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 Semaine sainte

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MessageSujet: Re: Semaine sainte   Semaine sainte - Page 4 Icon_minitimeDim 11 Avr 2021, 10:44

4.2 « Jésus vient, prend le pain et le leur donne, ainsique le poisson »

Parmi ses christophanies, Jean propose « une excursion de pêche » (Mainville 2007, 36), construite sur un scénario très proche du récit de Luc. Après une nuit passée sur la mer de Tibériade sans avoir rien attrapé, sept disciples voient un homme qui se tient debout sur le rivage. Ils ne reconnaissent pas Jésus. Il faut que celui-ci leur donne un signe, une pêche exceptionnelle, pour qu’ils l’identifient et se décident à le rejoindre.

Lorsqu’ils furent descendus à terre, ils voient là un feu de braises, du poisson posé dessus, et du pain. 10Jésus leur dit :Apportez quelques-uns des poissons que vous venez de prendre. 11Simon Pierre monta dans le bateau et tira à terre le filet, plein de cent cinquante-trois gros poissons ; et quoiqu’il y en eût tant, le filet ne se déchira pas. 12Jésus leur dit : Venez déjeuner. Aucun des disciples n’osait lui demander : Qui es-tu, toi ? Car ils savaient que c’était le Seigneur. 13Jésus vient, prend le pain et le leur donne, ainsi que le poisson. Jn 21

À ce point, le récit s’interrompt et Jean ajoute une incise : « 14C’était déjà la troisième fois que Jésus se manifestait à ses disciples depuis qu’il s’était réveillé d’entre les morts. Et le récit se poursuit, bref, laconique : « 15Après qu’ils eurent déjeuné, Jésus dit à Simon Pierre […] ».

Cette fois, il y a bien repas. Ils mangent, ils prennent le repas du milieu de la journée (ἠρίστησαν v. 15), un repas sans valeur liturgique. « Ils », mais qui ? Les disciples sans aucun doute, mais Jésus aussi, qui ne peut pas être exclu des sujets du verbe « déjeuner ». Alors si Jésus mange, la Cène n’est plus que son avant-dernier repas.

Et les aliments ne sont pas insignifiants. Jusqu’ici Jésus avait mangé du pain et bu du fruit de la vigne et du vinaigre. En Jean, le binôme pain et poisson renvoie non pas à la Cène (Jean n’y mentionne aucun aliment, sinon une bouchée), mais au récit d’un autre repas, celui où Jésus nourrit une foule « d’environ cinq mille hommes », en multipliant les « cinq pains d’orge » (πέντε ἄρτους κριθίνους, Jn 6,9) et les « deux poissons » (δύο ὀψάρια, Jn 6,9) d’un jeune garçon. Sur les rives de la mer de Tibériade, ce sont à nouveau les mêmes aliments que Jésus donne[28]. https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/2015-v23-n1-theologi03170/1040864ar
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Narkissos

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MessageSujet: Re: Semaine sainte   Semaine sainte - Page 4 Icon_minitimeDim 11 Avr 2021, 11:43

Sur cet article, voir ici 5.4.2020.

Sur la question anecdotique de savoir si et ce que "Jésus" mange et boit, ou non, de la veille de sa mort à sa résurrection et dans les jours qui suivent le cas échéant, et si au pied de la lettre *il* se contredit ou non à ce propos, la perspective est différente, comme sur tant d'autres points, selon qu'on considère les évangiles un par un ou qu'on les mélange. Comme on l'a dit plutôt cent fois qu'une, dans le quatrième évangile il y a bien un "dernier repas" (chap. 13), mais qui n'est ni "la Pâque" ni "l'institution de l'eucharistie", où on ne voit pas Jésus manger mais où il n'est pas dit non plus qu'il ne mange pas, et où on ne trouve pas non plus d'annonce qu'il ne boira plus, contrairement à Marc 14,25 // Matthieu 26,29 // Luc 22,15ss (où s'ajoute une autre annonce: il n'en mangera plus, sc. de la Pâque ou du repas pascal, il n'est pas question de "ne plus manger" en général, et pour cause, cf. ci-dessous chap. 24). Dans "Jean" il n'y a donc aucune contradiction potentielle, ni avec le "vinaigre" sur la croix (19,37s, cf. Marc 15,37//; l'épisode précédent du vin mêlé de myrrhe, ou de fiel chez Matthieu, est omis), ni avec ce qu'il peut éventuellement manger après sa résurrection. L'enjeu est au contraire important dans Luc 24,36ss d'un point de vue "antidocétique": il faut que Jésus mange pour prouver qu'il n'est pas "un esprit" (mais l'antidocétisme de Luc ne concerne sans doute pas seulement l'après-résurrection, comme le suggère son élimination de la "marche sur la mer" -- que Jean pour sa part accueille volontiers).

Pour rappel, le chapitre 21 de Jean est manifestement un ultime ajout après la conclusion précédente du livre au chapitre 20, il pourrait provenir de l'"apparition en Galilée" annoncée par Marc, mais non décrite dans l'état final de Marc (qui s'arrête à 16,8); quant à savoir s'il transpose le miracle de Luc 5 après la résurrection, ou si c'est Luc qui transpose une apparition du ressuscité en miracle de Jésus avant sa mort, on peut légitimement hésiter... en tout cas le "parallélisme" avec la ou les multiplications des pains (et des poissons) est assez évident (avec la "Cène" des Synoptiques aussi d'ailleurs).
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MessageSujet: Re: Semaine sainte   Semaine sainte - Page 4 Icon_minitimeDim 11 Avr 2021, 21:27

Dans le kérygme

8 Les récits de la manifestation du Ressuscité à ses disciples révèlent que l’origine de la foi pascale est dans cette expérience d’apparition de Jésus qui se donne à voir, ou, plus exactement, « qui est donné à voir ». La forme passive ôphthê du verbe oraô devient un terme technique désignant l’originalité de la christophanie pascale. L’aoriste ôphthê indique que le Christ s’est donné à voir. L’expression implique une certaine « passivité ». S’agit-il d’un passivum divinum, c’est-à-dire un marqueur syntaxique permettant d’évoquer Dieu sans le nommer ? Peut-être. Toujours est-il que la manière la plus juste de traduire ôphthê implique une formule passive : « il a été donné à voir », ce qui, en milieu sémitique peut être compris, sans équivoque, comme « Dieu a donné à voir ».

9 Les apparitions du Ressuscité constituent une « lecture » qui s’impose aux disciples. Si l’on cherche à comprendre la nature et la fonction des apparitions, il faut se référer au texte le plus ancien qui y fait allusion : 1 Co 15,3-8. Le kérygme que Paul y reproduit reprend la formule ôphthê. https://books.openedition.org/pus/11694?lang=fr
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MessageSujet: Re: Semaine sainte   Semaine sainte - Page 4 Icon_minitimeDim 11 Avr 2021, 22:39

Il y a là quelques bonnes intuitions (principalement celle qui fait le titre, le rapprochement des apparitions du Ressuscité et des "théophanies", manifestations des dieux en général et de Yahvé dans la Bible hébraïque ou l'AT chrétien en particulier -- l'un des points communs qu'on aurait pu souligner, c'est qu'il s'agit d'un genre d'"événement" dont les textes parlent toujours au passé, plus ou moins lointain, qui appartient à une époque révolue: on ne s'attend plus à "voir" au présent comme on a "vu" alors, sinon à l'horizon eschatologique le cas échéant: jour de Yahvé ou parousie de Jésus p. ex.), contrariées cependant par pas mal d'inepties:
- la forme verbale ôphthè (X a été vu) n'a rien de spécifiquement "chrétien", puisqu'on en trouve des exemples à la pelle dans la Septante (le chapitre lui-même en produit quelques-uns);
- pourquoi nier que Yahvé est vu quand les textes (en hébreu comme en grec) disent justement qu'il est vu, sauf à plaquer sur l'ensemble une tradition particulière, celle de son in-visibilité (plus précisément, que l'homme ne peut pas le voir et vivre, selon Exode 33, contredit maintes fois jusque dans le même livre, p. ex. au chapitre 24; cf. ici) ?
- un "passif divin" suppose que le verbe au passif n'ait pas d'agent exprimé (p. ex. "X a été envoyé", où l'on peut éventuellement suppléer un agent sous-entendu, "par Dieu", soit "Dieu a envoyé X"); alors qu'ophthè, "X a été vu", n'appelle aucun agent supplémentaire, sinon le destinataire de la vision ou apparition ("vu par Y", Moïse, les anciens, les prophètes, les apôtres, etc., qui voient): si "Jésus" ou "Yahvé" est vu, il ne s'ensuit nullement qu'il soit "donné à voir", par lui-même ou par quelqu'un d'autre (surtraduction grossière).
Bref... (je découvre que Deneken, prêtre, est désormais président de l'Université de Strasbourg, j'ignore quelles ont été ses spécialités académiques jusque-là mais visiblement [!] il n'est pas bibliste, ni philologue).
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MessageSujet: Re: Semaine sainte   Semaine sainte - Page 4 Icon_minitimeLun 12 Avr 2021, 11:38

Matthieu 28, 16-20 : un document et une parole

À la différence de Luc ou de la dernière version de Marc, Matthieu ne termine pas son Évangile par le récit de l’ascension, mais par des paroles de Jésus. Ce qu’il lui importe de partager, ce n’est pas que le ressuscité soit monté au ciel, mais qu’il soit présent aux côtés de ceux qui l’écoutent. Bien que, au niveau de la narration, ces paroles soient adressées aux onze disciples rassemblés, elles fonctionnent en fait comme une clef d’interprétation de l’Évangile : la promesse de Jésus aux onze est valable « jusqu’à la fin du monde ». Tous les disciples, jusqu’à la fin, sont donc concernés, y compris le lecteur. Par une sorte d’effet rétroactif, ce dernier est alors fondé à s’identifier aux disciples de Jésus dans l’ensemble du récit de Matthieu. Cette piste lui a déjà été ouverte, par exemple par les passages sur la « discipline ecclésiastique » (18, 15-18) ...

… (2) Mais, d’autre part, parce qu’il est de genre narratif et que celui qu’il fait parler est le ressuscité, la vocation de ce texte est d’être pris au mot. Il offre ainsi à son lecteur la possibilité d’être non plus seulement le témoin de l’histoire passée de Jésus (premier niveau de lecture), ou de celle de la communauté matthéenne (deuxième niveau de lecture), mais aussi le contemporain de cette histoire . Jésus est avec moi au moment où je lis ces lignes, comme il l’a été auprès des onze et auprès des disciples des premières générations : par sa Parole. Le texte a ainsi un statut « théologique » : il dit quelque chose de la relation entre le lecteur et le Christ. Mieux : il instaure cette relation, pour peu que ce lecteur se laisse gagner par la confiance.

En l’occurrence, cette tension entre réflexion critique et confiance est prise en charge par le texte lui-même : au doute (critique) des disciples , Jésus ne répond pas par une démonstration (cf. l’épisode de Thomas en Jn 20, 24-29) mais par une affirmation, un ordre et une promesse, trois éléments qui ne peuvent être reçus que dans la confiance obéissante [8].

