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| Porter la mort pour manifester la vie - 2 Corinthiens 4 | |
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Auteur | Message |
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free
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| Sujet: Porter la mort pour manifester la vie - 2 Corinthiens 4 Mar 03 Nov 2020, 16:46 | |
| Mais la fragilité n’attend pas la mort. Nu, vulnérable, Paul l’est au quotidien. Dans les incompréhensions communautaires, dans les comparaisons avec d’autres apôtres plus brillants, lui qui n’est ni recommandé en bonne et due forme par une lettre venue de haut ou par des performances spirituelles, ni recommandable sans doute. Il s’expose avec la seule pauvreté de sa parole, la folie de contester sagesse et puissance humaines pour ne pas éroder ce qui doit demeurer scandale, la croix. Le trésor de l’Évangile, la lumière rayonnante du visage du crucifié se gardent dans des vases de terre. C’est dans la glaise friable de l’ adam, la chair, que les apôtres portent ce qui les illumine. Une poétique en naît, la scansion d’un vécu sans cesse confronté à l’Évangile, douloureux mais transcendé, non jeté sur la page à l’état brut mais déjà élaboré par le travail littéraire pour devenir message. La nudité y est fragilité mais aussi dévoilement, lisibilité ; elle est une écriture corporelle de la croix : - Citation :
- Partout, écrasés mais pas étranglés, désemparés mais pas désespérés, pourchassés mais pas abandonnés, terrassés mais pas liquidés
Toujours portant le mourir de Jésus dans le corps afin que la vie aussi de Jésus en notre corps soit manifestée. (2 Co 4, 8-10.) https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2008-4-page-9.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Porter la mort pour manifester la vie - 2 Corinthiens 4 Mar 03 Nov 2020, 18:50 | |
| Joli texte (de Corina Combet-Galland). Ce que je trouve particulièrement remarquable dans 2 Corinthiens (je l'ai souvent souligné mais ça s'y prête à nouveau), c'est le jeu différencié du "nous" et du "vous", des "apôtres" (au sens paulinien) aux "chrétiens-en-général" (les destinataires), qui déjoue les limites d'une "spiritualité" purement individuelle ou collective pour l'inscrire dans une économie communautaire: ce n'est pas seulement "je meurs" ou "nous mourons" (souffrons, sommes humiliés, persécutés, angoissés, etc.) pour "vivre" (sous-entendu: le ou les mêmes), mais bien que les uns meurent (etc.) pour que les autres vivent (cf. v. 12, 14s; 5,13ss etc.; déjà 1,6s etc.). Ce dont on peut encore entendre des échos en Romains 14,7ss ou Colossiens 1,24, par exemple, mais qui n'est guère habituellement retenu dans un christianisme obnubilé par la question du salut individuel, collectif ou même universel. "La vie", dans toute sa métonymie, n'est ce qu'elle est qu'en passant continuellement, par "la mort" dans toute sa métonymie, d'un "vivant" à l'autre: ce qu'exprime sans doute à sa façon toute religion, toute sagesse, toute philosophie, toute littérature, toute musique, tout art, toute pensée. (Cf. p. ex. ici.) On peut remarquer aussi que cette "communication" de "la vie" passe par une certaine ostentation (monstration, exposition, exhibition, re-présentation) de "la mort", ou plutôt du "mourir" ( nekrôsis, la mort comme processus, cf. "nécrose", non thanatos, la mort en général, la mort abstraite, la mort "état" ou "condition" paradoxale), "porté(e) à l'entour" ( peri-pherô, cf. "périphérique") comme une procession ou une manifestation ( demonstration en anglais), à l'instar et comme cause ou moyen de la vie "manifestée" ( phaneroô); cf. les images du "triomphe" au chapitre 2, et ceci. |
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| Sujet: Re: Porter la mort pour manifester la vie - 2 Corinthiens 4 Mer 04 Nov 2020, 13:18 | |
| Qui possède un trésor s’arrange normalement pour le mettre en valeur en le disposant avec délicatesse et art. Tout au moins, il le met en sécurité dans un coffre résistant. Ce n’est pas le cas de l’apôtre : le trésor inestimable dont Paul vient de parler est contenu dans un vase d’argile… Comment est-ce possible ? Avant de reprendre cette image, remarquons que Paul va la traiter de sorte qu’elle engendre deux développements successifs : 1) faiblesse de la chair / puissance de Dieu – pour que la vie fasse son œuvre en vous ; 2) habitation extérieure aujourd’hui / maison dans les cieux demain – pour être près du Christ avec vous. Autour de ces deux développements, elle va prendre des harmoniques extrêmement variées et suggestives : revêtir / se dévêtir ; extérieur / intérieur ; visible / invisible (être manifesté) ; terrestre / céleste ; léger / masse (poids) ; momentané / éternelle ; demeurer / quitter ; foi / claire vision ; corps / âme ; présent / futur ; en apparence / en cœur ; ancien / nouveau.
