|
| Semaine sainte | |
| | |
Auteur | Message |
---|
free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Semaine sainte Mar 06 Avr 2021, 10:43 | |
| "Lorsque le sabbat fut passé, Marie-Madeleine, Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des aromates, pour venir l'embaumer. Le premier jour de la semaine, elles viennent au tombeau de bon matin, au lever du soleil. Elles disaient entre elles : Qui roulera pour nous la pierre de l'entrée du tombeau ? Levant les yeux, elles voient que la pierre, qui était très grande, a été roulée. En entrant dans le tombeau, elles virent un jeune homme assis à droite, vêtu d'une robe blanche ; elles furent effrayées. Il leur dit : Ne vous effrayez pas ; vous cherchez Jésus le Nazaréen, le crucifié ; il s'est réveillé, il n'est pas ici ; voici le lieu où on l'avait mis. Mais allez dire à ses disciples et à Pierre qu'il vous précède en Galilée : c'est là que vous le verrez, comme il vous l'a dit. Elles sortirent du tombeau et s'enfuirent tremblantes et stupéfaites. Et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur" (Marc 16,1ss).
Les 3 femmes nous font découvrir à travers leurs yeux la scène, "Levant les yeux", "elles virent". Progressivement elles nous font découvrir d'abord la pierre déroulée et ensuite une présence : un jeune homme assis à droite, vêtu d'une robe blanche. Le tombeau n'est donc pas vide, mais un jeune homme à l'intérieur apprend aux femmes concernant Jésus : "il s'est réveillé, il n'est pas ici" mais "vous le verrez". Les femmes croyaient avoir à trouver quelqu’un pour dérouler la pierre, mais celle-ci l’est déjà. Elles pensaient entrer seules dans le tombeau pour embaumer le corps du crucifié mais un autre, un vivant, s’y trouve déjà pour dire qu’il n’y a plus là de corps à embaumer : Il s’est réveillé. Ce récit nous renvoie à Marc 14,28 : "Mais après mon réveil, je vous précéderai en Galilée". |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Semaine sainte Mar 06 Avr 2021, 11:36 | |
| Ce récit, dans sa forme "définitive" (sans les "conclusions" longue ou courte ajoutées beaucoup plus tard après le v. 8, mais peut-être après amputation d'une "apparition" effective "en Galilée": certains pensent que l'ultime chapitre 21 ajouté à Jean, qui trouve aussi un certain "parallèle" en Luc 5, pourrait provenir d'une mouture antérieure de Marc), renvoie bien au début du livre, avec l'effet de "mise en boucle et en abyme" qu'on a décrit plus haut: en refermant le livre sur lui-même, en rabattant la fin sur le commencement, il l'ouvre à une lecture infinie (tout est à recommencer, à relire, à réécouter et à réinterpréter), mais il rend aussi impossible toute "suite" narrative (le silence des femmes coupe toute "chaîne de transmission"); ou, si l'on préfère, la "suite" est dans la relecture infinie du texte, pratique assurément "communautaire" et "liturgique", mais non dans une "histoire (événementielle et linéaire) de l'Eglise" à la façon des Actes.
Pour rappel, la rédaction de Luc-Actes implique au contraire la suppression de la promesse de Marc 14,28 (omise dans le texte "définitif" de Luc): il n'est plus question de repartir en Galilée, personne ne doit s'éloigner de Jérusalem, ceux qui s'en vont y sont même renvoyés par le ressuscité en personne (Emmaüs). |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Semaine sainte Mar 06 Avr 2021, 12:13 | |
| Propre à Matthieu, l’épisode de « la garde du tombeau » (27, 62-66) ramène à l’avant-scène les grands prêtres et les pharisiens. Leur requête adressée à Pilate mentionne deux fois la résurrection. Ils font mémoire de la prédiction de Jésus et craignent un rapt du corps par les disciples, qui diraient : « Il a été éveillé des morts » (v. 64). Le tout s’achève par une double précaution : des scellés mis sur la pierre et un peloton de garde.
La visite des « deux femmes au tombeau » (28, 1- est racontée, dans les grandes lignes, sous la forme littéraire d’une « annonciation » :
a) L’événement s’ouvre (v. 2-3) par un « séisme » qui introduit l’Ange du Seigneur. Ce dernier roule la pierre, signe de la puissance de la mort, et s’assied dessus, signe de la victoire sur la mort. Son aspect lumineux confirme son origine céleste.
b) Dans les annonciations, l’apparition céleste suscite la crainte. Ici, cette réaction est transférée aux gardes qui, secoués, sont « comme morts » (v. 4).
c) Fidèle aux annonciations, le discours (v. 5-7) s’ouvre par l’invitation à ne pas craindre. Puis vient la révélation (le Crucifié est ressuscité), assortie d’un signe (« venez voir le lieu où il gisait ») et d’une mission : annoncer la nouvelle aux disciples et leur donner rendez-vous en Galilée.
d) Avec une crainte religieuse et en grande joie, les femmes courent accomplir leur mission (v. .
Au fil du texte.
2. Dans l’affaire de la garde du tombeau (Mt 27, 62 ss.), « les pharisiens » refont surface, en une alliance peu naturelle avec « les grands prêtres ». Le lecteur devine que le procès de Jésus va se poursuivre à travers ses disciples, sur le plan politique avec les autorités du Temple, sur le plan doctrinal avec les pharisiens. Pour eux tous, Jésus est un imposteur, et sa résurrection une imposture. Malgré eux, ils prophétisent. Oui (v. 64), bientôt « ses disciples diront au peuple : il a été éveillé des morts ».
3. Chez Marc 16, 2, la visite au tombeau se situe à l’aube du dimanche. Mais Matthieu 28, 1 peut se traduire ainsi : « le soir du sabbat, alors que commençait à luire le premier jour de la semaine » (voir « Dans le lectionnaire »). Dans le judaïsme ancien, le jour commence avec la première étoile du soir. À preuve déjà le comput de Genèse 1, 5 : « Il y eut un soir, il y eut un matin : jour premier. » En ce cas, chez Matthieu, la visite au tombeau se passe de nuit, une nuit qu’illumine l’Ange, non seulement parce qu’il a l’aspect de l’éclair, mais à cause de son message.
4. L’Ange du Seigneur n’était plus intervenu depuis les récits de l’Enfance (Mt 1 – 2). Il signifie la présence de Dieu lui-même avec, ici, deux aspects déterminants.
a) C’est d’abord l’aspect « visuel » (v. 2-3) réunissant les symboles qui révèlent Dieu comme vainqueur de la mort. Marc 16, 4 se contentait d’indiquer la découverte de la pierre déjà roulée. Malgré la surenchère de Matthieu, la perspective reste la même : si les premiers témoins ont vu Jésus ressuscité, ils ne l’ont pas vu « ressusciter », l’événement en soi transcendant l’histoire humaine. Avec ses parallèles canoniques, la logique de Matthieu n’est pas celle-ci : « il n’est pas ici, donc il est ressuscité « , mais bien celle-là : « il est ressuscité, donc il n’est pas ici, chez les morts ». Le tombeau vide n’est pas une preuve (voir la thèse du rapt, Mt 28, 13), mais un indice proposé à la foi.
b) L’autre aspect à considérer est « la parole », le message de l’Ange, résumé en une formule : « Il a été éveillé (par Dieu) d’entre les morts » (v. 7). La phrase constitue l’essentiel de la foi chrétienne et le pivot de l’annonce missionnaire. Mettre ce « kérygme » dans la bouche de l’Ange, c’est dire que cette foi a pour origine une révélation de Dieu en personne dans le cœur des croyants. https://www.bible-service.net/extranet/current/pages/592.html |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Semaine sainte Mar 06 Avr 2021, 14:40 | |
| Pour rappel, on trouve un développement remarquable du récit matthéen de la garde au tombeau dans l'Evangile de Pierre, qui mérite d'être lu (ce qu'il en reste n'est pas très long). D'autre part, l'ambiguïté chronologique de Matthieu (dimanche matin ou samedi soir ?) est naturellement surexploitée par les adventistes... du septième jour.
Quant à l'aspect "semeur de doute", intentionnel ou non, que j'évoquais plus haut, il ne s'agit jamais que de mon "ressenti", comme on dit maintenant, mais qui prouve au moins que c'est un effet possible du texte. Outre son côté "antijudaïque primaire" (les grands prêtres et les pharisiens sont vraiment des enfoirés), la suggestion, même écartée, d'un scénario "alternatif" on ne peut plus prosaïque (le "rapt" du corps par les disciples) jette une ombre sur le côté "triomphaliste" de la résurrection, elle l'empêche de s'imposer au lecteur comme une évidence incontestable. On peut en douter, comme on pourra encore douter de la dernière apparition (28,17; cf. 14,31; 21,21). |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Semaine sainte Mar 06 Avr 2021, 15:48 | |
| - Citation :
- On peut en douter, comme on pourra encore douter de la dernière apparition (28,17; cf. 14,31; 21,21).
