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| Et si à côté du monde que nous percevons …. | |
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Auteur | Message |
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Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Et si à côté du monde que nous percevons …. Mer 13 Déc 2023, 12:04 | |
| Bonjour cabri,
Cette distinction de deux genres de "compréhension" appelle aussi à chercher leur rapport, qui me semble au moins d'analogie: nous voulons comprendre les "choses" (le réel, l'événement, le phénomène) comme nous comprenons les "gens", une langue, un discours ou un message, il faut que ça nous parle même quand ça ne parle pas -- jusque dans l'expérimentation scientifique qui fonctionne à la façon d'un interrogatoire: qu'il s'agisse de "particules" élémentaires ou de "signaux" interstellaires, en passant par les réactions d'un corps physique, chimique ou organique à une expérience, il faut que ça réponde, de façon aussi univoque que possible, à la question qu'on lui pose, d'où la formalisation mathématique des conditions de l'expérience qui vise à exclure toute ambiguïté. Et le "résultat" comme l'"expérience" se traduiront en phrases, en langage et en image artificiels, comme les sons d'une langue ou les formes d'une écriture en signifiants et signifiés, si nous les connaissons et les re-connaissons... Nous ne sortons pas du langage où nous sommes toujours déjà, même notre notion de "cause" est indissociable de la grammaire: ceci (sujet) fait (verbe) cela (objet), c'est le "préjugé grammatical" dénoncé par Nietzsche, mais il ne suffit pas de le dénoncer pour y échapper.
Je me méfie autant que toi de la notion de "finalité" à laquelle on a fait dire beaucoup de sottises, mais elle est tout de même plus complexe que sa caricature moderne (fin = but, d'où intention, projet, etc.) -- de même que celle de "cause": pour Aristote la "fin" (telos, d'où téléologie) faisait partie des "causes" (aitiai, d'où étiologie), d'où la doctrine de l'"entéléchie" qui permettait au moins de comprendre les "choses" dans un certain "devenir" spatio-temporel (changement, mouvement, événement) en desserrant quelque peu la tautologie paralysante de l'être (Parménide -> Zénon etc.). Mais cette "fin"-là n'avait rien de nécessairement heureux, ni même d'intellectuellement ou de moralement satisfaisant. |
| | | cabri
Nombre de messages : 81 Age : 85 Date d'inscription : 27/05/2012
| Sujet: Re: Et si à côté du monde que nous percevons …. Ven 15 Déc 2023, 16:36 | |
| Bonjour Narkissos,
Nietzsche semble reprocher au langage de limiter notre pensée. Je pense que les limites du langage sont celles de notre pensée. Le langage est issu de notre pensée et non l'inverse. Imaginer que nous puissions penser au delà de notre langage relève selon moi de ce fantasme qui voudrait que nous serrions des êtres extraordinaires dotés de pouvoir magiques, de super pouvoir comme disent les enfants aujourd'hui. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Et si à côté du monde que nous percevons …. Ven 15 Déc 2023, 17:33 | |
| - cabri a écrit:
- Le langage est issu de notre pensée et non l'inverse.
C'est drôle: j'aurais plutôt dit, spontanément, l'inverse. Mais à la réflexion il me semble que ça revient au même: comme l'oeuf et la poule, ça fait système, structure, économie, c'est un tout indivisible dès lors qu'il est, comme il est, et qu'il fonctionne comme il fonctionne... Ce que nous appelons pensée, langage, représentation, imagination, intelligence, compréhension, conscience, ça marche ensemble ou pas du tout, et en fait plus ou moins bien, dans le faux comme dans le vrai; et ça n'est certainement pas sans analogie animale, végétale, minérale, qui se passe de notre type de langage mais fonctionne autrement -- autrement encore du chien à la puce ou d'un chien à l'autre et, chez nous, d'un individu, d'une langue ou d'une culture à l'autre... Il est vrai qu'il y a chez Nietzsche une pensée du dépassement, aussi bien dans l' Uebermensch, qu'on le traduise sur-homme, ultra- ou trans-humain, que dans le Jenseits von Gute und Böse, par-delà bien et mal... Mais elle est déjà dans les pensées qu'il entend dépasser, comme celle de Schopenhauer (dépasser le jeu de la volonté et de la représentation par une représentation au second degré, du genre de la méditation hindoue ou bouddhique), de Hegel emblématiquement ( Aufhebung, surmonter, relever, subsumer, assumer et dépasser), du christianisme en général qui visait un au-delà du monde, du platonisme qui tendait vers un au-delà de l'être, "Bien" pour Platon, "Un" pour Plotin... En ce sens les super-héros n'ont pas d'âge, et un "homme" (non seulement individu mais espèce ou type) qui voudrait n'être que ce qu'il est, dans la plate identité tautologique à lui-même, ne serait précisément pas ce qu'il est; c'est toute l'aporie autoréférentielle de l'"humanisme"... Si les limites de la pensée sont bien celles du langage, il y a peut-être pensée, ou un certain genre de pensée ("philosophique" au sens très large), sur ces limites: là où le langage ne se contente plus de son fonctionnement ordinaire mais cherche à le dépasser, et y échoue. J'en profite pour signaler, au cas où tu ne l'aurais pas vue, une autre discussion initiée entre-temps par VANVDA, qui présente pas mal de points de contact avec celle-ci. |
| | | cabri
Nombre de messages : 81 Age : 85 Date d'inscription : 27/05/2012
| Sujet: Re: Et si à côté du monde que nous percevons …. Mer 20 Déc 2023, 22:58 | |
| Le langage est issu de notre pensée et non l'inverse ?
C’est une question de perspective : dans notre courte vie notre langage influe certainement notre pensée. Notre pensée est, c’est certain influencée par la ou les langues que nos maîtrisons. Dans l’histoire de l’humanité le langage a été créé probablement à l’origine dans un but utilitaire et a évolué pour exprimer la pensée. C’est la pensée qui a été la cause et qui a donné sa forme au langage. Dans son évolution le langage peut certes influencer notre pensée mais il ne peut s’en écarter.
