58 | |
| - free a écrit:
- Dieu se repent, soit en bien, soit en mal, suivant que se repentent ou non les hommes.
Ce schéma pourrait s'autoriser d'un certain nombre de textes (p. ex. Jérémie 18,1ss qui est un des plus clairs dans ce sens), mais Juges 2,18 ne me semble pas en être un très bon exemple: ce n'est pas un "repentir" mais une souffrance des hommes qui détermine en l'occurrence le "repentir" de Yahvé. Au moins autant que dans le récit du déluge, la contradiction formelle s'affiche dans 1 Samuel 15 (à quelques lignes d'intervalle seulement). -- Au passage, on retrouverait sensiblement les mêmes problèmes "logiques" dans le Coran: Allah révoque et ne révoque pas ses jugements, abroge et n'abroge pas ses préceptes, etc. La pensée s'affole devant l'irréversible, devant le devenir et l'événement; elle n'a pourtant jamais rien eu d'autre à penser, mais elle ne parvient pas à le penser pour autant. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Les regrets de Dieu Lun 01 Fév 2016, 16:45 | |
| La question des regrets de Dieu a un lien avec la représentation que l'on fait de Dieu. Pour certains un Dieu qui se repent est impensable, Dieu ne change pas d’avis, il n’est pas semblable à l’homme "pour se repentir ou avoir du regret". Pour eux Dieu ne change jamais, sauf si la souffrance des hommes engendre le "repentir" de Dieu. Pour eux Dieu est immuable. Dans le cadre de la croyance en Dieu, nous sommes obligés de constaté que Dieu change et modifie ses plans et ses décisions. Que faisait Dieu avant la création ? Pourquoi a-t-il décidé à un moment donné de créer plutôt qu’à un autre ? S’il a choisi un moment donné, il a du changé, il n’est donc pas parfait puisqu’il dois se modifier pour accomplir ce qu’il veut faire. Il n’est pas non plus omniscient et sagesse, puisque s’il a créé à un moment donné, c’est que ses idées ont également changés, des idées qu’il n’avait pas avant.
http://www.epistheo.com/peut-on-se-representer/ |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Les regrets de Dieu Lun 01 Fév 2016, 17:13 | |
| L'auteur pose assez bien le problème classique du "temps" et de "l'éternité" (tel que nous l'avons évoqué il y a peu à propos de l'épître aux Hébreux), sauf qu'il ne poursuit pas son raisonnement jusqu'à sa conclusion inéluctable: à savoir que de "l'éternité" divine comme non-temps (et non-espace) il n'y a strictement rien à dire, autrement dit que tout discours méta-physique est à la lettre une im-posture (ainsi que l'illustre la nécessité où il se trouve d'employer des "métaphores" spatiales ou temporelles pour dire des choses formellement contradictoires comme "avant ou après le temps", "au-delà ou hors de l'espace et du temps"). Dans la mesure où la notion même de changement implique la catégorie du temps, il n'y a guère plus de sens à dire que "Dieu ne change pas" qu'à dire que "Dieu change": l'avantage apparent de la première formule sur la seconde consiste exclusivement dans sa négation, et cela vaudrait tout autant pour n'importe quel verbe, d'"état" (être, devenir, etc.) ou d'"action" (agir, faire, etc.). Le "supplément de vérité" de la proposition négative sur l'affirmative n'est tel que dans la mesure où il est compris comme nul. Le moins mauvais type de discours sur "Dieu", si l'on veut, ce serait encore celui de la contradiction formelle qui juxtapose les contraires à la manière héraclitéenne: Dieu change et ne change pas. En fin de compte c'est bien ce que fait "la Bible", globalement et parfois localement (dans une unité de texte donnée comme Genèse 6--9 ou 1 Samuel 15), quand même elle ne le ferait jamais "exprès" (que la contradiction résulte historiquement d'un processus canonique ou rédactionnel, compilation de textes originellement distincts dans la Genèse ou intégration de glose dans Samuel, ne la dévalorise aucunement). |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Les regrets de Dieu Mer 04 Jan 2017, 17:34 | |
