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 Quel métier...

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MessageSujet: Re: Quel métier...   Quel métier... - Page 2 Icon_minitimeLun 03 Aoû 2020, 11:40

"Un court instant, je t'avais abandonnée, mais avec une grande compassion je te recueillerai ; dans un débordement d'irritation, un instant je m'étais détourné de toi ; mais avec fidélité, pour toujours, j'aurai compassion de toi, dit ton rédempteur, le SEIGNEUR. Il en sera pour moi comme aux jours de Noé : j'avais juré que les eaux de Noé ne se répandraient plus sur la terre ; je jure de même de ne plus m'irriter contre toi et de ne plus te rabrouer. Quand les montagnes s'en iraient, quand les collines vacilleraient, ma fidélité envers toi ne s'en ira pas, et mon alliance de paix ne vacillera pas, dit le SEIGNEUR, qui a compassion de toi" (Es 54,7-10).


"et qu'il y ait au milieu de lui ces trois hommes, Noé, Daniel et Job, ceux-ci sauveraient leur vie par leur justice — déclaration du Seigneur DIEU. Si je fais parcourir le pays par des animaux féroces qui en tuent les enfants, s'il devient un lieu dévasté où personne ne passe à cause de ces animaux, et qu'il y ait au milieu de lui ces trois hommes — par ma vie (déclaration du Seigneur DIEU), ils ne sauveraient ni fils ni filles ; eux seuls seraient sauvés, et le pays deviendrait un lieu dévasté. Ou si je fais venir l'épée contre ce pays, si je dis : « Que l'épée parcoure le pays ! », si j'en retranche les humains et les bêtes, et qu'il y ait au milieu de lui ces trois hommes — par ma vie (déclaration du Seigneur DIEU), ils ne sauveraient ni fils ni filles ; eux seuls seraient sauvés. Ou si j'envoie la peste dans ce pays, si je répands contre lui ma fureur par le sang, pour en retrancher les humains et les bêtes, et qu'il y ait au milieu de lui Noé, Daniel et Job — par ma vie (déclaration du Seigneur DIEU), ils ne sauveraient ni fils ni fille ; par leur justice, ils ne sauveraient que leur propre vie" (Ez 14,14 ss). 


Ezéchiel 14 est en rupture avec Isaïe 54, d'un côté un Dieu qui jure qu'il ne renoncera pas à punir son peuple ("par ma vie") et d'un autre côté, un Dieu qui regrette sa colère qui jure fidélité à son peuple et de ne plus s'irriter contre lui. En Ezéchiel, la justice des justes ne suffit plus à sauver le monde et il n’est pas question de grâce divine, car Yhwh est manifestement très en colère.
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MessageSujet: Re: Quel métier...   Quel métier... - Page 2 Icon_minitimeLun 03 Aoû 2020, 12:10

L'époque de référence (sans parler de date de rédaction) n'est bien sûr pas la même: Isaïe 54 ("deutéro-") suppose la séquence du VIe siècle (sièges et prises de Jérusalem, exils, destruction du temple, désolation de Juda, restauration à l'époque perse) passée (je t'avais abandonnée, je m'étais détourné de toi), tandis qu'Ezéchiel 14 se situe (au moins littérairement) pendant cette séquence.

Comme je l'avais brièvement signalé plus haut, le jeu de l'"intercession refusée" est exactement le même en Ezéchiel et en Jérémie, avec "Noé, Dan(i)el et Job" à la place de "Moïse et Samuel" (Jérémie 15). Au passage, cela suppose un certain nombre de traditions "extra-bibliques", puisque dans la Genèse Noé n'apparaît pas comme intercesseur, que le Daniel "biblique" (cf. chap. 9) est beaucoup plus tardif (la référence, peut-être commune aux deux textes, est plutôt à une figure ancestrale, comme le Danel d'Ougarit), et que chez le Job "biblique" (qui se présente aussi comme une figure ancestrale) l'intercession n'apparaît guère que dans le prologue et l'épilogue en prose.
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MessageSujet: Re: Quel métier...   Quel métier... - Page 2 Icon_minitimeLun 03 Aoû 2020, 12:46

