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Narkissos

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MessageSujet: dehors   dehors Icon_minitimeSam 05 Juin 2021, 15:46

On l'a souvent remarqué à divers sujets (p. ex. ici, à partir du 6.4.2017): notre vocabulaire de l'"existence" et de l'"extase" est curieusement apparenté, par le latin (ex-sistere) comme par le grec -- ex-istèmi < ek-stasis, dont la composition suggérerait concrètement un "se tenir dehors" (du même "ex-" qu'"ex-térieur" et du même "-st-" que "station", "stable", etc.), mais qui aboutit à des sens "abstraits" ou "figurés" très différents, voire contradictoires, et par conséquent à des traductions variées qui font disparaître l'unité lexicale: de l'"é-tonnement" ou "é-merveillement" à la "transe" ou à la "folie", chacun de ces termes ou notions étant susceptible d'une appréciation "positive" ou "négative" en fonction du "contexte". Sauf oubli de ma part, on n'a cependant pas pris le temps de recenser les différents emplois de ce vocabulaire dans le NT.

Il est particulièrement fréquent dans les Synoptiques et les Actes, comme réaction spontanée et généralement positive du "public" aux "miracles" (Marc 2,12; 5,42, verbe et substantif; 6,51; 16,8; cf. Matthieu 12,23; Luc 2,47; 5,26; 8,56; 24,22; Actes 2,7.12; 3,10; 8,9.11.13; 9,21; 10,45; 12,16), mais aussi pour décrire la "folie" ou "dé-mence" (cf. out of his mind) supposée de Jésus (Marc 3,21; cf. 2 Corinthiens 5,13, où une certaine "extase-démence" des "apôtres" "pour Dieu" s'oppose à un certain "bon sens", sôphroneô, "pour vous"); ou plus ponctuellement les "extases" ou "transes", occasions de "visions" ou de "révélations" pour Pierre ou pour Paul en Actes 10,10; 11,5; 22,17 (ce qui peut à son tour rappeler le "dans le corps / hors du corps" de 2 Corinthiens 12,1ss).

Au-delà de ce lexique particulier, on songera à l'antithèse formelle entre "introspection" et "extase" qui traverse tout le discours religieux, mystique, ascétique, moral ou psychologique: "rentrer en soi-même" (cf. Luc 15,17, admirablement parodié par Lacenaire-Herrand-Prévert-Carné dans Les enfants du paradis: "je suis rentré en moi-même, je n'ai jamais pu en sortir ! Les imprudents... me laisser tout seul avec moi-même... et ils me défendaient les mauvaises fréquentations !") ou bien en "sortir" (dans une tradition qui condamne le repli sur soi, l'égocentrisme, le péché luthérien incurvatus in se), c'est apparemment le contraire et pourtant ça reviendrait au même, si l'un ou l'autre, ou l'un sans l'autre, était possible. Mais on peut penser également à l'opposition du "dedans" et du "dehors" qui caractérise le "mystère", et qui est elle-même hautement paradoxale dans le contexte évangélique (si les premiers sont les derniers et inversement, le dehors et le dedans s'inversent aussi, cf. Matthieu 8,12 etc.). Je repense, pour ma part, à l'un des derniers vers de Rilke malade et confiné: O Leben, Leben: Draußensein, "vivre, vivre: être dehors", qui rappelle -- la lui a-t-elle seulement rappelée ? -- la huitième élégie de Duino, sur l'"Ouvert" (das Offene) inaccessible à l'homme, sauf peut-être à l'enfant et au mourant -- "Ouvert" au contraire accessible à l'homme seul, fût-ce exceptionnellement, dans l'éclaircie ou la clairière (Lichtung) de l'être-là (Da-Sein), selon Heidegger...

Bref, on n'en a pas fini de jouer dans tous les sens et dans tous les "domaines" avec la métonymie spatiale du dedans et du dehors, de l'entrer et du sortir, de l'ouvert et du fermé tour à tour bon ou mauvais, entre l'angoisse claustrophobe de la prison dont on ne peut pas sortir et celle de l'exclusion et de l'exil, de la maison, de la patrie ou du chez-soi où l'on ne peut pas (r)entrer (Kafka, Bergman, Tarkovski, etc.)... Je termine (provisoirement) en rappelant une fois de plus la formule du quatrième évangile, qui à la lettre ne parle ni d'"existence" ni d'"extase": "Moi je suis la porte: si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé, il entrera et sortira et trouvera pâture" (10,9).
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MessageSujet: Re: dehors   dehors Icon_minitimeLun 07 Juin 2021, 11:01

"Il ne réfléchit pas (Il ne rentre pas en lui-même : Louis Segond Bible) et il n'a ni connaissanceni d'intelligence pour dire : J'en ai jeté une moitié au feu, j'ai cuit du pain sur les braises, j'ai rôti de la viande et je l'ai mangée ; et avec le reste je ferais une abomination ! Je ferais des révérences devant un morceau de bois !" (Es 44,19)

"Rassemblez-vous et recueillez-vous, nation sans pudeur" (So 2,1)

Notes : Sophonie 2:1
Rassemblez-vous et recueillez-vous : deux formes d’un même verbe hébreu dont la traduction est incertaine (rassemblez-vous et rassemblez ?) ; ailleurs il signifie ramasser (de la paille, cf. v. 2) ; toutefois on peut aussi le rapprocher d’une racine sémitique qui signifie réfléchir.

"s'ils réfléchissent dans le pays où ils auront été emmenés captifs, s'ils reviennent, s'ils t'adressent des supplications au pays de ceux qui les ont emmenés captifs et qu'ils disent : « Nous avons péché, nous avons commis des fautes, nous avons agi en méchants ! »" (1 R 8,47)

Notes : 1 Rois 8:47
s’ils réfléchissent : litt. s’ils font revenir vers leur cœur ; cf. Es 44.19n.
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MessageSujet: Re: dehors   dehors Icon_minitimeLun 07 Juin 2021, 12:04

En Isaïe 44,19 la formule est en effet la même qu'en 1 Rois 8,47, "faire revenir (ou ramener, šwb hifil) à (ou vers, 'l, ailleurs `l = sur ou près de) son cœur". Bien entendu, comme l'ensemble des processus intellectuels, cognitifs, mémoriels, réflexifs (et aussi, mais pas seulement, affectifs),  l'"introspection" ou le "recueillement" passent habituellement par le "cœur" en hébreu et dans la Bible hébraïque; ce que calque souvent le grec de la Septante (ici en combinant un verbe "intellectuel", logizomai "raisonner, calculer", et kardia = "cœur") et par conséquent du NT, mais ce n'est justement pas le cas en Luc 15,17 qui dit simplement "venir en/à soi-même" (eis heauton elthôn <- erkhomai): on traduirait naturellement en français "revenir à la raison", n'eût été la tradition "introspective" du "rentrer en soi-même" (tradition qui varie d'ailleurs selon les langues, je me souviens qu'en portugais on disait "tomber en soi", ce qui était amusant pour des oreilles françaises; cf. Vulgate in se autem reversus, "retourné en lui-même").

