Des pierres vivantes pour former une maison spirituelle- 1 Pierre 2

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Le problème majeur (à mon sens) de ce genre de texte ou de discours valorisant paradoxalement un manque, un défaut, un "négatif" (l'étrangeté, la souffrance, mais aussi la pauvreté, la faiblesse, l'abandon, etc.; tout discours, si sincère, spontané ou réfléchi soit-il, étant également un texte susceptible d'être mémorisé et répété, reproduit, imité, copié, traduit et trahi d'un locuteur, d'une situation, d'un contexte et d'un moment à l'autre), c'est qu'il tourne très vite au simulacre ou à la tartuferie. Ainsi le "judéo-christianisme" et ses rejetons, y compris un certain romantisme post-chrétien, ont-ils produit en série et en masse des autochtones enracinés jusqu'aux dents qui se veulent "étrangers-sur-la-terre", des sédentaires qui s'imaginent nomades, des bien-portants qui rêvent de souffrir, des persécuteurs qui se croient persécutés, des riches qui jouent aux pauvres, des puissants qui se persuadent d'être faibles, et ainsi de suite. Mais ça ne change rien à la pertinence du paradoxe chaque fois qu'il s'avère authentique, fût-ce au détour de beaucoup d'artifices. On retrouve alors avec surprise la vérité de la chose et sa parfaite incommunicabilité, quand bien même elle est ânonnée par tout le monde comme un lieu commun.

A noter aussi que, par rapport au modèle "bilatéral" des "codes domestiques" (Haustafeln) des deutéro-pauliniennes, le point de vue du "maître" (Colossiens 4,1 -> Ephésiens 6,9) disparaît: ça peut paraître moins "juste" (rien n'est demandé au maître), c'est aussi que le christianisme de 1 Pierre se pense unilatéralement du point de vue de l'esclave, du faible, du souffrant, qui est le point de vue même du "Christ" -- plutôt que celui de l'englobant total, comme dans Colossiens-Ephésiens. D'une façon générale les "autorités", à l'exception des "maris" et des "anciens" qui ne sont peut-être pas pensés comme des "autorités", ne sont plus destinataires d'exhortation -- et pas non plus cautionnées par une autorité divine (autorités politiques instituées par Dieu en Romains 13, simples "créations humaines" en 1 Pierre 2,13).

On pourrait même inférer de cet enchaînement (sans jeu de mots) que pour l'auteur la condition d'esclave, et d'esclave maltraité, et maltraité injustement, est l'illustration "idéale" de la condition chrétienne en général (cf. 1;6ss; 3,14ss; 4,1.12ss; 5,1.9s) et de la figure même du Christ (déjà 1,11s). En tout cas c'est remarquable que l'un des principaux développements christologiques de l'épître soit précisément rattaché à l'exhortation spécifique aux esclaves -- contrairement aux deutéro-pauliniennes où les exposés théoriques sont nettement séparés des recommandations pratiques, notamment les "codes domestiques" qui n'y font plus que de brèves allusions. Sur ce point comme sur tant d'autres, il faudrait tenir compte de l'autre parent proche de la Première de Pierre, anti-paulinien celui-là, à savoir l'épître de Jacques (comparer notamment les deux introductions sur les mêmes thèmes, diaspora, épreuves et joies, etc.) -- bien que dans celle-ci il ne s'agisse pas d'esclaves et de maîtres, mais de pauvres et de riches, l'unilatéralité du propos est assez similaire.

Voir aussi, peut-être, ceci et cela.

Citation :

Voir aussi, peut-être, ceci et cela.

