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 Le livre de Ruth - Le Dieu caché

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MessageSujet: Le livre de Ruth - Le Dieu caché   Le livre de Ruth - Le Dieu caché Icon_minitimeMar 28 Fév 2023, 16:02

Introduction

Le livre de Ruth est un petit bijou de littérature biblique. Même si son titre fait référence à l’une des héroïnes, on ne peut passer sous silence Noémi qui y joue un rôle de premier plan. L’histoire est simple. Après avoir quitté Bethléem en raison de la famine, Noémi et son mari s’installent au pays de Moab avec leurs deux fils. Mais une nouvelle épreuve attend Noémi : elle perd son mari et ses deux fils. Elle libère alors ses deux brus de la charge de s’occuper d’elle, et décide de retourner dans son pays. Ruth refuse de se séparer de Noémi et l’accompagne jusqu’à Bethléem. Noémi mène le jeu dans le but de trouver une descendance. Elle incite Ruth à se faire glaneuse dans un champ qui appartient à un homme de sa parenté du nom de Booz en qui elle espère trouver le go’el qui, en épousant Ruth, lui assurera une descendance. Son projet réussit. Noémi se réjouit de l’enfant qui naît du mariage de Ruth et de Booz. Cet enfant, Oved, sera le père de David, et un lointain ancêtre de Jésus.

La place de Ruth dans la Bible

     Dans la Bible hébraïque, le livre de Ruth est placé dans la partie des Écrits (Ketuvim), après la Loi (Torah) et les Prophètes (Nevi’im). Ruth figure en tête de la collection des cinq Rouleaux (Megillôt), suivi du Cantique, de Qohélet (ou l’Ecclésiaste), des Lamentations et d’Esther. Ces cinq petits livres sont regroupés entre le livre des Proverbes et celui de Daniel. La Traduction œcuménique de la Bible (TOB) a adopté cette classification. La Bible de Jérusalem suit plutôt la classification des versions grecque (Septante) et latine (Vulgate) et place le livre de Ruth entre les Juges et le 1er livre de Samuel, en raison de l’introduction qui situe l’histoire de Ruth au temps où gouvernaient les Juges (Rt 1, 1).

L’usage liturgique des Megillôt

     Les cinq petits livres qui constituent les Megillôt sont lus aux principales fêtes liturgiques qui commémorent des événements importants de l’histoire juive.

Le Cantique des cantiques est lu lors de la Pâque, d’abord fête printanière des agriculteurs et des éleveurs, devenue ensuite mémorial de la libération du pays d’esclavage,  printemps de l’amour de Dieu pour son peuple (Ct 2, 11-13).
Ruth est lu à la fête des Semaines (Shavouôt, Pentecôte) qui marque le début de la moisson  des orges (Rt 1,2) et qui rappelle la marche au désert et le don de la Loi à Moïse.

Le livre des Lamentations est lu le 9 du mois d’Av, jour de la commémoration de la destruction du Temple et de Jérusalem par les armées babyloniennes en 587 A.C..
Qohélet est lu à la fête des Tentes (Soukkôt) qui souligne les vendanges et les récoltes d’automne en même temps qu’elle rappelle les campements des Hébreux durant leur longue pérégrination au désert.

Enfin le livre d’Esther est lu à la fête de Purim qui est célébrée en février-mars en souvenir du jour où Mardochée et Esther, deux juifs de la diaspora sous le règne de Xerxès (485-465 A.C.), sauvèrent les Juifs de Perse que le premier ministre Amman voulait exterminer.

     L’usage liturgique du livre de Ruth durant la fête des Moissons, ou Shavouôt, peut répondre à deux motifs. L’un est d’ordre chronologique : l’action du récit se déroule au temps de la moisson des orges au printemps. L’autre motif est d’ordre théologique. Puisque la fête des Moissons célèbre le don de la Loi, l’histoire de Ruth la Moabite qui reste attachée à sa belle-mère Noémie et la suit jusque dans son pays d’origine, au point d’y devenir une étrangère, envoie le message que les païens  peuvent vivre sous le régime de la Loi et que des femmes étrangères peuvent être intégrées dans la communauté israélite. Si tel est le cas, la composition du livre de Ruth daterait du retour de l’exil, à une époque où l’opinion dominante inspirée d’Esdras désapprouve les mariages d’Israélites avec des femmes étrangères (Esdras 10, 17-44).

La date du livre

     Il est difficile de déterminer la date de composition du livre de Ruth. Les opinions sont partagées. Certaines raisons militent en faveur d’une période pré-exilique, soit avant 587 A.C., à cause du style qui se rapproche de la prose de l’Ancien Testament et de la pratique de certaines coutumes juridiques anciennes comme la loi du rachat (go’el) et celle du lévirat qui sont antérieures au code deutéronomique publié au temps du roi Josias (640-609). Mais la nécessité d’expliquer ces mêmes coutumes fait plutôt pencher en faveur de la période qui suit le retour d’exil, à partir de 537. À cela s’ajoutent des thèmes comme l’universalisme, la conception de la rétribution et le sens de la souffrance qui se comprennent mieux à la suite de l’expérience de l’exil.

http://www.interbible.org/interBible/ecritures/exploration/2010/exp_100216.html
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Narkissos

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MessageSujet: Re: Le livre de Ruth - Le Dieu caché   Le livre de Ruth - Le Dieu caché Icon_minitimeMar 28 Fév 2023, 17:57

En cherchant quelque chose d'un peu moins banal, il me vient l'idée de rapprocher l'aire de Booz (ou Boaz) de la caverne de Lot(h) où se joue à peu près le même stratagème (faites des pères à l'insu de leur plein gré): origine de Moab (et d'Ammon) à partir de la famille d'Abraham et retour de Moab à la famille de David -- on trouve rarement ça dans les commentaires pieux, et pourtant... Smile

L'auteur de la généalogie de Matthieu avait en effet très bien choisi ses femmes (exceptions ostensibles dans une liste de noms d'hommes): Tamar (réputée "païenne" dans la littérature juive extra-biblique, et jouant déjà la prostituée pour avoir une descendance dans la Genèse), Rahab la "prostituée"-aubergiste de Jéricho que la tradition mariait ensuite à l'un des espions, Ruth donc, la femme d'Urie le Hittite, et... Marie, toutes présumées "pécheresses" à divers titres. Il est amusant de constater que l'opposition (surjouée) du christianisme matthéen au judaïsme pharisien, au tournant des Ier/IIe siècles de notre ère, fait effectivement écho à toute la littérature biblique "centrifuge", celle qui prenait ses distances avec l'exclusivisme dominant du Deutéronome ou d'Esdras-Néhémie quelques siècles plus tôt. Les lignes de faille se déplacent mais il en reste toujours quelque chose.

Je me suis demandé pourquoi ton sous-titre "le Dieu caché", qui vaudrait encore mieux pour Esther (hébreu) où la divinité n'est pas mentionnée du tout, sous aucun nom (tu avais parlé d'"absence" de Dieu); il est vrai que le dieu n'intervient guère dans l'intrigue, sinon sur un mode providentiel, au début et à la fin (fin de la famine à Bethléem, bien comprise comme "maison du pain", 1,6; fécondité de Ruth, 4,13); en revanche il y a un festival de mentions et d'invocations orales du nom Yahvé dans les dialogues et autres discours directs des personnages (1,8s.13.17.21; 2,4.12s.20; 3,10.13; 4,11s.14): la piété est pour ainsi dire dans le décor, dans la description pittoresque des scènes archaïques et champêtres, sans doute dépaysantes aussi (comme les coutumes rapportées à un très ancien "Israël", 4,7) par rapport au monde de l'auteur (ou des auteurs) et des premiers lecteurs-auditeurs.

