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| aurore | |
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Narkissos
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| Sujet: Re: aurore Ven 03 Avr 2020, 02:23 | |
| A défaut des fêtes traditionnelles cette année, c'est une figure un peu oubliée mais essentielle de la Pâque juive qui se rappelle massivement, quoique silencieusement et obscurément, à notre mauvais souvenir -- le dieu ou l'ange exterminateur, Yahvé soi-même dans l'Exode (chap. 12), l'ange de la mort (ml'k h-mwt) dans la tradition juive ultérieure, mais encore "l'ange (unique) de Yahvé" dans les récits de 2 Samuel 24 // 2 Chroniques 22 ("peste" consécutive au recensement et fondatrice du temple de Jérusalem) ou de 2 Rois 19 (extermination du camp assyrien qui délivre la ville assiégée) par exemple. Contrepartie ou contrechamp nécessaire du "salut" (d'Israël ou de Jérusalem en l'occurrence) dans tous les cas.
Ce qui me rappelle ce fil où nous étions partis, à l'occasion d'autres Pâques, d'une autre figure de la mort -- non pas nocturne mais solaire celle-là, dans le psaume 104 inspiré de l'hymne égyptien à Aton: le dieu qui ramène à lui son souffle-esprit (rwh/rouah-pneuma) comme il le donne, et renouvelle ainsi la face de la terre comme le jour après la nuit. Point de dieu qui sauve ou fasse vivre si aussi il ne perd et tue. Cela nous ramène à un certain sérieux, à une gravité dont dépend aussi toute légèreté à venir.
Penser la mort, la vie comme la mort et la mort comme la vie, c'est bien sans doute ce qui nous manque le plus en général comme dans les circonstances présentes, qui ont le funeste avantage de nous y obliger.
Yhwh fait mourir et il fait vivre, il fait descendre au séjour des morts et il élève (ou fait monter, ou remonter). (1 Samuel 2,6. Le rythme même.)
Dernière édition par Narkissos le Ven 03 Avr 2020, 10:58, édité 1 fois |
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| Sujet: Re: aurore Ven 03 Avr 2020, 10:43 | |
| PLACE QU'OCCUPE LA PAQUE dans l'Ancien Testament est tout à fait singulière. En effet le rituel de la célébration pascale est donné dans la première partie du livre de l'Exode (Ex 12) et vient interrompre le récit des plaies d'Egypte ; il est donc antérieur au don de la Loi au Sinaï. Autre observation qui va dans le même sens : la Pâque ne figure pas dans le plus ancien calendrier liturgique d'Israël en Ex 23, 14-17. Enfin il est un autre trait qui caractérise la Pâque : sa célébration est nocturne, et ce caractère nocturne, la Pâque l'a gardé jusqu'à aujourd'hui, car il est lié à ses origines.
Le rite pascal se célèbre au printemps ; il a lieu lors de la pleine lune, se déroule de nuit et réunit toute la famille. Ayant lieu au printemps, ce rite est pratiqué lors du départ pour la transhumance avec les troupeaux. Le rituel comporte deux éléments : un rite de sang et un repas. À partir de l'immolation d'un animal du troupeau âgé d'un an, le père de famille accomplit le rite du sang, puis a lieu un repas où la chair de la victime a été préalablement rôtie.
Le rite du sang, le plus étrange pour nous, est un rite apotropaïque, c'est-à-dire un rite destiné à détourner les puissances hostiles capables de s'en prendre au troupeau et à protéger la tente et ses habitants. Ce rite s'adresse à des puissances de mort qui se trouvent hors de la tente, puisque l'application du sang est faite sur les montants. Le sang doit agir sur elles, soit comme une chose agréable, soit comme une chose désagréable qui les met en fuite. Ce rite est complété par celui du repas qui a pour but de remercier la divinité qui dispense la pluie et assure la fécondité du troupeau. En vue du repas, une victime est donc immolée, mais cette immolation n'exige ni sanctuaire, ni autel, ni ministre. C'est le chef de famille qui accomplit le rite qui doit assurer la vie du groupe et de ses troupeaux.
Le rite est ici clairement mis en rapport avec le Seigneur (YHWH). La divinité protectrice n'est plus anonyme, mais il s'agit du Dieu d'Israël qui doit « traverser l'Egypte pour la frapper et qui verra le sang sur le linteau et les deux montants » (Ex 12, 23a) de la maison des Israélites. Le v. 23b précise : « Le Seigneur passera devant la porte et ne laissera pas le Destructeur entrer dans vos maisons. » On observe ici que le Seigneur et le Destructeur se tiennent l'un en face de l'autre comme agents du châtiment ; tous deux viennent pour frapper, mais le Seigneur protège les maisons des Israélites et empêche le Destructeur de les frapper. Ainsi le Seigneur l'emporte sur le Destructeur dont l'identité est difficile à percer, mais on peut au moins dire qu'il représente les puissances de mort. En Ex 12, 23, il s'agit d'un être personnel maléfique, tandis qu'en Ex 12,13, il est question d'un fléau destructeur qui ne peut atteindre les Israélites ; il s'agit alors d'une puissance impersonnelle. On est donc en présence d'une évolution qui veut éviter sans doute de mettre Dieu et le Destructeur sur le même pied. https://liturgie.catholique.fr/wp-content/uploads/sites/11/import/pdf/import-240_paque_passage_mort_vie.pdf
Dernière édition par free le Jeu 24 Déc 2020, 17:39, édité 1 fois |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: aurore Ven 03 Avr 2020, 11:40 | |
| Qui dit rythme (voir supra) dit jeu de même et d'autre, de l'autre dans le même et du retour du même dans et par l'autre; pli, dépli, repli à effet d'identité et d'altérité, de répétition et de variation, dont on ne pourra jamais dire quand, où et comment ça a commencé puisque le "propre" du rythme est de se remarquer comme il se marque, par plus d'un (et de deux, et de trois...) coup(s).
Le dieu présumé unique se double ou se dédouble en ange (ml'k, "envoyé, émissaire"), en destructeur (mshyt-mashhit en 12,23 en grec olethreuonta, participe du verbe olethreuô, cf. le substantif olothreutès en 1 Corinthiens 10,10 qui se réfère à un autre épisode, celui des "serpents brûlants" qui en hébreu sont aussi des "séraphins", cf. Nombres 21 et Isaïe 6; olothreuô au participe substantivé en Hébreux 11,28, pour la Pâque; et le substantif olethros en 1 Corinthiens 5,5; 1 Thessaloniciens 5,3; 1 Timothée 6,9, "destruction"), ailleurs en "satan" ou "diable", "prince" ou "dieu de ce monde", ou encore en "main droite et main gauche de Dieu" chez Luther par exemple.
On ne saurait penser l'"un" (comme "Dieu" ou autrement) -- c'est-à-dire "penser" tout court -- sans le rapporter à "tout" et lui rapporter "tout", soit tous les termes des oppositions qui structurent notre langage et nos représentations: bien et mal, jour et nuit, vie et mort, etc. Epreuve du réel, même dans la fiction. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: aurore Dim 12 Avr 2020, 11:08 | |
| Je me disais ce matin -- c'est évident, mais c'est le jour -- que les récits évangéliques de Pâques, de l'aurore au crépuscule, sont ostensiblement structurés par le même jeu de Fort-Da, lost and found, disparition-apparition, perdu-retrouvé/reconnu; qui est aussi un schème fondamental de la "littérature universelle", depuis les mythes, épopées ou tragédies antiques jusqu'aux romans, pièces ou films contemporains, en passant entre autres par le roman de Joseph -- on ne s'en lasse pas. Christ, Dieu, fils, frère, bien-aimé, unique, corps perdu (le tombeau vide) et diversement retrouvé. |
| | | free
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| Sujet: Re: aurore Dim 12 Avr 2020, 12:01 | |
| - Narkissos a écrit:
- Je me disais ce matin -- c'est évident, mais c'est le jour -- que les récits évangéliques de Pâques, de l'aurore au crépuscule, sont ostensiblement structurés par le même jeu de Fort-Da, lost and found, disparition-apparition, perdu-retrouvé/reconnu; qui est aussi un schème fondamental de la "littérature universelle", depuis les mythes, épopées ou tragédies antiques jusqu'aux romans, pièces ou films contemporains, en passant entre autres par le roman de Joseph -- on ne s'en lasse pas. Christ, Dieu, fils, frère, bien-aimé, unique, corps perdu (le tombeau vide) et diversement retrouvé.