"Ainsi donc, puisque le Christ a souffert dans la chair, vous aussi, armez-vous de la même pensée ; car celui qui a souffert dans la chair en a fini avec le péché" (4,1)

 Dieu sait -- peut-être -- pourquoi je me suis souvenu de ce verset, ou plutôt d'un morceau de celui-ci. Je sais bien, en ce qui me concerne, pourquoi il m'avait marqué jadis, comme l'un des rares passages du Nouveau Testament qui non seulement place la souffrance (plutôt que la mort) au centre du "mystère" chrétien (ce qui n'est pas si rare), mais encore le fait  de façon à offrir à un certain "ascétisme" une manière de prise méthodique en même temps que de justification logique, sous une forme pour ainsi dire axiomatique: l'impératif parénétique (τὴν αὐτὴν ἔννοιαν ὁπλίσασθε, armez-vous de la même disposition d'esprit  [que le Christ qui a souffert dans / par / pour / quant à la chair, Χριστοῦ παθόντος σαρκὶ]) est rhétoriquement fondé (ὅτι, car, parce que) sur l'expression gnomique d'une vérité générale, pour nous sans doute "subjective" ou "psychologique", mais présumée du moins reconnue par une expérience commune à l'auteur et à ses lecteurs-auditeurs: ὁ παθὼν σαρκὶ πέπαυται ἁμαρτίας, celui qui a souffert / souffre (ambiguïté temporelle du participe aoriste substantivé) dans / par / pour / quant à la chair a cessé / pris congé du péché. Que (ce) "celui"-là soit compris comme une référence définie (au Christ) ou indéfinie (à n'importe quel "souffrant", ou "patient") ne change d'ailleurs rien à la portée générale de la sentence, celle-là ne valant dans l'argument qu'en fonction de celle-ci.

De l'observation la plus banale -- quand on a mal, on ne peut plus, on ne veut plus, on ne pense plus à beaucoup de choses... en un mot, la souffrance arrête -- l'esprit ascétique s'empare comme d'une prise inespérée sur un mystère autrement lisse, opaque et impénétrable, ou comme d'un coin pour entamer et fendre une aporie trop stricte. La mort reste au vivant, mortel et même mourant, ironiquement inaccessible, absente -- semble-t-il --  jusqu'au dernier moment inclus: elle n'est jamais là que pour les autres; la souffrance, elle, se présente au contraire, comme un accès, un passage, un chemin pénible mais connu où chacun est toujours déjà peu ou prou, pour lui-même autant que malgré lui, engagé. L'idée de la souffrance accès est, du reste, développée de façon beaucoup plus systématique et originale dans l'épître aux Hébreux: les souffrances du Christ dans la "chair", jusqu'à la mort incluse (elle est elle-même soufferte, ii, 9s), constituent le chemin même de l'accomplissement et du dévoilement (la "chair" qui souffre jusqu'à sa consommation est le "voile" qui se déchire sur l'invisible et l'éternel, vi, 19; x, 19s). Mais dans l'épître aux Hébreux l'effet pausal, interrupteur ou suspensif de la souffrance n'est pas mis en évidence, alors que par ailleurs le thème (sabbatique) de la pause (ou du repos, katapausiV), y joue un rôle central (cf. iii--iv): les deux idées restent déconnectées, quoique de part et d'autre remarquablement élaborées. , ceci

Cf. aussi (sur la "volonté de Dieu") 2,13ss: avec la souffrance (patience au sens étymologique) vont aussi la soumission ou l'obéissance, quasiment inconditionnelles sauf motif de "conscience" (et alors souffrir pour le "bien"), à tout ce qui se présente comme "autorité", de l'empereur au dernier "maître de maison"; mais par là même aucune "autorité" ne se voit justifiée ou légitimée en soi, ni de droit divin (contrairement à Romains 13 et à la longue tradition qui s'ensuit) ni par aucune "raison" (car l'autorité peut être irrationnelle ou déraisonnable).

En 4,17 le "moment" traduit kairos, "temps" qualifié ou défini par son "contenu" (si l'on peut dire) et référé à celui-ci: le temps de quelque chose, comme "l'heure du thé" ou "la saison des figues" -- de même en 1,5; en 1,20 c'est le terme plus général khronos (ep'eskhatôn tôn khronôn, mot-à-mot "aux derniers des temps").

