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| Semaine sainte | |
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Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Semaine sainte Jeu 25 Mar 2021, 12:08 | |
| Aussi importante, sans aucun doute, mais le plus important à mon sens serait encore de comprendre que ce sont les deux faces de la même chose, que l'une ne va pas à sans l'autre; à cet égard opposer la "marque" (de la puissance) au "masque" (de la faiblesse), comme le "vrai" au "faux", me semble aller à contresens de ce que Cuvillier essaie de dire...
Comble du paradoxe, peut-être: la "rupture" tant vantée du "Dieu-en-Christ" par rapport à "Dieu" tout court en serait surtout une par rapport au "Dieu" monothéiste et singulièrement chrétien -- rupture relative, éventuellement, par rapport aux "dieux suprêmes", lointains et éloignés de toute action comme de toute passion (dei otiosi), ainsi que l'El levantin, déjà beaucoup moins le Zeus grec qui agit et pâtit, et subit des échecs... mais des dieux ou des demi-dieux qui meurent et ressuscitent, qui descendent aux enfers et en remontent, régulièrement selon les cycles astrologiques et agraires ancestraux ou selon le rite "réformé" des "mystères" de l'époque gréco-romaine, ce n'est pas ce qui manque en polythéisme (Dumuzi-Tammuz, Hadad-Baal, Osiris, Attis, Dionysos, Adonis, Orphée, Héraklès, etc.) -- le Dionysos et le Crucifié que Nietzsche aura tant opposés dans ses "oeuvres" dites lucides finissent par se rejoindre comme les deux faces du même dans la signature des ultimes lettres, dites de la "folie"... |
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| Sujet: Re: Semaine sainte Ven 26 Mar 2021, 13:17 | |
| Conquérir sans conquête
En choisissant d’entrer humblement, sur une monture modeste, Jésus privilégie de ces textes de conquête ce qui est paradoxal dans la conquête : non pas l’invasion tonitruante et organisée, mais les aspects imprévus, démunis, dont elle est aussi pétrie. On se souvient que la première page du Livre de Josué nous fait entendre la parole de Dieu au successeur de Moïse : «C’est toi qui vas donner à ce peuple, comme héritage, le pays que j’ai juré à leurs pères de leur donner. Seulement, sois fort et très courageux pour veiller à mettre en pratique toute la loi de Moïse (...). Ce livre de la Loi ne s’éloignera pas de ta bouche » (Josué 1, 7-. Et Josué de préparer le peuple en lui envoyant, non pas des officiers, mais des scribes. Ce n’est donc pas la force armée qui est première dans cette fameuse conquête, mais bien la Loi, dite par Dieu, transmise à Moïse ; l’organisation ne dépend pas d’une logistique militaire, mais des spécialistes en verbe divin. Si l’on trouve ensuite effectivement des scènes de combats conventionnels, elles sont croisées et critiquées par ces autres moments où priment l’écoute de la Parole et l’action inattendue de Dieu. Les murailles de Jéricho tombent non par l’utilisation d’armes de destruction massive, mais après une semaine de procession, arche d’alliance en tête, autour de la cité (Josué 6). Jésus, venant de Jéricho à Jérusalem, se place donc sous le signe de la Parole qui protège et agit, qui qualifie « ceux qui l’écoutent et la mettent en pratique ». Nous verrons que, juché sur une ânesse et/ou un ânon, il reprend parfois de la tradition des messies les faits les plus infimes. Sans déroger à la dignité de roi qui lui est mystérieusement reconnue par la voix de ses disciples, il montre de cette royauté un visage, traditionnel dans la Bible, mais pas toujours mis en valeur : celui du chef à la fois glorieux et démuni.
Ce qui entre à Jérusalem avec le Fils de David
Quand il entre à Jérusalem, Jésus, Fils de David, reprend un parcours que son ancêtre a jadis fait : comme David, il est pétri de solidarités qu’on pourrait juger incompatibles. Il s’avance dans la ville sainte et pourtant il a « mangé avec les publicains et les pécheurs », pactisé avec un centurion romain, fréquenté une cananéenne alors qu’il n’est « envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël » (Matthieu 15, 24). Il est de fait tout de suite mis en cause : des disciples acclament en lui « le roi qui vient au nom du Seigneur» et des Pharisiens demandent que ces gens se taisent (Luc 19, 38-40). Autrefois « les boiteux et les aveugles » de Jérusalem devaient barrer le passage au messie David, aujourd’hui, dès après son entrée, « des aveugles et des boiteux s’approchent de lui dans le temple et il les guérit» (Matthieu 21, 14). En revanche, il en a chassé les marchands avec violence (Matthieu 21, 12-13). Appartenances diverses, frontières remises en cause : le Christ est entré dans sa cité. https://www.unifr.ch/at/fr/assets/public/files/Personen/Lefebvre/communio-xxxiv-1-lentree-du-christ-a-jerusalem.pdf |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Semaine sainte Ven 26 Mar 2021, 14:36 | |
| Contrairement à ce que je dis (trop) souvent, on peut tout mélanger, non seulement les quatre évangiles mais toute la Bible et la littérature universelle, à condition d'y mettre de l'art (talent, génie, inspiration dans tous les sens qu'on voudra): cet article de Philippe Lefebvre en est encore un excellent exemple. A condition aussi, bien entendu, de n'en attendre aucune valeur démonstrative, logiquement probante ou contraignante, ce qui d'ailleurs est amplement compensé par la puissance de suggestion ou d'évocation de la "monstration". C'est ce que fait parfois le "sermon", quand il est bon, plutôt que l'exégèse "savante", tenue en principe à plus de rigueur dans la délimitation de son texte et de ses références, mais aussi à plus de sécheresse.
Une scène comme celle-là fait résonner, de proche en proche jusqu'au très lointain, une intertextualité considérable, et il n'y a aucune raison de s'en priver, quand même on sait pertinemment qu'on ne fera jamais le tour de cette polyphonie virtuelle et qu'aucun des "évangélistes" n'avait à l'esprit toutes les résonances et harmoniques possibles de son texte. Virtualité proprement infinie de l'écriture, seule infinie peut-être, à laquelle la diversité des lectures et des méditations peut puiser toujours autrement sans craindre de jamais l'épuiser.
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A propos de Jéricho comme provenance de l'entrée à Jérusalem, quelques rappels, quitte à retomber dans un style plus prosaïque, voire télégraphique: - Cela ne concerne pas "Jean", qui ne mentionne pas du tout Jéricho. En revanche Béthanie, qui vient de Marc 11 et 14 (onction chez "Simon le lépreux"), y est surexploitée (Jean 1,28, "de l'autre côté du Jourdain" !; chap. 11--12, associée à Lazare, Marie et Marthe; Béthanie est aussi le lieu de la première ascension lucanienne, Luc 24,50ss -- première et contradictoire par rapport à celle des Actes); surtout, chez Jean, l'entrée à Jérusalem, sans la "purification du temple" déplacée au début (chap. 2), amène la première conclusion du livre en passant par l'épisode des Grecs (voir la suite et la fin du chapitre 12) -- sans "Passion" donc à ce stade. - Les mentions de Jéricho viennent de Marc (10,46) où elles posent un problème célèbre: une entrée à Jéricho où rien ne se passe, suivie aussitôt d'une sortie avec l'épisode de Bar-Timée (qui devient "deux aveugles" chez Matthieu, 20,29ss, et se déplace de la sortie à l'entrée de Jéricho chez Luc, 18,35ss, qui ajoute Zacchée à Jéricho, chap. 19; Luc évoque par ailleurs le trajet inverse, Jérusalem-Jéricho, dans la parabole dite du Bon Samaritain, chap. 10). A telle enseigne qu'on a supposé chez Marc une lacune à ce point et qu'on l'a même comblée (cf. Morton Smith et "l'évangile secret de Marc").