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| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Et si à côté du monde que nous percevons …. Jeu 21 Déc 2023, 11:21 | |
| Bien qu'à peu près toute la tradition chrétienne, juive et grecque aille dans ce sens, j'ai du mal à concevoir une "pensée" originaire, sans langage (à la lettre "infante") et néanmoins cause, source, modèle ou fondement du langage. C'est sans doute ce que vise "au commencement le logos", mais dans le logos il y a d'emblée autant de "langage" que de "pensée". C'est aussi ce que signe autrement, comme en creux, l'absence ou l'omniprésence du langage dans les récits d'origine: le langage n'est jamais "créé" parce qu'il est donné d'entrée de jeu, au(x) dieu(x) comme aux hommes et même aux animaux ou aux choses... d'un "don" ou d'une "donne" plus originaire que toute origine, et c'est encore là une "métaphore", une façon de parler. Bien sûr cela contredit l'évidence scientifique moderne que tout langage dépend de conditions physiques, chimiques, organiques, anatomiques -- avant l'oreille et les cordes vocales, la main préhensile qui permet la station debout et libère la bouche pour d'autres fonctions... mais une "pensée" avant ou sans cela, comme une "pensée" animale, végétale ou minérale, nous n'en avons pas la moindre idée, nous ne pouvons l'imaginer qu'à partir de notre "pensée" corollaire, elle, de notre langage (et de notre langue particulière, car il n'y a pas non plus de langage sans idiome). |
| | | cabri
Nombre de messages : 81 Age : 85 Date d'inscription : 27/05/2012
| Sujet: Re: Et si à côté du monde que nous percevons …. Lun 25 Déc 2023, 19:46 | |
| Je pense au contraire qu’un problème est la dissociation du réel, du concret et du langage. On peut très bien penser avec des images, des sons des odeurs ou de symboles comme les écritures figuratives ou les formules des scientifiques. Pour moi les mots n’ont de sens que s’ils se réfèrent à des « choses » (des images, des sons, des odeurs ...) que peuvent percevoir nos sens. Où l’on peut se référer à une norme commune. On peut aussi penser que les mots ont un sens intrinsèque fruit de notre esprit, indépendant du concret. Il existe alors un monde des mots et chacun vit dans le monde de ses mots. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Et si à côté du monde que nous percevons …. Mar 26 Déc 2023, 12:05 | |
| Je ne reviens pas sur l'"écriture scientifique" qui s'efforce de réduire le langage à l'univocité mais en conserve intégralement la structure (noms, adjectifs, conjonctions, verbes opérateurs transitifs ou non, sujets, objets, attributs, prédicats, propositions, syllogismes; cf. supra, depuis le deuxième post de ce fil), et dont l'universalité conventionnelle dépend même plus spécifiquement des langues occidentales (je revoyais il n'y a pas longtemps dans un des premiers films d'Ozu, Il était un père, un professeur de mathématique japonais qui écrivait au tableau des formules avec des lettres latines et grecques -- c'eût été des caractères japonais que ça n'eût rien changé à la structure dérivée des langues européennes, structure qui se retrouve d'ailleurs aussi bien dans les grammaires des langues non européennes conçues au départ par des Européens).
Que serait une "pensée sans langage" ? Elle ne se distinguerait peut-être pas de (ce que nous appelons) "la vie", ou "l'être": un lapin, un renard, une meute de loups ou un essaim d'abeilles, un arbre, une forêt, une montagne, une galaxie, un cristal, un atome, tout cela montre à nos yeux une "intelligence" certaine sans (notre type de) langage, et informe depuis toujours notre "langage" et notre "logique" par nos sens, mais ne se pose pourtant pas comme notre "pensée" en autre de "la vie" et de "l'être" pour en parler, les décrire, les raconter et les expliquer comme s'il n'en faisait pas partie. Pour cela il faut (quelque chose comme) la rupture artificielle d'un langage entre les "choses" et les "mots" (coupure symbolique, dirait Lacan, et meurtre symbolique aussi, chaque mot tuant la "chose" correspondante et annulant ses différences pour la subsumer dans un nom commun, un adjectif, un verbe, une "idée"), dont dépend tout autant l'"imaginaire" qui traduit le flux indistinct des perceptions singulières en "choses" plus ou moins permanentes et en "événements" ponctuels, en "formes", en "sons" et en "couleurs" abstraits des phénomènes et ainsi rendus réitérables et reproductibles à loisir (noms communs, verbes, adjectifs, etc.; le blanc de la pierre et le blanc de l'oeil trouvent ainsi une unité de concept parfaitement factice) pour en faire un "monde" et le transformer, pour le meilleur et pour le pire.