| Le texte Mt 19,7 ss n'a pas un lien direct avec ce fil mais il présente un Dieu qui déroge à sa règle ou sa loi, "C’est pour tenir compte de votre dureté de cœur". Un Dieu qui révise au rabais, sa vision du couple en raison de la dureté de coeur de son peuple et qui reveins sur cette concession ( ou qui la regrette). Je ne sais pas si il y a d'autres textes bibliques qui indique que Dieu évalue sa loi en fonction de l'état d'esprit des humains. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Les regrets de Dieu Mer 04 Jan 2017, 23:01 | |
| En fait, la formulation du texte laisse prudemment "Dieu" en-dehors de la question... Dans le texte-"source" de Marc 10, la question des pharisiens portait sur la répudiation en général (permise ou non); Jésus leur retournait la question "que vous a commandé Moïse ?" (formule qui implique déjà une distanciation par rapport à la loi de Moïse, comme "votre loi" dans Jean), puis écartait leur référence au Deutéronome (24,1ss) pour cause de non-conformité du texte ("le commandement") de Moïse avec la parole même du "créateur" dans la Genèse. La logique du dialogue (comme celle de beaucoup de controverses de Marc, chap. 2, 3, 7 etc.) aboutit à discréditer purement et simplement la "loi de Moïse", ici comme reflétant une "dureté de cœur" (expression qui, comme on l'a vu, s'entend déjà autrement en grec qu'en hébreu) qui serait celle de ses interlocuteurs ("votre" dureté de cœur"), et par extension celle des "juifs" en général et déjà d'"Israël" au temps de Moïse, et non une parole de Dieu. Matthieu évidemment ne l'entend pas de cette oreille, puisque pour lui la loi de Moïse est intégralement divine et reste tout aussi intégralement valide (5,17ss). Il apporte donc un certain nombre de modifications au texte de Marc: 1) La question ne porte plus sur la répudiation en général, mais sur la répudiation pour tout (= n'importe quel) motif, v. 3; du coup le rapport au Deutéronome va être différent: il ne s'agira plus de récuser le texte, mais de l'interpréter, précisément quant au motif de répudiation que celui-ci stipule de façon assez vague ou obscure (quelque chose d'indécent ou d'inconvenant, en hébreu `rwt dbr, "nudité de parole/chose"); le débat sur ce point est en fait largement ouvert dans le pharisaïsme (cf. le Talmud), mais Matthieu suppose ses pharisiens "laxistes" ( tout motif leur serait bon pour répudier) et leur oppose une interprétation "stricte": c'est la porneia seule qui constituerait un motif de répudiation, et non au sens où elle autoriserait, mais où elle entraînerait nécessairement la répudiation (v. 9; cf. l'histoire de Joseph le "juste" qui croit devoir répudier Marie pour ce motif au chap. 2). 2. L'ordre du dialogue est changé: Jésus n'interroge plus les pharisiens sur la loi de Moïse (c'est lui le maître de la Loi, et il ne s'en distancie pas), il cite directement la Genèse comme partie intégrante de la Loi et non plus contre celle-ci (v. 4ss); ce sont les pharisiens qui lui objectent ensuite le Deutéronome (v. 7), à quoi il leur répond que c'est (seulement) au regard de leur "dureté de cœur" que Moïse autoriserait la répudiation "pour tout motif". La formulation est ici très proche de celle de Marc, mais elle n'a plus du tout le même sens: ce n'est plus "le commandement" du Deutéronome en lui-même qui est en cause, mais l'interprétation que les pharisiens en feraient selon leur "dureté de cœur"; l'opposition avec la Genèse montre l'erreur de l'interprétation pharisienne et non celle du Deutéronome; si Deutéronome 24 est lu comme le lit Matthieu ("indécence" = porneia => répudiation automatique), il n'y a plus de contradiction entre ce texte et (l'interdiction de la répudiation tirée de) la Genèse. Les modifications rédactionnelles que Matthieu apporte à Marc sont subtiles, et il faut beaucoup d'attention pour en saisir le sens, surtout quand on est habitué à lire les évangiles "synoptiques" comme des "parallèles complémentaires" qui disent essentiellement la même chose. Quant aux textes qui suggèrent que