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Beaucoup plus généralement, dans les textes évangéliques comme dans le calendrier liturgique, la "semaine sainte" est un problème et une solution de temporalité dramaturgique, proprement tragicomique: il faut jouer successivement les contraires, la mort et la vie, la tristesse et la joie, le désespoir et le dénouement inouï, sans les contaminer et les neutraliser l'un par l'autre -- ce qui est d'autant plus difficile que le scénario est archi-connu de tous, acteurs et spectateurs, et la fin heureuse depuis le début. Problème qui a été celui de tous les rituels depuis la plus haute Antiquité (Dumuzi p. ex.) et sans doute bien avant (préhistoire rituelle avant l'histoire, écriture des corps avant la lettre de l'écriture), jusqu'au théâtre grec et à la littérature ou au cinéma modernes. Cela ne se fait que par la diachronie (succession, séquence) des scènes, des actes et des sentiments, qu'on ne joue bien qu'en jouant à y croire, pas à pas, depuis le début comme si on ne savait pas la fin, "comme dans la vie", la vie la mort la vie. Répétition et rythme. Le dimanche des Rameaux cela doit commencer comme cela finira le dimanche de Pâques, par la joie sans mélange (d'où peut-être, chez Marc, la bonne idée de tourner la page d'une nuit avant la "purification du temple"). |
| | | free
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| Sujet: Re: Semaine sainte Lun 29 Mar 2021, 13:29 | |
| En cette Semaine sainte singulière, je vous propose une méditation sur un passage de l’évangile de Marc (14,50-52). La scène se passe au moment de l’arrestation de Jésus dans le jardin de Gethsemane : “Alors tous les disciples l’abandonnèrent et s’enfuirent. Un jeune homme suivait Jésus, vêtu d’un simple drap de lin. On essaya de l’arrêter, mais il lâcha le drap et s’enfuit tout nu.”Qui est ce « jeune homme » (neaniskon en grec) vêtu d’un simple drap (sindôn en grec) et qui va se retrouver en fuite, dans le plus simple appareil, c’est-à-dire « tout nu » ? Pourquoi est-il resté plus longtemps que les autres ? Fut-il le témoin discret et, pensait-il, non impliqué du drame en train de se jouer ? Ni disciple, ni traître, ni soldat, ni romain, ni juif. Neutre en quelque sorte ...Le drap devenu linceulMais, il me plait d’imaginer que le drap du jeune homme n’est pas perdu pour tout le monde. Ce drap a servi pour autre chose. Nous le retrouvons en effet pour envelopper le corps de Jésus (15,46). C’est en effet le même terme (sindôn en grec) qui est utilisé ici — seule autre fois dans l’évangile. Il y a bel et bien deux seules mentions d’un drap dans tout l’évangile de Marc : celui du jeune homme, laissé entre les mains des soldats, et celui acheté par Joseph d’Arimathée pour envelopper le corps de Jésus, pour cacher, justement, sa nudité. Car Jésus, ne l’oublions pas, a été crucifié nu, après qu’aient été partagés ses vêtements (15,24). Crucifié nu c’est-à-dire crucifié dans la vérité de ce qu’il était, sans masque (de protection !) et sans fard, la vérité « toute nue », celle du Dieu mort, du Dieu crucifié. Mais avec le drap, voilà que l’on se dépêche, pudiquement et religieusement, de le recouvrir. De lui redonner une dignité, de le rendre respectable, regardable, acceptable, vénérable même.Passé de la mort à la vieCe n’est pas ici qu’il faut venir le chercher. Ce n’est pas ici qu’Il nous attend. Ce n’est plus dans le drap de nos certitudes, fussent-elles des certitudes éplorées comme celle des femmes. La mort par laquelle il est passé n’est pas un semblant de mort. Le Dieu nu et crucifié, le Dieu nu comme le jeune homme, ce Dieu est ressuscité. Il est passé de la mort à la vie. Il a traversé et il nous attend de l’autre côté de la vie… Mais l’autre côté n’est pas là où nous l’imaginons. L’autre côté n’est pas au ciel, l’autre côté est du côté de notre vie quotidienne, de nos Galilées à nous où il nous précède. Serait-ce alors qu’il s’agit de recommencer comme avant… avant le confinement ? Non car, si nous avons suivi le jeune homme, c’est nu que nous sommes passés par la croix, vidés de nos vêtements de scène, ceux avec lesquels nous donnons le change. Ceux avec lesquels nous justifions de notre existence devant les autres. Nus, déshabillés de ces vêtements de scène et revêtus d’un vêtement nouveau, celui de la résurrection qui nous fera prendre les routes humaines d’une nouvelle manière : simplement accompagnés et aimés pour ce que nous sommes.Nous voilà donc, en cette Semaine sainte, dans de “beaux draps”, ceux avec lesquels nous sommes venus, plus ou moins récents, plus ou moins acceptables pour les autres, mais qui nous permettent d’exister devant eux. Les “draps ” dans lesquels nous sommes entrés en confinement. Bientôt, espérons-le, nous allons pouvoir nous enfuir, je veux dire sortir de ce confinement. Mais, comment allons-nous nous sortir ? Supporterons-nous la vision du Dieu nu, crucifié, vidé des images que nous en avons ? Ou partirons-nous tout habillé encore de nos certitudes et de nos protections ? Quel Joseph d’Arimathée sera là pour nous acheter un drap et rhabiller pour nous le Christ que nous pourrons alors venir embaumer selon nos convictions personnelles. Et au matin de Pâques, serons-nous les disciples loin du tombeau, les femmes à la recherche du corps ? ou le jeune homme revêtu de blanc, témoin que la vie a fait son chemin, non pas à côté de la mort, non pas en niant la mort, non pas en la cachant, mais que la vie a fait son chemin en traversant la mort, en passant par la mort ?Au cœur même de nos confinements, du fond du tombeau, le « jeune homme nu » nous dit : Il n’est pas ici. Il est au plus profond de ce qui fait votre humanité et vos failles. Au matin de cette Pâque si particulière de l’an de grâce 2020, c’est là que vous le verrez, c’est là qu’il faudra aller le chercher. Il vous y attend. Mais il faut pour cela laisser votre vêtement de scène. Il faut se laisser dépouiller, mettre à nu. https://www.reforme.net/reflexions-crise-du-coronavirus/2020/04/08/nudite-par-le-theologien-protestant-elian-cuvillier/Voir : https://etrechretien.1fr1.net/t1036-le-nu-echappe |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Semaine sainte Lun 29 Mar 2021, 13:32 | |