Si toutefois on lève le nez de ce genre de détail (ce qui peut encore s'interpréter comme une façon d'en "sortir" ou d'en "revenir", de changer de perspective pour un "horizon" plus vaste ou plus étroit), on ne saurait manquer d'être frappé par la contradiction formelle des "métaphores" intériorisantes ou extériorisantes qui nous incitent dans tous les domaines (de la religion à la psychologie populaire), tantôt au recueillement et au retour sur soi, tantôt à la sortie, à l'ouverture, à la "déclosion" comme dirait J.L. Nancy. (Revoir éventuellement ici, ou repenser au fameux Ephphatha de Marc 7,34 p. ex.)
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MessageSujet: Re: dehors   dehors Icon_minitimeLun 07 Juin 2021, 12:46

Citation :
En Isaïe 44,19 la formule est en effet la même qu'en 1 Rois 8,47, "faire revenir (ou ramener) à son coeur". Bien entendu, comme l'ensemble des processus intellectuels, cognitifs, mémoriels, réflexifs (et aussi, mais pas seulement, affectifs), l'"introspection" ou le "recueillement" passent habituellement par le "coeur" en hébreu et dans la Bible hébraïque; ce que calque souvent le grec de la Septante (ici en combinant un verbe "intellectuel", logizomai "raisonner, calculer", et kardia = "coeur") et par conséquent du NT, mais ce n'est justement pas le cas en Luc 15,17 qui dit simplement "venir en/à soi-même" (eis heauton elthôn <- erkhomai), ce qui se traduirait le plus naturellement en français par "revenir à la raison" n'eût été la tradition "introspective" du "rentrer en soi-même" (tradition qui varie d'ailleurs selon les langues, je me souviens qu'en portugais on disait "tomber en soi").

L'introspection du Fils prodigue, le mène une repentance raisonnée, calculée et non liée à une émotion, un regret du mal accompli. Après cet examen, il fait ce constat : Chez mon père, les ouvriers ont du pain en abondance, et moi je meurs de faim. Cela traduit un intérêt personnel, le même qui l'a conduit à quitter son père et a lui demander sa part d'héritage, il n'a pas changé, il a juste pris le temps de réfléchir. Se repentir, c’est dépasser l'introspection, "rentrer en soi-même" est l'aspect négatif de l'expérience de la repentance.  Ce premier pas nous fait comprendre que l'on ne trouve pas le meilleur en soi, au contraire, le calcul et l'égoïsme. Alors le soi n'est plus le critère de référence. La repentance nous ouvre vers l'extérieur avec la volonté de dépasser notre petite personne,  le soi n'est plus le critère de référence.


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MessageSujet: Re: dehors   dehors Icon_minitimeLun 07 Juin 2021, 13:02

Excellentes remarques. On peut noter aussi que ce procédé de "délibération" intérieure et calculatrice (au théâtre ce serait un aparté, au cinéma une voix "off", en tout cas une "extériorisation" à laquelle l'écriture et la lecture n'échappent que formellement, parce qu'elles extériorisent tout ce qu'elles disent) est particulièrement fréquent dans les paraboles de Luc (comparer 12,17; 16,3; 18,4, où la réflexion n'a rien de "sentimental" ni de "moral").
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MessageSujet: Re: dehors   dehors Icon_minitimeLun 07 Juin 2021, 14:51

"quand je fus saisi par l'Esprit, au jour du Seigneur ; j'entendis derrière moi une voix, forte comme le son d'une trompette" (Ap 1,10)

"Aussitôt je fus saisi par l'Esprit. Il y avait un trône dans le ciel, et sur ce trône quelqu'un était assis" (Ap 4,2)

"Il me transporta, par l'Esprit, dans un désert. Je vis alors une femme assise sur une bête écarlate, pleine de noms blasphématoires, qui avait sept têtes et dix cornes" (Ap 17,3).

Dans ces textes, il est fait allusion aux transports extatiques




Dernière édition par free le Mer 18 Mai 2022, 16:38, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: dehors   dehors Icon_minitimeLun 07 Juin 2021, 15:25

A la lettre, il n'est pas question d'"ex-(s)tase" ni d'"ex-tériorité" (et encore moins d'"intériorité") dans ces textes: "je fus/devins en-esprit" (egenomèn en pneumati), 1,10; 4,2; de "transport" seulement en 17,3 ("il m'enleva/m'emmena au désert en/par l'esprit", cf. aussi 21,10, d'après Ezéchiel 43). De "transe", oui, au sens de "changement d'état" ou éventuellement de "mouvement" sur le modèle prophétique ou apocalyptique, mais l'orientation "intérieure", "extérieure", ou les deux le cas échéant ne peut se déduire que de ce qu'en suggèrent effectivement les textes. Un rêve, une vision, une hallucination, une imagination ou même une "pensée", est-ce "dedans" ou "dehors", ou les deux à la fois, du "dehors dedans" si l'on peut dire ? (J'ai vu hier soir le très joli film Corps et âme de la Hongroise Ildiko Enyedi, sur l'histoire d'un "rêve partagé" qui fait "sortir" l'un vers l'autre deux êtres singulièrement "enfermés en soi", je le recommande... c'est aussi l'occasion de rappeler le bel épisode d'Actes 12, la "libération-en-rêve" de Pierre qui s'avère "réelle", dans le texte du moins.)
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MessageSujet: Re: dehors   dehors Icon_minitimeLun 07 Juin 2021, 16:43

Un noyau proprement mystique, où se discernent deux éléments corrélatifs :

a) Un élément positif, essentiel ; l'élévation extraordinaire de l'esprit, absorbé dans une étroite union (de connaissance et d'amour) avec Dieu. Cette union, sans laquelle L'état complexe que nous appelons ici '1; extase » n'aurait aucune valeur religieuse, s'échelonne depuis les illuminations savoureuses où se perçoit seulement l'action divine dans l'âme, jusqu'à l'ineffable fruition d'une présence immédiate de Dieu même.

b) Un élément négatif, secondaire : l'inhibition totale ou partielle des facultés sensibles, soit uniquement des sens externes soit aussi de l'imagination ; dans ce dernier cas, l'effacement total des images rend impossible le mode conceptuel et discursif de la pensée ; reste place seulement (puisque l'hypothèse de l'inconscience complète est contredite par les documents mystiques) pour une activité intellectuelle dépassant le plan du « discours ». https://www.nrt.be/fr/articles/la-notion-d-extase-3585
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MessageSujet: Re: dehors   dehors Icon_minitimeLun 07 Juin 2021, 17:52

Curiosité fascinante: ce texte date de 1937, mais quant à son contenu (propos, références, méthode, etc.), à peu de choses près il pourrait aussi bien dater du XVIIe siècle -- alors qu'on aurait du mal, je pense, à trouver quelque chose de semblable vingt ou trente ans plus tard, même chez des théologiens catholiques. Ce qui a changé entre-temps, pour tout le monde ou presque, c'est la conscience, paralysante dans un sens, libératrice dans un autre, de l'impossibilité ou de l'absurdité de juger "objectivement" d'une "expérience" (qu'on serait tentée de qualifier de "subjective", mais même cet adjectif porte à faux dans la mesure où il ne s'agit justement pas d'un rapport "sujet/objet"), que ce soit sur des critères "dogmatiques" ou "scientifiques". La psychanalyse et le tour husserlien de la "phénoménologie" y sont sans doute pour quelque chose, compte tenu du temps qu'ils ont mis pour parvenir aux oreilles, et surtout entre les oreilles, des théologiens catholiques; on peut cependant se rappeler que Heidegger avait lui-même tenté d'appliquer la phénoménologie husserlienne à l'"expérience religieuse" et à la "mystique", à la fin des années 1910 et au début des années 1920, avant de tracer sa propre voie en ignorant aussi superficiellement qu'obstinément les références religieuses et mystiques.

En somme, devant le "témoignage" de l'"expérience" d'autrui, qu'il soit "positif" ou "négatif", narratif, descriptif, théorisant ou pur silence, voire simple interruption, hiatus, lapsus ou dissonance dans le discours ordinaire, il devient de plus en plus difficile de se réfugier dans un "savoir" quelconque. Chacun est renvoyé sans garantie aucune aux ressemblances et aux différences de sa propre "expérience", qui ne sera "la même" ou "une autre" que pour autant qu'il la croit ou la veut ainsi.