Solitude du prophète

Les grands prophètes de l’Ancien Testament sont choisis par Yahveh de façon toute spéciale.
Ils sont mis à part « dès le sein maternel », comme le disent Isaïe et Jérémie (Isaïe 49, 1 ; Jérémie 1, 5). Ils ne font pas partie de ces « bandes de prophètes » ni d’une quelconque dynastie. Comme le précise Amos au prêtre de Béthel : « Je ne suis pas prophète, je ne suis pas frère prophète ; je suis bouvier et pinceur de sycomores. Mais Yahveh m’a pris de derrière le troupeau et Yahveh m’a dit : “Va, prophétise à mon peuple Israël” » (Amos 7,14-15). À cet arrachement initial s’ajoute une purification destinée à rendre le prophète apte à sa mission. La bouche d’Isaïe est purifiée par la braise, Yahveh touche la bouche de Jérémie qui « ne sait pas parler ». Dès lors la mission devient toute leur vie.
Mais, isolement supplémentaire, ils sont le plus souvent des prophètes de malheur. Ainsi Samuel craint de dire au prêtre Éli la parole très dure que Yahveh lui adresse (1 Samuel 3, 10-15). Sa mission conduit le prophète à risquer sa vie pour la parole qu’il porte. Élie à l’Horeb confesse devant Yahveh : « Je suis rempli d’un zèle jaloux pour Yahveh Sabaot, parce que les fils d’Israël ont abandonné ton alliance, qu’ils ont abattu tes autels et tué tes prophètes par l’épée. Je suis resté moi seul et ils cherchent à m’enlever la vie » (1 Rois 19, 14).

De plus le prophète est amené à poser des gestes symboliques qui font de sa vie une prophétie et un tourment. Osée doit épouser la prostituée Gomer (Osée 1, 3), Isaïe aller nu et déchaussé pendant trois ans (Isaïe 20,2-3), Ézéchiel se voir enlever sa femme (Ézéchiel 24,16). La déréliction du prophète est telle qu’il prend les traits du mystérieux Serviteur souffrant d’Isaïe, comme le proclame Jérémie : « Et moi, comme un agneau confiant qu’on mène à l’abattoir, j’ignorais qu’ils tramaient contre moi des machinations » (Jérémie 11, 19). Immense solitude du prophète dont le seul réconfort est la présence de Yahveh : « Sous l’emprise de ta main, je me suis tenu seul » (Jérémie 15, 17). https://croire.la-croix.com/Definitions/Fetes-religieuses/Solitude-prophete-2018-03-26-1700926703
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MessageSujet: Re: Quel métier...   Quel métier... - Page 2 Icon_minitimeLun 03 Aoû 2020, 13:15

Cela me rappelle ceci (du prophète au scribe, et de l'un comme de l'autre au personnage "littéraire", qui se confond avec l'expérience "religieuse" ou "mystique" indissociable, le cas échéant, de "Dieu" même).
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MessageSujet: Re: Quel métier...   Quel métier... - Page 2 Icon_minitimeLun 03 Aoû 2020, 13:50

L’ouvrage est sérieux et rigoureux; il propose à chaque étape, une traduction littérale du passage étudié ainsi que l’analyse philologique systématique des différents mots qui le composent et la critique textuelle de la péricope ainsi délimitée. L’A. en propose ensuite la structure et l’exégèse. Malgré les lourdeurs – parfaitement compréhensibles car elles tiennent au genre littéraire particulier qu’est une thèse –, les tableaux parfois très denses et de ce fait difficilement lisibles ainsi que le manque de translittération des termes hébraïques – deux éléments qui en font un ouvrage à destination (quasi) exclusive d’un public averti – ce travail met bien en évidence la valeur programmatique de Jr 6 qui apparaît, au final, comme une clé majeure de compréhension de l’ensemble de ce livre biblique. Dépassant largement les limites du texte étudié, l’ouvrage éclaire d’un jour nouveau la figure du prophète aux prises avec sa mission: «tiraillé entre deux malheurs: un malheur annoncé qui menace Jérusalem de l’extérieur et un autre dénoncé qui la ronge de l’intérieur. […] L’on touche finalement au mystère du mal contre lequel la parole prophétique se fait menaçante, voire violente, sans toutefois réussir à le vaincre définitivement. Elle se situe plutôt dans un effort continu et souvent inefficace pour convaincre ses auditeurs de l’urgence de leur conversion à la vraie vie» (p. 409). https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_2012_num_43_2_4026_t6_0272_0000_2
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MessageSujet: Re: Quel métier...   Quel métier... - Page 2 Icon_minitimeLun 03 Aoû 2020, 14:33