| Pour avancer dans la "Semaine sainte", on notera que dès le lendemain des Rameaux -- d'après Marc, 11ss -- les choses se gâtent, avec l'épisode du figuier maudit qui encadre (sur deux jours entre malédiction d'une part, constatation et commentaire d'autre part, cf. "le lendemain" 11,12) la "purification du temple"; puis la série des controverses où le comput des jours se perd (chap. 11ss), avant de reprendre à l'envers, sous forme de compte à rebours (deux jours avant la Pâque, 14,1), après le discours "eschatologique" (chap. 13). Comme on l'a déjà signalé, la chronologie et l'ordre des événements diffèrent chez Matthieu (chap. 21: entrée et purification le même jour, figuier et controverses le lendemain...), et plus encore chez Luc (chap. 20: le figuier a été transformé en parabole au chap. 13, l'acclamation est située avant l'entrée à Jérusalem et déjà renversée par une lamentation sur Jérusalem avant l'entrée et la purification, les controverses sont "un autre jour"...). Quant à Jean, dans sa première partie (chap. 1--12) qui correspond peut-être à une "première édition", il n'a pas du tout de "semaine sainte" ni de récit de la Passion, puisque l'entrée à Jérusalem au chap. 12 débouche directement sur la conclusion qui en passant par les Grecs ouvre l'évangile au "monde" (ou, si l'on préfère, la Passion se résume en une phrase: quand je serai élevé de la terre, j'attirerai tous à moi). Même dans les additions successives de la seconde partie (chap. 13--17) il n'y aura plus de controverses avec des "adversaires" (il y en a eu assez auparavant, mais c'était aussi le cas chez Marc, dès le chap. 2), seulement des discours aux disciples. --- @ free:Comme tu l'auras compris, j'avais écrit ce qui précède avant de lire ton post: c'était une suite et non une réponse. Cuvillier a de la chance, le drap du confinement peut encore servir l'année suivante... J'en profite pour signaler que le "jeune homme nu au drap" devient le protagoniste du douteux "évangile secret de Marc" que j'ai évoqué plus haut (ce qui change passablement sa fonction de figure fugace et énigmatique). Pour la petite histoire, l'addition (ou l'omission prétendue par Morton Smith et retenue par quelques autres, dont Koester ou Crossan) a failli être incluse, bien qu'elle ne m'ait jamais vraiment convaincu, dans un encadré de la NBS (elle avait été traduite auparavant dans les Ecrits apocryphes chrétiens de la Pléiade), elle l'a même été dans un "échantillon-test" distribué à quelques lecteurs supposés représentatifs du public-cible avant sa parution -- et retirée par le Comité de rédaction après un certain nombre de réactions vivement hostiles... Avec le recul, il me semble que c'était plutôt un bon choix (nous avons échappé de justesse à quelques autres emballements de l'époque, p. ex. l'"ossuaire de Jacques" qui avait été hâtivement validé par Lemaire). --- Je reviens à la "suite", à la séquence de la "Semaine sainte": le basculement du "triomphe" des Rameaux à la série "antagonistique", spécialement chez Marc ("purification du temple" encadrée par la malédiction du figuier, qui déclenche toute la suite des controverses et des invectives, jusqu'aux "procès" et à la croix) me fascine depuis fort longtemps, j'y suis revenu maintes fois et de façons assez différentes au fil des années. On peut effectivement l'aborder sous de nombreux angles: du point de vue de la logique narrative, il faut bien que la crucifixion s'explique, et l'"acte" décisif (magique, religieux, politique) appelle assez vraisemblablement, aux yeux du lecteur ou aux oreilles de l'auditeur, l'escalade verbale puis judiciaire -- d'autant que s'y mêlent des motifs historiques (prise de Jérusalem et destruction du temple) et littéraires (jugements sur Israël, Juda, Jérusalem et le Temple dans tout "l'Ancien Testament" notamment "prophétique", jusqu'à Malachie, le Seigneur-ange-Yahvé dans le temple). Mais l'élément (que nous dirions) "psychologique" est tout aussi sensible, et surtout chez Marc, l'affolement d'un "dieu", d'un "esprit" ou d'une "foi" qui précipite soudain et violemment son "sujet" vers la destruction, l'abandon et la mort, de l'action à la passion. |
| | | free
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| Sujet: Re: Semaine sainte Mar 30 Mar 2021, 11:57 | |
| Jésus se servirait-il de ses pouvoirs de façon abusive et irrationnelle? L’évangile précise en effet que ce n’était même pas le temps des figues! Il est donc normal que Jésus n’en trouve pas sur l’arbre. Pourquoi maudit-il ce figuier? S’agit-il d’un simple caprice de sa part ?
La fonction de ce récit est de provoquer les questions du lecteur ou de la lectrice. À première vue, Jésus ressemble ici à un sorcier redoutable qui fait ce qu’il veut. Marc ne cherche pas à cacher l’étrangeté de ce moment. D’ailleurs, la précision qu’il ne s’agit pas du temps des figues indique qu’il faut comprendre ce qui se passe comme un symbole. Qu’est-ce qui est symbolisé par ce figuier sans fruits que Jésus maudit et qui se dessèche?
La colère au Temple
Le récit du figuier stérile est séparé en deux : la narration commence avec les versets 12 à 14, et se termine avec les versets 20 et 21. Entre les deux, on retrouve la scène de la colère de Jésus au Temple (Marc 11,15-19). Dans ces deux récits juxtaposés, Jésus est en colère. Pourquoi? Pour comprendre le récit du figuier, il faut voir dans le figuier un symbole du Temple. Son absence de fruits est l’image de la stérilité du Temple et des institutions juives. Comme il avait maudit le figuier, Jésus chasse les vendeurs du Temple et renverse leurs tables de change. D’ailleurs, on trouve dans l’Ancien Testament des textes qui utilisent le symbole du figuier rendu stérile pour exprimer la colère de Dieu à l’égard de son peuple [2]. Voici celui qui est le plus proche du nôtre : « Je suis décidé à en finir avec eux – oracle du Seigneur –, pas de raisins à la vigne! pas de figues au figuier! le feuillage est flétri. Je les donne à ceux qui leur passeront dessus. » (Jérémie 8,13) Dans cet extrait, le prophète Jérémie s’adresse aux prêtres du Temple de Jérusalem. Il leur dit la colère de Dieu, qui les compare à un figuier flétri sans fruits. Il annonce qu’il laissera les passants écraser ce figuier. Dans ce contexte, ce figuier détruit annonce la destruction du Temple par les Babyloniens. Dieu laissera l’armée étrangère détruire le Temple à cause des infidélités de son peuple.
Dans l’évangile, le figuier stérile joue le même rôle symbolique. Les premiers chrétiens ont peut-être compris la destruction du Temple par les Romains, en l’an 70 [3], et la réponse négative de certains Juifs à leur prédication en utilisant l’image du figuier qui est détruit parce qu’il ne porte pas de fruits. Le récit du figuier invite donc les disciples à passer d’un culte sclérosé, au Temple, à un nouveau culte à Dieu le Père. Jésus les invite à passer d’un Temple fait de mains d’hommes à un autre qui n’est pas fait de mains d’hommes (Marc 14,58). Le lieu saint n’est plus le Temple, mais le cœur des humains qui sont en communion avec Dieu. http://www.interbible.org/interBible/decouverte/insolite/2014/insolite_140110.html |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Semaine sainte Mar 30 Mar 2021, 12:20 | |
| J'ai rajouté un paragraphe à mon post précédent, sur le même sujet -- quand nous ne nous répondons pas nous pensons "parallèlement" ... J'ai évoqué cet épisode ici et là (chercher "figuier"), entre autres, et nous en avons aussi souvent parlé sur ce forum. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Semaine sainte Mar 30 Mar 2021, 13:31 | |
| - Citation :
- Mais l'élément (que nous dirions) "psychologique" est tout aussi sensible, et surtout chez Marc, l'affolement d'un "dieu", d'un "esprit" ou d'une "foi" qui précipite soudain et violemment son "sujet" vers la destruction, l'abandon et la mort, de l'action à la passion.