"Les onze disciples allèrent en Galilée, sur la montagne que Jésus avait désignée. Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais quelques-uns eurent des doutes ; Jésus s'approcha et leur dit : Toute autorité m'a été donnée dans le ciel et sur la terre. Allez, faites des gens de toutes les nations des disciples, baptisez-les pour le nom du Père, du Fils et de l'Esprit saint, et enseignez-leur à garder tout ce que je vous ai commandé. Quant à moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin du monde" (Mt 28,16-20).Il est effectivement étonnant que certains des onze disciples doutent alors qu'ils ont vu Jésus ressuscité. A quoi correspond ce doute ? Un extrait :L'énoncé de Mt 28, 16 se présente explicitement comme l'acceptation par les Onze disciples du mandement de l'Ange du Seigneur (Mt 28, 7), puis du Ressuscité (Mt 28, 10), transmis sans doute par les femmes11, mais le lecteur reconstitue de lui-même le maillon narratif manquant. Nous nous retrouvons donc en Galilée, cette localisation étant surdéterminée par la mention de la montagne, un des lieux classiques des epiphanies dans la tradition biblique. Cependant, ce qui intéresse Matthieu, c'est moins le récit de l'apparition en tant que tel que l'ultime déclaration du Ressuscité à ses Onze disciples. Cette dernière est introduite par la mention du doute de ceux-ci : « Mais eux doutèrent». Je justifierai plus bas le choix de cette traduction, comme je m'efforcerai alors de préciser la valeur sémantique de ce doute. Pour le moment, qu'il nous suffise de saisir comment cette lecture de hoi de edistasan trouve sa place dans le cadre de la péricope de l'apparition aux Onze en Galilée. Dans la mesure où, à la vue du Ressuscité, les disciples se sont prosternés devant lui, une attitude adoptée par les personnages reconnaissant la dignité de Jésus, leur doute ne porte pas ici sur l'identité du Ressuscité, comme c'est le cas dans d'autres récits d'apparition pascale rapportés dans d'autres évangiles (Le 24, 38.41 ; Me 16, 11.13.14) ; mais ce doute vise un manque, que la déclaration subséquente du Ressuscité, logiquement destinée à combler celui-ci, invite à identifier à une incompétence ou un blocage les concernant.Concrètement, la déclaration du Ressuscité commence par un énoncé de celui-ci sur son pouvoir universel. Ce que Jésus avait refusé de recevoir du diable sur la montagne de la tentation (Mt 4, 8-10), le Crucifié Ressuscité affirme l'avoir maintenant reçu de Dieu ; edothè, en Mt 28, 18 est en effet un beau passif théologique s'inspirant sans doute de Dn 7, 14 (LXX). Cependant le plus important à relever, dans la logique narrative de la séquence pascale de Matthieu, c'est que ces pleins pouvoirs du Ressuscité au ciel et sur terre légitiment entièrement l'envoi de ses plénipotentiaires en direction de toutes les nations, y compris Israël, et non plus seulement vers les seules brebis perdues de la maison d'Israël (Mt 10, 6). Avec la résurrection de Jésus, un temps nouveau de l'histoire du salut est inauguré, ne rendant pas caduques les consignes missionnaires du Jésus terrestre à l'adresse d'Israël (Mt 10, 5-42), mais les recadrant dans une perspective universaliste. Puisque la Seigneurie du Ressuscité est universelle, il est du droit et du devoir de ses mandatés de faire disciples toutes les nations, en les baptisant et en leur enseignant à garder toutes les prescriptions de leur Seigneur.Pour mener à bien cette mission déjà légitimée par l'affirmation de son pouvoir universel, le Ressuscité promet enfin sa présence active avec ses disciples tous les jours, jusqu'à l'accomplissement du siècle. C'est l'antidote décisif au doute manifesté au verset 17. Ainsi s'accomplit aussi l'oracle d'Isaïe cité en Mt 1, 23 : « On lui donnera le nom d'Emmanuel». La boucle est bouclée entre la première parole d'accomplissement de l'évangile matthéen et la déclaration finale du Ressuscité. Mais chacun l'aura également relevé : dépassant le cercle des Onze disciples historiques de Jésus, et même l' aujourd'hui de la rédaction évangélique (Mt 28, 15), ces dernières paroles du Ressuscité s'adressent à tous les disciples de tous les temps «jusqu'à l'accomplissement du siècle » (Mt 28, 20). De ce point de vue, la conclusion du premier évangile est la conclusion éminemment ouverte d'un livre en quête de lecteurs destinés à devenir des disciples jusqu'au jour de Son avènement (Mt 24, 3). https://www.persee.fr/docAsPDF/rscir_0035-2217_2005_num_79_1_3750.pdf |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Semaine sainte Mar 06 Avr 2021, 17:17 | |
| Article très stimulant, qui ouvre plusieurs pistes de lecture extrêmement intéressantes (p. ex. l'opposition de l'attitude des Onze qui "doutent" à celle des femmes, à laquelle je n'avais pas pensé: il faudrait traduire "mais ceux-là doutèrent" plutôt que "mais quelques-uns doutèrent"). Je lui reprocherais seulement de ramener l'analyse narrative à une "intention d'auteur", fût-il "implicite", quand il suffirait de parler de l'effet du texte, dont "le lecteur-auditeur" (si nombreux et divers soit-il) est en définitive seul témoin et juge, par-delà tout "auteur" et toute "intention". Autrement dit, l'effet que nous fait un texte, à la première lecture ou à la millième pourvu qu'elle soit encore une vraie lecture, et non simple rappel d'une "connaissance acquise", en dit toujours plus long sur celui-ci que tout avis d'"autorité", qu'elle soit traditionnelle, magistérielle ou "scientifique"... Mais il faut un minimum de confiance en sa propre (capacité de) lecture (réception, compréhension) pour ne pas s'en laisser trop facilement détourner par des "avis" extérieurs, si "autorisés" soient-ils -- et, cela va de pair, l'audace d'assumer son propre sentiment de "lecteur lambda", quand un texte nous fait "douter" par exemple, mais aussi quand il nous hérisse, nous rebute, nous ennuie, etc., autant que quand il nous enthousiasme.
Cela dit, je ne suis pas convaincu, pour ma part, que l'"antidote" matthéen au doute réside principalement dans la relation personnelle au Ressuscité (sa présence, etc.): le Christ matthéen est avant tout un "maître", au sens d'"enseignant" plutôt que de "seigneur", sa mort comme sa résurrection sont foncièrement étrangères à cette fonction, elles ne lui enlèvent rien et ne lui ajoutent rien; il s'agit surtout de faire ce qu'il dit -- depuis le Sermon sur la montagne jusqu'à l'ultime vocation, même si celle-ci est un ajout tardif: "leur enseignant à garder/observer tout ce que je vous ai commandé" (28,20a). |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Semaine sainte Mer 07 Avr 2021, 12:20 | |
| "Les femmes — celles-là même qui étaient venues de Galilée avec lui — suivirent, elles virent le tombeau et la manière dont son corps y fut mis, et elles s'en retournèrent pour préparer des aromates et des parfums. Puis, pendant le sabbat, elles observèrent le repos, selon le commandement. Le premier jour de la semaine, elles vinrent au tombeau de grand matin, en apportant les aromates qu'elles avaient préparés. Elles trouvèrent la pierre roulée de devant le tombeau ; elles entrèrent, mais elles ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus. Comme elles étaient perplexes à ce sujet, deux hommes survinrent devant elles, en habits éclatants. Toutes craintives, elles baissèrent le visage vers la terre ; mais ils leur dirent : Pourquoi cherchez-vous le vivant parmi les morts ? Il n'est pas ici, il s'est réveillé. Souvenez-vous de quelle manière il vous a parlé, lorsqu'il était encore en Galilée et qu'il disait : Il faut que le Fils de l'homme soit livré aux pécheurs, qu'il soit crucifié et qu'il se relève le troisième jour. Et elles se souvinrent de ses paroles. Elles s'en retournèrent du tombeau pour raconter tout cela aux Onze et à tous les autres. C'étaient Marie-Madeleine, Jeanne, Marie de Jacques et les autres, avec elles ; elles le dirent aux apôtres ; mais ces paroles leur parurent une niaiserie et ils ne crurent pas les femmes". (Luc 23,55 24,1-11).
