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| la honte | |
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Narkissos
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| Sujet: la honte Dim 13 Mar 2022, 16:14 | |
| C'est étonnant dans un sens, beaucoup moins dans un autre -- plutôt comme qui dirait significatif ou symptomatique -- que nous n'ayons pas encore consacré de fil à cette "notion" élémentaire, voire primaire ou originaire: émotion, sensation, sentiment peut-être le plus commun, mais aussi le plus intime et le moins "partagé", car c'est précisément ce que chacun tend à cacher, l'inavouable. Nous ne l'évoquons guère que sur le mode de la négation ou de la dénégation (je n'ai, nous n'avons pas honte de ceci et de cela), nous invoquons plus volontiers ses "contraires", fierté, sinon gloire, etc.; à la rigueur l' humilité qui s'en rapproche, mais en y occultant ce qui l'en rapproche le plus, l' humiliation. La "honte" est pourtant présente -- d'abord négativement -- dès le récit de l'Eden dont elle constitue un ingrédient essentiel (Genèse 2,25, bwš / aiskhhunô, et la suite): entre "nudité" et "connaissance du bon et du mauvais", comme résultant du télescopage fatal de l'une et de l'autre. Nous avons souvent cité et médité la formule mémorable (quasi-oxymore) de l'épître aux Hébreux (12,2), sur "Jésus": "devant (ou contre, à la place de, anti + génitif) la joie qui lui était proposée, il endura la croix, méprisant la honte ( aiskhunès kata-phronèsas)..."; la "honte" revient d'ailleurs, sous forme de (dé-)négation et en rapport avec une certaine "appellation", en 2,11: "il n'a pas honte ( ep-aiskhunomai de les appeler ( kaleô) frères"; 11,16: "le dieu n'a pas honte ( idem) d'eux, d'être appelé (ou invoqué [comme], epi-kaleô) leur dieu". Le "mépris" (de la honte, en l'occurrence) rappellerait en outre, parmi bien d'autres choses, la distinction nietzschéenne, constante jusqu'à la fin de la Généalogie de la morale, entre "mépris" et "dégoût" -- c'est peut-être la honte qui fait la différence -- avec une sorte d'"urgence eschatologique": il faudrait mépriser, se hâter de mépriser avant que d'être dégoûté, parce que quand on en est au dégoût il est trop tard pour mépriser, il ne reste plus que la volonté de néant, vouloir le rien plutôt que de ne pas vouloir... Je l'avais pour ma part évoquée il y a déjà longtemps ici, à partir du cinéma, entre Tarkovski ("styd" = стыд, "honte" en russe) et Bergman. Que faire de cette "honte", de sa (propre) "honte" qui semble bien être ce que chacun a de plus "propre", qui le singularise et l'isole bien qu'il la sache ou la devine commune, et qui déborde toute "culpabilité", si tant est qu'on peut avoir honte de bien des choses qui ne sont nullement des "crimes" au regard d'une "loi" ni des "fautes" au regard d'une "morale" quelconque (cf. Simone Weil: on devrait être aussi honteux, on l'est d'ailleurs, d'une erreur de connaissance ou de jugement, de calcul ou de raisonnement que d'un mensonge ou d'une faute dite "morale") -- qui de surcroît peut être curieusement honte des autres autant que honte de soi ? La question peut paraître anodine, il n'en est peut-être pas de plus "sérieuse" ni de plus "importante". |
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| Sujet: Re: la honte Lun 14 Mar 2022, 12:08 | |
| - Citation :
- L'intrus (conceptuel) dans cette perspective (qui est déjà largement la nôtre) c'est bien le concept de "contrat social", puisque ledit "contrat" est toujours déjà signé et le consentement de chacun présumé, contrairement à toute logique contractuelle qui suppose au moins la possibilité de ne pas contracter (cette possibilité se résumant en fait à la "folie" -- qui se soigne ou s'enferme -- et à la mort -- qui s'enterre, se consume et s'oublie à peine autrement).
« Il faut sortir de la confusion de la honte »À la suite du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase), le pape François a déclaré : « C’est le moment de la honte. » Comment recevez-vous ce mot ?Sœur Anne-Solen Kerdraon : Je le comprends d’autant mieux que je la ressens moi-même. La honte témoigne toujours que nous sommes liés les uns aux autres. Si j’ai honte, c’est que je me reconnais comme faisant partie de cette Église qui a blessé, qui a trahi, qui a nié l’humain dans d’autres humains. Aujourd’hui, nous avons honte devant l’ampleur des abus sexuels commis au sein de l’Église. Nous pouvons aussi ressentir la même chose face aux multiples morts de migrants en Méditerranée parce que nous nous sentons responsables de cette humanité et de sa destinée. En ce sens-là, la honte a un aspect positif. Elle représente en outre la douleur devant l’irréparable. Nous ne pouvons pas faire comme si les victimes n’avaient pas été meurtries d’une manière incommensurable. Cela ne peut pas être défait. Lorsque la honte apparaît, il y a une prise de conscience d’un irréversible. Elle peut et doit être un ressort pour prendre soin des victimes et œuvrer afin que ces abus ne se reproduisent plus.Peut-on se laisser enfermer dans la honte ?S. A. D : Dans son livre, Tu as couvert ma honte (Le Cerf, 2016), la dominicaine Anne Lécu montre que l’on a toujours honte devant quelqu’un, contrairement au remords. Quand j’ai honte, je me sens méprisable, indigne, je ne peux plus regarder l’autre dans les yeux. Quand j’ai honte de mon Église, j’ai honte de la manière dont j’apparais aux autres, à la société. Mais il faut sortir de ce sentiment qui est trop narcissique. Il fige notre regard sur une image méprisante et désespérante de soi ou de l’Église, au lieu de nous tourner vers les victimes. Pour ma thèse sur le tragique, j’ai étudié la symbolique du mal chez Paul Ricœur. Le philosophe montre que le symbole le plus archaïque du mal est la souillure, qui se manifeste par l’impression d’être sale et d’être tout à la fois victime et coupable de cette tache qui nous infecte. La honte, comme en témoigne la honte indue dont souffrent les victimes, est marquée de cette même confusion. Il faut en sortir et opérer un discernement lucide des responsabilités.Comment dépasser cette honte ?S. A. D : Le rapport Sauvé nous aide par son analyse précise. Il nous faut être lucides sur les responsabilités des uns et des autres – évêques, prêtres, religieux et laïcs –, sur les mécanismes de l’institution qui ont pu permettre de tels abus, et sur les ressorts profonds qui nous conduisent à nier l’autre ou à favoriser le secret. Chacun peut s’interroger : en quoi ma manière d’être, de prendre place et d’agir dans l’Église a-t-elle pu ou peut-elle encore favoriser ce type d’abus ? Ensuite, nous pourrons élargir notre regard vers l’avenir grâce aux recommandations du rapport de la Ciase. Dans la Genèse, lorsque après la chute, Adam et Ève ont honte, ils se taisent et se cachent. Et Dieu n’a de cesse de les chercher, de les appeler, et de les réintroduire à la parole. Se relever n’est pas nier le mal commis. C’est le regarder dans toute son horreur, devant Dieu qui nous en donne la force. Lui continue d’espérer : cette Église qui a manqué à sa vocation, dont je souhaiterais peut-être me désolidariser, le Christ continue de l’appeler à devenir plus humaine. C’est notre capacité à relever notre regard vers Lui, avec courage et humilité, qui nous permettra de prendre soin des victimes et de rendre possible un avenir différent. Cela implique que la justice y ait sa place.https://www.la-croix.com/Il-faut-sortir-confusion-honte-2021-10-15-1101180611 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12452 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: la honte Lun 14 Mar 2022, 12:28 | |
| N.B.: J'ai déplacé ton post, à ta demande, mais du coup il faut peut-être signaler que la première citation vient de là (10.3.2022).Je ne pensais pas spécialement à l'Eglise catholique, mais ce ne sont pas les applications qui manquent dans l'actualité: de la honte, nous nous en fabriquons continuellement, collectivement et individuellement, au moins aussi vite que nous la nions ou la refoulons, et bien plus vite que nous n'en prenons conscience, sans parler de la confesser -- la "conversion" récente de Ménard au sujet des migrants, déclenchée par les événements d'Ukraine, Ménard qui avouait aussi sa "honte" me semble-t-il, m'a paru également remarquable. A propos de la "honte d'autrui", syndrome complexe qui implique un "soi" collectif ou individuel autant qu'un ou plusieurs "autres", ceux dont on a honte et ceux devant qui on (en) a honte, j'avais aussi à l'esprit ce fameux logion évangélique: "Car quiconque aura honte ( ep-aiskhunô) de moi et de mes paroles dans cette génération adultère et pécheresse, le fils de l'homme aussi aura honte ( idem) de lui quand il viendra dans la gloire de son père avec les anges saints" (Marc 8,38 // Luc 9,26).