Le "mystère du mal" ou du "malheur", qui est aussi bien la chose la plus limpide et triviale au monde, ce serait précisément l'impossibilité d'y distinguer quelque "cause" ou "origine" première, quelque "utilité" ou "finalité" dernière, ni chez "soi" ni chez "les autres", ni chez "les hommes" ni chez "les dieux" (le revers de la "grâce" en somme); qui prétend le "combattre" en est déjà irrémédiablement atteint, et gagné, autrement dit perdu -- c'est-à-dire sauvé, peut-être, mais seulement alors au même titre que ce qu'il combat.
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MessageSujet: Re: Quel métier...   Quel métier... - Page 2 Icon_minitimeLun 03 Aoû 2020, 15:55

"Jusqu'à quand le pays sera-t-il en deuil, et l'herbe de toute la campagne desséchée ? A cause du mal que font ses habitants, les bêtes et les oiseaux disparaissent, car ils ont dit : Il ne voit pas notre avenir !" (Jé 12,4)

Autre paradoxe, le prophète (dans ce cas précis) est plus sensible à la catastrophe écologique (conséquence de la méchanceté), au sort des végétaux, des oiseaux et des bêtes plutôt qu'à celui des habitants du pays.
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MessageSujet: Re: Quel métier...   Quel métier... - Page 2 Icon_minitimeLun 03 Aoû 2020, 16:31

Si anachronique que soit (notre notion de) "l'écologie" en la matière, c'est un trait récurrent: cf. 4,25; 9,9; 50,3; Osée 4,3; Sophonie 1,3 (etc.).

(A la réflexion et hors sujet, je me demanderais plutôt si ce n'est pas notre notion d'écologie qui reste tributaire de la "moralisation prophétique", à qui il faut toujours des "méchants" pour expliquer le mal ou le malheur; comme si celui-ci ne résultait pas d'abord de l'enchaînement et de l'intrication mêmes des choses et des événements, au gré des "bonnes intentions" successives et concurrentes de toute sorte, productivistes, constructivistes, positivistes, progressistes, conservatrices, protectrices, capitalistes, socialistes, scientifiques, techniques, sécuritaires, sanitaires, etc. -- à telle enseigne que les "méchants" éventuels y deviendraient franchement superflus.)
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MessageSujet: Re: Quel métier...   Quel métier... - Page 2 Icon_minitimeMar 04 Aoû 2020, 11:45

La formule : "je n'ai pas refusé d'être berger à ta suite" (17,16) implique une tâche d'intercession qui, dans le cas de Jérémie, est clairement exprimée en 18,20 ("pour parler en leur faveur et détourner d'eux ta fureur") et 14,11 ("Ne prie pas pour le bien de ce peuple"). Cette compréhension s'harmonise bien avec "je n'ai pas désiré ce jour de douleur", ainsi  Jérémie n'a pas eu du mal ou de la peine à être berger, à la suite de Dieu. L'expression : "tu le sais, ce qui sort de mes lèvres est devant toi. (17,16) souligne  que le prophète montrait sa transparence absolue devant Dieu, et il entend le redire ici. Dieu sait tout ce qui sort de la bouche de Jérémie, et donc il sait qu'il n'a jamais souhaité le malheur de son peuple.
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MessageSujet: Re: Quel métier...   Quel métier... - Page 2 Icon_minitimeMar 04 Aoû 2020, 12:34

Si l'intercession de Jérémie est constamment mise en scène, et paradoxalement soulignée dans la mesure où elle se présente comme une transgression de l'interdiction expresse de Yahvé, il n'est pas du tout sûr que la phrase traduite par "je n'ai pas refusé d'être berger à ta suite" ait eu originellement ce sens-là (cf. mes deux premiers posts).