Nous pouvons noter que l’épisode de la visite matinale au tombeau vide et ouvert est rapporté par les quatre évangélistes , malgré quelques différences on observe des points commun : des femmes (ou une femme) viennent au tombeau; c’est le premier jour de la semaine ; ces femmes trouvent la pierre enlevée ou roulée à côté du tombeau; elles voient un ange (Matthieu) ou deux anges (Jean) ou un jeune homme (marc) ou deux hommes (luc). Chez saint Luc, les deux hommes en habits éclatants délivrent un message qui est un véritable rappel : "Souvenez-vous de quelle manière il vous a parlé, lorsqu'il était encore en Galilée et qu'il disait : Il faut que le Fils de l'homme soit livré aux pécheurs, qu'il soit crucifié et qu'il se relève le troisième jour. Et elles se souvinrent de ses paroles".
Un extrait :
Le voir et le « ne-pas-voir » En partant des observations d’Aletti , il est intéressant de poursuivre la recherche en l’appliquant à la finale de Luc où le paradigme du « voir » opposé au « ne-pas-voir » se retrouve abondamment utilisé. En effet, en guise d’épilogue au chapitre 23, le narrateur présente ces femmes qui ont regardé attentivement le tombeau (theaomai , Lc 23, 55) et la manière dont le corps de Jésus y avait été placé. Ces mêmes femmes vont, le premier jour de la semaine, ne-pas-trouver (ouch eupiskô, Lc 24, 3) le corps qu’elles avaient pourtant bien vu deux jours plus tôt (horaô, Lc 23, 49). Dans le prolongement du fil narratif, Pierre voit à son tour l’absence du corps, comme les femmes l’avaient dit, et les deux disciples sur le chemin confirment que ceux qui sont allés au tombeau n’ont pas vu Jésus (horaô, Lc 24, 24). Pourtant le narrateur ne dit pas que Pierre n’a rien vu, au contraire, il a vu qu’il n’y avait rien à voir (blepô, Lc 24, 12). Ce n’est qu’au verset 34 que le voir s’oppose au ne-pas-voir de Pierre, quand le narrateur fait entendre les paroles des disciples : « Le Seigneur s’est fait voir à Simon » (horaô, Lc 24, 34). Le récit d’Emmaüs met aussi en scène deux disciples qui voient un voyageur sans pourtant voir Jésus, étant empêchés de le reconnaître (ne-pas-voir, oi de ophthalmoi autôn ekratounto, Lc 24, 16). Et c’est paradoxalement quand ils le reconnurent que leurs yeux s’ouvrirent (dianoigô, Lc 24, 31a) , en leur donnant la capacité de voir, que le ne-pas-voir revient : « mais lui devint invisible devant eux » (aphantos, Lc 24, 31b).
Le croire et le « ne-pas-croire » Dans la même logique du voir/ne-pas-voir d’Aletti, Pierre Moitel souligne lui aussi une opposition, croire/ne-pas-croire, moins contrastée cependant, en Luc 24. Quand le narrateur précise que les apôtres et les autres étaient dans le ne-pas-croire , il sous-entend par opposition que les femmes sont dans le croire. Luc 24, 25 supporte la nécessité d’une transformation du ne-pas-croire vers le croire. En Luc 24, 27, le croire et le voir sont réunis mais avec une astuce narrative. En effet, on était à la fois dans un ne-pas-voir et un ne-pas-croire et voilà que soudainement, alors que Jésus apparaît, c’est le croire et le voir. Le voir ne peut pas tromper, c’est Jésus ! La logique du récit voudrait que le voir conduise au croire, tout comme ce fut le cas à Emmaüs lors de la fraction du pain, mais parce que le croire est frelaté, le voir devient lui aussi erroné : « Ils croyaient voir un fantôme ». Le bon voir sera rétabli en 24, 40 avec le « voyez » du verset 39, mais si le mauvais croire est dissipé, le bon croire n’est toujours pas là. Enfin, la présence dans le Temple au dernier verset de l’Évangile peut certainement être comprise comme un croire. https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2012-1-page-19.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Semaine sainte Mer 07 Avr 2021, 15:14 | |
| Article intéressant aussi, surtout par les tableaux à la fin -- dommage que l'auteur ne définisse pas plus précisément ce qu'il entend par synkrisis: cela semble se limiter à ses yeux à ce qu'on appelle improprement et vaguement "parallélisme", ou "rapprochement", sans qu'il (y / en) distingue nettement ce qui relève de la symétrie, du contraste ou de l'antithèse...
Le thème de la mémoire (souvenir, rappel) est assez largement distribué dans les évangiles, et pas seulement pour servir de "pont" entre l'"avant-mort" et l'"après-résurrection" (cf. Marc 8,18; 11,21; 14,9.72; Matthieu 5,23; 16,9; 26,13.75; 27,63; Luc 1,54.72; 16,25; 17,32; 22,19.61; 23,42; 24,6ss; Jean 2,17.22; 12,16; 15,20; 16,4.21). Mais à cette place ("pascale" ou "post-pascale"), il y va assurément du "sens" de ce qui précède, aussi bien de la "vie" de Jésus (ses actes, ses paroles) que de sa mort -- d'où l'importance que chez Marc la "résurrection" et son "sens" soient eux-mêmes objet de question (cf. supra 4.4.2021). En clair, la fonction des évangiles n'est pas seulement de conforter les chrétiens dans leur foi comme on confirmerait un acquis, mais bien d'interroger sur le "sens" de celle-ci -- que ce soit ou non dans leur "intention". |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Semaine sainte Mer 07 Avr 2021, 16:14 | |
| Le doute selon Mt 28, 17
1. Beaucoup de traductions récentes laissent entendre que parmi les onze qui se prosternèrent, « certains doutèrent ». Ce trait recouperait les données de Lc 24, 11.41 ou de Jn 20, 24-29. Mais ici, le fait que rien ne vient dissiper ce doute pose la question de la simple mention d’une divergence entre disciples. Celle-ci incite le lecteur, à quelques lignes de la fin de l’ouvrage, à remettre en cause la pertinence de l’acteur « disciples » et partant celle du narrateur même qui fait partager au lecteur le point de vue de cet acteur.
Approche intertextuelle
Cette approche structurelle paraît confortée par une démarche intertextuelle consistant à comparer cette finale de Mt à celle des Actes .
En effet, j’établirais un rapprochement entre le hoi de edistasan « mais eux, doutèrent » de Mt 28 et une expression qui se trouve en Ac 28, 24 hoi de épistoun « d’autres ne crurent pas ». La proximité des énoncés renvoie à une étonnante similitude des situations. Comme le ressuscité donne rendez-vous aux onze sur la montagne, Paul qui a frôlé la mort (28, 6) donne rendez-vous aux responsables de la communauté juive de Rome. Les uns et les autres se rendent qui auprès de Jésus qui chez Paul. Devant Jésus, les disciples se prosternent mais/ou doutent. Chez Paul, certains Juifs sont persuadés par ses discours, d’autres ne croient pas. La péricope de Mt débouche sur un envoi vers « toutes les Nations », celle d’Ac par un rappel d’Es 6, 9-10 (envoi vers un Israël décevant) et par l’annonce qu’« aux Nations a été envoyé ce salut de Dieu. Eux ils écouteront » (Ac 28, 28). Dans les deux cas, l’emploi de ethnos correspond à celui de l’hébreu goyim pour désigner non pas des peuples mais des individus non juifs qui deviendront disciples et seront baptisés (Mt) ou qui, à la différence d’Israël, écouteront (Ac).
Or, si la traduction du hoi de edistasan de Mt demeure délicate, celle du hoi de épistoun d’Ac ne pose aucune difficulté puisque nous retrouvons la formule courante men de … hoi de …, « les uns … les autres … » : le groupe des auditeurs de Paul se divise. Du coup, et si la prise en compte de cette proximité des deux énoncés amène à penser que la formulation de l’un renvoie à celle de l’autre et ce dans un sens Ac (le plus simple) vers Mt (le plus problématique), on peut suggérer deux positions divergentes.