L’obéissance : le Jésus de Matthieu est un maître dont l’enseignement consiste en une ordonnance qu’il faut observer. Cet enseignement requiert l’obéissance, parce qu’il est essentiellement interprétation de la loi. Cette perspective sous-tend le Sermon sur la montagne. De même, l’Évangile que les disciples sont appelés à annoncer n’est autre que l’obéissance aux prescriptions de Jésus (28, 20a). En fait, l’évangélisation selon Matthieu ne consiste pas tant en l’annonce d’un message qu’en une série d’actes. L’expression « faire des nations des disciples » (28, 19a) est explicitée par deux participes : « les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit » (19b) et « leur enseignant à garder tout ce que je vous ai commandé » (28, 20a). « Être disciple » consiste donc à « être baptisé » et « garder les commandements de Jésus », c’est-à-dire accomplir la justice [17].  https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2013-2-page-219.htm
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MessageSujet: Re: Semaine sainte   Semaine sainte - Page 4 Icon_minitimeLun 12 Avr 2021, 14:20

Excellente étude (à compétences égales, les pasteurs sont quelquefois plus intéressants que les exégètes universitaires, peut-être parce qu'ils envisagent la "théorie" à partir d'une certaine "pratique": ici le débat sur l'"évangélisation" dans des Eglises "historiques" en déclin numérique, concurrencées par des "évangéliques" avec une politique et une dynamique opposées, en clair prosélytisme et croissance). Elle pourrait soulever une question théologique fine et importante, surtout du point de vue "protestant", mais qui nous éloignerait passablement de notre sujet: comment la "miséricorde-compassion" des textes "antipauliniens" (Matthieu ou Jacques) diffère -- se rapproche et se distancie en même temps -- de la "grâce" paulinienne et post-paulinienne; où l'on verrait, peut-être, combien le juridisme est retors, et que le plus "légaliste" n'est pas toujours celui qu'on croit; ou, ce qui revient au même, qu'il y a plus d'une façon d'être ou de ne pas être "légaliste"...

Mais pour ce qui est de l'analyse de la péricope conclusive de Matthieu, de son rapport (effectif, sinon intentionnel) à l'ensemble de l'évangile, et notamment à son jeu des (sept) montagnes (auquel je n'avais pas assez prêté attention -- chap. 4: Tentation, 5: Sermon, 14: prière, 15: miracles, 17: Transfiguration, 21ss: Passion, 28: mission), je ne vois pas grand-chose à y ajouter, sinon que ça mérite d'être (bien) lu -- cela rejoindrait d'ailleurs certaines de nos remarques précédentes, notamment sur le "doute" et l'importance de la "pratique" jusque dans la "mission" matthéenne (cf. supra 6-7.4.2021).
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MessageSujet: Re: Semaine sainte   Semaine sainte - Page 4 Icon_minitimeVen 15 Avr 2022, 16:15

Citation :
Excellent, vraiment (je suis à court de superlatifs et adverbes), à lire en entier et lentement si possible: c'est l'aspect de la pensée de Levinas qui m'a le plus marqué, tant par la "forme" (suite philosophique du commentaire rabbinique) que par le "fond" (où tout se retrouve de ce qui séparé paraît bien étroit et superficiel, "éthique", "théologie" ou "ontologie"). Idéal pour un "Vendredi-Saint" qui déborde les "confessions" (juive ou chrétienne, pour commencer) comme les domaines (philosophie et théologie).

https://etrechretien.1fr1.net/t1435-dieu-pitoyable#30797


Paradoxe liturgique, paradoxe esthétique

En son dépouillement solennel, la liturgie du Vendredi Saint offre une physionomie singulière. On pourrait presque parler d’une liturgie sans liturgie puisqu’il s’agit du seul jour de deuil officiel dans l’Église, seul jour où la messe n’est pas célébrée. Obnubilé par l’événement commémoré, le sacrifice eucharistique est suspendu : « L’Église commence aujourd’hui l’Office qui tient lieu de Messe par l’exposition du Mystère dont elle célèbre la mémoire. » Inversement, toutefois, on pourrait affirmer que ce Vendredi forme au contraire le seul jour vraiment liturgique, par une sorte d’antonomase hautement décisive : le Christ, seul leitourgos, exerce pleinement en ce jour son office public ; le Serviteur accomplit son service en faveur du peuple. Sans Vendredi Saint, il ne saurait y avoir, à aucun autre moment, de liturgie authentique. C’est en ce sens que la dramaturgie de la messe se confond avec celle d’un Événement (la Passion) qui en révèle le sens véritable. La Cène, la Croix et le Sépulcre ne sont jamais considérés séparément et les différents moments du grand Shabbat scandent la liturgie du triduum pascal sans solution de continuité. L’Église omet la célébration du sacrifice non sanglant de l’Eucharistie parce que le Sacrifice sanglant de la Crucifixion constitue l’objet unique de la commémoration :

Aujourd’hui elle n’offre pas le sacrifice ordinaire, et elle se contente d’honorer le sacrifice sanglant que Jésus-Christ a offert une fois sur la Croix, et qui se continue tous les jours d’une manière non sanglante dans le sacrifice de la messe.

La lecture de la Passion se substitue, par suppléance, à la messe, dont on a solennellement rappelé, la veille, l’institution, rappel qui était déjà lui-même anticipation sacramentelle de la Passion. Comprendre le signe du Vendredi Saint revient d’abord à saisir la disposition des signes liturgiques mobilisés par une dramaturgie, et donc à comprendre justement le caractère éminemment dramatique de toute liturgie, en tant qu’« action sacrée » (hierourgia). Se pose alors un problème d’expressivité.

Comment représenter en effet un sacrifice sans la médiation du sacrement qui l’actualise ? Le cadre habituel se modifie, puisque ce qui d’ordinaire précède ou accompagne la messe proprement dite (lectures, chants, prières) est ici amplifié au point d’envahir la quasi-totalité de l’espace liturgique. Toute la célébration se confond avec la proclamation de la Parole, même si ce jour sans messe est précisément celui qui permet de comprendre le sens de toutes les autres messes célébrées dans l’année. Sans doute plus que les autres jours, la proclamation des Écritures vaut ici signe sacramentel. D’une certaine manière, le Vendredi Saint reste la clef sémiotique de tous les autres signes liturgiques, puisqu’en ce jour la Parole coïncide effectivement avec l’œuvre du salut.

Si la lecture du récit de la Passion devient « représentation » efficiente et spirituelle, ce spectacle se visualise dans l’audition et constitue un cas exemplaire du fides ex auditu. Letourneux avait déjà fortement mis l’accent sur cette réalité sensible et spirituelle dans De la meilleure manière d’entendre la sainte messe. L’Église, écrivait-il, « désire qu’on s’applique à ce qu’on voit, à ce qu’on entend, et à ce qu’on dit à la messe ; elle souhaite qu’on la suive afin d’entrer dans les sentiments qu’elle tâche d’inspirer par les paroles qu’elle fait réciter ». À la faveur d’une équivalence sensible (entre le voir et l’entendre), source d’émotions finalisées par le « sentiment » spirituel, un échange perceptif (synesthésie mystique) éduque le sens de la prière, c’est-à-dire aussi celui de la foi (lex orandi, lex credendi).

Trône vide, siège vacant

Les hymnes chantées en ce jour témoignent de cette doxologie déconcertante : au très antique Trisagion (chanté en grec et en latin) succèdent deux chants aux accents de victoire, le Pange lingua… et le Vexilla regis. Dans sa version française des hymnes, Letourneux se permet une traduction glosée qui renforce le paradoxe doxologique du mystère de la Passion : d’une part il traduit l’expression « triumphum nobilem » par « triomphe éclatant », en survalorisant la dimension esthétique de la louange, d’autre part il explicite et souligne le scandale du Dieu anéanti en traduisant « temps de la passion » par « temps sacré des souffrances d’un Dieu ». En conciliant ces deux extrêmes (le plus grand éclat dans l’abaissement kénotique), Letourneux contemple une défiguration où se cristallise un admirabile commercium. La beauté peut alors jaillir et rejaillir, bien que mystérieusement enfouie dans l’invisible et l’inacceptable. Commenter la liturgie du Vendredi Saint implique le déchiffrement du Signe à l’instant même où son apparition coïncide avec son énigmatique disparition. Aux yeux de la foi, l’expression « croix glorieuse » ne constitue pas un oxymore mais un pléonasme.

https://journals.openedition.org/rhr/7559
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MessageSujet: Re: Semaine sainte   Semaine sainte - Page 4 Icon_minitimeVen 15 Avr 2022, 18:54

N.B.: la première citation (sous "Citation") se rapportait à ceci.

L'article cité et référencé ensuite (Belin sur Letourneux, commentaire liturgique du XVIIe siècle, contemporain et proche du "jansénisme" de Port-Royal) est fort intéressant aussi dans son genre. Il m'a par moments rappelé ce fil-ci, sur le jeu du "sensible" et de l'"intelligible", de la "représentation" et du "langage", autrement dit du "spectacle dramatique" (theôria, theatron), dans la liturgie en général et de la "Semaine sainte" en particulier (cf. les "mystères" antérieurs): les récits de la Passion, qui sont déjà une dramaturgie et une mise en scène "littéraires" du "coeur du mythe" chrétien ("kérygme", "évangile" paulinien entre autres, le Christ mort-et-ressuscité), lus rituellement et régulièrement dans une "liturgie", appellent la re-présentation et l'interprétation dans tous les sens du terme.

Il faut bien qu'un cercle ou un cycle (anneau comme de l'année, liturgique ou autre), qui par définition n'a ni commencement ni fin, s'entame graphiquement quelque part; or cette "entame" du trait qui seule permet de tracer ou de décrire un cercle ou n'importe quelle figure fermée, de s'y inscrire le cas échéant, d'y entrer ou d'en sortir, est forcément paradoxal, voire transgressif, et arbitraire (on aurait toujours pu commencer et finir ailleurs, passer ou sauter ailleurs): dans l'interprétation classique, que le jour DU "sacrifice" qui "consacre" le "sacrement" perpétuel soit aussi un jour SANS "sacrement", ou du moins sans "consécration", et le seul "sans", c'est l'hiatus aussitôt et jamais comblé qui signifie ce paradoxe, par une exception d'ailleurs caractéristique de toute "institution" ou "constitution": aucune règle ne s'auto-institue, l'institution de la règle échappe à la règle, c'est l'exception qui fonde la règle (p. ex.: une assemblée "constituante" ne peut pas être "constitutionnelle"); aporie de l'auto-référence, on serait tenté d'écrire, comme Derrida l'a fait quelquefois, "ceci est mon sans". Le récit d'une "histoire sainte" ne saurait être foncièrement différent: si elle est divine, la Passion est éternelle, d'avant la fondation du monde et des âges et au-delà de toute fin de monde ou d'âge, et ne saurait se signifier qu'arbitrairement et paradoxalement, "quelque part" dans (le cours de) l'"histoire" racontée ou récitée, n'importe où en principe mais toujours à titre d'exception paradoxale: "une fois pour toutes" = "aujourd'hui", comme dit l'épître aux Hébreux. (Le rapport du "midi" -- et parfois du "minuit" -- ou de l'"instant" à "l'éternel retour" dans le Zarathoustra de Nietzsche est d'ailleurs similaire, cf. p. ex. "Le convalescent" ou "De la vision et de l'énigme".)