" Le premier jour de la semaine, elles vinrent au tombeau de grand matin, en apportant les aromates qu'elles avaient préparés. Elles trouvèrent la pierre roulée de devant le tombeau ; elles entrèrent, mais elles ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus. Comme elles étaient perplexes à ce sujet, deux hommes survinrent devant elles, en habits éclatants. Toutes craintives, elles baissèrent le visage vers la terre ; mais ils leur dirent : Pourquoi cherchez-vous le vivant parmi les morts ? Il n'est pas ici, il s'est réveillé. Souvenez-vous de quelle manière il vous a parlé, lorsqu'il était encore en Galilée et qu'il disait : Il faut que le Fils de l'homme soit livré aux pécheurs, qu'il soit crucifié et qu'il se relève le troisième jour" (Luc 24,1ss)Le verset 1, introduit un changement temporel : " Le premier jour de la semaine, elles vinrent au tombeau de grand matin", le premier jour de la semaine, tôt le matin, le premier jour d’une ère nouvelle. Le texte est fait de disparition et d'apparition, les femmes qui vont au tombeau, ne trouve pas le corps Jésus, qu'elles avaient bien vu (23, 49). Pierre voit à son tour l’absence du corps (24,12). Les deux disciples confirment que ceux qui sont allés au tombeau n’ont pas vu Jésus (24, 24). Ensuite le texte fait allusion aux "apparitions" de Jésus : " Le Seigneur s'est réellement réveillé, et il est apparu à Simon" (24,34). Le récit d’Emmaüs, il est dit des deux disciples : "leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître"? mais au v 31 : " Alors leurs yeux s'ouvrirent et ils le reconnurent ; mais il disparut de devant eux". A partir du v 36, nous découvrons une apparition collective, où le premier réflexe des disciples est de remettre en question ce qu’ils voyaient en pensant voir un esprit, ils voient sans voir. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: aurore Dim 12 Avr 2020, 15:53 | |
| Ce qui frappe n'importe quel lecteur tant soit peu éveillé, c'est la folle diversité (printanière ?) des récits "pascaux". Jusque-là on peut tenir tant bien que mal une lecture "synoptique" et "harmonisante" des récits de la Passion (encore qu'entre les Synoptiques et Jean ça soit difficile), dès le matin de Pâques c'est impossible, ça part (joyeusement) dans tous les sens. A noter que même dans le récit (supposé premier) de Marc où il n'y a pas d'apparition du Christ ressuscité, il y a déjà une "reconnaissance", au moins pour le lecteur, celle du " jeune homme au drap" apparu et disparu mystérieusement au chapitre 14... Mais les plus belles, d'un point de vue littéraire, sont probablement celles de Luc (Emmaüs) et de Jean (Marie). |
| | | free
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| Sujet: Re: aurore Lun 13 Avr 2020, 10:11 | |
| À partir du temps
Deux jours plus tôt, au matin, Jésus comparaissait devant Pilate. Le soir du même jour, Joseph d’Arimathée demandait et ensevelissait son corps avant le début du sabbat. Ce sabbat écoulé, donc le soir suivant, soit après un peu plus de vingt-quatre heures dont rien ne nous est dit — alors même que ce jour de sabbat proche de la Pâque devait être « grand » (cfr Jn 19,31) —, au terme de ce sabbat, donc, les femmes achètent des aromates : complément féminin à l’achat , par Joseph, du drap pour l’ensevelissement. Ce corps, elles ont décidé de venir l’honorer une douzaine d’heures plus tard, tôt le matin, en ce jour ici qualifié comme le premier de la semaine, littéralement « l’un des sabbats ». Premier jour aux éclats de Genèse, comme quand la lumière fut. Dans cette aube nouvelle, les femmes viennent pour oindre ce corps, pourtant déjà parfumé d’un nard précieux quatre ou cinq jours plus tôt, à Béthanie, par une femme anonyme et décriée, mais dont on se souviendra à jamais, en lien avec la Bonne Nouvelle. Jésus l’avait dit alors pour interpréter la justesse et le pressentiment de son geste comme une avance prise sur son ensevelissement. En évoquant ce dernier, il annonçait implicitement sa mort.
Habiter le récit
C’est avec les femmes que nous venons au tombeau. Dans cette péricope, elles sont les plus constants sujets des verbes. Le jeune homme inattendu et assis à la droite n’est sujet que du verbe dire, au v. 6. Et Jésus, lui, s’il sera sujet de verbes d’apparitions à partir du v. 9, n’est ici sujet qu’indirectement, dans les propos du jeune homme — brefs mais déterminants, certes —, aux versets 6 et 7. Tout le reste nous associe aux femmes : leur démarche, leur découverte, leurs réactions. Le récit nous appelle, avec les femmes, à voir et à entendre. Et pas seulement dans l’immédiateté du sens littéral, mais aussi dans la profondeur symbolique de la narration. Cette dernière est enracinée dans l’histoire mais, en l’occurrence, autour de l’événement historique qui transcende l’histoire, la focalise et la finalise. Conséquemment, le récit ne peut que déployer aussi une dimension parabolique, dans la façon qu’a Marc de mettre en œuvre les matériaux reçus de la tradition. Ce qui s’offre au regard des femmes et ce qui s’y dérobe, ce qui leur est dit d’inouï et de presque inaudible excède de toutes parts ce sur quoi peut reposer d’ordinaire un témoignage oculaire et auditif. Les femmes approchent le plus grand mystère. Le mystère central. Elles y entrent à petits pas. Nous-mêmes devons y entrer. Le narrateur nous met en position potentielle de spectateurs de ces femmes et de ce qui leur arrive, et nous pourrions rester à distance, dans le recul, en un regard surplombant, pour juger de leurs réactions, sans ressentir la transcendance de ce qui s’offre à leur accueil, sans nous laisser toucher par ce qui nous dépasse autant qu’elles.
Voir, d’abord
À l’intérieur du regard global qui nous fait appréhender la totalité de la scène, pointons les verbes de vision, au nombre de cinq : « ayant levé le regard », « elles considèrent », « elles virent un jeune homme », « Vois le lieu où on l’avait posé », « là vous le verrez ». Ces verbes sont déclinés sur le mode énonciatif d’abord : ayant levé le regard, elles considèrent. Elles virent. Puis sous un impératif présent d’invitation : voici, littéralement ‘vois’. Enfin, comme une affirmation au futur, promesse pour les disciples et Pierre qui relaieront les femmes comme sujet du voir : « vous le verrez ».