Dans le contexte, cette image suggère trois propriétés, toutes dépréciatives : fragilité ; valeur marchande presque nulle ; enveloppe qui dissimule ce qu’elle contient. La gloire du Christ que proclame l’apôtre est bien un « trésor » ; mais l’apôtre demeure fragile et pauvre : les épreuves peuvent le briser ; et, par lui-même, il n’est rien, il ne peut rien. De plus, son « corps » (v. 10), ou, en d’autres termes, sa « chair mortelle » (v. 11), cache, au moins en partie, « l’illumination de l’Évangile de la gloire du Christ, lequel est l’icône de Dieu » (4,4). Reconnaître cette condition doit-il conduire à la tristesse ? Non : car elle permet à Dieu de manifester sa Puissance et au Christ de donner sa vie en partage. « Puissance de Dieu » : il semble juste de deviner derrière cette formule une qualification importante ; en effet, en 1 Co 1,18 et Rm 1,16, Paul définit la nouvelle manière dont Dieu est puissant par l’Évangile. Cela peut expliquer pourquoi les référents de la formule de 2 Co 4,7b sont asymétriques : « puissance de Dieu… [puissance qui ne vient] pas de nous ». On retrouve la belle affirmation du tout début de la lettre : « Vraiment, nous avons porté en nous-mêmes notre arrêt de mort, afin d’apprendre à ne pas mettre notre confiance en nous-mêmes mais en Dieu, qui ressuscite les morts » (1,9). http://biblissimo.over-blog.com/article-vases-d-argile-paul-2corinthiens-42198325.html |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Porter la mort pour manifester la vie - 2 Corinthiens 4 Mer 04 Nov 2020, 15:05 | |
| Pour reprendre une discussion antérieure (31.10.2020), c'est la même machine dialectique, logiciel binaire ou moteur à deux temps, quasiment indifférent aux termes qu'il oppose ( mort et vie, faiblesse et puissance, folie et sagesse, humiliation et gloire, etc.), qui opère d'un "sujet" ou d'un "couple" à l'autre (entre Dieu et le Christ, entre le Christ et nous, entre nous et vous). Il ne s'agit évidemment pas de réduire les textes pauliniens à un tel "mécanisme", mais de constater qu'il y est à l'oeuvre, même dans ce qui lui échappe et perturbe son fonctionnement. |
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| Sujet: Re: Porter la mort pour manifester la vie - 2 Corinthiens 4 Mer 04 Nov 2020, 16:58 | |
| - Citation :
- On peut remarquer aussi que cette "communication" de "la vie" passe par une certaine ostentation (monstration, exposition, exhibition, re-présentation) de "la mort", ou plutôt du "mourir" (nekrôsis, la mort comme processus, cf. "nécrose", non thanatos, la mort en général, la mort abstraite, la mort "état" ou "condition" paradoxale), "porté(e) à l'entour" (peri-pherô, cf. "périphérique") comme une procession ou une manifestation (demonstration en anglais), à l'instar et comme cause ou moyen de la vie "manifestée" (phaneroô); cf. les images du "triomphe" au chapitre 2, et ceci.
Lorsque tu fais allusion à une "certaine ostentation", je ne puis m'empêcher de penser au texte suivant avec ces "nous" et "vous" : "Car Dieu, il me semble, nous a exhibés, nous, les apôtres, à la dernière place, comme des condamnés à mort : nous avons été offerts en spectacle au monde, aux anges et aux humains. Nous, nous sommes fous à cause du Christ, mais vous, vous êtes avisés dans le Christ ; nous, nous sommes faibles, mais vous, vous êtes forts. Vous, vous êtes glorieux, mais nous, nous sommes déshonorés ! Jusqu'à l'heure présente, nous sommes exposés à la faim, à la soif, au dénuement, aux coups, à une vie errante ; nous nous donnons de la peine en travaillant de nos propres mains ; insultés, nous bénissons ; persécutés, nous supportons ; diffamés, nous encourageons ; nous sommes devenus les déchets du monde, le rebut de tous, jusqu'à maintenant" (1 Cor 4,9ss)Notes : 1 Corinthiens 4:9exhibés : un terme apparenté a été traduit par démonstration 2.4 ; cf. Ac 2.22n ; 2Th 2.4n. – Voir apôtres. – en spectacle : le terme grec, qui a donné notre mot théâtre, évoque probablement les combats de l’arène ; cf. 15.31s ; Rm 8.36 ; 2Co 4.11 ; Hé 10.33. – Un extrait technique et pas facile à lire : Ces deux aspects sont rendus par la même expression « vie de Jésus », mais celle-ci pour être formellement semblable, n'en a pas moins un sens différent. Cet écart de sens est sensible par l'usage en 4,10 de « peripherontes tên nekrôsin tou Iêsou », nous portons partout l'agonie de Jésus dans notre corps, et en 4,11 de « paradidometha eis thanaton dia Iêsoun », nous sommes livrés à la mort à cause de Jésus. J. Lambrecht, The nekrôsis of Jesus, commence son étude par un essai assez réussi pour préciser la différence entre mort et nekrôsis, mise à mort, dépérissement, mortification. X. Léon-Dufour dont l'étude sur mortification parue en 1983 dans Foi et Langage . Ce dernier pense qu'entre le processus psychologique et l'état qui supprime toute distinction entre nekrôsis et thanatos, entre mortification et mort, il y a place pour un sens sacramentel. Sans qualifier tout de suite le processus que caractérise « nekrôsis » de psychologique, de mystique, de sacramentel, de cosmique, d'écclésial, de corporatif, retenons qu'il s'agit d'un processus en voie de réalisation et aux effets présents lorsque l'apôtre écrit aux Corinthiens, alors que mort signale un fait unique, réalisé, dont les effets d'appropriation se répètent pour ceux qui en sont l'objet. De la même manière « la manifestation de la vie de Jésus dans notre corps » signale un processus en cours de réalisation et de développement qui est sensible à ceux qui rencontreront l'apôtre. Cette manifestation, pour sensible qu'elle soit, n'est pas une révélation. En effet elle peut être perçue sans être pleinement comprise et renvoyer au Christ ou ici à Jésus sans que tous les enjeux qui viennent de la grâce ou de la foi en soient pleinement recueillis. Pour préciser la nature exact de ce processus, les exégètes se sont interrogés sur la nature du corps dont il est question dans l'expression « notre corps ». Selon l'appréciation portée sur ce « corps », la compréhension du processus varie. Notons que corps intervient dans le couple de totalité nékrôsis-zôê, mortification-vie ; Même si corps n'exclut pas le corps ecclésial (De Fraine), voire cosmique (R. Bultmann), il s'agit tout d'abord de la personnalité apostolique de Paul. Il place ici au centre de sa double affirmation nekrôsis-zôê, la relation vitale, existentielle qui l'unit apostoliquement au Christ, et qu'il souligne du côté de la réalité présente, terrestre, visible, de la vie chrétienne. Paul n'a pas dit : la vie du Christ vivant, mais la vie de Jésus, car il a frôlé la mort dans son corps et pourtant il est resté en vie et peut poursuivre son ministère comme par miracle. Son corps, sa personne est une prédication en acte : il situe spontanément son ministère dans cette ligne et y tient d'autant plus que lui, le persécuteur est devenu apôtre. Le signe de son refus est ainsi devenu celui de son acceptation. https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1988_num_68_2_4959 |
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| Sujet: Re: Porter la mort pour manifester la vie - 2 Corinthiens 4 Mer 04 Nov 2020, 18:04 | |
| Maurice Carrez, dit affectueusement Moka, fumeux comme souvent... :) Personnage très attachant mais au discours parfois déconcertant, encore plus à l'oral qu'à l'écrit (j'ai eu la chance de le connaître un peu dans les années 1990, il est mort en 2002).