L’une d’elles consiste à calquer la position des onze sur celle des auditeurs de Paul : les uns croient et se prosternent, mais les autres doutent, ce qui correspond à l’option 2 exposée plus haut. L’autre consiste à opposer les situations en tenant compte des différences dans les énoncés : – en Ac, Paul, pendant toute une journée, essaie de persuader; en Mt Jésus fait en quelques mots preuve d’autorité ; – en Ac, le discours débouche sur la persuasion et le doute ; en Mt le doute précède le discours. On ignore s’il perdure ; – en Ac, le doute entraîne la défection de certains auditeurs constatée par Paul qui y voit l’accomplissement de la prophétie d’Es ; en Mt le doute n’entame pas la cohésion du groupe si bien que même dans le cas de figure où certains doutent, le discours d’envoi par le ressuscité s’adresse à l’ensemble des présents conformément à la redondance caractérisée de ses paroles : tous les disciples sont envoyés vers toutes les Nations pour proclamer tous les jours toutes les paroles du Christ. https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2006-3-page-429.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Semaine sainte Mer 07 Avr 2021, 16:48 | |
| La comparaison avec les Actes serait plus significative s'il s'agissait de Luc, mais l'idée d'une divergence parmi les (onze) disciples (du point de vue de la traduction, on reviendrait de "mais ceux-là doutèrent" à "mais quelques-uns [d'entre eux] doutèrent") serait intéressante d'un autre point de vue: on a souvent noté que, par rapport à Marc, Matthieu tend à quantifier la foi (peu de foi, une grande foi, une telle foi: 6,30; 8,10.13.26; 9,29; 14,31; 15,28; 16,8; 17,20), et ce serait une façon, dans la conclusion, de relativiser cette relativité même. Qu'on ait plus ou moins de foi, qu'on croie ou qu'on doute, l'appel s'adresse à tous, et en définitive ce qui compte c'est ce qu'on fait (et ça, c'est indiscutablement "matthéen"). |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Semaine sainte Jeu 08 Avr 2021, 14:58 | |
| "Le premier jour de la semaine, Marie-Madeleine vient au tombeau dès le matin, alors qu'il fait encore sombre, et elle voit que la pierre a été enlevée du tombeau. Elle court trouver Simon Pierre et l'autre disciple, l'ami de Jésus, et elle leur dit : On a enlevé le Seigneur du tombeau, et nous ne savons pas où on l'a mis ! Pierre et l'autre disciple sortirent donc pour venir au tombeau. Ils couraient tous deux ensemble. Mais l'autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau ; il se baisse, voit les bandelettes qui gisent là ; pourtant il n'entra pas. Simon Pierre, qui le suivait, arrive. Entrant dans le tombeau, il voit les bandelettes qui gisent là et le linge qui était sur la tête de Jésus ; ce linge ne gisait pas avec les bandelettes, mais il était roulé à part, dans un autre lieu. Alors l'autre disciple, qui était arrivé le premier au tombeau, entra aussi ; il vit et il crut. Car ils n'avaient pas encore compris l'Ecriture, selon laquelle il devait se relever d'entre les morts. Les disciples s'en retournèrent donc chez eux" (Jean 20,1-10).
Ce qui peut paraître une preuve au croyant n’en est pas une pour d’autres. Celui qui tend le bras en direction de la lune ne montre rien du tout à celui qui ne peut pas voir la lune, ou qui ne veut pas lever le nez. Et pourtant, le bras n’a de sens que par rapport à la lune… Un signe est toujours une interpellation. Les témoins d’un signe sont toujours conduits à se situer, non seulement par rapport à l’événement physique, mais par rapport à ce qu’il désigne. Pour ceux qui n’ont pas d’apparition, le tombeau vide est d’ordre physique. Mais la résurrection est de l’ordre du sens, de la foi et de l’espérance. Faire le lien entre le vide du tombeau et la résurrection relève de la liberté. Le tombeau vide ne prouve pas.
Cependant, le signifiant peut désigner précisément, car l’intelligence d’un phénomène dépend de la qualité d’adhésion à l’égard de ce qui se révèle dans l’événement. Ceux qui veulent voir plus précisément, voient des éléments significatifs que d’autres ne voient pas, ou ne prennent pas la peine de voir, ou ne veulent pas voir. Ainsi Jean, qui se penche mais n’entre pas, voit « les linges retombés », « affaissés » (Jn 21,5) ; puis Pierre entre et voit « les linges retombés et le suaire qui était sur la tête, non pas avec les linges retombés, mais roulé en son lieu propre ». Ils voient des éléments significatifs. Si l’Evangéliste se donne la peine de nous rapporter cette scène en détail, en nous décrivant la position des linges à plusieurs reprises, d’abord tels que Jean les voit, puis tels que Pierre les a vus, c’est que cette disposition des linges (linceul et suaire) leur a paru révélatrice à tous les deux. D’ailleurs, Jean conclut : « L’autre disciple, arrivé le premier au tombeau, entra à son tour. Il vit et il crut. » Il vit quoi ? Ce qu’il vient de nous décrire avec attention, c’est-à-dire des linges disposés d’une manière qui mérite d’être rapportée. Si la position des linges n’avait pas été significative, l’auteur n’aurait parlé que de l’absence du corps. Et si les linges avaient été roulés en tas ou d’une quelconque manière, manifestant l’agir de quelqu’un, la piste proposée par Marie de Magdala qui, à l’aube, ne pouvait pas bien voir, en aurait été confirmée : « On a enlevé le Seigneur du tombeau et nous ne savons pas où on l’a mis » (Jn 21,2). Cette remarque de cohérence oriente les choix inhérents à toute traduction. Pour Pierre et Jean, les linges ont fait signe, précisément. La disposition des linges invalidait certaines solutions et invitait à croire, si l’on voulait bien voir. De ce fait, les signes sont toujours le lieu de contradictions. Les actes de Jésus en témoignent. https://www.cairn.info/revue-etudes-2001-4-page-497.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Semaine sainte Jeu 08 Avr 2021, 15:45 | |
| Il ne nous manquait que les sindonologues ("spécialistes" du Saint-Suaire de Turin)... De ce point de vue l'évangile selon Jean est la pire référence, parce qu'il distingue les othonia ("bandelettes" au pluriel, 19,40; 20,5ss; cf. Luc 24,12) du soudarion (suaire, du latin sudarium, qui évoque bien la "sueur", comme nos sweat-shirts), "mouchoir" ou autre petit linge qui n'enveloppe que la tête (v. 7; 11,44 pour Lazare; cf. Luc 19,20, où l'esclave paresseux enveloppe sa "mine", comme un lingot; Actes 19,12). L'image d'un seul grand linge enveloppant tout le corps, comme le "Saint-Suaire", vient plutôt du "drap" de Marc et des Synoptiques ( sindôn, d'où "sindonologie", 14,51s pour le "jeune homme nu", 15,46 // Matthieu 27,59 // Luc 23,53). A part ça, la vieille ficelle "ça ne prouve rien aux incrédules, ce n'est qu'un 'signe' pour la foi des croyants" est encore la meilleure façon d'entortiller ces derniers par la bande du double bind, si j'ose dire (si vous vous dites croyants, vous avez intérêt à y croire)... Soit dit en passant, dans la première partie/édition du quatrième évangile (chap. 1--12), c'est bien la résurrection de Lazare qui remplace celle de Jésus, comme dernier "signe"; Lazare qui dans la seconde partie (chap. 13ss) va se transformer dans la figure du "disciple que Jésus aimait" (comparer 11,3.5.36 et 13,23 etc.). |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Semaine sainte Jeu 08 Avr 2021, 16:14 | |
| La finale de la scène (v. 9), cependant, a souvent défié les exégètes : « En effet, ils ne savaient pas encore que, d’après l’Écriture, il devait ressusciter d’entre les morts. » Ainsi, si ce n’est pas en la résurrection, en quoi le disciple bien-aimé a-t-il cru ? Je suggère qu’il a cru à ce que Jésus avait dit plusieurs fois à propos de sa mort (par ex. : 13,1 ; 16,28 ; 17,1 ; 17,24), à savoir que c’est par cela qu’il serait glorifié. Le disciple bien-aimé a cru que sur la croix, bien qu’il soit vraiment mort, Jésus a été exalté en présence de Dieu. Le suaire de sa chair, c’est-à-dire la mortalité dans laquelle sa gloire avait été voilée pendant sa vie prépascale, est maintenant irrévocablement mis de côté. Jésus, nouveau Moïse, est monté sur la montagne pour sceller la Nouvelle Alliance entre Dieu et le Nouvel Israël. https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/2007-v15-n2-theologi1989/017777ar.pdf |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Semaine sainte Jeu 08 Avr 2021, 17:21 | |
| Pour trouver une typologie "mosaïque" dans le quatrième évangile, il faut y mettre de la bonne volonté... mais quand on a commencé par y plaquer le concept paulinien du "corps" distinct de la "chair", tout devient possible.