Une gradation est également perceptible dans ce qu’il y a à voir : d’abord la pierre déroulée et, pour le lecteur, l’information sur sa grandeur, peut-être déjà suggestive de la seule puissance qui puisse la dérouler. Pierre trouvée déroulée au « premier des sabbats », non tant pour que puisse sortir « le Fils de l’Homme Seigneur du Sabbat » (2,27), lequel est désormais libre d’aller et venir toutes portes ou pierres closes, mais plutôt pour qu’elles puissent entrer dans le tombeau. Pour y voir d’abord une présence : un jeune homme qui, s’il n’est pas le Ressuscité, diffère déjà bien du jeune homme de 14,51 qui s’enfuyait nu. Ce jeune homme-ci apparaît dignement et posément « assis à la droite » et blanchement vêtu : mode d’évocation qui présage d’une connivence avec le divin, le céleste, la gloire annoncée de Jésus et par Jésus. Puis on se rapproche de Jésus lui-même par la prise en compte du lieu où on l’avait posé, qui ravive en creux le souvenir du regard le plus récent posé sur lui, et ce, dans l’affirmation même de son absence : « il n’est pas ici ». Osons gloser : « il est, mais plus ici ». Cette négation dit le dépassement définitif de l’immobilité cadavérique apparemment irréversible où l’avait saisi ce dernier regard. Enfin, la promesse de le voir en personne — « vous le verrez » —, ressourcée à sa propre parole — « selon qu’il vous a dit ». En quatre versets, nous sommes passés de la question sur la lourde pierre à son déroulement constaté, qui délivre de l’enfermement inerte d’un espace clos ; puis à la dynamique inépuisable invitant à rejoindre le vivant qui précède les siens ailleurs, dans la Galilée des débuts, sous ses larges horizons, pour un nouveau départ.
https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-theologique-2010-3-page-368.htm?try_download=1 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: aurore Lun 13 Avr 2020, 11:16 | |
| Sans revenir sur la figure énigmatique du "jeune homme" qui me suggère bien davantage (suivre éventuellement le lien de mon post précédent), j'insisterais sur le fait que cette fin brutale, qu'elle soit accidentelle ou voulue telle, met pour ainsi dire l'évangile tout entier en boucle (Claire Clivaz l'avait jadis très bien montré). Il n'y a pas de suite, surtout pas dans une "histoire de l'Eglise" comme celle des Actes (qui devra d'ailleurs, pour se brancher sur le récit évangélique de Luc, en supprimer systématiquement toute référence à une apparition future en Galilée; apparition "montrée" au contraire, et très différemment, en Matthieu 28 et Jean 21 -- sur une montagne ou au bord du lac; dans Luc-Actes il faut rester à Jérusalem pour la Pentecôte): la Galilée, chez Marc, ne renvoie nulle part ailleurs qu'au début du récit à recommencer. Une "Eglise" sans doute est bien là, mais non dans la position de successeur, de continuateur ou d'héritier; seulement à la place invisible de la communauté lectrice et auditrice d'un texte appelé à une relecture cyclique et infinie (seul retour possible de l'unique). |
| | | free
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| Sujet: Re: aurore Mar 01 Déc 2020, 13:01 | |
| La Lumière Le sapin de Noël deviendra au fil des siècles, l’objet privilégié d’une décoration spécifique. Illuminé de boules d’or, de guirlandes, de chandelles, étoiles et bougies, il se fait une solution syncrétique à des exigences autrefois portées diversement : arbre magique, lumière durable sinon éternelle, verdure persistante, feu. Les pommes d’or pour Dionysos, comme maintenant le chatoiement de l’artifice créé par la fée électricité, sont là pour susciter par l’attrait qu’exerce la lumière sur les enfants, un effet de fascination.
La nuit de Noël, comme pour Dionysos à minuit sous l’emprise des Titans, oblige à une lumière nocturne, singulière. C’est la lumière du reflet, du clairobscur, du scintillement. C’est une lumière qui vibre comme la flamme, qui au mieux devient pulsative, selon le rythme d’une horloge électronique pour nos guirlandes modernes. C’est celle du matin quand les yeux s’ouvrent difficilement, en battant des paupières. Dans le texte grec, Dionysos est mis à mort quand il se regarde, trop narcissiquement ? … Dans le miroir ! On ne jette plus de graines pour se concilier les morts et assurer la prospérité, mais ces milliers de grains de lumière qui éclairent les villes et les cités, durant les nuits les plus longues et les plus froides de l’année, sont devenues la manifestation la plus éclatante de leur puissance, de leur technicité et de leur prospérité.
On peut faire le constat d’une répartition des éléments fantasmatiques entre les fêtes de Noël et celles de l’Epiphanie. De l’une à l’autre, autour du Jour de l’An, le lien est assuré par l’attente de l’arrivée des rois mages. La première des deux fêtes relève d’un rite à caractère anal dominant marqué par l’offrande. Au plus profond de la nuit, de l’hiver, du repos de la nature, l’implication de la lumière œuvre à la séduction à l’émerveillement, et s’inscrit dans une symbolique de puissance et de fertilité. Le rôle de l’arbre y assure, pour une part une symbolique de vie et de verticalisation, mais comporte également pour une autre part ce même rapport à l’obscurité et à la mort par l’horizontalisation de la bûche. La seconde fête s’inscrit davantage dans un rite oral par une mise en scène d’une parodie d’avalement et de mariage mais en laquelle les éléments liés à la sexualité génitale sont effacés voire déniés. https://www.cairn.info/revue-topique-2001-2-page-123.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: aurore Mar 01 Déc 2020, 15:14 | |
| Article stimulant et enrichissant, par-delà la grille de lecture freudienne, et bien qu'il brasse sans doute trop d'"informations" (de seconde main) pour être tout à fait fiable (les inexactitudes relatives au domaine "biblique" en laissent présager d'autres dans des domaines que je connais moins). Mais la teneur (toujours variable en fait) et la filiation précises des mythes et des rites particuliers comptent finalement peu par rapport au phénomène général de leur foisonnement et de leurs mutations continuelles -- l'arbre de Noël aussi peut cacher sa forêt: en histoire (des religions, des croyances, des idées, des coutumes, etc.) le "syncrétisme" n'est pas l'exception mais la règle, qui ne perpétue les différences qu'en les renouvelant et ne les renouvelle qu'en les confondant, comme dans le triangle naissance-sexe-mort ou le jeu d'Eros et de Thanatos... Que l'histoire (présumée rationnelle) des mythes ressemble à un mythe, c'est aussi la revanche du mythe sur l'histoire (et la raison, ou le logos, qui sous-tend d'ailleurs aussi bien la mytho-logie que l'histoire).
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Ce fil "saisonnier" (Noël, Pâques, la Trinité ?) qui par toute sorte de textes, d'images et de sons, faute d'odeurs et de goûts virtuels, nous fait toucher à chaque fois autrement la même chose, sinon la chose même, pourrait bien accueillir également les variations lexico-grammaticales de l'Apocalypse (1,4.8; 4,8 ) sur le nom divin, commentaire du commentaire de l'Exode (3,14ss) qui conjugue deux temps du verbe être et un de venir dans son judéo-grec barbare: ὁ ὢν καὶ ὁ ἦν καὶ ὁ ἐρχόμενος, celui qui est, qui était et qui vient, mot-à-mot l'étant, l'était et le venant. Toute l'essence du mythe et du rite est là, sans histoire en l'occurrence, mais résumant toute histoire dans son rythme ternaire qui est aussi, dans le même passage de l'Exode cité par les Synoptiques (Marc 12,18ss//) au sujet de la "résurrection" ou du "dieu des vivants", celui du "dieu d'Abraham, dieu d'Isaac et dieu de Jacob"; précédant ou relevant -- là encore on peut hésiter sur la datation -- ses analogues rabbiniques plus homogènes (celui qui est, était et sera), parodié ou contrefait dans l'Apocalypse même (17,8 ) par la bête qui était, n'est pas et va remonter de l'abîme. |
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| Sujet: Re: aurore Lun 14 Déc 2020, 11:30 | |
| Qu’est-ce que cela nous dit du rapport des sociétés anciennes à leur environnement ? « Elles vivaient au rythme de la nature, donc elles la respectaient, attentives à des phénomènes qui comptent peu pour nous, analyse François Walter. Est-ce que la terre va donner, est-ce que la météo sera favorable… On essayait de lire les signes annonciateurs de ce que sera l’année végétative. Toutes les sociétés anciennes étaient attentives à cela, parce que c’est vital. » Frisant parfois la superstition, même si l’historien trouve ce terme trop fort, préférant parler d’« empirisme » et de « raisonnement par l’expérience ». « Il y avait une sorte d’attente de la normalité. Que les saisons se renouvellent comme cela avait toujours été, sans excès d’un côté ni de l’autre. » « Ces moments étaient très mal connus : la famille s’agenouillait, invoquait les ancêtres, sans réfléchir, en répétant les gestes des parents. Jusqu’au début du XXe siècle, la nuit de Noël était encore sacrée, indépendamment de la naissance du Christ », rapporte Nadine Cretin. Puis la société s’est sécularisée et n’a plus attaché la même importance à ces rites. « Avec l’invention des engrais, on n’avait plus le même recours aux pratiques magiques pour s’assurer les bonnes récoltes », poursuit l’historienne. Peu sujette aujourd’hui aux aléas climatiques ou astronomiques, l’abondance reste néanmoins recherchée à Noël, depuis les magasins et jusque sur les tables et au pied des sapins. La fête de Noël doit beaucoup au lien oublié de nos sociétés avec la nature. Reporterre vous emmène en voyage dans les temps de la Rome antique et des traditions celtiques https://reporterre.net/Noel-fete-du-retour-de-la-lumiere-tire-son-origine-des-cycles-de-la-nature |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: aurore Lun 14 Déc 2020, 15:18 | |
| Autant et de quelque manière qu'on distingue ou oppose "nature" et "culture", l'"une" n'ira jamais sans l'"autre"; mais leur rapport ne cesse de changer et de se complexifier au gré de la construction et de la stratification de leurs médiations réciproques et successives. Pourtant aucun "sens" ne disparaît tout à fait dans le foisonnement, la succession et la superposition des "sens", le court-circuit poétique ou mystificateur, simplificateur ou illuminateur, d'un "sens" à l'autre est toujours possible: le "miracle naturel" du solstice d'hiver ou de l'équinoxe de printemps guette toujours sous l'"histoire sainte" de Noël et de Pâques, et sous la plus techno-scientifique des cosmologies les dieux ne perdent peut-être rien pour attendre.