"Souviens-toi de Jésus-Christ", écrit curieusement le Paul des Pastorales à son Timothée (2 Timothée 2,8 ), alors que ni l'un ni l'autre ne sont censés *l'*avoir connu et qu'*il* est censé être "toujours-présent" dans le "mystère" de l'Eglise: de la nostalgie de l'éternel, à même le temps qui passe, ou du temps qui passe à même l'éternel...
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MessageSujet: Re: Semaine sainte   Semaine sainte - Page 4 Icon_minitimeDim 02 Avr 2023, 12:29

Les Rameaux, que le cycle de l'an nous ramène, et sur quoi tout ou presque a été dit depuis le début de ce fil (et sûrement dans d'autres), résonnent curieusement cette année dans ma tête avec un distinguo récent du président français, entre "le peuple" et "la foule", l'un présumé légitime en tant que représenté  par une médiation institutionnelle et l'autre pas, malgré sa présence réelle, massive et bruyante (il y a eu d'autres termes concurrents dans le même contexte, notamment "l'émeute" confondue un temps avec "les meutes" par les journalistes, dans un contexte oral indécidable, faute d'accord audible d'un verbe ou d'un adjectif).

Je n'irais certes pas en chercher une correspondance précise dans les évangiles, puisque le grec distribue autrement son vocabulaire: il y a un mot habituellement traduit par "foule" ou "multitude", okhlos, qui désigne un rassemblement concret et plus ou moins important, spontané ou sans organisation particulière (contrairement p. ex. à ekklèsia ou sunagôgè, d'où église et synagogue); et beaucoup de termes correspondant à divers aspects du "peuple", rassemblé ou pas: principalement laos comme catégorie ou anti-catégorie sociale, opposée aux chefs et aux notables en tout genre comme les "laïcs" au "clergé", mais aussi ethnos, "ethnique" comme son nom l'indique, souvent traduit par "nation" mais sans l'idée d'Etat qui est plutôt liée à la cité (polis, politique); sans oublier dèmos, d'où démocratie et démagogie, plus directement associé à un territoire ou "dème" dans la Grèce antique, mais qui concerne peu le NT. Toujours est-il que "la foule" (okhlos) ou "le peuple" (laos) joue un rôle doublement décisif et contradictoire dans la trame du drame de la Passion, en faisant Jésus "roi des Juifs" le dimanche et en réclamant sa mort le vendredi, pour faire court...

Cette impression générale, celle qu'a retenue la culture du même nom, se différencie ou se nuance toutefois d'un évangile à l'autre. Dans Marc, la foule est régulièrement associée à Jésus depuis le début du récit (2,4.13; 3,9.20.32; 4,1.36; 5,21ss; 6,33s etc.), avant l'épisode des Rameaux elle l'accompagne au moins depuis Jéricho (10,46); dans un sens son attachement à Jésus le protège et dans un autre il le condamne (11,18; 12,12.37); mais il y a aussi une grande foule avec Judas (14,43), et en définitive toute la foule est (re-)tournée contre Jésus par les grands prêtres (15,8.11.15). Dans Matthieu, l'effet de cortège s'accentue (21,8ss), mais la foule est aussi accusée davantage, et manoeuvrée aussi par les "anciens" (ailleurs  souvent appelés "anciens du peuple", laos; cf. 26,55; 27,20.24). Dans Luc au contraire, il n'y a plus de retournement ni de réprobation, l'auteur tend à idéaliser le "peuple" un peu comme les "pauvres": le "peuple" des Rameaux et des jours suivants fait corps avec les "disciples" (laos, 18,43; 19,48; 20,1.6.9.19.26.45; 21,38; 22,2; 23,5), il ne se confond pas avec la "foule" de Judas (okhlos, 22,47), le "peuple" se lamente avant la crucifixion (23,27.35) et la "foule" après (23,48). Quant au quatrième évangile, la "foule" (okhlos) qui a servi de "choeur" ignorant, mais parlant souvent à double sens sans le savoir, dans la première partie du livre (jusqu'au chapitre 12; cf. 7,12ss et 12,29.34), disparaît complètement dans la seconde, où le "peuple" (laos) n'apparaît qu'une seule fois en 18,14, dans une reprise approximative (laos pour ethnos) de la parole du grand prêtre en 11,48ss. En somme, le schème du "retournement" de la foule ou du peuple est surtout celui de Marc, dramatisé par Matthieu qui en fait une auto-condamnation de l'ethnos juif (27,24s; cf. 21,43).

L'idée n'en est pas moins intéressante, à tous les points de vue: popularité fatale, suicide par la popularité, retournement de l'engouement en rage, de l'adoration à l'humiliation, de la protection en menace, et ainsi de suite.
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MessageSujet: Re: Semaine sainte   Semaine sainte - Page 4 Icon_minitimeLun 03 Avr 2023, 10:34

Citation :
 Dans Matthieu, l'effet de cortège s'accentue (21,8ss), mais la foule est aussi accusée davantage, et manoeuvrée par les "anciens" (ailleurs  souvent appelés "anciens du peuple", laos; cf. 26,55; 27,20.24). 


La foule est-elle changeante et influençable ?


C’est la thèse que semble accréditer la fin des Évangiles, relatant le changement d’attitude de la foule entre l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem et sa Passion sous les cris et les quolibets. Manipulée par les grands prêtres, la foule est celle qui permet la condamnation de Jésus. L’Évangile de Matthieu offre un glissement sémantique intéressant. Alors que « les foules » réclament Barabbas et demandent à Pilate la crucifixion de Jésus (27, 20), quelques versets plus loin, c’est « tout le peuple » qui s’exclame : « Son sang, qu’il soit sur nous et sur nos enfants » (27, 25). « Ce qui fait l’unité du peuple de Dieu, c’est d’être sauvé par celui-là même qu’il condamne, explique le père Billon. C’est une manière pour Matthieu de dire que même derrière la foule manipulée, il y a une identité profonde, celle de peuple. »


https://www.la-croix.com/Definitions/Bible/foule-Bible-2019-11-14-1701060350
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MessageSujet: Re: Semaine sainte   Semaine sainte - Page 4 Icon_minitimeLun 03 Avr 2023, 12:09

Matthieu 27,20 met en effet au pluriel (les foules, okhloi, okhlous à l'accusatif) le singulier de Marc (la foule, 15,11; de même v. 8 et 15), pour le choix de Barabbas, ce qui ne change pas grand-chose; en revanche, l'ajout de la scène du lavage des mains qui transfère le sang, et la responsabilité, de Pilate au peuple (laos), autrement dit des Romains aux Juifs et plus seulement à leurs grands prêtres ou anciens (Matthieu 27,24s), est beaucoup plus lourde de conséquences: elle s'inscrit dans l'antijudaïsme paradoxal, mais violent et assez constant de Matthieu (depuis la généalogie ou les mages jusqu'à l'aggravation de la parabole des vignerons, 21,43, ou les accusations du chap. 23, notamment v. 30 et 35). Même si l'histoire de l'antisémitisme chrétien rend cette lecture insoutenable a posteriori, ce n'est pas une raison pour l'édulcorer dans un sens édifiant, du moins du point de vue de l'exégèse -- d'autant que Matthieu n'est guère porté non plus à prêter au "sang" de Jésus une valeur salvifique, du fait de sa logique antipaulinienne (on n'est sauvé que par ses oeuvres)...

(Je ne réagis qu'à ton extrait car je n'ai pas accès à l'ensemble de l'article.)
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MessageSujet: Re: Semaine sainte   Semaine sainte - Page 4 Icon_minitimeLun 03 Avr 2023, 12:42

"Après cela, Jésus s'en alla sur l'autre rive de la mer de Galilée, la mer de Tibériade. Une grande foule le suivait, parce qu'elle voyait les signes qu'il produisait sur les malades ...  Jésus leur répondit : Amen, amen, je vous le dis, vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé des pains et que vous avez été rassasiés". (Jean 6,1-2 et 26)

« VOUS ME CHERCHEZ, NON PARCE QUE VOUS AVEZ VU DES SIGNES...» - Essai d'explication cohérente de Jean 6, 26 

De fait, les juifs (les autorités juives) réclamaient d'un éventuel Messie des signes dûment répertoriés ; ils en avaient besoin pour tester la véracité de sa prétention messianique ; mais finalement, ils étaient rarement d'accord sur la liste des signes accréditeurs ; et les signes accomplis par le prétendant n'emportaient jamais la conviction unanime des clercs. La foule, quant à elle, (la foule juive) attendait aussi d'un Messie des signes évidents attestant sa messianité ; mais la croyance populaire à cet égard était plus souple, plus vite satisfaite, mais aussi plus inconstante que les autorités responsables. Et le signe peut effectivement provoquer dans la foule johannique un enthousiasme, dont l'évangéliste s'empresse de noter qu'il sera sans lendemain.

(...)

Sur ce modèle, la formule de 6/ 26 devrait être paraphrasée : H vous apparaît à vous (auditeurs ou lecteurs) que vous me cherchez parce que vous avez vu des signes (et c'est bien la raison qui est donnée en 6/ 14s), mais ceci n'est que le motif apparent de votre quête ; la vérité telle que je vous la dis, le motif profond et essentiel de votre quête, c'est que vous avez été rassasiés.

Habituellement, on fait dire le contraire à cette phrase : Vous voulez me faire croire que vous me cherchez parce que vous avez vu des signes et que vous avez donc reconnu que je suis le Messie, mais en réalité vous n'avez pas vraiment vu le signe ; vous me cherchez seulement parce que vous avez bien mangé et que vous espérez d'autres miracles semblables ; vous me considérez comme un simple faiseur de miracles. Ce raisonnement serait de l'ordre de l'analyse psychologique où les intentions cachées de la foule serait dévoilées derrière un mobile avoué mais trompeur. Il serait unique après la formule «en vérité, en vérité... » qui est toujours suivie d'un raisonnement théologique. L'interprétation habituelle me paraît donc un contre-sens. De plus, elle engage dans une impasse l'explication de l'ensemble du fragment 6/26-29.

En fait, c'est le rassasiement, et non la vue du signe, qui est à l'origine de la quête des juifs. Ayant été rassasiés, les juifs ont senti que le pain qu'ils ont mangé, est le pain eschatologique, et que celui qui le donne, est plus que Moïse, il est celui qui doit venir, l'Envoyé du Père.

(...)

Or si la foule de Jn 6 cherche Jésus, c'est «en vérité » parce qu'ils ont mangé des pains et ont été rassasiés, alors que d'habitude, ils mangent des pains et ont toujours faim, de même qu'ils boivent de l'eau et ont encore soif (4/13-15 ; cf 6/35.58). Le pain que leur a donné Jésus, le Fils de l'Homme, n'est pas une nourriture périssable, mais la nourriture qui demeure en vie éternelle (6/27 ; cf 6/32.51). C'est parce qu'ils ont mangé ce pain qui rassasie et non pas n'importe quel pain, par exemple en particulier le pain de la Torah, que les juifs de cette foule cherchent Jésus, même s'il est vrai qu'ils ne sont pas devenus des disciples croyants. Certes, la question est relancée en 6/30 : «Quel signe fais-tu afin que nous le voyions et que nous croyions en toi ? » ; elle nous ramène clairement en arrière par rapport au sommet atteint en 6/26-29. On doit se demander s'il ne doit pas y avoir une coupure après 6/29. La question de 6/30 serait alors destinée à reprendre l'ensemble du débat, non d'ailleurs sous la forme d'un nouveau signe opéré, mais sous la forme du discours du pain de vie.