Dernière édition par Narkissos le Lun 14 Mar 2022, 13:11, édité 2 fois |
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| Sujet: Re: la honte Lun 14 Mar 2022, 13:11 | |
| Nudité originelle et chute d’Adam
La première allusion biblique faite à la nudité est fondatrice. Adam et Eve dans le jardin d’Eden avant la faute étaient nus mais n’en avaient pas conscience et n’étaient pas gênés l’un à l’égard de l’autre ; c’est du moins ce que dit le texte hébreu en Genèse 2,25. En effet, la Vulgate latine a effacé cette nuance et Lemaître de Sacy l’a traduite au XVIIe siècle par « Adam et sa femme étaient alors tous deux nus et ils n’en rougissaient point ». Les traductions actuelles proposent « ils n’avaient pas honte l’un devant l’autre » (B J) ou « sans se faire mutuellement honte » (TOB).
Il importe de lire la suite (Genèse 3, 7) : lorsque Adam et Eve mangent le fruit de l’arbre défendu, « alors leurs yeux s’ouvrirent et ils surent qu’ils étaient nus ; ayant cousu des feuilles de figuier ils s’en firent des pagnes » (traduction de la TOB d’après le texte hébraïque de la tradition juive). Ils couvrent donc les parties du corps qu’ils perçoivent désormais comme honteuses. On notera que le mot pagne avait posé problème aux traducteurs de la Vulgate, qui ont retenu le mot grec de la bible alexandrine « et sibi fecerunt perizomata ». Lemaître de Sacy traduit par : « ils s’en firent de quoi se couvrir » et est donc moins précis. Lorsqu’ils entendent la voix de Dieu, ils se cachent et Adam explique « j’ai pris peur car j’étais nu et je me suis caché » et Dieu répond « qui t’a révélé que tu étais nu ? Tu as donc mangé de l’arbre dont je t’avais prescrit de ne pas manger » (Genèse 3, 10-11).
La Bible donne ensuite une indication capitale en Genèse 3, 21: « Le seigneur Dieu fit pour Adam et sa femme des tuniques de peau dont il les revêtit ». Puis il les chassa du jardin d’Eden.
Ce grand récit dont les gloses ont été innombrables marque l’origine divine des vêtements, qui sont bien destinés avant tout dans notre aire culturelle à dissimuler la nudité et non à protéger d’un froid éventuel. Mais deux couvertures assez différentes de la nudité apparaissent dans ces textes, l’une minimale, le pagne cachant l’essentiel, inventée spontanément par Adam et Eve, l’autre plus couvrante, la tunique, imposée par Dieu qui a donc voulu que les hommes soient vêtus et en a fait une obligation morale. L’on se bornera à observer trois conséquences. D’abord le rêve d’un âge d’or, situé dans un ailleurs temporel ou spatial, marqué par la nudité heureuse et non pas honteuse. Ensuite l’exigence absolue de cacher les organes génitaux, qui n’est nullement universelle, les explorateurs en feront entre le XVe et le XXe siècle l’expérience. Le fait, enfin, que, selon l’expression d’Adam, on reste encore nu si l’on n’a caché que l’essentiel, et donc le principe de la couverture du corps par les vêtements. Or une tunique autorise éventuellement une nudité relative, celle de certaines parties du corps, tels les bras et une partie des jambes. C’est dire que le seuil de nudité autorisé est un phénomène culturel variable selon les époques et aussi les statuts sociaux.
https://journals.openedition.org/rives/2283#tocto2n1 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: la honte Lun 14 Mar 2022, 14:00 | |
| La réciprocité (l'un devant l'autre, se faire honte) peut en effet -- ce n'est pas certain -- être suggérée par l'emploi inhabituel du "hitpaël" en Genèse 2,25 (dans une moindre mesure par la voix "moyenne-passive" de la Septante). Bien entendu, la "honte" est aussi fréquemment associée (par ce qu'on appelle un "euphémisme", bien qu'il soit en l'occurrence plutôt péjoratif) à la nudité et au sexe (parties dites "honteuses", pudenda etc.) -- sur ce point cet article est très instructif.
Soit dit en passant, la lexicographie hébraïque récente (HAL etc.) tend à voir deux racines bwš (homonymie) là où la plus ancienne (Gesenius, BDB) n'en voyait qu'une (polysémie): il y a en tout cas deux groupes ou lignes de sens a priori nettement distincts, de la "honte" et de la "durée" (retard, délai, empêchement, attente, impatience etc.), entre lesquels on peut quelquefois hésiter, et que les traductions anciennes avaient souvent tendance à combiner au risque de la surtraduction (je repense à Juges 3,25 qui m'avait marqué jadis et qui utilise deux verbes, hwl et bwš, ce qui rend le jeu de sens plausible: ils attendirent jusqu'à en avoir honte, jusqu'à n'y plus tenir, etc.). En tout état de cause, l'association de la "honte" et d'une certaine "paralysie" me paraît toujours intéressante. |
| | | free
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| Sujet: Re: la honte Mar 15 Mar 2022, 12:28 | |
| De la honte qui tue à la honte qui sauve
Aucune honte ne nous apprend rien sur ses causes
La tendance malheureuse qu’on a, autour de la honte, consiste en effet à se dire : « Si j’ai l’impression qu’un patient ou un proche a honte –, il doit y avoir une bonne raison. Cette personne a dû faire quelque chose de honteux... » Ou bien, si c’est nous qui avons honte, nous avons tendance à nous dire : « J’ai dû faire moi-même quelque chose de honteux dont je ne me souviens pas très bien, mais qui continue à me hanter. » En fait, cette manière de raisonner est totalement fausse et pernicieuse. Celui qui éprouve la honte n’a pas forcément une « bonne raison » pour cela. On peut en effet être honteux pour des actes dont on a été seulement le témoin, voire le témoin passif, et on peut même se sentir honteux pour des actes dont on a été soi-même la victime. On peut avoir honte pour des actes qu’on a commis soi-même, mais aussi pour des actes dont on a été le témoin, et même le témoin impuissant. On peut aussi avoir honte pour des actes dont on a été la victime. Et c’est particulièrement important dans le cas de la déportation, mais aussi dans beaucoup d’autres situations de la vie quotidienne : toutes les humiliations, notamment celles que les enfants subissent, provoquent en eux la honte. Enfin, on peut avoir honte par solidarité avec des gens que l’on ressent comme honteux. Comme nous l’avons vu, certains enfants qui grandissent dans une famille à secret peuvent se sentir honteux sans savoir pourquoi. Alors, comme l’esprit humain a horreur du vide, ils s’inventent une raison d’avoir honte et ils peuvent commettre des actes délictueux pour justifier, à leurs propres yeux, la honte qu’ils éprouvent.