Tu fais bien de relever la suite du verset ("tu le sais..."): moment et site essentiel de la prière que ce "devant (le) dieu" (coram deo) où toute protestation d'innocence ou de bonne intention aboutit ou échoue tôt ou tard, pour s'en remettre à un "savoir" divin absolu, d'où découle aussi bien le "jugement" que la "grâce" (les exemples seraient innombrables, mais le psaume 139 est l'un des meilleurs).
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MessageSujet: Re: Quel métier...   Quel métier... - Page 2 Icon_minitimeMar 04 Aoû 2020, 15:31

Mes entrailles ! Mes entrailles ! Je souffre de toutes les fibres de mon cœur ! Mon cœur frémit, je ne peux pas garder le silence ;  car j'entends le son de la trompe, les acclamations de la guerre. On annonce désastre sur désastre : tout le pays est ravagé ; mes tentes sont ravagées tout à coup, mes abris de toile en un instant. Jusqu'à quand verrai-je la bannière, et entendrai-je le son de la trompe ?" (Jé 4,19-21)

Jérémie est malade du désastre qu'il prévoit, il soufre du plus profond de ses entrailles. A la différence des "prophètes" autoproclamés modernes qui annoncent la fin de l'humanité, l'auteur de ce texte ne se limite pas à une approche théorique ou conceptuelle de la destruction, il vit l'évènement du plus profonds de ses entrailles en imaginant la réalité du désastre :

"Ah ! si ma tête était fontaine, et mes yeux source de larmes ! Je pleurerais jour et nuit les victimes pour la belle, mon peuple !" (8,23).
 
"Si vous n'écoutez pas, je pleurerai en secret à cause de votre orgueil ; je verserai des larmes, mes yeux fondront en larmes, parce que le troupeau du SEIGNEUR sera emmené captif" (13,17).
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MessageSujet: Re: Quel métier...   Quel métier... - Page 2 Icon_minitimeMar 04 Aoû 2020, 16:52

C'est un peu plus près de ce que j'essayais de dire en évoquant ce texte: il y a dans le "malheur", quand il arrive (le jour du malheur), qu'on le voit arriver ou qu'il est déjà là, de toute façon inéluctable, irréversible, irrémédiable, une réalité qui annule d'un coup toute son anticipation et les sentiments ou ressentiments qui s'y rapportaient auparavant: tout désir, tout espoir, toute crainte, mais aussi toute satisfaction d'avoir "eu raison" le cas échéant. Restent la douleur et la tristesse, inséparablement passion et compassion, avec toute la passivité que ces mots impliquent, dès lors qu'il n'y a plus rien à faire. Devant un tel réel il n'y a pour ainsi dire plus de différence qui tienne entre bons et méchants, coupables et innocents, morts et vivants, hommes, animaux et dieux réduits à la même impuissance par le fait accompli.

C'est en effet tout autre chose qu'une prédiction théorique, laquelle, si fermement qu'on y croie ou qu'on croie y croire, reste irréelle tant qu'on ne la voit pas se réaliser, et en attendant sert de refuge, de diversion ou d'échappatoire à toutes les angoisses réelles. La verrait-on se réaliser tant soit peu qu'on en éprouverait de tout autres sentiments que ceux qu'on en escomptait.

Cette puissance déconcertante de l'événement, constante au fond mais discrète d'ordinaire et manifeste dans l'extraordinaire, n'a peut-être rien de "divin", elle ne mérite ni louange ni blasphème. Mais elle est au sens le plus fort du terme; contre elle les dieux mêmes ne peuvent rien, sans elle ils ne sont rien.
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MessageSujet: Re: Quel métier...   Quel métier... - Page 2 Icon_minitimeMer 05 Aoû 2020, 09:55

De nombreux TdJ ne réalisent pas que la destruction des "méchants" rime avec la disparition de toute leur famille non-TdJ, d'un père, d'une mère, d'enfants ... Cela correspond à vouloir (inconsciemment) la mort de sa famille pour (enfin) entrer dans le paradis. Comment aimer un Dieu qui a tué un membre aimé de sa famille ?
Peut-on vraiment vivre dans un monde (nouveau) qui est né dans le sang de notre famille ?
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MessageSujet: Re: Quel métier...   Quel métier... - Page 2 Icon_minitimeMer 05 Aoû 2020, 10:28

Comme tu dis ils "ne réalisent pas", il faut prendre ici l'anglicisme (réaliser = comprendre) en toute rigueur: ce n'est pas du "réel", c'est, par un autre anglicisme, une "alternative au réel", un succédané du réel qui n'est pas (le  / du) réel, aussi sincèrement qu'on prétende et qu'on croie y croire; et qui peut par conséquent servir d'échappatoire à la "réalité" commune, y compris à l'anticipation plus ou moins lucide du réel à venir, même si celui-ci s'annonce tout aussi catastrophique, autrement catastrophique. Si le "futur imaginaire" se "réalisait", devenait réalité présente, il cesserait instantanément de remplir ce rôle et les sentiments qu'on y attache changeraient du tout au tout.

