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| de la tristesse à la mort, ou la confusion des sentiments | |
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Auteur | Message |
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Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: de la tristesse à la mort, ou la confusion des sentiments Mer 14 Fév 2024, 11:08 | |
| Deux idées me sont venues qui se rapportent à ce fil: Je n'avais pas pensé à y rapprocher la "tristesse" de la " contrition", bien que les deux mots français aient probablement la même étymologie latine ( tristis > tero, trivi, tritum), que l'on n'entend plus du tout dans aucun des deux et qui aurait le même sens de briser, broyer, triturer, torturer; notre tristesse s'est adoucie, quand notre contrition a vieilli... Nous n'y avions pas cité non plus un texte bien connu, quoique d'un style assez... torturé, qui associe pourtant, dans la plupart des traductions françaises, la "tristesse" et la " mort", 2 Corinthiens 7,8ss: - Paul a écrit:
- Car si je vous ai attristés (lupeô) dans (= par) la lettre (epistolè), je ne (le) regrette pas (meta-melomai), si j(e l')ai regretté (idem), car je vois que cette lettre, si aussi pour une heure elle vous a attristés (lupeô), maintenant je me réjouis, non que vous ayez été attristés, mais que vous ayez été attristés pour une repentance (ou conversion, meta-noia), car vous avez été attristés selon dieu, pour que vous ne soyez nullement lésés de notre fait. Car la tristesse (lupè) selon dieu produit une repentance (metanoia) pour un salut qu'on n'a pas à regretter (a-meta-melèton), mais la tristesse du monde produit la mort (thanatos). Voici en effet, ce fait même que vous ayez été attristés selon dieu, combien n'a-t-il pas produit en vous d'empressement... (etc.).
Je voudrais avant tout commentaire remarquer ceci: le simple fait que je n'aie pas, que nous n'ayons pas d'abord songé à rapprocher ce texte de ceux de Gethsémani (cf. post initial) en dépit de leur vocabulaire et de leurs thèmes communs (la tristesse et la mort) me semble symptomatique: il y a chez nous une sorte de barrière morale qui sépare radicalement le "bien" et le "mal" dans tous les domaines; la tristesse, la mort, la souffrance, l'humiliation, l'abaissement, le regret, le remords, la repentance, la nostalgie, ne peuvent pas être les mêmes pour le dieu, le juste, l'innocent, le fidèle, l'élu, la victime, le martyr et pour l'homme pécheur, fautif, coupable, mauvais, méchant, condamné, réprouvé, etc. Le christianisme lui-même n'en finit pas de défaire et de refaire, de démolir et de reconstruire cette opposition, le texte paulinien en est aussi un symptôme: il lui faut opposer une "bonne" et une "mauvaise" tristesse. Mais l'ironie (intertextuelle, qui n'est donc à proprement parler l'ironie de personne) c'est que "la mort" qui caractérise ici la "mauvaise" tristesse, celle du "monde", sera précisément revendiquée par les Synoptiques pour la tristesse du Christ. Différence que l'exégèse et la dogmatique peuvent toujours atténuer, escamoter, réduire ou expliquer (p. ex.: il porte la tristesse des autres), mais d'une façon artificielle, arbitraire et étrangère aux textes mêmes... Le même schéma s'appliquerait d'ailleurs à de nombreux thèmes dits fondamentaux de la théologie chrétienne: on parle de "chute" d'Adam, ou du diable, et d'abaissement, d'incarnation ou de kénôse, du "Fils de Dieu", sans voir que le mouvement (descendant) est le même; tout au plus admettra-t-on une sorte d'analogie, parallèle plutôt que symétrique, entre le "problème" et sa "solution"... seuls les "gnostiques" avaient peut-être entrevu davantage, l'unité ou l'annulation du "problème" et de la "solution" dans le même "mystère". Tout est vanité : tout est grâce. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: de la tristesse à la mort, ou la confusion des sentiments Lun 19 Fév 2024, 09:09 | |