Il nous faut donc apprendre à reconnaître la honte, mais, en même temps, garder toujours présent à l’esprit qu’aucune honte ne prouve jamais rien sur l’existence d’un acte effectivement accompli par celui qui a honte.
La honte est contagieuse
Parmi les gens auxquels nous avons affaire et qui ont honte, il y en a qui ont honte pour des événements dont ils ont pu être l’acteur, la victime ou le témoin. Mais il y en a aussi qui ont honte pour un autre, notamment pour un parent ou un proche. Parfois, ils savent pourquoi, mais d’autres fois, ils ont honte simplement parce qu’ils ont longtemps côtoyé une personne chez qui ils ont pressenti la honte. La honte est véritablement contagieuse. Elle passe d’une personne à l’autre, et cela pour deux raisons principales.
La première est que si je perçois que quelqu’un qui m’est proche est honteux, j’ai tendance à m’imaginer moi-même dans la même situation et à m’angoisser de vivre un sentiment aussi catastrophique. Être confronté à quelqu’un qui a honte, c’est être rappelé au fait que la honte existe et, comme nous faisons tout pour l’oublier c’est toujours une épreuve. Nous nous disons : « Et si ça m’arrivait à moi aussi ! »
Mais il y a une seconde raison beaucoup plus importante pour laquelle la confrontation à quelqu’un de honteux fait éprouver la honte. Il s’agit de l’activité fantasmatique et imaginative qui se développe alors. Bien sûr, dans une telle situation, nous avons le désir de le secourir, de lui permettre de reprendre pied, de dépasser sa honte. Mais en même temps, nous ne pouvons pas nous empêcher d’avoir des fantasmes opposés à travers lesquels nous imaginons écraser un peu plus cette personne, la rejeter et la marginaliser. Pourquoi ? Parce qu’imaginer secourir quelqu’un de honteux, c’est toujours craindre d’être à son tour rejeté comme elle par ses persécuteurs. C’est pourquoi, dans une telle situation, nous sommes forcément ambivalents. D’un côté, nous avons le désir de venir en aide à une telle personne, mais d’un autre côté, nous craignons que ceux qui lui ont fait honte nous fassent honte à nous aussi. Alors, pour justifier à nos propres yeux de ne rien faire, nous nous disons : « Peut-être la honte de cette personne est-elle justifiée ? Peut-être devrais-je moi aussi la mettre à l’écart, voire l’enfoncer un peu plus, parce qu’elle doit bien le mériter d’une manière ou d’une autre. On n’est pas honteux ou rejeté sans raison ! » Mais en même temps, nous avons honte de ces pensées que nous pressentons n’être que le reflet de notre lâcheté.
Si la honte est contagieuse et passe d’une personne à une autre, c’est donc à la fois parce que nous nous identifions à toute personne éprouvant la honte, et qu’en même temps nous nous identifions à celui qui pourrait profiter de cette honte d’une façon... qui nous fait honte.
Nous avons heureusement des moyens de nous défendre contre la honte éprouvée, et d’aménager la situation. Certains de ces moyens sont structurants, mais d’autres engagent aussi vers des conduites addictives ou toxicomanes.
https://www.cairn.info/revue-le-coq-heron-2006-1-page-18.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: la honte Mar 15 Mar 2022, 14:48 | |
| Excellent article qui, dans un langage simple, explore largement et profondément (aussi longuement, c'est l'inconvénient du langage simple, explicite, prosaïque, du psychologue) la question, le mot et la "chose". En intitulant ce fil "la honte", j'avais d'ailleurs en tête l'emploi "absolu" et (naguère) populaire, voire (un temps) "jeune", exclamatif avec ou sans point d'exclamation, "la honte (!)" (on ne di[sai]t même plus "c'est la honte"). "Impersonnel" si l'on veut, mais aussi bien "personnalisant" à l'extrême (nul n'a rien de plus "propre" -- ni de plus "sale" -- que sa "honte" qui le distingue, le sépare, l'isole de tout "autre" et de toute autre "honte", tout en étant "contagieuse" en tous sens: honte des autres et devant les autres, honte qui fait honte aux autres, honte de la honte, etc.) que "dépersonnalisant" (déshumanisant, etc.).
J'évoquais au début (cf. le lien) le (ou la) Solaris de Tarkovski et La Honte de Bergman, j'ai revu il y a quelques jours Querelle de Fassbinder (d'après Querelle de Brest de Genet), sur le thème connexe de l'"humiliation" -- thème d'ailleurs essentiel chez Fassbinder, je repense à la fin comique des Larmes amères de Petra von Kant où la domestique humiliée tout au long du film se met à faire ses valises à l'instant même où sa maîtresse lui exprime son repentir et lui annonce que désormais elle ne l'humiliera plus: complexe en effet, avec lequel on ne peut que composer. |
| | | free
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| Sujet: Re: la honte Mar 15 Mar 2022, 17:19 | |
| "les yeux fixés sur Jésus, qui est le pionnier de la foi et qui la porte à son accomplissement. Au lieu de la joie qui lui était proposée, il a enduré la croix, méprisant la honte, et il s'est assis à la droite du trône de Dieu" (Hé 12,2).
Peut-on parler d'une "honte triomphante" dans ce texte ? |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: la honte Mar 15 Mar 2022, 20:04 | |
| A première vue ce serait plutôt le contraire, une honte vaincue, défaite, rendue (au sens de la reddition) plutôt que "triomphante"; si l'on s'en tient toutefois au vocabulaire du texte qui ne parle ni de triomphe ni de victoire mais de mépris (kata-phroneô, penser ou considérer [en, comme] bas, au-dessous [de soi], autrement dit regarder de haut, faire fi ou peu de cas de x, x exprimé au génitif qui marque comme un trait d'évitement ou d'éloignement de la chose méprisée; on pourrait dire sous-estimer ou déprécier si ces verbes ne supposaient pas, en français, une erreur d'appréciation), une honte abaissée, dépréciée, humiliée, à la limite honteuse. Sauf que la honte est retorse et qu'il ne suffit pas de la (dé-)nier par quelque figure de la (dé-)négation (mépris, rejet, victoire, triomphe) pour en être quitte: mépriser la honte, est-ce ne pas avoir honte ou ne pas avoir honte d'avoir honte, autrement dit avoir et ne pas avoir honte ? Ce serait à tout le moins une rupture partielle du cercle vicieux de la honte qui s'enlise à l'infini en elle-même (avoir honte d'avoir honte d'avoir honte, etc., au point que la honte n'a plus besoin de "cause" autre qu'elle-même, comme l'expliquait fort bien Tisseron).
La formule d'Hébreux 12,2 se situe néanmoins dans la suite et dans la dépendance directes du chapitre (pour nous) précédent (11), où, avec un autre vocabulaire, les exemples d'humiliation sont nombreux. P. ex. Moïse, v. 25s, "préférant être maltraité (sug[n]-kakoukheomai) avec le peuple de Dieu que d'avoir la jouissance temporaire (proskairon) du péché, estimant (hegeomai) richesse plus grande que les trésors de l'Egypte l'opprobre (oneidismos, synonyme de "honte") du Christ"; et surtout la série des "perdants absolus" à partir du v. 35b, qui culmine avec l'incidente terrible et superbe (aussi bien summum du ridicule pour un Nietzsche) "de ceux-là le monde n'était pas digne". |
| | | free
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| Sujet: Re: la honte Mer 16 Mar 2022, 11:33 | |
| "En effet, puisque celui pour qui et par qui tout existe voulait conduire beaucoup de fils à la gloire, il convenait qu'il porte à son accomplissement, par des souffrances, le pionnier de leur salut. Car celui qui consacre et ceux qui sont consacrés sont tous issus d'un seul. C'est la raison pour laquelle il n'a pas honte de les appeler frères, lorsqu'il dit : J'annoncerai ton nom à mes frères, je te louerai au milieu de l'assemblée" (Hé 2,10-12).