Cela peut rappeler la grande opposition (opposition de points de vue complémentaires, irréductibles l'un à l'autre, mais entre lesquels il ne s'agit pas de "choisir") qui garde le seuil de la philosophie grecque: pour Parménide "c'est le même que le penser et l'être", pour Héraclite c'est seulement par le logos (raison, pensée, langage, nom et nombre, verbe, calcul et rapport) que tout est un -- à condition toutefois que le logos soit un, le même pour tous (raison commune, common sense), alors que chacun s'imagine avoir le sien... de là aussi la tension entre l'unité du "monde" et la pluralité des "mondes", qu'on peut voir comme un "problème" mais aussi comme une richesse... |
| | | cabri
Nombre de messages : 81 Age : 85 Date d'inscription : 27/05/2012
| Sujet: Re: Et si à côté du monde que nous percevons …. Dim 07 Jan 2024, 22:38 | |
| Que serait une "pensée sans langage" ? Le langage est une manière de communiquer par l’émission de sons et sa traduction par un système de symboles qui représentent les sons. On peut communiquer par le geste, l’attitude, le regard, par des images, des contacts, des odeurs aussi . Il est certain que nous sommes tellement dépendants du langage que nous avons du mal à imaginer un autre mode de communication de pensée. Et nous considérons bien évidemment notre mode comme supérieur à tous les autres. On peut croire que les mots ont un sens « inné » et une signification certaine provenant d’un « common sense » d’un inconscient collectif. On peut aussi croire qu’ils n’ont que la signification que le locuteur leur donne. Je pense quant à moi que c’est bien plus complexe. La signification de bien ou mal n’était certainement pas la même pour l’abbé Pierre et Michel Fourniret. Pour la moyenne de la population ces notions sont probablement relativement standard mais c’est peut être plus culturel que inné. Pour revenir à notre « pensée sans langage » que peut bien vouloir dire penser ? Lorsque j’écris un logiciel il a de la mémoire de la logique mais pense-t-il ? Mais il est inimaginable qu’un logiciels puisse penser nous dit notre bon sens commun …. est-il vraiment bon ce sens commun ? Si je dote mon logiciel d’un mécanisme permettant de percevoir (mesurer) son environnement et de le mémoriser et ensuite de rechercher des associations entre ce qu’il perçoit et ce qu’il a en mémoire. Ils est déjà moins « évident » ici qu’il ne pense pas. Si j’organise mon logiciel afin qu’il tienne compte de ce qui c’est passé afin de tenter de prévoir ce qui se passera c’est encore moins évident. Et je pourrais encore améliorer le système en lui permettant de modifier son milieu. Ce logiciel ne connait aucun mot il s'exprime et ne comprend que 0 et 1 (vrai et faux). A partir de quel moment pense-t-il ? Ou ne pense-t-il toujours pas ? |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Et si à côté du monde que nous percevons …. Lun 08 Jan 2024, 14:26 | |
| Je ne vois pas d'inconvénient à appeler "pensée" ce que fait un ordinateur, conçu et programmé précisément pour imiter, reproduire, accompagner, assister, corriger, prolonger notre type de "pensée" comme un outil ou une prothèse. Mais cette "pensée"-là est évidemment construite sur le modèle de la nôtre, langagière et représentative, symbolique et imaginaire, dont elle n'est qu'une extension. Qu'elle soit "artificielle" ne change rien à l'affaire, elle ne l'est pas plus que notre propre "pensée". Dans notre cerveau non plus il n'y a pas de "pensée", ni mots, ni phrases, ni signes, ni images, ni sentiments, ni sensations, pas même de "1" et de "0", seulement (ce que nous appelons) des neurones et des synapses, des connexions et des impulsions. L'électroencéphalogramme de Shakespeare ne nous donnerait pas le texte de Hamlet, ni celui d'Einstein la formule de la relativité, mais même s'ils nous les donnaient par "traduction" (techniquement on s'en rapproche, quand on peut connecter une prothèse à des impulsions cérébrales) la "pensée" resterait un artefact, un produit et une fabrication du corps métonymique, impensable sans l'interaction d'un "individu" et d'une "société" (une langue, des codes et des techniques en tout genre)... Du côté de l'"animal" aussi il y a (de l'analogue) de la "pensée", sans notre type de langage mais avec une foule d'analogues (que nous caractérisons comme signes, signaux, etc.) sans qu'on puisse fixer de limite à cette analogie: mais qu'est-ce qui "pense", l'individu, l'espèce, le groupe ? Question sans réponse, ou avec autant de réponses qu'on voudra, parce qu'elle est purement langagière et grammaticale (assigner une cause à un effet comme un sujet à un verbe, c'est toujours un arbitraire qui finit dans la tautologie, cf. Heidegger: die Sprache spricht, en dernière analyse c'est aussi bien la langue, le langage ou la parole qui "parle"...). |
| | | cabri
Nombre de messages : 81 Age : 85 Date d'inscription : 27/05/2012
| Sujet: Re: Et si à côté du monde que nous percevons …. Jeu 11 Jan 2024, 22:23 | |
| Je suis de ceux qui croient que la pensée peut être indépendante de la langue. Qu’il existe une pensée qui quoique bien définie ne peut se traduire en mots. Ce n’est guère facile a expliquer parce que notre manière de communiquer ici est la langue. Mais il existe des exemples où la pensée a été rendue indépendante de la langue. Dans le monde des physiciens : La mécanique quantique qui s’exprime en formules mathématiques. Formules qui se vérifient dans le monde réel mais que personne n’a jamais pu expliquer avec des mots. Pour prendre un exemple plus connu lorsque l’on traduit la théorie de la relativité générale en mots en parlant de « courbure de l’espace temps » il faut bien reconnaître que ces mots ne veulent rien dire de compréhensible. Les physiciens traitent non pas des mots ou des idées mais des mesures. Par exemple ils ne traitent pas le « temps » mais un nombre d’oscillations périodiques. Pour nous faire pénétrer dans leur pensée ils doivent utiliser la langue et les mots parce que c’est le seul moyen que nous ayons de communiquer à ce niveau. Ensuite toute leur pensée s’exprime en formules sans référence à des idées ou mots. Dans le monde des informaticiens : Les premiers langages informatiques avaient une forme qui ressemble à notre langage coutumier on écrivait par exemple si tel évènement se présente exécuter telle procédure jusqu’à ce que... Ce type de langages n’est plus guère utilisé dans les logiciels sérieux . Actuellement on définit des « classes» qui sont des modèles qui donnent les caractéristiques communes à tous les objets d'une certaine catégorie. Pour chaque classe il peut y avoir des champs contenant des valeurs et des méthodes décrivant le comportement. Un objet est une instance particulière d'une classe doté de caractéristiques spécifiques définies par la classe. Les données et méthodes sont encapsulées dans une seule entité l’objet, il n’est pas nécessaire de connaître tous les champs et méthodes de l’objet pour l’utiliser. Une classe peut être l’héritière d’une autre en ce sens qu’elle reprend les caractéristiques et les comportements de cette classe. Le polymorphisme est possible en ce sens que l’on peut traiter un objet comme instance de sa classe de base plutôt que de sa classe réelle. Si l’informaticien utilise des classes qui ne contiennent que des mesures et pas des « idées » on est dans un monde tout différent de celui de la pensée par la langue. Cela ne présume pas de la supériorité de la pensée indépendante de la langue mais simplement que ces deux pensées évoluent dans des mondes différents. L’un étant mesurable, vérifiable par nature l’autre pas. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Et si à côté du monde que nous percevons …. Ven 12 Jan 2024, 12:26 | |
| - cabri a écrit:
- Je suis de ceux qui croient...