Toutefois on peut bien dire qu'une certaine mise à distance du divin, pour des raisons et sous des formes très diverses, caractérise les cinq livrets du le groupe des Megilloth (= Rouleaux) dans le canon hébreu: l'"absence de Dieu" reste, en un sens, "théologique" dans les Lamentations (la divinité paraît absente de l'histoire dans la catastrophe, mais elle est aussi présente comme cause du châtiment et espérée pour l'avenir) et dans Qohéleth (la divinité est essentiellement lointaine et obscure, elle n'est pas au service des hommes pour révéler, guider, juger, punir ou récompenser); mais c'est beaucoup moins évident de Ruth, du Cantique des cantiques ou d'Esther (hébreu), où le motif religieux paraît simplement accessoire... Or c'est peut-être ce qui nous est le plus difficile à saisir, à nous qui recevons tous ces textes dans un livre "sacré", qu'un certain nombre d'entre eux puissent s'intéresser à tout autre chose qu'à la "religion" et que leur contribution "théologique" soit à peu près nulle.
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MessageSujet: Re: Le livre de Ruth - Le Dieu caché   Le livre de Ruth - Le Dieu caché Icon_minitimeMer 01 Mar 2023, 15:24

Citation :
En cherchant quelque chose d'un peu moins banal, il me vient l'idée de rapprocher l'aire de Booz (ou Boaz) de la caverne de Lot(h) où se joue à peu près le même stratagème (faites des pères à l'insu de leur plein gré): origine de Moab (et d'Ammon) à partir de la famille d'Abraham et retour de Moab à la famille de David -- on trouve rarement ça dans les commentaires pieux, et pourtant... Smile

"Loth monta de Tsoar pour s'installer dans la montagne avec ses deux filles, car il avait peur de s'installer à Tsoar. Il s'installa dans une grotte. Alors l'aînée dit à la cadette : Notre père est vieux, et il n'y a pas d'homme dans le pays pour aller avec nous selon l'usage commun à tous. Viens, faisons boire du vin à notre père et couchons avec lui, afin de donner la vie à une descendance issue de notre père. Elles firent donc boire du vin à leur père ce soir-là ; et l'aînée alla coucher avec son père : il ne se rendit compte de rien, ni quand elle se coucha, ni quand elle se leva. Le lendemain, l'aînée dit à la cadette : J'ai couché avec mon père la nuit dernière ; faisons-lui boire du vin ce soir encore, et va coucher avec lui, afin de donner la vie à une descendance issue de notre père. Elles firent boire du vin à leur père ce soir-là encore, et la cadette se releva pour coucher avec lui : il ne se rendit compte de rien, ni quand elle se coucha, ni quand elle se leva. Ainsi les deux filles de Loth furent enceintes de leur père. L'aînée mit au monde un fils qu'elle appela du nom de Moab : c'est le père de Moab — jusqu'à aujourd'hui. La cadette mit aussi au monde un fils, qu'elle appela du nom de Ben-Ammi (« Fils de mon peuple ») : c'est le père des Ammonites — jusqu'à aujourd'hui" (Gen 19,30-38).

"Noémi, sa belle-mère, lui dit : Ma fille, ne dois-je pas te chercher un lieu de repos, pour que tu sois heureuse ? En fait, Booz, avec les servantes de qui tu as été, n'est-il pas notre parent ? Or lui-même doit vanner ce soir les orges qui sont sur l'aire. Lave-toi, parfume-toi, puis mets ton manteau et descends sur l'aire. Ne te fais pas connaître de lui avant qu'il ait achevé de manger et de boire. Quand il ira se coucher, tu sauras à quel endroit il se couche. Ensuite tu iras découvrir ses pieds et tu te coucheras. Il te dira lui-même ce que tu devras faire. Elle lui répondit : Tout ce que tu m'as dit, je le ferai. Elle descendit jusqu'à l'aire et fit exactement ce que sa belle-mère lui avait ordonné. Booz mangea et but ; son cœur était content. Il alla se coucher à l'extrémité du tas de gerbes. Ruth vint furtivement découvrir ses pieds et se coucher. En pleine nuit, l'homme frissonna et se retourna : une femme était couchée à ses pieds ! Il dit : Qui es-tu ? Elle répondit : Je suis Ruth, ta servante. Etends le pan de ton vêtement sur moi, puisque tu es rédempteur. Il s'exclama : Sois bénie du SEIGNEUR, ma fille ! Cette dernière marque de fidélité vaut mieux encore que la première, car tu n'as pas couru après les jeunes gens, pauvres ou riches. Maintenant, ma fille, n'aie pas peur ; je ferai pour toi tout ce que tu diras, car sur la place publique chacun sait que tu es une femme de valeur. Maintenant, s'il est vrai que je suis rédempteur, il y a un autre rédempteur qui est un parent plus proche que moi. Passe la nuit ici. Si ce matin il assure ta rédemption, c'est bien, qu'il le fasse ; mais s'il ne désire pas assurer ta rédemption, c'est moi qui le ferai, par la vie du SEIGNEUR ! Reste couchée jusqu'au matin" (Rt 3,1-13). 

1. Ruth se prépare en vue du mariage (3.1-5)

La marieuse propose un plan audacieux qui met en péril la réputation de Ruth. Premièrement, Noémi invite Ruth à se laver, à se parfumer et à s’habiller, c’est-à-dire à se préparer pour l’acte sexuel (cf. Ez 16.9-12). Noémi dit ensuite à Ruth de descendre secrètement sur l’aire de vannage – un acte totalement contre-culturel, car les femmes ne sont traditionnellement pas présentes aux réjouissances nocturnes des vanneurs (voir Rt 3.14). Ruth doit alors se coucher (un mot sexuellement chargé en hébreu) et découvrir les pieds de Booz (peut-être un euphémisme pour les parties génitales)14. Ces instructions constituent une série d’actions audacieuses qui conduisent Ruth à proposer le mariage à Booz. Malgré les bonnes intentions de Noémi, on peut se demander si celle-ci n’est pas un peu manipulatrice. En effet, elle laisse entendre à Ruth que Booz est le proche parent qui a la responsabilité de l’épouser. Mais pouvait-elle ignorer qu’il y en avait un plus proche qui avait cette responsabilité (voir 3.12-13) ? Noémi semble vouloir contourner la loi de JE SUIS, contrairement à Booz. En tout cas, elle compte sur la noblesse de caractère de Ruth et de Booz pour faire ce qui est juste. La réponse de Ruth : « Je ferai tout ce que tu me dis », est caractéristique à la fois de Ruth et de Booz dans cet acte (3.11). Sa réponse est semblable à celle de Marie à l’ange du Seigneur : « Je suis la servante du Seigneur. Que tout ce que tu m’as dit s’accomplisse pour moi » (Lc 1.38).

IV. INTERTEXTUALITÉ : LE CORPUS DE RUTH

Les références à « Moab » et à Tamar dans le livre de Ruth sont significatives, car elles laissent supposer que le narrateur a voulu mettre Booz et Ruth en contraste avec Loth et ses filles et avec Juda et Tamar. De plus, la vie d’Élimélek partage des liens intertextuels frappants avec Loth et Juda. Fisch appelle cela le « corpus de Ruth », car Ruth, la belle-fille d’Élimélek, en tant que Moabite et donc descendante de Loth et en tant qu’épouse de Booz et donc descendante de Juda, a des liens avec Loth et Juda. Dans le résumé ci-dessous, j’ai adopté et adapté l’analyse structurelle de Fisch, qui compare Élimélek, Loth et Juda. Cette structure se concentre sur les similitudes, puis sur les paires antithétiques et enfin sur les différences qui distinguent Élimélek de Loth et Juda.

A. Similitudes

Premièrement, Loth, Juda et Élimélek se séparent des élus : Loth s’éloigne d’Abraham pour aller à Sodome (Gn 13.11); Juda s’éloigne de ses frères pour se rendre dans les plaines de Canaan (Gn 38.1); Élimélek part de Bethléhem pour séjourner dans le pays de Moab (Rt 1.1).

Deuxièmement, tous les trois subissent les conséquences tragiques de leur séparation d’avec les élus : Sodome est détruite et Loth est sauvé de justesse; Juda perd sa femme et ses deux fils; Élimélek et ses deux fils meurent.

Troisièmement, la descendance féminine des trois hommes est confrontée au problème de l’infertilité : les deux filles de Loth n’ont aucun homme pour s’unir à elles; Tamar est tenue de demeurer veuve dans la maison de son père ; et les deux belles-filles de Noémi perdent leur mari. 