1 Corinthiens 4 est un excellent parallèle, quoique l'opposition du "nous" et du "vous" y prenne un ton ou un tour polémique et sarcastique (vous êtes rassasiés, vous êtes riches, vous avez commencé à régner sans nous, v. 8 ) qui est absent de 2 Corinthiens 4, mais qu'on retrouve en partie en 2 Corinthiens 11,16ss (comparer notamment le v. 19 à 1 Corinthiens 4,10, vous êtes sages).
"Agonie" pour nekrôsis est, sinon un contresens, du moins un télescopage étymologique (puisque agôn signifie la lutte, indépendamment de son issue). Il faut peut-être surtout souligner que le "processus de mort" s'entend aussi bien d'une "mise à mort" subie que d'un "mourir" actif, si l'on peut dire, du point de vue du sujet; et bien sûr que ce terme, même s'il est employé ici dans un sens plutôt "passif" (de la "passion" ou souffrance subie, épreuve, persécution, etc.), communique, dans le corpus paulinien notamment, avec un vaste vocabulaire de la "mortification" dans des contextes plus "parénétiques" (exhortations, paradoxalement "actives" dans une certaine mesure, à la "passion"): faire mourir, (nekroô), crucifier (stauroô) la chair, les membres ou parties du corps, etc. |
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| Sujet: Re: Porter la mort pour manifester la vie - 2 Corinthiens 4 Jeu 05 Nov 2020, 14:28 | |
| Dans ce contexte, il est possible de reprendre la racine étymologique évoquée au début de notre réflexion : il faut prendre en compte dans l’événement sa part d’avènement : dire la manière dont il parvient à son but, dont il s’accomplit chez le destinataire. Mais cet avènement n’est jamais acquis une fois pour toutes, mais est sans cesse à reprendre. Ainsi, pour marquer ce moment de reprise cher à Kierkegaard, l’expression la plus adéquate est celle du participe futur d’advenire. Conjugué au pluriel, cela donne adventura, l’aventure de l’existence, ou en registre chrétien : l’aventure de la foi comme une aventure ouverte, dans laquelle la foi répondant à l’événement de parole est continuellement confrontée à la possibilité de la non-foi, suggérée par la réalité dans laquelle retentit la parole interpellatrice. Alors, comme le souligne constamment Ricœur, le croyant est confronté à un « en dépit de… » qui habite sa foi. Ou pour le dire sur un autre registre : cette foi partage la paradoxalité de la prière du père de l’enfant épileptique dans le récit de Marc 9, 24 : « Je crois ! Viens au secours de mon manque de foi ! » Cette tension en fait un cheminement passionnant, à travers des péripéties exigeantes.
L’apôtre Paul a décrit de manière saisissante ce cheminement comme une destinée inscrite dans la corporéité fragile du croyant portant un trésor de lumière dans un vase d’argile (2 Corinthiens 4, 6-11) : « Car le Dieu qui a dit : que la lumière brille au milieu des ténèbres, c’est lui-même qui a brillé dans nos cœurs pour faire resplendir la connaissance de sa gloire qui rayonne sur le visage du Christ. Mais ce trésor, nous le portons dans des vases d’argile, pour que cette incomparable puissance soit de Dieu et non de nous. Pressés de toute part, nous ne sommes pas écrasés ; dans des impasses, mais nous arrivons à passer ; pourchassés, mais non rejoints ; terrassés, mais non achevés ; sans cesse nous portons dans notre corps l’agonie de Jésus afin que la vie de Jésus soit elle aussi manifestée dans notre corps. Toujours, en effet, nous les vivants, nous sommes livrés à la mort à cause de Jésus, afin que la vie de Jésus soit elle aussi manifestée dans notre existence mortelle. » https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2014-1-page-95.htm |
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| Sujet: Re: Porter la mort pour manifester la vie - 2 Corinthiens 4 Jeu 05 Nov 2020, 15:44 | |
| Je ne sais pas si ça apporte grand-chose à la lecture de 2 Corinthiens 4, qui n'est cité qu'en conclusion, mais c'est un bon tour d'horizon d'une certaine théologie du XXe siècle, j'allais dire la meilleure, celle en tout cas qui a compté pour moi -- et pour Bühler, visiblement; ce qui ferait plutôt ressortir, par contraste, l'indigence dans ce domaine ou dans ce genre de la production ultérieure, non seulement au XXIe siècle mais déjà depuis les années 1990 au moins (cf. les dates des notes bibliographiques, en tenant compte des rééditions). Que la disparition (partielle et progressive) de ce type de théologie portée à faire du sens, aussi bien des textes que de l'histoire, soit contemporaine de celle des idéologies politiques occidentales, c'est à mon avis tout sauf un hasard.