L'idée du jugement qui commence par la maison de Dieu (comprise inséparablement au sens de "temple" et de "maisonnée", "famille", etc., comme on l'a vu il n'y a pas longtemps: ci-dessus 14.1.2020) est une sorte de "cliché prophétique" (cf. Ezéchiel 9,6), ainsi que le raisonnement a fortiori (qol va-homer en rhétorique rabbinique) qui s'ensuit (si c'est dur ici et maintenant, ce sera pire ailleurs et plus tard: cf. Jérémie 25,29; comparer Luc 23,31; 1 Corinthiens 11,32; 2 Thessaloniciens 1,5-8 etc.) -- avec en l'occurrence la quasi-citation de la Septante de Proverbes 11,31 au v. 18.

Plus généralement, c'est une évidence incontournable -- comme on dit de ce qui ne peut qu'être contourné -- que tous les énoncés eschatologiques du NT, si différents qu'ils soient par ailleurs (eschatologie courte ou longue, avec ou sans "signe", dans des proportions diverses de "déjà-là" et de "pas-encore", plus ou moins optimiste ou pessimiste sur le "salut" des siens ou des autres, plus ou moins "anticipée", "réalisée", "spiritualisée", etc.), se rapportent à leur époque.

Sempiternel problème de la métonymie générale: derrière chaque mot "abstrait" ou chaque sens "figuré" supposé bien établi comme tel, se cachent une ou plusieurs images "concrètes" qui passent inaperçues la plupart du temps, des "métaphores défuntes" ou "fantômes" mais toujours susceptibles d'être res-suscitées ou ré-activées quand un contexte s'y prête. Ainsi de notre mot "chef" qui d'ordinaire ne fait plus penser à une "tête", sauf quand on invoque explicitement son étymologie latine. C'est à peu près ce qui se passe en hébreu biblique avec pnh, qui le plus souvent n'évoque aucune image concrète mais quelquefois rappelle un sens architectural, d'ailleurs contradictoire puisqu'il peut alors s'agir de la "base" (pierre angulaire de fondation) ou du "sommet" (clef-de-voûte, cf. notre mot "pinacle" qui en dérive peut-être indirectement par confusion interlinguistique avec d'autres images, de l'aile et de la plume ou de la nageoire et de l'écaille pour le "créneau", en passant par le grec et le latin des évangiles, cf. pterugion -> pinnaculum en Matthieu 4,5//).

C'est toujours très intéressant mais fort peu pertinent pour l'exégèse du NT, qui comme on l'a vu précédemment (supra 13.1.2020) tire la plupart de ses "citations" non d'un contexte "original" (= "livre") de l'AT hébreu ou grec, mais de regroupements thématiques préalables d'extraits d'origine disparate (anthologies, florilèges, testimonia, ainsi Isaïe 28,16 avec Psaume 118,22, en 1 Pierre 2,4ss comme en Matthieu 21,42 etc.). Sur Isaïe 28, voir ici.

Première épître de Pierre 2, 18-21 : Les serviteurs [Hoi oiketai], soyez soumis en toute crainte aux maîtres [tois despotais], non seulement aux bons et doux mais aussi aux acariâtres.  Car c’est une grâce [kharis] de supporter, par motif de conscience [dia suneidêsin] à l’égard de Dieu, des peines que l’on subit injustement. Quelle gloire, en effet, si, commettant un faute, vous  endurez des coups ? Mais si, faisant le bien, vous endurez avec patience, c’est une grâce devant  Dieu. Or, c’est à cela que vous avez été appelés, parce que Christ a souffert pour vous, vous laissant un modèle [hupogrammon], afin que vous suiviez ses traces…