Nous aurons au moins montré, en réponse à la question initiale, qu'on peut croire, penser, se représenter assez différemment le même "monde", ou s'en faire des "mondes" différents, que cela revienne ou non au même... Je ne reviens pas (trop ?) sur le fait qu'à mes yeux les écritures mathématiques ou technoscientifiques proviennent du langage humain, et plus spécifiquement des langues occidentales et de leurs écritures (notamment alphabétiques) dont elles conservent les structures, la syntaxe encore plus que le lexique, tout en les contraignant à une univocité conventionnelle qu'elles perdent sitôt qu'on les retraduit en langage ordinaire (sur ce dernier point au moins nous sommes apparemment d'accord). Il me faut peut-être préciser, en revanche, que je ne limite pas le "langage humain" à l'acoustique, au son, à la voix et à l'audition, à l'oralité phonique, phonétique ou phonématique... on peut être sourd-muet sans être essentiellement privé de (ce type de) langage, à preuve les "langages des signes" spontanés ou codifiés qui traduisent le langage ordinaire tout en se rapportant, en général, à une langue particulière. De plus, le ou les "langages humains" peuvent aisément être subsumés dans la catégorie plus générale du signe (sémiologie, sémiotique) qui ne s'arrête ni à l'humain, ni au vivant: toute chose, tout événement, toute forme, toute couleur, tout son, toute variation lumineuse, sonore, thermique, tout trait, marque ou trace perceptible, sensible, visible, audible, olfactif, gustatif, tactile, est susceptible de signifier ou de désigner, d'être interprété et traité comme signe de ce qu'il n'est pas, de ce qui n'est pas là, présent, mais passé ou à (re-)venir... Cela fonctionne à l'évidence ainsi dans le monde "animal", "végétal" et "minéral" et ce n'est pas sans rapport avec notre "langage", c'est même ce qui le rend possible et le conditionne d'emblée. Nous venons d'une tradition chrétienne, juive et grecque, qui a survalorisé la "parole" (le Verbe, le logos, verbum et ratio, à la fois langage et calcul) au détriment de l'écriture, du graphe, c'est-à-dire aussi de l'image et de la représentation. Bien sûr l'écriture au sens étroit dépend d'un langage et d'une langue préalables, mais le rapport s'inverse quand on y voit aussi le dessin, figuratif ou non, rupestre ou monumental, des temps dits préhistoriques, c'est-à-dire antérieur à l'écriture d'une langue (d'ailleurs elle-même plus ou moins phonétique ou idéographique, à Sumer ou en Egypte). Par hasard et avec plusieurs décennies de retard j'ai beaucoup lu Derrida, penseur de l'écriture, après Lacan, penseur du langage, et cela a au moins déplacé mes idées sur la question. Quant au rapport du langage et du calcul (pour un grec c'est le même logos), comme je l'ai souvent répété il n'y a pas plus de nombre que de nom, de verbe ou d'adjectif dans la "nature": rien à mesurer ni à calculer tant que n'y survient pas, avec le langage, l'idée ou le concept du mesurable et du calculable, poids, taille, distance, volume, intensité, autrement dit le sens du combien, quantum, quanta, liés eux-mêmes au nom commun et à l'adjectif: il faut l'idée générique du cheval ou du mouton qui n'est ni celui-ci ni celui-là, idée qui vient elle-même des ressemblances et des différences observées, des effets de répétition et de rythme qui en découlent, pour compter des chevaux ou des moutons, autrement dit pour sortir par abstraction du flux continu de singularité perceptible -- avec ce que toute abstraction comporte d'artifice et d'illusion. Ce que tu appelles des "classes" ne me semble pas foncièrement différent de ce qu'on appelle "catégories" depuis Aristote, mais on entend mieux en grec ce qu'un tel concept (commun à toute idée d'ordre logique ou rationnel, taxonomie, organisation, hiérarchie) doit au langage, spécialement judiciaire: katègorein c'est le verbe de l'accusation et du jugement, qui déclare que ceci est cela: cet acte est un crime ( krima, encore un jugement prononcé, de krinô d'où aussi critique et critère), un tel est coupable ou innocent, en grammaire attribut de l'objet, on le déclare coupable, à l'accusatif en grec ou en latin, ou au discours direct et au nominatif, untel est coupable, sujet est prédicat, S est p, ceci est cela. Pour ma part je ne "crois" pas qu'il suffise d'appeler ça autrement pour être "sorti" du langage, en l'espèce le plus "humain", "culturel" et "social" qui soit, je ne "crois" pas non plus qu'on puisse ni qu'il faille en "sortir", mais ce n'est qu'une croyance ou une opinion comme une autre. |
| | | cabri
Nombre de messages : 81 Age : 85 Date d'inscription : 27/05/2012
| Sujet: Re: Et si à côté du monde que nous percevons …. Ven 12 Jan 2024, 23:23 | |
| Les écritures mathématiques ou technoscientifiques proviennent du langage humain. Le langage que nous utilisons ici et les écritures mathématiques ou technoscientifiques proviennent de l’humain c’est l’évidence. Notre langage précède ces écritures et a donc forcément été un des instruments qui ont servi a construire ces écritures. Mais ces écritures ne sont pas que simplement une autre forme de notre langage. Elles nous permettent de décrire des phénomènes que nous ne pouvons décrire en notre langage. Les « classes » qui servent à définir des « objets » en programmation orientée objet. Ressemblent et se sont inspirées très probablement des « catégories » ou des familles en zoologie ou botanique. Mais elles peuvent s’imbriquer, hériter les unes des autres et former des ensembles à la fois tellement complexes et précis qu’il n’est plus possible de décrire en langage usuel. En résumé je dirais que ces écritures ne sont pas des sous produits du langage humain mais une extension. Extension que la « langage humain » ne peut traduire. Pour le physicien la courbure de l’espace-temps est une notion précisément décrite mais je ne vois pas ce que nous ou un philosophe pourrait faire avec notre langage de cette notion. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Et si à côté du monde que nous percevons …. Sam 13 Jan 2024, 02:12 | |
| Merci de ces précisions: la notion d'extension me convient parfaitement, c'est à peu près ce que j'essayais de dire en parlant aussi d'outil ou de prothèse (supra 8.1.2024) -- étant entendu que l'extension peut être infiniment plus exacte, précise, efficace que l'"humain" sans elle (je n'ai jamais parlé de "sous-produits"). Et que tous ces avantages se perdent dans une "traduction" ou rétroversion en langage ordinaire, alias "vulgarisation", j'en suis bien d'accord, mais cette "traduction", si traîtresse soit-elle, n'en paraît pas moins nécessaire: à quoi ou à qui servirait une "science" qui ne sortirait pas des réseaux d'ordinateurs, qui ne se communiquerait jamais à personne si ce n'est, sous une forme déjà dégradée, à une poignée de spécialistes, incapables eux-mêmes de se comprendre d'une discipline à l'autre ? La vulgarisation peut ne transmettre que des idées fausses (je repense à la boutade: si vous m'avez compris c'est que je me suis mal expliqué), mais c'est quand même le seul rapport possible du "grand public" à la "science"... Pour quelqu'un comme moi la "courbure de l'espace-temps" est une formule essentiellement poétique, mais elle peut quand même me faire "penser" (probablement tout autre chose que ce qu'elle essaie de "traduire"), à défaut de la comprendre comme je la comprendrais peut-être si je savais mieux lire les formules qu'elle "traduit" (mais alors je n'y entendrais plus ce que j'y entends).