En ce qui concerne 20,9, il faut d'abord remarquer que c'est un commentaire du narrateur (glose ?), et que le vocabulaire habituel de la "résurrection" (anistèmi, egeirô etc.) a été soigneusement évité par la majeure partie de la rédaction, si ce n'est précisément dans des commentaires, gloses ou additions du même genre: - sur le propos énigmatique relatif au temple, 2,19ss, qui offre d'ailleurs le seul emploi simili-paulinien du "corps" (sôma); - dans l'ajout probable de 5,28s, sur la résurrection générale et future, à l'opposé du "passer de la mort à la vie", au passé-présent, du v. 24, cf. au v. 21 la généralité au présent: "le Père relève les morts"; noter cependant aux v. 28s le "coup de pied de l'âne" johannique, dans l'ajout même: l'heure vient, c'est maintenant; - ajouts stéréotypés similaires, "relever au dernier jour", 6,39.40.44.54.
La seule véritable exception, qui n'a rien d'un hasard (!), consiste dans le récit de Lazare aux chapitres 11--12 (fin de la première partie/édition, où comme on vient de le dire c'est la seule "résurrection" en vue), dont la pointe est "je suis la résurrection (et la vie)", et l'équivalence paradoxale de "vivre même si on meurt" / "ne jamais mourir" (v. 24s): là encore, il s'agit de ramener la perspective classique de la résurrection future ("au dernier jour") à "maintenant".
En somme, le Christ johannique n'annonce jamais clairement, dans le langage des Synoptiques et du christianisme en général, qu'il va "ressusciter". Du reste 20,9 ne renvoie pas à quelque parole de Jésus, contrairement aux Synoptiques, mais à "l'Ecriture" -- non à un texte vétérotestamentaire particulier, qu'on serait d'ailleurs bien en peine d'identifier, mais au credo chrétien commun (cf. 1 Corinthiens 15: ressuscité le troisième jour selon les Ecritures). |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Semaine sainte Jeu 08 Avr 2021, 18:14 | |
| Le tombeau ouvert et vide
Quelle est la valeur du tombeau vide pour la foi en la résurrection ? Certains théologiens ont estimé que le tombeau vide est un signe très indirect, une sorte de conséquence secondaire dont la valeur est négligeable ; d’aucuns sont allés jusqu’à ajouter que, même si le tombeau n’avait pas été trouvé ouvert et vide, cela ne changerait rien à la foi en la résurrection de Jésus. À l’inverse, d’autres théologiens ont estimé que le tombeau vide a été l’impulsion décisive qui, chez les femmes et les disciples, a véritablement « déclenché » la foi pascale. Que faut-il en penser ? on peut proposer une réponse qui comporte trois éléments Premièrement, l’absence du corps de Jésus dans le tombeau se trouve non seulement en parfaite cohérence avec l’anthropologie biblique mais elle est requise par cette anthropologie et par toute saine conception de l’homme. Dans un homme vivant, le corps est substantiellement uni à l’âme. Si Jésus est vraiment ressuscité, alors cet événement intéresse nécessairement son corps : ce corps ne peut plus se trouver au tombeau. Sur cette base, le tombeau vide témoigne de la continuité de Jésus en son corps terrestre avant Pâques et en son corps ressuscité. en attestant cette continuité, le tombeau vide éclaire la reconnaissance de l’identité même du ressuscité : Jésus ressuscité est la personne que l’on avait crucifiée. en effet, ce qui permet d’identifier le ressuscité comme celui que l’on avait crucifié, c’est bien son corps !
Deuxièmement, le tombeau trouvé ouvert et vide a une valeur de signe. Cette valeur de signe est liée à la parole des messagers célestes qui annoncent la résurrection de Jésus, et aux apparitions du ressuscité lui-même. on peut dire que le tombeau vide est le signe « en négatif » de ce que le message reçu de l’ange exprime « en positif »: Jésus est ressuscité. Ce message pascal proclamant que Jésus est ressuscité se trouve au centre de l’événement. le tombeau vide n’est pas une preuve, au sens strict, de la résurrection de Jésus; il est plutôt un signe qui confirme que Jésus est vraiment ressuscité : c’est une indication qui accompagne les disciples sur le chemin de la foi et qui confirme cette foi. Autrement dit, dans les récits évangéliques, le tombeau vide n’est pas une « machine de guerre apologétique » pour prouver la foi, les disciples (à part « celui que Jésus aimait », dans l’évangile selon saint Jean) ont besoin d’une déclaration kérygmatique pour en saisir tout le sens. la découverte du tombeau vide se rattache à la foi énoncée dans la proclamation pascale et elle doit être saisie à la lumière de cette proclamation. Pour caractériser le tombeau trouvé ouvert et vide, on peut parler d’un signe confirmatif attaché à une parole. En résumé : les textes du Nouveau Testament ne présentent pas un raisonnement tel que « le tombeau est vide, donc Jésus est ressuscité »; mais le tombeau vide vient appuyer, avec une valeur de signe, l’événement annoncé par le messager (et manifesté par les apparitions du Christ ressuscité lui-même).
Troisièmement, il faut noter la discrétion des textes évangéliques. Personne n’a vu Jésus sortir du tombeau. la discrétion des évangiles apparaît par la comparaison avec les écrits apocryphes qui offrent une surprenante description de la résurrection de Jésus sortant du tombeau. on en trouve un bel exemple dans l’évangile de Pierre, un texte apocryphe rédigé vers l’an 150, qui présente une mise en scène spectaculaire de la résurrection de Jésus :
"or, dans la nuit où commençait le dimanche, tandis que les soldats montaient à tour de rôle la garde par équipes de deux, il y eut un grand bruit dans le ciel. et ils virent les cieux s’ouvrir et deux hommes, brillant d’un éclat intense, en descendre et s’approcher du tombeau. la pierre, celle qui avait été poussée contre la porte, roula d’elle-même et se retira de côté. et le tombeau s’ouvrit et les deux jeunes gens entrèrent. alors, à cette vue, les soldats réveillèrent le centurion et les anciens, car eux aussi étaient là à monter la garde. et, tandis qu’ils racontaient ce qu’ils avaient vu, à nouveau ils virent : du tombeau sortirent trois hommes, et les deux soutenaient l’autre, et une croix les suivait. et la tête des deux atteignait jusqu’au ciel, alors que celle de celui qu’ils conduisaient par la main dépassait les cieux. et ils entendirent une voix venue des cieux qui dit: « as-tu prêché à ceux qui dorment? » et on entendit une réponse venant de la croix: « oui. » alors ils se mirent à débattre entre eux s’il fallait s’en aller et exposer ces faits à Pilate. et tandis qu’ils réfléchissaient encore, on vit les cieux s’ouvrir à nouveau, et un homme descendre et entrer dans le tombeau".
on perçoit sans peine, par contraste, la sobriété des évangiles canoniques qui rapportent simplement que l’on avait déposé Jésus au tombeau et qu’il n’y est plus. Suivant les évangiles reçus par l’Église, la résurrection comme telle, c’est-à-dire l’acte même de ressusciter, n’a pas eu de témoin. À proprement parler, les femmes et les apôtres ne sont pas les témoins de la résurrection de Jésus (si par « résurrection » l’on entend l’action même de ressusciter) mais ils sont plutôt les témoins de Jésus ressuscité. https://doc.rero.ch/record/209870/files/Emery.manifestions.pascales.pdf
|
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Semaine sainte Ven 09 Avr 2021, 00:29 | |
| L'argument de la "sobriété" a beau être classique, il me paraît très mauvais: - il n'y a guère lieu de s'étonner que les évangiles "apocryphes" qui s'inspirent des "canoniques" (en l'occurrence "Pierre" de "Matthieu") tendent à en rajouter sur ces derniers et à les faire passer, par comparaison, pour plus "sobres" -- même si en l'occurrence c'est Matthieu qui commence dans la surenchère narrative et sensationnelle avec la descente lumineuse de l'ange qui roule la pierre (28,2ss -- rien de tel chez Marc, ni même chez Luc ou Jean où l'on trouve la pierre déjà roulée); au passage, l'évangile de Pierre ne décrit pas non plus la résurrection stricto sensu, mais seulement la sortie du tombeau; - Matthieu ne me semble pas particulièrement "sobre" dans le récit de la Passion (pour ne rien dire du reste, à commencer par la naissance virginale ou l'étoile des mages): la scène de résurrection collective à la mort de Jésus, ou même le cauchemar de Mme Pilate, ce sont des choses qu'on trouverait farfelues si on les lisait dans un "apocryphe", alors que la canonicité nous les a rendues familières. (Je me souviens des TdJ du début des années 1970, qui avant la TMN utilisaient souvent des bibles catholiques et s'aventuraient quelquefois dans les livres "deutérocanoniques", pour en ressortir avec une réflexion du genre: "Quand on les lit, on sent bien qu'ils ne sont pas inspirés." Sans se douter que cet "effet" était précisément induit par le préjugé d'"inspiration" des livres du "canon protestant" et leur familiarité avec ces derniers, qui donnaient automatiquement aux autres un air insolite ou inquiétant de "terrain inconnu"; sans cette différence de présupposé et d'habitude, ils n'auraient pas trouvé Tobit plus invraisemblable que Jonas, ni les Maccabées plus ennuyeux que les Chroniques.)
