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| Apocalypse 3 : 15, 16 | |
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ASSAD
Nombre de messages : 434 Age : 98 Date d'inscription : 20/04/2008
| Sujet: Apocalypse 3 : 15, 16 Dim 14 Juin 2009, 10:18 | |
| 15. Je connais ta conduite : tu n'es ni froid ni chaud - que n'es-tu l'un ou l'autre ! - 16. ainsi, puisque te voilà tiède, ni chaud ni froid, je vais te vomir de ma bouche.
Il n'est aucune expérience qui s'oppose au cheminement spirituel. La joie est un merveilleux sentier vers le divin, mais la souffrance aussi. Découvrir sa vérité intérieure est une réalisation, se perdre est parfois un raccourci vers soi-même. Si la rigueur d'une morale ou d'une discipline à son utilité, se découvrir incapable de vivre selon ce que l'on sait juste est aussi une opportunité. Réussir brillament est une voie, échouer lamentablement en est une autre. La sainteté est admirable, mais le crime, à la faveur du repentir, est parfois le chemin qui y mène.
Pour un être en chemin, toute expérience est matière. A une condition toutefois : qu'on le vive avec intensité. Car le seul véritable obstacle à l'accomplissement humain, c'est précisément le refus de vivre des expériences.
Celui-ci a pour nom tiédeur.
Qu'est qu'une expérience ? C'est l'irruption du nouveau dans ma vie. Chaque rencontre, chaque évènement, chaque instant m'offrent une nouveauté radicale qui m'invite à mourir à tout ce que je fus pour naître à ceux que je ne sais pas. Vivre vraiment, c'est mourir et renaître sans cesse, avec l'intensité de souffrance et d'émerveillement qui accompagne nécessairement cet incessant renouvellement de soi-même et du monde. Accepter celui-ci sans chercher à figer, posséder, contrôler, telle est la condition pour aimer et créer. Car celui qui aime n'aime rien tant qu'être surpris par l'aimé ; celui qui crée, êter surpris par ce qu'il crée.
Le tiède, lui, ne veut que ce qu'il attend. Refusant de mourir, il se prive de naître à lui-même. Pour souffrir aussi peu que possible, il se dispense de vivre. Il ne cré pas, il imite et répète. Il n'aime pas, car d'autrui il ne désire que ce qu'il sait, ce qui se répète et le rassure. Parce qu'il n'est en quête que de sécurité, sa passion est le prévisible, son obsessione le déjà vu. Ne sachant ni donner sa confiance ni s'abandonner, il combat tout ce qui échappe à sa mainmise.
Ainsi la tiédeur est-elle violence contre la vie, en soi et en autrui Le tiède est en guerre contre lui-même, contre le surgissement incessant des sensations qui constitue sa vie charnelle et sur laquelle il rêve secrètement d'exercer un contrôle absolu. Mais le tiède refuse aussi l 'altérité d'autrui qui l'effraie, comme tout ce qui lui échappe. Il a besoin de stratégies pour le réduire au rang de moyen et exercer sur lui un pouvoir. La tiédeur est un refus d'éprouver poussé si loin qu'il refuse même de s'éprouver lui-même. Le non à la vie se dissout ainsi dans une morne absence de tout rapport à la vie, qui réduit celle-ci à la mécanique sans conscience de la pulsion.
A l'anesthésie le tiède sacrifie sa liberté ; il se fait donc la proie de toutes les manipulations. C'est pourquoi la société de consommation érige aujourd hui la tiédeur en modèle. Le système économique repose sur la mondialisation d'un type d'humain, le consommateur, dont le seul horizon est de se soulager de vivre en cédant compulsivement aux attraits d'un étal virtuel de marchandises qui, sans cesse, lui invente des besoins en prétandant les satisfaire.
Notre culture postmoderne à l'air de tendre vers une destruction spirituelle de l'humain par dépérissement progressif de l'intensité vitale. Elle nous formate insidueusement en saturant nos sens d'un non-sens qui n'a d'autres propos que de nous détourner de notre intériorité. C'est d'abord en soi-même qu'il s'agit de la combattre. Un être en chemion doit aussi vaincre en lui-même son époque.
Qui seulement fait de toute son âme ce qu'il doit faire ne s'égare jamais ( Höderling ). |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12461 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Apocalypse 3 : 15, 16 Lun 15 Juin 2009, 00:43 | |
| Merci Assad.
Je n'ai pas souvenir d'avoir lu ou entendu un commentaire aussi profond de ce texte.