A part ça, le seul rapport qui me semble rester de la "science" à l'"humanité" en général, c'est précisément la technique, autrement dit la "science appliquée" que chacun utilise sans vraiment la comprendre, qui aussi bien manipule tout le monde sans être entièrement maîtrisée par personne.
Accessoirement, les "classes" me rappellent les "ensembles" des "mathématiques modernes" de mon enfance, par le jeu desquels (union, intersection, etc.) on arrivait aussi à la précision ou à la nullité absolues du singleton ou de l'ensemble vide. Mais c'est encore à mes yeux une formalisation et une représentation de la "logique" verbale, essentiellement "métalinguistique", la même qui ordonne les mots et les concepts de la généralité à la singularité (p. ex. chose > animal > mammifère > canidé > chien > caniche > ce caniche) en croisant éventuellement différents critères (taille, couleur, etc.): en grammaire noms communs et propres, adjectifs, etc.
Je parlais plus haut de poésie, ça me rappelle d'un coup les fameux vers de Hölderlin: Voll verdienst, doch dichterisch, / Wohnet der Mensch auf dieser Erde (plein de mérite, mais en poète / habite l'humain sur cette terre) -- et le début de notre discussion. La poésie n'est assurément pas de la science, en grec ça se rapprocherait plutôt d'une technique (poièsis de poieô, faire, fabriquer, voisin de tekhnè comme en latin faber d'ars, artis, artifex etc.), en allemand cela relève plus clairement du langage (Dichtung comme dire, di(c)t, dictée ou dictature). La "science" seule, surtout quand elle devient essentiellement une affaire de machine(s) par nécessité d'exactitude, ne rend pas la terre humainement habitable, autrement dit elle ne fait pas un "monde": faire, défaire et refaire un monde, des mondes, c'est plutôt l'affaire de la "poésie", même si les deux ont tout intérêt à rester en contact, fût-ce au prix des inévitables malentendus d'un dialogue de sourds...
Ou, sur un autre registre... |
| | | cabri
Nombre de messages : 81 Age : 85 Date d'inscription : 27/05/2012
| Sujet: Re: Et si à côté du monde que nous percevons …. Jeu 18 Jan 2024, 17:52 | |
| Le langage scientifique n’est pas qu’une extension du langage courant il essaye aussi d’être précis de se débarrasser des imprécisions et confusions. Décrire le monde le plus précisément possible c’est son but unique. Le langage que nous pratiquons a pour but de communiquer et si je comprends bien pour certains le langage permet de comprendre le monde. De savoir le « pourquoi » du monde alors que le langage scientifique a pour seul objectif de connaître le « comment » de notre monde. Ce sont deux approches tout à fait différentes, celle du « pourquoi » part de l’hypothèse que notre monde aurait une raison d’être. La langage scientifique ne permettra évidemment jamais de dire le pourquoi des choses, ce n’est pas son objet. Et ce n’est pas ,je pense, le soucis de la majorité des scientifiques. Peut être la pensée exprimée en mots le pourrait-elle ? Croire que le monde a une raison d’être (un pourquoi) relève de la conviction. Einstein par exemple ne croit pas que Dieu joue aux dés . En clair il a la conviction que le monde est un projet qui a un but. Il a écrit « Celui qui ressent sa propre vie et celle des autres comme dénuées de sens est fondamentalement malheureux, puisqu'il n'a aucune raison de vivre. » C’est peut être pour ce besoin d’avoir une raison de vivre que la conviction qu’il y aurait un « pourquoi » est si répandue et explique le succès des explications religieuses du monde. On peut croire que la langage humain possède une force interne qui permettrait de découvrir ce pourquoi. On peut aussi croire que notre monde n’est qu’une circonstance sans finalité. Ce serait plutôt mon sentiment ce qui ne me rend pas malheureux et n’enlève aucun intérêt à ma vie. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Et si à côté du monde que nous percevons …. Jeu 18 Jan 2024, 18:29 | |
| J'espérais -- à tort -- que nous n'en viendrions pas à cette opposition superficielle du "pourquoi" et du "comment", qui est d'ordinaire l'apanage des apologistes religieux, mais, comme tu viens de le démontrer, peut fort bien être utilisée en sens inverse... Bien sûr il n'y a aucun sens à séparer un "pourquoi" (lui-même ambigu comme son "pour", cause ou finalité, but, utilité, pour quoi) d'un "comment", d'autant qu'on répond généralement à un "pourquoi" par un "parce que" qui est aussi un "comment", descriptif, narratif, explicatif.