"Mais en fait ils aspirent à une patrie supérieure, c'est-à-dire céleste. C'est pourquoi Dieu n'a pas honte d'être appelé leur Dieu ; car il leur a préparé une cité" (hé 11,16).
Ces textes nous apprennent que Dieu et le Fils pourraient éventuellement éprouver de la "honte". Pourquoi dans le contexte de ces deux versets cette "honte" aurait pu être possible, ces "humains" ne correspondraient pas à la "perfection" céleste et n'auraient pu pas être "digne" d'être les frères du Fils et les fils de Dieu ??? |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12452 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: la honte Mer 16 Mar 2022, 12:02 | |
| En évoquant plus haut (1er post, § 3) ces deux passages, je soulignais d'une part qu'ils relèvent de la (dé-)négation de la honte (la honte c'est d'abord et le plus souvent ce qu'on nie; ce qu'on déclare le plus volontiers c'est qu'on n'a pas honte, ici ce serait aussi le cas du Christ et de Dieu); d'autre part, qu'il y est à chaque fois question d'une "appellation" (kaleô, epi-kaleô, qui peuvent, surtout le second, évoquer l'appel au sens d'invocation) qui, avec un possessif, implique une relation (aussi au sens anglais du lien du parenté): appeler quelqu'un son frère, être appelé son dieu, c'est ce qui lie pour le meilleur et pour le pire un "sujet" à un autre, et ce lien est le lieu par excellence de la "honte d'autrui" (la possibilité d'avoir honte de ses parents, de ses enfants, de ses frères ou de ses soeurs, etc., c'est le strict corollaire et en un sens la condition préalable de la possibilité contraire d'en être "fier"). En tout cela les énoncés "théologiques" ou "christologiques" restent avant tout "humains", l'"anthropomorphisme" est coextensif au langage: on ne parle du "Christ" ou de "Dieu" qu'en leur prêtant notre propre "expérience", y compris de la "honte", y compris de la "honte d'autrui", et de sa (ou de leur) dénégation.
C'est d'ailleurs loin d'être isolé, si l'on songe à tous les discours sur la "sanctification" ou la "profanation" du "nom" de Yahvé, notamment chez Ezéchiel, qui jouent semblablement de la "honte" divine, fût-ce comme une impossibilité ou une possibilité quasi impensable, à écarter à tout prix, dénégation toujours; cf. aussi toutes les intercessions sur le mode du "que va-t-on dire ou penser de toi", Abraham, Moïse, etc., qui ne fonctionnent que par l'invocation et la conjuration contradictoires d'une certaine "honte". Au fond il n'y a peut-être pas de "prière", du moins de "demande", qui échappe à ce mécanisme retors. Même quand on implore la "pitié", qui est encore un "sentiment humain", il y a toujours dans l'ombre de l'imploration la menace de la honte qu'il y aurait pour le dieu à se montrer impitoyable. |
| | | free
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| Sujet: Re: la honte Mer 16 Mar 2022, 12:50 | |
| L’arrivée de la guerre va révéler leurs fêlures plutôt que bouleverser leur équilibre. Bergman ne s’attarde pas sur les raisons de cette guerre, ne s’approche jamais du manichéisme. Il préfère s’attarder, une fois de plus, sur les rapports humains, l’attraction paradoxale du couple et la porosité de la frontière entre équilibre personnel et réunion des intérêts des êtres aimés.Jan, violoniste sensible, se découvrira couard, faible, peureux, fuyant ; et, en même temps que lui, Eva le remarque. Elle comprendra aussi que son engagement auprès de Jan est aussi faible que le manque de courage de son homme. Un attachement aveugle qui la pousse à suivre un homme qui la répugne autant qu’il la touche et l’attendrit. Les questionnements que les deux individus auront à éprouver, tout au long de leur parcours presque initiatique, reflètent les interrogations de Bergman, que chacun de ses films explore, chaque fois de manière aussi profondes et subtile. La honte (Skammen) scrute les tourments de l’Homme, une fois de plus. A la différence d’autres films de Bergman, c’est ici un événement extérieur brutal qui va dévoiler les cassures des uns et des autres. A travers des images d’une violence rare chez Bergman, et d’une poésie extraordinaire, le réalisateur offre un nouveau chef-d’œuvre, aidé encore une fois par la sublime photographie de Sven Nykvist (Persona, Cris et Chuchotements, l’insoutenable légèreté de l’être, Sonates d’Automne, l’heure du loup, crimes et délits…). Un film qui n’est pas parmi les plus populaires du cinéaste scandinave, mais qui est aussi fascinant que les pièces maîtresses d’Ingmar Bergman (Persona, Cris et chuchotements, Fanny et Alexandre, Le Septième Sceau, Les Fraises Sauvages, Scènes de la vie conjugale, l’heure du loup, A travers le miroir, etc.) La scène finale, où Eva et Jan fuyant la guerre, partagent une barque avec d’autres “exilés”, est sublime. Dans la brume, la barque semble dériver, se frayant un passage entre les corps flottants. Le silence. Et la voix-off d’Eva, qui conclut de manière philosophique et énigmatique un parcours, comme les réflexions d’une condamnée sur l’embarcation de Charon, perdue dans les eaux troubles de l’Archéon… - Citation :
Elle (sa fille) se serrait contre moi et tout le temps je savais que je devais me rappeler quelque chose que quelqu’un avait dit et que j’avais oublié
https://www.ricketpick.fr/2011/10/16/film-critique-la-honte-skammen-dingmar-bergman-un-constat-implacable/ |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: la honte Mer 16 Mar 2022, 13:28 | |
| La " lâcheté" (autre "notion connexe" et pour tout dire indissociable) est tout aussi centrale à ce film que la "honte", c'est un vrai festival de lâchetés et de hontes en cascade, dont le résumé ci-dessus ne donne qu'une image partielle. Il y a aussi le rapport essentiel du couple d'artistes au maire de la commune, incarné par Gunnar Björnstrand, qui joue à la fois le rôle du protecteur, du mécène et de l'amant de la femme, le mari fermant les yeux jusqu'à ce qu'il ait l'occasion de se venger, en cachant l'argent que le maire avait remis à sa femme quand celui-ci est accusé de détournement. Du coup le mari se trouve contraint à exécuter (maladroitement) le maire, comme il avait achevé auparavant un soldat blessé... Entre-temps, il y a une réplique inoubliable du maire, qui interrompt une conversation anodine en tapant de sa canne sur la table pour déclarer: "Sacro-sainte liberté de l'art. Sacro-sainte veulerie (= lâcheté) de l'art." Bref, beaucoup de choses à voir et à revoir dans ce film terrible, concentration exceptionnelle de "thèmes" qui se retrouvent d'ailleurs dans toute l'oeuvre de Bergman, avec pour constante une impitoyable lucidité (soit dit en passant la "guerre" de l'époque était le Vietnam, même si sa transplantation sur une île suédoise l'absout de toute référence géographique ou géopolitique). Le point de vue de Tarkovski ( Solaris, que j'associe parce que le même "thème" y est explicite) est tout autre, c'est plutôt un consentement rédempteur à la "honte" (le luthérien et l'orthodoxe, malgré toutes les distances prises par chacun des auteurs à sa tradition religieuse). |
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| Sujet: Re: la honte Mer 16 Mar 2022, 15:49 | |
| Ambivalence de la culpabilité
Il arrive que le christianisme soit accusé d’être une religion qui, dans le fond, s’opposerait à la vie. Plaçant le salut dans un inaccessible « au-delà », il inviterait à déserter ce monde-ci, le monde concret, la vie réelle, au profit d’un monde idéalisé, le « ciel » plutôt que la « terre ». Par voie de conséquence, et malgré des propos en sens contraire, le christianisme mépriserait le corps, promouvrait une ascétique morbide, valoriserait la souffrance. Il entretiendrait en permanence un sentiment de culpabilité, qui, rappelant à l’homme son état de pécheur, le maintiendrait dans la sujétion d’une divinité toute-puissance. Il y aurait dans la culpabilité une sorte de lâcheté, de pusillanimité, une démission devant l’appel de la vie. Pour Nietzsche, « se sentir coupable c’est refuser la vie » ...