Dieu adapte ou modifie (je suppose que c'est ce que tu veux dire par "évalue") sa loi en fonction des destinataires, je pense naturellement à Ezéchiel 20,25s dont on a déjà parlé plusieurs fois (les sacrifices des premiers-nés prescrits à titre punitif). Mais toute la logique de l'épître aux Romains qui fait de l'ensemble de la loi une prescription provisoire, pour autant qu'elle l'attribue quand même à Dieu (ce qui est déjà moins évident dans Galates), peut être rangée dans cette catégorie. Sans compter toutes les variations effectives de la Torah sur un sujet donné (p. ex. rétribution collective ou individuelle), parfois présentées comme des révélations supplémentaires ou correctrices répondant à une situation imprévue, ainsi pour le châtiment du blasphème (Lévitique 24), de l'infraction au sabbat (Nombres 15) ou l'héritage des femmes (les filles de Çelophhad, Nombres 27): "Dieu" n'a pas pensé à tout du premier coup. La Torah, comme le concept de "loi" qui ne lui convient qu'en partie, est à la fois ouverte et fermée: l'addition, le commentaire et l'interprétation font loi comme le texte qui les précède et les suscite, comme la jurisprudence fait loi malgré les hiérarchies et les ordres de priorité qui résultent de cette stratification finie et infinie. D'où "loi écrite" et "loi orale" dans le pharisaïsme, impossibles à séparer parce que la première ne doit sa force de loi applicable qu'à la seconde et que la seconde finit par être écrite au même titre que la première, sans effacer la différence. Paradoxe non moins grand d'ailleurs du côté paulinien où malgré le rejet de la Torah et (du principe même) de la loi, si radical qu'il soit, on n'en finit pas de légiférer... |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Les regrets de Dieu Lun 24 Jan 2022, 14:52 | |
| "Voici ce que me fit voir le Seigneur DIEU : il façonnait des criquets au moment où le regain commençait à croître ; c'était le regain après la coupe du roi. Comme ils dévoraient entièrement l'herbe du pays, je dis : Seigneur DIEU, pardonne, je t'en prie ! Comment Jacob subsisterait-il ? Il est si petit ! Le SEIGNEUR en eut du regret. Cela n'arrivera pas, dit le SEIGNEUR. Voici ce que me fit voir le Seigneur DIEU : le Seigneur DIEU proclamait le jugement par le feu ; le feu avait dévoré le grand abîme et dévorait la parcelle. Je dis : Seigneur DIEU, arrête, je t'en prie ! Comment Jacob subsisterait-il ? Il est si petit ! Le SEIGNEUR en eut du regret. Cela non plus n'arrivera pas, dit le Seigneur DIEU" (Amos 7,1-6).
"Cela non plus n'arrivera pas", nous retrouvons dans ce texte un passage inattendu d'une annonce de jugement à annulation du jugement annoncé.
Commentaire biblique de Amos 7.2
Quand elles eurent achevé…, c’est-à-dire : dans la vision ; car la suite montre que ce n’est ici qu’une menace et une menace qui, grâce à l’intercession du prophète, n’aura pas d’effet.
Veuille pardonner. Les prophètes étaient, comme Moïse, des intercesseurs qui, après avoir parlé au peuple de la part de Dieu, s’adressaient aussi à Dieu au nom du peuple, à moins que Dieu lui-même ne leur eût expressément interdit ce rôle Jérémie 7.16 ; Jérémie 11.14 ; Jérémie 14.11 ; Amos ne conteste pas la justice du châtiment ; il fait appel à la compassion de Dieu, en alléguant la faiblesse de son peuple.
https://www.levangile.com/Bible-Annotee-Amos-7.htm
Commentaire biblique de Amos 7.4 (4 à 6 vision du feu).
Une menace plus terrible que celle des sauterelles : un feu qui apparaît, dévorant les eaux de la mer (le grand abîme) et consumant les terres, littéralement : la portion), par où il faut entendre probablement le patrimoine d’Israël, la Terre Sainte, que baigne la mer Méditerranée. Comme dans la vision précédente, le terme dévora désigne ici uniquement ce qui se passe en vision et en tant que menace. Encore une fois, la réalisation du châtiment est détournée, grâce au prophète.
https://www.levangile.com/Bible-Annotee-Amos-7.htm
Amos 7.9 ("je ne lui passerai plus rien").
