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| la honte | |
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free
Nombre de messages : 10096 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: la honte Mer 19 Juin 2024, 14:21 | |
| Le silence des femmes dans l'assemblée. Réflexion autour de 1 Corinthiens 14, 34-35 [1] Nicola Kontzi-Méresse
– Le deuxième terme important pour comprendre les motifs d’une interdiction de parler – ou d’une obligation de se taire – ne relève pas du champ sémantique de la parole et du silence. Il s’agit du terme aischros (honteux). Que peut signifier cet adjectif ? Il n’apparaît que quatre fois dans la Bible, dans deux épîtres de Paul considérées comme inauthentiques (Ep 5, 12 ; Tt 1,11) ainsi qu’en 1 Co 11, 6 et 14, 35. Ce dernier passage indique qu’il est honteux pour une femme de parler dans l’assemblée ; tandis que dans 1 Co 11 cet adjectif indique que, « s’il est honteux » pour une femme d’être tondue, elle doit se couvrir la tête. Notons d’abord que la formulation « s’il est honteux » (ei de aischron) laisse ouverte la possibilité qu’on puisse avoir une autre opinion. Observons ensuite qu’une affirmation qui désigne quelque chose comme « honteux » ne constitue pas une argumentation théologique, mais relève du sentiment ou de la convenance sociale. Cela conduit à réfléchir à la notion de convenance et au cadre culturel de cette convenance au temps de la rédaction de l’épître. Au ier siècle de notre ère, les femmes de Corinthe ont dû avoir une certaine liberté et être relativement émancipées. On mentionne des athlètes féminines et même la victoire d’une femme en char de guerre en 43 après Jésus-Christ . Des inscriptions datant du ier siècle ont été trouvées dans des synagogues qui témoignent que des femmes ont été archisunagogos, ce qui correspond à un statut de responsable de synagogue. Dans un de ses textes, Tite-Live utilise un discours du consul Cato (iiie siècle avant notre ère) pour son argumentation : Tite-Live, alias Cato, s’indigne des matrones du monde romain qui parlaient en public ou qui se réunissaient pour des manifestations publiques. Tous ces témoins suggèrent une certaine position sociale des femmes à Corinthe (athlètes ou responsables d’institutions religieuses) ; elles semblent prendre la parole, ce que suggère la protestation de Tite-Live : on n’interdit que ce qui se fait ! La prise de parole des femmes en public n’était donc pas inhabituelle à Corinthe. Paul, qui vient d’un milieu juif, s’appuierait-il sur un arrière-plan culturel juif où la convenance sépare les femmes et les hommes pendant la célébration religieuse ? Serait-il enfant de son temps et de son milieu religieux en définissant la « convenance », par rejet de ce qui est, à ses yeux aischros, c’est-à-dire honteux ? Quoi qu’il en soit, on peut conclure des remarques qui précèdent que aischros désigne la convenance, les mœurs d’une époque et d’un contexte culturel donnés. Il devient alors clair que la notion d’aischros peut changer de valeur, car la société évolue et les mœurs changent. D’une certaine manière, l’enquête historique conduit à un premier résultat : elle montre l’impasse d’une interprétation littérale du texte de Paul. Cela soulève finalement la question du caractère normatif d’une telle « convenance » : est-elle valable et définitive pour le reste de l’histoire humaine ? Est-il « honteux » aujourd’hui pour une femme d’avoir les cheveux coupés – cf. 1 Co 11, 6 – et pour un homme est-il « déshonorant » d’avoir les cheveux longs – cf. 1 Co 11, 1 ?