Nous voilà nettement plus près, en termes chronologiques aussi bien que thématiques, des textes 6 et 7 que des textes 8 et 9. Ce qui intéresse ici l’auteur (un disciple de l’apôtre Pierre ?), c’est une forme de spiritualité chrétienne propre aux esclaves, comme dans les textes 6 et 7 ; c’est  plus précisément encore – et cette idée-là n’apparaissait dans aucun des documents précédents – leur conformation volontaire au « modèle » de Jésus souffrant. La perspective est sotériologique : il s’agit d’obtenir ainsi, par cette imitatio Christi  avant la lettre, « une grâce devant Dieu » (kharis  para Theô). Évidemment, il sera toujours possible de considérer un tel enseignement comme une manière plus ou moins hypocrite et intéressée, chez ceux que le système social favorise, de prêcher la résignation à ceux qui en supportent le fardeau ; mais, à la réflexion, il n’y a pas plus de raisons de croire au cynisme de l’auteur qu’à sa sincérité. Dans cette dernière hypothèse, on pourrait aussi considérer que, pour authentiquement religieux qu’ils soient, ces préceptes n’en apportent pas moins d’eau, fût-ce involontairement, au moulin du conservatisme social ; mais il faudrait également noter que ce texte, en leur proposant de s’identifier à Jésus, confère aux esclaves une sorte d’aura religieuse dont les maîtres chrétiens, du moins les plus convaincus d’entre eux, seraient  probablement amenés à tenir compte : ne devraient-ils pas eux aussi, dans la même perspective, songer à leur propre salut ? Au total, ce texte porte en lui la même ambivalence que les textes 6 et 7 : l’un et les autres se prêtent à des lectures allant soit dans le sens du conformisme social, soit vers une nouvelle perception des réalités esclavagistes. Et il faut reconnaître que cette seconde interprétation respecte mieux la logique propre à ces écrits. https://www.academia.edu/8952383/Pourquoi_les_chr%C3%A9tiens_nont-ils_pas_aboli_lesclavage_antique_2009_

Bon traitement, je trouve, de ce sujet si propice à l'anachronisme moral -- il faudrait peut-être le compléter ou le compliquer, d'une part, en introduisant d'autres facteurs socio-économiques que le seul statut d'esclave ou d'homme libre: l'esclave de confiance d'un maître puissant peut être non seulement mieux loti que nombre d'hommes libres et pauvres, mais exercer un pouvoir considérable sur eux; d'autre part, en comparant ce qui se passe dans le christianisme de référence (néotestamentaire et patristique) à d'autres milieux contemporains, philosophiques (stoïcisme, épicurisme, médio- ou néo-platonisme) ou religieux (mystères, gnoses) où l'on trouverait des questions et des réflexions très semblables sur l'esclavage.

Sur 1 Pierre en tout cas, le commentaire rejoint très largement nos remarques précédentes (bien que chronologiquement ce soit plutôt le contraire !). J'inclinerais cependant davantage dans le sens de la "sincérité" de l'auteur (de 1 Pierre), compte tenu de l'importance générale qu'a pour lui le thème de la souffrance: l'esclave qui souffre injustement est en quelque sorte le "modèle du modèle", le Christ souffrant, et par conséquent des "chrétiens" qui s'en réclament (4,16, seule occurrence du mot dans le NT en dehors des Actes, 11,26; 26,28, et sans doute avant ceux-ci).

Comme on le remarquait récemment à propos de Colossiens (où le Christ image de l'invisible est encore caché, et cachette, en attente de manifestation), le jeu du visible et de l'invisible (qui est le ressort même de la "révélation") se relance et se complique indéfiniment -- en tout cas il ne s'arrête pas à l'opposition stable d'un Dieu (toujours) invisible et d'un Christ (toujours) visible. La visibilité du "Jésus terrestre" est en quelque sorte "virtuelle", en ce qu'il peut être raconté et représenté (de la figure élémentaire de la croix paulinienne aux récits évangéliques de plus en plus longs, dont l'influence sera beaucoup plus sensible en 2 Pierre avec la transfiguration), mais c'est aussi en partie vrai du Yahvé de l'AT: malgré le refus tardif de l'image, il se raconte et jusqu'à un certain point il se laisse voir, par l'artifice de la tradition et de l'écriture (moins différentes l'une de l'autre qu'on pourrait le croire) qui donnent à voir à ceux qui n'ont rien vu, non sans générer au passage la fiction collatérale des "témoins oculaires" (qui auraient vu ce que personne, ni auteur, ni lecteur ni auditeur, n'a vu), diversement utilisée par les textes (cf. Jean 20, heureux ceux qui croient sans avoir vu, ou 1 Jean 1, ce que nous avons vu de nos yeux, etc.).