Si nous réunissons ces trois visions, qui forment évidemment un tout, nous reconnaîtrons que l’idée générale qu’elles expriment est celle-ci : Il doit venir un moment où, après avoir mainte et mainte fois révoqué ses menaces à la prière de ses serviteurs, Dieu frappera, sans que rien puisse l’arrêter. Ce moment est maintenant arrivé pour le peuple des dix tribus. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Les regrets de Dieu Lun 24 Jan 2022, 15:38 | |
| La suite n'est pas vraiment une "promesse de salut"... (J'ai vu après coup que tu as corrigé.) Sur le verbe nhm employé ici (comme dans la Genèse) pour le "regret", le "repentir" ou le "changement d'avis" de Dieu, voir ici et surtout là: le rapport entre "regret" et "consolation" n'est pas évident en français, mais il faut essayer de tenir ensemble ces deux notions (qui pour nous font bien deux) pour entendre ce que dit l'hébreu, une modification essentiellement affective (changement d'humeur, de sentiment) derrière une éventuelle modification "cognitive" ou "volitive" (changement d'avis ou de décision). Au risque de l'anachronisme (de toute façon inévitable), on pourrait percevoir dans la progression ou régression d'Amos 7 une dimension "écologique" avant la lettre: aux destructions de la terre et du vivant (y compris agricole) Yahvé renonce, mais non à la destruction des "superstructures" cultuelles et politiques (sanctuaires, royaumes et dynasties)... Au passage, il est improbable que l'"abîme" désigne ici la mer: dans les cosmologies mésopotamiennes ou levantines que reflètent diversement les textes "bibliques", il y a aussi une distinction entre l'océan inférieur et supérieur qui sont d'eau douce (d'où pluies et sources) et l'océan marin (et salé). Mais tout cela était beaucoup moins connu à l'époque de La Bible annotée (fin XIXe s., on n'avait pas encore découvert Ras Shamra = Ougarit). |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Les regrets de Dieu Ven 01 Déc 2023, 10:25 | |
| Alliance de Noé : comme s'il regrettait la malédiction du déluge, Dieu se demande pardon à lui-même et bénit tout vivant; mais le signe de cette alliance est furtif, météorique
Après le déluge, Dieu semble regretter ce qu'il a fait. Il reconnaît avoir commis une faute, une punition collective excessive. Ce n'est pas aux hommes ni aux animaux qu'il demande pardon, mais à lui-même. Il se promet de ne plus jamais recommencer, et décide de conclure une alliance avec Noé. Le signe qu'il choisit alors pour symboliser cet alliance, l'arc-en-ciel (Gn 9:13-17), est assez particulier. C'est un signe intermittent, furtif, météorique, un phénomène qui apparaît dans l'atmosphère sans jamais se stabiliser. On ne sait pas d'où il vient. Il est bref, rapide, passager, "peut-être aussi coupable et clandestin qu'un voleur" écrit Derrida (p185).
Sur cette suite (malédiction / sanction / pardon / bénédiction), on peut faire quelques observations :
- si Dieu demandait pardon à autrui (aux hommes, aux animaux exterminés), il se déchargerait sur eux de la faute. Il se mettrait dans leur dépendance pour obtenir d'eux l'absolution. En tant que Dieu souverain, il ne peut que s'abstenir.
- et pourtant ce Dieu souverain se repent, ou plutôt il se rétracte, se replie sur lui-même. Reconnaissant sa faute, il en accepte la responsabilité en se pardonnant lui-même. C'est alors que, en plus, il promet à tout vivant de ne pas recommencer. Cette promesse d'alliance est un don, une compensation. Ni sa faute, ni le mal qu'il a fait, ni celui des hommes, ne sont détruits. La dette n'étant pas soldée, c'est un autre mouvement qui s'enclenche : la malédiction est suspendue, elle se transforme en bénédiction.
- c'est la signification de l'arc-en-ciel : tout cela ne peut être que furtif, provisoire [en vérité, Dieu peut toujours changer d'avis]. Si même le Dieu souverain, en son for intérieur, n'est pas sûr de pouvoir se pardonner lui-même, c'est que le pardon est impossible.
- le Dieu de la bible ne cesse de revenir sur lui-même, de se rétracter, de s'interroger sur la création. Ces "rentrées en soi", écrit Derrida (p194), ce redoublement, cette "rétractation de rétractation", ce "repentir de repentir", c'est l'axiome absolu d'un Dieu à la fois fini et infini, qui conduit au questionnement de la théologie négative.