Que l'"extension" technoscientifique du langage vise l'univocité (= réduire, restreindre, contraindre ou interdire l'ambiguïté, l'ambivalence, l'équivoque ou le plurivoque), c'est ce que je répète depuis le début de cette discussion. En ce sens d'ailleurs c'est aussi bien une automutilation (ascétique, comme dirait Nietzsche, ou masochiste) qu'une prothèse, puisqu'il s'agit d'exclure du langage sa part d'invention, créatrice, poétique, artistique ou mythogénétique -- vieille histoire, puisque Platon croyait déjà, contre son propre goût et pour les mêmes raisons, devoir chasser les poètes de la cité idéale.
Question: pourquoi le "monde", ou le "réel", devrait-il être "décrit" (exactement, précisément, univoquement ou autrement) ? C'est-à-dire, doublé de (ce qu'on appelle) une connaissance ou une intelligence, dans un jeu de signification ou de représentation, symbolique et/ou imaginaire, qui est aussi un jeu de miroir (spéculaire) ? C'est toujours (une partie de) la même espèce, celle qui parle, écrit, dessine, qui veut "décrire" et qui croit vouloir la "vérité" sur les choses ou le "réel" (res), fût-elle réduite à l'exactitude et à la précision quantitative, alors que le "réel", jusqu'à preuve du contraire, ne lui a rien demandé. (A moins, bien sûr, de retourner la question de la "vérité" comme Heidegger dans Was heisst denken ?: c'est précisément l'"être" qui donne et appelle à "penser", mais par le langage et en particulier par la poésie.) |
| | | cabri
Nombre de messages : 81 Age : 85 Date d'inscription : 27/05/2012
| Sujet: Re: Et si à côté du monde que nous percevons …. Sam 20 Jan 2024, 18:31 | |
| Le réel ? Mon réel est ce que nos sens peuvent percevoir, mesurer rien de plus. La distinction entre pourquoi et comment est en quelque sorte celle entre la cause et l’effet. La réponse habituelle est-ce l’œuf ou la poule ? On peut constater que cette œuf ci a été pondu par la poule 120. Cette poule ci est née le l’œuf 19396. On pourra même dire que la poule x est née d’un œuf pondu par la poule y œuf fécondé par le coq z. La réponse au pourquoi serait de choisir entre les mots (ou concepts) poule / œuf . La réponse au comment est de dire y et z sont le comment de x. Cette réponse ne satisfera pas le philosophe, je m’en contente. Mon réel est ce que nos sens peuvent percevoir, mesurer rien de plus. Ce que je ressens ou pense à propos de cela n’est plus du domaine du réel. Des notions comme bien, mal, beau, laid sont subjectives et varient dans le temps et l’espace, Ces notions sont la relation entre un individu ou un groupe d’individus et ce qu’il perçoivent. On peut penser, imaginer qu’il existe une vérité «naturelle» qu’il est des choses vraiment belles, vraiment bien, ce n’est pas ce que j’imagine. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Et si à côté du monde que nous percevons …. Dim 21 Jan 2024, 11:49 | |
| Tu me rappelles une plaisanterie du temps où l'on pouvait encore plaisanter sur les accents (arabe ou pied-noir en l'occurrence, elle n'était même pas vraiment "raciste"): "Tyi philosophes ? Cyi la poule qui philosophe !"
Entre "percevoir" et "mesurer" il y a un abîme.
Tu ne compterais, ne numéroterais, n'indexerais alphabétiquement ni poules, ni oeufs, ni coqs si tu n'avais pas préalablement, ou simultanément, aboli par le langage (nom commun) et la représentation imaginaire (idée, concept) toute différence entre eux (entre oeufs aussi), autrement dit, anéanti la singularité indénombrable du "réel"... Voilà ce que j'appelle l'abîme, le lieu de la coupure symbolique et spéculaire (cf. Lacan) entre "perception" et "mesure", mais qu'on peut aussi bien situer à l'intérieur de la "perception" si on y intègre la "mesure": nous ne voyons, ne sentons, n'entendons, ne goûtons ou ne touchons rien (rem: aucune "chose", res, d'où aussi "réel") que nous n'associions aussitôt à un mot et à une idée, à tout un enchaînement verbal et idéel (avec les adjectifs qualitatifs de taille, de poids, de couleur, de forme, de son, d'odeur, de mouvement, de vitesse), transformant instantanément tout réel en réalité imaginaire, mais cohérente, logique, mesurable et calculable, et par là transformable et exploitable. Car bien sûr ce processus mental qui caractérise l'"humain" a tout à voir avec sa technique, y compris la domestication immémoriale qui a fait des poules, des coqs et des oeufs à partir d'"oiseaux sauvages" (qu'aussi bien nous domestiquons mentalement en les appelant ainsi); de là à l'élevage intensif, c'est toujours la même logique qui arraisonne le vivant ou le réel (abstractions s'il en est) en n'en supprimant que l'essentiel pour en faire une "ressource", ce que Heidegger appelle Gestell...
Accessoirement, la distinction superficielle entre "pourquoi" et "comment" ne me semble pas vraiment superposable à celle, plus classique, entre "cause" et "effet", mais tu en sembles toi-même conscient ("en quelque sorte"). Et je t'accorde volontiers que toutes ces distinctions (plus ou moins) "logiques" sont en principe indépendantes de toute axiologie ou jugement de valeur (bien, mal, beau, laid, agréable, désagréable, etc.) -- à ceci près que nos perceptions élémentaires, elles, ne le sont pas: au commencement de l'expérience, enfantine ou animale si l'on veut, tout percept est un affect, toute sensation est un sentiment et une émotion, discret ou violent, en grec un pathos dans toute l'ambivalence de la "passion": seul l'artifice technoscientifique de la "culture", de la langue et des idées, distingue dans l'indistinct et fait son tri, artificiel comme il se doit... |
| | | cabri
Nombre de messages : 81 Age : 85 Date d'inscription : 27/05/2012
| Sujet: Re: Et si à côté du monde que nous percevons …. Mar 23 Jan 2024, 11:03 | |
| Je n’ai pas la prétention de faire de la philosophie, les philosophes ont d’autres préoccupations que moi. J’essaye simplement de comprendre selon quelles règles fonctionne ce que mes sens perçoivent.