| Chapitre V. Désir de Dieu et liberté messianique. Une lecture du récit de Gethsémani B. Le récit passe par les Ecritures 16 Le récit de Gethsémani n'est pas séparable des Ecritures. Cela signifie d'abord que la figure de Jésus n'est pas isolée du peuple d’Israël et, en particulier, de l'Israël des Psaumes. Parmi ceux-ci, de nombreuses prières expriment la plainte du juste exposé au danger de la mort comme, par exemple, celle du Ps 55,5-6 : " Mon coeur se tord en mon sein, et les affres de la mort tombent sur moi, crainte et tremblement m'envahissent, la frayeur m'enveloppe". Cette expérience, le récit de Marc la souligne délibérément (vv.33-34) et l'expression de Jésus disant : " Mon âme est saturée de tristesse, à mort" (v.34a), fait écho au Ps 42,6 (LXX) : " Pourquoi, mon âme, être remplie de tristesse ?" (περίλυπος·). Or cette tristesse, est-il écrit, est "jusqu'à la mort" (ἔως θανάτου) : ici l'écho scripturaire vient d'abord du livre de Jonas, où le prophète en vient à préférer mourir que vivre et dit : " J'ai été durement attristé, jusqu'à la mort (ἔως θανάτου)" ( 4,9), puis de la prière du sage dans le livre du Siracide : " Mon âme s'approchait jusqu'à la mort (ἔως θανάτου), et ma vie touchait en bas, au séjour des morts" (51,6). Ce qui se dessine là, c'est donc une configuration éclairée par la prière et l'expérience d'Israël : les figures du juste, du prophète et du sage ont déjà rejoint le lieu où l’angoisse et la tristesse ne trompent pas l'homme sur l'ennemi qu'il affronte, à savoir la mort. Ce lieu est celui d’une question à Dieu, résonnant comme l'épreuve extrême de la confiance : "Je veux dire à Dieu mon rocher :'Pourquoi m'as-tu oublié ?'Pourquoi m'en aller, assombri et pressé par l'ennemi ?" (Ps 42,10). Que signifie alors, du point de vue de l'évangile, la venue de Jésus lui-même en ce lieu ? "À cause de son caractère extrême, écrit Paul Beauchamp, la souffrance du Psalmiste rejoint dans leur racine les moments cruciaux de chaque vie et elle rassemble les traits qui conviennent à la masse immense des plus malheureux. Tout, dans ce recueil de prières, est 'question de vie ou de mort'"13. En revêtant les Psaumes, le Christ revêt la question : elle traverse les Ecritures, qui la supportent, et rejoint notre expérience au plus intime. "Le Je des Psaumes est celui du Christ, mais il n'en chasse personne, parce que l'effacement est son signe. Il attire en eux. Il donne passage"14. Si l'on dit qu’au témoignage de l'évangile le Christ est l'Unique, l'on doit dire aussi que son unicité ne peut se confondre avec l'isolement : la voie suivie par l'Unique se reconnaît à ce qu'elle passe par ce que les humains ont en commun, et qui est de vivre et mourir. Autrement dit, l'Unique n'est pas seul : ce que l'évangile croit et raconte à propos de Jésus en termes de filiation ne peut être dissocié des figures d'Israël15, auxquelles les Ecritures tracent la voie conduisant vers ce qui fait la vérité de toute vie humaine. Si Jésus est fils, il ne l'est pas sans ce qui l'allie fraternellement aux figures du juste, du prophète et du sage, en tant qu'elles portent dans les Ecritures d'Israël la question de la vie et de la mort de tout homme. Dès lors, si l'on parle du Christ comme accomplissant la volonté du Père, cela ne peut être entendu comme s'il s'agissait d'une volonté générale, dominant l'histoire en surplomb et agissant sur l'homme de l'extérieur16. C'est bien plutôt par l'intérieur de l'humain, et par la traversée des Ecritures, que l’évangile oriente le regard vers Jésus : l'accomplissement ne s'impose pas du dehors, pas plus qu'il n'est écrit d'avance dans le Livre. Mais ce qui est écrit dans le Livre raconte que rien ne s'accomplit qui ne passe, à l'extrême, par ce qui fait question de vie et de mort pour l'humain. Précédé par les figures d'Israël, Jésus ne peut pas ne pas rencontrer la question. https://books.openedition.org/pusl/19252?lang=fr#tocfrom2n1 La tristesse du monde ou la tristesse selon Dieu ? Évidemment, tout chrétien qui pèche doit éprouver de la tristesse, des remords et des regrets. Pourtant, à eux seuls ces sentiments ne sont pas une preuve suffisante de la sincérité du repentir. La question suivante se pose : Pourquoi le coupable éprouve-t-il de la tristesse, des remords et des regrets ? Qu’est-ce qui motive ces sentiments ? L’apôtre montre l’importance de déterminer ces mobiles quand il écrit : “Car la tristesse selon Dieu produit la repentance pour le salut, que l’on n’a pas à regretter, mais la tristesse du monde produit la mort.” (II Cor. 7:10). Des mobiles dépendent donc la vie ou la mort. La tristesse du monde ne procède ni de la foi, ni de l’ amour de Dieu, ni de la justice. Elle naît des regrets causés par l’échec, la déception, les pertes dans le domaine social ou matériel et la perspective du châtiment ou de la honte qu’on subira. La tristesse du monde se lamente à propos des conséquences désagréables qu’entraîne une conduite coupable. Elle ne s’afflige pas de l’injustice elle-même ni de l’opprobre qu’elle jette sur Dieu. — Voir Jérémie 6:13-15, 22-26. https://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/1972524?q=tristesse+selon+dieu&p=par Le texte de 2 Cor 7, n'explique pas en quoi la tristesse selon Dieu et la tristesse du monde seraient différentes au niveau émotionnel ou comme un sentiment intérieur, comme le dirait lapalissade : la tristesse, c'est la tristesse. L'interprétation de la Watch me laisse un goût amer ... Une tristesse motivée par " l’échec, la déception et la perspective du châtiment ou de la honte qu’on subira" me parait tout à fait légitime et non honteuse. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: de la tristesse à la mort, ou la confusion des sentiments Lun 19 Fév 2024, 10:44 | |
| Beaucoup de choses intéressantes dans le texte de van Meenen (1997), bien que la problématique anachronique de la "liberté" imposée par le thème de l'ouvrage décale encore (cf. déjà supra 12.5.2023) quelque peu la perspective: de l'extrait que tu cites, sur des références "bibliques" du passage de Gethsémani que nous avons évoquées dès le début de ce fil, je retiendrais surtout l'idée qu'un "sentiment" comme la tristesse n'est jamais purement individuel ou personnel, puisqu'il est précédé et pré-formé d'un réseau inextricable de traces linguistiques, symboliques, imaginaires, familiales, sociales, culturelles, littéraires, artistiques, etc. Comme la tristesse, si déterminée soit-elle par des circonstances particulières, nous rappelle des chansons, des poèmes, des musiques ou des films en fonction de notre "culture", elle rappelait aux "auteurs", "lecteurs" ou "auditeurs" des textes du NT des psaumes, les histoires de Jonas ou d'Elie, le Siracide, Homère, les tragiques ou la poésie lyrique, en fonction de leur propre "bibliothèque"... Cette communication du sentiment ou de l'émotion d'un "sujet" à l'autre n'a rien de spécifique au "peuple d'Israël" ni à "l'Eglise", ni à un corpus ou un "canon" particulier: toute tristesse est la tristesse du monde, toute joie est la joie du monde, ce qu'on peut prendre au sens péjoratif (comme en 2 Corinthiens !) mais aussi dans un sens de communion universelle, océanique, qui ne va pas sans "confusion des sentiments" (pour rappeler l'autre élément de notre titre: du sentiment de l'un au sentiment de l'autre, et d'un sentiment à l'autre).
A l'opposé ou presque de cette vastitude je note (ailleurs) dans cet article la notion d'étroitesse ou de stricture ("étroiture", note 21) associée à celle de "passage" (l'adjectif "pascal" étant interprété dès le premier paragraphe dans ce sens qui ne s'impose pas): l'image me "parle" beaucoup (elle me rappelle en anglais le mot strait, narrow strait, dire straits, qui désigne géographiquement ce que nous appelons un "détroit" ou un "isthme" ou bien tout autre chose, l'agonie et la mort de l'animal, par exemple le cerf "aux abois" à la fin de la chasse). On se représente volontiers la mort -- à l'instar de la naissance -- comme une sorte de goulet ou de goulot d'étranglement, un resserrement, fût-il sans ouverture, sans issue, sans évasement ou délivrance "de l'autre côté", voire sans "autre côté" -- et alors impasse, cul-de-sac. Cette image s'associe naturellement à celle de solitude ou d'isolement absolu qu'illustre aussi Gethsémani; elle évoque à mon sens plutôt l'"angoisse" que la "tristesse", mais à ce point aussi tout se confond.
Quant à ton autre citation, la Watch avait en effet tendance à surinterpréter le texte de 2 Corinthiens, notamment à des fins "judiciaires" (ou "disciplinaires") assez sordides, pour distinguer un vrai et un faux "repentir" selon le genre de la "tristesse". Ce que je voulais souligner, c'est qu'à ce tarif on condamnerait aussi la tristesse du Christ des Synoptiques à Gethsémani, comme le faisait peut-être Celse (qu'on ne peut deviner qu'à travers sa "réfutation" par Origène); d'un point de vue "philosophique" (platonicien, stoïcien ou même épicurien) cela pouvait en effet se comprendre, mais les choses ne sont pas si simples: comme on l'a remarqué au cours de ce fil, c'est aussi dans le quatrième évangile qui évite et même contredit "Gethsémani", et dont le Christ "dépose son âme" de lui-même, sans autre "volonté" que celle du Père, que Jésus pleure: pour reprendre à l'envers les termes de 2 Corinthiens, la tristesse du monde est aussi celle du dieu. |
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