Il n'est donc pas question d'un rassasiement péjoratif. Comme le suggère Goppelt : «En passant du rassasiement avec le pain de vie (6/26) à la suppression de la faim et de la soif (6/35), Jean veut indiquer qu'est offerte la plénitude de l'accomplissement du salut, telle qu'elle est décrite en particulier dans le repas eschatologique (Luc 22/30 ; Jn 6/52-58)».

https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1980_num_60_4_4558
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MessageSujet: Re: Semaine sainte   Semaine sainte - Page 4 Icon_minitimeLun 03 Avr 2023, 13:46

Cela ne me semble pas avoir grand rapport avec la Semaine sainte -- peut-être un peu plus avec une autre discussion récente (ici, hier) sur Jean 6.

L'une des principales difficultés de l'exégèse moderne, qui pèche bien plus souvent par excès de connaissance et de moyens techniques de recherche et d'analyse que par ignorance, est de savoir s'arrêter au moment où elle devient plus "cohérente" ou plus "intelligente" que les textes qu'elle commente... Je trouve cette étude assez caractéristique de ce travers qui est aussi de son époque (1980), et le ton péremptoire et prétentieux, rétrospectivement, n'y arrange rien. Malgré tout (qualités de ses défauts) c'est clair et stimulant, et j'en retiendrais quand même l'idée que le johannisme, et la "gnose" en général, ont l'"élitisme" plus tolérant et bienveillant (on aurait dit jadis "condescendant" sans que ce fût péjoratif) que la caricature qu'on en fait habituellement. Ce n'est pas parce que le grand nombre passe, au moins provisoirement, à côté du "meilleur" d'une tradition religieuse donnée (du point de vue des élitistes bien entendu) que ce qu'il en retire n'a aucune valeur (comme en témoignent aussi, dans les mêmes milieux ecclésiastiques au sens large, le développement simultané et la coexistence de "gnoses spiritualistes" et de "millénarismes matérialistes" au début du IIe siècle).

P.S.: Réflexion faite, je vois bien un point de contact entre ce texte et les Rameaux et la Passion en général, dans le "faire roi" du v. 15 (cf. 1,49; 12,13.15; 18,33ss; 19,3.12ss.19ss).
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MessageSujet: Re: Semaine sainte   Semaine sainte - Page 4 Icon_minitimeLun 03 Avr 2023, 15:44

Citation :
Cela ne me semble pas avoir grand rapport avec la Semaine sainte -- peut-être un peu plus avec une autre discussion récente (ici, hier) sur Jean 6.

L'aspect versatile de la "foule" peut s'expliquer (à partir d'une lecture superficielle) par le fait que celle-ci recherche son intérêt (voir des signes ou être rassasié), en fonction de certaines situations la foule peut être changeante et inconstante.  


Plus on est de fous…

Et d’abord, posons-nous la question : notre ferveur joyeuse à acclamer Jésus avec nos rameaux en main est-elle adéquate à la situation ? Notre musique n’est-elle pas semblable à celle que jouait l’orchestre du Titanic alors qu’il était en train de sombrer dans l’océan ? Non. Accueillir Jésus dans la ferveur et les chants comme le Roi qu’il est ne peut pas être une erreur. Ce n’est pas parce qu’on sait qu’une joie est éphémère qu’il faut la mépriser. Au contraire, il est bon d’accueillir les grâces sensibles que Dieu nous accorde, pour peu qu’elles ne nous retiennent pas dans une illusion mortifère. Les consolations faciles doivent être écartées si elles sont mensongères, mais l’allégresse du peuple qui accueille le Roi des rois n’est pas de cet ordre : elle s’impose.

Il est vrai que la foule qui accueillait triomphalement Jésus à Jérusalem (Mc 14 ; 15, 39) ce jour-là devait bien vite changer d’avis. Un jour, on acclame, le lendemain on crucifie ! La parole de Jésus en Croix à l’intention de ses bourreaux : « Ils ne savent pas ce qu’ils font » pourrait tout aussi bien s’appliquer à la foule qui l’acclame sur le chemin de son entrée à Jérusalem. Cette versatilité d’une foule aisément manipulable est trop connue pour ne pas la dénoncer. On sait depuis longtemps que le degré de conscience et de liberté personnelle de chaque individu qui compose une foule diminue à proportion que les effectifs de cette foule augmentent. Plus on est de fous… plus on est fous !

https://fr.aleteia.org/2021/03/27/entre-la-foule-et-lane-la-joie-des-rameaux/
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MessageSujet: Re: Semaine sainte   Semaine sainte - Page 4 Icon_minitimeLun 03 Avr 2023, 16:56

Excellent sermon... (sur l'âne ou les ânes, voir supra 22.3.2021).

Si aucun terme christologique ou théologique (roi, prêtre, prophète, messie, fils de David, fils de l'homme, fils de dieu, seigneur, sauveur, dieu, etc.) ne s'avère en définitive adéquat, il faut bien que chaque mot ait été prononcé, énoncé, affirmé avec une certaine pré-compréhension de son sens (on croit savoir a priori ce qu'on entend par là) pour être ensuite questionné, voire nié ou renversé, en l'occurrence par le récit: le roi n'est justement pas ce qu'on attendait d'un roi, etc. Qu'on renonce ensuite à l'appellation ou qu'on la conserve en l'entendant tout autrement, il se sera passé quelque chose que le pur silence, sans doute moins faux sinon plus juste, n'eût pas permis...

---

Pour avancer dans la "Semaine sainte", on peut remarquer que la principale différence narrative et chronologique, déjà signalée, entre Marc (11) et Matthieu (21) -- la "purification du temple" a lieu le lendemain des Rameaux chez Marc, le même jour chez Matthieu -- déplace aussi l'histoire du figuier: elle encadrait la "purification du temple" chez Marc (malédiction un jour, constat de dessèchement et commentaire le lendemain), elle lui succède chez Matthieu (ce qui rend le dessèchement lui-même instantané et spectaculaire). Comme on l'a déjà signalé, le figuier disparaît chez Luc en tant que miracle ou anti-miracle, mais il se transforme en parabole, ou plutôt en allégorie (13,1ss).

---

L'aspect "suicidaire" de la Passion -- autant suicide par le "pouvoir", religieux ou profane, juif ou païen, que par le "peuple" ou la "foule" -- que tout le monde ressent et retient même s'il est rarement exprimé en ces termes (comme disait Desproges, si Jésus ne s'est pas suicidé j'ai rien compris aux évangiles), résulte moins de tel détail narratif ou verbal (comme les formules johanniques sur la "(dé-)pose de l'âme", qui ne sont guère commentées que par les biblistes) que de l'enchaînement général des "événements" de la "Semaine sainte", autrement dit de la trame narrative fournie par Marc, sans préjudice de ses modifications plus ou moins importantes par les autres... L'entrée à Jérusalem qui passe pour une proclamation populaire de royauté, évidemment suspecte pour le pouvoir romain, l'esclandre au temple (déplacé par Jean, mais aussi radicalisé, au début de l'évangile) qui menace l'autorité des prêtres, cela se comprend naturellement comme une "provocation" caractérisée, aggravée par la suite des "controverses" (Marc 12//) -- sur l'"autorité" (exousia, pouvoir ou droit, de quel droit) précisément, qui débouche sur la parabole auto-prédictive des vignerons assassins (aggravée à son tour par Matthieu en rejet explicite de la "nation", ethnos), puis sur le tribut ou impôt à César (prenant à rebrousse-poil les tendances "nationalistes", notamment "zélotes"), sur la résurrection (contre les sadducéens, mais aussi, vu la teneur du propos, contre une vision "littérale" de la résurrection associée notamment à l'eschatologie pharisienne), sur le premier commandement (débat associé ici à un scribe, et omis à ce point par Luc), sur la conception pharisienne du "messianisme" (fils de David), toujours liée aux scribes, puis contre les scribes en général (ce qui devient chez Matthieu une litanie d'insultes contre les scribes et les pharisiens, chap. 23), tout cela qui débouche sur l'annonce de la destruction du temple (Marc 13//) prend l'allure d'une escalade que Jésus, à tout le moins, ne fait rien pour apaiser, l'intention devenant tout à fait claire lors du dernier repas (Marc 14/). Bien entendu, rien de tout cela chez Jean, pour qui la suite de l'entrée à Jérusalem (chap. 11--12, fin de la première partie) est entièrement "privée" (chap. 13--17) jusqu'à l'arrestation (chap. 18ss).
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MessageSujet: Re: Semaine sainte   Semaine sainte - Page 4 Icon_minitimeMar 19 Mar 2024, 13:30

MÉMORIAL 2024 : PROGRAMME DE LECTURE BIBLIQUE

JEUDI 21 MARS
LEVER DU SOLEIL

Matthieu 21:12, 13, 18, 19

Marc 11:12-19

Luc 19:45-48

Jean 12:20-50


Jésus : le chemin, chap. 103-104

COUCHER DU SOLEIL (début du 11 nisan)

https://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/202024082


« D’autres disaient qu’un ange lui avait parlé » (Jn 12,29) - Claire Clivaz - Lausanne

Est-il dès lors possible de partir en quête du contexte socio-historique et théologique qui pourrait correspondre au point de vue d’un ange parlant à Jésus, et à ce tonnerre ? Pourquoi l’évangéliste donne-t-il la voix à des points de vue dont il prend apparemment distance ? Y a-t-il ou non un quelconque lien entre ce verset et Lc 22,43 ? Pour tenter de répondre à ces questions, après une lecture de Jn 12,29 au fil du texte (point 2), j’aborderai la question des éventuels liens entre ce verset et Lc 22,43 (point 3), puis la question des traditions liées à la mémoire de la prière au Mont des Oliviers (point 4). Je terminerai en situant Jn 12,29 par rapport à la thèse de Pamela Kinlaw sur les opposants visés par l’Évangile selon Jean (point 5). Ce parcours me permettra de soutenir l’hypothèse que Jn 12,29 souhaite repousser la lecture d’une inspiration/inhabitation angélique de Jésus. Avec prudence, je tenterai de franchir un pas au-delà de l’évaluation de Samuel Vollenweider : « Dans l’histoire primitive de la christologie johannique, des représentations angélologiques ont pu jouer un rôle important. Malheureusement, on ne peut pas dépasser ici les suppositions ».

3. Jn 12,29 et Lc 22,43 

Avant que ne soit édité et disponible à la recherche le P75, et avant que Bart Ehrman et Mark Allan Plunkett n’aient rédigé leur article clé sur Lc 22,43–44,35 Adolf von Harnack avait globalement convaincu la recherche exégétique de l’authenticité de Lc 22,43–44.36 Harnack estimait que la mention « d’autres disaient qu’un ange lui avait parlé » en Jn 12,29b était à comprendre comme une « johanneische Umwandlung von Lk 22,43–44 ».37 Harnack développe cette observation en disant que « (...) est devenu une (...) […] qui semble être restée un réconfort ; mais ce n’est qu’une apparence : ce n’est pas pour fortifier Jésus, mais les autres que la voix a parlé ». Jean témoignerait donc déjà pour Harnack d’une suppression de ce passage, suppression qu’il fait aux alentours de 100 de notre ère. Mais on constate une double différence entre les deux textes, qui doit être prise en compte dans une hypothèse de l’histoire des traditions : d’une part l’ange lucanien ne parle pas, alors que Jn 12,29b évoque un ange qui parle ; d’autre part, la scène lucanienne se déroule sans témoin, les disciples endormis de tristesse (Lc 22,45), alors que des témoins, « d’autres », rapportent la tradition de Jn 12,29b.