Même à l'intérieur d'une "théologie" juive ou chrétienne ça joue: un récit ritualisé ou un rite narrativisé (Pâque ou Hanoukka rapportées à l'Exode et aux Maccabées, Pâques ou Noël aux évangiles) peut se traduire en formule, et inversement (cf. la fin de mon post précédent). Et sous les dogmes théologiques ou christologiques les mieux définis les vieilles mythologies ne demandent qu'à resurgir: "celui qui vient", c'est le Christ comme "messie-fils-de-David", le "fils de l'homme" de Daniel ou d'Hénoch, le prophète comme Moïse ou Elie, si l'on veut; mais tout autant l'antique Yahvé des processions au temple, ou celui des théophanies qui arrive comme l'orage du Sud ou du Nord, du ciel ou de la montagne sacrée, à l'instar de ses homologues dits "païens". Ce qui est ou était est aussi ce que vient, c'est aussi bien le sens de l'"avent" liturgique que de l'"avènement" eschatologique (parousia : eleusis) ou de n'importe quel à-venir, et le sens même de l'"être" présent et imparfait qui se dit aussi au futur autrement que par "être", par le présent d'un verbe de mouvement ("venir"), et pareillement du dieu et de l'homme, de n'importe qui et de n'importe quoi. "Sens" du "temps" même, également au "sens" de "direction", comme on le dit "unidirectionnel" sans jamais lever l'équivoque de sa "direction", sans savoir au juste dans quel "sens" il "va" ou "vient", selon qu'on y voit le "cours des choses" de leur provenance à leur destination ou à leur perte ou au contraire ce qui leur arrive d'un futur comme d'un ailleurs inimaginable. |
| | | free
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| Sujet: Re: aurore Mer 10 Fév 2021, 13:06 | |
| "Il fait les Pléiades et Orion, il change l'ombre de mort en aurore, il obscurcit le jour pour en faire la nuit, il appelle les eaux de la mer et les répand sur la terre : son nom, c'est le SEIGNEUR (YHWH) (Am 5,.La première action porte sur la création des Pléiades et de l’Orion. Son interprétation ne pose pas de grandes difficultés. La majorité des commentateurs modernes, à la lumière de Jb 38,31, un passage dans lequel les Pléiades et l’Orion désignent des constellations, considèrent ces deux termes comme les noms des deux astres traditionnellement associés à la Nouvelle année (Nisan) ou au changement de l’hiver et de l’été (Fohrer 1963, 216 ; Hammershaimb 1970, 80-81 ; Paul 1991, 168). Aussi, en dépeignant Dieu comme celui qui façonne les Pléiades et l’Orion, Amos le présente-t-il, métaphoriquement, comme celui qui est à l’origine du cycle des années et des saisons mais surtout comme celui qui assure leurs successions régulières dans le temps. Les deux actions suivantes concernent respectivement le changement de l’obscurité en clarté matinale et la réduction du jour en sombre nuit ; leur explication ne pose pas davantage de problèmes majeurs. Les exégètes, comme Andersen et Freedman (2008, 491), admettent généralement qu’elles rappellent le récit de la création et plus particulièrement, la création de la lumière (Gn 1,2-5) et celle des étoiles (Gn 1,16). Ainsi, lues à la lumière de Gn 1,2-5 et de Gn 1,16, ces deux actions dénotent que le Dieu d’Israël assure réellement le changement régulier des jours et des nuits, les deux moments du temps journalier. https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/2016-v24-n1-theologi03584/1044737ar/ |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: aurore Mer 10 Fév 2021, 15:17 | |
| Cf. ici, aujourd'hui même.Sans revenir sur les problèmes chrono-logiques de l'intertextualité biblique (on ne sait quasiment jamais ce que l'"auteur" présumé d'un passage ou d'une strate rédactionnelle connaît ou non d'autres textes, et de toute façon le rapport entre les textes change au fil des réécritures comme des lectures), on peut rappeler ce paradoxe général que la "création continue" précède en plus d'un sens la "création initiale" (c'est vrai aussi de l'écriture et de tout ce qui lui ressemble, où rien n'est jamais vraiment premier): les dieux sont d'abord pensés, quand ils le sont, comme cause de tout événement, ordinaire ou extra-ordinaire, régulier ou exceptionnel, avant qu'un "monde" plus ou moins autonome soit lui-même pensé comme tel et que les dieux soient relégués, totalement ou en partie, à son "origine" et éventuellement à sa "fin" -- ce qui est aussi le début de leur déclin, bien antérieur au monothéisme et dont celui-ci serait plutôt un effet. Si évident que ce soit quand on y pense, il ne nous est pas naturel de penser que les textes de "la Bible", qui est pour nous un livre ancien et fondateur, sinon d'origine absolue, arrivent en fait très tard dans un monde très vieux, avec des millénaires de civilisation et de cultures diverses derrière eux, et déjà une usure et une fatigue certaines de tout cela, qui expliquent en grande partie leur relative "originalité", et quelquefois leur apparente "modernité"... --- De là (aussi) une réflexion encore plus générale, tautologie ou lapalissade, qui s'inscrit aussi bien dans ce fil que dans un autre, et vaut pour toutes choses (la vie, le temps, l'histoire) comme pour l'écriture: il n'y a de nouveauté que par ajout à ce qui précède; même l'effacement, le retranchement, la soustraction ou l'oubli sont des effets de supplément, un mystère ou une grâce quelquefois, un effet d'artifice et/ou de technique le plus souvent: comme l'avaient bien compris les Grecs (voir éventuellement ici, en cherchant "Agathon" dans ce fatras), les dieux mêmes ne sauraient rien soustraire du passé -- sinon en lui ajoutant un avenir. |
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| Sujet: Re: aurore Sam 25 Déc 2021, 12:27 | |
| Naissance et mort sont corollaires, mais différées (non seulement l'une par rapport à l'autre, sauf dans le cas du mort-né, mais encore par rapport à tout "point de vue", comme on dit, "subjectif": un "sujet" ne sait rien de sa naissance sinon par le récit d'autrui, il ne fera jamais qu'anticiper sa mort, jusqu'à la dernière seconde incluse le cas échéant), elles se répondent (mais) à distance: c'est le temps même de la "vie" qui entre l'une et l'autre passe de l'un à l'autre ("sujet", "vivant"), par la sexualité et toutes les "méta-phores" qui en plus d'un sens la "trans-portent" (metaphora = transport, transfert, déplacement, ça se lit encore sur les autobus et les camions grecs) et la transposent à toute sorte de "communication" ou de "commerce", comme on disait naguère autant du "commerce charnel" que de tout type de "relation" -- tout cela, les Anciens l'avaient compris mieux que nous. L'originalité de la "philosophie" grecque, sur ce point, consista à réserver l'"éternité" à ce qui, bien que rencontré (appris, compris, trouvé, découvert, inventé) entre naissance et mort, semblait échapper en principe à l'une comme à l'autre, ne dépendre ni de l'une ni de l'autre -- l'"intelligible" d'abord "mathématique" (de manthanô, "apprendre", qui donne aussi mathètès, "disciple, élève"): nombres, rapports, figures géométriques, formes et formules, "idées", invariants de l'infiniment variable, en un mot le logos (logique, ratio-raison, etc.).