Mais le principal problème à mon sens n'est pas là: si l'on veut rendre compte de "l'histoire du christianisme" en partant de "Jésus", ce qui a priori paraît assez naturel, on est bien obligé de commencer par les évangiles et les Actes, quitte à leur appliquer une dose variable de "critique" historique, littéraire et rationnelle, quand même on sait pertinemment que ce sont des livres tardifs et que les premières épîtres pauliniennes, notamment, sont bien plus anciennes. De ce fait, des motifs évangéliques et en particulier ceux de la "Semaine sainte", depuis l'esclandre au temple jusqu'au tombeau vide en passant par le sanhédrin et Pilate, deviennent incontournables, non seulement pour la liturgie mais pour un discours moderne qui se veut "scientifique" et "rationnel", parce qu'ils "expliqueraient" sur ce plan-là (historique, scientifique, rationnel) la mort de Jésus et la croyance en sa résurrection, alors qu'ils ne sont nullement attestés dans le corpus paulinien (sinon dans les très tardives Pastorales, grosso modo contemporaines des évangiles et des Actes)...
Il reste toutefois parfaitement exact que les évangiles, au départ, n'ont guère de portée "apologétique": ils ne peuvent convaincre que des convaincus; en dépit de tout ce qui différencie leurs milieux producteurs et récepteurs, ce sont essentiellement des textes à usage interne, destinés à l'édification ou à la méditation d'une foi existante plutôt qu'à persuader des "incroyants". C'est paradoxalement la perspective historienne moderne qui leur confère une valeur "historique", et éventuellement "apologétique" du point de vue chrétien. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Semaine sainte Ven 09 Avr 2021, 12:02 | |
| Pourquoi Jésus dit-il «Ne me touche pas» à Marie-Madeleine ?
Lisons l'épisode de la rencontre entre le Christ et Marie-Madeleine. Elle arrive au tombeau où le corps du Christ a été placé (Jn 20,13-18). Elle le trouve vide, et deux anges l'occupent. Ils lui disent : Femme, pourquoi pleures-tu ? Elle leur dit : Parce qu'on a enlevé mon Seigneur, et je ne sais où on l'a mis ; Sur ces mots elle se retourna. Elle voit Jésus qui était là, mais elle ne savait pas que c'était Jésus. Jésus lui dit : Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? Elle pense que c'est le jardinier et elle lui dit : Seigneur, si tu l'as emporté, dis-moi où tu l'as mis et je l'enlèverai. Jésus lui dit : Marie ! Elle se retourne et lui dit en hébreu : Rabbouni ! (c'est-à-dire maître). Jésus lui dit : Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père, mais va vers mes frères et dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père, mon Dieu et votre Dieu.
Marie-Madeleine vient annoncer aux disciples qu'elle a vu le Seigneur et ce qu'il lui a dit. Ce qui est proprement exceptionnel dans cette scène, considérée à l'intérieur du récit évangélique, c'est le caractère suivant : ici, le Christ écarte expressément le toucher de son corps ressuscité.
À aucun autre moment Jésus n'a interdit ni refusé qu'on le touche. Ici, au matin de Pâques, et lors de sa première apparition, il retient ou il prévient le geste de Marie-Madeleine. Ce qui ne doit pas être touché, c'est le corps ressuscité. Nous pouvons aussi bien comprendre qu'il ne doit pas être touché parce qu'il ne peut pas l'être : il n'est pas à toucher. Cela ne signifie pourtant pas qu'il s'agisse d'un corps aérien ou immatériel, spectral ou fantasmagorique.
La suite du texte, sur laquelle nous reviendrons plus tard, montrera bien que ce corps est tangible. Mais ici, ce n'est pas en tant que tel qu'il se présente. Ou plutôt, il se dérobe à un contact auquel il pourrait se prêter. Son être et sa vérité de ressuscité sont dans ce dérobement, dans ce retrait qui seul donne la mesure de la touche dont il doit s'agir: ne touchant pas ce corps, toucher à son éternité. Ne venant pas au contact de sa présence manifeste, accéder à sa présence réelle, qui consiste dans son départ.
Dans l'original grec de Jean, la phrase de Jésus se dit: « Mè mou haptou. »Dans un pareil emploi, le verbe haptein - « toucher » - peut également prendre le sens de « retenir, arrêter ». Le Christ ne veut pas être retenu, car il part : il le dit aussitôt, il n'a pas encore rejoint le Père, et il part vers lui. [...] https://croire.la-croix.com/Abonnes/Formation-biblique/Nouveau-Testament/Pourquoi-Jesus-dit-il-Ne-me-touche-pas-a-Marie-Madeleine |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Semaine sainte Ven 09 Avr 2021, 12:39 | |
| Très beau texte de Jean-Luc Nancy, dont "le toucher" est un thème de prédilection (Derrida lui avait consacré tout un grand livre au titre aussi affectueux que malicieux, Le toucher, Jean-Luc Nancy). C'est aussi une scène que nous avons plusieurs fois évoquée.
Ces lectures contemporaines, sans doute en partie parce qu'elles m'ont influencé et que je m'en sens très proche, me semblent tout aussi proches de l'"esprit" (disons proto-gnostique) du quatrième évangile. Le paradoxe est à tous les étages: quelle que soit la traduction de la phrase (ne me touche pas OU ne me touche plus, cesse de me toucher, etc.) elle sera aussitôt contredite, au pied de la lettre (c'est le cas de le dire), par l'injonction (ou provocation) contraire à Thomas. Et pour le quatrième évangile ce ne sont certainement pas la mort et la résurrection comme "événements" (temporels, successifs ou simultanés, narratifs, légendaires ou historiques) qui y changeraient quoi que ce soit, si l'on en juge par les usages tout aussi paradoxaux des autres verbes sensoriels ou de perception: "avant" comme "après" dans l'"histoire", le Christ est "vu" ou non, "entendu" ou non, de ceux qui pourtant le "voient" ou l'"entendent" (ou non) au "premier degré" du récit -- autrement dit il y a toujours plus d'une manière de "toucher" et de "ne pas toucher", de "voir" et de "ne pas voir", d'"entendre" et de "ne pas entendre".
Cette perspective que j'appelle "proto-gnostique" s'inscrit à la fois dans une longue tradition "sapientiale" (la "sagesse", sophia-sapientia, plus vieille que la philo-sophie et pas seulement grecque) et dans celle, au départ opposée, de la "révélation" prophétique (ou plus tard "apocalyptique", d'apo-kalupsis "ré-vélation" ou "dé-voilement" précisément): il s'agit en tout cas de connaître -- et de participer à -- une "vérité" et une "vie éternelle"(s) qui dans leur fond ne sont pas affectées par les "événements" (à cet égard le "sapiential" l'emporte sur le "prophétique", car la "révélation" n'est plus d'un "avenir"). Elle se distingue du "mystère", paulinien notamment, où l'"événement", avec la succession et la séquence qu'il implique (avant/après), est crucial (c'est encore le cas de le dire), même s'il ne s'agit pas d'"histoire" au sens "historique" du terme: la "mort" et la "résurrection" y marquent un passage critique ou décisif, "initiatique" dans tous les sens du terme, aussi souvent qu'elles sont répétées ou réactualisées dans le rite liturgique (baptême, eucharistie, lecture, semaine sainte), comme dans l'éthique ou l'ascèse (de la chair à l'esprit, etc.). Ces deux perspectives se côtoient et s'interpénètrent dans tout le NT, elles n'en sont pas moins radicalement distinctes, y compris dans leur façon d'affecter les "récits de la Passion" (plutôt le "mystère" chez Marc, différemment chez Luc qui tend à en faire de l'histoire au sens ordinaire des historiens de son temps; une certaine "éthique" à contrepied des précédents chez Matthieu, et la "sagesse gnosticisante" chez Jean qui au fond n'a que faire de "l'histoire"). |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Semaine sainte Ven 09 Avr 2021, 16:12 | |
| "Le soir de ce jour-là, qui était le premier de la semaine, alors que les portes de l'endroit où se trouvaient les disciples étaient fermées, par crainte des Juifs, Jésus vint ; debout au milieu d'eux, il leur dit : Que la paix soit avec vous ! Quand il eut dit cela, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples se réjouirent de voir le Seigneur. Jésus leur dit à nouveau : Que la paix soit avec vous ! Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie. Après avoir dit cela, il souffla sur eux et leur dit : Recevez l'Esprit saint. A qui vous pardonnerez les péchés, ceux-ci sont pardonnés ; à qui vous les retiendrez, ils sont retenus" (Jean 20,19-23).