https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2005-2-page-273.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12454 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: la honte Mer 19 Juin 2024, 15:47 | |
| Voir ici. Le "politiquement correct" est décidément ruineux pour la logique élémentaire: moins par ce qu'il exclut que par ce qu'il autorise, parce que "ça va dans le bon sens" ou "ça sert la bonne cause"... SI 1 Corinthiens 14,34s est un ajout tardif, sans rapport avec son contexte et en contradiction flagrante avec 11,1ss, ALORS il n'y a aucun sens à l'expliquer par son "contexte". Evidemment on peut toujours prendre le SI de cette phrase (la mienne) comme l'indication d'une hypothèse et non d'une prémisse, ainsi que l'auteure ou l'autrice le fait pour les ei de 1 Corinthiens 11,6, à condition de ne rien comprendre au fonctionnement d'une rhétorique, au moment même où on en déploie une... D'autre part le champ de comparaison s'élargirait si à côté d' aiskhros (adjectif) on intégrait aiskhrotès (substantif), aiskhunô, kat-aiskhunô (verbes), aiskhunè (autre substantif), etc. Rien que dans le corpus "paulinien" au sens large, cf. Romains 5,5; 9,33; 10,11; 1 Corinthiens 1,27; 11,4ss.22; 2 Corinthiens 4,2; 7,14; 9,4; 10,8; Philippiens 1,20; 3,19; Colossiens 3,8; Ephésiens 5,4; 1 Timothée 3,3.8; Tite 1,7; cf. 1 Pierre 2,6; 3,16; 4,16; 5,2. Bien sûr la "honte" est toujours affaire de convenance et d'inconvenance, mais on ne s'en débarrasse pas (non plus) en opposant les convenances d'une époque, d'un lieu ou d'un milieu à celles d'un(e) autre. Il y aura toujours de la "honte" à porter, à subvertir ou à convertir, en fierté, en dignité, en gloire, en honneur, etc., etc. |
| | | free
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| Sujet: Re: la honte Mer 25 Sep 2024, 12:34 | |
| Du péché originel à la blessure originelle (Jai hésité entre les fils "culpabilité" et "honte" ...). Par Jacques Arènes
Face-à-face avec soi et rapport à la transgression
Une des tendances du monde contemporain est le fait que la culpabilité s’est déplacée du face-à-face avec autrui à celui avec soi-même … Le face-à-face avec soi fut toujours présent dans les siècles passés, et on peut repérer sa marque dans les pathologies de la culpabilité, où l’auto-reproche déborde absolument toute mesure réelle de la faute, mais, dans les avatars actuels, il subsiste de la culpabilité un bien étrange objet où ne demeure qu’une « culture de la culpabilité sans remords et sans souci de réparation [4] ». Cette culpabilité-là n’est pas référence à un objet, elle se meut dans des eaux connexes à celles de la honte, où le sujet se voit coupable du néant de son existence. Des « traces négatives » de la culpabilité judéo-chrétienne perdurent alors sous une forme archaïque et diffuse, que l’on peut retrouver dans l’idéologie du bouc émissaire – et la nécessité sans cesse affirmée de retrouver les responsables et les coupables pour le mal commun et le mal privé – et dans l’apparition d’une culpabilité collective effaçant pour partie la culpabilité individuelle. Au niveau personnel, le nouveau mode de la culpabilité est alors celui d’exister, ou plutôt d’avoir, ou non, pu déterminer le sens de sa propre vie. Joseph K., dans Le Procès, est condamné par la médiocrité même de son existence. Nous assistons ainsi à une diminution conséquente de la culpabilité de transgression, au profit du face-à-face avec les instances idéales. Mais il serait trop rapide d’affirmer que la culpabilité aurait disparu au profit de la honte. Les deux sentiments ont en effet subi une modification essentielle. La honte sexuelle fait place à la honte d’infériorité, et, au contraire, l’impudeur moderne ne se contente pas du dévoilement des corps, mais s’attaque aux secrets, aux sentiments, à l’intérieur du corps.