... Le sentiment de culpabilité vient de la transgression de ces limites. Poser un acte interdit fait se sentir coupable. Or y a-t-il accès à l’humanité qui ne comporte pas aussi un franchissement des limites, une forme de transgression ? Un tel élément se trouve à la fondation du christianisme, dans le rapport des chrétiens à la loi juive. Les Actes des apôtres racontent que Pierre eut une vision qui l’invitait à manger des animaux considérés comme impurs selon cette loi . Comment osera-t-il transgresser un commandement divin aussi fondamental ? Il réalise pourtant que l’obéissance à une telle loi l’empêche d’entrer en relation avec les « païens » qui pourraient, eux aussi, bénéficier de la bonne nouvelle du salut. L’ouverture sur autrui prime alors sur le respect d’un commandement, fût-il d’origine « divine » ...
... Le jugement de Dieu est de ce type. Dieu n’est pas meilleur juge de nos actes parce qu’il serait omniscient. Ce serait projeter sur lui un fantasme de transparence totale. Il convient de rejeter cette figure du « Dieu du regard », habituellement compris comme accusateur. On se souvient du célèbre vers de Victor Hugo : « l’œil était dans la tombe et regardait Caïn ». Il est significatif que, dans de nombreuses églises, Dieu, l’invisible, soit représenté comme un œil unique au centre d’un triangle (« voir sans être vu »). Sartre récusait légitimement cette figure « divine », en fait idolâtrique, car projection de fantasmes humains : « Le regard anxieux et inquisiteur dépossède à tel point que l’être tout entier est réduit à n’être plus que spectacle pour autrui. » ...
... Notre vie se déroule sous le regard des autres. Le jeune enfant agit et évalue son action sous le regard de ses parents. Comment le reçoit-il ? Est-ce un regard d’encouragement, qui l’aide à faire ses premiers pas, un regard qui appelle, comme Jésus invitant Pierre à sortir de la barque et marcher sur l’eau, ou est-ce, au contraire, un regard de jugement où il lit l’écart entre ce qu’il fait et ce qu’il devrait faire ? De ces premières expériences proviennent des représentations qui resteront gravées dans la mémoire ...
... À l’encontre du regard omniscient qui ne veut rien laisser dans l’ombre, qui veut explorer les recoins sombres de l’âme, qui impose sa présence insistante, le regard de Dieu est un regard qui, si l’on peut ainsi parler, se retire, s’absente. La présence de Dieu ne s’impose pas. C’est en cela que consiste son altérité, sa « transcendance ». Il n’est pas un modèle à reproduire servilement comme l’est l’idole. « Le paradoxe de la religion chrétienne – écrit Joseph Moingt – est d’être l’institution d’une absence». L’histoire de la première communauté chrétienne, racontée dans les Actes des apôtres, commence par celle d’un départ, l’« Ascension ». Les apôtres continuent l’histoire de Jésus à leur manière propre, en l’absence du « maître ». L’absence physique de Jésus invite à bâtir sa propre histoire, à prononcer sa propre parole qui n’est pas l’écho mécanique d’un discours entendu. Reprendre sa manière de faire n’est pas faire « comme » lui ; c’est prolonger son action d’une manière neuve, inventive ...
... Il serait vain de vouloir éliminer toute culpabilité et restaurer l’innocence perdue. La culpabilité est un état de fait. Un seuil nous sépare de l’état paradisiaque dont le chemin est gardé par les chérubins avec « la flamme de l’épée foudroyante ». N’éprouver aucune culpabilité serait rester emmuré dans son imaginaire de toute-puissance. La réconciliation n’est pas dans le retour à une origine rêvée mais dans la direction d’un avenir espéré dont les prémices sont déjà perceptibles.
https://www.cairn.info/revue-etudes-2011-12-page-629.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: la honte Mer 16 Mar 2022, 16:47 | |
| Point de "honte" à l'horizon dans cet article bien plat, mais de la "culpabilité" à perte de vue... S'il est vrai que les deux "notions" se recoupent en partie, surtout sous l'influence de l'anglais guilt qui nous fait confondre la "culpabilité" (judiciaire ou forensique, "objective" en tout cas: on est coupable d'un "crime", d'un "délit" ou d'une "contravention" déterminés comme tels par une loi, ou on ne l'est pas, peu importe qu'on "se sente" ou non coupable; par extension seulement, d'une "faute morale") avec un " sentiment de culpabilité" beaucoup moins facile à définir et à délimiter. Reste que la "honte" déborde non seulement la "loi" mais aussi la "morale", témoin son association principielle à la nudité dont on parlait plus haut -- et comme on aurait honte de se retrouver nu dans la rue (cauchemar fréquent) on peut aussi avoir honte de se savoir ou de se sentir sale, moche, mal fagoté, petit, gros, faible, infirme, bête, ignorant, etc., dans telle ou telle circonstance -- toutes choses qui n'impliquent a priori aucune "culpabilité", ni légale ni morale, et pas même forcément de "sentiment de culpabilité" (celui-ci serait tout au plus une explication secondaire, une justification a posteriori, une "rationalisation" comme on dit par un autre anglicisme, de la sensation de "honte" ou de "gêne"). Comme on l'a souvent montré, la notion "biblique" ou "judéo-chrétienne" du " péché" dérive d'au moins deux "sources", l'une rituelle et sacerdotale (où le "péché" équivaut à l'"impur", à la "souillure" même accidentelle liée à des choses qui n'ont rien d'"illégal" ni d'"immoral" -- infirmité, maladie comme la "lèpre", contact d'un cadavre, sexualité même "normale", accouchement etc.), l'autre "prophétique" qui moralise le concept rituel en l'étendant à toute sorte de torts causés à autrui (injustice, oppression des pauvres, etc.). La "honte" est sans doute plus proche du pôle "rituel" du "péché", bien qu'elle s'en distingue et que pourtant tout finisse par s'y mêler (on a aussi "honte" d'être ou de se sentir moralement "coupable", mais pas tellement plus ni autrement qu'à se retrouver à poil au mauvais endroit) -- dans ce sens-là aussi c'est la "confusion" (un des meilleurs synonymes de la "honte", quoique partiel comme tous les synonymes). Il y a d'ailleurs un curieux retour de la "morale" au "religieux", quand le "péché" (re-)passe de la faute commise envers autrui à la faute commise envers la divinité, même s'il ne s'agit plus de "pureté rituelle". Ainsi dans le judaïsme monothéiste, la condamnation de l'idolâtrie ou du polythéisme, que les autres dieux soient conçus comme interdits (monolâtrie) ou inexistants (monothéisme strict mais exclusif). On peut remarquer que la "honte" ( bosheth) devient dans les rédactions bibliques tardives une façon de désigner sans les nommer (euphémisme dépréciatif ou péjoratif, si l'on supporte l'oxymore; plus artificiellement "dysphémisme") les "idoles" ou les "autres dieux" (ainsi dans l'onomastique, où les baal se transforment en bosheth: Ish-baal -> ish-bosheth, Merib-baal -> Mephi-bosheth, Jerub-baal -> Jerub-besheth; etc.). Une façon parmi d'autres cependant, car les rédacteurs "bibliques" débordent d'inventivité pour "dé-nommer" ainsi les dieux ou les idoles (cf. le vocabulaire scatologique remarquable du livre d'Ezéchiel p. ex., où il est plutôt question de "merde" que de "honte" -- mais bien sûr ce n'est pas sans rapport, puisque la "honte" se rapporte autant à la "saleté" en tout genre qu'à la "faute" morale).