Par pur esprit de contradiction (et d'universalisme) il me donnerait presque envie de me lancer dans une apologie de la tiédeur... :)
Il est vrai que l'auteur ne nous livre guère d'indices sur ce qu'il entend par "chaud" ou "froid" -- il ne nous dit même pas s'il y a un "bon" et un "mauvais" côté, et encore moins lequel. Encore que le zèleue du v. 19b s'accorde mieux avec le "chaud" (zestos) qu'avec le "froid" (psukhros), par l'assonance comme par l'usage ordinaire des métaphores.
Il est tentant d'en rapprocher les oppositions de 22,11: "Que l'injuste commette encore l'injustice et que l'impur vive encore dans l'impureté, que le juste pratique encore la justice et que le saint se sanctifie encore." Accuser les contrastes: dès la première page de la Genèse et tout au long du Lévitique l'esprit sacerdotal "sépare" et déteste les mélanges, l'indistinct, les zones grises. Paradoxalement le mélange du pur et de l'impur est plus impur que l'impur... pur. :)
Cela dit le contexte nous renseigne un peu mieux sur la situation qualifiée de "tiède" que sur le "chaud" et le "froid". Elle est affaire de richesse d'après le v. 17: "Parce que tu dis: je suis riche, je me suis enrichi, je n'ai besoin de rien, et que tu ne sais pas que tu es misérable, pitoyable, pauvre, aveugle et nu..." L'argent, les économies, le capital (matériel, culturel, moral), tout cela met un écran entre nous et "la vie" -- ses aléas et ses joies... on retrouverait une idée fréquente, presque un lieu commun, depuis les Béatitudes jusqu'aux fables de La Fontaine (Le savetier et le financier).
Mais si un certain christianisme méprise la richesse il en dépend aussi. Les "parfaits" qui renoncent à tous leurs biens et à leurs attaches familiales ont besoin du soutien des "imparfaits" qui restent "dans le monde", "partagés"... et ceux-là aussi auront leur récompense, fût-ce pour un simple verre d'eau... froide (psukhros, Matthieu 10,42).
A te lire j'ai repensé (toujours par réaction) à plusieurs autres lectures, fort différentes. En vrac; Qohéleth et son "éloge de la médiocrité" (7,16ss); Jacques et son rejet de "l'âme partagée" (dipsukhos, 1,8; 4,8), en tension avec la valorisation philosophique de l'epokhè, la "suspension du jugement"; Nietzsche enfin avec son analyse surprenante mais profonde (elle aussi) de la "sainteté" (chrétienne, bouddhique) comme épicurisme de l'anesthésie (L'antéchrist, § 29ss): c'est parce qu'un rapport "simple" avec la vie devient quelquefois insupportable que l'on peut basculer dans une attitude paradoxale, où l'on se met à distance des "joies" et des "souffrances" immédiates au profit d'une "joie DANS la souffrance" -- dont les arabesques s'étendent à l'infini -- de saint Jean de la Croix (muero porque no muero) à Kierkegaard (ai-je droit au malheur auquel j'aspire?). Mais tout cela -- dont on peut rire sans doute autant que s'y abîmer -- reste, à mon sens, une EXPÉRIENCE, voire une PASSION (au double sens de ce terme).
Bref, pas de conclusion de ma part mais des questions, qui peuvent trahir une certaine "tiédeur" -- ça me rappelle que j'ai écrit ailleurs sur la "tyrannie de l'expérience religieuse", celle qui exige "toujours plus" -- mais qui doivent tout à ton texte qui, à coup sûr, donne à penser. |
| | | VANVDA
Nombre de messages : 1610 Date d'inscription : 09/05/2008
| Sujet: Re: Apocalypse 3 : 15, 16 Lun 15 Juin 2009, 09:04 | |
| Salut Assad, Il y a déjà quelque temps, je m'étais interrogé sur ce verset et sur le couple froid/chaud plus souhaitable que le tiède. Ma réflexion sur le sujet était resté beaaauuucoup plus terre-à-terre que la tienne, et effectivement je restais un peu dubitatif sur ce rejet de la tiédeur: - Citation :
- le Christ y envoie un message très
étrange. "Parce que tu es tiède et que tu n'es ni bouillant ni froid, je vais te vomir de ma bouche." Que le Christ reproche aux chrétiens de n'être pas bouillants, à la limite, je le comprends encore. Le chrétien n'est-il pas sensé être "brûlant" de l'esprit (Rm 12,11)? Mais pourquoi leur reprocher de n'être pas "froids"? En quoi vaut-il mieux être froid que tiède (je préfère "tiède", moi, si je parle de mon bain à bulles; mais ce fut l'objet d'un autre fil...)? Y lisez-vous, vous aussi, une condamnation implicite de la voie du "milieu", un refus du "consensus mou"? Faut-il rapprocher ce "reproche de la tiédeur" aux paroles du Christ, dans l'évangile de Jean (justement), à l'Iscariote: "Ce que tu fais, fais le vite."? Il faut se placer clairement sur l'échiquier, bien sur sa case, et il est encore préférable d'être franchement du côté des "méchants" que de rester dans le no-man's land de l'indifférence?