Cet acharnement à ausculter le « dedans » correspond à la honte essentielle, qui est celle du vide intérieur. La honte met alors à nu le faux-semblant de l’intériorité pleine. Le for interne devient béance. La culpabilité, quant à elle, se retrouve plus actuellement du côté du manque, manque à être, manque de sens, que de la transgression. La levée des défenses contre le prégénital entraîne cet effacement de la transgression sur le mode œdipien au profit du registre de l’atteinte narcissique. Goldberg cite un cas clinique, rapporté par Lowenfeld, d’une jeune fille honteuse d’être vierge : elle n’éprouve aucune culpabilité à séduire fantasmatiquement le père, mais se perçoit inconsciemment honteuse de ne pouvoir le satisfaire [5].
Il existerait ainsi deux formes de honte – l’une plus sexuelle, l’autre d’infériorité plus proche du continuum de la culpabilité – et deux formes de culpabilité : l’une de transgression, et l’autre d’infériorité liée aux capacités du moi et aux satisfactions narcissiques.
L’accent porté par le second type, plus « narcissique », de rapport à la culpabilité ou à la honte a à voir avec la perte de l’Autre. Perte paradoxale car l’Autre est toujours recherché. Les frères d’aujourd’hui sont des frères libérés du joug de l’autorité excessive du monde patriarcal. Ils sont les enfants du désir, et savent que le désir a présidé à leur venue au monde ; cette advenue dans le désir, cette élection les prive de la grâce de l’aléa. Ils sont là par le désir de leurs parents. Mais tous ces enfants désirés demandent plus encore à être toujours désirés et aimés, comme s’il fallait continuer à soutenir le désir qui a présidé à leur venue au monde. Le danger qui guette la vie collective contemporaine est alors « en relation directe avec le danger qui guette l’individu : l’absence de désir de l’autre […] l’individu moderne ne peut pas vivre s’il n’est pas constamment réalimenté par les autres [6] ». Il faut que l’autre valide et revalide constamment l’assise narcissique de celui qui est venu par le désir. Et la vie sociale trouve un équilibre complexe entre la compétition très dure pour l’accès aux biens, la compétition narcissique du modèle démocratique, d’un côté, et le désir de validation narcissique par l’autre, d’un autre côté. Ce désir de validation civilise le premier aspect de la démocratie, mais il constitue une attente d’étayage qui peut se révéler sans limite.
Mais la perte de l’Autre n’est pas la perte de la férocité du jugement, le modèle de réussite du Moi idéal étant tout aussi tyrannique que l’obligation surmoïque, et l’injonction à jouir se révélant source de sacrifices immenses. La radicalité de la culpabilité et de la honte actuelle, loin du regard de Dieu, rend le mal inexpiable et la souffrance insondable. « Si la culpabilité tient à la faute, et la honte au regard, une culpabilité sans faute, rien ne peut l’absoudre, et une honte sans regard, rien ne peut en effacer la tache [7]. » Loin du regard de l’autre, la culpabilité et la honte contemporaines se dissolvent dans le solipsisme du tribunal intérieur, poussant parfois à des attitudes sacrificielles configurées à l’idéal – sacrifier, par exemple, une forme de stabilité à des idéaux de perfection amoureuse que l’on recherchera à travers de multiples recompositions conjugales – sacrifice à ce que Lacan appelait le « Dieu obscur » à qui « peu de sujets ne peuvent succomber [8] ».
https://shs.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2019-1-page-39?lang=fr |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: la honte Mer 25 Sep 2024, 13:36 | |
| - free a écrit:
- (Jai hésité entre les fils "culpabilité" et "honte" ...)