Pour revenir au texte, il est certain que dans le paulinisme le paradoxe temporel d'une eschatologie déjà et pas encore réalisée, et ainsi en voie de réalisation, est déterminant pour une lecture de toutes les "histoires" et de tous les "événements" (individuels, communautaires, politiques ou cosmiques); qu'un tel paradigme ne puisse pas se conserver indéfiniment, mais qu'il puisse toujours se réactiver, dans des modalités différentes qu'on peut observer au passé, mais non prédire au futur, c'est sa logique même.
Dernière édition par Narkissos le Jeu 05 Nov 2020, 17:14, édité 1 fois |
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| Sujet: Re: Porter la mort pour manifester la vie - 2 Corinthiens 4 Jeu 05 Nov 2020, 17:13 | |
| Dans le Nouveau Testament également, l’anamnèse fait référence à la mémoire qui rend le passé présent et actuel. Les évangiles sont d’ailleurs fondés sur la parole anamnétique des apôtres. Pourquoi ? Parce que les premiers disciples ont dû se laisser confronter au manque, celui de la présence de Jésus à leur côté. La souffrance de celui-ci sur la croix et sa mort signifiaient-elles que l’aventure se terminât ainsi ? Comment les premières communautés chrétiennes allaient-elles faire mémoire de Jésus-Christ ? Telles sont les questions qui sous-tendent l’élaboration des évangiles basés sur la foi en la résurrection. Le croyant est invité à penser la résurrection comme l’oeuvre de la mémoire de Dieu qui insuffle vie aux événements passés. Afin d’accueillir l’événement de la résurrection, les premières communautés chrétiennes devaient en quelque sorte apprendre, dans un premier temps, à « porter la mort en acte », c’est-à-dire à traverser ce que cette mort avait d’enfermant, de clôturant. D’ailleurs, à la place du mot grec thanatos qui désigne la mort subie, l’apôtre Paul recourt au terme nekrôsis qui signifie plutôt la mort en train de faire son œuvre ou peut-être même l’acte d’accepter la mort, ici de Jésus (2 Corinthiens 4,10-11). https://www.catho-bruxelles.be/wp-content/uploads/2017/09/Lanamne%CC%80se-2008-7p-Lichtert.pdf |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Porter la mort pour manifester la vie - 2 Corinthiens 4 Jeu 05 Nov 2020, 17:36 | |
| Ce scénario de conte -- Jésus meurt, les disciples sont désemparés, il reparaît et tout le monde est content -- a le mérite de convenir, superficiellement, aussi bien aux croyants qui y voient un miracle qu'aux rationalistes qui y devinent un phénomène de compensation psychosociale... C'est évidemment l'effet produit par les évangiles eux-mêmes, surtout chez ceux qui les ont peu lus, mais cela peut difficilement passer pour leur "cause", du moins aux yeux de l'exégète qui discerne dans chaque évangile l'oeuvre d'un "christianisme" déjà très élaboré et non le récit de "témoins" directement impliqués dans un "événement". Quant à "Paul" qui n'aurait jamais connu Jésus, sinon "ressuscité", on voit mal en quoi il aurait pu être affecté par sa mort...
Quoi qu'il en soit de "l'histoire" (je ne veux pas rouvrir ce débat stérile), "la mort (ou le mourir) de Jésus", sa croix ou sa crucifixion, son humiliation et son supplice, sa Passion ou sa souffrance, cela ne fonctionne nullement chez Paul (ni, à mon sens, dans aucun texte du NT) comme un "souvenir" plus ou moins traumatique, mais bien comme un mythème, un motif central du "mystère" chrétien qui donne à la fois un sens aux souffrances individuelles et collectives (c'est Jésus-Christ qui vit, souffre, meurt en moi / nous) et un moyen d'initiation ou de perfection ascétique ou mystique (je souffre, je meurs, nous souffrons et mourons dans le Christ pour passer en lui et avec lui de la mort à la vie, de la chair à l'esprit, du péché à la sainteté, de l'humiliation à la gloire, etc.); comme on l'a vu plus haut, ce "merveilleux échange" se rejoue transitivement et indéfiniment (de Dieu à l'homme, du Christ à nous-apôtres et de nous à vous, des uns aux autres, etc.). Il y a bien "anamnèse" ou remémoration si l'on veut, mais non d'un simple "passé" historique qui ne "sauverait" personne, et qui serait d'autant moins un "souvenir" que le temps passe et que l'"événement" supposé s'éloigne: c'est plutôt l'évocation toujours renouvelée d'un "mythe" ou d'un "mystère" trans-temporel, qui ne vieillit pas, et qui, rapporté à tout présent, l'ouvre sur l'éternité -- faut-il rappeler que chez Platon, l'"anamnèse" décisive n'est pas celle d'un passé temporel ni d'un souvenir quelconque, mais bien des "idées" éternelles dont la connaissance paradoxale, mémoire de l'immémorial (ce que je sais sans le savoir, ce dont je me souviens sans l'avoir jamais vécu ni appris) ne s'exprime que par le mythe (p. ex. de la contemplation pré-natale entre deux ré-incarnations de l'âme, ou préalable à la création du monde, selon les mythes de la métempsycose ou du démiurge) ?
