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 aspects -- du temps

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MessageSujet: Re: aspects -- du temps   aspects -- du temps - Page 4 Icon_minitimeLun 30 Sep 2024, 13:34

Citation :
La seule "chose" qui paraisse éternelle c'est précisément ce qui n'est pas une "chose" ni un "événement", le mathématique justement, les rapports invariants mais abstraits, conceptuels, idéels, dans l'infiniment variable, les règles de l'arithmétique et de la géométrie, ce qui est toujours vrai, chaque fois vrai, parce que ça "n'existe" pas en soi, sinon dans le logos de la pensée et du calcul (humains jusqu'à preuve du contraire).


II. Le temps et l’éternité

19 Mais il faut bien reconnaître la double nature de l’instant : l’instant comme synthèse d’éternel et de temporel dans l’homme est une détermination anthropologique. L’instant comme « plénitude des temps » est une détermination théologique. Cette dualité s’est déjà manifestée dans l’analyse du temps et de l’éternité

20 Après avoir, dans Le concept de l’angoisse, défini l’instant comme synthèse de temporel et d’éternel, l’auteur dit que cette synthèse « n’en est pas une nouvelle, mais elle ne fait qu’exprimer cette première selon laquelle l’homme en est une d’âme et de corps portée par l’esprit. Dès qu’on pose l’esprit, on a l’instant »28. La notion ainsi comprise prend place dans l’analyse de la liberté : l’instant du choix est le moment du temps investi par l’éternel concret, c’est le moment où le « moi éternel » s’exprime éthiquement dans le temps et s’incarne ainsi dans le mouvement de l’existence vers la béatitude éternelle. La réalisation de soi-même s’opère dans le temps, [105] c’est dans le temps que l’homme éprouve le vertige de la liberté. L’instant est le point de rencontre du temps et de l’éternité dans l’existence. Il s’agit déjà d’un paradoxe puisque dire que le sujet existe revient à dire que l’éternel devient29. L’instant est donc à prendre, dans ce contexte, au sens d’une dimension anthropologique. C’est la liberté du passage de la possibilité à la réalité.

21 Si l’on conçoit le temps comme pure succession infinie, l’instant n’est pas une catégorie du temps : la succession pure rend précisément impossible la solidification du flux en un « moment ». Le temps pensé dans l’abstrait ne connaît pas d’instant et un instant abstrait n’existe pas. C’est pourquoi le temps comme pur devenir est informe et ne connaît ni passé, ni présent, ni futur. Mais si nous pensons le réel, celui où une éternité concrète rencontre une existence, alors « le temps et l’éternité doivent se toucher [et] ce ne peut être que dans le temps, nous voilà devant l’instant »30. Voilà l’instant : Øjeblikket, littéralement coup d’œil (voir l’allemand Augenblick), métaphore exprimant la furtive rapidité du regard, l’éternité fugace, c’est-à-dire toujours asynchrone par rapport au temps. Le regard, dont étaient privées les statues grecques31, évoque l’instant comme catégorie du temps pénétré par l’éternité32. D’où la formule « L’instant n’est pas au fond un atome du temps, mais d’éternité »33. « L’instant est cette équivoque où le temps et l’éternité se touchent, et c’est ce contact qui pose [106] le concept du temporel où le temps ne cesse d’interrompre l’éternité et où l’éternité ne cesse de pénétrer le temps. Seulement alors prend son sens notre division susdite : le temps présent, le temps passé, le temps à venir »34. Pour les Grecs, l’instant était l’éternité elle-même, mais l’éternité de la spéculation, l’éternité abstraite récupérable par la réminiscence. Selon Kierkegaard, c’est seulement dans le christianisme que la catégorie de l’esprit permet de reconnaître la signification vraie du temps et de l’éternité.

22 « Dès qu’on pose l’esprit, on a l’instant »35. Les Grecs ne possédaient qu’une extase du temps et c’était le passé « non un passé s’opposant au présent et à l’avenir, mais comme catégorie générale du temps, comme un écoulement »36. L’éternité des Grecs est un passé, elle est en arrière ; ce concept, qui n’ouvre pas un avenir, est un concept purement abstrait.