Néanmoins le "réel" et l'"histoire" c'est aussi qu'on survit à tout, et qu'il n'y a pas de bonheur qui ne dépende d'horreurs innombrables: si des gens de notre âge (je te vieillis un peu) ont connu quelques moments de bonheur, ils les "doivent", en un sens, aux deux guerres mondiales qui les ont précédés, avec leurs tranchées, leurs bombardements, leurs camps de concentration et leurs bombes atomiques, et de proche en proche à tout l'enchaînement, contingent et fortuit peut-être, mais rétrospectivement inévitable, des atrocités d'avant et d'ailleurs. La vie continue, il n'y a pas de quoi se vanter mais c'est comme ça; la "réalité" et la "réalisation" c'est aussi et même surtout cela.

Si je croise cette conversation avec une autre, récente, je remarquerais toutefois qu'il y a des différences, des degrés et des seuils dans l'imaginaire même, ou dans l'usage qu'on en fait: de ce que je me souviens des années 1970-80, très peu de TdJ se représentaient la "grande tribulation" d'une manière même partiellement "réaliste", et chez ceux qui le faisaient c'était plutôt un trait psychopathologique. Un pas est franchi quand on se commence à se figurer "acteur" des événements, en particulier dans le rôle d'exterminateur, et qu'on y anticipe, donc qu'on y trouve déjà, du plaisir. La chose n'est pas tout à fait absente de la Bible et du judaïsme (plutôt rétro-projetée sur le passé légendaire de la conquête ou des guerres de Yahvé, éventuellement dans l'eschatologie tardive, Daniel, Qoumrân), elle est exceptionnelle dans le Nouveau Testament (les "armées" de l'Apocalypse restent globalement distinctes de ses destinataires).


Dernière édition par Narkissos le Mer 05 Aoû 2020, 10:59, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Quel métier...   Quel métier... - Page 2 Icon_minitimeMer 05 Aoû 2020, 10:49

Le "ils ne réalisent pas" s'applique également aux rédacteurs de la Watch qui comprennent l'horreur de la perte d'un membre de sa famille mais ils n'étendent pas leur raisonnement à la fin qu'ils annoncent  :

UN COMMANDEMENT INHABITUEL


Jérémie fait partie de ceux qui, à son époque, sont ‘ restés en vie ’. Il a survécu à la destruction de Jérusalem, mais les choix qu’il a faits n’ont eu aucune répercussion sur sa famille (Jér. 21:9 ; 40:1-4). Et pour cause : Dieu lui avait ordonné de n’avoir ni femme ni enfants, et de ne pas participer à certains événements de la vie courante des Juifs. — Lire Jérémie 16:1-4.
Chez les Juifs, il était normal de se marier et d’avoir des enfants. C’est ce que faisaient la majorité des hommes, ce qui permettait aux terres ancestrales de rester dans les tribus et dans les familles* (Deut. 7:14). Alors, pourquoi pas Jérémie ? En raison de ce qui pointait à l’horizon, Dieu lui avait dit de ne pas prendre part aux manifestations habituelles de tristesse ou de joie. Il ne devait ni réconforter les endeuillés ni manger avec eux après un enterrement, pas plus qu’il ne devait s’associer à l’allégresse des mariages juifs, réjouissances qui étaient sur le point de disparaître (Jér. 7:33 ; 16:5-9). Le comportement de Jérémie donnait du poids à son message et montrait toute la gravité du jugement à venir. Ce malheur finit par arriver. Pouvez-​vous imaginer les sentiments de ceux qui se trouvèrent réduits au cannibalisme ? Ou de ceux qui virent les cadavres de leurs proches dévorés par les affamés ? (Lire Jérémie 14:16 ; Lam. 2:20.) Jérémie n’était donc pas à plaindre. N’étant pas marié, il n’aurait pas à souffrir la perte d’un conjoint ou d’un enfant, alors que le siège de Jérusalem, qui allait durer 18 mois, et le massacre qui allait lui faire suite, décimeraient les familles. https://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/1102010147?q=destruction+famille&p=par



 
Citation :
si des gens de notre âge (je te vieillis un peu)


Si peu ...
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MessageSujet: Re: Quel métier...   Quel métier... - Page 2 Icon_minitimeMer 05 Aoû 2020, 11:35

J'ai rajouté un paragraphe à mon post précédent.