Quatrièmement, un proche parent accepte la responsabilité de maintenir le nom de Loth, Juda et Élimélek : Loth lui-même donne une descendance à ses filles à son insu; Juda donne une descendance à Tamar à son insu; et Booz choisit d’épouser Ruth.

Cinquièmement, dans les trois cas une femme prend l’initiative du mariage en utilisant une ruse : les deux filles de Loth couchent avec lui à son insu; Tamar se déguise en prostituée; et Ruth vient secrètement sur l’aire de vannage.

Sixièmement, l’union se produit en lien avec une célébration et un désordre temporaire : Loth s’enivre de vin; Juda se rend aux festivités de la tonte des brebis; et Booz est joyeux en raison de la moisson d’orge.

Septièmement, dans chaque cas le mariage a lieu au sein de la famille : les deux filles de Loth commettent l’inceste; Tamar commet l’inceste parce que Juda lui refuse une union léviratique avec son troisième fils Shéla; et Booz devient le parent-rédempteur et rachète la propriété et la veuve.

Enfin, des enfants mâles sont issus des unions : Moab et Ammon – le premier est l’ancêtre de Ruth; Pérets et Zérah – le premier est l’ancêtre de Booz; et Obed – le grand-père du roi David.

https://www.xl6.com/articles/extraits-2/9782755001709.pdf
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MessageSujet: Re: Le livre de Ruth - Le Dieu caché   Le livre de Ruth - Le Dieu caché Icon_minitimeMer 01 Mar 2023, 16:07

Je ne sais pas de qui est ce commentaire, mais il est certainement "évangélique" puisque l'extrait est sur le site d'"Excelsis" ("xl6", qui a par ailleurs à son catalogue un commentaire de Ruth par un certain Daniel Arnold, que je ne connais pas) et qu'il se risque en conclusion à une "typologie" christologique (ce que n'oserait plus guère un exégète non fondamentaliste: tout "messianisme", a fortiori chrétien, est étranger au livre de Ruth pris pour lui-même, avec ou sans sa conclusion généalogique "davidique", mais à coup sûr sans "Nouveau Testament").

Contrairement à ce que je suggérais ce commentaire rapproche bien les deux scènes (Lot et ses filles // Booz, Naomi et Ruth), mais il s'efforce aussitôt de neutraliser ce "parallèle" en tentant de le rendre antithétique, c'est-à-dire en accentuant (et selon moi en exagérant) les contrastes: rien dans le texte ne réfute les allusions sexuelles transparentes de la scène de l'aire, seuls les préjugés d'un chrétien moderne (sur le "mariage" comme institution, sinon sacrement divin) en excluent l'hypothèse (qui va de soi pour un lecteur-auditeur ancien, cf. aussi Abishag mise dans la couche du vieux David); rien dans la Torah (dont les règles ne cadrent d'ailleurs que très approximativement avec les coutumes anciennes évoquées -- ou inventées -- dans le livre de Ruth) ne stigmatiserait la relation sexuelle d'un homme (fût-il par ailleurs x fois marié) avec une veuve, surtout si manifestement consentante...

Au passage, je trouve inepte la "traduction" systématique de "Yahvé" par "JE SUIS", d'après le jeu de mots approximatif d'Exode 3,14ss ('hyh pour yhwh): c'est une interprétation très tardive du nom divin traditionnel qui a jusque-là été employé comme n'importe quel nom propre, sans évoquer de "signification" particulière, et qui ne trouve que très peu d'écho dans les textes de l'AT (un peu plus dans le NT, Jean, Apocalypse). Il est évident que les locuteurs de l'hébreu, même ceux qui connaissaient ce passage de l'Exode, n'y pensaient pas à chaque fois qu'ils lisaient, disaient ou entendaient "Yahvé" (a fortiori Adonaï), pas plus qu'ils ne pensaient au rire à chaque mention du nom d'Isaac (et pourtant là c'est bien le même mot, mais le nom propre qui désigne quelqu'un cesse fonctionnellement de signifier quelque chose). Le livre de Ruth dépeint une piété populaire, naïve, quotidienne, par toutes ces invocations du nom divin mises dans la bouche de Naomi, de Booz, des moissonneurs, etc., il ne s'agit pas de faire de tout ce monde-là des théologiens ou, pire, des métaphysiciens de l'être et du sujet absolus (JE SUIS)...
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MessageSujet: Re: Le livre de Ruth - Le Dieu caché   Le livre de Ruth - Le Dieu caché Icon_minitimeJeu 02 Mar 2023, 11:55

Citation :
Je me suis demandé pourquoi ton sous-titre "le Dieu caché", qui vaudrait encore mieux pour Esther (hébreu) où la divinité n'est pas mentionnée du tout, sous aucun nom (tu avais parlé  d'"absence" de Dieu);

Le titre de ce fil est un emprunt à l'article suivant :

Le Dieu caché du livre de Ruth. Un chemin de lecture, un chemin pour la foi

Le récit du livre de Ruth partage, avec l’histoire de Joseph en Gn 37–50 et le livre d’Esther, une caractéristique qui les met à part dans le corpus narratif de la Bible : le personnage de Dieu, le « premier » personnage biblique (par ordre d’apparition comme par ordre de causalité), s’y trouve comme retiré dans les coulisses de l’action. Dans le livre de Ruth, Dieu est — à une exception près (qui se lit en 4,13, et dont il sera question plus loin) — le grand absent parmi les « actants » du récit. Il est celui dont parlent les hommes, ou encore celui qui se trouve réfléchi dans leur perception ; il n’intervient pas — en tant que sujet d’initiative — dans l’histoire racontée par le narrateur. Pourquoi la Bible, qui n’hésite pas à faire de Dieu un personnage sur la scène du récit (ainsi en Gn 3,8 : « Ils entendirent la voix de Yhwh Dieu qui se promenait dans le jardin au souffle du jour »), ou à raconter son intervention dans le cours des choses (ainsi en Gn 19,24 : « Yhwh fit pleuvoir sur Sodome et Gomorrhe du soufre et du feu »), choisit-elle ailleurs de “voiler” son action dans l’histoire en mettant à l’avant plan du récit les seules actions humaines ? Elle le fait sans doute pour reproduire l’expérience de Dieu qui est celle des lecteurs : le Dieu qui agit de manière décisive dans l’histoire des hommes est paradoxalement le Dieu qui se cache (cf. Is 45,15). Mais si la Bible adopte dans certains cas ce mode de narration, elle le fait avec une grande maîtrise, laissant percevoir qu’à travers les actions des figures mises à l’avant-plan — Joseph, Esther, Ruth, Booz et les autres — c’est le dessein du Dieu caché qui se réalise. En d’autres termes, la narration biblique opte alors pour ce que Y. Amit a appelé le principe de la « causalité duelle » : dans la causalité exercée par les hommes (et rendue explicite par le narrateur) s’effectue la causalité (implicite) de Dieu en tant que maître de l’histoire. En passant en revue les références au personnage de Dieu dans le livre de Ruth, ces pages chercheront à montrer que cette modalité de la narration y est une stratégie délibérée, qui crée un chemin pour la foi du lecteur ...