Il y avait en effet de quoi hésiter, aussi avec d'autres fils, par exemple celui-ci où le même article avait déjà été cité, le 6.10.2023. L'hésitation est d'autant plus justifiée que la "culpabilité", détachée de son sens forensique ou judiciaire (on est coupable, déclaré solennellement coupable par un juge ou un tribunal, par extension par une autorité qui juge comme un juge ou un tribunal, ou on ne l'est pas), se réduit à un vague "sentiment" qui ne se distingue plus guère de la "honte" -- comme en témoigne la difficulté de cet article à les distinguer quand même. En tout cas, comme on l'a déjà noté, le récit de l'Eden ne parle ni de "péché", ni de "faute", ni même de "transgression" ou de "désobéissance" (c'est bien ainsi qu'on peut qualifier ou thématiser une action du récit, mais le récit lui-même ne la nomme pas ainsi, à vrai dire il ne la nomme pas du tout); mais il parle bien de "honte" ( bwš, 2,25) dans un rapport double, triple ou triangulaire avec la "connaissance" (du bon et du mauvais) et la "nudité" (dans le vis-à-vis de la "différence sexuelle"). C'est tout autre chose qu'une "culpabilité", du moins tant qu'on peut faire la différence entre "honte" et "culpabilité", celle-ci prise dans un sens "forensique" (ou "judiciaire); mais dans le français d'aujourd'hui (sous l'influence de l'usage antérieur de l'anglais guilt) c'est devenu impossible -- ce qui n'empêche pas les "sentiments" ou les "émotions" d'être ce qu'ils sont, de s'exprimer comme ils s'expriment ou, en l'espèce, de se cacher comme ils se cachent. |
| | | free
Nombre de messages : 10096 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: la honte Mer 09 Oct 2024, 10:35 | |
| La honte, face obscure de l'idéal du moi Par Cathie Silvestre
La honte est un sentiment paradoxal, insaisissable, protéiforme, dont les contours sont ceux d’une réalité interne par essence mobile et diverse, entamée, atteinte et bouleversée par sa rencontre douloureuse avec ce qui vient briser l’illusoire unité et indifférenciation du début. Rencontre avec la limite, rencontre avec la demande, l’objet est connu dans la haine : de cette empreinte, des modalités de la jonction, naît la honte. Jonction parait bien le terme approprié pour désigner cette part interne effractée puis retenue-tendue vers l’autre, et quand P. Aulagnier [8] parle de pictogramme de jonction ou de rejet on sait que le rejet emporte avec lui la part de la jonction impossible.
La honte est peut-être une des traces de ce temps du moi plaisir purifié et de l’établissement d’une frontière incertaine, mouvante et émouvante, mémoire de la constitution d’une intériorité par cela même qui fait effraction et donne à connaître les limites dans la douleur ou dans la rage, mais aussi, après-coup, dans la douceur et la nostalgie. Ainsi, la honte est peut être le lieu où le sujet est assuré de n’être pas rejoint, enfin seul, inaccessible avec son butin de grandeur et surtout de misère.
La honte serait une marque négative de l’identité : je suis/ne pas être comme les autres. L’identité n’est pas négativée ou déniée, elle s’établit sous le signe de la honte, qui est alors l’affirmation de ne pas être comme les autres et là est la grande douleur qu’elle initie. L’image subjective brouillée par la honte évoque la trace d’une encre lisible seulement sous certaines incidences.
La honte n’est pas non plus forcément à chercher dans un grand secret honteux et indicible, elle n’est pas un grand fracas bruyant, mais elle ronge les forces vitales à bas bruit, amenuisant la libido disponible, celle qui est nécessaire pour aimer, investir, comment aimer si on ne s’aime pas.
https://shs.cairn.info/revue-le-coq-heron-2006-1-page-32?lang=fr |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12454 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: la honte Mer 09 Oct 2024, 11:26 | |
| Merci pour ce très intéressant article "freudien" (2006) -- la psychanalyse a certainement contribué à rendre indémêlables "honte" et "culpabilité" (cf. les échanges précédents), jusque dans ses efforts pour les démêler.