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| Sujet: Re: la honte Mer 16 Mar 2022, 17:29 | |
| "Et maintenant, mes enfants, demeurez en lui, pour que, quel que soit le moment de sa manifestation, nous ayons de l'assurance, et qu'aucune honte ne nous fasse nous éloigner de lui à son avènement" (1 Jean 2,28).
Notes : 1 Jean 2:28 quel que soit… : litt. s’il est (ou s’il vient à être) manifesté (ou à se manifester, 1.2n) ; 3.2 ; cf. 3.5n ; Col 3.4. – de l’assurance 3.21 ; 4.17 ; 5.14 ; Jn 7.4n ; Ac 2.29n ; Hé 3.6+. – qu’aucune honte… : autre traduction que nous n’ayons pas la honte de nous trouver loin de lui ; cf. Jn 3.19ss ; Ph 1.20.
Ce texte met en évidence que la "honte" peut créer une séparation et un éloignement qui peut provenir d'un sentiment d'avoir mal agit. En lisant ce texte j'ai tout de suite pensé à 1 Jean 3,19-20 :
"A cela nous saurons que nous sommes de la vérité, et nous apaiserons notre cœur devant lui ; car si notre cœur nous condamne, Dieu est plus grand que notre cœur et il connaît tout"
Le sentiment d'indignité (qui souvent ne repose sur aucun élément objectif) génère la honte et ainsi le désir de se tenir loin des autres, même de Dieu. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: la honte Mer 16 Mar 2022, 18:00 | |
| Bien vu: c'est en effet le verbe aiskhunô, habituellement traduit par "avoir honte" (cf. supra ep-aiskhunô et le substantif correspondant, aiskhunè); mais cette périphrase usuelle ne facilite pas ici la traduction de sa construction, avec apo + génitif indiquant la provenance, la séparation ou l' éloignement (comme l'"ablatif" latin ou l'anglais from). Pour retrouver la concision de l'expression grecque il faudrait revenir à l'ancien français "honnir" (d'où "honte"): "... afin que, s'il est / quand il serait manifesté, nous ayons de l'assurance ( parrèsia) et ne nous honnissions pas (hors, loin) de lui en sa venue-présence ( parousia)". Sauf erreur de ma part, c'est la seule référence johannique, hypothétique et négative d'ailleurs, à la "honte", en tout cas par cette famille lexicale ( aiskhunô etc.). A l'opposé, cela renverrait au motif paulinien de la fierté (les références pauliniennes à la "honte" sont plus nombreuses, mais surtout [dé-]négatives, cf. 1 Corinthiens 1,27; 4,14; 6,5; 11,4s.22; 14,35; 15,34; 2 Corinthiens 4,2; 7,14; 9,4; 10,8; 11,21; Romains 1,16; 5,5; 6,21; 9,33; 10,11; Philippiens 1,20; 3,19 etc.) -- à ceci près qu'à partir de l'épître aux Romains c'est la "justification" (terme au moins formellement "juridique" et "judiciaire", au sens d'acquittement) qui "justifie" (aussi) la "fierté"; dans 1 Jean, en revanche, c'est une appartenance essentielle au divin (nés-engendrés de Dieu, la "semence" ou l'"onction" khrisma, 2,27, cf. encore la suite, 3,1ss, etc.), qui échappe à la "honte" parce qu'elle lui est foncièrement étrangère (comme à la "condamnation" au chap. 3 ou à la "crainte" au chap. 4, mais déjà auparavant au "péché", au "diable", etc.). Dans Zarathoustra, c'est l'homme le plus laid qui se fait l'assassin de Dieu parce qu'il ne supporte pas son regard, regard de pitié précisément -- sous-variante remarquable parmi les multiples versions nietzschéennes de la "mort de Dieu": non seulement mort de sa pitié pour les hommes, mais par l'objet exemplaire de cette pitié, celui qui souffre d'une "honte" non "juridique" ni "morale" mais "esthétique". |
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| Sujet: Re: la honte Jeu 17 Mar 2022, 12:46 | |
| Un mythe originaire de la honte : Adam et Ève
Les conséquences mêmes de cette transgression, telles qu’elles sont décrites dans Genèse 3, attestent ce sens-là du mythe : « Leurs yeux s’ouvrirent et ils surent qu’ils étaient nus. »C’est-à-dire qu’ils découvrirent leur identité, le scandale pour le désir primitif mais aussi le moteur de vie qu’est la différence des sexes, et ils en eurent honte. Honte dans l’après-coup de cette connaissance nouvelle par rapport à l’ignorance originelle ; alors, « ayant cousu des feuilles de figuier, ils s’en firent des pagnes » pour voiler cette différence à leurs propres yeux, et puis tentèrent de se cacher au regard de Dieu. Le Dieu biblique (qui, lui, n’a pas été tué par la révolte de ces premiers humains !) va d’ailleurs ratifier cette première structuration de leur désir en leur offrant des tuniques de peau. Honte, cette préforme des sentiments de culpabilité, et non la culpabilité œdipienne du meurtre du père. Honte, à la découverte de leurs singularités respectives, de s’être laissé piéger si na ïvement dans les illusions du désir de toute-puissance. Il ne s’agit de rien d’autre que des prises de conscience et du deuil douloureusement nécessaire, de ce désir, tout au long de la vie, pour vivre le mieux possible sa réalité humaine singulière.
La tradition religieuse surmoïque accentue l’aspect punition de la suite du texte. Or je pense, avec d’autres, qu’il s’agit plutôt, dans les versets suivants, de la découverte, les yeux ouverts, de cette dure réalité : enfanter dans la douleur, les conflits menaçants, le travail à la sueur de son front et, finalement, le retour à la poussière. Et c’est à ce point-là du texte, coïncidence pleine de sens, qu’Ish et Ishsha (l’homme et la femme) sont nommés Adam (le terrien) et Ève (la vivante). Cet échec cuisant pour le narcissisme primaire mégalomane contribue, par le « caractère organisateur de la honte-signal d’alarme » et la « formation de la pudeur » (C. Janin, p. 74), à l’intégration de l’identité individuelle et sexuée ...