Le livre que tu cites est daté de 2010. Je suis allé voir car ce type d'argument dissuasif à l'égard du mariage et de la "procréation", pour "biblique" qu'il soit, est assez étonnant dans une religion vieillissante qui doit déjà l'essentiel de son accroissement, ou du moins de sa persistance, à la transmission d'une génération à l'autre.

On ne peut pas dire que la Bible dans son ensemble manque de "réalisme affectif", au sens du bon sens le plus ordinaire et transhistorique qui veut qu'on soit inégalement affecté par le malheur des autres (de sa fille plus que de sa nièce, etc., comme disait jadis Le Pen, le père): de l'histoire de Josias consolé de mourir avant la fin de sa dynastie aux discours eschatologiques des Synoptiques (malheur aux femmes enceintes) ou aux recommandations pauliniennes (ceux qui se marient connaîtront des détresses dans leur chair, moi je vous épargne), tout cela présuppose la même "logique" des sentiments, qui n'est qu'exceptionnellement contrariée (aimez vos ennemis). Ce n'est toutefois pas forcément un bon calcul, sauf égoïsme parfaitement étanche, car ceux qui n'ont pas de "proches" se rapprochent automatiquement des moins proches. Jérémie plus sensible aux malheurs de Jérusalem, Paul plus sensible aux tribulations de l'Eglise, etc.

L'intérêt théologique de l'affaire, qui ressort notamment de l'oracle à Baruch que j'ai évoqué plus haut (chap. 45), et qui est aussi bien anthropologique ou psychologique que théologique, c'est qu'en définitive il faut bien penser quelque chose comme "Dieu" au sens monothéiste, à la fois unique et personnel, pour entrevoir la scission profonde de notre "réalité": personnelle et impersonnelle, sensible et insensible, souffrante et impassible, etc.
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MessageSujet: Re: Quel métier...   Quel métier... - Page 2 Icon_minitimeMer 05 Aoû 2020, 12:37

"Ainsi parle le SEIGNEUR : On entend des cris à Rama,  des sanglots amers ;  c'est Rachel qui pleure ses fils ;  elle refuse de se laisser consoler au sujet de ses fils,
car ils ne sont plus" (Jé 31,15).

Dans ce texte, Jérémie se sert de l’histoire de Rachel pour décrire la souffrance incroyable de la destruction de Jérusalem, de sa tombe, Rachel pleure le sort de ses enfants qui sont morts dans la destruction (voulue par Dieu) de Jérusalem et je note qu'elle est "inconsolable", rien ne ramènera ses enfants. Il est intéressant de noter que Matthieu 2,16-18 utilise aussi cette image dans un contexte différent, celui l’infanticide à Bethléem provoqué par Hérode. Une constante demeure, Rachel est devenue un symbole fort d’une mère qui refuse d’être consolée devant la mort de ses enfants que cette mort soit provoquée par Dieu ou un homme. Cet exemple pose la question de la réparation ... Dieu peut-il rendre à ce qu'il a détruit ou compenser  la perte ? Souvent le mal divin est irréversible.
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MessageSujet: Re: Quel métier...   Quel métier... - Page 2 Icon_minitimeMer 05 Aoû 2020, 13:16

Rien n'est réversible ni réparable, pas la moindre larme: c'est le sens même de toute histoire, du moins un de ses sens mais le plus grave, le tragique, sans lequel il n'y aurait pas d'histoire du tout ni d'autre sens de l'histoire, ni léger ni comique. A preuve le ridicule intentionnel ou non de toute réparation, par exemple celle de l'épilogue de Job, quand Dieu donne d'autres fils à la place des premiers.