"Ce salut, les prophètes qui ont parlé de la grâce qui vous était destinée en ont fait l'objet de leurs recherches et de leurs investigations. Ils se sont appliqués à découvrir quelle époque et quelles circonstances désignait l'Esprit du Christ qui était en eux, Esprit qui, d'avance, attestait les souffrances du Christ et la gloire qui s'ensuivrait. Il leur fut révélé que ce n'était pas pour eux-mêmes, mais pour vous, qu'ils étaient ministres de ces choses, qui maintenant vous ont été annoncées par l'entremise de ceux qui vous ont communiqué la bonne nouvelle, avec l'Esprit saint envoyé du ciel ; c'est en ces mêmes choses que les anges désirent plonger leurs regards." Pi 1,10-12

 Les prophètes ont été aux prises avec la relative obscurité de leurs propres écrits. Cette thèse originale (le texte le plus proche est Lc 10,24 : « Beaucoup de prophètes ont voulu voir ce que vous voyez et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l’ont pas entendu ») s’accompagne d’une mise en valeur de l’ardeur de la recherche ; bien qu’habités par l’Esprit et pressentant toute la valeur de ce qu’ils communiquaient (la grâce !), ils ne parvenaient pas à en saisir toute la portée, en dépit de leurs efforts persévérants, comme l’indiquent les imparfaits exedzètèsan, exèraunèsan et le participe présent eraunôntes, « scrutant » (cf. Jn 5,39 : même verbe pour l’investigation des Écritures par les Juifs) . Il leur fut révélé, est-il précisé, que ce n’était pas pour eux-mêmes « qu’ils étaient ministres de ces choses ». Peut-on déduire de ce passage que la parole des prophètes était obscure ? Pour eux, en une certaine mesure, mais pas vraiment en elle-même. Car « ces choses » (tauta) sont précisément celles qui sont annoncées par « les porteurs de la bonne nouvelle ». Ce passage préserve la qualité du message prophétique, même si la compréhension de celui-ci en était autrefois incomplète. La thèse est hardie, celle d’une identité du message prophétique et du message apostolique. Dans les deux cas, il s’agit de « la grâce qui vous était destinée », « des souffrances du Christ et des gloires qui s’ensuivraient », de « ces choses » qui, maintenant, sont annoncées. En un sens, le message du salut dans le Christ mort et ressuscité (souffrances et gloires) était déjà présent dans la parole prophétique. La différence qui, pour ce qui concerne les destinataires de l’Épître, explique l’accès sans réserve à ces richesses est le nun (« maintenant »), le maintenant de « la grâce apportée par la révélation de Jésus-Christ » (1,13b), auquel s’ajoute l’action illuminatrice de l’Esprit Saint « envoyé du ciel » (1,12). L’on pourrait être tenté de limiter le rôle de l’Esprit à la qualification des diffuseurs de l’Évangile et à l’autorité de leur parole mais, puisque le contexte est celui de l’acquisition de nouvelles clartés, il y a de bonnes raisons de penser aussi à l’illumination du cœur des auditeurs. Pierre Prigent le note : « Le Saint Esprit révèle clairement l’Évangile qui était caché au creux des prophéties ».

Cette section pourrait donner l’impression d’un corps étranger au contexte. Après l’exaltation de la richesse de l’Évangile du Christ au début de la lettre (1,3-9), cette attention accordée aux prophètes surprend, d’autant qu’elle est suivie d’un autre exposé sur la « révélation de Jésus-Christ » et sur ses conséquences (13-21). Le lien est toutefois assuré par l’introduction « ce salut », et par le thème d’une prophétie devenant Évangile. Toutefois, une clarification était nécessaire : le salut prend corps dans la personne et l’œuvre du Christ, auxquels des hommes choisis et soutenus par l’Esprit portent désormais témoignage ; c’est « la vraie grâce de Dieu » dans laquelle les destinataires se tiennent (5,12). https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2018-1-page-1.htm

Cf. ici une discussion de cet article.