23 On voit ici l’ambiguïté de l’instant : atome d’éternité, il est dans le temps. C’est de cette rencontre que naissent le seul maintenant réel et le seul futur possible. La vraie temporalité est un mouvement du réel et, dans ce mouvement, l’existence humaine est le lieu de rencontre du temps et de l’éternité. Ce mouvement, ce passage est l’authentique devenir, celui de la liberté, laquelle n’apparaît qu’avec l’esprit. Les textes, où Kierkegaard dit que l’éternel dans le temps est le futur, expriment le caractère réaliste et concret de l’éternité et le fait que l’instant accentue paradoxalement l’existence. La possibilité d’une alternative réelle dans l’existence humaine est un signe que, pour l’existant, l’éternité se présente comme futur37. [107] L’instant est décisif, parce qu’il rend possible la décision, qui est le contraire de la reprise de soi-même en arrière dans l’éternité38. L’instant fait accéder la temporalité à la réalité. Mais il y a, selon Kierkegaard, une double valorisation de l’instant et donc du temps réel. D’une part, l’instant décisif pour chaque histoire individuelle ; c’est dans le devenir de l’existence, par une marche en avant, que l’individu se réalise éthiquement par l’enchaînement de ses décisions libres. Notre moi véritable est toujours en avant de nous dans cet « incognito où l’éternel, comme incommensurable au temps, veut sauvegarder son commerce avec le temps »39. D’autre part, l’instant décisif de l’histoire de l’humanité : « La vérité éternelle essentielle n’est plus en arrière, mais en avant »40. « Si, en effet, je pose ensemble éternité et devenir, je n’obtiens pas repos, mais avenir. De là vient probablement que le christianisme a annoncé l’éternité comme avenir, parce qu’il a été annoncé comme existant, et c’est pourquoi aussi il admet une alternative absolue »41. L’instant est bien la pièce maîtresse de l’analyse kierkegaardienne du temps. Le païen (le Grec) n’a pas le sens de l’avenir parce qu’il n’a pas le sens de la portée effective du choix libre. « Le temporel, chez eux, était conçu [...] naïvement »42. En ce sens, « la conception païenne de l’histoire n’est pas dramatique »43.

https://books.openedition.org/pucl/2272?lang=fr
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Narkissos

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MessageSujet: Re: aspects -- du temps   aspects -- du temps - Page 4 Icon_minitimeLun 30 Sep 2024, 14:57

C'est en fait la réédition (2014), augmentée d'un supplément mais autrement identique, d'un livre de 1972, Histoire et absolu, de Jacques Colette (que nous avons déjà eu l'occasion d'apprécier précédemment). Sur Kierkegaard, on l'aura compris.

J'évoque souvent le cliché du "chant du cygne" (du christianisme) quand je pense à Kierkegaard; parce que tout ce qui se pensera ensuite, dans ses suites plus ou moins conscientes ou pas du tout, sera plutôt, sinon antichrétien ou athée, du moins a-religieux. Et bien que par réaction à Hegel (qui a aussi voulu "accomplir" le christianisme à sa manière) Kierkegaard eût récusé toute mise en contexte "historique", au profit d'une perspective purement "individuelle", "subjective" et "instantanée", seule capable d'un rapport "existentiel" à l'éternité, il est bien évident qu'il n'arrive pas n'importe quand, mais dans le sillage des Lumières, de la raison critique et du romantisme que tente de réconcilier un certain "idéalisme" philosophique (aussi Fichte ou Schelling, Feuerbach, Schopenhauer, Stirner). C'est ainsi qu'il en arrive à cette surdétermination de l'"Instant" par la coïncidence, ou la tangence, du "théologique" et de l'"anthropologique", de l'"éternité" et du "temps", qui rejoue à sa façon le paradoxe christologique de l'"incarnation", le dieu-homme ou l'homme-dieu, pour lequel la durée même d'une "vie humaine", si courte qu'elle soit, paraîtrait désormais beaucoup trop longue. Mais c'était déjà, à une autre "époque" historique et philosophique (médio-platonicienne), l'intuition de l'épître aux Hébreux qui faisait coïncider l'"aujourd'hui" du Fils (aujourd'hui je t'ai engendré, Psaume 2) et celui de l'écoute (aujourd'hui, si vous entendez sa voix, Psaume 95). Il s'agit toujours de déterminer un "point de vue", une perspective, une situation unique et singulière d'où se différencient des "aspects du temps" (passé-présent-futur, accompli-inaccompli); mais il est aussi symptomatique d'une "histoire", collective et longue, et d'une "époque" de cette histoire, que ce point de vue ne soit plus pensable collectivement (nous, génération, nation, religion, communauté, humanité) mais doive se replier sur l'individu, et sur un "instant" bien plus réduit encore, malgré sa répétition infinie; ponctuel comme un point sans épaisseur, déterminé de façon spatiale mais échappant par sa définition même à sa spatialité, sans perdre son orientation et son mouvement vers l'avenir, saut vertigineux, dans le vide, d'une décision irréversible et toujours à refaire une fois pour toutes... Face à la critique, un christianisme de crise, ou au bord de la crise de nerfs ?
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