D'où l'importance de la re-présentation dont on parlait plus haut: le "mythe" et/ou le "mystère" n'existent et n'opèrent qu'à être continuellement rejoués dans le rite et dans le récit (ce qui aboutira aux "évangiles" destinés à une lecture cyclique), mais aussi dans l'existence: la Passion du Christ, c'est dans les "sacrements", dans le texte et dans l'événement de sa lecture et de son audition, mais aussi dans la vie et dans la mort des fidèles, dans l'ascétisme, la persécution et le martyre qu'elle a lieu. |
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| Sujet: Re: Porter la mort pour manifester la vie - 2 Corinthiens 4 Ven 06 Nov 2020, 12:11 | |
| - Citation :
- D'où l'importance de la re-présentation dont on parlait plus haut: le "mythe" et/ou le "mystère" n'existent et n'opèrent qu'à être continuellement rejoués dans le rite et dans le récit (ce qui aboutira aux "évangiles" destinés à une lecture cyclique), mais aussi dans l'existence: la Passion du Christ, c'est dans les "sacrements", dans le texte et dans l'événement de sa lecture et de son audition, mais aussi dans la vie et dans la mort des fidèles, dans l'ascétisme, la persécution et le martyre qu'elle a lieu.
Merci Narkissos pour ces explications passionnantes. " Car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu". (Col 3,3) " Vous qui étiez morts du fait de vos fautes et par l'incirconcision de votre chair, il vous a rendus vivants avec lui, en nous faisant grâce pour toutes nos fautes" (1,13) " Si vous êtes morts avec le Christ aux éléments du monde, pourquoi, comme si vous viviez dans le monde, vous replacez-vous sous des prescriptions légales" (Col 2,20) L'expérience de la mort des croyants est un évènements liés à une vie caché en Christ, au fait qu'il leurs a été fait grâce de leurs fautes et à l'acte d'être "soustraits aux éléments du monde" (TOB). L'idée de faire l'expérience de la mort pour connaitre une autre vie est très présente dans le NT. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Porter la mort pour manifester la vie - 2 Corinthiens 4 Ven 06 Nov 2020, 13:10 | |
| "La mort", le mot, se prête d'autant mieux à la métonymie (usage dit figuré ou métaphorique) qu'il n'y a pas d'"expérience propre" de "la mort" (la chose, si c'en est une). "La mort" dont je peux avoir une expérience, c'est celle des autres, mais de la "mienne", "ma propre mort" qui est aussi bien ce qui m'est le plus étranger, je ne peux parler que par anticipation ou par analogie. Fascination à la lettre, faisceau d'angoisse et de désir, prolifération de langage et de représentation, de symbole et d'image, autour d'un silence têtu, des mythes les plus anciens jusqu'aux prétendues Near Death Experiences.
Ce qu'en ont fait les divers christianismes est exemplaire, mais (ou donc) non unique, ou bien unique comme tant d'autres (religions, traditions, etc.)... |
| | | le chapelier toqué
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| Sujet: Re: Porter la mort pour manifester la vie - 2 Corinthiens 4 Ven 06 Nov 2020, 14:55 | |
| Selon la conception bouddhiste de la mort, nous mourrons régulièrement puisque ce qui constitue notre personne change régulièrement au cours d'une même journée et qu'il n'est pas possible de revivre le passé. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Porter la mort pour manifester la vie - 2 Corinthiens 4 Ven 06 Nov 2020, 15:09 | |
| Puisqu'on est (en principe) dans 2 Corinthiens 4, difficile de ne pas songer au v. 16: impermanence extérieure et intérieure, tant du côté de ce qui périt ou pourrit (dia-phtheirô) que de ce qui se renouvelle (ana-kainoô)... |
| | | free
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| Sujet: Re: Porter la mort pour manifester la vie - 2 Corinthiens 4 Ven 06 Nov 2020, 21:10 | |
| Nous portons en notre corps la "nécrose" de Jésus
Dans un passage de la deuxième lettre aux corinthiens, Paul souligne l'opposition entre vie et mort, non pas comme il le fait souvent d'ailleurs, par le couple thanatos/zôè, mais par nekrôzis/zôè, ce qui en modifie le sens. La nekrôzis, c'est une "mort agissante", une mort en train de sa faire, une action qui tue, qui persévère. Voilà ce que Paul dit magnifiquement aux corinthiens :
nous portons toujours avec nous, dans notre corps, la mort de Jésus, pour que la vie de Jésus aussi se manifeste dans notre corps. Car nous qui vivons, nous sommes sans cesse livrés à la mort à cause de Jésus, pour que la vie de Jésus aussi se manifeste dans notre chair mortelle. Ainsi, en nous, c'est la mort qui est à l'œuvre, mais en vous, c'est la vie.(2 Co 4,10-12)
Ici Paul ne se réfère pas à la mort des penchants mauvais, mais il songe aux épreuves auxquelles l'expose sans cesse sa mission d'apôtre. La lutte de la vie contre la mort prend ici un aspect étrange, car c'est de cette mort subie par les apôtres que sort la vie pour les croyants. On pourrait certes penser à l'amour qui ne connait pas de limites, par exemple à celui que Paul a montré envers ses fidèles corinthiens : l'amour donne la vie ; mais le jaillissement en Paul vient de plus profond encore : c'est le Christ qui le "fait mourir" et qui lui communique sa force vitale, avec une telle surabondance que la vie ne triomphe pas seulement de la mort qui agit en lui, mais s'épanouit dans les autres.