Il est évident pour moi que la réponse à des questions comme que sont l’humain et le langage se trouve dans le corps humain pas dans une âme, des idées ou des concepts. Cela explique probablement la difficulté de ce dialogue.
Pour revenir à nos moutons ce que je voulais montrer dans ce fil c’est ce que mes trois personnages font pour rendre compatible ce qu’ils perçoivent et ce qu'ils imaginent être leur existence. Einstein recherche une variable cachée, Lemaître lui croit en l’existence de deux chemins, le troisième voudrait que la terre soit comme il la voit. C’est dans les trois cas, je pense, la traduction d’un désir que le monde soit conforme à ce qu’ on désirerait qu’il soit.
Je me pose la question la meilleure philosophie, la meilleure religion n’est elle pas simplement celle qui nous présente le monde tel qu’on aimerait qu’il soit ? |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Et si à côté du monde que nous percevons …. Mar 23 Jan 2024, 11:47 | |
| [J'ai revu ces derniers temps quelques films de Woody Allen, dont l'excellent Love and Death (1975) qui est truffé de dialogues philosophiques foireux, du genre: "that's subjective ! -- Yes, but subjectivity is objective..."]
Notre "désir", quel qu'il soit (y compris dans le tour qui le retourne contre lui-même, désir de supprimer, de réprimer ou de neutraliser le désir: Freud et Nietzsche, même combat), ne fait-il pas partie du "monde" ?
Ou bien, comme le suggérait finement Wittgenstein, ce qu'on appelle le "sujet" (parlant, pensant, désirant, connaissant, agissant, fabriquant, etc.) serait-il une limite du "monde" ?
A la place du "sujet" on peut en effet mettre n'importe quel mot, l'âme, l'esprit, le coeur, le cerveau, le cortex, le corps, la personne, l'individu, le groupe, la langue, la culture, l'espèce, l'animal, la vie, la matière, l'être, ce sera toujours un "sujet" grammatical et logique. sub-jectum à la lettre hypo-thétique, sub-stance ou sub-strat sub-posé au "réel", au phénomène ou à l'événement, à l'action et à la passion. Pourquoi pas "le corps" ? Nul ne sait ce que peut un corps, disait Spinoza, et dans cette phrase le corps est encore un sujet. |
| | | cabri
Nombre de messages : 81 Age : 85 Date d'inscription : 27/05/2012
| Sujet: Re: Et si à côté du monde que nous percevons …. Mar 30 Jan 2024, 18:14 | |
| Afin de rendre la discussion compréhensible je fais un résumé de ce que je comprends: Albert Einstein et Georges Lemaître ont en commun de croire que leur vie a un sens intrinsèque. Un sens que leur donné par une puissance supérieure ou une force divine. Tous deux physiciens « scientifiques » ils tentent de décrire le fonctionnement de ce que leurs sens perçoivent. Ils se trouvent en face de contradictions apparentes entre ces deux approches. (Entre ce qu’ils croient et ce qu’ils perçoivent) Einstein ne veut pas admettre que « Dieu joue aux dés ». Il conteste donc la mécanique quantique telle que présentée en imaginant l’existence d’une variable cachée. Lemaître lui en conclu qu’il existe « deux chemins » qui permettent que des choses contradictoires coexistent. Les physiciens prouveront qu’il n’est pas possible qu’il existe une variable cachée. Albert Einstein aurait du trouver une autre issue. La solution de Lemaître si elle peut heurter le « bons sens » est elle inattaquable en logique.... me semble-t-il. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Et si à côté du monde que nous percevons …. Mar 30 Jan 2024, 18:44 | |
| Si "la discussion" se résume -- et s'arrête de fait -- à ton premier post (9.10.2023), on aurait pu en effet s'économiser près de deux pages et plus de trois mois... mais cela ne m'a pas été désagréable.
Je ne crois pas qu'il y ait grand-chose "en commun" entre la formation théologique et ecclésiastique structurée d'un prêtre catholique comme Lemaître et le très vague judaïsme familial d'Einstein. Même l'idée de "Dieu" qui impliquait chez l'un tout un corpus dogmatique restait sans doute chez l'autre indéfinie, plus disponible pour des usages métaphoriques ou poétiques.
Je ne suis pas sûr non plus qu'il soit "inattaquable en logique" de prétendre échapper à la "logique", mais pour celui qui y échapperait ça n'aurait plus d'importance...
Le tort (relatif !) d'Einstein aurait-il été d'essayer d'inscrire en physique (comme "variable cachée") l'expression d'une réticence affective, faute de disposer d'un autre "plan" ou "registre" (ce que j'appelle "poétique" ou "mythique", mais qui peut être aussi "théologique", "mystique" ou "philosophique", à la lettre "méta-physique") pour l'y inscrire ? Mais pourquoi l'affectivité (ou quoi que ce soit d'autre, du moment que c'est) serait-elle exclue d'une "physique" digne de ce nom ?