Tout autre avait été jusque-là l'"éternité" des "dieux", dont le mythe racontait presque toujours la naissance et quelquefois la mort, et la sexualité masculine ou féminine entre-temps (dieux et déesses amoureux, hétéro- ou homo-sexuels, incestueux, trans-genres et trans-espèces, féconds, engendrant ou enfantant, pères ou mères, fils ou filles, frères ou sœurs). Bien sûr, les deux "éternités" devaient finir par se superposer dans l'interprétation philosophique de la religion traditionnelle, l'éternité sensible et sensuelle des dieux étant de fait subordonnée (notamment par l'allégorie) à l'éternité intelligible, accessible en principe aux dieux comme aux mortels -- mieux qu'aux mortels sans doute, mais l'avantage ne pouvait plus être que "cognitif", "intellectuel" ou "moral" (connaissance, sagesse, intelligence, vertu...).
Déjà dans le "mythe" il importait que naissance et mort, quoique logiquement inséparables, fussent séparées, dans le temps du récit et du rite. Ce qui se retrouve dans ce fil "saisonnier", qu'on le prenne du côté "chrétien" ou "païen": Noël et Pâques, solstice et équinoxe, il faut une saison (et des années dans un récit d'allure "historique" comme celui des évangiles, entre naissance et mort/résurrection) pour les séparer, bien que l'un et l'autre disent au fond la même chose (naissance du dieu et renaissance de l'année solaire, mort et résurrection: "nuit" et "aurore" de part et d'autre, mais autrement et pas en même temps, puisque c'est l'écart même entre l'un et l'autre qui détermine le "sens" de l'un et de l'autre, de l'un par rapport à l'autre).
Luther qui ne rechigne pas à intégrer la naissance et la mort dans la (mono-)théo-logie au sens le plus strict, qui peut parler de "naissance de Dieu" (à propos de Noël, dans la veine "mystique" d'Eckhart et de Tauler) ET de "mort de Dieu" (avant beaucoup d'autres, Hegel ou Nietzsche, tous deux de culture luthérienne d'ailleurs, à propos du Vendredi-Saint, de la croix et de la Passion), ne les "rapproche" guère l'une de l'autre: il les tient à distance dans ses discours (sermons) et dans ses textes (traités, commentaires) comme dans le calendrier liturgique, malgré leur quasi-identité de "sens", à tout le moins leur évident rapport logique (seul ce qui est "né" peut et doit "mourir", il faut être né pour mourir, il faut mourir pour [re-]naître, etc., ce serait vrai pour "Dieu" comme pour n'importe qui) A cet égard la distinction des "temps" (kairoi) dans le (même) "temps" (khronos), telle que l'énonce Qohéleth (d'abord en hébreu, donc sans le secours de la distinction grecque entre kairos et khronos), "un temps pour naître et un temps pour mourir" (c'est la première de la série, 3,2), gouverne encore la théologie chrétienne autant que le calendrier ecclésiastique. |
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| Sujet: Re: aurore Lun 27 Déc 2021, 12:38 | |
| L'Epiphanie. — Tous ces calculs ne furent d'aucun poids dans le choix de la date de la Nativité, lorsque, — au troisième siècle, — on s'avisa de la célébrer. Tout l'Orient chrétien se porta d'un commun accord sur le 5-6 janvier, jour de l'Epiphanie de Dionysos. Cette fête était, en effet, demeurée très vivante dans le souvenir de ces chrétiens nouvellement convertis.
L'Epiphanie d'un dieu, c'est-à-dire son apparition (επιφάνεια ), se confondait avec sa naissance; c'était là une croyance déjà ancienne. A Delphes, au commencement du mois Bysios, l'Epiphanie d'Apollon était célébrée sous le nom de théophanie parce que le dieu s'était manifesté alors pour la première fois.
Le 6 janvier et la nuit précédente, on fêtait donc l'Epiphanie de Dionysos. Ce dieu, originaire de Thrace, jouissait d'un grand prestige dans tout le monde grec où son culte s'était peu à peu dépouillé de son ancienne forme barbare. On sait que Dionysos-Zagreus avait été démembré par les Titans et que Zeus l'avait vengé en foudroyant ceux-ci. Des cendres des Titans naquit le genre humain. Les hommes sont donc impurs comme ceux dont ils procèdent; mais les cendres des Titans contenaient aussi la substance de l'être divin qu'ils avaient mangé; c'est pourquoi une étincelle divine subsiste également dans les hommes. C'est à la libération de cet élément divin par la possession définitive de l'immortalité bienheureuse que tendent les élus de Dionysos, ceux du moins qui sont sauvés par la grâce acquise par l'initiation dont Orphée a institué le culte. Le jeune dieu thrace, qui ressuscita, apparaît donc comme un dieu sauveur. Contrairement aux dieux d'Homère qui réservaient leurs faveurs aux grands de ce monde, Dionysos est le dieu des esclaves et des pauvres aussi bien que celui des riches; il s'intéresse à la destinée de chacun. De par son origine, Dionysos est toujours l'esprit du renouveau annuel de la végétation. Il n'est devenu le dieu du vin que dans les contrées de vignobles. Comme dieu de saison, il meurt avec le déclin de la végétation pour ressusciter avec la lumière croissante qui procure la vie, c'est-à-dire avec le solstice d'hiver fixé primitivement au 5 janvier.
Le jour de l'Epiphanie, on allumait des feux. A l'occasion de son Epiphanie (nuit du 5 au 6 janvier et 6 janvier) le dieu manifestait en certains endroits sa présence invisible par l'apparition miraculeuse de vin comme le racontent Pline l'Ancien (Histoire naturelle ) et Pausanias; les Eléens, en particulier, ont été favorisés par ce miracle ainsi que l'île d'Andros où le vin coulait spontanément dans le temple durant la fête de Dionysos. Saint Epipliane (367-403), évêque de Salamis en Chypre, affirme (Haeres , II, 30) que par un prodige fort surprenant, on voyait de son temps, en divers endroits, plusieurs fontaines et quelques rivières dont l'eau se changeait en vin ou en prenait le goût avec la couleur, en ce jour (6 jan¬ vier), anniversaire du miracle fait par Jésus-Christ. Il affirme qu'il a goûté lui-même du vin de l'une de ces fontaines qui était à Cibyse en Asie Mineure, et il déclare que des moines de sa connaissance ont eu le même privilège en goûtant à une autre fontaine qui était dans la ville de Gérase en Arabie. Il ajoute que quelques-uns publient que le Nil, sur un point de son cours, est favorisé par le même miracle, le jour de l'Epiphanie (d'Osiris), et que les Egyptiens en profitent pour faire des provisions de vin dans leurs maisons.
(...)