... Le rapport qui noue intrigue et personnages autour des mentions du nom divin prend par ailleurs une forme particulière, et particulièrement audacieuse, dans le livre de Ruth. Lorsque Dieu n’intervient pas directement dans l’action racontée, il appartient d’autant plus aux hommes d’agir en son nom ou encore d’agir pour autrui, au point d’incarner certains des attributs divins. Ainsi la « bonté » (la ḥ qui apparaît parmi les attributs divins en Ex 20,6 et 34,6) est-elle attribuée par Noémi à ses deux belles-filles moabites : « Que Yhwh agisse envers vous avec bonté (ḥ) comme vous avez agi envers les défunts et envers moi » (1,Cool. Booz, de son côté, reconnaîtra dans la conduite de Ruth une double démonstration de cette bonté : non seulement à l’égard de sa belle-mère (voir 2,11-12), mais également à son propre égard, l’ayant préféré à d’autres partis : « Tu as montré ta bonté (hesed) de façon encore plus heureuse cette fois-ci que la première » (3,10). La surimpression de l’agir divin et de l’agir humain concerne en particulier le personnage de Booz. En 2,20, Noémi loue Booz pour ce qu’il a entrepris de faire à l’égard de Ruth et de sa parenté : « Béni soit-il de Yhwh celui qui n’abandonne sa bonté (ḥesed) ni envers les vivants ni envers les morts » ; ainsi que l’ont remarqué plusieurs commentateurs, une ambiguïté est logée dans la syntaxe : l’antécédent de « celui qui » peut être Yhwh ou Booz . Pour certains, l’ambiguïté est voulue : le narrateur, écrit T. Linafelt, « s’est efforcé de créer une confusion, ou au moins un recouvrement, entre le Seigneur et Booz dans le récit, et continuera de la sorte afin de rendre problématique la séparation de l’activité humaine et divine » En d’autres termes, Noémi louerait Booz pour avoir pris sur lui d’incarner la bonté de Dieu à l’égard des vivants et des morts du lignage d’. Le même phénomène se retrouve dans les paroles de Ruth, qui incite Booz à avoir pour elle les gestes de Dieu. Lors de la rencontre initiale dans le champ à moissonner, Booz l’avait louée pour avoir cherché refuge « sous les ailes […] du Dieu d’Israël » (2,12) ; lors de la scène nocturne, Ruth reprend l’image de l’aile (qui, au singulier, peut signifier aussi « le pan du manteau »), et l’applique à leur propre relation : « Étends ton aile / le pan de ton manteau sur moi » (3,9)  Encore une fois, l’agir de Dieu, délibérément camouflé dans la narration, trouve une manifestation dans celui des hommes et des femmes, s’engageant les uns pour les autres.

https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-theologique-2011-2-page-177.htm
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MessageSujet: Re: Le livre de Ruth - Le Dieu caché   Le livre de Ruth - Le Dieu caché Icon_minitimeJeu 02 Mar 2023, 13:43

Commentaire très intéressant, peut-être trop, au regard de ce que je suggérais plus haut (28.2.2023): ce qui est le plus difficile à percevoir pour l'exégète "biblique", théologien par nécessité professionnelle et souvent religieux de confession, de vocation initiale et/ou de conviction résiduelle, c'est précisément l'absence ou le peu d'intérêt "théologique" des textes... du coup le "manque de Dieu", ou ce qui est éprouvé par le lecteur religieux comme tel, se transforme de lui-même en supplément de "mystère" divin. (On repense aux Communiants de Bergman où les discours du pasteur sur le "silence de Dieu" suscitent le sarcasme de sa compagne athée, pour qui c'est naturellement la chose la moins mystérieuse du monde.)

Il en va de même de la "causalité duelle" (Dieu cause première, humains ou circonstances causes secondes) dont on a souvent parlé ailleurs (p. ex. ici): elle fait tellement partie intégrante de l'outillage exégétique et apologétique post-scolastique qu'il est quasiment impossible à une lecture moderne et savante de suivre simplement des textes qui n'ont pas été écrits avec ce genre de concept et de distinguo, pour lesquels les dieux sont des "acteurs", agents et patients, comme les hommes.

Comme je le disais plus haut, la "religion" dans le livre de Ruth me semble un élément parmi d'autres du décor: une société primitive, rurale, agraire, coutumière, tableau sans doute déjà exotique et idyllique du point de vue du milieu producteur du récit, milieu probablement très différent. A ce titre cette "religion" est dépeinte comme naïve et populaire, commune aux relativement riches et aux relativement pauvres (comme Booz et les moissonneurs) qui vivent dans une interdépendance et une harmonie idéales; largement implicite, éloignée de tout rituel, de toute prêtrise, de tout sanctuaire, et de toute référence à une "loi" écrite. Rien que ça (comme pour les récits de la Genèse) marque une distance par rapport à la "religion" de la Torah, toutes tendances (p. ex. deutéronomiste ou sacerdotale) confondues.

N.B.: sans doute à cause d'une erreur de codage, il y a dans cet article tantôt un seul "h" pointé, tantôt "hesed", pour transcrire le même mot hébreu bien connu (cf. p. ex. ici) mais difficile à traduire, qui apparaît très souvent dans les psaumes et d'autres textes similaires pour décrire la "bonté-fidélité" de Yahvé, notamment dans sa durée (cf. le leitmotiv, répons ou refrain, "pour toujours son hesed"). Toutefois les emplois "humains" et "interpersonnels" de ce terme sont tout aussi courants (cf. Genèse 20,13; 21,23; 24,49; 40,14; 47,29 etc.), et il me paraît peu indiqué de les "surthéologiser" (comme si l'usage divin était premier et toujours sous-entendu dans la bonté ou la fidélité inhérentes aux relations humaines) lorsque le contexte ne l'impose pas.
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MessageSujet: Re: Le livre de Ruth - Le Dieu caché   Le livre de Ruth - Le Dieu caché Icon_minitimeJeu 02 Mar 2023, 15:32

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Contrairement à ce que je suggérais ce commentaire rapproche bien les deux scènes (Lot et ses filles // Booz, Naomi et Ruth), mais il s'efforce aussitôt de neutraliser ce "parallèle" en tentant de le rendre antithétique, c'est-à-dire en accentuant (et selon moi en exagérant) les contrastes: rien dans le texte ne réfute les allusions sexuelles évidentes de la scène de l'aire, seuls les préjugés d'un chrétien moderne (sur le "mariage" comme institution, sinon sacrement divin) en excluent l'hypothèse (qui va de soi pour un lecteur-auditeur ancien, cf. aussi Abishag mise dans la couche du vieux David); rien dans la Torah (dont les règles ne cadrent d'ailleurs que très approximativement avec les coutumes anciennes évoquées -- ou inventées -- dans le livre de Ruth) ne stigmatiserait la relation sexuelle d'un homme (fût-il par ailleurs x fois marié) avec une veuve, surtout si ostensiblement consentante...

Les préjugés d'un chrétien moderne amène même à poser des questions totalement anachroniques :


Naomi a-t-elle demandé à Ruth de se livrer à l’immoralité ?

Veillant à ce que Boaz ne remarque pas sa présence, Ruth ne devait rien faire jusqu’à ce qu’il ait fini de dîner et se soit allongé pour dormir (versets 3e-4b). Après une journée de travail, « manger et boire » lui permettrait de se relaxer et il s’endormirait assez rapidement. Cette référence au fait de manger et de boire juste avant une rencontre entre un homme et une femme rappelle Genèse 19:30-38, passage dans lequel les filles de Lot enivrèrent leur père afin d’avoir une relation sexuelle avec lui. Il est possible que « boire », dans le cas de Boaz, désigne également un breuvage alcoolisé.

Puisque Ruth la Moabite était une descendante de Lot, par l’aînée de ses filles, le lecteur peut légitimement se demander si elle ne cherchera pas à profiter de Boaz. Le narrateur n’indique en aucune manière que Boaz ait pu être saoul, ou susceptible d’entreprendre des choses qu’il n’aurait pas faites en état de sobriété. Au contraire, il présente Ruth comme l’antithèse de la Moabite type ; elle incarnait les standards israélites du hesed, cette « bienveillance emplie d’amour ». En se faufilant non loin des gerbes de blé, Ruth guettait l’endroit où Boaz s’allongerait après avoir mangé.

Au verset 4, Naomi avait expliqué à Ruth tout ce qu’elle aurait à faire après que Boaz se soit endormi […]. Elle devait s’avancer à l’endroit où Boaz était couché, découvrir ses pieds, s’allonger, et attendre qu’il lui parle. La forme vervale ouva’t, « entrer », suggère que Boaz dormait dans une tente ou sous un abri.