---

Il faut dire par ailleurs, même si ce n'est pas la première fois qu'on le dit, que l'illusion de l'"intériorité" (et de l'"extériorité" qui s'y oppose) résiste remarquablement à toute "science" (ou "savoir"): on a beau "savoir" que nos "sens" ne sont pas des portes ni des fenêtres, qu'aucune lumière ni aucune image ne passe notre rétine, ni aucun son nos tympans, ni aucun goût nos papilles, en somme que toute notre perception d'un monde "extérieur" et notre interaction avec celui-ci dépendent d'une reconstruction artificielle, inséparablement naturelle et culturelle en ce qui nous concerne, nous continuons de faire comme s'il y avait quelque part en nous quelqu'un, un "moi" ou un "sujet" qui voit, entend, goûte, sent, touche, pense ou décide -- le seul d'ailleurs qui mériterait d'être appelé quelqu'un, celui qui "a un corps", et des "sensations" et des "sentiments" et des "pensées", bien que celui-là ne soit localisable nulle part, pas plus dans le cerveau que dans le cœur ou les reins... Quand le "vrai" dépend aussi intimement du "faux", ou le "réel" de la "fiction", la distinction entre tout cela n'en est que plus problématique.

---

Pour revenir à la Bible, l'opposition de l'"intérieur" et de l'"extérieur" est particulièrement sensible dans tout ce qui touche à la "pureté" ou à l'"impureté" dites "rituelles" ou à la "culpabilité" dite "morale" ou "pénale", soit ce que recouvre le vocabulaire du "péché" (faute, défaut, crime, etc.). On repense aussitôt au paradoxe anti-rituel de Marc 7//: ce n'est pas ce qui entre par la bouche de l'homme qui le souille, mais ce qui en sort (paroles d'abord, et actes qui s'ensuivent). Distinction "révolutionnaire" si on l'oppose à une certaine caricature du "judaïsme", pas seulement "pharisien" ni "sacerdotal" en l'occurrence, et pourtant largement précédée par de nombreux textes de l'"Ancien Testament", "prophétiques" mais aussi "liturgiques" ou "sapientiaux", sur la "pureté (circoncision, lavage, etc.) du cœur" (Deutéronome 10,16; 30,6; Jérémie 4,4.14; Joël 2,13; Psaumes 24,4; 51,12.19; 73,1.13; Proverbes 20,9; 22,11; Siracide 38,10 etc.).
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MessageSujet: Re: dehors   dehors Icon_minitimeMar 08 Juin 2021, 12:10

Le ravissement au troisième ciel La seule expérience extatique que Paul relate avec un certain détail est le ravissement céleste de 2 Co 12,2-6 :

«Je connais un homme en Christ qui, voici quatorze ans, était-ce dans son corps? je ne sais, était-ce hors de son corps? je ne sais, Dieu le sait – cet homme-là fut enlevé jusqu’au troisième ciel. Et je sais que cet homme – était-ce dans son corps? était-ce sans son corps? je ne sais, Dieu le sait – cet homme fut enlevé jusqu’au paradis et entendit des paroles inexprimables qu’il n’est pas permis à l’homme de redire. Pour cet homme-là, je m’enorgueillirai, mais pour moi, je ne mettrai mon orgueil que dans mes faiblesses. Ah! si je voulais m’enorgueillir, je ne serais pas fou, je ne dirais que la vérité; mais je m’abstiens, pour qu’on n’ait pas sur mon compte une opinion supérieure à ce qu’on voit de moi, ou à ce qu’on m’entend dire».

Le récit paulinien emprunte le style des ascensions célestes, que pratiquent les visionnaires apocalyptiques: 1 Hén 39,3-8; 52,1–57,3; 71,1-17; 2 Hén 3–23; 2 Ba 2–17; Ap Moïse 37; TestLévi 2,5-8,9. La mystique des Hekhalot, après Johanan ben Zakkaï., les multipliera à l’infini.

On décèle dans le texte de Paul les motifs classiques du voyage spirituel:

– la dissociation du corps («Était-ce dans son corps? je ne sais; était ce hors de son corps? je ne sais» 12,2-3);
– la gradation des cieux («enlevé jusqu’au troisième ciel» 12,2);
– la distance prise à l’égard du moi extatique («Je connais un homme», dit Paul de lui-même quand il raconte l’ascension).
Distanciation du corps et dissociation du moi correspondent au quatrième trait de l’expérience mystique: l’altération du sujet.

Mais il se trouve qu’au moment d’atteindre le sommet du récit, qui livre traditionnellement la révélation des choses vues ou des paroles entendues, Paul se dérobe; il évoque des «paroles indicibles (ãrrjta Åßmata), qu’il n’est pas permis à l’homme de redire» (12,4). L’ascension céleste bute paradoxalement sur un interdit de parole. La distance critique prise par Paul à l’égard de cette expérience mystique est patente quand il conclut: «Pour cet homme-là, je m’enorgueillirai, mais pour moi, je ne mettrai mon orgueil que dans mes faiblesses» (12,5). La réalité du voyage céleste n’est pas niée, et Paul aurait de quoi l’exhiber comme une performance ainsi que, vraisemblablement, ses concurrents à Corinthe le faisaient. Or, non seulement l’apogée de l’enlèvement n’est pas transmissible, mais Paul refuse de fonder son identité croyante sur ce vécu (oû kauxßsomai 12,5). Le kauxásqai, comme on sait, n’est pas une catégorie morale (s’enorgueillir), mais
une catégorie ontologique qui fonde l’identité croyante (baser sa vie sur).
https://www.persee.fr/docAsPDF/thlou_0080-2654_2012_num_43_4_4052.pdf
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MessageSujet: Re: dehors   dehors Icon_minitimeMar 08 Juin 2021, 17:48

Je pense que nous avons déjà vu ce texte (de Marguerat), peut-être plus d'une fois, mais je ne retrouve pas où. De 2 Corinthiens 12 en tout cas nous avons souvent parlé depuis le début de ce forum (p. ex. ici en 2008: c'est presque aussi vieux que l'était l'"expérience" de 2 Corinthiens 12 pour le texte qui la raconte -- pour autant qu'il "raconte").

Sous le mot de "mystique" on peut rassembler à peu près tout et n'importe quoi: les "cultes à mystères" de l'époque romaine, dont nous avons parlé encore tout récemment (ici, 2.6.2021), qui en tant qu'"éso-tériques" ou "in-itiatiques" valoriseraient plutôt un "dedans" communautaire par rapport à un "dehors", tout en comportant éventuellement des expériences "ex-(s)tatiques" ou "intro-spectives" pour les "in-itiés"; des manifestations "charismatiques" comme celles de 1 Corinthiens (dont il n'est plus du tout question dans 2 Corinthiens), qui peuvent caractériser certains "cultes à mystères" mais remontent aussi à des traditions diverses et beaucoup plus anciennes, comme le vieux "prophétisme" biblique (il serait plus exact de parler étymologiquement d'"en-thousiasme", c.-à-d. de "possession" ou d'"[in]-habitation" par les "dieux" ou par les "esprits", là encore ce serait plutôt une image d'"intériorité", le dieu ou l'esprit en soi mais se manifestant extérieurement); de la "gnose" qui peut également se greffer sur les "cultes à mystères" comme sur d'autres formes de "religion", voire de "philosophie", mais implique, comme son nom l'indique, une participation plus "intellectuelle" ou "cognitive", dans une veine "sapientiale" (sagesse); de l'"apocalyptique" qui combine à sa façon traditions "prophétique" et "sapientiale", mais sur un mode essentiellement littéraire: les possessions de l'"esprit" et les "ex-(s)tases" qu'elle met en scène et en récit, visions et interprétations, ne valent pas en tant qu'"expériences" réelles, individuelles ou collectives, elles sont avant tout écrites pour être lues et interprétées par des gens qui n'entendent nullement les reproduire. Bref, on peut qualifier tout cela (et bien d'autres choses d'avant, d'après et d'ailleurs, à commencer par la plus modeste "prière") de "mystique" mais on n'en parle pas moins de choses très différentes.