Les partisans de Mithra, très nombreux dans l'empire romain et en Orient, n'étaient pas les seuls à fêter le solstice d'hiver. En Syrie et en Egypte, les fidèles se retiraient dans certains sanctuaires secrets d'où ils sortaient à minuit en s'écriant : «La Vierge a enfanté ! La lumière croît! » Les Egyptiens représentaient même le soleil nouveau-né par l'image d'un petit enfant qu'ils montraient à ses adorateurs le jour de sa naissance au solstice d'hiver. La vierge «qui mettait un enfant au monde le 25 décembre était sans doute la grande déesse orientale que les Sémites appelaient la Vierge céleste ou simplement la déesse céleste; elle était dans les pays sémites une forme d'Astarté. On l'appelait la Reine du Ciel (Jérémie VII, 18; XLIV, 18), la Déesse céleste (Hérodote , III, 8; Pausanias, 1, 14, 7) ou la Vierge céleste (Tertulien , Apologeticus, 23; saint Augustin, de Civitate Dei , II, 4). Les Grecs parlaient d'elle comme de la divine Aphrodite (Hérodote , I, 105, Pausa¬ mas , I, 14, 7) ».
https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1931_num_11_3_2805 |
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| Sujet: Re: aurore Lun 27 Déc 2021, 13:48 | |
| Dès les premières lignes de l'extrait, avant même de cliquer sur le lien, je me doutais qu'il s'agissait d'un texte de la première moitié du XXe siècle (en fait 1931): c'est passionnant et agréable à lire, ça se lit comme un roman, c'est de l'érudition littéraire qui recueille et synthétise de façon attrayante l'héritage déjà synthétique et comparatif de la "science" (Wissenschaft) historique des religions (Religionsgeschichte), surtout germanique et protestante, depuis le XIXe siècle -- d'autant que l'auteur, Auguste Hollard, n'était nullement un "spécialiste" au sens où on l'entend aujourd'hui, il était chimiste et physicien de formation...
Bref, c'est extrêmement intéressant (notamment quant aux calculs patristiques sous-jacents aux traditions de Noël et de l'Epiphanie, avant la portion que tu cites), mais il faudrait prendre toutes les affirmations avec réserve et les croiser éventuellement avec des études plus récentes et les textes anciens eux-mêmes, quand il y en a (les références sont principalement à des ouvrages généraux de l'époque, déjà "vulgarisateurs" et antérieurs à beaucoup de découvertes; p. ex., quant aux "gnostiques", celles de Nag Hammadi dans les années 1940), avant d'en répéter quoi que ce soit... C'est un peu peine perdue face à la reprise et à la diffusion massives sur Internet de ce genre de textes (p. ex. Renan ou Reinach) qui, outre leur "clarté" et leur "audace", présentent aussi l'avantage d'être "libres de droits"...
L'idée générale qui reste cependant parfaitement valable, et dans la droite ligne de ce fil saisonnier, c'est bien que le "christianisme" a synthétisé et prolongé à sa façon des traditions "païennes" fort diverses, à mesure qu'il les rencontrait et les remplaçait, comme il l'avait fait précédemment du "judaïsme" (du Second Temple) et de l'"Ancien Testament", surtout en grec (Septante). Que ce soit un argument "pour" ou "contre" ce "christianisme"-là, cela dépend essentiellement du point de vue du lecteur, chrétien traditionnel, fondamentaliste ou sectaire, ou antichrétien. |
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| Sujet: Re: aurore Lun 27 Déc 2021, 17:00 | |
| L’évangile de Luc (1 : 26) nous apprend que Jean-Baptiste est né six mois avant le Christ dont il est le Précurseur. La date de la naissance de Jésus nous est inconnu ; c’est pourquoi, quand les chrétiens instituèrent la fête de la Nativité de Jésus, au milieu du ive siècle, ils n’entendaient pas commémorer l’anniversaire réel d’une naissance, mais intégrer au mystère chrétien les fêtes païennes du solstice d’hiver célébrées à Rome le 25 décembre. Il était logique que le symbolisme cosmique appliqué à Jésus se répercute sur la fête de son précurseur Jean. Selon cette logique de la lumière, de même que le solstice d’été marque le point culminant du soleil et amorce une courbe descendante qui se terminera à l’obscurité du solstice d’hiver, de même la « courbe cosmique » de Jean-Baptiste est celle d’une lumière qui s’atténue au profit de celle du Christ, laquelle progressera à son tour depuis la nuit de Noël jusqu’à l’équinoxe du printemps, par la Pâque et la Résurrection de Jésus. « Il faut que lui grandisse et que moi, je décroisse », avait proclamé le Précurseur à l’endroit de Jésus (Jean 3:30). C’est ainsi que la Saint-Jean est le véritable point de départ du cycle cosmique de la Lumière qui trouve son aboutissement en Jésus, sol salutis.
https://books.openedition.org/pup/4176?lang=fr |
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| Sujet: Re: aurore Lun 27 Déc 2021, 17:35 | |
| Article très instructif et amusant -- du moins pour nous, car, comme le remarque justement l'auteur, toutes les époques et tous les milieux ne voient pas le "comique" ou l'"humour" au même endroit ni de la même manière.
J'appliquerais toutefois la même réserve à l'interprétation des "intentions" supposées derrière l'institution des fêtes traditionnelles: ce n'est pas parce qu'il y a eu des considérations "politiques" ou "diplomatiques" (récupération, "baptême" ou christianisation de fêtes "païennes" existantes), symboliques, astronomiques ou cosmiques (solstices connus précisément de quelques-uns et ressentis plus vaguement, mais tout aussi profondément, par tout le monde), qu'il y avait un doute (conscient) sur l'aspect "historique" de la chose (date des naissances de Jésus et de Jean-Baptiste en l'occurrence) -- si le point de vue de l'"évêque" ne coïncidait pas avec celui du "théologien-philosophe-savant", ni avec celui du "peuple" aux sentiments religieux mêlés (pagano-chrétiens), tous avaient intérêt à "croire" et à "faire croire" sincèrement, c'est-à-dire entièrement, quoique pas pour les mêmes "raisons". C'était certainement plus facile en un temps où l'"histoire" ne se voulait pas aussi "rationnelle", "critique" et "scientifique" qu'aujourd'hui, où elle intégrait la "légende" plutôt que de l'exclure. Mais quand nous (par quoi j'entends aussi la quasi-totalité des théologiens confessionnels et critiques) dissertons sur le "sens" de Noël ou de l'Epiphanie avec l'arrière-pensée qu'il y a tout au plus une chance sur 365 que Jésus soit né un 25 décembre, nous ne sommes plus du tout dans une perspective de "foi": le "symbole", si riche soit-il, ne correspond plus à aucun "événement", et face à ce discours il n'y a plus guère de différence entre le "croyant" et l'"incroyant", qui peuvent tout aussi bien apprécier le "sens", si c'est de celui-ci seulement qu'il s'agit. (Comme disait Brel, c'est tellement beau, tout cela, quand on croit que c'est vrai.) |
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| Sujet: Re: aurore Dim 17 Avr 2022, 14:23 | |