Ton commentaire me fait penser au récit contenu en Matthieu 16,21-23 mais qui (je crois) n'existe pas dans l'évangile de Marc :"Dès lors Jésus commença à montrer à ses disciples qu'il lui fallait aller à Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué et se réveiller le troisième jour. Pierre le prit à part et se mit à le rabrouer, en disant : Dieu t'en préserve, Seigneur ! Cela ne t'arrivera jamais. Mais lui se retourna et dit à Pierre : Va-t'en derrière moi, Satan ! Tu es pour moi une cause de chute, car tu ne penses pas comme Dieu, mais comme les humains."Le Jésus de Matthieu ne pas accepter l'incompréhension de Pierre car elle porte sur sa mission qu'il doit accomplir et précipiter à tout prix. Pierre devient un obstacle à l'accomplissement de la mission ou une "une cause de chute". Les disciples doivent accepter un messie souffrant et destiné à mourir. Le Jésus de Marc précipite sa mort en offrant aux autorités religieuses des motifs pour le condamner, notamment en annonçant en Marc 13,1-2 ; la destruction du Temple. Marc nous rapporte que cela permet aux autorités religieuses de produire de faux témoins :"Les grands prêtres et tout le sanhédrin cherchaient un témoignage contre Jésus pour le faire mettre à mort, et ils n'en trouvaient pas ; car beaucoup portaient de faux témoignages contre lui, mais les témoignages ne concordaient pas. Quelques-uns se levaient pour porter contre lui ce faux témoignage : Nous l'avons entendu dire : « Je détruirai ce sanctuaire fabriqué par des mains humaines et en trois jours j'en construirai un autre qui ne sera pas fabriqué par des mains humaines. » Et même sur ce point-là, leurs témoignages ne concordaient pas" (Marc 14,55-59).Les faux témoins annoncent ce qui leur paraît absurde alors qu’elle se révélera vraie au plan symbolique, ils annoncent les évènements cruciaux que vivra Jésus, notamment les trois jours après lesquels Jésus ressuscitera. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Semaine sainte Mar 30 Mar 2021, 13:58 | |
| Matthieu 16,21ss (// Luc 9,22) vient bien de Marc (et plutôt trois fois qu'une: 8,31ss; 9,31 [// Matthieu 17,22s // Luc 9,43ss]; 10,32ss [// Matthieu 20,17ss // Luc 18,31ss]). Mais l'annonce répétée ne change rien à la surprise du basculement quand il arrive, précisément par l'épisode "irrationnel" et destructeur du figuier qui enveloppe l'intervention au temple.
Quant aux "faux témoins", ce qu'ils "rapportent" est étrangement proche de ce que dit effectivement "Jésus" dans la version johannique de la "purification du temple" (qui n'a plus rien à voir avec une "semaine sainte", puisqu'elle se situe au début du récit, chap. 2; mais ce déplacement peut aussi bien avoir pour effet de faire de tout le quatrième évangile une quasi-semaine sainte); la formulation de Marc rappelle par ailleurs tout le débat "hellénistique" sur le temple "fait main" ou non, en frangrec "chiropoète" ou "achiropoète" (kheiropoièton, akheiropoièton, etc., cf. Philon, l'épître aux Hébreux ou le discours d'Etienne en Actes 7). |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Semaine sainte Mer 31 Mar 2021, 11:05 | |
| L’onction à Béthanie (14,3-9)
À Béthanie, une femme verse sur la tête de Jésus un parfum précieux, ce qui provoque la colère de disciples ne voyant là que gaspillage indigne. Un tel récit pourrait paraître anecdotique s’il ne se terminait pas sur une parole étrange de Jésus : « En vérité, je vous le dis, partout où sera proclamé l’Évangile, au monde entier, on redira aussi, à sa mémoire, ce qu’elle vient de faire » (14,9). D’aucune autre action racontée dans l’évangile il n’est dit qu’on s’en remémorera en tout lieu de mission chrétienne (sauf de la dernière cène chez Luc [22,19] et chez Paul [1 Co 11,24-25]). Une telle parole invite à s’interroger et à méditer sur la portée du geste posé par cette femme. Pourquoi une telle importance lui est-elle accordée ?...la femme annonce le destin encore inconnu et surprenant de ce corps.
L’onction à Béthanie oppose le registre de l’utile et du calcul à celui du signe et de l’accueil24. C’est ce qu’indique la prise de parole de Jésus : « Laissez-la. Pourquoi lui occasionnez-vous des soucis ? C’est une belle œuvre qu’elle a accomplie envers moi. Les pauvres, en effet, vous les avez toujours avec vous, et lorsque vous voulez, vous pouvez leur faire du bien, mais moi vous ne m’avez pas toujours. Ce qu’elle avait à faire, elle l’a fait. Elle a pris les devants pour parfumer mon corps pour l’ensevelissement » (14,6-.
L’offrande d’un parfum précieux est le signe d’une relation particulière entre deux personnes. La valeur unique, inéchangeable de cette relation se dit, se signifie par la perte de l’objet précieux. À l’opposé de toute spéculation imaginaire sur l’utilisation de ces moyens pour garantir une action utile (« donner aux pauvres »), la femme a su percer à jour la réalité présente, déceler sa valeur symbolique et se laisser déranger par elle. C’est ce qui l’a fait sortir de la répétitivité possible et nécessaire du partage avec les pauvres. Aussi, Jésus dénonce l’agressivité des disciples à son égard et accueille son offrande.
Jusqu’alors, dans le récit, le geste de la femme était pur don sans interprétation positive. Touché dans son corps par le cadeau reçu et la relation nouvelle qu’il signifie, Jésus parle de son corps d’une manière inattendue. Il reçoit le don du parfum comme l’onction funéraire d’un vivant. Un nouveau sens est ainsi donné au geste de la femme, celui d’un « parfum perdu pour un corps perdu »????. La parole de Jésus arrache le geste de la femme à la chaîne des signifiants sociaux habituels où il pouvait être lu comme une marque d’estime, d’affection, voire peut-être de reconnaissance messianique, pour le transférer dans une autre perspective, inattendue, celle de la mort prochaine. Cette onction faite d’avance opère un dépassement symbolique de la mort.