Il me semble cependant juste de dire que l'attitude paulinienne (de la correspondance corinthienne et au-delà) se caractérise surtout par la distance à l'égard de tous les types d'"expérience": il y a mieux que les "charismes" particuliers ET que la "connaissance" (gnôsis), c'est d'abord "l'amour" (1 Corinthiens 8; 13), ensuite la "foi" (Romains, Galates), qui ne sont certes pas la même "chose" mais ont en commun d'être indifféremment accessibles à tous les "croyants-fidèles", contrairement aux "charismes" et à la "connaissance" qui creusent entre eux des différences potentiellement conflictuelles. Dans 2 Corinthiens 12, "Paul" prend au mot l'"ineffable" de l'expérience extatique, sa "négation" ou "dénégation" essentielle (cf. encore Derrida, "Dénégations: comment ne pas parler", in Psyché II): si extraordinaire qu'elle soit il n'y a rien à en dire, on n'en rapporte aucun "savoir" ni aucun "enseignement", à la limite elle ne concerne même pas le "sujet" ("cet homme" et "moi" ça fait deux, "hors du corps" ou "dans le corps" je ne sais), encore moins les "autres". Cette attitude même peut être qualifiée de "mystique", mais elle le serait encore tout autrement que les diverses catégories de "mystique" évoquées ci-dessus.

---

Par rapport au caractère faussement exceptionnel et sensationnel de l'"extase", il faudrait peut-être souligner la banalité du "dedans-dehors" dans toute "existence" humaine: on a parlé du rêve (qui est aussi animal), mais la moindre parole ouvre notre "expérience" à ce que nous n'avons ni vu ni entendu; dans le conte, la fable, le mythe, l'épopée, le théâtre, le roman, nous trouvons à l'intérieur d'un espace et d'un temps réduits une extériorité d'imagination infinie -- de même dans le livre, à la télévision, au cinéma, sur n'importe quel écran, on passe par un "dedans" pour accéder à un "dehors", un "dehors" réel ou imaginaire nous parvient que nous "recevons", "accueillons", "intériorisons", "mémorisons", "retenons", sans pouvoir pour autant le situer nulle part "en nous". Bref, le dedans-dehors ou l'existence extatique, c'est aussi une expérience commune et quotidienne.
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MessageSujet: Re: dehors   dehors Icon_minitimeMer 09 Juin 2021, 11:01

La question que j’aimerais soulever ici est celle de savoir dans quelle mesure la foi et la vision mystique sont conciliables en général et chez Augustin en particulier. C’est que celui qui a fait une expérience mystique a nécessairement quelque chose de plus que la simple foi : il a vu ou touché une « autre réalité ». Et lorsque l’on dit que l’on a la foi, c’est généralement pour signifier que l’on n’a pas soi-même d’expérience directe de la réalité divine, mais que l’on y croit « quand même ».

Cette distinction entre la foi et la vision est pointée par saint Paul lorsqu’il oppose, dans un texte célèbre (1 Co 13,12), la « vision dans un miroir », « nous voyons jusqu’à maintenant à travers un miroir, en énigme ») à la « vision face à face », dont on peut dire qu’elle s’apparente à l’expérience mystique directe. Seulement, la différence entre les deux types de vision recoupe chez saint Paul celle de notre vie terrestre et de notre existence future : tant que nous vivrons, nous n’aurons que la vision en énigme, c’est-à-dire la foi, mais après notre mort, nous bénéficierons enfin, si Dieu le veut bien, de la vision face à face. Nous «verrons » enfin Dieu et pourrons sans doute lui poser toutes les questions que nous brûlons de lui adresser. C’est aussi de cette manière, je crois, que l’imaginaire populaire se représente la foi, c’est-à-dire comme une croyance en l’absence de vision, et ce que pourrait être l’existence après la mort, où nous verrons Dieu face à face. La seule, quoique importante différence est que saint Paul conçoit la relation de foi elle-même comme un don de Dieu. C’est une manière de dire que la « foi » est déjà le témoignage d’une présence directe, «mystique » si l’on peut dire, du divin. Avoir la foi, c’est déjà pour saint Paul jouir d’une grâce divine (il n’est que de penser ici à la manière dont saint Paul dit avoir été foudroyé sur le chemin de Damas), qui ne ressortit peut-être pas ou pas encore à la vision face à face, mais qui s’apparente néanmoins à une vision, car saint Paul dit bien qu’il s’agit d’une « vision dans un miroir », celui de la foi. https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/2008-v16-n2-theologi2915/001630ar.pdf
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MessageSujet: Re: dehors   dehors Icon_minitimeMer 09 Juin 2021, 12:00

Excellent article, dont je ne saurais trop recommander la lecture complète (ainsi, bien sûr, que celle des Confessions de saint Augustin qu'il commente): la suite est peut-être encore plus pertinente à notre discussion, non seulement parce qu'elle étaye les réserves déjà exprimées sur le mot de "mystique" (qu'Augustin n'emploie précisément pas dans le sens commun et nébuleux dont nous venons de parler), mais surtout parce qu'elle souligne les aspects "spatiaux" des différentes "expériences" évoquées (dedans / dehors, introspection / extase).

L'opposition du "croire" au "voir", avec toutes ses implications sensorielles et catégorielles (privilège de l'ouïe sur la vue, du "temps" sur l'"espace"), caractérise dans une certaine mesure un premier "paulinisme" (Corinthiens-Romains), beaucoup moins ses suites (deutéro-pauliniennes, Colossiens-Ephésiens); et pas du tout le johannisme par exemple où, comme on l'a maintes fois remarqué, tous les "sens" et les verbes (voir, entendre, croire, aimer, etc.) sont quasiment interchangeables. Il est assez remarquable qu'Augustin confonde, partiellement et peut-être délibérément, ce qu'il a reçu du néoplatonisme et du johannisme -- le néoplatonisme (de Plotin ou Porphyre) se distinguant lui-même du platonisme par un certain ton "religieux" ou "mystique" qui va de pair avec une "spatialisation" de l'idéal (ekei, là-bas): la "philosophie" même y prend un net caractère ek-statique, en même temps qu'introspectif (c'est toujours un "dehors" qu'on cherche et qu'on trouve, le cas échéant, "dedans").

Tout aussi intéressante est la conclusion, qui montre qu'au-delà des "extases" on ne peut que revenir à ce qui était en-deçà, à savoir des "textes" (écrits ou non): la longue activité commentatrice d'Augustin est à cet égard exemplaire.

Sur 1 Corinthiens 13, voir p. ex. ici, ou .
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MessageSujet: Re: dehors   dehors Icon_minitimeMer 09 Juin 2021, 15:14

De ces expériences psychiques quotidiennes, la voie mène à celles plus proches de ce que vit la patiente, c’est-à-dire à l’extase réelle. Je parlerai ici de l’une des multiples formes très différentes que celle-ci revêt, de l’extase religieuse telle que les nombreuses confessions des extatiques nous la décrivent. Tous (Sainte-Thérèse, Saint-Augustin, Sainte-Catherine, par exemple) expriment le sentiment que le moi vit une fusion de la part spirituelle de l’âme avec Dieu et que le sens de soi disparaît en faveur d’une conscience divine, plus élevée. Maître Eckhart dit ceci : « Tu dois complètement t’abandonner toi-même et entrer en Lui car il te faut si complètement former un soi avec le sien que tu comprennes éternellement sa substance incréée et son néant sans nom. »