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Dernière édition par free le Sam 07 Nov 2020, 10:55, édité 2 fois |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Porter la mort pour manifester la vie - 2 Corinthiens 4 Ven 06 Nov 2020, 22:56 | |
| Formellement, l'ambiguïté est multiple, à plusieurs entrées, puisque d'une part le substantif nekrôsis peut signifier aussi bien la "mise à mort" active ou passive, agie ou subie, que le "mourir" du point de vue de n'importe quel mourant; et d'autre part que le génitif (tou Ièsou, de Jésus) peut s'entendre au sens dit "subjectif" ou "objectif": la mort, la mise à mort ou le mourir que meurt ou vit "Jésus", qu'il subit ou souffre, "goûte" comme disent d'autres textes (mais d'après le contexte cette mort est tout de même portée à l'entour par "nous"), ou celle qu'il produit, ("nous") donne ou ("nous") fait subir, ou qui a de quelque manière un rapport à lui. De même, mutatis mutandis, pour "la vie de Jésus" (celle qu'il reçoit de sa résurrection, qui lui appartient, qu'il communique, qui provient ou relève de lui, et ainsi de suite); ou, en Romains ou Galates, "la foi de Jésus-Christ", expression tout aussi marquante par son ambiguïté même. Il serait bien sûr tout à fait arbitraire et vain de vouloir trancher ou arrêter cette hésitation exégétique, non seulement parce que toutes les options ou combinaisons d'options reviendraient à peu près au même "sens" général, mais parce que l'indécision même fait partie intégrante du texte, elle fait pour ainsi dire vibrer et résonner les formules, (presque) autant en français qu'en grec. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Porter la mort pour manifester la vie - 2 Corinthiens 4 Sam 07 Nov 2020, 12:07 | |
| Au sujet du terme " nekrôsis", un extrait : Et maintenant, tournons-nous vers Abraham ! Comment Paul en parle-t-il ? Ce qui est en cause ici, c'est le couple centenaire à qui a été faite la promesse d'une postérité. A plaisir, Paul souligne que sa stérilité lui ferme définitivement toute perspective d'avenir. Par deux fois, il parle de « nécrose », d'abord d'Abraham, ensuite du sein maternel de Sara (Rom.4, 19). Si la promesse d'une postérité s'accomplit, c'est bien par l'effet d'une intervention où Dieu manifeste sa souveraine puissance. Paul insiste sur ce point avec une formule qui mérite d'être soulignée. Le Dieu d'Abraham est celui qui fait vivre les morts et qui nomme ce qui n'est pas comme si cela existait (Rom. 4, 17). L'allusion à la résurrection du Christ est évidente : Paul se rappelle l'événement du chemin de Damas ( ); c'est le même Dieu qui rendit à la vie le crucifié déjà enseveli, et qui donna la puissance de procréer à ce couple centenaire. Ceux qui participent à la vie du Christ présent en eux sont assimilés à la postérité d'Abraham, puisqu'ils sont, comme Isaac, engendrés à la vie à partir d'un état de complète nécrose grâce à l'intervention de Celui qui fait vivre les morts. La vivication du couple nécrosé est, sous la plume de Paul, une parabole de la résurrection. On peut aller plus loin. J'ai évoqué tout-à-l 'heure la difficile allusion à l'événement de Damas dans la seconde épître aux Corinthiens (II Cor.4, 6). Paul voit dans sa conversion un acte relevant de la même puissance qui a dit : Que la lumière soit ! Sa naissance à la vie de la foi fut donc pour lui, si je ne me trompe pas sur ce texte, un acte en quelque manière créateur. C'est à ce même Dieu créateur que Paul pense quand il définit le Dieu qui donna Isaac au couple nécrosé, en disant de ce Dieu qu'«il nomme ce qui n'est pas comme si cela existait » (Rom. 4, 17). Ce Dieu a donc nommé Isaac avant qu'il existât ; Isaac pour lui existait déjà dans son dessein. Identiquement, Paul dit de lui-même, à propos de sa conversion, que Dieu l'avait mis à part dès avant sa naissance, avant qu'il existât, parce que, pour Dieu, il existait déjà dans son dessein. Ici et là est intervenue la puissance créatrice pour qu'un être accédât à la vie. Ainsi, l'homme est privé d'avenir en son état naturel ; et même s'il est sous la loi, qui n'a pas le pouvoir de faire vivre (comme Paul le souligne dans Ga. 3, 1 1 où il oppose la promesse faite à Abraham et la loi). L'homme est en état de nécrose, comme le patriarche et son épouse, mais la même puissance de vie et de résurrection, la même force créatrice et restauratrice de la vie se manifeste dans l'accomplissement de la promesse d'une postérité et dans la participation du croyant à la résurrection du Christ. https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1973_num_53_3_4164 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Porter la mort pour manifester la vie - 2 Corinthiens 4 Sam 07 Nov 2020, 12:39 | |
| En effet, Romains 4,19b est le seul autre passage du NT où apparaît le substantif nekrôsis, à propos du "sein" (ventre, matrice, mètra, dérivé de mèter, mère) de Sara; mais il y fait écho au verbe apparenté nekroô (de nekros, le "mort", non pas "la mort" = thanatos), qui est utilisé dans la première partie du verset à propos du "corps" (sôma) d'Abraham (nenekrômenon, participe parfait passif de nekroô); le verbe, lui, se retrouve en Colossiens 3,5, en contexte "parénétique" (faites mourir les "membres" ou "parties du corps" terrestre[s]), et de nouveau en Hébreux 11,12 à propos d'Abraham. C'est toujours la mort comme "processus" qui est en vue.
Je partage ta réaction sur la référence au "chemin de Damas" (d'après les Actes), incongrue dans l'exégèse d'un texte paulinien. Mais cela fait partie des habitudes du langage théologico-pastoral des années 1970, même chez les auteurs critiques, que de rattacher l'exégèse de n'importe quel texte aux "lieux communs" du catéchisme ou de l'"histoire sainte" (ainsi des références à "Pâques" ou à la "Pentecôte" pour des textes où il n'en est absolument pas question). Les "spécialistes" n'en sont généralement pas dupes, mais cela a toujours un effet harmonisant et rassurant pour le lecteur ordinaire, qui a ainsi l'impression de rester en terrain connu et de ne jamais voir le cadre général de sa croyance remis en question. Dans ce cas précis joue aussi une autre tendance lourde de l'époque, qui consiste à ramener tout texte à un "auteur" et à une "intention", ce qui revient presque toujours à le "psychologiser" (en l'occurrence, expliquer les énoncés pauliniens à partir de l'individu "Paul" et de sa biographie supposée, et en particulier d'une "expérience de conversion" reconstituée tant bien que mal au moyen des Actes et de rares morceaux d'allure autobiographique dans les épîtres). |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Porter la mort pour manifester la vie - 2 Corinthiens 4 Sam 07 Nov 2020, 14:34 | |
| Ce texte de 2 Co 4,10 indique (peut être) que le processus de transformation ("corps naturel" qui se métamorphose en "corps spirituel") commence et se produit pendant sa vie de croyant en portant la mort de Christ qui fait dépérir "l'homme extérieur" au profit de "l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour".