Le schème du procès, de l'explication judiciaire devant un juge ou un tribunal, un tiers faisant autorité, instance forensique capable de décider d'une culpabilité ou d'une innocence, de les prononcer d'une parole performative, en acte, une fois pour toutes (un diagnostic psychiatrique, psychologique ou psychanalytique n'est qu'une variante technoscientifique d'un tel acte judiciaire, qui se théologise aussi en "jugement dernier"), distinguerait seul une culpabilité "réelle" de son "sentiment" et de son "fantasme", et de la honte qui s'y confond -- parce qu'il n'en finirait pas nécessairement, ni avec le "sentiment" ni avec la "honte". Le cas de Job vient à l'esprit, il arrive effectivement sous la plume de l'auteur(e, -trice) un peu plus loin. Mais dans les dialogues de Job comme chez Kafka la "honte" ne se laisse pas non plus séparer du "péché" et de toutes les formes (sacrales, rituelles, civiles, légales ou morales) de la "faute" ou du "mal" -- la métonymie de la souillure rayonne de la saleté, de la laideur, du défaut, du manque, de la tare, de l'anomalie physique ou corporelle à toutes leurs résonances religieuses, morales, légales, sociales, comportementales, psychologiques les plus diffuses, sans véritable solution de continuité, ni limite, ni seuil ni frontière, d'un type de "mal" à un autre.
A vrai dire la "honte", dès le récit de l'Eden, est bien plus solidaire de la "lumière", de la vision et de l'optique, de la "connaissance", de la "vérité" et du "jugement" photologiques que d'aucune faute (culpa): on éprouve de la honte dans une situation où l'on se voit comme étant vu (miroir), su, jugé coupable, d'une faute ou d'un défaut quelconque, d'une erreur involontaire comme d'un mensonge volontaire, qu'on le soit effectivement ou non. |
| | | free
Nombre de messages : 10096 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: la honte Jeu 10 Oct 2024, 11:17 | |
| Des deuils si coupables... ! Par Michel Hanus
Culpabilité et peur
Les temps ne sont pas si lointains où la peur des morts était générale. Les assistants funéraires nous assurent que l’épaisseur des cercueils et leur solidité étaient, à l’origine, destinées à empêcher les morts de venir nous rejoindre, toujours dans la crainte qu’ils aient des comptes à nous demander, comme si nous n’étions jamais vraiment quittes à leur égard. Avec quelle fréquence ne rencontre-t-on pas, dans les sociétés prémodernes, la complication des itinéraires entre la maison mortuaire et le lieu de sépulture ou de crémation, ceci dans le but avoué d’égarer l’esprit des morts afin qu’il ne puisse retrouver le chemin de la maison. Qui ne se rappelle l’exclamation de Freud, à la suite des travaux des grands anthropologues du début du siècle, dans Totem et tabou (1912) : « les morts sont des persécuteurs puissants ! ». Nous avons compris maintenant que la peur des morts est proportionnelle à notre culpabilité à leur endroit.
Ces sentiments de culpabilité du deuil, qui ne manquent jamais, sont à la fois en relation avec la culpabilité consciente et la culpabilité inconsciente, les deux entremêlées. La consciente est liée à tout ce que nous pouvons nous reprocher au niveau de la réalité objective : ce que nous nous reprochons de ne pas avoir fait, d’avoir mal fait, de n’avoir pas assez fait, pas assez bien fait. Comme nous sommes des êtres finis, limités, imparfaits, nous avons toujours quelque chose à nous reprocher ; nul doute que nous aurions pu en faire davantage ou avec davantage d’efficacité. Le sentiment que nous avons de ces fautes et défaillances n’est pas nécessairement proportionné à la réalité des faits mais au jugement que nous avons sur eux. Tout autres sont les sentiments inconscients de culpabilité qui ne sont pas en relation avec ce que nous avons fait ou pas fait dans la réalité objective ; ils sont en relation avec ce qui se passe et ce qui s’est passé dans le fond de notre cœur, en relation avec notre ambivalence foncière dans toutes nos relations même les plus tendres. C’est parce que nous avons eu, par moments, des pensées hostiles, même si nous les avons soigneusement refoulées, à l’égard de ceux que nous aimons, que, lorsqu’ils passent de vie à trépas, nous nous en faisons reproche, reproche d’ailleurs souvent excessif, comme si ces simples souhaits avaient suffi à faire mourir la personne en question !