Dans l’expérience extatique, le soi s’efface et Dieu prend sa place. Ce Dieu n’est pas une personne qui aime ou punit mais l’expérience elle-même, ou l’acquisition d’une nouvelle conscience, celle de notre propre divinité à travers la disparition de la frontière entre le soi et Dieu. Dans l’extase, l’idée de Dieu qui était projetée à l’extérieur est ramenée dans le moi ; mais il n’y a pas de conflit entre le moi et le surmoi ou entre le soi et Dieu car tous deux – soi et Dieu – sont soi. C’est à partir de ce sentiment béat d’unité qu’est née la croyance selon laquelle, dans l’extase, le Saint Esprit pénètre dans l’homme. Cette croyance naïve contient toute la psychologie de l’état en question ; elle déplace simplement le processus psychique dans le monde extérieur. Dans le cas de la patiente B, l’analyse a permis d’élucider la genèse de cet état. Le désir originel d’une union sexuelle avec le père n’a été atteint que dans la sublimation, dans l’alliance entre, d’une part, le moi et, de l’autre, le Dieu-père-idéal du moi. Toutes les confessions des extatiques permettent de démontrer à la fois l’origine sexuelle de l’expérience extatique et le fait que le but est atteint dans l’acte de la sublimation. Les troubles que le diable peut causer, parfois aussi son triomphe, représentent des échecs de la sublimation, une percée du ça dans l’unité du moi et du surmoi. Chez la patiente B, un bonheur passager faisait place à la dépression, à l’introversion, dont le contenu correspondait à une percée de fantasmes incestueux et à la réaction punitive contre eux. Le sentiment de béatitude comme refoulement réussi de désirs sexuels se trouvait complètement à l’opposé du processus psychique à l’œuvre chez la patiente A ; mais l’une comme l’autre y arrivait à travers un sentiment d’unité dans le moi – l’une dans la satisfaction pulsionnelle non perturbée, l’autre dans un acte de sublimation. https://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2010-1-page-39.htm
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MessageSujet: Re: dehors   dehors Icon_minitimeMer 09 Juin 2021, 16:14

N.B.: Bien que publié ici (en français) en 2010, c'est un texte de 1927 -- comme je ne suis pas féru de psychanalyse, ce n'est pas le nom de l'auteur(e) mais le caractère massif des affirmations qui m'a mis la puce à l'oreille: même chez les freudiens orthodoxes on a beaucoup nuancé depuis.

Rien n'empêche en principe les psychanalystes d'interpréter avec leurs propres "lunettes" des textes "religieux" (ou "littéraires", ou "philosophiques"), d'autant que ceux-ci comportent une part d'autobiographie réelle ou imaginaire, comme c'est le cas de tout ce qui relève du "témoignage" vrai ou faux, du récit ou de la description d'"expérience", même fictive. Le résultat ressemble toutefois beaucoup, et non sans ironie, aux jugements "théologiques" de la Sainte-Inquisition qui devait se prononcer, selon des critères dogmatiques, sur l'authenticité et la conformité à la doctrine catholique de tels "témoignages" (le procès de Jeanne d'Arc est sans doute l'exemple le plus célèbre, en France du moins). Malgré l'incongruité congénitale de ces entreprises, elles retombent forcément par moments sur des observations justes et pertinentes, par exemple le "moment d'unité" qui abolit provisoirement les frontières de "soi" et de l'"autre", qu'il s'agisse de "Dieu", de l'être aimé ou du "monde", et se prête indifféremment à des lectures "sexuelles" ou "mystiques" qui ne s'opposent que superficiellement, en se renvoyant les unes aux autres.

Un texte, presque au hasard, qui décrit bien cette "unité" au-delà de toute "crainte", ce serait 1 Jean 4,17s: "En ceci est accompli-achevé (teleioô) l'amour (agapè) avec nous, de sorte que nous ayons de la franchise-liberté (parrèsia) au jour du jugement (krisis): tel est celui-là (ekeinos, démonstratif lointain, cf. l'ekei néoplatonicien dont on vient de parler), tels nous sommes, nous, dans ce monde(-ci). Il n'est pas de crainte dans l'amour, mais l'amour accompli-achevé (idem) jette dehors (exô) la crainte..." Autrement dit, lui et nous, là-bas et ici, dehors et dedans c'est pareil, le sentiment d'"unité" précède et excède toute différence, les tensions s'annulent, le dehors ne menace plus le dedans. Avec de tout autres termes, on retrouverait la même logique dans la conclusion de Romains 8: si Dieu est avec nous, qui sera contre nous ?

---

N.B.: cette problématique "spatiale" est particulièrement bien thématisée dans l'Evangile selon Thomas, dans une perspective plus ou moins "gnostique" selon les logia. P. ex.:
Citation :
3: Jésus dit: Si ceux qui vous dirigent vous disent: "Voici, le royaume de Dieu est dans le ciel", alors les oiseaux du ciel vous précéderont; s'ils vous disent "Il est dans la mer", les poissons vous précéderont. Mais le royaume est en vous et hors de vous. Quand vous vous connaîtrez, alors vous serez connus, et vous saurez que vous êtes les fils du Père vivant. Mais si vous ne vous connaissez pas vous êtes dans la misère, et vous êtes la misère.
22: Jésus vit des nourrissons qui tétaient. Il dit à ses disciples: Ces nourrissons qui tètent sont comme ceux qui entrent dans le royaume. Ils lui dirent: Allons-nous aussi entrer dans le royaume comme des enfants? Il leur dit: quand vous aurez fait de deux un, quand vous aurez fait le dedans comme le dehors et le dehors comme le dedans, et le dessus comme le dessous, quand vous aurez fait du mâle et de la femelle un seul et même, de sorte que le mâle ne soit plus mâle ni la femelle femelle, et que vous aurez fait des yeux au lieu d'un oeil et une main au lieu d'une main, et un pied au lieu d'un pied, et une ressemblance au lieu d'une ressemblance, alors vous entrerez [dans le royaume].
89: Jésus dit: Pourquoi lavez-vous l'extérieur de la coupe ? Ne savez-vous pas que celui qui a fait l'intérieur est aussi celui qui a fait l'extérieur ?
113: Ses disciples lui dirent: Quand viendra le règne-royaume? -- Il ne viendra pas comme on l'attendrait; il ne s'agit pas non plus de dire: Il est ici ou il est là. Le règne-royaume du Père s'étend sur la terre, et les hommes ne le voient pas.
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MessageSujet: Re: dehors   dehors Icon_minitimeJeu 10 Juin 2021, 11:20

1  « Extase », « excès » et « ravissement » (raptus) sont considérés au xviie siècle comme des synonymes, à quelques nuances près. « Extase » dérive du grec ἔκστασις, « excès » du latin excessus qui en est l’équivalent le plus courant dans la tradition scripturaire et patristique latine, en concurrence avec la translittération ecstasis ou extasis. La distinction la plus couramment reçue entre extase et ravissement est fournie par Thomas d’Aquin dans sa Somme théologique, IIa IIae, q. 175, art. 1, resp. 1 et art. 2, ad 1, qui fait d’extasis le genre et de raptus l’espèce, le ravissement ajoutant la violence à l’extase la violence et relevant par conséquent d’un principe extérieur à l’inclination naturelle de l’homme. Thomas insiste toutefois dans les Questions disputées. De Veritate, t. I, trad. André Aniorté, Le Barroux, Sainte-Madeleine, 2011, q. 13, art. 2, ad 9, p. 1150, sur la synonymie d’excessus, extasis et raptus : « À ce que l’on demandait en dernier lieu, il faut répondre que l’excès de l’esprit, l’extase et le ravissement, tout cela revêt le même sens dans les Écritures, et signifie une certaine élévation depuis les sensibles extérieurs, auxquels nous nous appliquons naturellement, vers des choses qui sont au-dessus de l’homme. » (« Ad id quod ultimo quaerebatur, dicendum, quod excessus mentis, extasis, et raptus, omnia in Scripturis pro eodem accipiuntur ; et significant elevationem quamdam ab exterioribus sensibilibus, quibus naturaliter intendimus ad aliqua quae sunt supra hominem. ») (Je modifie quelque peu la traduction d’A. Aniorté.) https://journals.openedition.org/dossiersgrihl/6740

Je cite cet extrait uniquement pour le rapprochement entre « Extase » et « ravissement ».
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MessageSujet: Re: dehors   dehors Icon_minitimeJeu 10 Juin 2021, 11:55

Cet article me semble très intéressant, j'y reviendrai peut-être après l'avoir lu. En attendant je signale que j'ai ajouté un paragraphe à mon post précédent, quelques extraits de l'Evangile de Thomas qui méritent aussi, à mon sens, d'être lus ou relus.