Peu de choses, dans ce livre ont autant soulevé d’interrogations que cet ordre de « découvrir ses pieds ». Nombreux sont ceux qui ont interprété ce passage comme une invitation à d’adopter un comportement séducteur voire immoral ; la raison en est qu’au temps de la moisson, l’aire de battage devenait souvent un lieu de comportement sexuel illicite. Sachant que les hommes passaient la nuit dans les champs, les prostituées sortaient à leur rencontre pour leur offrir leurs services. Un prophète du VIIIème siècle avant J.C., Osée, a fait référence à cette pratique :

Ne te réjouis pas, Israël,
Ne sois pas transporté d’allégresse, comme les peuples,
Alors que tu t’es prostitué en abandonnant ton Dieu,
Alors que tu as aimé un salaire impur
Sur toutes les aires à blé !
(Osée 9.1, NBS)

Au vu de ses origines moabites (Genèse 19:30-38) et de l’expérience passée de ce peuple avec Israël (Nombres 25:1-5), certains Israélites n’auraient pas été choqués outre mesure d’apprendre que Ruth ait pu feindre d’être une prostituée pour s’assurer une faveur sexuelle de la part d’un « proche parent », comme l’avait fait Tamar la Canaanite en Genèse 38.

Puisque les trois mots hébreux qui constituent le verset 4f-g sont porteurs d’une connotation sexuelle, nous ne pouvons pas ignorer cette interprétation. La racine glh, « découvrir » se retrouve parfois dans des contextes ouvertement sexuels tels que « découvrir la nudité de quelqu’un », ou « relever la robe de quelqu’un », lesquels sont des euphémismes désignant le fait d’exposer les parties génitales. Tout comme on peut dire en français « coucher avec quelqu’un », le verbe final, sakav, (s’allonger) était souvent connoté de manière sexuelle. Le nom placé entre ces verbes, margelot, « place de ses pieds » provient du terme regel (pied), lequel, au nombre duel et pluriel peut parfois faire référence de manière euphémique aux parties génitales. Que Naomi parle de son entrejambe ou de son sexe, la connotation suggérait un dessein délicat et dangereux.

Toute l’ambiguïté de cette situation provient du fait que les termes employés par Naomi sont effectivement provocateurs. Cette jeune Moabite devait se laver, se parfumer et sortir en pleine nuit pour se glisser auprès d’un homme riche endormi et découvrir ses « pieds ».

Bien que cela ressemble à ce pourrait faire une prostituée, cette interprétation largement sexuelle des instructions de Naomi semble aller plus loin que ce qui est effectivement suggéré par le texte.

Premièrement, chacun des trois mots peut être interprété de manière parfaitement innocente. Ni glh (découvrir), ni sakav (s’allonger) ne laisse supposer d’un comportement sexuel. Certes, Naomi avait précédemment montré des signes de compromis théologique (cf. 1:15) et de cynisme (1:20-21), mais contrairement aux filles de Lot en Genèse 19, qui utilisèrent le dernier terme comme un acte sexuel, le portrait que dresse le narrateur de Naomi est en général plus positif. Dans tous les cas, elle a, dans ce contexte, évité tout langage sexuel explicite.

Deuxièmement, l’utilisation du terme margelot (« place de ses pieds ») plutôt que du terme regel ou regelaim (« pied » ou « pieds ») paraît intentionnel et dans le but d’exclure toute interprétation sexuelle. Par analogie avec mera’ashot, « place de sa tête, chevet » en Genèse 28.11, margelot peut faire référence à l’endroit où se trouvaient les pieds de Boaz alors qu’il dormait[3]. En dehors du contexte présent, ce mot n’apparaît dans la Bible hébraïque qu’en Daniel 10.6, passage dans lequel, juxtaposé avec le terme zero’ot (bras), margelot désigne les « membres inférieurs », comprenant les pieds, les jambes et les cuisses. Il semble donc plus vraisemblablement que Naomi ait conseillé à Ruth de découvrir simplement ses membres inférieurs, sans découvrir son sexe, avant de s’allonger près de lui pour voir ce qui allait arriver. Elle ne précise pas si Ruth doit s’allonger à ses côtés ou bien à ses pieds. À la lumière de cette interprétation, nous voyons que le choix du terme margelot détourne notre attention des parties génitales pour la faire considérer les membres comme un tout.

Troisièmement, l’affirmation du verset 8 signalant que Boaz s’est réveillé pour trouver Ruth couchée « à la place de ses pieds » (margelot) rend peu probable l’interprétation sexuelle ; imaginer que Ruth était effectivement allongée sur l’entrejambe de Boaz est ridicule.

Enfin, en dehors de la retenue dont fait preuve Noami dans le choix de ses mots, l’interprétation ouvertement sexuelle exagère largement le sens de ses instructions au verset 3 et détone avec la manière dont sont caractérisées Ruth et Naomi dans l’histoire. Comment le narrateur pourrait-il dire que Boaz, un homme vertueux, a béni Ruth pour son action (v.10) et l’a qualifiée de femme de valeur si elle agissait comme une prostituée ? Ni Ruth, ni Naomi n’avaient alors exprimé d’intérêt pour les relations sexuelles ou leur descendance jusqu’alors. Ce qui inquiétait Naomi était la sécurité de Ruth qu’elle, en tant que belle-mère, était incapable de lui offrir. Seul un mari pouvait lui assurer une protection à long-terme et le soutien dont elle avait besoin. Une tentative de séduction, d’autre part, aurait nui à la réussite du projet.

https://www.leboncombat.fr/naomi-ruth-immoralite/
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MessageSujet: Re: Le livre de Ruth - Le Dieu caché   Le livre de Ruth - Le Dieu caché Icon_minitimeJeu 02 Mar 2023, 18:20

Ce qui est amusant, c'est que ce déploiement d'argumentation mi-pieuse mi-savante, visant à conjurer la dimension sexuelle de l'épisode, la suggère au contraire au lecteur ordinaire, chrétien, moderne mais naïf, qui n'y aurait jamais pensé tout seul. Alors qu'un auditoire appartenant au "monde biblique", ou plus généralement antique, aurait sans doute instantanément perçu cet aspect du récit mais sans y attacher aucune réprobation "morale" -- ni pour l'ivresse, ni pour l'acte sexuel: pour rappel, "l'adultère" dans l'AT et dans l'Antiquité en général ce n'est pas, pour un homme, "tromper sa femme" (ou ses femmes), mais bien prendre la femme d'un autre homme, soit une affaire de propriété; c'est très clair dans les "Dix Commandements", en particulier dans le dixième où désirer la femme de quelqu'un est mis sur le même plan que désirer son âne ou n'importe lequel de ses biens. Dans ce contexte, le stratagème élaboré par Naomi n'a rien d'"immoral", Ruth en tant que veuve n'"appartient" à personne, aussi longtemps du moins qu'elle n'est pas "rachetée", ce qui est le véritable enjeu de l'affaire. Tout au plus la sexualité implicite ajoutait-elle une pointe d'humour et d'érotisme au récit (la petite glaneuse se faufilant dans le lit du patron pour mieux le manipuler ensuite) que la "morale chrétienne" anachronique s'interdit d'entendre, ou qu'elle rend plus vicieuse qu'elle n'était. Soit dit en passant, la néo-morale laïque, féministe, antipatriarcale, égalitaire, ne favorisera pas non plus la lecture intelligente de ce genre de texte.
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MessageSujet: Re: Le livre de Ruth - Le Dieu caché   Le livre de Ruth - Le Dieu caché Icon_minitimeVen 03 Mar 2023, 20:51

Ce qui m'a toujours intrigué et en même temps intéressé c'est que les 2 livres portant des noms de femmes nous présentent le récit de la vie de femmes qui, contrairement à de nombreux hommes dont les noms sont des livres bibliques importants, ont un comportent remarquable.

Elles ne semblent pas douter de la volonté de Dieu à leur égard et non pas non plus un doute quant à la réalisation par le divin des promesses ou du dessein dans lequel elles ont un rôle à jouer. Pourtant le récit de leur action et réaction ne les révèle pas sous un jour agréable. Ruth 3.5-7 semble nous présenter une femme qui se réfugie près d'un homme qui va même jusqu'à découvrir "ses pieds" geste plus attaché à découvrir ses partie génitales que les pieds pudiquement utilisés dans le texte. Ruth était certainement au courant de la présence de prostituées, au moment des récoltes, et de leurs pratiques, cependant elle accomplit ce que lui conseille Naomi, sans doute persuadée de bien faire. S'est-elle demandée si son dieu était d'accord avec cette façon de procéder?