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| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Porter la mort pour manifester la vie - 2 Corinthiens 4 Sam 07 Nov 2020, 16:22 | |
| On peut le dire comme ça. A mes yeux l'un des problèmes majeurs de la théologie traditionnelle, comme de toutes les "disciplines" plus ou moins "scientifiques" (et même "pseudo-scientifiques") qui reposent sur la même organisation artificielle des savoirs en "domaines" ou en "champs" distincts, éventuellement et secondairement ordonnés et hiérarchisés les uns par rapport aux autres, c'est précisément de ranger les énoncés dans des boîtes ou des tiroirs bien séparés (théologie stricto sensu comme "doctrine de Dieu", christologie, pneumatologie, sotériologie, eschatologie, éthique, ascèse, mystique), comme si à chaque fois on parlait de tout autre chose; et de ne jamais envisager l'unité de tout cela autrement que comme la construction d'un "système", au mieux cohérent mais foncièrement hétéroclite, composé de pièces autonomes qui pourraient être à chaque fois différentes ou autrement disposées. De cette façon on ne saisit jamais l'unité essentielle ou organique d'un propos théologique (paulinien ou johannique par exemple). Pire, on mélange dans chacun des "domaines" présupposés des propos théologiques hétérogènes (ce que Paul, Jean, Pierre, Jacques, disent sur "Dieu", "le Christ", "l'Esprit", le "salut", la "fin du monde" ou l'"au-delà", la " vie chrétienne", etc.) sous prétexte qu'ils ont l'air de parler différemment de la même chose. C'est particulièrement catastrophique pour un "monothéisme" censé être une révélation de l'Un plutôt qu'un catalogue d'enseignements disparates sur mille "sujets". Comment ne pas voir que le "mystère" paulinien, par exemple, est toujours le même, unique dans le fond, avec le même jeu dualiste et dialectique ( mort et vie, faiblesse et puissance, chair et esprit, péché et gloire, etc.) quel que soit le "domaine" auquel il se rapporte contextuellement et superficiellement (p. ex. la "résurrection des morts" en 1 Corinthiens 15, le destin des "apôtres" et des autres chrétiens en 2 Corinthiens 4, le baptême comme initiation en Romains 6, et ainsi de suite) ? Non que les différents textes "pauliniens" à des degrés divers disent toujours la même chose -- il y a bien à cette égard une évolution et une différenciation, non seulement des énoncés mais de la "théologie paulinienne", si on veut l'appeler ainsi -- mais il se réfèrent toujours à un "mystère" unique, quel que soit l'angle sous lequel ils l'évoquent. De ce point de vue-là on comprend mieux que "la même chose" soit tantôt rapportée à la mort et à la résurrection du Christ, au baptême ou à l'eucharistie, à l'exhortation morale, à la persécution ou au martyre, ou à la parousie future et à la résurrection des morts. (Cela rappellera peut-être ceci.) |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Porter la mort pour manifester la vie - 2 Corinthiens 4 Sam 07 Nov 2020, 17:24 | |
| "Et nous, pourquoi sommes-nous à toute heure en péril ? Chaque jour je meurs, mes frères, aussi vrai que vous êtes ma fierté en Jésus-Christ, notre Seigneur. Si c'est pour des vues humaines que j'ai combattu contre les bêtes à Ephèse, quel avantage m'en revient-il ?" (1 Co 15,29-32)
Je ne sais si cela a un rapport mais j'ai le sentiment que l'expression "Chaque jour je meurs" exprime l'idée de "la mort comme processus". |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Porter la mort pour manifester la vie - 2 Corinthiens 4 Sam 07 Nov 2020, 17:50 | |
| Tout à fait, quoique ici ce soit le verbe apo-thneskô (composé de thneskô variante de thanô, d'où thanatos "la mort", et non nekron, nekroô, nekrôsis etc.), le plus courant des verbes pour "mourir" dans le NT. L'effet de "processus" ("progressif", si l'on ose écrire en pareil cas) est marqué en l'occurrence par le temps (présent) du verbe, surtout associé à la locution adverbiale (et) temporelle kat'hèmeran, "chaque jour".