P.S. La lecture confirme ma première impression au-delà de toute espérance: sur l'"objet" réduit du XVIIe siècle français (traductions d'époque incluses), on retrouve, outre des textes sublimes, une excellente analyse des composantes apparemment contradictoires de "l'extase mystique" (en espérant que les guillemets suffisent à rappeler les réserves précédemment exprimées sur ces termes): entre "quiétisme" (silence, passivité, abolition ou suspens des "facultés" actives, de "connaissance" ou d'"entendement" en particulier) et "enthousiasme" (de type "charismatique", actif et expressif par excès sur tout "sens"), entre inspirations "bibliques" et "néoplatoniciennes" ravivées aux XVIe siècle, entre "irrationalité" et volonté de "rationalisation" (qui sont à l'époque et dans ce contexte intégralement "chrétiennes" et "catholiques", aussi bien de la part des défenseurs que des détracteurs de la "mystique"), enfin entre "expérience" de l'ineffable et "récit" ou "écriture" (ce serait le cas d'écrire "excriture", comme J.L. Nancy), notamment "lyrique" ou "poétique" comme "traduction" de l'extase: dire sans dire, parler sans parler, raconter sans raconter, décrire sans décrire, etc. Bref, une excellente lecture, merci encore (je ne le dis pas assez souvent).
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MessageSujet: Re: dehors   dehors Icon_minitimeJeu 10 Juin 2021, 12:45

Narkissos a écrit:

N.B.: cette problématique "spatiale" est particulièrement bien thématisée dans l'Evangile selon Thomas, dans une perspective plus ou moins "gnostique" selon les logia. P. ex.:
Citation :
3: Jésus dit: Si ceux qui vous dirigent vous disent: "Voici, le royaume de Dieu est dans le ciel", alors les oiseaux du ciel vous précéderont; s'ils vous disent "Il est dans la mer", les poissons vous précéderont. Mais le royaume est en vous et hors de vous. Quand vous vous connaîtrez, alors vous serez connus, et vous saurez que vous êtes les fils du Père vivant. Mais si vous ne vous connaissez pas vous êtes dans la misère, et vous êtes la misère.
22: Jésus vit des nourrissons qui tétaient. Il dit à ses disciples: Ces nourrissons qui tètent sont comme ceux qui entrent dans le royaume. Ils lui dirent: Allons-nous aussi entrer dans le royaume comme des enfants? Il leur dit: quand vous aurez fait de deux un, quand vous aurez fait le dedans comme le dehors et le dehors comme le dedans, et le dessus comme le dessous, quand vous aurez fait du mâle et de la femelle un seul et même, de sorte que le mâle ne soit plus mâle ni la femelle femelle, et que vous aurez fait des yeux au lieu d'un oeil et une main au lieu d'une main, et un pied au lieu d'un pied, et une ressemblance au lieu d'une ressemblance, alors vous entrerez [dans le royaume].
89: Jésus dit: Pourquoi lavez-vous l'extérieur de la coupe ? Ne savez-vous pas que celui qui a fait l'intérieur est aussi celui qui a fait l'extérieur ?
113: Ses disciples lui dirent: Quand viendra le règne-royaume? -- Il ne viendra pas comme on l'attendrait; il ne s'agit pas non plus de dire: Il est ici ou il est là. Le règne-royaume du Père s'étend sur la terre, et les hommes ne le voient pas.

Le Royaume ne peut être situé ni dans le temps, ni dans l’espace, ni dans le ciel, ni dans la mer, ni à l’intérieur, ni à l’extérieur : il est simplement partout, il peut être perçu comme une réalité intérieur au croyant mais aussi comme une manifestation extérieure au croyant, seule la connaissance permet de reconnaitre le Royaume. Il me semble que la perception (d'abord) intérieure du Royaume induit la capacité à saisir la réalité extérieure du Royaume.



Citation :
Bref, une excellente lecture, merci encore (je ne le dis pas assez souvent).

Tes réponses instructives sont des vraies remerciements.
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MessageSujet: Re: dehors   dehors Icon_minitimeJeu 10 Juin 2021, 14:39

Pour rappel (cf. encore ici, 2.6.2021), le français, plus précis dans ce cas que le grec (et sans doute que le copte, s'agissant de Thomas qui nous est parvenu sous sa forme la plus complète dans cette langue), oblige à choisir plus ou moins "arbitrairement" entre un "royaume" plutôt "spatial" (territoire, "région") et un "règne" plutôt "temporel" (s'agissant de l'"action" de régner, "régime", etc.), outre les nuances qualitatives de la "royauté". On peut noter aussi que les paradoxes "spatiaux" en impliquent beaucoup d'autres, en matière de "nombre" (deux ou plus / un, pluriel / singulier), de "genre" ou de "sexe" (masculin / féminin -- ce dont on a déjà beaucoup parlé ici p. ex.), voire d'"espèces" (divin / humain / animal); que les analogies "canoniques" des textes précités se trouvent surtout dans les Synoptiques, Luc en particulier (11,39ss pour Thomas 89, 17,20ss pour Thomas 3 et 113, 18,15 pour Thomas 22), mais que le contexte narratif de Luc tend à noyer le sens des logia sans faire apparaître entre eux de rapport "logique", alors que l'absence de contexte narratif de Thomas (logia juxtaposés avec récit minimal, de type "Jésus dit" ou "les disciples disent et Jésus leur répond") met plutôt en évidence une certaine cohérence du sens, ne fût-ce que dans le paradoxe même. Enfin, que si le "matériau textuel" de Thomas est relativement peu "johannique", sa "logique" présente de profondes affinités avec les textes johanniques: l'inclusion réciproque caractéristique de ces derniers, x EN y ET y EN x (lui en moi-nous et moi-nous en lui, etc.), c'est du "dedans dehors" et du "dehors dedans" en permanence. Et à peu de choses près ce serait aussi bien "paulinien" ou "deutéro-paulinien" (Christ en nous, nous en Christ, Dieu tout en tous).
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MessageSujet: Re: dehors   dehors Icon_minitimeVen 11 Juin 2021, 16:10

Phénoménologie de l’extase

Ces exemples montrent que c’est la rencontre de l’Objet du désir qui provoque le ravissement. Rencontre imparfaite et fugace. L’extase est une propédeutique, préparation à la contemplation, « qui n’est pas autre chose – dit Jean de la Croix – que l’infusion secrète, pacifique et amoureuse de Dieu, qui, si on le lui permet, embrase l’âme en esprit d’amour ». Ou encore « un très haut sentir/ de l’essence divine » comme il est dit dans le poème « Je suis entré où ne savais… (Entréme donde no supe…) » qui évoque « une extase de haute contemplation ».

L’extase a des effets variés : l’esprit en est ébahi pendant un ou deux jours […]. (V 39, 23). Le ravissement peut aller jusqu’au vertige et à la perte de conscience. L’extase s’effectue souvent de façon intempestive. Au sujet de Thérèse, un théologien déclare : « Dès qu’elle entend parler de Dieu avec force dévotion, il lui arrive très souvent d’être ravie en extase, et si elle cherche à s’y opposer, cela lui est impossible […]. »


Les degrés de l’extase sont divers, depuis le ravissement délicieux jusqu’à l’envol de l’esprit (ou la lévitation), qui semble détacher l’âme du corps, en passant par l’extase profonde, où le sujet perd l’usage de ses sens et de ses facultés normales. Selon Maître Eckhart : « […] s’il faut que Dieu entre, la créature doit sortir . »

https://www.cairn.info/journal-savoirs-et-cliniques-2007-1-page-27.htm
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MessageSujet: Re: dehors   dehors Icon_minitimeSam 12 Juin 2021, 11:29

Très beau(x) texte(s).