https://shs.cairn.info/revue-jusqu-a-la-mort-accompagner-la-vie-2015-2-page-65?lang=fr |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12454 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: la honte Jeu 10 Oct 2024, 11:58 | |
| Cet article-ci (1999, republié en 2015 après la mort de l'auteur, 2010) ne parle pas du tout de "honte", mais de (sentiment de) " culpabilité" -- la distinction entre culpabilité "consciente" et "inconsciente" ne rejoint d'ailleurs pas tout à fait le fond juridique, judiciaire, forensique, d'une "culpabilité" qui consiste à être déclaré coupable par un tiers-autorité (cf. échanges précédents) -- ce qui ne se transpose que difficilement sur la scène d'un "for intérieur" ou d'une "con-science" où le prétendu "sujet" devrait se dédoubler ou se démultiplier, spectralité et spécularité encore, pour être à la fois juge et justiciable, prévenu, accusé, défendu, condamné ou acquitté... Dans ce jeu les autres, plus ou moins qualifiés (parents, amis, voisins, médecins, psychiatres, psychologues, psychanalystes, pasteurs, prêtres), en viennent toujours à jouer tel ou tel rôle à la place du "sujet" qui peine à occuper toutes les places (juge, procureur, avocat, témoin à charge ou à décharge) -- à l'en relever, à l'y suppléer, par quelque forme de substitution vicaire infinie (n'importe qui vient occuper la place du "sujet" qui occupe lui-même toutes les places). Mais, comme je le suggérais à la fin de mon post précédent, la "honte" survient toujours au cours d'un tel "procès" d'un effet de "lumière" -- par exemple au moment où un "sentiment" obscur et diffus apparaît de façon indéniable (c'est-à-dire seulement niable, par dénégation précisément) comme une "culpabilité" réelle, concrète, objective, factuelle, situable et définissable -- autrement dit une "culpabilité" se trahit, se traduit, se convertit, se résout ou se résorbe en une autre qui serait sa "vérité", et par là même s'absout. Ce que dit assez bien en français le vocabulaire judiciaire de la "conviction" (être convaincu d'une faute, d'un crime, d'un péché), ou en grec eleg(n)khos etc. (ainsi dans le johannisme ou les deutéro-pauliniennes): la "honte" dont la peur fait fuir la lumière, le jugement, la connaissance ou la conscience, serait justement ce qu'il faut affronter, éprouver, expérimenter, traverser, pour devenir effectivement "coupable" -- et par là même, "justifié" au sens paulinien (de Romains-Galates), par exemple. Du reste, de ce point de vue même le jugement au sens le plus ordinaire, distributif et rétributif, "justifie" le coupable qu'il déclare tel, en ce qu'il le ramène dans l'ordre effectif de la "justice" -- en passant aussi par la "honte". Dans la "honte" même, rien ne distingue un "vrai" coupable d'un innocent accusé ou condamné à tort, ou même d'un sauveur sacrificiel qui confondrait encore les catégories précédentes. P.S.: sur le rapport de l' elegkhos ( elenkhos, elenchos) à la "honte" dans un autre contexte (philosophique: la dialectique platonicienne doit "convaincre", convaincre d'erreur, autrement dit réfuter, pour convaincre de la vérité, sur un autre mode que la persuasion rhétorique des sophistes qui persuaderait de n'importe quoi), voir l'article de Juliette Lemaire cité ici 11.10.2024, notes 28, 29, 33, et les paragraphes correspondants. Et, du côté du NT et de l'aspect photologique de la question (la lumière qui fait honte, accuse, condamne, réfute, est aussi ce qui sauve), ce fil-ci. |
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