Il est compréhensible dès lors qu’elle soit attachée à l’annonce de l’Évangile, puisque la mort et la résurrection de Jésus constituent le cœur de celui-ci. À la source de la mémoire évangélique s’inscrit une perte qui devient féconde. Perte heureuse, de bonne odeur, symbole de l’annonce heureuse, la Bonne nouvelle qui ne cessera de se répandre dans le monde entier comme parole de vie tirée de la mort. https://www.catho-bruxelles.be/wp-content/uploads/2017/12/Analyse-litte%CC%81raire-et-exe%CC%81ge%CC%80se-2012-25p-Focant.pdf |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Semaine sainte Mer 31 Mar 2021, 12:10 | |
| Voir aussi ici. Cet article de C. Focant dit simplement et clairement beaucoup de choses intéressantes, sur les textes qu'il commente comme sur la "méthode" de lecture. Il pourrait appeler beaucoup de discussions (p. ex. sur la séquence Bar-Timée / entrée à Jérusalem, Marc 10--11, autour du titre de "fils de David" qui n'apparaît que là mais se trouve lui-même "subverti" par sa remise en question en 12,35ss). En ce qui concerne la référence à l'"évangile" / "bonne nouvelle" ( euaggelion), il faut tenir compte de l'ensemble de ses emplois dans le texte de Marc: 1,1 (titre du récit ou du livre), 1,14s (message de Jésus), 8,35; 10,29; 13,10; 14,9 (référence absolue, future ou intemporelle, "l'évangile" comme si tout un chacun savait ce que c'est): comme on l'a souvent remarqué, ils produisent un effet d'anachronisme ostensible, un peu comme l'aparté au théâtre ou le "regard caméra" au cinéma qui brisent ou suspendent le "cadrage" en le montrant, en rappelant au spectateur pris dans l'histoire qu'il est précisément dans une histoire, au théâtre ou au cinéma. De même le lecteur ou l'auditeur se voit rappeler qu'il lit ou écoute un "évangile", un livre-récit qui est aussi ce qu'il croit et ce qu'il vit. Il faut interrompre la fiction pour la faire ressentir comme telle, dedans-dehors. En l'occurrence la promesse est auto-réalisatrice, elle s'accomplit instantanément, à chaque fois que le texte est lu, récité ou remémoré. |
| | | free
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| Sujet: Re: Semaine sainte Mer 31 Mar 2021, 12:35 | |
| La dernière semaine de Jésus sur la terre (1re partie) https://www.jw.org/fr/biblioth%C3%A8que/bible/nwt/appendice-b/derniere-semaine-jesus-8-11-nisan/ Pour la Watch situe-t-elle l'onction à Béthanie rapportée au chapitre 14 de l'évangile de Marc AVANT tous les évènement décrits aux chapitres 11 et 12 comme l'entrée triomphale à Jérusalem, la malédiction du figuier ... ??? Voir aussi : https://www.jw.org/fr/biblioth%C3%A8que/jw-cahier-vie-et-ministere/mwb-avril-2020/6-12-avril/ |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Semaine sainte Mer 31 Mar 2021, 14:51 | |
| Tout simplement parce qu'à ce point de son scénario elle privilégie la chronologie de Jean (11--12) par rapport à celle de Marc (ou de Matthieu), comme l'indiquent les références de chaque "nuit-jour". Ne me demande pas (encore) pourquoi, c'est arbitraire et ça ne peut que l'être: dès lors qu'on veut faire un seul récit à partir de quatre récits différents (dia-tessarôn), il ne correspondra à aucun d'entre eux; même si on additionne tous les "contenus" des quatre, comme la Watch essaie laborieusement de le faire, on n'aura respecté en définitive l'ordre d'aucun des quatre, et encore moins les "silences" de chacun, réduits à des "lacunes" aussitôt "comblées" par les "compléments" des autres.
La "synopse" (présentation parallèle, en colonnes, des trois évangiles dits "synoptiques", Matthieu-Marc-Luc, ou des quatre "canoniques", avec Jean) est à la fois le meilleur et le pire instrument pour lire les évangiles: extrêmement utile parce qu'elle permet de repérer d'un coup d'oeil les différences, et de prendre conscience de la "synopse mentale" qui se crée automatiquement, mais de façon plus vague, dans la tête de tout lecteur, parce qu'il se souvient plus ou moins bien des autres à chaque fois qu'il en lit un et qu'il tend à les confondre. Mais évidemment aucun évangile n'a été écrit pour être lu ainsi, et il faut aussi sortir de cette perspective pour se remettre à en lire un à la fois, comme s'il était le seul, en "oubliant" les autres. Soit une alternance nécessaire entre un regard comparatif ou critique, et le jeu de la naïveté retrouvée du lecteur bon public, qui requiert d'autant plus de complaisance ou de bonne volonté qu'on a de la mémoire... l'antithèse de la synthèse en somme. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Semaine sainte Jeu 01 Avr 2021, 10:36 | |
| Ce matin, Jeudi-Saint, on tomberait sur un passage "mineur", un "temps faible" quelque peu délaissé par les commentaires, celui de la "préparation de la Pâque" (Marc 14,12-16 // Matthieu 26,17-19 // Luc 22,7-14), qui rappelle d'ailleurs un peu plus tôt la préparation des Rameaux (Marc 11,1ss//). Les deux épisodes se présentent en effet comme un curieux "jeu de piste": ici il s'agit de trouver le "cénacle", là il s'agissait de trouver l'âne (ou les deux ânes, selon Matthieu). Celui-ci donne en tout cas une impression équivoque, surtout chez Marc: OU BIEN d'omniscience de Jésus qui verrait à distance, dans l'espace, dans le temps et dans les moindres détails, tout ce qui se passe (avec ici une étape supplémentaire dans le jeu de piste, celle de l'homme à la jarre qui conduit à la maison, étape qui disparaît complètement chez Matthieu); OU BIEN, au contraire, d'un complet abandon au hasard (le premier qui vient); OU BIEN, au contraire encore de l'option précédente, mais aussi de la première, d'un arrangement secret, minutieusement calculé et convenu d'avance avec tous ses acteurs, une sorte de conspiration avec ses signes de reconnaissance entendus entre les intéressés (les disciples eux-mêmes n'étant pas dans le secret). Entre toutes ces pistes d'interprétation on peut toujours choisir, mais sans la moindre garantie, si l'on en suit une on n'en sera pas moins hanté par la possibilité des autres -- reste pour le lecteur une irréductible perplexité, qu'il retrouve quasiment intacte à chaque fois qu'il y revient. |
| | | free
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| Sujet: Re: Semaine sainte Jeu 01 Avr 2021, 11:48 | |
| Le dernier repas de Jésus (Mt 26,17-29)
(1) Mt 26, 17-29. C’est « chez un tel » (v. 18 : pros ton deîna) que les disciples vont préparer le repas de la Pâque. Matthieu s’éloigne du scénario assez complexe de Marc 14, 13-14, « un homme portant une cruche d’eau », « propriétaire » de la maison… La concision de la description et la façon indéfinie dont est caractérisée l’hôte fait peut-être sens : n’est-ce pas, potentiellement, chez tout homme (« un tel », i.e., untel ou unetelle, chaque lecteur) que Jésus et ses disciples peuvent venir « manger la Pâque » (cf. Ap 3, 20) ? https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2007-2-page-193.htm
D'une cruche d'eau à la Coupe du Vin
Dans l'évangile, Jésus, qui a décidé de fêter la Pâque avec ses apôtres, commence par envoyer deux d’entre eux en avant, en leur demandant d’aller dans une maison et de dire au propriétaire qu’il a décidé de manger la Pâque chez lui. Dans l’évangile de Marc (ch. 14, versets 12 à 16) il précise : allez à la ville et vous rencontrerez un homme portant une cruche d’eau ; suivez-le, et là où il entrera, dites au propriétaire : « le Maître te fait dire : où est ma salle, où je pourrai manger la Pâque avec mes disciples ?” » Ce moyen de reconnaissance est précis – une cruche d’eau – et surprenant, d’autant plus que le porteur de la cruche doit être un homme : il n’était pas banal, à cette époque, de rencontrer dans la rue un homme portant une cruche. Et il fallait aussi que les apôtres voient le contenu de la cruche, ce qui n’était pas si simple ! Il doit donc y avoir une explication symbolique et théologique à cette curieuse demande, comme d’habitude quand de telles précisons sont données dans un texte biblique. Pour certains, la cruche, en hébreu kad, dont la valeur est 24 (en guematria juive classique, valeur numérique des mots), représenterait le nombre des livres du Tanakh, c’est-à-dire de l’ensemble de la Bible hébraïque. Tanakh est l’acronyme du nom des trois parties de la Bible hébraïque : Torah (Pentateuque), Neviy’yim (Prophètes, au sens large), Khetouviym (Hagiographes, livres poétiques et de sagesse), qui comportent 24 livres. L’homme en question porterait les Écritures et ne pourrait que mener les apôtres dans l’endroit idéal pour manger la Pâque. Peut-être. Mais en hébreu une cruche d’eau est tsaparhat maiym, en particulier en 1Rois 19,6 : [Élie] regarda et voici qu'il y avait à son chevet une galette cuite sur les pierres chauffées et une cruche d'eau. Il mangea et but, puis il se recoucha. C’est l’épisode où le prophète Élie veut mourir dans le désert après s’être violemment confronté aux prêtres de Baal dans un concours de miracles, qu’il gagna, les avoir massacrés de ses propres mains et, pour cela, avoir été menacé de mort par Jézabel. L’épisode d’Élie évoque le manger et le boire (ce que Jésus s’apprête à faire avec ses disciples), mais surtout il présente une véritable Eucharistie. En effet, l’ange du Seigneur le toucha et dit : « lève-toi et mange, autrement le chemin sera trop long pour toi. » Ce que trouve Élie est un viatique, une nourriture pour la route, que Dieu lui donne. D’ailleurs le texte ajoute : il se leva, mangea et but, puis soutenu par cette nourriture il marcha quarante jours et quarante nuits jusqu'à la montagne de Dieu, l'Horeb. C’est le lieu où Dieu s’est manifesté à Moïse (Ex 3) et où il a fait Alliance avec lui (Ex 19,24). On retrouve Élie et Moïse sur cette même montagne au moment de la Transfiguration de Jésus (Mt 17,1-8 et parallèles). L’Eucharistie qu’instituera Jésus, Alliance nouvelle et éternelle, va être préparée dans la salle où les disciples seront conduits par le porteur de la cruche d’Élie, dont on reparlera sûrement un jour, à propos des coupes de ce dernier repas… Jean racontait dans l’évangile des noces de Cana le miracle de l’eau changée en vin de l’Alliance ; Marc parle d’une cruche d’eau qui conduit à la coupe du vin de l’Alliance : miracle du symbolisme et de la pensée hébraïque, miracle d’un Dieu qui nourrit l’homme et le désaltère dans l’épreuve et la détresse, miracle d'un Dieu qui fait alliance avec lui au cœur des fêtes ! http://www.garriguesetsentiers.org/article-3018719.html |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Semaine sainte Jeu 01 Avr 2021, 12:15 | |
| Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il faut beaucoup d'imagination pour en tirer une "leçon" quelconque... et en soi c'est peut-être une leçon, d'un autre genre: la surinterprétation des textes (bibliques et évangéliques en l'occurrence) conduit à une saturation qui ne les laisse plus respirer, qui ne leur autorise plus de "temps faible", d'interlude ou de transition sans signification particulière: il faut que tout soit significatif...