- peu après cette alliance, Noé, le père, se mettra à nu devant ses fils (Gn 9:22-24). On pourrait, comme le fait Derrida (p202), rapprocher cette mise à nu de l'inconditionnalité, de la pureté absolue de l'alliance.
https://www.idixa.net/Pixa/pagixa-1705041830.html |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Les regrets de Dieu Ven 01 Déc 2023, 12:00 | |
| Cf. ici 19.10.2022 et là 31.1.2023 -- dans le second lien j'avais exprimé quelques réserves philologiques sur l'association du thème du regret ou de la repentance divin(e/s) ( nhm, suivre éventuellement les liens supra 24.1.2022) au "pardon" (surtout avec l'idée de demander pardon) et au "don", qui ne fonctionne ainsi qu'en français: les associations de l'hébreu (notamment avec la "consolation" liée au "deuil") ou du grec (avec le changement mental, intellectuel, affectif, émotionnel, du changement d'avis ou d'opinion au changement de sentiment ou de comportement, metanoeô, metamelomai etc.) sont différentes, mais tout aussi fécondes. Dans la Genèse, on peut remarquer que juste avant le regret ( nhm) de Dieu au chapitre 6 il y a l'annonce de la consolation ( idem) liée au nom de Noé, par jeu de mots entre nhm et nwh, "repos"... motif qui n'était peut-être pas lié originellement au déluge mais à la vigne et au vin (chap. 9), avant l'insertion du récit diluvien (qui sépare aussi artificiellement, comme on l'a vu ailleurs, les " géants" d'avant et ceux d'après). Quoi qu'il en soit le texte définitif offre un bel entrelacs de résonances et de méditations possibles. Il faudrait cependant rapprocher ce motif "biblique" d'un thème infiniment plus profond et plus vaste, en plus d'un sens océanique, ce que j'appellerais en français la "nostalgie", que d'autres langues nomment et pensent différemment mais tout aussi profondément (p. ex. Sehnsucht en allemand, saudade en portugais). Avec en grec classique, tragique et philosophique (Agathon, Aristote), cette idée que nous avons souvent évoquée, à savoir que même les dieux ne peuvent pas faire que ce qui a eu lieu n'ait pas eu lieu. Soit une pensée à contre-temps, à contre-histoire, à contre-événement, à contre-acte et à contre-récit, qui est peut-être l'essence même de la pensée et qui engage aussi une dialectique de la puissance: un tout-puissant cesserait de l'être au moindre acte, au moindre geste, à la moindre parole qu'il ne pourrait plus effacer, dès lors qu'il y a de la mémoire, fût-il le seul à se souvenir; sa toute-puissance serait aussi bien toute-impuissance, puisqu'elle ne se conserverait intacte qu'à la stricte condition de ne rien faire: dès le premier mot divin, fiat, soit, qu'il y ait, qu'il advienne, yhy, genèthètô, de la Genèse, le dieu n'est plus libre, il subit et ré-agit, aussi patient passif qu'agent actif, condamné à la suite, incapable de changer quoi que ce soit au passé en tant que tel. C'est toute l'histoire du déluge (dès Atrahasis ou Gilgamesh, malgré la pluralité des dieux), mais c'est aussi celle du repos divin à la fin de la semaine de "création" de Genèse 1--2,4a, avec le retour du même verbe archi-général "faire" ( `sh, poieô): cesser de faire n'empêche pas d'avoir fait, et de le regretter. Dans les cosmogénèses antiques, la nostalgie prend la forme (ou l'informe) océanique du retour à l'indifférencié (l'abîme, la mer, Tiamat, Yam[m], tehôm, tohu-bohu, cf. l' apeiron d'Anaximandre), mais dans le monothéisme et sa conséquence logique de creatio ex nihilo (quand même cette conséquence n'est expressément tirée que dans l'ère chrétienne, y compris du côté juif) le retour ne pourra plus être que vers "Dieu" ou "rien", paradoxalement synonymes. Pas plus possible ni impossible qu'avant, pour autant puisqu'il ne s'agirait pas seulement de faire qu'il n'y ait plus rien mais que rien n'ait jamais eu lieu, l'impossible même aux dieux. Le "nihilisme" aussi est profond, profond, comme dirait Nietzsche, il est même le fond sans fond de toute profondeur. (Voir aussi cet autre fil.) Cette "nostalgie océanique" recouvre évidemment, mais aussi déborde, la "pulsion de mort" (la Todestrieb freudienne de Jenseits des Lustprinzips, Au-delà du principe de plaisir, que Lacan commentait en citant Valéry, "A un serpent": "... que l'univers n'est qu'un défaut dans la pureté du non-être") -- parce que la mort non plus n'empêche pas d'avoir vécu -- au contraire. Elle ne s'en rapproche qu'avec l' oubli, seul antidote de la mémoire. |
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