... « “Faire comme si” ou “être comme” : c’est dans un tel écart que la honte se niche... » (C. Janin, p. 79) et j’ajouterai : il en va de la question décisive pour la santé psychique de la distinction entre les identifications primaires, confusionnantes, et les identifications secondaires, post-œdipiennes, structurantes en ce qu’elles procèdent de la perception sujet-objet et permettent le « prendre modèle sur » et l’intégration de l’héritage en dehors du meurtre.
https://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2003-5-page-1849.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: la honte Jeu 17 Mar 2022, 13:26 | |
| Ce genre de lecture "psychanalytique", insuffisamment attentive aux textes (ce n'est pas toujours le cas), ne "corrige" certaines "erreurs" traditionnelles (il n'y a en effet ni "péché" ni "diable" dans le récit de l'Eden, mais l'exégèse et même la lecture ordinaire n'ont pas attendu la psychanalyse pour le remarquer) que pour en conforter ou en générer d'autres, à mon sens tout aussi grossières. Il n'y a pas davantage d'"amour" divin (paternel ou maternel) dans les trois premiers chapitres de la Genèse, peut-être même pas de "Dieu" au sens (strictement) "monothéiste" -- si l'on tient compte de l'écart ostensible entre l'elohim pluriel-singulier du premier récit qui ordonne et bénit un monde sans "faute" ni "honte" et le Yahvé 'elohim du second, ni seul ni omniscient ni omniprésent ni omnipotent, dont l'interaction maladroite avec ses "créatures" aboutit à une série de malédictions, la "honte" ne jouant que dans ce second récit. Celui-ci dépasse toutefois -- si l'on peut dire, car ce n'est pas vraiment un "progrès" -- la perspective englobante et totalisante du premier (le monde tout-bon) en la ramenant à celle du "sujet" (individuel et/ou collectif) honteux, désirant, transgresseur, souffrant et mortel; la "honte" est sans conteste un élément décisif de ce passage d'une perspective à l'autre, jusque dans le "point de vue du dieu" qui lui-même s'y singularise.
Dernière édition par Narkissos le Ven 18 Mar 2022, 10:22, édité 1 fois |
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| Sujet: Re: la honte Jeu 17 Mar 2022, 15:07 | |
| "Ce n'est pas pour vous faire honte que j'écris cela ; mais je vous avertis comme mes enfants bien-aimés" - (1 Co 4,14)
"Je le dis à votre honte. Ainsi, parmi vous, il n'y a pas un seul sage qui puisse prononcer un jugement entre ses frères " - (1 Co 6,5)
"Ressaisissez-vous sérieusement et cessez de pécher ; quelques-uns, en effet, méconnaissent Dieu — je le dis à votre honte" - (1 Co 15,34).
"Je le dis, c'est un déshonneur : il semble que nous ayons montré de la faiblesse. Cependant, tout ce que peut oser quelqu'un — je parle en homme déraisonnable — moi aussi, je l'ose !" -(2 Co 11,21)
Nous retrouvons dans ces textes la volonté de Paul de "faire honte" (même quand il dit que ce n'est pas pour vous faire honte) pour pousser ces destinataires à rentrer en soi-même, d'avoir le désir de disparaitre de honte, leurs disant en quelque sorte : "qu’est-ce que tu as fait ? Tu devrais avoir honte !". Lorsque Paul fait allusion à "à notre honte" (2 Co 11,21 -TOB), il veut mettre en évidence la honte des lecteurs de sa lettre qui porte la responsabilité de s propre "honte". |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: la honte Jeu 17 Mar 2022, 16:25 | |
| C'est à la fois intéressant et amusant d'observer le jeu ou la danse des énoncés autour de la notion, du sentiment ou de la sensation de "honte" (je ne dis pas le "mot", car les textes et les traductions varient dans l'emploi des quasi-synonymes: en-trepô 1 Corinthiens 4,14; en-tropè 6,5; 15,34; a-timia 2 Corinthiens 11,21, etc.): "jeu de société" aussi qui passe par la ruse ou la feinte, la négation et la dénégation, la menace et la promesse, la manipulation des uns par les autres selon un calcul plus ou moins conscient (à cet égard les formules pauliniennes paraissent assez naïves, peu réfléchies ou peu conscientes d'elles-mêmes, puisqu'y émerge à peine le scrupule ou la honte de faire honte...)
Pendant qu'on y est, la famille lexicale en-trepô / en-tropè (1 Corinthiens) mérite considération, car s'il y va étymologiquement d'un "(re-)tourner en" ou "sur" soi, elle peut évoquer aussi bien la "honte" (aussi 2 Thessaloniciens 3,14; Tite 2,8 ) que l'un de ses "contraires", le "respect" (révérence, déférence, etc.): cf., en bonne part, Marc 12,6 // Matthieu 21,37 // Luc 20,13; 18,2.4; Hébreux 12,9.
Dernière édition par Narkissos le Jeu 17 Mar 2022, 17:07, édité 1 fois |
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| Sujet: Re: la honte Jeu 17 Mar 2022, 17:02 | |
| La honte d'exister
La honte est toujours un affect social, lié au regard, au jugement et à son intériorisation. Mais la chronicité de cet affect le rend dévorant ; il atteint l’entièreté de la personne. Cette honte d’exister est rapportée à soi, à la possibilité même d’être ce que l’on est. Comment assumer cette existence, ce fait d’être au monde quand on n’a pas de place ni d’épaisseur ? Cette honte d’exister se rapproche de ce que d’autres auteurs appellent la « honte blanche ». Comme le rappellent A. Cicconne et A. Ferrand (2009), « la honte blanche est d’essence catastrophique globale. Elle touche la totalité de l’être et ouvre sur la disparition de la personne » (p. 17). Ils suivent en cela Frutos et Laval pour lesquels la honte blanche est assimilable à un meurtre qui fait disparaître la personne. La sensation de disparition peut devenir chronique : « la disparition de soi-même au regard d’autrui et à son propre regard inclut le délitement du lien social. La honte blanche est dépersonnalisante » (p. 16) ...
... Tous les êtres humains qui font tache, qui dérangent, qui n’ont pas de place, peuvent être une source de honte pour les autres et pour eux-mêmes. L’individu honteux n’est jamais à sa place, car il n’a pas de place propre. Il n’en a jamais reçu et pense qu’il n’en mérite pas. Il se doit de partir ailleurs, dans les marges, de s’effacer devant les autres, de se gommer jusqu’à passer inaperçu, jusqu’à l’inexistence. Cela semble beaucoup plus difficile lorsque l’on est porteur d’une maladie de peau qui atteint les parties visibles du corps, notamment les mains et a fortiori le visage. Mais il existe des formes d’invisibilité sociale, sur lesquelles nous reviendrons, parfaitement compatibles avec le fait d’être visuellement repoussant ou dérangeant. On peut être parfaitement visible, voire trop visible et avoir appris à toujours s’effacer devant les autres, à se mettre soi-même entre parenthèses. Et la chronicité de l’invisibilité sociale peut conduire à la honte de soi.