Esther agit de façon similaire à celle de Ruth lorsque son tuteur, Morde Kai, lui demande de ne pas révéler qu'elle est Israélite et de sa parenté. Et Esther obéit. La suite parait évidente puisqu'elle plait au Roi Assuérus qui l'épouse et la fait Reine. S'est-elle demandée, elle aussi si son dieu était d'accord avec cette façon de procéder?

Selon le texte toute deux joueront un rôle dans le dessein divin, l'avaient elles compris ?
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MessageSujet: Re: Le livre de Ruth - Le Dieu caché   Le livre de Ruth - Le Dieu caché Icon_minitimeVen 03 Mar 2023, 22:33

A mon avis toutes ces questions sont tributaires d'une lecture chrétienne des textes en question, qui identifie d'office le "dieu" de référence (évoqué et invoqué explicitement dans Ruth, non dans l'Esther hébreu) à son "Dieu" (avec majuscule en français), unique et universel, omnipotent, omniscient, omniprésent, lequel se caractérise notamment (malgré les contradictions avec les attributs précédents) par 1) un "dessein" ou une "volonté", projet ou plan censé englober toute l'histoire et toute l'humanité, voire l'univers et 2) une "morale" qui interdit (à lui-même et aux autres) certains actes ou comportements. De plus, suivant l'a-priori théologique dont je parlais plus haut, elle suppose naturellement que ce "Dieu"-là est l'objet principal de tous les textes pour la seule raison qu'ils sont "bibliques", même quand de fait il reste en marge ("dans le décor", en ce qui concerne Ruth) ou n'est pas mentionné du tout (Esther). Si on laisse de côté ces présupposés, il reste deux histoires humaines de portée beaucoup plus modeste: ce qui est en jeu dans Ruth c'est seulement la survie d'une famille à une génération donnée, famille qui ne deviendra lignée royale qu'après coup, avec la conclusion généalogique (que celle-ci soit ou non un ajout secondaire, par rapport au corps du récit c'est la cerise sur le gâteau; la royauté est cependant suggérée au tout début par le nom d'Elimélek, mlk = "roi"); pour Esther il s'agit de la survie d'une communauté ethnique de diaspora dans la capitale ou dans l'ensemble de l'empire perse (mais on voit mal comment l'intrigue menacerait la Judée, totalement absente du tableau). Si "dessein divin" il y a, il ne comporte ni eschatologie ni messianisme, il ne se projette pas jusqu'à la fin des temps et ne s'étend ni à l'humanité ni au cosmos. Côté "morale", comme on l'a aussi montré, toutes les objections que nous pouvons faire au comportement des personnages proviennent d'une "éthique" étrangère aux textes et anachronique, chrétienne ou post-chrétienne; la Torah n'est mentionnée nulle part dans les récits, même là où ils y contreviendraient ouvertement (non pour les aventures nocturnes de Ruth, mais pour les "mariages mixtes", affaire bien plus sérieuse au regard du Deutéronome, ou d'Esdras-Néhémie; on peut en dire autant de Joseph qui intègre par son mariage la caste sacerdotale égyptienne).

L'analogie que tu relèves sur la manipulation d'un personnage par un autre (Naomi / Ruth // Mardochée / Esther) est intéressante, et je trouve qu'elle devrait aussi inciter à ne pas "surthéologiser" les récits: ce sont des histoires humaines, des jeux de relations interpersonnelles, où le dieu et la religion comptent peu. Rien n'est plus contraire à l'esprit du livre de Ruth que la surinterprétation (traditionnelle) de 1,16 en "conversion" religieuse, comme si la grande affaire du livre consistait dans le passage d'un dieu ou de dieux réputés "faux" au "Dieu" (toujours avec majuscule en français !) réputé "vrai": ce qui est déterminant c'est l'attachement humain des deux femmes, tout le reste n'en est qu'une conséquence: si on change de pays on change de peuple et de dieu (dans cet ordre !), ça va ensemble, c'est un lot (cf. Deutéronome 32,8s !), tous les dieux (tutélaires) de ce point de vue sont logés à la même enseigne (cf. Juges 11,24, malgré la confusion d'Ammon et de Moab, où Kamosh et Yahvé ont les mêmes "droits" et les mêmes limites, quand bien même dans les traductions françaises seul le second est appelé "Dieu" avec majuscule; ou 1 Samuel 26,19 où l'exil de David hors de la terre d'Israël le contraindrait à servir d'autres dieux).
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MessageSujet: Re: Le livre de Ruth - Le Dieu caché   Le livre de Ruth - Le Dieu caché Icon_minitimeLun 06 Mar 2023, 14:13

Liste des ancêtres de David

"Voici la généalogie de Pérets : Pérets engendra Hetsrôn ; Hetsrôn engendra Ram ; Ram engendra Amminadab ; Amminadab engendra Nahshôn ; Nahshôn engendra Salma ; Salmôn engendra Booz ; Booz engendra Obed ; Obed engendra Jessé ; Jessé engendra David" (Rt 4,18-22).

André Lacoque, Le livre de Ruth

2Toutefois, l’auteur n’en reste pas là. À la page 12 de l’introduction, le lecteur apprend que Lacoque considère sa monographie comme un « commentaire socio-juridique ». On doit regretter que ce détail n’apparaisse que dans l’introduction, et non pas dans le sous-titre du livre. Quoi qu’il en soit, cette approche permet au commentateur d’approfondir une série d’aspects, p. ex. : le fait que Ruth soit une étrangère, en particulier une Moabite, à Bethléem, et les conséquences que ce statut va engendrer pour elle et pour Booz (p. 30 s.) ; l’importance que revêt la survie du clan dans une société ancienne, importance qui explique la généalogie en Rt 4,18-22 (p. 121) ; le fait que Ruth ne puisse pas prendre en main son sort, en agissant de son propre chef lors des délibérations évoquées en Rt 4,1-12 (p. 124).

3Mais l’auteur va encore plus loin : pour lui, le livre de Ruth, une novella (p. 18 s.), n’est pas du tout à confondre avec un rapport historique (p. 113). On a plutôt affaire à un récit fictif qui touche plus d’une fois aux limites du vraisemblable, et ce afin de véhiculer plusieurs messages : il est nécessaire d’interpréter la Torah de manière amplificatrice plutôt que de rester dans le cadre d’un légalisme stérile et rigide (p. 31) ; cette interprétation de la Loi se manifeste dans la pratique concrète des actes de hèsèd qui n’excluent pas le pauvre et l’étranger (p. 33) ; Dieu suscite des « justes des nations » afin d’édifier Israël (p. 38).

4En bref, le livre de Ruth représente une réécriture de la Torah qui permet de lire celle-ci sous un jour nouveau, en particulier les prescriptions qui portent sur le lévirat, ou celles qui établissent une différence entre Israélites et étrangers (p. 148 s.). Lu dans une telle optique, le livre de Ruth possède un caractère « subversif » (p. 14, 20) dans la mesure où il adopte, de bout en bout, une « conception différente de la Torah » (p. 147). Enfin, Lacoque n’exclut pas que ce livre ait une femme pour auteur (p. 21 s.), hypothèse que l’on peut corroborer par l’observation que « le récit proprement dit commence avec des femmes et se termine de même » (p. 135).

5Que l’on accepte de suivre ou non Lacoque dans les nombreux détails de son exégèse, force est de constater qu’il a publié un commentaire très stimulant et inégalé dans la bibliographie récente du livre de Ruth. Certes, le livre connaît des longueurs ainsi que des répétitions. De toute façon, là où l’auteur s’éloigne considérablement de l’opinion commune, il argumente ses positions soigneusement, p. ex. lorsqu’il conclut que la généalogie finale en Rt 4,18-22 fait partie du livre original (et non pas d’une couche littéraire plus tardive). Que les raisonnements du commentateur soient parfois colorés d’un ton légèrement polémique n’enlève rien à leur pertinence. Il est cependant regrettable que le commentaire ne soit pas doté d’un index scripturaire, ne serait-ce que d’un index sélectif qui pourrait en faciliter la consultation.

https://journals.openedition.org/rsr/1887


Obed reçoit son nom non pas de ses parents mais des « voisines », et il s’inscrit dans les généalogies déterminantes de l’histoire d’Israël : « Il fut le père de Jessé, père de David » (4,17). Tel est d’ailleurs le point d’orgue du récit qui, dans ses versets finaux (4,18-20), prolonge les toledot (« engendrements ») de la Genèse jusqu’à David, via Booz et Obed[27].