La formule "à côté du monde" rappelle le (ou plutôt la) Hinterwelt de Nietzsche, qu'on traduit habituellement par "arrière-monde" et qui serait plutôt "outre-monde", ce qui correspond bien à l'usage habituel du mot "méta-physique" si l'on fait abstraction de son origine bibliothéconomique dans le classement des oeuvres d'Aristote (ce qui vient après le volume intitulé "Physique"). Mais d'une part l'autre du monde n'est pas forcément un (autre) monde; d'autre part, un "monde" peut-il être pensé sans "autre" ? On peut toujours parler de singularité et même de singularité absolue, mais quel que soit le nom qu'on emploie il faut bien avouer qu'il ne signifie rien, parce qu'on parle là de ce dont on ne peut avoir aucun concept. |
| | | cabri
Nombre de messages : 81 Age : 85 Date d'inscription : 27/05/2012
| Sujet: Re: Et si à côté du monde que nous percevons …. Jeu 01 Fév 2024, 17:57 | |
| Einstein et Lemaître sont deux savants qui veulent à tout prix concilier leur foi et leur savoir. La question que je me posais en introduisant ce fil était « Pourquoi diable croient-ils ? » . Peut être serait-il plus opportun de me demander pourquoi je ne crois pas ? Né dans un milieu croyant et conservateur malgré tout mes efforts je ne suis jamais parvenu a croire. Croire en une religion ou même la philosophie. Lorsqu ‘un philosophe écrit Je pense donc je suis. Je suis, (être) cela ne veut rien dire pour moi sinon ce que le philosophe entend par ce verbe. Il ne m’est pas possible de croire que ce mot (être) ait un sens intrinsèque. Par contre je trouverais correcte l’affirmation Je pense donc je suis vivant (mon encéphalogramme n’est pas plat). Peut être serait-il plus opportun de me demander pourquoi je ne crois pas certaines choses ? Mais revenons à notre sujet nos deux savants tentent de concilier ce qu’ils croient et ce qu’ils savent. Ils tiennent à leur croyance et cherchent tous les arguments pour les garder. Je me demande si l’esprit humain n’est pas fait pour croire ce qu’il aime, qualité que je n’aurais pas.
Dans ce fil le sujet du ou des langages m’intéresse je m’informe je réfléchis on pourrait en reparler. L’évolution des langages informatique est intéressante on est passé de simple câblages à aujourd’hui au langage humain que l’i.a. traduit en langage informatique. Le langage informatique serait alors un sous produit du langage humain . Et si l’i.a. écrivait des formules math. aussi un sous produit ? Peut être un autre fil ?
|
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Et si à côté du monde que nous percevons …. Jeu 01 Fév 2024, 18:38 | |
| Aimer faire ou subir ce qu'on n'aime pas ou ne pas faire ou subir ce qu'on aime, désirer faire ou subir ce qu'on ne désire pas ou ne pas faire ou subir ce qu'on désire, vouloir faire ou subir ce qu'on ne veut pas ou ne pas faire ou subir ce qu'on veut (etc.), c'est le B-A-BA, la leçon élémentaire, essentiellement perverse, ou retorse, de l'amour, du désir ou de la volonté (etc.) -- par où l'"ascétisme" passerait, comme une lettre à la poste, de la religion à la philosophie et à la science (cf. Nietzsche, Généalogie de la morale), sans cesser d'être "humain, trop humain"... A la place d'"ascétisme" on peut dire "masochisme", ou bien "encratisme" ou "maîtrise de soi", ou encore "honnêteté", "rigueur", "vertu", "discipline", "méthode", "morale", "éthique", "déontologie", ça n'y changera pas grand-chose. Tordus nous sommes, tordu nous pensons, agissons, subissons, désirons, craignons, jouissons et souffrons. Au fait, " croire", est-ce plutôt faire (actif) ou plutôt subir (passif), ou les deux à la fois ? Et "savoir" (connaissance, science, etc.) ? Et "penser" ? La grammaire, de ses voix active et passive par exemple, n'en finit pas de hanter la logique, et la science, et tout ce que nous touchons. Dans un "je pense" ( cogito), il y a, il arrive, il se passe quelque chose, quelque événement ou phénomène plutôt (plus tôt), avant qu'on puisse distinguer un "sujet" (je, ego) et un "verbe" (penser, cogitare), ou encore un verbe dit d'action (penser) d'un verbe dit d'état (être, esse, sum). Par rapport à cela la mesure (technique) de l'encéphalogramme arrive bien tard, après des millénaires de langage et de représentation qui ont construit le phénomène de part en part, quand même elle prétend se rapporter directement à celui-ci... |
| | | cabri
Nombre de messages : 81 Age : 85 Date d'inscription : 27/05/2012
| Sujet: Re: Et si à côté du monde que nous percevons …. Ven 09 Fév 2024, 17:02 | |
| Einstein et Lemaître ont en commun d’être physiciens et d’avoir des convictions. Ce n’est pas habituel d’ordinaire les physiciens ont comme principe de ne pas avoir d’à priori. Einstein pense que notre vie a un sens et qu’elle n’est pas le produit du hasard (Dieu ne joue pas aux dés) la position de Lemaître est à la fois plus simple et plus complexe il croit au package de l’église catholique romaine. Tous deux essayent de concilier leur conviction et ce qu’ils observent (mesurent). Einstein pense qu’on mesure mal qu’il manque une variable. Lemaître ne parvenant pas a concilier les deux en conclu qu’il existe deux chemins, je comprends deux vérités. Aucun des deux ne remet en cause ses convictions, ce qui me semblerait la solution la plus simple. Pour en revenir à Aimer. Une explication : croire c’est aimer et l’amour rend aveugle.
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| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Et si à côté du monde que nous percevons …. Ven 09 Fév 2024, 17:49 | |
| - cabri a écrit:
- Einstein et Lemaître ont en commun d’être physiciens et d’avoir des convictions. Ce n’est pas habituel d’ordinaire les physiciens ont comme principe de ne pas avoir d’à priori.
Depuis quand (n'est-ce pas habituel...) ? Non seulement la démarche scientifique (des sciences dites expérimentales, comme la physique) s'est affranchie bien tard de certaines convictions de type religieux ou philosophique, mais elle requiert toujours une "foi" fondamentale (cf. encore Nietzsche), en l'intelligibilité a priori de ce qu'elle cherche à observer (à mesurer, à expliquer, etc.), ou à l'intérêt même de l'exercice (ce qu'on peut aussi appeler "amour"). L'amour rend aveugle, ou l'absence d'amour rend aveugle (1 Jean 2,9ss: le très vague judaïsme allemand d'Einstein a plus de chance d'avoir été influencé par le Nouveau Testament chrétien que par le Talmud)... à ce jeu c'est toujours le prétendu voyant qui parle pour les autres (cf. aussi Jean 9, pendant qu'on en est aux références bibliques). |
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