| Entre les conceptions dites "cycliques" (mythiques, rituelles, poétiques) et "linéaires" (ou "historiques") du " temps" il y a tension et même contradiction formelle, mais aussi interdépendance ou entr'appartenance: tout "re-" (retour, reprise, recommencement, renaissance, renouvellement, résurgence, restauration, rétablissement, réforme, révolution, etc., depuis la moindre apparence de répétition) suppose un jeu de même et d'autre qui s'impliquent l'un l'autre, "concrètement", comme ils s'excluent "logiquement". Entre ces deux modèles limites (cercle ou autre figure fermée sans commencement ni fin, qui sans autre ne pourrait même pas re-marquer sa clôture et encore moins compter ses tours, vs. ouverture absolue d'un événement singulier qui se complique sans cesser d'être unique, qui ne se répète jamais mais qu'on ne saurait concevoir comme tel sans des effets de répétition illusoires), le "temps" ou l'"histoire" tels qu'il s'éprouvent ne se disent et ne se pensent qu'en référence à deux "concepts" rigoureusement antinomiques, jusque dans les "rien de nouveau (sous le soleil)", "déjà", "encore", "toujours", "jamais (plus)", et ainsi de suite avec et sans guillemets. La première scène de Pâques (Marc 16,1-8 ) est un (re-)commencement (aurore, premier jour de la semaine) et une ouverture (pierre roulée, tombeau ouvert et vide) qui se referment dans un cycle impossible (retour en Galilée, soit au début de l'évangile, à la fois prescrit et interdit par la non-transmission de la consigne), sinon comme cycle de (re-)lecture ou de récitation (cf. supra 12.4.2020). A l'opposé, le dispositif "historien" de Luc-Actes fait de ce jour-là le début et l'ouverture uniques d'une ère nouvelle, appelée à s'étendre "dans l'espace" (jusqu'aux extrémités de la terre) et à se prolonger "dans le temps" (jusqu'à la fin de l'âge-monde, retour du Christ revenant comme il est parti) -- indéfiniment mais pas infiniment; temps autrement ouvert et fermé, rythmé dans l'intervalle par le retour hebdomadaire du "premier jour" (= dimanche) chrétien et des fêtes annuelles juives à l'arrière-plan. Autres cercles, autres tangences, autres ouvertures et autres échappées (effractions, transgressions), autres remises en boucle ou circon-scriptions de l'ouvert: jeu, danse, variation et fugue des mêmes figures inconciliables, sinon comme rythme du mouvement même, pour figurer l'infigurable. --- Les récits de "Pâques" (ou récits d'apparitions) de Matthieu et de Jean diffèrent aussi à bien des égards, mais moins, me semble-t-il, que Marc et Luc-Actes par leurs aspects ou modèles temporels. Comme on l'a remarqué ailleurs, Matthieu "remplit" les "vides" de Marc par un excès de surnaturel (tremblement de terre, ange, apparition et discours du ressuscité en Galilée) qui d'une part souligne la "mauvaise foi des juifs" devant l'"évidence" miraculeuse (gardes soudoyés pour nourrir le contre-récit de l'enlèvement du cadavre, selon un motif antijudaïque caractéristique de tout l'évangile), mais d'autre part suscite le doute jusque chez les disciples (et le lecteur/auditeur): le temps qui reste est celui d'une quotidienneté (tous les jours), bornée par un horizon spatial (toutes les nations) et temporel indéfini mais fini comme dans Luc-Actes (jusqu'à la fin du monde), plus "pratique" ou "éthique" cependant (faire ce qui est commandé) qu'ecclésial ou sacramentel. Quant à Jean, il porte plus sur le jeu du "voir" (et du "toucher") et du "croire" (Marie, Pierre et le disciple bien-aimé, les Douze et Thomas, le dernier élément comportant un motif temporel de répétition hebdomadaire, à cet égard semblable aux Actes; le supplément du chapitre 21, apparition en Galilée, au bord du lac et non sur la montagne, souligne encore la différence entre Pierre et le disciple bien-aimé): le temps à venir n'est plus déterminé, ni par une liturgie de lecture corollaire d'un canon d'écriture (21,25s, plus de livres à écrire que le monde n'en pourrait contenir), ni par un contenu ecclésial, sacramentel ou pratique, mais par le seul rapport au Christ du lecteur-auditeur (plus sachant et croyant que lecteur et auditeur). |
| | | free
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| Sujet: Re: aurore Mer 20 Avr 2022, 10:53 | |
| "Le premier jour de la semaine, elles viennent au tombeau de bon matin, au lever du soleil" (Mc 16,2).
"Le premier jour de la semaine, Marie-Madeleine vient au tombeau dès le matin, alors qu'il fait encore sombre, et elle voit que la pierre a été enlevée du tombeau" (Jean 20,1).
COMMENTAIRES
«De grand matin», dit saint Luc; «le matin, quand les ténèbres régnaient encore», dit saint Jean.
Saint Marc exprime la même pensée, en disant: «De grand matin, le soleil étant déjà levé», c'est-à-dire, lorsque le soleil commençait à blanchir du côte de l'Orient, c'est ce qui a lieu à l'approche du lever du soleil, on donne à ces premières lueurs le nom d'aurore.
Saint Jean a donc pu dire sans contradiction: «Quand les ténèbres régnaient encore, car lorsque le jour paraît, les ténèbres se dissipent insensiblement et disparaissent à mesure que le soleil se lève sur l'horizon». Ces paroles: «Le soleil étant déjà levé», ne veulent pas dire qu'il dardait pleinement ses rayons sur la terre, mais qu'à mesure qu'il approchait, il commençait à blanchir et à éclairer le ciel de ses rayons naissants. »
https://cetad.catholique.fr/meditation/939-paques-la-resurrection |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: aurore Mer 20 Avr 2022, 11:43 | |
| (J'ai ajouté un dernier paragraphe à mon post précédent, sur Matthieu et Jean, avant de voir le tien.)
La tentative d'"harmonisation" temporelle (de Marc et de Jean) au ras des pâquerettes (soleil levé ou pas) est de saint Augustin (Accord des évangélistes, III, xxiv, 65), comme l'indique ton lien. A vrai dire elle n'est guère tenable d'après le texte grec de Marc (anateilantos tou heliou, aoriste => le soleil étant levé), et peut-être encore moins d'après le latin de la Vulgate (orto iam sole, le soleil déjà né / sorti, de orior; mais Augustin lit oriente iam sole, le soleil en train de sortir, ce qui favorise son interprétation: cf. le texte latin ici). |
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| Sujet: Re: aurore Jeu 21 Avr 2022, 12:15 | |
| Marc 16,1-8 — Les femmes et le jeune homme dans le tombeau
Voir et entendre
Le récit nous appelle, avec les femmes, à voir et à entendre. Et pas seulement dans l’immédiateté du sens littéral, mais aussi dans la profondeur symbolique de la narration. Cette dernière est enracinée dans l’histoire mais, en l’occurrence, autour de l’événement historique qui transcende l’histoire, la focalise et la finalise. Conséquemment, le récit ne peut que déployer aussi une dimension parabolique, dans la façon qu’a Marc de mettre en œuvre les matériaux reçus de la tradition. Ce qui s’offre au regard des femmes et ce qui s’y dérobe, ce qui leur est dit d’inouï et de presque inaudible excède de toutes parts ce sur quoi peut reposer d’ordinaire un témoignage oculaire et auditif. Les femmes approchent le plus grand mystère. Le mystère central. Elles y entrent à petits pas. Nous-mêmes devons y entrer. Le narrateur nous met en position potentielle de spectateurs de ces femmes et de ce qui leur arrive, et nous pourrions rester à distance, dans le recul, en un regard surplombant, pour juger de leurs réactions, sans ressentir la transcendance de ce qui s’offre à leur accueil, sans nous laisser toucher par ce qui nous dépasse autant qu’elles.