Commenter des textes "mystiques" est particulièrement casse-gueule, et un peu vain dans la mesure où on passe forcément, d'une manière ou d'une autre, à côté de ce qu'ils disent: qu'on les révère ou qu'on les ridiculise, qu'on les intellectualise, qu'on les psychologise, qu'on les pathologise, qu'on les objective, qu'on les phénoménalise, qu'on les sensationnalise, qu'on les théâtralise ou qu'on les poétise, on quitte le champ du texte, qui est ce qu'il est et fait l'effet qu'il fait, différent sans doute sur chaque lecteur -- sans arriver pour autant au (non-)lieu de l'"expérience" présumée hors texte. A tout prendre, le meilleur "point de vue" c'est encore celui de la lecture, je veux dire de la "simple" lecture cursive des textes, en traduction si nécessaire, mais sans commentaire et avec le moins de questions possible -- j'ai beaucoup lu ce genre de textes ("mystiques" au sens le plus large, notamment Saint Jean de la Croix, mais aussi maître Eckhart et bien d'autres dans des traditions non chrétiennes, p. ex. Hallaj du côté musulman, et des textes indiens, bouddhistes ou taoïstes) à ma sortie des TdJ, à cette époque j'éprouvais une résonance certaine avec tout cela; la théologie m'a ensuite arraché à ce "genre", ce que j'ai souvent regretté mais c'est comme ça -- il m'a quand même marqué.

On peut noter, en passant, que la différence entre saint Jean de la Croix et sainte Thérèse d'Avila est déjà d'"intellectualisation" d'une part et de "sensibilité" ou de "sensualité" de l'autre, même si ça ne fait que confirmer des "stéréotypes de genre" (stéréotypes qui étaient bien présents et actifs dans la culture de l'Espagne contemporaine, quoi qu'on en pense et en fasse aujourd'hui). Mais ça n'en fait aussi que mieux ressortir une profonde affinité de fond et de forme: entre le paradoxe conceptuel et l'oxymore poétique, la même nécessité (symptomatique si l'on veut) de la contradiction formelle: parler sans parler, dire sans dire, raconter sans raconter, décrire sans décrire, etc.

A propos de la phrase que tu soulignes, il faut bien comprendre que chez Eckhart (dont la "mystique" est de part en part "intellectuelle") c'est en "nous" que "Dieu" et "la créature" s'opposent, de sorte que l'alternative entre "Dieu" et "la créature" n'est pas du tout une alternative entre "Dieu" et "nous": "nous" ne sommes pas que "créature", "nous" ne le sommes même pas "essentiellement", l'être originaire et abyssal n'est pas plus "divin" qu'"humain", le "fond sans fond de l'âme" est le "fond sans fond de Dieu", voilà comment "Dieu" peut naître "en nous" (cela sonne peut-être plus "gnostique" que "mystique", en tout cas c'est comme ça que ça fonctionne et ça fonctionne intelligiblement dans les textes, quoique à la limite du "langage" et de la "connaissance", sur leur "limite" même -- comme toute pensée de l'"être").

Concernant les notions de "rapt" ou de "ravissement", à bien comprendre au sens (métonymique) d'"enlèvement", il est à peine utile de rappeler, tant nous en avons parlé déjà, qu'elles proviennent d'une tradition très riche, des "enlèvements" d'Hénoch ou d'Elie dans l'AT qui vont nourrir une "apocalyptique" plus tardive, aux scénarios eschatologiques du rassemblement des élus, en passant ou non par les diverses formes d'"élévation" ou d'"ascension" des "justes", "martyrs" etc. (cf. encore récemment ici). Bien entendu, la "mystique" les tourne à sa façon, mais l'emploi de ce vocabulaire y souligne l'aspect "passif" de l'"extase" (quelque chose qu'on subit, voire qu'on pâtit ou souffre -- tout en en jouissant -- plus qu'on ne l'"agit", ne le "produit" ou ne le "décide").

Sur un tout autre registre, on peut rappeler que la pensée du "dedans dehors" s'est prolongée, en particulier chez les penseurs français du XXe siècle (Lacan, Foucault, Deleuze, Derrida), dans une sorte de topographie métonymique (pli, invagination, effets de bord, de limite ou de profondeur des surfaces, notamment autour de paradigmes comme celui du ruban de Möbius). Le dualisme a plus d'un tour dans son sac, comme ne tardent pas à s'en apercevoir ceux qui prétendent le "surmonter". N'empêche que c'est toujours un "extérieur" qui s'"intériorise" et inversement, du "même" qui devient "autre" à même lui-même, sans jamais revenir au même, ne serait-ce que par sa "propre" répétition (de l'itération à l'altérité, de l'altération à l'aliénation). L'un-tout (Dieu tout en tous, ou l'être des étants, monothéisme, panthéisme ou monisme) reste un "horizon" indépassable, (mais) un "horizon" (justement), celui de la différence (ou différance) à perte de vue.
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MessageSujet: Re: dehors   dehors Icon_minitimeMer 16 Juin 2021, 15:27

Entre abandon et maîtrise

Tensions

Le second problème sur lequel se sont concentrés les exposés est la tension à l’œuvre dans le mouvement extatique entre le consentement et le rapt. La problématique première de l’extase, entre folie du lâcher-prise et décision du lâcher-prise paraît ainsi rejoindre la problématique qui est au centre de tout travail artistique. Dans son analyse des travaux du chorégraphe Maurice Béjart, Petra Lohmann a souligné que le contrôle venait justement du fait d’être « hors de son corps ». Hors de soi, on contrôle mieux le mouvement. On retrouve chez la figure nietzschéenne du danseur de corde les deux dimensions de l’apollinien et du dionysiaque, deux dimensions que Béjart applique à la danse comme l’a relevé P. Lohmann.

La même dualité, qui se trouve être persistante dans les travaux d’Eisenstein, a été relevée dans la discussion. Eisenstein promet en effet l’émancipation du spectateur, mais par un système rigide de contrôle des effets qui peut sembler relever plutôt d’une volonté de maîtrise du spectateur. La discussion a conduit les participants à s’interroger sur la « libération » du spectateur revendiquée par Eisenstein dans cette recherche d’un effet extatique qui émancipe (comme il soignait ou guérissait chez Artaud). Il a été rappelé qu’Eisenstein avait par ailleurs lui-même une pratique du dessin que l’on pourrait qualifier d’extatique, et que son expérience du Mexique avait également influencé son idée de l’extase et de son rôle.

Dans l’art, l’extase se refuse aux figures aux contours nets ; elle se débat dans les traits sculptés et suscite des débats sur l’expression pourtant gravée dans la pierre. Dans la problématique tension extatique entre abandon volontaire et perte radicale de soi, la sculpture de Sainte Thérèse d’Avila par Le Bernin, dont Benjamin Couchot a proposé l’étude, a été un intéressant objet de commentaire. L’ambiguïté entre abandon et contraction, qui se lit sur tout le corps de la statue, semble signaler une sorte d’état d’entre-deux. L’âme est comme crucifiée entre ciel et terre, en attente de recevoir enfin et pleinement Dieu, mais encore douloureusement figée au sol. Katharina Van Dyk s’est proposé de reconstituer, en-deçà des plis de la robe de sainte Thérèse, le mouvement corporel figuré ici : si les parties visibles du corps ont l’air inertes, en réalité reproduire la posture de sainte Thérèse supposerait une forte torsion du ventre, une contraction étonnante des entrailles qui, chez un être vivant, ne pourrait qu’être douloureuse. Cette extase sculptée est presque chorégraphique : là aussi cette remarque révèle une tension entre la maîtrise, la production calculée de l’extase, et l’abandon irréfléchi à Dieu.