C’est d’ailleurs la démarche qu’ont suivie certains exégètes modernes familiers de la patristique. Lorsque J. Lebreton analyse les citations les plus significatives de la doctrine trinitaire de l’évangile johannique, il commente ainsi le verset de Jn 20, 22 : « En reprenant les mots mêmes de la Genèse, saint Jean a rappelé expressément la création du premier homme et le souffle de vie que Yahvé souffla sur lui ». De manière aussi nette, L. Bouyer compare ces deux passages bibliques, considérant qu’il s’agit là d’une correspondance riche de sens. « Le sceau final de l’enseignement johannique sur ce point peut être considéré comme étant la description qu’il nous fait du Ressuscité insufflant à ses disciples l’Esprit divin, comme Dieu, au commencement, d’après le récit de Genèse 2, avait insufflé la vie par son Esprit dans le corps du premier homme ». https://www.brepolsonline.net/doi/pdf/10.1484/J.RA.5.102404
Élargissons maintenant notre horizon biblique et puisqu'aussi bien on reconnaît d'ordinaire dans le quatrième évangéliste le témoin privilégié pour la réflexion trinitaire(18), appliquons notre attention à d'autres textes de Jean, non point tous ceux où l'Esprit est donné par le Fils (19), mais seulement ceux où il est donné comme l'Esprit du Fils. Ce sont deux passages, Jn 19,30 et 20,22, qui, bien que dans des circonstances fort différentes, correspondent à ce que Luc raconte de la communication de l'Esprit par Jésus le jour de la Pentecôte. Il est fréquent que Luc et Jean développent des traditions similaires dans un style littéraire et selon un schéma théologique différents. Ce que Luc expose comme les étapes successives de l'histoire du salut, Jean le fait valoir comme concentré dans la personne du Fils incarné et plus particulièrement dans ce qu'il appelle sa glorification, cette élévation auprès du Père qui pour lui commence de façon décisive à la croix. Le don instituant de l'Esprit aux disciples, que Luc situe cinquante jours après Pâques et comme une suite de l'Ascension, est réalisé pour le quatrième évangile dès ce qu'on peut bien appeler l'ascension sur la croix. C'est du moins ce que comprennent bon nombre d'exégètes dans la tournure inhabituelle par laquelle Jean décrit le dernier soupir de Jésus : « Inclinant la tête, il remit l'Esprit » (19,30) …
… L'épisode du dernier soupir fournit la réponse ; Jésus, en « partant », transmet l'Esprit au petit groupe de fidèles qui, au pied de la croix, représente l'Église naissante ; c'est désormais la communauté des croyants qui sera le temple de l'Esprit sur la terre (23). La conséquence de cette sorte de Pentecôte est que l'Esprit, jusque là l'Esprit de Dieu dans le Fils, est transmis à l'Eglise comme l'Esprit du Fils, le souffle même du Fils. https://www.persee.fr/docAsPDF/rscir_0035-2217_1983_num_57_2_2971.pdf |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Semaine sainte Sam 10 Avr 2021, 11:18 | |
| Les commentaires patristiques et/ou trinitaires sont intéressants, mais ils sont forcément décalés par rapport à l'Evangile selon Jean dont le propos, à mon sens, n'est pas strictement "pneumatologique" (et pas davantage "christologique" ou "théologique", d'ailleurs). Comme j'ai souvent tenté de le suggérer, à l'opposé d'une dogmatique qui ne parle qu'en arrêtant les mots et spécialement les noms (propres, communs, substantifs), en fixant une fois pour toutes des blocs signifiant-signifié-référent inamovibles et indéconstructibles ("Dieu", "le Père", "le Fils", "le Saint-Esprit", on sait ce qu'ils désignent, sinon ce que c'est, et à partir de là on peut discuter tranquillement sur *leur* "nature" et *leur* "relation"), le quatrième évangile produit un mouvement ininterrompu (jeu, danse, ronde, farandole) des signifiants qui ne laisse aucun terme se déterminer de façon permanente, encore moins occuper une place constante, centrale ou périphérique, dans un "système". En ce qui concerne "l'esprit" (rwh-rouah-pneuma-spiritus), cela a entre autres pour effet de conserver la métaphore plus "vive", comme dirait Ricoeur, ou la métonymie plus active et plus fluide, de l'"abstrait" au "concret", ou du "concept" au "percept": le quatrième évangile joue effectivement et "naturellement" sur le sens de "souffle", aussi bien du côté du "vent" (chap. 3) que de la "respiration" (chap. 19 et 20), alors que les textes "doctrinaux" ou "dogmatiques" tendent à le perdre de vue en général, quitte à le rappeler explicitement et ponctuellement, comme une "étymologie" savante qui n'a au mieux qu'une valeur de "comparaison" (l'"esprit" ce n'est plus le "souffle", surtout pas n'importe quel "souffle", mais c'est à certains égards comme le "souffle"). Dans un sens, ainsi qu'on l'a longuement expliqué ailleurs, l'évangile selon Jean est celui qui "personnifie" le plus "l'esprit" en l'identifiant au "paraclet" personnel, au fil des rédactions successives des chapitres 14--16; mais il (l'esprit) n'en reste pas moins "impersonnel", on pourrait même dire "irréel" au sens où ce n'est pas une "chose" (res): mouvement ou événement comme le vent ou le souffle que Jésus émet ou transmet (19,30, paradidômi, verbe aussi bien de la "trahison-livraison" que de la "tradition"; 20,22, em-phusaô, "in-suffler" ou plutôt "in-fuser", qui rappelle moins le "souffle", contrairement au pneô de 3,8, que la "nature", phusis en grec, métaphore végétale de la croissance, phuô, phuto, d'où la parenté de la "physique" et de la "phytothérapie" p. ex.). Et "le dieu" lui-même (ho theos) est "esprit-souffle" (pneuma, 4,24), comme il sera dit "lumière" ou "amour" dans la Première épître: la ronde des signifiants ne s'arrête pas pour définir ou identifier quoi ou qui que ce soit, elle entraîne ses lecteurs ou auditeurs dans la danse, par une participation littéralement im-médiate: toutes les médiations, verbales ou conceptuelles, personnelles ou impersonnelles s'y annulent (Dieu, le Père, le Fils, comme "l'esprit" est en "nous" et "nous" en cela ou ceux-là, et au bout du compte tout est un). Il y a là de quoi affoler toute "dogmatique", même celles qui sont expressément construites sur des "énoncés johanniques" artificiellement arrachés à ce mouvement, isolés et immobilisés. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Semaine sainte Sam 10 Avr 2021, 14:19 | |
| LES DEUX ANGES DE JEAN 20,12
Jn 20,12 relate que, parvenue au sépulcre au matin de Pâques, Marie Madeleine « vit deux anges, en blanc, assis, l’un à la tête et l’autre aux pieds, là où avait été étendu le corps de Jésus ».
Cette présentation, apparemment banale, a, en toute hypothèse, ceci d’original que l’auteur du quatrième évangile mentionne deux anges en blanc là où Marc mettait en scène « un jeune homme vêtu […] d’une robe blanche » (Mc 16,5), Matthieu, « un ange du Seigneur descendu du ciel » au vêtement « blanc comme neige » (Mt 28,2-3) et Luc, « deux hommes […] en habit éblouissant » (Lc 24,4). La position assise assignée aux deux anges est, quant à elle, la même que celle du jeune homme de Mc 16,5 et de l’ange du Seigneur de Mt 28,2, mais cette posture elle-même se décline sous diverses modalités : en Mc 16,5, le jeune homme est « assis à droite » ; en Mt 28,2, l’ange est assis sur la pierre qu’il vient de rouler pour ouvrir le tombeau.
Dans son récent commentaire sur le quatrième évangile, Jean Zumstein cite, pour éclairer la présentation originale du quatrième évangile, une remarque de Xavier Léon-Dufour : « Ils (les anges) sont disposés comme les chérubins qui se font face de chaque côté du propitiatoire sur l’Arche de l’Alliance, là où YHWH parlait à son peuple (Ex 25,17-22 ; 1 R 6,23-28 ; He 9,5 ». Il ajoute que « ce rapport d’intertextualité – à la portée théologique fort riche –est invérifiable ».