Dans le détail, il me semble plutôt que "l'homme à la cruche" de Marc 14,13s n'est pas le "propriétaire", il ne fait que conduire à la maison... On peut remarquer en revanche chez Marc la multiplicité des figures anonymes caractérisées par un accessoire: l'homme à la cruche comme la femme au parfum (qui ne s'appelle pas Marie et encore moins Madeleine), ou plus loin le jeune homme au drap, tout cela est très pictural, théâtral ou cinématographique. |
| | | free
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| Sujet: Re: Semaine sainte Jeu 01 Avr 2021, 16:33 | |
| Une préparation mystérieuse
La première partie du récit raconte la préparation du repas dans des détails étonnants. Jésus semble doué d’une certaine prescience, une faculté qui entre rarement en jeu dans les autres récits évangéliques. En effet, Jésus sait d’avance que les disciples rencontreront un homme portant une cruche d’eau et que celui-ci les mènera au propriétaire de la salle où se déroulera le repas. Ce genre de rencontre dans une Jérusalem envahi de pèlerins pour célébrer la Pâque ne va pas de soi. De même, les salles devaient toutes être réservées. Ici Jésus semble maître de la situation.
Des convives plus ou moins à la hauteur...
Les versets 17 à 21 ne sont pas lus ce dimanche. Ils annoncent qu’un disciple trahira Jésus. De même, les versets 28 à 31 qui annoncent l’abandon des disciples et la trahison de Pierre sont également omis. La liturgie ne proclame pas ces éléments du récit afin de faire plutôt porter toute l’attention sur le repas comme tel et non sur la suite de la passion de Jésus. Pourtant, ces deux groupes de versets sont importants puisqu’ils soulignent que les convives de Jésus ne sont pas assis avec lui à cause de leur mérite. Jésus partage le repas le plus important de sa vie avec des personnes qui vont le trahir, le renier et l’abandonner! Il n’y a pas que le personnage de Judas qui joue un mauvais rôle. Tous ceux qui partagent le pain et la coupe vont tous abandonner Jésus. La perfection de ce souper ne tient certainement pas dans la sainteté des convives. Si ce repas se veut une alliance, il faut en comprendre que ce climat d’alliance ne dure même pas le temps d’une soirée. C’est très biblique comme thème. L’Ancien Testament est un recueil de texte autour des alliances conclues et brisées. http://www.interbible.org/interBible/cithare/celebrer/2018/b_sacrement.html |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Semaine sainte Jeu 01 Avr 2021, 17:48 | |
| Pour rappel, les traditions "bibliques" relatives à la Pâque varient entre deux conceptions opposées: une fête privée, familiale, domestique, que chacun célèbre chez soi (Exode 12 etc.) et une fête collective et centralisée, qui ne peut être célébrée qu'au temple (de Deutéronome 16 à 2 Chroniques, chap. 30 et 35) et qui impliquerait donc dans ce cas "pèlerinage", plus ou moins suivi en fait. Quant aux traditions rabbiniques du seder, qui combinent fête familiale et service à la synagogue, elles sont de toute façon postérieures à la destruction du temple...
Le récit de la Cène ou eucharistie qui se greffe sur le repas pascal dans les Synoptiques dépend de toute évidence, dès Marc, de 1 Corinthiens 11 (contrairement à la version de la Didachè p. ex.) -- dans le quatrième évangile, comme on sait, il n'y a ni repas pascal au sens "juif" (puisque Jésus meurt en même temps que les agneaux, ce qui suppose un "jour" ou "nuit-jour" de décalage et, pour toute chronologie "réaliste", une autre année) ni Cène-eucharistie au sens "chrétien", mais un jeu multiple sur l'un et l'autre: le lavement des pieds se substitue au rite à répéter, la bouchée à Judas qui fait entrer en lui Satan offre une parodie sinistre de la "communion". |
| | | le chapelier toqué
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| Sujet: Re: Semaine sainte Jeu 01 Avr 2021, 18:17 | |
| - Narkissos a écrit:
- Le récit de la Cène ou eucharistie qui se greffe sur le repas pascal dans les Synoptiques dépend de toute évidence, dès Marc, de 1 Corinthiens 11 (contrairement à la version de la Didachè p. ex.) -- dans le quatrième évangile, comme on sait, il n'y a ni repas pascal au sens "juif" (puisque Jésus meurt en même temps que les agneaux, ce qui suppose un "jour" ou "nuit-jour" de décalage et, pour toute chronologie "réaliste", une autre année) ni Cène-eucharistie au sens "chrétien", mais un jeu multiple sur l'un et l'autre: le lavement des pieds se substitue au rite à répéter, la bouchée à Judas qui fait entrer en lui Satan offre une parodie sinistre de la "communion".
Que veux-tu dire Narkissos lorsque tu déclares : "et pour toute chronologie réaliste, une autre année" ? |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Semaine sainte Jeu 01 Avr 2021, 22:00 | |
| Tout simplement ceci: SI l'on prend les quatre évangiles canoniques pour des récits historiques (ce que je ne conseille pas), ALORS on tombe sur un problème chronologique insurmontable: dans les Synoptiques (Marc-Matthieu-Luc) Jésus mange le repas pascal avec ses disciples AVANT de mourir, dans Jean il meurt AVANT le repas pascal (que fort logiquement il ne mange pas: cf. 18,28; 19,14). Ce qui revient à dire, puisque tout le monde s'accorde sur les jours de la (fin de) semaine (à cause de la référence centrale au sabbat = samedi, mort la veille vendredi, résurrection le lendemain dimanche), que pour les Synoptiques ledit repas pascal tombe le JEUDI soir, et pour Jean le VENDREDI soir. La Pâque peut bien tomber n'importe quel jour de la semaine en général, mais pas deux jours différents la MÊME année ! Donc, S'il fallait prendre la "chronologie" des évangiles à la lettre (ce que je ne conseille toujours pas), les Synoptiques et Jean ne se référeraient pas à la même année (CQFD).