Cet aspect processuel, progressif, duratif ou répétitif me rappelle après coup la citation du psaume 44,23 (LXX 43,23) en Romains 8,36, qui calque une tournure hébraïque, mot à mot: "nous sommes mis à mort tout le jour"; là c'est encore un autre verbe, thanatoô directement construit sur thanatos, qui apparaît aussi au v. 13 dans un usage qu'on pourrait qualifier (au choix) de parénétique, d'ascétique ou de mystique, "par l'esprit faire mourir les pratiques du corps"; ou encore en 7,4 dans une analogie juridique un peu bancale avec la veuve libérée de son mari par la mort de celui-ci, "mourir à la loi", et ainsi de suite. Le choix du vocabulaire au fond importe peu, chaque texte produit ses effets avec des quasi-synonymes, en eux-mêmes interchangeables (cf. p. ex. 2 Corinthiens 6,9: "comme mourant[s], apothneskontes, et voici que nous vivons; comme châtiés, mais non mis à mort, thanatoumenoi"; on intervertirait les deux termes que ça fonctionnerait tout aussi bien). En tout cas le champ lexical de la mort est foisonnant dans le NT, sans parler des champs connexes ou contigus (souffrance, faiblesse, etc.). Ce qui n'est au fond qu'un exemple exemplaire, si j'ose dire, de ce que j'évoquais plus haut: la prolifération générale du langage et de la représentation, de la langue et du symbole, autour de ce point aveugle, sourd, muet, opaque, que désigne d'une façon ou d'une autre "la mort". |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Porter la mort pour manifester la vie - 2 Corinthiens 4 Dim 08 Nov 2020, 12:28 | |
| - Narkissos a écrit:
- Puisqu'on est (en principe) dans 2 Corinthiens 4, difficile de ne pas songer au v. 16: impermanence extérieure et intérieure, tant du côté de ce qui périt ou pourrit (dia-phtheirô) que de ce qui se renouvelle (ana-kainoô)...
J'ai relu ce verset ainsi que les suivants avec intérêt et je te remercie d'avoir attiré mon attention sur cette impermanence extérieure et intérieure qui seraient en train de dépérir. Je note que pour Paul cela semble le rapprocher d'une gloire éternelle (v.17) qui est préparée pour les croyants et que selon le verset 18 l'important n'est pas ce qui se voit et provisoire, mais ce qui est invisible et éternel. Le Bouddha enseigna que tous peuvent accéder à la nature de Bouddha en enlevant les voiles qui obscurcissent et cachent cette nature. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Porter la mort pour manifester la vie - 2 Corinthiens 4 Dim 08 Nov 2020, 12:46 | |
| Par une autre coïncidence, l'image du voile (de Moïse et de l'Exode, de la loi et de l'alliance, de la lettre et de l'esprit) est aussi déterminante dans le contexte (3,13ss; 4,3s).
L'"impermanence", si on veut l'appeler ainsi, n'est pas seulement du côté du dé-périr (corruption, pourrissement, décrépitude, dégénérescence, décadence, usure, érosion, destruction, disparition, tout ce qu'évoquent en grec phthora ou phtheirô et leurs dérivés), mais aussi bien (quoique symétriquement) dans son "contraire": ce qui s'y oppose n'est pas une "permanence" immobile ou immuable mais un "renouvellement" -- encore un "processus" ou une "impermanence", mais positifs -- concept-clé qui se retrouve dans des "paulinismes" très différents, cf. Romains 12,2 (renouvellement de l'esprit-intellect, à rapprocher de 6,4 ou 7,6, nouveauté de la vie ou de l'esprit-souffle); Colossiens 3,9s; Tite 3,5, pour le même verbe ana-kainoô (qui d'ailleurs fait ici une certaine allitération avec le dé-voilement ou ré-vélation, ana-kaluptô, 2 Corinthiens 3,14.18). L'image du renouvellement intérieur et de la dé-perdition extérieure -- comme une source en terrain plat qui jaillirait ou affleurerait au centre et s'écoulerait à la périphérie -- est d'ailleurs très parlante.
Contrairement à la tradition parménidienne ou platonicienne (dont l'épître aux Hébreux est sans doute le texte le plus proche dans le NT) de l'invariance, de l'être ou de l'éternité immuables (exemplairement des "idées" mathématiques ou des "figures" géométriques perçues comme intemporelles), on a ici une perpétuité mouvante ou un mouvement perpétuel, un devenir absolu ou une impermanence permanente, si l'on ose dire, qui s'accorderait plutôt à la tradition d'Héraclite prolongée à sa façon dans le stoïcisme (l'influence philosophique majeure, quoique discrète, du paulinisme). |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Porter la mort pour manifester la vie - 2 Corinthiens 4 Dim 08 Nov 2020, 15:28 | |
| La nouveauté christique.L’homme intérieur, dit Paul, se renouvelle de jour en jour, tandis que l’autre se défait, se corrompt.Le mot renouveler, le mot de nouveauté, est donc associé à la mention de l’homme intérieur. C’est en ce sens-là que le Christ est le nouvel Adam. Et ici est noté qu’il se renouvelle de jour en jour, tandis que l’homme extérieur se détruit progressivement. Nous avons ici la traduction paulinienne de la phrase de Jean : « C'est ceci la disposition nouvelle que je vous écris, ce qui est vrai en lui et en vous : que la ténèbre est en train de partir et que la lumière, la vraie, déjà luit. » (1Jn 2, . C'est la situation dans laquelle nous sommes. Autrement dit, pour autant que nous naissons à l'Évangile, notre homme intérieur s'accroît et pour autant que nous mourons au péché – "mourir à", expression très importante chez Paul – notre homme extérieur se défait. Nous avons ce processus. Rappelez-vous qu'entendre l'Évangile, c'est naître : « À ceux qui l'ont reçu, qui ont cru en son Nom, il a été donné de devenir enfants de Dieu, eux qui sont nés ni des sangs, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté d'un homme, mais de Dieu » (Jn 1, 12-13) . Autrement dit, nous sommes chronologiquement, dans un premier temps, nés de la chair et du sang. Mais avoir la foi ou entendre la parole de Dieu, c’est naître de plus originaire. C’est plus originaire en un sens et, en même temps, c’est plus nouveau parce que cela vient après, conformément à cette conception du temps chez Jean, comme dit le Baptiste : « Il vient après moi parce que avant moi il était ». Nous sommes originairement voulus, séminalement posés, j’allais dire : de toute éternité séminalement posés. Ce qui apparaît d’abord dans la croissance, c’est le fruit d’une autre semence, mais la foi accomplit la germination et la croissance de la semence originelle qui est en tout homme. http://lachristite.canalblog.com/archives/2015/05/23/32103525.html |
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