Remarque en passant: le "cercle herméneutique" du christianisme primitif, toutes tendances confondues, fonctionne avec fort peu de texte(s) de référence, un corpus effectif extrêmement restreint et morcelé: une poignée ou une "constellation" (en hébreu rabbinique on dirait une "couronne") de citations brèves et éparses ("versets"), combinées de façon plus ou moins régulière, rattachées exceptionnellement à un passage un peu plus long ("chapitres", notamment le "chant du Serviteur" d'Isaïe 52--3) lui suffit à reconnaître son "Christ" et son "évangile" chez (tous) "les Prophètes" (qui, pour rappel, désignent non seulement des personnages mais une partie du "canon", y compris dans la tradition juive un certain nombre de livres dits "historiques" d'après le classement gréco-latin, de Josué à Rois), voire dans tout l'"Ancien Testament". Les générations suivantes, plus "savantes" et mieux documentées, qui vont devoir assumer le rapport du "Nouveau Testament" à la totalité de l'"Ancien" en redécouvrant le contexte "original" de ses citations, d'abord en grec puis en hébreu, auront du pain sur la planche...

Le "lion rugissant" est directement inspiré de Psaume 22,14 (même participe dans la Septante); cf. aussi Ezéchiel 22,25 et 2 Timothée 4,17; quant au motif général de l'opposition au diable, on le retrouve dans les deux plus proches "parents" de 1 Pierre, Ephésiens (6,11ss) et Jacques (4,7).

Ta remarque sur le "après, pas avant" est logique et intéressante, mais le texte n'est pas si explicite ni (peut-être) si strictement logique -- surtout vu la banalité de ce genre de promesse (cf. 1,6ss // Jacques 1; 2 Thessaloniciens 3,3 etc.). Reste autour du motif de l'"épreuve-tentation" une ambiguïté fondamentale et une divergence d'énoncés et d'attitudes ici et là contradictoires: qu'on la considère comme désirable pour ses effets (purification, renforcement, etc.) ou à éviter (ne pas entrer en tentation), que Dieu en soit responsable ou non (encore Jacques 1), qu'il soutienne ses fidèles "pendant" ou les récompense "après"...

Je crains que pour le féminisme ou l'égalitarisme modernes, la "condescendance" comme la "pitié" (qui furent naguère des vertus du fort envers le faible) ne soient encore plus intolérables que les rapports de domination et de soumission bruts, voire brutaux...

Pour la "soumission" (hupotassô etc.) dans 1 Pierre, voir aussi 3,5.22 (renversement des rapports d''autorité" dans le Christ, écho atténué des deutéro-pauliniennes) et 5,5 (où le rapport des "jeunes" aux "anciens", à la faveur de l'ambiguïté du rapport de fonction et du rapport d'âge, se fond dans l'idée d'une soumission réciproque de tous à tous). A noter aussi que la relation générale au Christ/Dieu Seigneur/Maître relativise, c'est le cas de le dire, toutes les relations d'autorité et de soumission (maître/esclave, 2,13ss; mari/femme, 3,5s; "anciens"/autres, 5,5).

Ce qui ressort d'un tel texte (celui de Cothenet) près de quarante ans plus tard, ce sont les répétitions édifiantes ou lénifiantes d'une exégèse relativement conservatrice (catholique en l'occurrence) qui ont presque disparu aujourd'hui, même parmi ses héritiers et continuateurs directs: explication superficiellement rassurante de la pseudépigraphie par "un disciple de Pierre", attribution de tout ce qui ressemble de près ou de loin aux évangiles à une tradition "évangélique", sinon aux évangiles eux-mêmes ou au "Jésus historique" -- alors qu'on peut interpréter ces similitudes (encore plus fréquentes dans l'épître de Jacques) dans un sens diamétralement opposé: c'est le fonds commun de l'enseignement chrétien qui devient "parole de Jésus" dans les Synoptiques, surtout chez Matthieu et Luc...