 Il convient toutefois de relever le fait qu’Harnack se soit intéressé à l’ange de Lc 22,43, alors que de nombreux exégètes sont restés fascinés par la sueur « comme des gouttes de sang » du v. 44. Ehrman et Plunkett estiment qu’une problématique liée à l’ange « laisse sans réponse le fait que les deux versets sont constamment absents des témoins du texte court »,40 et ne disent pas un mot de l’éventuel lien de cette variante à Jn 12,29b, sans doute parce que suivre la piste de l’ange n’est pas aisé. Il n’y a certainement pas lieu d’imaginer, comme le fait Michael Patella, que ƒ13 indiquerait l’existence d’une source indépendante pour Lc 22,43–44, dont Jn 12,29b se serait également inspiré.41 J’ai en effet démontré ailleurs que les manuscrits de ƒ13 avaient conscience de l’origine lucanienne de ces versets et que leur transfert après Mt 26,53 était d’origine liturgique.42 De manière plus probante, Raymond Brown fait de l’ange un point crucial du débat autour de Lc 22,43–44.43 Il souligne que Mt 26,53 signale un refus de l’aide angélique dans le cadre de Gethsémané, refus qui s’ajoute au silence marcien : pas de réponse à la prière de Jésus à Gethsémané dans les deux premiers évangiles. Jean témoigne par contre d’une réponse sous la forme non de l’ange ou du tonnerre (Jn 12,29), mais de la voix céleste (Jn 12,30), ce qui fait conclure à Brown qu’« ici, comme ailleurs, Luc se situe entre Jean et Marc–Matthieu ».44 À partir de ces éléments, Brown tente d’extrapoler le contenu de la prière de Jésus en 22,43 : il comprend la première prière (Lc 22,41–42) comme la demande de ne pas entrer en tentation, puis estime que « l’arrivée d’un ange venant du ciel (c’est-à-dire la présence d’un être céleste, non la vision de quelqu’un dans les cieux) et la force nouvelle qu’il en tira persuadèrent Jésus qu’il devait entrer dans la peirasmos, mais pas sans secours divin ».

Quoi qu’on pense de l’interprétation de Brown de la prière de Lc 22,43, si proche qu’elle soit des autres éléments du texte, elle représente néanmoins une manière de remplir ce qui est un blanc du texte, un non-dit. En quelque sorte, Brown se met à « faire parler l’ange », ce que reproche précisément l’auteur johannique à certains témoins en Jn 12,29b. De fait, l’ange de Lc 22,43 ne parle pas, au contraire de tous les autres anges lucaniens, une particularité soulignée par l’analyse stylistique. Il est très important de prendre en compte le côté implicite et non communiqué – « inavoué », dira Brun – de la prière de Lc 22,43–44, car parmi les deux plus anciennes versions de la prière à Gethsémané dans l’Évangile selon Marc, l’une comprend également une seconde prière avec un contenu non explicité. En effet, en Mc 14,39, D et it n’ont pas la mention « en disant la même parole » (...), ce qui a pour effet de laisser ouvert le contenu de la seconde prière de Jésus dans une partie de la tradition manuscrite. Cette version de la tradition dite occidentale est d’autant plus frappante que nous n’avons aucune attestation de papyrus pour Mc 14,39, le P45 étant ici lacuneux. Les plus anciens témoins de Mc 14,39 sont donc ℵ, B et le codex latin a, ce qui indique que le 4e  siècle présente deux versions de Mc 14,39. Selon Mc 14,39 dans la tradition occidentale et Lc 22,43–44, il y aurait donc une seconde prière de Jésus à Gethsémané dont le contenu reste implicite. 

https://hal.science/hal-03085918/document
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MessageSujet: Re: Semaine sainte   Semaine sainte - Page 4 Icon_minitimeMar 19 Mar 2024, 14:57

Passionnante étude de l'excellente Claire Clivaz...

Le rapport à la "semaine sainte" est ténu, puisqu'il tient à la datation par rapport à la Pâque en 12,1 (cf. 11,55 et déjà 2,13.23; 6,4): pour rappel, le chapitre 12 constitue une première conclusion, solennelle, d'un premier état ou d'une première section de l'évangile, avant les reprises et développements successifs des chapitres 13ss, différents à bien des égards, et le récit de la Passion aux chapitres 18ss. Quant à l'opposition de la curieuse prière du Christ qui s'auto-corrige en cours de route (12,27ss, que dirais-je ? sauve-moi de cette heure ? glorifie ton nom) à celle(s) de Gethsémani dans la tradition synoptique, nous en avons beaucoup parlé ailleurs, mais sous un certain angle l'analyse de Claire Clivaz affine grandement la relation, notamment sur le motif de l'"ange", en passant de Luc 22,43 à Jean 12 par Zacharie 1 (LXX) et ses autres développements hors "canon". J'objecterais seulement que la question de la "personnalité angélique" est moins simple qu'elle le laisse entendre (p. 179), si l'on tient compte de l'oscillation d'un mot-concept comme l'"esprit" (rwh, pneuma) à Qoumrân ou dans d'autres textes dits intertestamentaires, proches à certains égards de textes néotestamentaires et spécialement johanniques: "l'esprit de vérité" ou "de sainteté" qui peuvent être conçus comme des émanations ou processions directes du Dieu un, sans autre "personnalité" que la sienne, donc en elles-mêmes, si l'on peut dire, plutôt "impersonnelles", voire comme des personnifications de "vertus" abstraites et foncièrement impersonnelles, sont aussi appelés "anges", et éventuellement nommés de noms propres, ce qui leur ajoute de la "personnalité". Là encore il n'y a pas plus, avant le milieu du IIe siècle au moins, de frontière nette entre le "personnel" et l'"impersonnel" qu'entre le "créé" et l'"incréé" (engendré, procédant, spiré, etc.).

Quoi qu'il en soit, cet article met remarquablement en évidence la façon dont le quatrième évangile laisse la place et la parole à des opinions diverses, de la "foule", de catégories plus ou moins définies (juifs, pharisiens) ou de personnages individuels (Nicodème, la Samaritaine, le paralytique, l'aveugle, les disciples nommés, Pierre, Philippe, Thomas, Judas, etc., ou "celui que Jésus aimait", qui glisse de Lazare à l'anonyme des chapitres suivants, qu'on l'identifie ou non avec "l'autre disciple", mais encore Caïphe ou Pilate) sans se prononcer sur leurs propos, sans tenter de les réfuter ou de les corriger, les traitant avec une apparente indifférence qui n'est pas exempte de "condescendance" (y compris au sens moderne et péjoratif du terme), mais n'est pas pour autant hostile ni répressive.
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MessageSujet: Re: Semaine sainte   Semaine sainte - Page 4 Icon_minitimeMar 19 Mar 2024, 16:45

L'arrestation de Jésus et la représentation de Judas en Jean, 18, 1-12. Mise en perspective avec l'univers de la gnose dans l'Évangile de Judas
Alain Rabatel (Article que nous avions déjà vu dans le cadre de l'analyse de la figure de Judas Iscariote). 

3 – Arrestation de Jésus

(5) 14 43 Au même instant, comme il parlait encore, survient Judas, l’un des Douze, avec une troupe armée d’épées et de bâtons qui venait de la part des grands prêtres, des scribes et des anciens. 44 Celui qui le livrait avait convenu avec eux d’un signal : « Celui à qui je donnerai un baiser, avait-il dit, c’est lui ! Arrêtez-le et emmenez-le sous bonne garde. »45 Sitôt arrivé, il s’avance vers lui et lui dit : « Rabbi. » Et il lui donna un baiser.46 Les autres mirent la main sur lui et l’arrêtèrent. (Marc 14, 43-46)

(6) 26 47 Il parlait encore quand arriva Judas, l’un des Douze, avec toute une troupe armée d’épées et de bâtons, envoyée par les grands prêtres et les anciens du peuple. 48 Celui qui le livrait leur avait donné un signe : « Celui à qui je donnerai un baiser, avait-il dit, c’est lui, arrêtez-le ! »49 Aussitôt il s’avança vers Jésus et dit : « Salut, rabbi ! » Et il lui donna un baiser. 50 Jésus lui dit : « Mon ami, fais ta besogne ! ». S’avançant alors, ils mirent la main sur Jésus et l’arrêtèrent.
(Matthieu 26, 47-50)

(7) 22 47 Il parlait encore quand survint une troupe. Celui qu’on appelait Judas, un des Douze, marchait à sa tête ; il s’approcha de Jésus pour lui donner un baiser. 48 Jésus lui dit « Judas, c’est par un baiser que tu livres le Fils de l’homme ! »
(Luc 22, 47-48)

(Cool 18 1 Ayant ainsi parlé, Jésus s’en alla, avec ses disciples, au-delà du torrent du Cédron ; il y avait là un jardin où il entra avec ses disciples. 2 Or Judas, qui le livrait, connaissait l’endroit car Jésus y avait maintes fois réuni ses disciples. 3 Il prit la tête de la milice et des gardes fournis par les grands prêtres et les Pharisiens, il gagna le jardin avec torches, lampes et armes.4 Jésus sachant tout ce qui allait lui arriver, s’avança et leur dit : « Qui cherchez-vous ? »5 Ils lui répondirent : « Jésus le Nazôréen ». Il leur dit : « C’est moi. » Or, parmi eux, se tenait Judas qui le livrait.6 Dès que Jésus leur eut dit ‘ ‘C’est moi’’, ils eurent un mouvement de recul et tombèrent.7 À nouveau, Jésus leur demanda : « Qui cherchez-vous ? » Ils répondirent : « Jésus le Nazôréen. »8 Jésus leur répondit : « Je vous l’ai dit, c’est moi. Si c’est donc moi que vous cherchez, laissez aller ceux-ci. »9 C’est ainsi que devait s’accomplir la parole que Jésus avait dite : « Je n’ai perdu aucun de ceux que tu m’as donnés. »10 Alors Simon Pierre, qui portait un glaive, dégaina et frappa le serviteur du grand prêtre, auquel il trancha l’oreille droite ; le nom de ce serviteur était Malchus. 11 Mais Jésus dit à Pierre : « Remets ton glaive dans ton fourreau ! Comment ? je ne boirais pas la coupe que le Père m’as donnée ? » 12 La milice avec son commandement et les gardes des Juifs saisirent donc Jésus et ils le ligotèrent.
(Jean 18, 1-12)

22Jean choisit de ne pas mentionner les paroles de Judas qui désignent Jésus aux soldats venus l’arrêter et, en contrepartie, il donne à Jésus un rôle central dans la maîtrise du processus, ce qui, comme on le verra plus en détail, rejaillit sur l’image discursive de Judas. Le récit, en ne mentionnant pas les paroles de Judas, inscrit le rôle de ce dernier dans la réalisation de la prophétie. Judas n’est plus un « traître » intrinsèquement mauvais, c’est celui qui, pour son malheur, a été choisi comme l’instrument par lequel arrive la Passion du Christ. Cette différence est significativement marquée, non seulement dans le récit de l’arrestation, mais elle était indiquée dès l’annonce de celle-ci, puisque le texte mentionne en 13, 27, que c’est après que Jésus lui eut offert la bouchée qui le désignait « que Satan entra en Judas »

Semaine sainte - Page 4 ETR_idPAS_D_ISBN_pu2009-01s_sa03_art03_img002

https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2009-1-page-49.htm
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MessageSujet: Re: Semaine sainte   Semaine sainte - Page 4 Icon_minitimeMar 19 Mar 2024, 17:33

En effet, c'était là (13.4.2023). Le tableau analytique que tu reproduis est bourré d'inexactitudes, il suffit de (re-)lire les textes pour s'en apercevoir. Par exemple, dans Jean il n'y a aucune réponse spécifique de Jésus à Judas au moment de l'arrestation, contrairement à Matthieu et à Luc; si Jean est le seul à nommer Pierre, l'"agression" d'un disciple (ailleurs anonyme) sur l'esclave du grand prêtre est commune aux quatre; le "signe de Judas" n'est pas non plus énoncé en discours direct (DD) dans Luc, et dans celui-ci il n'y a pas non plus de discours direct de Judas à Jésus; etc. (Le paradoxe c'est qu'une revue théologique accepte d'un non-théologien reconnu par ailleurs comme linguiste, sans doute flattée de son intérêt, un niveau de lecture, au sens le plus banal du terme, lecture en traduction sans référence aux textes originaux, nettement inférieur à ce qu'elle exigerait d'un contributeur du sérail... -- privilège de l'"invité célèbre", qui peut délivrer le discours le plus insipide dans un milieu auquel il n'appartient pas, et y sera quand même le plus applaudi.)