Mais le style direct des paroles rapportées nous rend contemporains de la scène ; il nous amène à en devenir acteurs, à y prendre part, à entrer dans le tombeau avec Marie-Madeleine, Marie mère de Jacques et Salomé, à ne pas rester sur le seuil, au dehors. Souvenons-nous ici de la parole : « À vous, le mystère du Royaume de Dieu est donné ; or, à ceux-là, qui sont au dehors, c’est en paraboles que tout arrive, afin que, en regardant, ils regardent et ne voient pas, et en entendant, ils entendent et ne comprennent pas » (4,12). À ce point décisif du témoignage évangélique, n’allons pas trop vite ignorer le reproche fait aux disciples : « Ayant des yeux, vous ne regardez pas et ayant des oreilles vous n’entendez pas ? » (8,18). Cette mise en garde vaut éminemment pour l’accueil de la Résurrection. Il faut entrer par amour dans ce tombeau qui nous ramène à la mort de Jésus, pour voir et entendre ce qui prépare à entrer dans sa vie.
https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-theologique-2010-3-page-368.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: aurore Jeu 21 Avr 2022, 13:45 | |
| Commentaire stimulant, bien (ou parce) que discutable sur de nombreux points. Ce qui me semble le plus important, c'est l' aporie (plutôt, plus tôt, que le paradoxe ou la dialectique) de la révélation qui est aussi celle de toute communication, de toute connaissance, de tout savoir ou de toute intelligence. On ne sait pas ce qu'on sait et on sait ce qu'on ne sait pas, on ne comprend pas ce qu'on comprend, etc., mais quand on comprend quelque chose on sait qu'on l'a toujours su, on le re-connaît quitte à l'oublier aussitôt, et ainsi de suite; thème et variations qu'on rattache habituellement à Platon (ou à Socrate) mais qui débordent toute attribution d'origine, puisqu'il y va justement de l'impossibilité d'une origine. Ce qui se joue dans Marc autour du verbe egeirô, "éveiller", qu'il s'agisse de "résurrection (des morts)" ou du plus banal réveil, c'est un exemple et c'est beaucoup plus qu'un exemple, puisque c'est l'image même de tout processus "cognitif", qui passe précisément là où ça ne passe pas, où rien ne passe, par le passage impossible et obligé de l'"impasse" (soit à peu près le sens "concret" de l'"aporie") -- le signe par le tombeau, l'esprit ou l'âme par le corps ou le cadavre ( sèma, sèmeion, sôma, etc.). Effectivement ça ressemble à la "parabole" qui ne révèle qu'en voilant, "limite" et "condition" du langage et de la re-présentation, de leur jeu forcément répétitif ( Fort-Da, Freud et ainsi de suite, c'est la loi même de l'ainsi de suite), l'invariable répétition cyclique du même à même ce qui ne se répète jamais, autrement dit "l'histoire"... |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: aurore Dim 09 Avr 2023, 14:09 | |
| "Car ou bien nous déraisonnons (ex-istèmi, d'où "extase" ou "existence", proprement se tenir au-dehors ou être hors de soi, non pas comme en français au sens de la colère mais de la dé-raison, de la dé-mence ou du dé-lire, comme qui dirait vulgairement être à côté de ses pompes, aussi comme hyperbole de l'étonnement, stupéfaction ou émerveillement) pour dieu (quant à dieu, à l'égard de dieu, datif; on pourrait traduire plus "spatialement" nous sommes transportés ou ravis en dieu), ou bien nous sommes raisonnables (sôphroneô, terme de la sagesse modératrice ou pondératrice) pour vous (ou quant à vous, avec vous, à votre égard, datif); car l'amour du Christ nous contraint (ou nous étreint, nous presse, nous com-presse), puisque nous avons jugé ceci: un seul est mort (aoriste "ponctuel", de l'"événement" de la mort et non de l'"état" du mort, indiscernables en français sous cette forme; en anglais "died" et non "is dead") pour tous (huper + génitif) , donc tous sont morts (idem); et il est mort (idem) pour tous (idem) afin que les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes (ou quant à, par rapport à eux-mêmes, datif), mais pour (ou quant à, par rapport à, datif) celui qui pour eux (huper + génitif) est mort et s'est (ou a été) éveillé. De sorte que nous, désormais (à partir de maintenant), nous ne connaissons (oida) personne selon la chair; si nous av(i)ons connu (gi[g]nôskô, parfait) (un) Christ selon la chair, nous ne (le) connaissons (gi[g]nôskô, présent) plus maintenant. De sorte que si quelqu'un est en Christ, nouvelle création ! L'ancien est passé, voici qu'est advenu du nouveau. Mais tout est du dieu qui en Christ nous a réconciliés avec lui-même et nous a donné le service (ministère) de la réconciliation. Car dieu était en Christ réconciliant le monde avec lui-même, ne leur comptant pas leurs fautes, et mettant en nous la parole de la réconciliation..." (2 Corinthiens 5,13ss).
Nous avons souvent évoqué et commenté, sous divers aspects, ce passage bien connu; je le (ré-)cite aujourd'hui dans ce fil "saisonnier" qui a plutôt montré jusqu'ici ce qu'il y avait de commun, non seulement entre "Noël" et "Pâques", mais aussi entre toutes les fêtes et les expressions plus ou moins poétiques, lyriques ou liturgiques du re-nouveau, de la re-naissance, de la ré-surrection, etc., qu'elles soient chrétiennes, juives ou "païennes", religieuses ou profanes, annuelles, mensuelles, hebdomadaires ou quotidiennes, rattachées à un cycle astronomique ou agraire ou à une "histoire", vraie ou fictive, légendaire, épique ou mythique. Or ici nous avons affaire à un texte archi-particulier, "chrétien" et "paulinien", "théologique" et "christologique", d'allure rhétorique (notamment par ses conjonctions "logiques", car, donc, de sorte que, etc., et ses verbes cognitifs, savoir, connaître, juger), même si sa "logique" a de quoi déconcerter, parce qu'elle a trait à un "mystère" dont elle échoue à rendre compte, ou dont elle rend compte en y échouant -- c'est l'une des premières tentatives chrétiennes et pauliniennes de ce genre, précédant selon toute vraisemblance les constructions plus élaborées de l'épître aux Romains et tout ce qui s'ensuit. Par ailleurs le mystère en question, même s'il n'est pas encore appelé ainsi, se donne comme quasiment intemporel, dans la mesure où il ne se rattache (ici et expressément du moins) à aucune date, ni de l'histoire ni du calendrier, tout en se référant à un passé qui semble à la fois proche et immémorial (d'avant la fondation du monde), et en prise directe avec le présent (maintenant).
Or ce langage archi-déterminé rejoint, au plus étroit de sa particularité, l'émerveillement commun et à chaque fois singulier -- le même que suscite le retour de la lumière, du printemps, de la vie, de la jeunesse, de la joie, de l'amour, de l'inattendu ou de l'inespéré. Le raisonnement qui se veut strict et contraignant débouche, dès que s'y mêle de l'affectif ou de l'émotif (l'amour du Christ, génitif aussi ambigu en grec qu'en français), sur un "affolement" de la pensée et du discours qui laisse sa trace, en creux pour ainsi dire, dans l'écriture: la construction "logique" explose en parataxe, en exclamation incontrôlée que les copistes et les traducteurs ont essayé diversement d'"arranger" (p. ex. "c'est une nouvelle création", "tout est devenu nouveau"). Le raisonnement ne se tient plus, il se lâche et se perd sur l'essentiel, et par là aussi il témoigne, comme malgré lui, de ce qu'il ne veut ou ne peut pas dire autant que de ce qu'il veut dire. Sans doute la rhétorique paulinienne va-t-elle plus tard gagner en complexité et en subtilité, sinon en rigueur, mais elle tendra toujours vers ces "orgasmes" doxologiques ou eschatologiques, "fêtes" paroxystiques de la pensée en somme, où elle ne se (re-)tient plus mais se lâche (cf. p. ex. les "conclusions" de Romains 7, 8, 11, etc., qu'on peut bien dire dithyrambiques car il y a là du "dionysiaque", fût-ce sous d'autres noms).
Ce qui se joue dans le "mystère", dans l'initiation comme dans la fête, c'est un rapport à soi ("réfléchi", soi-même) et aux autres (réciproque, les uns les autres) qui passe par un tiers, la figure du dieu ou ici du Christ, et en lui par la mort à la résurrection ou au renouveau en tout genre. Miroir, illusion et tour de passe-passe si l'on veut, nullement nécessaire et plus que nécessaire (comme disait Jüngel). Ce que disait déjà 1 Corinthiens, avec son passage du corps crucifié au corps Eglise, ce que dira encore l'épître aux Romains (cf. notamment 14,7ss: nul ne vit ni ne meurt simplement pour / par rapport à lui-même, ni pour les / par rapport aux autres, mais pour le / par rapport au Seigneur des morts et des vivants). |
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