https://www.cairn.info/revue-champ-psy-2012-2-page-113.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: la honte Jeu 17 Mar 2022, 18:02 | |
| J'avais ajouté une petite notice lexicale à mon post précédent, avant de te lire, et il se trouve qu'elle n'est pas sans rapport avec cet article d'une lucidité peu commune à l'ère de la "pensée positive": il y va aussi de l'"entropie" de ce qui tourne et se retourne en soi et sur soi, sans issue (ornière, pétrin, bourbier, ce ne sont pas les métaphores qui manquent). Cela m'a rappelé l' Elephant Man de Lynch -- et Job, bien sûr, a ceci près qu'un Job atteint du mal décrit dans le prologue en prose eût probablement été moins bavard (cf. encore Bergman, Une passion, déjà évoqué[e] ici, 30.1.2022). Incurvatus in se, (re-)tourné en ou sur soi, c'était aussi la définition luthérienne du "pécheur" ou du "péché", mais qui déborde largement toute perspective "morale". --- Je reviens, à toutes fins utiles, sur le logion synoptique de Marc 8,38//, qui est peut-être passé inaperçu parce que je ne l'ai mentionné que dans mon deuxième post ci-dessus, et sans commentaire, mais qui me paraît digne de réflexion: qui peut, comment, devant qui, pourrait-on avoir honte du Christ -- et de ses "paroles", qui ne sont d'ailleurs pas les mêmes d'un évangile à l'autre ? Sûrement pas de la même manière avant et après vingt siècles de "christianisme"... En outre, je n'ai pas signalé que ce logion trouve un "quasi-parallèle" en Matthieu 10,33 // Luc 12,8, dont nous avons déjà parlé ailleurs,, et où le thème de la "honte" est remplacé par le contraste de la confession (reconnaître, etc.) et du reniement -- "devant les hommes (les humains, les gens)" (au lieu de "cette génération"). Comme Matthieu n'a pas de "parallèle" (direct) à Marc 8,38, on pourrait supposer (en faisant l'économie de la source "Q") que c'est ce logion qu'il transforme dans la formulation de Matthieu 10,33; Luc en revanche cumule les deux formulations (9,26 // Marc 8,38, 12,8 // Matthieu 10,33). |
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| Sujet: Re: la honte Ven 18 Mar 2022, 11:49 | |
| Qu’est-ce qu’une honte légitime ? (Romains 6.20-21)
« En effet, lorsque vous étiez esclaves du péché, vous étiez libres par rapport à la justice. Quels fruits portiez-vous alors ? Des fruits dont vous avez honte aujourd’hui, car leur fin, c’est la mort. » (Romains 6.20-21)
Quand les yeux d’un chrétien s’ouvrent au mal déshonorant Dieu de son ancien comportement, le chrétien a honte à juste titre. Paul dit à l’église romaine : « Lorsque vous étiez esclaves du péché… Quels fruits portiez-vous alors ? Des fruits dont vous avez honte aujourd’hui. »
Il existe des moments appropriés dans la vie où il est bon de regarder en arrière et de ressentir le pincement de douleur que nous avons vécu autrefois d’une manière qui dénigrait tellement Dieu. Certes, nous ne devons pas être paralysés en nous attardant là-dessus. Mais un cœur chrétien sensible ne peut pas se souvenir des folies de la jeunesse et ne pas ressentir des échos de honte, même si tout est réglé entre nous et le Seigneur.
Une honte légitime peut être très saine et rédemptrice. Paul dit aux Thessaloniciens : « Si quelqu’un n’obéit pas à ce que nous disons par cette lettre, notez-le et n’ayez pas de relations avec lui, afin qu’il en éprouve de la honte. » (2 Thessaloniciens 3.14). Cela signifie que la honte est une étape appropriée et rédemptrice dans la conversion, et même dans la repentance d’un croyant après un temps de froideur spirituelle et de péché. La honte n’est pas quelque chose à éviter à tout prix. Il y a une place pour elle dans les bonnes relations de Dieu avec son peuple.
Nous pouvons conclure que le critère biblique de la honte non légitime et de la honte légitime est radicalement centré sur Dieu.
Le critère biblique de la honte non légitime dit : « N’ayez pas honte de quelque chose qui honore Dieu, même si cela vous fait paraître faible, fou ou mauvais aux yeux des autres. » Ou une autre façon d’appliquer ce critère centré sur Dieu de la honte non légitime pourrait être de dire : n’ayez pas honte à cause d’une situation vraiment honteuse à moins que vous ne participiez d’une quelque façon au mal.
Le critère biblique de la honte légitime dit : « Ayez honte de participer à quoi que ce soit qui déshonore Dieu, même si cela vous fait paraître fort, sage ou juste aux yeux d’autrui. »
La raison pour laquelle nous devrions avoir honte est la désapprobation d’un comportement qui honore Dieu. La raison pour laquelle nous ne devrions pas avoir honte est un comportement qui honore Dieu, même si les gens essaient de vous couvrir de honte pour cela.
https://www.reveniralevangile.com/quest-ce-quune-honte-legitime-romains-6-20-21/ |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12452 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: la honte Ven 18 Mar 2022, 12:43 | |
| Exemple typique ("évangélique" et américain pour le coup, mais on retrouverait facilement les mêmes ficelles dans un sermon catholique ou dans un livre de psychologie populaire éloigné de toute "religion") d'une tentative de circonscrire (cadrer, canaliser, définir, délimiter) la "honte" en la confondant (!) avec une "culpabilité" réglée par une "loi" (légitime, illégitime). Mais la honte ne se laisse pas faire: comme on l'a déjà montré, on peut être (juridiquement, judiciairement, moralement, "objectivement") coupable sans éprouver la moindre "honte" (sans vergogne, comme on dit encore); et inversement, on peut être terriblement "honteux" de choses ou causes qui n'ont rien de "criminel" ni d'"immoral" (esthétiques ou pathologiques p. ex.). Par rapport à cette "honte"-là, qui est ce qu'elle est pour qui, quand et où elle arrive, un discours de la "légitimité" (légale, morale, psychologique) est aussi utile qu'un cataplasme sur une jambe de bois, ou pire encore si la honte s'accroît de son "illégitimité" (j'ai d'autant plus honte d'avoir honte que je n'ai pas de raison, de devoir ni de droit d'avoir honte). Cependant c'est bien par ce décalage, cette non-concordance irréductible entre une "honte" ("existentielle" et "essentielle", honte d'exister et d'être ce que je suis, quoi que je sois) et une "culpabilité" (légale ou morale) que la " grâce" et même la " justification" débordent a contrario, quasi symétriquement, le registre juridique ou moral. Ce dont il faudrait être "justifié" ou "gracié", en définitive, ce n'est pas seulement ce dont on serait ou se sentirait "coupable" sur un mode quasi juridique, mais bien tout ce dont on a ou pourrait avoir "honte" -- à tort ou à raison selon quelque "raison" que ce soit. D'où l'importance, dans une religion dite de "salut" comme le christianisme, que le "salut" et/ou le "sauveur" se rapporte(nt) à la "honte" plu(s)tôt qu'à la "culpabilité". C'est l'avantage, si l'on peut dire, de la "croix" par rapport à une "mort" quelconque, avantage qui dépend évidemment de la "sociologie" de sa pratique romaine (châtiment des esclaves ou des criminels à qui on n'accorde aucune dignité), mais se re-marque explicitement dans les textes -- dès 1 Corinthiens 1--2 (cf. kat-aiskhunô, "faire honte", en 1,27); ou encore en Philippiens 2, où la croix correspond au plus profond de l'abaissement ou humiliation (motif que le johannisme inverse malicieusement en associant la crucifixion, selon le mouvement matériel du supplice, à une "élévation" au-dessus de la terre, Jean 3,14; 8,28; 12,32ss); outre les textes évoqués précédemment, dans l'épître aux Hébreux ou dans Marc 8,38 et ses "parallèles": le Christ (crucifié) a un rapport essentiel et ambigu à la "honte", c'est "quelqu'un" ou "quelque chose" dont on peut "avoir honte" et qui à partir de là permettrait, d'une manière ou d'une autre, de "dépasser" ("mépriser" p. ex.) la "honte". Ce rapport à la "honte" peut d'ailleurs s'exprimer de façon tout à fait indépendante de la "mort" et de la "croix", par exemple dans l'évangile selon Thomas, en lien avec l'expérience originaire ou édénique de la "nudité" (cf. supra): - Thomas 37 a écrit:
- Les disciples dirent: Quand te révéleras-tu à nous, et quand te verrons-nous ?
Jésus dit: Quand vous vous dévêtirez sans avoir honte, quand vous prendrez vos vêtements et les mettrez sous vos pieds pour les piétiner comme de petits enfants, alors vous verrez le fils du vivant et vous n'aurez pas peur. |
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