Sur les méandres linguistiques, conceptuels et affectifs de la "consolation", voir ici.
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MessageSujet: Re: Quel métier...   Quel métier... - Page 2 Icon_minitimeMer 05 Aoû 2020, 15:11

Une souffrance sans soulagement


Quel malheur pour moi! Le Seigneur ajoute le tourment à ma douleur; je me fatigue à force de gémir, et je ne trouve pas le repos ! Les échos de la douleur de Jérémie sont très forts (cf. 8.22-23; 15.18). Et il ne fait guère de doute que la cause de la souffrance de Baruch soit la même que celle du prophète : la prise en compte du caractère épouvantable de tout ce que Dieu a dit à travers Jérémie. Il faut se l’imaginer ayant non seulement entendu les prophéties de Jérémie une par une pendant le dernier quart de siècle une première fois, mais devant maintenant les entendre une fois de plus, toutes en même temps, qui s’accumulent, qui s’agglomèrent, qui remplissent ses oreilles, sa tête, son rouleau, dans un crescendo de malédiction et de dévastation. Et parallèlement, tous les jours, il a le rappel de l’immonde vérité sur la malignité et la corruption du peuple auquel il appartient, qui défie Dieu et rompt l’alliance.


Imaginez-vous cela. Prenez quelques instants à refeuilleter les pages de Jérémie 1 à 25 et à ressentir la flamme qui parcourt leur inlassable message. Ensuite, imaginez-vous en train de devoir consigner tout cela à la main, ligne par ligne, avec une plume et de l’encre, jour après jour. Puis n’oubliez pas que, pour Baruch, il ne s’agit pas de quelque rouleau antique sur un temps, un lieu et un peuple éloignés. Ça se passe ici et maintenant. C’est votre propre peuple. C’est votre époque à vous. C’est ce qui attend votre peuple et votre famille. C’est votre avenir immédiat. C’est votre Dieu. Ce sont les paroles de Dieu. C’est la voix de Dieu qui passe par la bouche de votre ami. Et vous savez que c’est la vérité. Et votre tâche consiste à la mettre par écrit. Puis à aller la lire dans le temple. Et vous savez que vous n’y couperez pas. Il y a quand même de quoi se plaindre…

... Mais à présent? À mesure que les années s’étirent, Baruch en serait-il venu à regretter cette décision ? Deviendrait-il aussi désabusé que Jérémie semble l’avoir été par moments? Car si les prédictions les plus sinistres de Jérémie viennent à s’accomplir, que va-t-il rester de l’existence de Baruch ? Lui et sa famille vont peut-être périr avec le reste de la classe régnante dans la conflagration finale. Et même si elles ne s’accomplissent pas, la carrière de Baruch est de toute façon compromise. Puisqu’il s’est irrémédiablement identifié avec le censeur le plus haï des autorités, celles-ci ne seront pas disposées à recourir de sitôt à ses talents professionnels. S’il a pu nourrir des ambitions pour un poste élevé, ou s’il a pu aspirer à faire de « grandes choses » ou l’espérer encore, cela semble de plus en plus vain avec chaque ligne qu’il écrit. https://www.xl6.com/articles/extraits-2/9782853310697.pdf
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Narkissos

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MessageSujet: Re: Quel métier...   Quel métier... - Page 2 Icon_minitimeMer 05 Aoû 2020, 16:13

Je ne sais pas de qui est ce commentaire "évangélique" (peut-être Christopher Wright, d'après le catalogue du site), mais à sa façon, disons "populaire", il met très bien en évidence (3a, p. 491ss) l'aspect proprement "théologique" de la souffrance, par où le "monothéisme" le plus "orthodoxe" s'ouvre sur un certain "panthéisme", qu'il le veuille ou non (de la patho-théologie à la panthéologie): la "souffrance de Dieu" comme fond sans fond de toute souffrance particulière, non seulement "humaine" mais "animale" et même au-delà, à l'horizon de pensée et de com-passion qu'appelle pour chacun l'expérience de la souffrance (mais aussi de la tristesse ou de la joie pour autant qu'elles sont aussi éprouvées, comme "émotions" ou "passions"). Pour rappel (j'ai déjà indiqué le lien avant-hier), une discussion antérieure de ce passage, en dialogue avec Jonas, peut être relue ici -- à mon sens elle le mérite aussi.
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