Dans Le roi des rois de Cecil B. DeMille (1917), que j'ai vu il n'y a pas longtemps et qui mélangeait allégrement les quatre évangiles, en indiquant d'ailleurs benoîtement les références à l'un ou à l'autre scène par scène, Judas récupérait la corde qui avait lié Jésus pour se pendre (selon Matthieu), et se pendait en face et en vue de la croix, avant de tomber dans le gouffre ouvert par le tremblement de terre -- ce qui, en plus d'harmoniser narrativement les évangiles et les Actes, accentuait visuellement la symétrie et la complémentarité entre les deux protagonistes, si l'on peut dire. On repense à la secte imaginaire de Borges qui honorait à égalité Jésus et Judas, compères, comparses et complices complémentaires du même "mystère".

---

Au-delà du "biblique", la "Semaine sainte" reste dans ma tête associée principalement à l'Espagne, à l'Andalousie surtout -- alors que le Vendredi-Saint sonne plutôt germanique, Eckhart, Luther, Bach, Hegel et compagnie. Je me souviens d'ailleurs qu'après mes derniers "Mémoriaux" jéhovistes, voyant revenir la saison, j'étais monté sur un coup de tête dans un train de nuit pour Madrid et avais poursuivi en train, en bus, en stop ou à pied mon chemin vers Tolède, Grenade, Cordoue, Séville, pour finir au Portugal (dont j'avais appris et pratiqué la langue avec les TdJ sans y avoir encore jamais mis les pieds). Cela m'était resté de l'adolescence, des poésies et chansons espagnoles que j'avais apprises au lycée et qui ne m'avaient jamais quitté, mais que j'avais retrouvées récemment, chez une famille espagnole "évangélique", avec un disque de Joan Manuel Serrat qui chantait entre autres la Saeta de Machado (déjà évoquée plus haut, 13.4.2019, je m'en aperçois après coup et je m'en excuse).
¡Oh, no eres tú mi cantar
¡No puedo cantar, ni quiero
a este Jesús del madero
sino al que anduvo en el mar!

(Oh non, tu n'es pas mon chant,
Je ne peux ni ne veux chanter
Ce Jésus de la croix [du bois]
mais celui qui marcha sur la mer.)
-- Quand on sait l'importance pour Machado du chemin qui se fait en marchant, qui n'est que trace pour qui se retourne, comme le sillage d'un bateau sur la mer, on comprend mieux; mais cette anti-saeta, qui aurait des accents "gnostiques" ou "docètes" (c'est Luc qui élimine la marche sur la mer, en insistant sur la "réalité" de la mort et de la résurrection), reste une saeta, profondément andalouse: c'est le crucifié qui marchait sur la mer, c'est la crucifixion, avec ou sans jeu de mots, qui fait la fiction, le fantôme, le fantasme, la fantaisie ou l'esprit; la passion qui fait l'impassible, et l'impossible, comme une résurrection. Rétrospectivement, en mémoire d'invention et en invention de mémoire, dans tous les sens irréversibles et infiniment réversibles du temps.
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MessageSujet: Re: Semaine sainte   Semaine sainte - Page 4 Icon_minitimeMer 20 Mar 2024, 11:58

Citation :
-- Quand on sait l'importance pour Machado du chemin qui se fait en marchant, qui n'est que trace pour qui se retourne, comme le sillage d'un bateau sur la mer, on comprend mieux; mais cette anti-saeta, qui aurait des accents "gnostiques" (c'est Luc qui élimine la marche sur la mer, en insistant sur la "réalité" de la mort et de la résurrection), reste une saeta, profondément andalouse: c'est le crucifié qui marchait sur la mer, c'est la crucifixion (cruci-fiction) qui fait la fiction, le fantôme, le fantasme, la fantaisie ou l'esprit, la passion qui fait l'impassible, et l'impossible, comme une résurrection. Rétrospectivement, en mémoire d'invention et en invention de mémoire, dans tous les sens irréversibles et infiniment réversibles du temps.


Antonio Machado (1875-1939) et la quête de Dieu
Mariá-Enriqueta Soriano

Dans son conte-légende d’Alvargonzález (écrit à Paris, à l’hôtel de l’Académie, rue des Saints-Pères), le thème principal est centré sur la haine. Le Christ nous libère des sentiments de destruction fraternelle. Car Il est l’homme parfait, capable de marcher sur la mer, de maîtriser le hasard, le désordre. Ce poème 136 montre la force du Christ. Son Christ n’est pas celui d’Unamuno toujours cloué à la Croix, mais un Christ qui marche, qui marche même sur la mer, symbole de l’inconnu et du désordre. En relisant les textes de Machado on a l’impression que sa formation religieuse a été sommaire, que ses connaissances sur le Christ sont plutôt culturelles. Il a écrit une Saeta (le seul poème sur le Christ) ! Oh, la saeta, el cantar /al Cristo de los gitanos, / siempre con sangre en las manos, siempre por desenclavar !... y es la fe de mis mayores ! / Oh, no eres tu mi cantar ! / No puedo cantar ni quiero / a ese Jesús del madero, / sino al que anduvo en el mar ». (Oh, la saeta, le chant au Christ des gitans / toujours le sang aux mains, toujours pour l’arracher !... et c’est la foi de mes ancêtres ! / Oh, ce n’est pas toi mon chant ! / je ne peux ni veux chanter / ce Jésus de la croix/mais celui qui marcha sur les eaux). Etant enfant il a vu les processions de la Semaine Sainte de Séville, sa ville natale, et il nous dit clairement que le Christ en croix est l’expression de la foi de ses ancêtres, mais qui n’est pas la sienne. Il ne veut pas, il ne peut pas chanter ce Christ en croix mais celui qui marche sur la mer. Tel est le dilemme qui va l’habiter toute sa vie. La foi du peuple des gitans et la conviction du poète sont incompatibles. Mais il n’apporte pas une réflexion à partir d’autres sources théoriques qui puissent aider à comprendre la question christologique. Son Christ se rapproche de celui de Tolstoï. Il écrit : « Le tolstoïsme sauvera l’Europe, si celle-ci peut être sauvée ». C’est le Christ vivant parmi les hommes, car Antonio Machado croit à l’homme. A l’homme simple et bon, à l’homme du peuple, aux paysans aux visages de seigneurs, « aux braves gens qui travaillent, passent et rêvent ».

https://books.openedition.org/septentrion/49655?lang=fr



Citation :
En effet, c'était là (13.4.2023). Le tableau analytique que tu reproduis est bourré d'inexactitudes, il suffit de (re-)lire les textes pour s'en apercevoir. Par exemple, dans Jean il n'y a aucune réponse spécifique de Jésus à Judas au moment de l'arrestation, contrairement à Matthieu et à Luc; si Jean est le seul à nommer Pierre, l'"agression" d'un disciple (ailleurs anonyme) sur l'esclave du grand prêtre est commune aux quatre; le "signe de Judas" n'est pas non plus énoncé en discours direct (DD) dans Luc, et dans celui-ci il n'y a pas non plus de discours direct de Judas à Jésus; etc. 


Jésus devant Anne

12La cohorte, le tribun militaire et les gardes des Juifs s'emparèrent alors de Jésus et le lièrent. 13Ils le conduisirent d'abord à Anne : c'était le beau-père de Caïphe, qui était grand prêtre cette année-là, 14ce Caïphe qui avait donné aux Juifs le conseil suivant : « Il est avantageux qu'un seul homme meure pour le peuple. » (Jean 18,12-13).

Le grand prêtre interroge Jésus

19Le grand prêtre interrogea Jésus sur ses disciples et sur son enseignement. 20Jésus lui répondit : Moi, j'ai parlé ouvertement au monde ; j'ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le temple, là où tous les Juifs se rassemblent, et je n'ai rien dit en secret. 21Pourquoi m'interroges-tu ? Ce dont j'ai parlé, demande-le à ceux qui m'ont entendu ; ils savent bien, eux, ce que, moi, j'ai dit ! 22A ces mots, un des gardes qui étaient là donna une gifle à Jésus, en disant : Est-ce ainsi que tu réponds au grand prêtre ? 23Jésus lui répondit : Si j'ai mal parlé, prouve-le ; et si j'ai bien parlé, pourquoi me bats-tu ? 24Alors Anne l'envoya, lié, à Caïphe, le grand prêtre (Jean 18,19-24).


Pierre et Jésus dans la cour du grand prêtre (Jn 18, 12-27)
Bernadette Escaffre

4. Scène C (v. 19-23)

Dans cette scène, après la mention de la question du grand prêtre (v. 19), le narrateur donne la parole à Jésus. Pour ce qui est de son enseignement, il renvoie à ce qu'il a déjà dit. Quant à ses disciples, il suggère au grand prêtre de les interroger directement. Cependant Jésus n'emploie pas le terme «disciple», il utilise «...» (participe parfait), c'est-à-dire non seulement «ceux qui ont entendu», mais «ceux qui ont écouté et qui gardent». Le parfait révèle l'existence d'auditeurs de Jésus qui pourraient dès lors être interrogés. On est en droit de se demander si le narrateur fait allusion aux deux disciples qui suivaient Jésus au début de la scène B (v. 15) et veut mettre en évidence, par contraste, la réponse négative de Pierre et la «disparition» du disciple connu du grand prêtre.

Tout est centré sur Jésus. Même dans sa réponse, Jésus parle de lui-même en ajoutant aux verbes le pronom personnel «...» (v. 20 et 21). Ce pronom n'est pas indispensable en grec. Sa présence et sa répétition indiquent une insistance: «Moi, j'ai parlé... Moi, j'ai enseigné... ils savent tout ce que j'ai dit, moi» (v. 20 et 21)27. Jésus veut attirer l'attention de celui qui l'écoute et, face au grand prêtre, il affirme «Je».

Le verbe employé par Jésus pour son enseignement est «...» (trois fois aux v. 20 et 21). Ce verbe a une connotation de révélation dans Jn, comme il l'avait déjà dans la LXX. Il n'est d'ailleurs employé dans le quatrième évangile que pour Jésus et l'Esprit Saint. Jésus ne fait donc pas seulement référence à un simple enseignement qu'il aurait donné, mais implicitement à une révélation qu'il a communiquée. Le premier emploi du verbe au parfait («...» v. 20) indique d'ailleurs une certaine permanence de sa parole.