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MessageSujet: Re: dehors   dehors Icon_minitimeMer 16 Juin 2021, 16:37

Ce compte rendu interdisciplinaire montre en tout cas que l'"extase" se prête à d'infinies possibilités de "traduction" d'un (prétendu) "domaine" (religieux, artistique, philosophique, psychologique) à l'autre, comme d'une "pratique" ou d'une "expérience" à une "théorie" et inversement -- la "traduction" et la "théorie" mêmes étant foncièrement ek-statiques, translation, déplacement, transgression de "domaine" ou de "lieu", changement de place et de rôle d'acteurs et de spectateurs, d'agents ou de patients, de sujets et d'objets, qui ne sont jamais l'un sans (être) l'autre.

A la limite, mais tout se joue sur la limite, l'imposture absolue, l'imposture de l'absolu et l'absolu de l'im-posture, ce serait précisément un discours sur "l'extase" qui en parlerait sans prétendre y participer; et ce serait aussi bien le comble de l'ek-stase.

Dans ma bibliothèque personnelle, j'ai repensé à Hermann Hesse: de Narcisse et Goldmund qui peint l'irréductible dualité du même sous la forme, disons, de l'intelligible et du sensible, du théologien-théoricien et de l'esthète qui expérimentent différemment l'identité des contraires, du concept et de la forme ou de la jouissance et de la souffrance; à l'une de ses toutes dernières nouvelles, très courte, qui décrit l'extase dans le regard d'un petit garçon à la fête foraine, totalement absorbé par ce qu'il voit. Tout cela est à la fois plus simple et plus profond qu'on ne le croit. Dans le moindre intérêt (inter-esse), dans la moindre "attention" comme dirait Simone Weil, l'ek-stase est là, discrète, mais toute là, le dehors dedans et le dedans dehors. Je me suis aussi souvenu d'une petite fille, dans mes derniers mois de jéhovisme (elle doit aujourd'hui avoir la quarantaine bien sonnée), qui me montrait le dessin d'une maison en m'expliquant qu'elle était petite de l'extérieur, et immense à l'intérieur...
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MessageSujet: Re: dehors   dehors Icon_minitimeJeu 17 Juin 2021, 16:36

ig. 1 : Samā’ chez les derviches de Turquie

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[ltr]Agrandir Original (jpeg, 1,2M)[/ltr]
Miniature du XVIIe siècle.
9
Quant au wajd, « extase », « ravissement » ou « émotion spirituelle », suscité - notamment dans le samā’ - par une grâce divine, il faut savoir que ce terme dérive de la racine verbale WJD, « trouver », de même que ceux de tawājud, « excitation », qui désigne l’effort en vue de parvenir au wajd, et de wujūd, « existence », indiquant la plénitude du wajd, que During traduit par « enstase » ou « surexistence ». Pour Ghazzāli, le wajd, ou plutôt le wujūd, consiste à « trouver (wajada) ce qui manquait à soi-même », alors que le gnostique ‘Ali Rudbari en donne une définition beaucoup plus imagée : « C’est la révélation des mystères et la contemplation de l’Aimé ». 
https://journals.openedition.org/ethnomusicologie/2400
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MessageSujet: Re: dehors   dehors Icon_minitimeJeu 17 Juin 2021, 19:42

L'arabe coranique, et plus largement islamique, qui fournit l'essentiel du vocabulaire religieux même dans des langues très différentes comme le turc ou le persan, conserve visiblement pas mal de correspondances avec l'hébreu biblique: sama' / šm`, "entendre, écouter", cf. le fameux shema` Yisraël, "écoute, Israël (: Yahvé notre dieu, Yahvé un)", de Deutéronome 6; dhikr / zkr, "se souvenir, se rappeler", d'où invocation et évocation, p. ex. du "nom-mémorial" (šm-zkr, Exode 3) Yahvé, d'autant plus paradoxales que celui-ci n'est pas prononcé (cf. la tradition islamique des 99 noms d'Allah, où le principal, dernier ou premier, "manque à sa place", comme dirait Lacan).

Parce qu'ils sont essentiellement temporels, le son, la musique, le chant, la danse, le rythme aussi bien de la prière, de la lecture (qr' - Qur'ân - Coran) ou de la récitation (psalmodie, litanie), compliquent à première vue la problématique spatiale du "dedans" et du "dehors"; mais l'opposition de ces prétendues "dimensions" est très artificielle: tout "espace", réel ou imaginaire, suppose un "temps", celui d'"entrer" et de "sortir", le moment du mouvement ou du changement (transe, transit, transition, passage), la durée d'un parcours ou d'une "ex-périence", ou simplement de la tenue, séjour, stase ou stance en un "lieu" ou un "état" où l'on "demeure" (en soi, hors de soi, en Dieu, etc.), si peu que ce soit; de même il n'y a pas de musique ni de danse, ni de parole, sans un "espace" et des "corps". Bien entendu, tout cela passe aussi les frontières géographiques, historiques et cultu(r)elles, même si chaque tradition ne se reconnaît qu'exceptionnellement dans les autres.

Le lecteur de la Bible (chrétienne) repense au "prophétisme" ancien (1 Samuel 10 etc., où la musique induit un "changement de cœur") et aux "charismes" (y compris "prophétiques") de 1 Corinthiens, qui sont pourtant (déjà) très éloignés par le temps et la culture. En matière de "transe", il y aurait aussi les expressions rares qui caractérisent Balaam en Nombres 24, "celui qui tombe et dont les yeux sont ouverts, découverts ou dessillés".

Pour qu'existent (ek-sistent) des traditions de ce genre, qui laissent des traces dans l'histoire, dans les langues et dans les cultures, il faut que les sociétés contemporaines les intègrent, aussi économiquement; qu'elles leur accordent une place en leur sein, prestigieuse ou misérable, au centre ou à la marge, mais viable, sans toutefois se confondre avec elles. Or une société ne le fait que dans la mesure où elle y voit une certaine utilité, ou un certain intérêt. Prêtres, prophètes, chamans, sorciers, devins, gourous, sages, saints, moines, clercs, philosophes, poètes, écrivains, artistes, sportifs même, malgré tout ce qui les différencie entre eux d'une civilisation et d'une époque à l'autre, n'ek-sistent dans leur rapport différencié, ek-statique ou alter-statique, à la "réalité" ordinaire de leur lieu et de leur temps, que dans la mesure où leur différence ou leur "anomalie" est perçue par les autres comme utile, servant à quelque chose, une "fonction" en somme -- qu'il s'agisse de guérir, de réparer, de fédérer, de réconcilier, de prédire l'avenir, d'éviter des dangers, de résoudre des problèmes, de mobiliser les esprits ou les dieux en faveur d'un groupe plus large, du village ou du clan à la nation et à l'Etat, cité, royaume ou empire. Même si tout cela n'a aucun rapport, ou qu'un lointain rapport, avec la façon dont "l'inspiré" ou "l'extatique" lui-même vit et comprend son "expérience", tout le monde vit, autrement, du même malentendu. Mais dans les sociétés modernes, "laïques" ou sécularisées, rationalisées et technicisées, qui excluent ou enferment tout "sacré" et "folie" potentiels, cela se réduit à la "loi du marché": petite ou grande, c'est une "entreprise" comme une autre dont la viabilité dépend exclusivement d'une clientèle, d'un public ou d'une audience (y compris "virtuels"). Chaque type de "société" ou de "réalité" tolère, produit et entretient les types de différences qu'il peut, ou qu'il mérite...

Cela dit, la fin d'une "utilité" systémique est aussi un retour à la "gratuité" de l'ek-sistence et de l'ek-stase. Non viable, certes, mais paradoxalement sauve à même sa perte.

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