Au passage, l'ironie johannique évoquée plus haut (la Pâque juive et l'eucharistie chrétienne du modèle synoptique sont remplacées par le lavement des pieds, et l'anti-communion par laquelle Jésus donne Satan à Judas), s'enrichit d'un troisième trait sarcastique (anti-judaïque, mais plus largement anti-rituel) dans les versets précités: ceux qui en définitive mangeront la Pâque dans les règles de pureté de la loi, ce sont les assassins, qui veulent bien livrer Jésus à Pilate mais non entrer dans son palais, de peur de se souiller avec un "païen"... |
| | | le chapelier toqué
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| Sujet: Re: Semaine sainte Ven 02 Avr 2021, 11:39 | |
| Merci Narkissospour tes explications si claires et pour ta belle démonstration.
Cela signifie que les auteurs des évangiles ont rapporté chacun de leur côté des évènements qu'ils ont soit vu soit entendu parler sans chercher à écrire un récit commun.
Leur récit personnel s'adressait donc à des communautés différentes et éparpillées dans l'empire romain.
Vouloir lire le récit de la Semaine sainte comme un récit commun à travers les évangiles est donc une erreur que commet le lecteur "moderne". |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Semaine sainte Ven 02 Avr 2021, 12:02 | |
| Qu'ils n'aient pas cherché à écrire un récit commun, c'est clair, et qu'ils se soient adressés à des communautés différentes, non seulement par les lieux mais par les milieux (différents types de "christianisme"), ça l'est tout autant; mais il n'ont pas non plus "rapporté" des "événements" "chacun de [son] côté": de Marc à Matthieu et à Luc (avec ou sans "Q") les correspondances sont verbales, syntaxiques et suivies, comme on peut le vérifier dans une synopse (surtout grecque): autrement dit on n'a nullement affaire à des récits indépendants qui formuleraient spontanément les choses différemment, mais bien à un travail d'écriture et de réécriture d'un livre à l'autre, comme à l'intérieur de chaque livre. Pour Jean le rapport aux autres est assez différent, mais ils n'en sont pas moins présupposés ([un proto-]Marc sans doute dès le début, et bien d'autres éléments des Synoptiques par la suite) -- et dans la même mesure présumés aussi connus des lecteurs. Composer à partir des "quatre évangiles" un seul récit est sans doute une "erreur", mais pas seulement "moderne", elle est presque aussi ancienne que les évangiles eux-mêmes (je renvoie encore au Diatessarôn de Tatien, peut-être déjà précédé par Justin): si c'est une "erreur" elle est inévitable, du fait même de la conservation et de la juxtaposition des "quatre évangiles" dans le "Nouveau Testament", alors qu'aucun rédacteur, sauf peut-être dans les toutes dernières couches rédactionnelles des Synoptiques et plus largement dans le Quatrième, ne pouvait vraisemblablement s'attendre à un tel sort pour son "oeuvre" (là où il modifiait les autres, il comptait bien les remplacer). --- Le Vendredi-Saint est, avec le Dimanche de Pâques, le jour le plus "chargé" de la semaine (surtout si l'on y inclut la nuit qui précède, avec une partie de la tradition juive qui pourtant ne s'impose guère à des lecteurs hellénophones). On y trouvera toutes les tonalités, de l'abandon total de Marc (cf. ici) à la divine maîtrise de Jean (tout est accompli, es ist vollbracht, 1.20'), en passant par les scènes de fin du monde de Matthieu (ici, à partir de 2.20') et le Jésus débonnaire et compatissant de Luc... (Bach a aussi une écrit une Markuspassion, BWV 247, mais elle est perdue et n'a été reconstituée que de façon conjecturale, p. ex. ici; quant à la Lukaspassion, BWV 246, qui a circulé sous son nom, c'est un apocryphe -- décidément...) |
| | | free
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| Sujet: Re: Semaine sainte Sam 03 Avr 2021, 07:39 | |
| Le Cénacle, la chambre haute
Dans les évangiles et les Actes des Apôtres, il est désigné comme la « chambre haute ». La tradition chrétienne y localise les souvenirs fondateurs de l’Église : le lavement des pieds, la dernière Cène, les apparitions de Jésus ressuscité aux disciples, l’élection de Matthias et la descente de l’Esprit saint. Le bâtiment actuel a été édifié par les franciscains au XIVe siècle sur les ruines d’une basilique de la période byzantine, consacrée en 413. Elle a été détruite par les Perses en 614. Le Cénacle est la partie haute de cet édifice et se présente comme une salle voûtée d’ogives. On peut y repérer un mihrab, sorte de niche indiquant la direction de La Mecque, qui rappelle que le bâtiment servit de mosquée lorsque les franciscains en furent chassés par les Mamelouks en 1447. Au rez-de-chaussée, les juifs vénèrent le tombeau du roi David. D’après le Livre des Rois (1 Roi 2,10). David fut en réalité enseveli sur la colline orientale. Ce n’est qu’après le Xe siècle qu’on localisa son tombeau sur la colline occidentale. https://croire.la-croix.com/Definitions/Sanctuaires/Le-Cenacle-chambre-haute-2018-05-31-1700943319
La passion du Christ selon saint Luc
L'épreuve décisive du Serviteur et de ses disciples Chaque évangéliste possède sa « passion ». Entendons par là que chacun rapporte dans son récit toute une réflexion sur le mystère de la mort de Jésus, réflexion nourrie par sa propre méditation et par celle des communautés qui célèbrent leur Seigneur depuis l'aube du christianisme. Ainsi, chez Luc, la passion est l'heure de l'épreuve, de la tentation, de la lutte contre Satan : « C'est votre heure et celle des Ténèbres » (22,53). Satan mène cette danse des morts, ce bal des maudits. Il entre en Judas (22,3). II passe au crible Simon (22,31). Celui qui tombait du Ciel comme l'éclair (10,18) revient en force et lance la dernière offensive. C'est pour lui le moment opportun (4,13). Ce combat n'est pas seulement celui du Serviteur Jésus, mais aussi celui des disciples. Les disciples sont prêts à se battre mais ils ne comprennent pas le sens, ni l'issue de la lutte. Ils mettraient volontiers leur confiance dans l'épée, alors que Jésus les invite à triompher par la prière : « Priez pour ne pas entrer en tentation » (22,40). Comme autrefois le peuple d'Israël, ils sont invités à mettre leur confiance non pas dans les armes, mais dans le Seigneur. Aux portes de la mort, le Jésus de Luc invite tout le monde, les hommes et les femmes, à entrer dans les dispositions véritables pour comprendre le vrai mystère. Les femmes de Jérusalem, par exemple, sont invitées à ne pas pleurer sur Jésus, mais sur elles-mêmes et sur leurs enfants (23,28). Qu'elles voient en Jésus le bois vert et non le bois mort (dans les vitraux du Moyen-Âge, la croix est verte).