[27]Il est possible que la généalogie finale (4,18-22) soit un ajout secondaire, comme le soutiennent différents auteurs. Elle prolonge toutefois de manière efficace la révélation de 4,17 — Obed sera le grand-père de David.

https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-theologique-2011-2-page-177.htm#re27no27
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MessageSujet: Re: Le livre de Ruth - Le Dieu caché   Le livre de Ruth - Le Dieu caché Icon_minitimeLun 06 Mar 2023, 15:06

Sur le second article, cf. supra 2.3.2023.

Que la généalogie soit ou non un ajout secondaire par rapport au corps du livre, elle est clairement étrangère au récit principal et à son intrigue: qu'il en résulte une lignée où naîtra David n générations plus tard, les personnages ne peuvent pas le savoir (même à la fin de leur histoire) ni le viser, puisqu'aucun oracle divin ni prophétique n'intervient pour le leur annoncer (contrairement à la Genèse p. ex.). Si providence et "dessein divin" il y a -- limités toutefois dans la durée et l'étendue, cf. mon post précédent -- ils n'apparaissent qu'après coup, pour le lecteur-auditeur qui sait, lui, qui était "David".

La recension du commentaire de Lacocque par Bons est trop courte pour qu'on puisse s'en faire une idée précise, mais je trouve l'expression "réécriture de la Torah" assez malheureuse: à l'évidence, le livre de Ruth dont le genre littéraire est plutôt "romanesque" (novella), comme certains morceaux de la Genèse (Patriarches, Joseph), mais aussi des Juges ou de Samuel-Rois, Esther ou la première partie de Daniel, n'a pas la prétention de se substituer à la Torah, surtout si on l'entend au sens législatif de "loi" (la plupart des textes à visée législative, même fictive, ont fini par être intégrés dans la Torah à côté de ceux qu'ils voulaient "corriger" le cas échéant); pas même de la contester frontalement: il l'ignore, il fait comme si elle n'existait pas, même si les coutumes qu'il évoque (ou invente) s'en inspirent approximativement (sur le lévirat et le rachat confondus et modifiés, etc.). Il décrit en tout cas un monde d'antan (il était une fois, le "temps des Juges" s'y prête, cf. en particulier les "annexes" du livre des Juges et leur "refrain", "en ce temps-là il n'y avait pas de roi en Israël, chacun faisait ce qui lui semblait bon") qui se passait de "loi" écrite autant que de roi, et s'en portait plutôt bien...
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MessageSujet: Re: Le livre de Ruth - Le Dieu caché   Le livre de Ruth - Le Dieu caché Icon_minitimeMar 07 Mar 2023, 12:08

Date et Diachronie

-Datation traditionnelle : début de l’époque royale. Théorie : Ruth aurait été un personnage historique ; on aurait voulu expliquer le fait que David avait une ancêtre moabite. 

-Cette théorie est difficile à maintenir. L’auteur du livre semble plutôt devoir être situé à l’époque perse. Il connaît de nombreux textes du Pentateuque, même ceux qui sont attribués au milieu des prêtres (P). 

-L’intégration d’une femme moabite prend le contrepoids de l’idéologie d’exclusion qu’on trouve dans les livres d’Esdras et de Néhémie qui combattent farouchement les «mariages mixtes» ; cf. le discours de Néhémie en Ne 13,23-28 : « En ces jours-là, je vis des Judéens qui avaient épousé des femmes ashdodites, ammonites, moabites. La moitié de leurs fils parlaient l’ashdodite et ne savaient pas parler le judéen ; ils ne connaissaient que la langue de tel ou tel autre peuple. Je leur fis des reproches et je les maudis ; … je leur fis prêter serment par Dieu, en disant : Vous ne donnerez pas vos filles à leurs fils et vous ne prendrez leurs filles ni pour vos fils ni pour vous. Et nous apprenons que vous commettez un aussi grand mal, un sacrilège envers notre Dieu, en épousant des femmes étrangères !».

-L’auteur du livre de Ruth s’oppose également à Dt 23, 4-5 : «L’Ammonite et le Moabite n’entreront pas dans l’assemblée de Yhwh ; même leur dixième génération n’entrera pas dans l’assemblée de Yhwh. Il en est ainsi pour toujours, parce qu’ils ne sont pas venus au devant de vous avec du pain et de l’eau, sur le chemin, lorsque vous êtes sortis d’Égypte» (repris en Ne 13,1-3). 

-Ruth : accueil de la famille d’Elimélek en Moab ; intégration de Ruth dans le peuple de Noémi ; la généalogie aboutissant à David contient dix générations !

-Selon Rt 4,3, Noémi a vendu un champ qui appartenait à son mari : «la parcelle de champ qui était à Elimélek notre frère, Noémi l’a vendue, celle qui est revenue des champs de Moab ». 

-Remarque inattendue ; car jamais il n’y avait été auparavant question d’un champ que Noémi aurait hérité de son mari. 

-Il ne faut pas voir ici l’ajout d’un rédacteur. Cette construction est nécessaire pour que Booz puisse accomplir la loi du rachat selon Lv 25,25 : « Si ton frère devient pauvre et doit vendre une portion de sa propriété, son racheteur, son parent proche, pourra venir reprendre ce que son frère a vendu.» 

-Logiquement il faudrait supposer que ce serait Elimélek qui, avant son départ pour Moab, aurait vendu ses  terres. 

-Le fait que Noémi apparaisse ici comme possédant (et vendant) des terres s’explique beaucoup mieux par l’idée qu’elle a hérité de ses terres.

-Même situation qu’en Nb 27 (et 36) : des femmes peuvent posséder des terres. Toutes ces observations confirment le fait que le livre a vu le jour durant l’époque perse.

L’auteur de Ruth comme interprète de la Torah

A) La mise en question de la loi excluant les Moabites et les Ammonites. Dt 23, 4-5 : «L’Ammonite et le Moabite n’entreront pas dans l’assemblée de Yhwh … ». Cette loi est abrogée : Ruth est accueillie dans l’assemblée de Yhwh ; elle devient l’aïeule de David.

B) L’interprétation de la loi du glanage. Dt 24,19-22 : «Si tu fais la moisson dans ton champ, et que tu oublies des épis dans le champ, tu ne reviendras pas les prendre. Ce sera pour l’émigré, l’orphelin et la veuve, afin que Yhwh, ton Dieu, te bénisse dans toutes tes actions … » (cf. Ex 23,11 ; Lv 19,9-10 et 23,22).

Booz dépasse cette loi en exhortant des ouvriers à laisser davantage d’épis : 2,15-16 «Alors Booz donna cet ordre à ses serviteurs : «Même parmi les javelles elle glanera. Vous ne lui ferez pas d’affront. Vous tirerez même pour elle des épis hors des brassées et les abandonnerez :elle les glanera, et vous ne lui ferez pas de reproche.»

C) L’interprétation d’une loi par l’autre (loi du rachat et loi du lévirat)

La loi du rachat (cf. Lv 25 et Jr 32) : un homme qui a dû se vendre comme esclave peut être racheté par un proche parent ; si quelqu’un a dû vendre des terres celles-ci peuvent également être rachetées.

La loi du lévirat (Dt 25) : un frère doit épouser la veuve d’un frère qui est mort sans enfants : «Et si l’homme n’a pas envie d’épouser sa belle-sœur, celle-ci montera à la porte vers les anciens et leur dira : « Mon beau-frère a refusé de perpétuer pour son frère un nom en Israël, … Sa belle-sœur s’avancera vers lui, en présence des anciens ; elle lui retirera la sandale du pied et elle lui crachera au visage ; puis elle prendra la parole et dira : «Voilà ce qu’on fait à l’homme qui ne reconstruit pas la maison de son frère !»

L’auteur de Ruth combine les deux lois, en appliquant la loi du rachat au mariage que Booz souhaite conclure avec Ruth.