C’est Philippe Simenel qui, à notre connaissance, est allé le plus loin dans l’entreprise visant à étayer ce symbolisme. S’appuyant sur le précédent que représentent Rm 3,25 et aussi, à ses yeux, He 9, il considère que, « en remontant en Ex 25,10.17-22, à la description de la construction de l’arche d’alliance dont le propitiatoire est le couvercle, on découvre […] une très forte analogie spatiale avec le texte de Jean ». Pour étayer son propos, il cite le texte de l’Exode tout en faisant figurer entre crochets les expressions de Jn 20,12 qu’il vient, selon lui, éclairer :
Et tu feras deux chérubins en or [deux anges], fais un chérubin à une extrémité [l’un à la tête], et l’autre chérubin à l’autre extrémité [l’autre aux pieds], tu placeras le propitiatoire au-dessus de l’arche, et dans l’arche, tu placeras la charte de l’alliance que je te donnerai [à l’endroit où avait été déposé Jésus]. https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_2009_num_89_2_1390 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Semaine sainte Sam 10 Avr 2021, 16:46 | |
| Le rapprochement est tentant, et par là même inévitable, il n'en reste pas moins fragile: les "chérubins" (keroubim) ne sont pas des "anges", ils ne sont pas assis (les karibou mésopotamiens seraient probablement accroupis, mais un auteur de l'époque gréco-romaine a peu de chance de le savoir), et surtout le tombeau n'est rien de comparable à l'arche de l'alliance, en particulier pour le quatrième évangile -- mais aussi pour les trois premiers (synoptiques): s'il y a un "message" à peu près unanime des récits du "dimanche de Pâques", c'est bien que le Crucifié-ressuscité n'est pas dans le tombeau, il est dehors, dans le jardin, en Galilée ou n'importe où sauf là où précisément on s'attendait à trouver le corps: par rapport à quoi toutes les typologies ou allégories de l'arche comme "présence" de Dieu viendraient à contresens (mais on n'est pas à un paradoxe près).
Le quatrième évangile, dont les destinataires n'ont manifestement guère de rapport avec aucun judaïsme, n'abuse pas des références "vétérotestamentaires" (de l'AT). Quand il s'y réfère (p. ex. pour "le serpent dans le désert"), il le fait généralement de façon explicite plutôt que par des allusions qui n'auraient aucune chance d'être comprises de ses lecteurs. Cela n'empêche évidemment pas les commentateurs ultérieurs et a fortiori modernes, qui disposent de plus en plus facilement d'une masse croissante de textes à comparer, d'y deviner davantage. Si l'on veut invoquer les targoum(s/im) dont les formes disponibles sont largement postérieures (IIIe-IVe s. apr. J.-C.), on devrait au moins se demander dans quel sens jouent les "influences": est-ce une substitution juive, palestinienne ou orientale, araméenne en l'occurrence de la "parole" (memra') à "Dieu" qui commande toute la pensée judéo-hellénistique (déjà Philon) et chrétienne du logos, qui a bien d'autres précédents grecs (depuis Héraclite au moins), ou bien le contraire ? |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Semaine sainte Sam 10 Avr 2021, 19:37 | |
| - Narkissos a écrit:
- Le quatrième évangile, dont les destinataires n'ont manifestement guère de rapport avec aucun judaïsme, n'abuse pas des références "vétérotestamentaires" (de l'AT). Quand il s'y réfère (p. ex. pour "le serpent dans le désert"), il le fait généralement de façon explicite plutôt que par des allusions qui n'auraient aucune chance d'être comprises de ses lecteurs. Cela n'empêche évidemment pas les commentateurs ultérieurs et a fortiori modernes, qui disposent de plus en plus facilement d'une masse croissante de textes à comparer, d'y deviner davantage.
Je trouve, Narkissos, ta réponse très intéressante. En effet il ma parait délicat, pour ne pas vouloir dire dangereux, de produire des comparaisons avec des textes auxquels les lecteurs et les auditeurs du passé ne pensaient pas. Car ne risque-t-on pas de perdre le sens du texte que nous sommes en train de lire. Merci d'avoir mis ce fait en lumière. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Semaine sainte Sam 10 Avr 2021, 20:36 | |
| "Jésus leur dit à nouveau : Que la paix soit avec vous ! Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie. Après avoir dit cela, il souffla sur eux et leur dit : Recevez l'Esprit saint. A qui vous pardonnerez les péchés, ceux-ci sont pardonnés ; à qui vous les retiendrez, ils sont retenus" (Jean 20,21-23).
L'envoi du ressuscité ne correspond pas à l'accomplissement d'une mission d'évangélisation.
Un extrait :
La parole du Ressuscité (Jn 20,23) situe la remise ou la retenue des péchés dans le contexte de la mission des disciples à la suite du Fils (Jn 20,21 : comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie). Si l’auteur johannique puise au langage traditionnel pour évoquer la mission ecclésiale du pardon des péchés, il le fait pourtant selon une manière très johannisée. Metzner le montre en revenant sur l’examen des autres occurrences de la thématique du péché qu’il a examinées au début de son ouvrage, en particulier Jn 1,29 (p. 36) où il souligne le rôle de l’Esprit. Jn 1,29 et Jn 20,23 encadrent pour ainsi dire l’évangile : l’action des disciples prolonge celle de Jésus et manifeste ainsi la dynamique du « droit de Dieu » révélé au monde. Jn 20,23 renvoie aussi au pouvoir de la communauté post-pascale qui peut accéder, par l’entremise du Paraclet, à la vérité en plénitude (voir Jn 16,7.11-15). https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2005-2-page-291.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Semaine sainte Sam 10 Avr 2021, 21:51 | |
| Dans l'ordre narratif apparent du quatrième évangile, la "mission" ou l'envoi des disciples n'attend pas ce moment "pascal" (cf. 4,38; 13,16ss; 17,18), bien qu'on n'y trouve pas d'envoi concret en mission comme dans les Synoptiques (Marc 6//); mais surtout l'envoi s'inscrit expressément dans le prolongement de celui du "Fils" par le "Père", thème bien plus constant depuis le début (3,17.34; 4,34 etc.: c'est le même mouvement qui se propage du Père au Fils et du Fils aux disciples-apôtres-envoyés, sans aucune médiation d'"esprit" dans les textes susmentionnés). Quant au thème de la "rémission des péchés", il est jusque-là totalement absent du livre: c'est la reprise d'un élément du "fonds commun" du christianisme primitif, très présent dans les Synoptiques (Marc 1,7; 2,5ss; 3,28 //), non paulinien cependant avant les deutéro-pauliniennes (Colossiens 1,14), qui se combine ici avec une notion d'autorité apostolique ou pétrinienne qu'on ne rencontre ailleurs que chez Matthieu (16,19; 18,18).
Comme j'ai déjà tenté de l'expliquer plus haut, la première mouture (édition ?) du quatrième évangile s'arrêtait vraisemblablement au chapitre 12, elle ne comportait donc ni "Passion" ni "résurrection", tout cela étant remplacé par une simple disparition (il s'en alla et leur fut caché, v. 36) -- malgré l'ultime discours qui suit ("crié", comme le cri de la croix) après une première conclusion du narrateur (v. 44ss). Mais les ajouts ultérieurs de la seconde partie du livre (chap. 13ss) tendent à le conformer superficiellement au "format" habituel des évangiles (avec Passion et résurrection qui constituent pour les Synoptiques le "point culminant"), non sans altérer profondément le contenu de ce modèle -- depuis le repas pascal-eucharistique parodié en lavement des pieds d'une part et en "communion satanique" de Judas d'autre part, jusqu'au dimanche de Pâques, lui-même très différent de ceux des Synoptiques, bien que ceux-ci diffèrent déjà pas mal entre eux... A partir du chapitre 18 (la Passion) le quatrième évangile joue surtout sur des écarts ou des renversements par rapport aux récits connus et attendus (le prévenu assis comme un juge devant Pilate, portant lui-même sa croix vs. Simon de Cyrène, etc.) -- et la scène du "souffle de l'Esprit" représente peut-être déjà un écart similaire par rapport au récit des Actes (petite part de vérité éventuelle de l'appellation "Pentecôte johannique", bien qu'il ne s'agisse précisément pas de la "Pentecôte" des Actes, ni quant à la chronologie ni quant au contenu: événement "privé" et non "public"). |
| | | Contenu sponsorisé
| Sujet: Re: Semaine sainte | |
| |
| | | | Semaine sainte | |
|
Sujets similaires | |
|
| Permission de ce forum: | Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
| |
| |
| |