Le grand pardon Luc est aussi l'évangéliste de la miséricorde. Il est le seul à citer la parole du Christ en croix : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font » (23,24). Au chapitre quinze de son évangile, il a raconté la parabole du fils prodigue à qui son père ouvre les bras; ici, sur la croix, il mentionne la présence de deux larrons dont l'un sera pardonné, à l'image du prodigue. Dans le pardon donné au brigand, la théologie de Luc atteint l'un de ses sommets : « Aujourd'hui, tu seras avec moi dans le paradis » (23, 43). Le mot aujourd'hui rappelle celui de la prédication à Nazara : « Aujourd'hui, cette parole s'accomplit pour vous » (4,21). Et le « avec moi » est un thème cher à Luc : c'est le statut du disciple d'être avec le maitre. Être avec le Christ, être trouvé avec Lui au dernier jour, c'est le salut. « Mon fils, disait le père de la parabole au fils aîné, tu es avec moi tous les jours et tout ce qui est à moi est à toi ». Par ces « avec moi », Luc n'est pas loin de Paul qui développe souvent cet « être-avec-Christ » : « Notre vieil homme a été crucifié avec lui... Mais si nous sommes morts avec Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui » (Romains 6,6-8; voir aussi Colossiens 2,11 à 3,4).
Une communauté qui se souvient Ces quelques caractéristiques de la passion selon saint Luc que nous venons de rappeler nous conduisent à souligner l'importance du souvenir dans la communauté chrétienne. Luc, comme tous les évangélistes, vit au milieu de chrétiens qui ont besoin de faire mémoire des événements passés pour en mieux comprendre le sens. Ainsi les évangiles constituent-ils un merveilleux instrument de catéchèse visant à fortifier la foi des croyants en faisant mémoire des événements fondateurs. Et dans ces évangiles, le récit de la passion joue un rôle très important. Pourquoi ? Parce que c'est dans la souffrance et la mort de Jésus que se jouent la vraie compréhension du christianisme, la vérité de la foi. Mal comprendre la passion du Seigneur, c'est détruire à jamais la vérité du christianisme. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Semaine sainte Sam 03 Avr 2021, 15:26 | |
| N.B.: la "chambre haute" ou "à l'étage" ne traduit pas le même terme grec dans Marc et Luc d'une part ( anôgeon, Marc 14,15 // Luc 22,12) et dans les Actes d'autre part ( huperôon, 1,13; 9,37ss; 20,8: où il s'agit bien sûr de trois lieux différents, mais avec une certaine continuité de fonction, disons "cultuelle"). Ici le lien pour ta seconde citation. En y réfléchissant, je me suis dit que si l'on trouve habituellement le Jésus de Luc le plus "humain" dans tous les sens du terme (non seulement le moins "divin" mais le plus "brave homme", pour ne pas dire "bonhomme": sympathique, généreux, bienveillant, sensible, compatissant, etc., soit tout ce que recouvre l' humanitas latine, qui correspond aux "valeurs" d'une classe moyenne relativement aisée et cultivée de la société gréco-romaine où l'on reconnaît assez facilement le "milieu" de Luc-Actes), c'est aussi parce qu'il paraît le plus "normal" ou le plus "raisonnable" -- par opposition à l'"agité" de Marc, au "maître" radical et exigeant de Matthieu, ou au "dieu manifeste" de Jean. En tout cas, puisque du point de vue littéraire l'évangile selon Luc dépend à l'évidence de Marc ET de Matthieu OU de "Q", cela fait apparaître assez clairement que le plus "humain" n'est pas le plus "original" -- contrairement au vieux préjugé "évolutionniste" du XIXe siècle, toujours populaire au XXIe, qui fait dériver la "divinité" de Jésus de son "humanité" (cf. l'"homme incomparable" de Renan)... Pour revenir à la "semaine sainte" à mesure qu'on y avance, aujourd'hui samedi-s(h)abbat, le jour le plus vide entre les deux jours les plus pleins, quoique la "plénitude" de Pâques soit d'un tout autre genre que celle du Vendredi-Saint, je me contenterai de renvoyer ici et là (texte et traductions ici: noter l'arrêt sur le nichts, "rien", dans la phrase Da bleibet nichts / denn Tods Gestalt, "il ne reste rien / alors de, ou que, la figure de la mort", 12'21" -- d'après 1 Corinthiens 15). |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Semaine sainte Dim 04 Avr 2021, 11:00 | |
| La "plénitude" du Dimanche de Pâques est d'un tout autre genre que le "plein d'événements" du Vendredi-Saint: elle repart du "vide" auquel celui-ci conduisait, et qu'on retrouve encore plus vide le surlendemain qu'on ne l'avait laissé (le tombeau vide). D'un point de vue "synoptique", on n'a plus le "parallélisme", ou plutôt la "convergence" des récits de la Passion (qui malgré leurs différences tendaient tous au même point, point mort de la mort, de la sépulture et du sabbat), mais au contraire une explosion (éclosion, floraison, c'est de saison), divergente par définition, de récits de résurrection et d'apparitions qui partent dans tous les sens. A partir de la fin abrupte de Marc (pas d'apparition, pas même d'ange, seulement le mystérieux "jeune homme" et sa parole qui renvoie tout le monde en Galilée comme au début du livre, là encore mise en boucle et en abyme du récit), ce sont des "apparitions" en tout genre, en tout sens, en tout lieu et en tout temps, qu'aucune "logique" harmonisatrice, narrative ou théologique, ne peut contrôler ni contenir. Joyeuses Pâques !--- L'épisode du "tombeau vide", central pour la tradition de Pâques et de la "semaine sainte", comme pour l'ensemble des récits évangéliques de la Passion (probablement pas pour la première "édition "de "Jean" si elle s'achevait au chapitre 12), est bien sûr totalement ignoré de "Paul" (même le texte de 1 Corinthiens 15, qui a visiblement subi pas mal d'additions successives au fil du développement des récits d'apparitions, n'en parle pas du tout). De plus, Matthieu, à son habitude, y jette une ombre de doute avec son addition antijudaïque sur la garde du tombeau qui aboutit à la rumeur présumée fausse, mais paradoxalement confirmée en tant que telle, d'un enlèvement du corps par les disciples -- difficile de penser qu'il ne le fait pas exprès quand on voit tout ce qu'il ajoute d'ostensiblement incroyable ou perturbant, de la résurrection générale des morts au moment de la mort du Christ à la mention du doute dans l'apparition ultime (chap. 26--28)... Je me souviens encore du moment où la chose m'a frappé, dans mes derniers mois de jéhovisme, alors que je terminais une lecture de la Synopse de Lagrange, au coucher du soleil, sur le pont d'un bateau qui me ramenait d'Angleterre en France après un voyage d'automne dans le nord de l'Ecosse (curieusement les moments importants de lecture, de conversation ou de pensée restent dans mon souvenir inséparables de leur cadre): et s'il n'y avait dans tout cela rien de "vrai", du moins au sens d'"historique" ? Vertige, d'autant que j'en étais venu à apprécier, à aimer et à comprendre, mieux que jamais auparavant sinon "bien", ce que je lisais... Or Matthieu oblige presque à se poser ce genre de question, très troublante pour un "lecteur croyant", surtout s'il vient d'une forme assez "littéraliste" de christianisme, mais aussi féconde. C'est assez logique aussi, quand on y pense, de la part d'un évangile qui dévalue constamment la foi-croyance (dans le genre paulinien ou post-paulinien) au profit de la foi en actes seule "probante" en plus d'un sens (comme Jacques). Toutefois Marc faisait aussi quelque chose d'analogue à sa manière, plus discrètement et peut-être plus profondément, en mettant le sens même de la "résurrection" en question (9,9s.30ss; cf. 6,14ss; 8,31ss; 10,32ss; 12,18ss; 14,28; 16,6). |
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