Dt 25,7 : «s’il n’a pas envie d’épouser sa belle-sœur» (יבמתו את לקחת האיש יחפץ לא ואם. (Rt 3,13 :«s’il n’a pas envie de te racheter, moi je te rachèterai»(וגאלתיך לגאלך יחפץ לא וא אנכי).

L’auteur de Ruth combine les deux lois, et réinterprète le lévirat : le premier époux de Ruth n’a pas de frère vivant ; le lévirat est élargi aux «racheteurs ».

Le rituel est modifié : le crachat n’est pas mentionné, et l’enlèvement de la sandale est fait par le premier racheteur : «4,8 Le racheteur dit donc à Booz : Acquiers pour toi ! Et il ôta sa sandale».

L’auteur applique maintenant le rituel de la sandale au rachat et à toute affaire commerciale, en le qualifiant de rituel ancien : «4,7 Ainsi en était-il autrefois en Israël, à propos du rachat et à propos de l’échange, pour enlever toute affaire : l’un ôtait sa sandale et la donnait à l’autre. Ainsi en était-il de l’attestation en Israël ».

https://www.college-de-france.fr/media/thomas-romer/UPL4302395132831211971_Naissance_III_7_Livres_de_femmes.pdf
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MessageSujet: Re: Le livre de Ruth - Le Dieu caché   Le livre de Ruth - Le Dieu caché Icon_minitimeMar 07 Mar 2023, 13:13

Ce document (aussi sur Esther et le Cantique des cantiques) complète très utilement beaucoup de nos remarques antérieures, restées jusque-là allusives.

La question de l'"auteur", qui a obnubilé les "sciences bibliques" depuis le XIXe siècle au moins, sous la double influence du romantisme et du scientisme, avec toute sa cohorte de questions subsidiaires plus ou moins pertinentes (datation, authenticité, historicité, intention, message, idéologie), a été laborieusement "déconstruite", surtout en Europe, dans la dernière partie du XXe (à l'exception notable du cinéma qui l'a ressuscitée en France avec sa "Nouvelle vague" et sa valorisation du "cinéma d'auteur"), mais elle revient en force avec le féminisme -- comme s'il y avait soudain un enjeu extraordinaire à ce que l'"auteur" soit une femme. Outre l'invraisemblance historique de la chose (comme le remarque Römer, des femmes qui non seulement sachent lire et écrire, mais soient reconnues comme scribes "professionnelles" dans le judaïsme du Second Temple, avant l'époque gréco-romaine qui est un peu plus égalitaire, c'est plus que douteux), on passe à côté de l'évidence majeure, à savoir que les textes et les récits "humains" en tant que tels sont forcément sexués, autant "féminins" que "masculins" -- c'est vrai pour les plus "patriarcaux" ou les plus "misogynes" (p. ex. le Siracide) autant pour ceux qui donnent à des femmes le "beau rôle". Derrière les textes écrits et surtout les histoires racontées, "vraies" ou "fictives", il y a toujours des hommes et des femmes, et le jeu infini de leur interaction, où le pouvoir réel est souvent féminin même quand le pouvoir nominal est masculin (qui c'est qui commande à la maison quand maman n'est pas là ? on ne finirait pas d'en recenser les exemples "bibliques" parmi d'autres, de la Genèse aux Rois notamment).

Dans le détail de la citation précédente: Römer (dont le français n'est pas la langue maternelle) écrit probablement "contrepoids" par confusion avec l'expression "prendre le contrepied de"; d'autre part on peut compter "dix générations" de Péreç à David, mais de Ruth -- la Moabite -- à David ça ne fait que quatre: la contradiction avec la règle du Deutéronome est donc évidente, à moins qu'on restreigne celle-ci aux hommes (moabites et autres; cf. les lois sur les captives de guerre et autres esclaves sexuelles étrangères qui ne semblent pas compromettre la filiation des descendants ni leur appartenance à "Israël", Nombres 31; Deutéronome 21).
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MessageSujet: Re: Le livre de Ruth - Le Dieu caché   Le livre de Ruth - Le Dieu caché Icon_minitimeJeu 09 Mar 2023, 16:00

"Elle leur dit : Ne m'appelez pas Noémi ; appelez-moi Mara (« Amère »), car le Puissant m'a rendu la vie bien amère ! J'étais partie comblée, le SEIGNEUR me ramène les mains vides. Pourquoi m'appelez-vous Noémi ? Le SEIGNEUR a témoigné contre moi, le Puissant m'a fait du mal !" (1,20-21)

Le livre de Ruth emploie le terme Shadday ( non accompagné de él ) comme en Gn 17.1-2 ; 28,3 ; 35,11 ; 49,25 ; Nb 24,4-16 ...). C'est une très ancienne épithète comme le prouvent Gn 49 et Nb 24. Le passage de Shadday (v. 20) à Yhwh (v. 21), puis le retour à  Shadday est remarquable.  Shadday est celui qui donne et reprend la progéniture. Yhwh est celui qui fait revenir après avoir éprouvé. 

Le livre de Ruth - De André Lacocque
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MessageSujet: Re: Le livre de Ruth - Le Dieu caché   Le livre de Ruth - Le Dieu caché Icon_minitimeJeu 09 Mar 2023, 17:07

Le problème, pour l'exégète encore tant soit peu soucieux de "diachronie", c'est-à-dire de critique historique, fût-elle aussi et surtout littéraire, c'est de distinguer l'antiquité ou l'ancienneté authentique de l'archaïsme intentionnel, autrement dit de l'intention de "faire ancien". Or cette intention est manifeste dans Ruth, parce qu'elle transparaît non seulement dans le vocabulaire et notamment l'emploi des noms divins (comme dans Job ou dans la Genèse), mais aussi dans tout le "tableau" situé expressément au "temps des Juges", lointain pour l'auteur et les destinataires, avec une société primitive, simple, agraire, orale, coutumière, comme on s'imagine volontiers le "temps jadis" à partir d'une situation plus complexe (urbaine, cultivée, administrée, réglée par une législation écrite, etc.). Les rares textes authentiquement anciens sont généralement poétiques (à entendre au sens large d'une prose rythmée et facilement mémorisable, qui préserve dans sa forme non seulement un vocabulaire, mais une syntaxe archaïques). A la rigueur le discours direct de Noémi-Naomi, aux v. 20s, pourrait être considéré comme tel à cause de sa structure symétrique (chiasme ABB'A', shaddaï-yahweh/yahweh-shaddaï), mais c'est trop court et trop courant à mon avis pour qu'on puisse en déduire quoi que ce soit (je ne sais d'ailleurs pas ce que Lacocque en tire, faute de pouvoir lire le contexte de son commentaire; je n'accède pas plus loin qu'ici). Il y a, certes, une très vieille hypothèse qui rattache Shadday à la fécondité (par rapprochement avec shadayim "seins, mamelles"), mais on y a aussi bien vu une divinité des montagnes ou un démon du désert (selon d'autres rapprochements tout aussi conjecturaux). Et dans le texte en question je n'ai pas l'impression que Shadday soit tellement plus lié à la progéniture (donnée ou retirée) que Yahvé, les deux fonctionnent en alternance pour l'ensemble.


Dernière édition par Narkissos le Jeu 09 Mar 2023, 17:30, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Le livre de Ruth - Le Dieu caché   Le livre de Ruth - Le Dieu caché Icon_minitimeJeu 09 Mar 2023, 17:26

Citation :
je ne sais d'ailleurs pas ce que Lacocque en tire, faute de pouvoir lire le contexte de son commentaire)

Il constate juste l'aspect remarquable de l'emploi du terme  Shadday couplé à celui de Yhwh sans apporter de commentaire particulier.
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MessageSujet: Re: Le livre de Ruth - Le Dieu caché   Le livre de Ruth - Le Dieu caché Icon_minitimeJeu 09 Mar 2023, 17:32

N.B.: J'ai rajouté quelques lignes à mon post précédent, sur le côté "fécondité" associé à Shaddaï auquel Lacocque me semble pour le moins faire allusion...

Sur Shaddaï, il est d'ailleurs intéressant de comparer le Wikipedia français et ahglais qui sont, pour une fois, assez différents et complémentaires.
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MessageSujet: Re: Le livre de Ruth - Le Dieu caché   Le livre de Ruth - Le Dieu caché Icon_minitime

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