Jésus insiste sur la dimension universelle et transparente de son enseignement qui s'adresse à l'humanité (v. 20). Il l'a donné dans des endroits où tous les membres du peuple juif pouvaient être présents (v. 20), c'est-à-dire «...», donc pas à l'insu du grand prêtre. Ainsi Jésus fait preuve d'une pincée d'irrévérence. En effet, parlant d'enseignement «dans le Temple», il fait référence au lieu dont le grand prêtre est le responsable par excellence. Il devrait être le premier informé de ce qui s'y déroule. Comment interroge-t-il alors Jésus sur un enseignement qui a été donné ouvertement? Sa question met en évidence son incompétence et c'est avec raison que Jésus lui pose à son tour une question ou plutôt le remet en question: «Pourquoi m'interroges-tu?» (v. 21). Le grand prêtre ne va rien dire ni faire. Il est comme absent. C'est «un des gardes se tenant à côté «...» , c'est-à-dire un quelconque, qui réagit sans avoir reçu d'ordre.

Dans la partie b', Jésus emploie de nouveau le verbe parler («...», v. 23). Sa réponse au garde est à nouveau une question qui remet en question celui qui vient de l'interpeler. En réalité, au-delà du garde, c'est le grand prêtre que la question vise, car celle-ci fait référence à ce qu'il lui a dit auparavant: «Si j'ai mal parlé... Si j'ai bien parlé. . . ». Mais le grand prêtre ne répond rien et la scène se termine sur une parole de Jésus.

La question de Jésus au garde comprend deux parties. A la première, «si j'ai mal parlé, témoigne», il n'y a ni objection, ni témoignage. C'est donc que personne n'a rien à lui reprocher et qu'il est innocent. Quant à la deuxième, «si j'ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu?», l'absence de réponse renvoie au début de l'épisode, au conseil de Caïphe, le grand prêtre (v. 14). Par conséquent, il n'y a aucun motif d'accusation contre Jésus. Il meurt parce qu'il donne sa vie pour le bien du peuple. Se taisant, le grand prêtre le reconnaît implicitement.

IV. Caractérisation des personnages principaux

1. Fugacité et inconsistance du grand prêtre

Étudiant la scène C, je ne me suis pas préoccupée de savoir devant qui se trouvait Jésus. Dès lors qu'il s'agit d'apprécier le rôle du grand prêtre et pour comprendre l'enjeu de ce récit, il faut essayer d'expliquer le flou qui plane sur le nom de celui qui interroge le prisonnier. Car c'est avec raison que M.-J. Lagrange disait: «Toute l'interprétation de cette péricope dépend de la question: sommes-nous chez Hanne ou chez Caïphe?»

Qui donc est le «grand prêtre» qui interroge Jésus ?

-D'après le déroulement des faits dans le récit, c'est Hanne. En effet, Jésus est d'abord amené chez le beau-père de Caïphe (v. 13). Il entre ensuite dans la cour du grand prêtre (v. 15) pour être interrogé (v. 19). Après l'interrogatoire, Hanne l'envoie chez Caïphe (v. 24). La cour dans laquelle Jésus entre, se trouverait donc dans le palais de Hanne et l'interrogatoire de la scène C se serait déroulé devant lui.

-D'après la caractérisation des personnages, c'est Caïphe. En effet, le narrateur ne donne jamais ce titre à Hanne alors que Caïphe, mentionné à deux reprises dans les scènes A et A', reçoit à chaque fois l'apposition «grand prêtre» (v. 13 et 24).

Pourquoi alors cette confusion avec la mention de deux personnages? Le narrateur est-il un piètre conteur ou bien a-t-il une intention ?

- La mention de Caïphe était nécessaire car, officiellement, il était grand prêtre et c'est en tant que tel qu'il avait donné un conseil: «il y a intérêt à ce qu'un homme meure pour le peuple» (18,14). Par cette analepse répétitive interne (cf. Jn 11,49-51), le narrateur rappelait que ce n'était pas une opinion personnelle de Caïphe, mais une prophétie. La reprenant au v. 14, il présente la péricope à la lumière de ce conseil-prophétie de Caïphe.

-La mention de Hanne permet au narrateur d'escamoter le procès religieux officiel. En disant «Hanne l'envoya à Caïphe, le grand prêtre» (v. 24), le narrateur renvoie le procès à plus tard mais sans le raconter. Par cette ellipse, il montre qu'il ne désirait pas en parler, car la sentence avait déjà été dictée pendant la vie publique de Jésus. Seul le grand prêtre, en présence de gardes, pas de membres du Sanhédrin, assiste à l'interrogatoire. L'accent est ainsi mis sur le tête-à-tête Jésus-grand prêtre. La supériorité de Jésus et son autorité ressortent de cette confrontation.

Finalement, si le narrateur parle de deux personnages, c'est pour qu'ils se relativisent mutuellement :

-La mention de Hanne diminue le rôle de Caïphe car c'est à Hanne que l'on amène «d'abord» Jésus. Caïphe passe ainsi au deuxième plan. Les scènes B, C et B' semblent se dérouler chez Hanne et c'est lui qui interrogerait Jésus. Dès lors Caïphe a un rôle totalement passif, il ne fait que recevoir Jésus qui lui est envoyé. Ensuite on prend Jésus de chez lui pour l'amener au prétoire (v. 28). Ce personnage n'est consistant que dans la mesure où il est grand prêtre. Cependant, le narrateur ajoute «cette année-là» (v. 13)45, montrant ironiquement qu'il exerce cette fonction un peu «par hasard» et temporairement.

-La présence de Caïphe amoindrit le rôle de Hanne. En effet, il est le seul à porter le titre de grand prêtre et dans les scènes B, C et B', c'est de lui qu'il s'agirait. Ainsi le narrateur ne dit rien du rôle de Hanne qui devient un personnage inconsistant. Il n'est présenté que par rapport à Caïphe dont il est le beau-père. On lui amène un prisonnier (v. 13), il l'envoie à un autre (v. 24) sans avoir rien fait, si ce n'est -et c'est là son rôle -confirmer la mission de Jésus.

https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_2000_num_31_1_3059
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MessageSujet: Re: Semaine sainte   Semaine sainte - Page 4 Icon_minitimeMer 20 Mar 2024, 13:10

Merci pour ces deux textes intéressants.

Je suis toujours heureux de (re-)lire Machado, bien que le commentaire soit sans doute ici un peu trop catholique pour lui -- je suis allé sur sa tombe, à Collioure, à un moment mon père habitait tout près -- et son dialogue différé avec Unamuno est en effet passionnant: religieux tous deux dans le sens profond du terme, mais avec des chemins intellectuels et politiques divergents jusqu'à se retrouver dans les camps opposés de la Guerre civile -- on connaît surtout le second pour sa réplique au militaire franquiste José Millán-Astray, qui aurait crié "mort à l'intelligence" (ou "à l'intellectualité traîtresse", selon les versions) pendant un de ses discours à l'Université de Salamanque, suscitant une réplique ironique d'Unamuno et la formule "vous vaincrez, mais vous ne convaincrez pas" (là aussi les versions diffèrent); cf. le commentaire mi-figue mi-raisin de Machado à la mort d'Unamuno (en 1936): mort peut-être en guerre contre lui-même.

L'étude détaillée de Bernadette Escaffre (2000) sur Jean 18 est très utile, bien qu'à mon goût elle fasse la part trop belle aux effets de "structure" (c'était la mode). En tout cas les remarques sur le flottement des "grands prêtres" face à Jésus sont tout à fait pertinentes, et elles renforcent une observation beaucoup plus commune sur la "Passion selon saint-Jean" qui est en fait une contre-Passion, "Jésus" restant maître de la situation de bout en bout (depuis la "mission" de Judas jusqu'à la comparution devant Pilate qui inverse les positions du juge et de l'accusé). Au passage, quant aux reniements de Pierre où le ouk eimi (je ne (le) suis pas, ce n'est pas moi, etc.) contraste avec les egô eimi christiques, on pourrait aussi renvoyer aux dénégations similaires de Jean(-Baptiste) dans les premiers chapitres. Etant entendu que ces jeux intra-textuels et synchroniques sur l'évangile complet, tel qu'il nous est parvenu, jusqu'à l'ajout ultime du chapitre 21, ne nous ne dispensent pas d'une analyse "diachronique", littéraire sinon historique, qui complique le jeu des correspondances (une rédaction récente peut renvoyer à une plus ancienne et en inspirer une encore plus récente, mais ça ne marche pas indifféremment dans tous les sens, du moins jusqu'à ce que le "livre" soit complet et définitif).
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MessageSujet: Re: Semaine sainte   Semaine sainte - Page 4 Icon_minitimeMer 20 Mar 2024, 14:25

Voici l'homme. Éléments d'anthropologie johannique
Yves-Marie BLANCHARD

Le quatrième évangile est l'évangile le plus riche du point de vue théologique, christologique et pneumatologique. Dans L'Église, mystère et institution selon le quatrième évangile (2013), l'A. est déjà sorti des sentiers battus, en voulant déployer son ecclésiologie. L'ouvrage sur l'anthropologie johannique qu'il propose maintenant nous montre que la littérature johannique n'est pas moins riche du point de vue anthropologique.
Le titre est l'écho de la célèbre déclaration de Pilate en Jn 19,5. L'anthropologie johannique semble fort pessimiste : l'homme (anthrôpos) est une réalité profondément marquée par la fragilité, la faiblesse. Mais il acquiert une infinie noblesse par l'incarnation (Jn 1,14) qui conduit à la mort, à la mort d'un homme, Jésus, qui sauve ainsi toute l'humanité (Jn 11,52) : en Jn 19,5, « l'Ecce homo confère à Jésus bafoué et humilié la pleine dignité de l'homme accompli » (p. 23). Désormais, l'homme « charnel » n'est plus abandonné, car le salut est offert, la conversion est possible : tout homme peut renaître d'Esprit.
Pour scruter, à travers le quatrième évangile et les lettres de Jean, le mystère de l'homme et de son agir, l'A. commence par examiner la dualité esprit/chair. Cela le conduit à s'attarder logiquement à la dualité lumières/ténèbres. L'A. regarde ensuite successivement quatre couples, en considérant tout d'abord le couple amour/vie : le projet de Dieu sur l'humanité s'enracine, en effet, dans l'Amour et doit conduire à la Vie (cf. Jn 3,16). Mais ce passage ne peut se faire que par le don du Fils unique qui aimera eis telos (« jusqu'à la fin », Jn 13,1) pour vaincre le péché. L'A. examine alors le couple justice/péché. Suivant les chemins de l'homme, Y.-M Blanchard étudie encore comment le « voir » peut s'articuler au « croire » et comment le « connaître » et le « témoigner » structurent la vie chrétienne. Ce sont les deux derniers couples examinés. Pour l'A., leur étude ne s'inscrit pas dans une approche dialectique : c'est uniquement un moyen pédagogique qui permet de mieux cerner les contours mouvants de notions inséparables, en jouant au maximum des effets de miroir.
La présentation d'éléments essentiels de l'anthropologie johannique qui nous est proposée dans cet ouvrage permet de contempler, avec émerveillement, un aspect peu exploré et très actuel. Cette anthropologie manifeste que l'homme ne peut être pensé qu'à partir de Dieu et en référence au Christ : « Voici l'homme » est l'expression accomplie de l'humanité. Le témoignage rendu par l'Homme, témoin aux mains nues, se poursuit à travers le témoignage du mystérieux disciple et de tous les disciples, jusqu'à ce que Jésus vienne (cf. Jn 21,23). L'A. peut nous permettre ainsi d'articuler, avec bonheur, exégèse, théologie biblique et témoignage. - P.-M. Jerumanis

https://www.nrt.be/it/recensioni/voici-l-homme-elements-d-anthropologie-johannique-12427
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MessageSujet: Re: Semaine sainte   Semaine sainte - Page 4 Icon_minitimeMer 20 Mar 2024, 15:36

On ne peut évidemment (pré-)juger du livre de Blanchard sur cette recension sommaire (d'un Jerumanis qu'on a déjà vu récemment, si c'est bien le même). Je remarque néanmoins que cette notice tend à lire "l'homme" (anthrôpos) indifféremment où il est écrit et où il ne l'est pas, par exemple dans la "chair" (sarx) de 1,14 ou pour "les enfants du dieu qui sont dispersés" en 11,52 (cf. aussi le "monde", kosmos, de 12,19, qui fait écho au dialogue de 11,50ss autant qu'à 3,16 etc.; ou le "peuple", laos en 18,14). L'"homme", c'est à la fois trop général et trop restreint par rapport à toutes ces déterminations.

Si l'on en reste à l'anthrôpos de 19,5, et sans préjudice de l'histoire de la rédaction, il renverrait à 1,5; 2,10.25; 3,1.4.19.27; 4,28s.50; 5,5.7.9.12.15.34.41; 6,10.14; 7,22s.46.51; 8,17.40; 9,1.11.16.24.30; 10,33; 11,47.50; 12,43; 16,21
; 17,6; 18,14.17.29 -- 19,5 étant la dernière occurrence, ce qui n'est peut-être pas sans intérêt (cf. aussi 1 Jean 5,9; j'ai souligné les références qui me paraissaient susceptibles d'un intérêt théologique, christologique et/ou anthropologique, pour un mot par ailleurs archi-banal qui passe le plus souvent inaperçu; bien sûr le tri est arbitraire); outre le "Fils de l'homme" (huios tou anthrôpou, 1,51; 3,13s; 5,27; 6,27.53.62; 8,28; 12,23.34; 13,31) dont le "johannisme" a probablement une lecture assez particulière, qui ne se réduit pas à des généralités "apocalyptiques" même s'il exploite comme d'autres la tradition de Daniel et des Paraboles d'Hénoch, et qui convoque donc autant "l'homme" que "l'homme" sans "fils" dans les références précédentes. Il faut toutefois rappeler que le "johannisme" n'utilise généralement pas les mots ni les concepts de façon fixe ou technique, il les fait plutôt jouer ou danser entre eux, en passant de l'un à l'autre et les rendant souvent interchangeables, de sorte que la "leçon", si l'on peut dire, ne tient jamais dans un mot ni dans un concept, mais dans le mouvement général du texte, sa musique en quelque sorte...
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MessageSujet: Re: Semaine sainte   Semaine sainte - Page 4 Icon_minitimeMer 20 Mar 2024, 16:31

« J’ai soif » l’accomplissement de l’Écriture en Jn 19, 28 -  Martine Windal

2. Recherche dans le récit johannique d’éléments pouvant éclairer la question du rattachement de la proposition hina teleiôthè hè graphè

2.1. En première analyse
Voyons quels indices nous permettent déjà d’entrevoir le rythme naturel qui lie les éléments les uns aux autres.

18Il y a d’abord la répétition de tetelestai (19, 28.30) qui fait implicitement apparaître ce qui est en inclusion comme condition du passage entre le premier et le second, déterminant également comme une séquence entre tous ces événements : le dit « j’ai soif », le don et la prise du vinaigre, et le dit « c’est accompli ». Cette impression est encore renforcée par deux indications données par l’auteur : d’une part, le fait que, la première fois Jésus sait (eidôs) que tout est accompli, alors que la seconde fois, il le dit (eipen) ; d’autre part, le rythme interne donné à la péricope par la mention : « dès qu’il eut pris le vinaigre », qui induit un lien chronologique, et donc implicitement de causalité, entre la prise du vinaigre, et ce second tetelestai.

19Élargissant notre perspective, nous pouvons prendre en compte aussi la tonalité d’ensemble du récit johannique. Ce qui frappe chez Jean, et que la plupart des auteurs citent d’ailleurs comme caractéristique johannique par rapport aux synoptiques, c’est bien la conscience, la maîtrise et la liberté avec laquelle Jésus traverse non seulement l’épreuve de sa Passion37, mais toute sa vie. Ainsi que le souligne Jean Zumstein, « ce n’est pas un Christ terrassé par la souffrance qui s’exprime, mais un Christ souverain et dominant son destin38 ». Dans ce cadre, il paraît naturel de concevoir Jésus menant activement et sciemment l’accomplissement à son terme par une parole qu’il choisit de dire (j’ai soif), un acte qu’il choisit de poser (boire le vinaigre), une autre parole qu’il choisit de dire (c’est accompli), avant de choisir d’incliner la tête, puis seulement de « rendre l’esprit », inversant par-là l’ordre naturel de ces deux séquences39. À propos de l’expression paradidômi to pneuma, Zumstein note : « (elle) n’est jamais utilisée dans la littérature de langue grecque pour exprimer un décès. […] En définitive, ultime ironie, le Christ n’est pas livré, mais il livre lui-même sa vie (cf.10, 17-18)40 ».

https://journals.openedition.org/rsr/2449
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Narkissos

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MessageSujet: Re: Semaine sainte   Semaine sainte - Page 4 Icon_minitimeMer 20 Mar 2024, 17:21

Un vrai problème exégétique, de traduction et de ponctuation pour le coup, mais je suis bien d'accord avec les conclusions de Martine Windal (qui de surcroît cite la NBS, ça fait toujours plaisir même si je ne suis pas toujours d'accord avec la NBS; sur ce point, si).

Le revirement des traductions catholiques officielles -- dont je n'étais pas conscient, contrairement à celles du Notre Père qui sont à mes yeux tout aussi contestables -- s'explique surtout par des motifs idéologiques, voire de mode idéologique: on veut un Jésus "humain", on veut donc qu'il ait soif comme n'importe qui, et on se fiche éperdument que ce soit ou non la perspective du texte, on ne comprend d'ailleurs pas qu'un dieu puisse avoir soif. Et il est plus facile d'accorder cette vision de l'"humanité du Christ" avec une interprétation moderne et humaniste du dogme de l'"incarnation" qu'avec des textes anciens qui ne reflètent ni l'humanisme moderne, ni le dogme intermédiaire, et qui résistent finalement mieux à l'"adaptation". On remarquera que cela rejoint la problématique de l'échange antérieur, sur l'"anthropologie" vainement cherchée dans l'anthrôpos de Jean 19,5. (Soit dit en passant -- ce n'est pas tout à fait hors sujet pour la "semaine sainte" puisqu'il y en a un écho à Gethsémani -- la modification du Notre Père correspond aussi à des motifs idéologiques similaires: on veut un Dieu qui ne tente ni n'éprouve personne, quand même on lui demanderait de ne pas le faire: mais là il s'agit à la fois de préserver une idée moderne de la "liberté humaine" et de projeter sur Dieu lui-même l'image d'une "humanité" débonnaire et respectueuse de ladite "liberté". "L'humain" tourne en rond dans sa propre tautologie.)

Le "j'ai soif" (dipsô > dipsaô) s'éclaire en effet d'abord par ses références intratextuelles, 4,13ss; 6,35; 7,37, et leurs réminiscences et résonances sapientiales ou gnostiques; donc aussi intertextuelles, y compris dans les autres évangiles canoniques -- surtout avec Matthieu: faim et soif de justice du Sermon sur la montagne, faim et soif du Christ aussi dans ses "frères" au chapitre 25... Outre que du point de vue narratif et littéraire c'est à l'évidence une transformation de l'épisode synoptique du vinaigre (Marc 15,36 // Matthieu 27,48 // Luc 23,36), qui se confond lui-même avec le vin mêlé de myrrhe distinct en Marc 15,23 (-> de fiel en Matthieu 27,34 -> de vinaigre en Luc 23,36 où les épisodes sont déjà confondus) -- on retrouvera la myrrhe pour l'ensevelissement en Jean 19,39 -- et chez Matthieu à l'autre bout, pour les mages. Sur le vinaigre en tout cas, ainsi que sur l'aberration littérale de l'hysope au lieu du roseau, qui ne s'explique que par son symbolisme rituel, l'article (re-)dit l'essentiel.

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Je remarque que dans la Passion selon saint Jean de Bach, qui est beaucoup plus sobre que celle selon saint Matthieu, ni le "voici l'homme" (ecce homo) ni le "j'ai soif" ne sont spécialement commentés, ni par un choral ni par une aria. Dans le premier cas, la traduction de Luther y est sûrement pour quelque chose, puisqu'en disant Sehet, welch ein Mensch ! "Voyez, quel homme !" elle souligne l'ironie contextuelle d'un "roi des juifs" humilié et en piteux état... De même, l'aria qui suit le second épisode ne commente ni la soif, ni le vinaigre, ni l'hysope, mais seulement le "tout est achevé / accompli", Es ist vollbracht. Cf. ici, à partir de 1h19' le récitatif correspondant à la lecture du texte, puis l'aria.

Pendant qu'on est dans les lectures artistiques, je me disais en lisant un autre article que le contraste lumineux entre le "procès de Jésus" et le reniement de Pierre auprès d'un feu de braises aurait pu inspirer un Rembrandt, je n'en savais rien parce que je n'y connais pas grand-chose en peinture, mais je ne m'étais pas beaucoup trompé: voir ici. En fait il n'y a que l'embarras du choix au XVIIe siècle (Le Caravage, Georges de la Tour, etc.): voir là.

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A titre beaucoup plus personnel, ça me rappelle que j'ai terminé mon "comité judiciaire" jéhoviste (après des heures de discussion et une brève délibération pour la forme, le verdict étant décidé d'avance) sur un "c'est accompli", qui m'est venu spontanément et a dû finir de convaincre mes interlocuteurs que j'étais complètement fou et que je me prenais pour Jésus. Mais à quoi serviraient les histoires, historiques ou fictives, si elles ne nous inspiraient pas des rôles, des attitudes, des répliques, par l'analogie même lointaine des situations ? On se prend pour Jésus, pour Moïse, pour Socrate, pour Diogène, pour Mahomet, pour Napoléon, pour De Gaulle ou pour Che Guevara, pour Don Quichotte ou pour Don Juan, pour John Wayne ou Humphrey Bogart d'un bout à l'autre de sa vie. Thème ruizien par excellence (de Raoul Ruiz, dont je suis en train de revoir quelques films: Généalogies d'un crime, Rêve d'amour en songe, etc.): il y a au fond très peu d'histoires et de personnages intéressants à jouer pour des milliards d'individus réels, sommés d'être eux-mêmes comme s'ils inventaient leur vie ex nihilo à chaque pas, alors qu'ils ne font que combiner des bribes de rôles existants en passant de l'un à l'autre. Si Jésus meurt pour tous, chacun meurt pour tous les autres (c'est à peu près 2 Corinthiens 5), toutes les morts réelles ou figurées, toutes les métonymies de la mort, tout ce qui ressemble à la mort, chaque fin de cycle ou de séquence, tout cela communique. Je n'aurais sûrement pas expliqué les choses ainsi à l'époque, mais je ne crois pas les trahir en les relisant ainsi -- ou alors je les trahis comme Judas, je les livre et je les délivre.
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