Ça ne m'arrange guère, cette interprétation. Moi, je revendique le droit à la tiédeur, à la mollesse, au jmenfoutisme, à être "au milieu", quitte, contrairement à l'âne de la fable, à aller librement manger à droite et boire à gauche quand l'envie m'en prends. Mais ton texte est une belle réflexion, une démonstration drôlement bien ficelée qu'elle existe bien, la possibilité d'un "excès de tiédeur" (même si ça semble aller contre le bon sens). Il me reste ce sentiment un peu amère: la victoire de ce que l'on souhaite tous est toujours une forme de défaite. Quand il s'agit de se plonger dans un bain -y compris dans celui de la vie- on recherche tous une douce tiédeur...et si la société de consommation est à ce point victorieuse, c'est parce que, tout en la méprisant, elle nous convient quand même un petit peu à nous tous, sous un aspect ou sous un autre. Sinon il reste l'élevage de chèvres en Ardèche, mais combien sommes-nous à réussir à faire ce choix? ("ai-je droit au malheur auquel j'aspire?" (...) dont on peut rire sans doute autant que s'y abîmer : essayons d'en rire, pour l'instant!) |
| | | Sherlock
Nombre de messages : 442 Age : 56 Date d'inscription : 09/04/2008
| Sujet: Re: Apocalypse 3 : 15, 16 Jeu 09 Juil 2009, 15:13 | |
| Apologie de la tiédieurÉcoutez-les, ceux qui appellent "tièdes", les sages. Car la tiédeur est définie par eux, comme étant un état péjoratif. Pourtant, quand vous vous lavez les mains tous jours, désirez-vous vous brûler ou vous frigorifier les mains ? Mangez-vous brûlant ou froid ? La température de votre pièce est-elle comparable au pôle nord ou à l'enfer ? L'état de tiédeur est un équilibre à garder en permanence car devant le spectre des idéologies toujours naissantes telles des phœnix, il faut savoir se garder de tomber dans l'illusion de la facilité. L'histoire est pleine de ceux qui se sont enflammés et qui ont provoqué la ruine à terme des humains. De la Guerre du Feu à la Guerre Froide, les hommes n'ont cessé de pousser vers les extrémités ne sachant se contenter de ce qu'ils avaient. Mais le chaud et le froid ne sont-ils pas créateur ? N'est-il pas normal d'être brûlant d'une chose ou d'une cause ? Le froid n'a-t-il pas permis la technique et l'automatisme ? Non ! Il est bien entendu merveilleux d'être passionné, mais en prenant l'exemple de la musique nous le comprendrons d'autant plus. Tout musicien le sait très bien : c'est en refroidissant son ardeur que l'on progresse. De même, c'est en s'enflammant que la technicité froide et mécanique disparait pour laisser place à l'émotion. Cet état créateur, c'est la tiédeur. C'est le seul état qui a su créer et innover pour le bien des autres. Laissons le Sahara et l'Arctique aux fanatiques et idéologistes religieux et politiques. Ils répéteront à jamais leur propre Verdun. Ils créent la mort. La vie est née sur Terre car la tiédeur le permettait. Laissons donc la vie jaillir en nous sans y perdre nos âmes. (bon, c'est un peu pourri, et sorti d'un coup comme ça, juste pour contredire le texte d'Assad) |
| | | ASSAD
Nombre de messages : 434 Age : 98 Date d'inscription : 20/04/2008
| Sujet: Re: Apocalypse 3 : 15, 16 Ven 10 Juil 2009, 10:50 | |
| Pas de problèmes. Regarde, pour montrer que je suis beau joueur, ej t'offre une bonne bière tiède |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Apocalypse 3 : 15, 16 Jeu 25 Nov 2021, 15:34 | |
| J'ai relu avec émotion le texte initial d'ASSAD.
Chez Brousson, la tiédeur s’apparente à un vice de forme. À travers elle il décrie une déficience d’ardeur. La tiédeur est définie comme une absence de flamme (/79/) ,un déficit d’amour pour Dieu – « languissant » quand il devrait être « véhément » (/90/). Associée à un sentiment de chaleur modérée, la tiédeur marque un défaut d’empressement au service de Dieu, une mollesse spirituelle, un dédain envers le combat pour l’œuvre du Seigneur. Brousson y dénonce un état de passivité (/88/). À ce titre, la tiédeur est un péché et le tiède un pécheur qui se méconnaît mais dont l’indolence et la petitesse des œuvres le condamnent. Ce qui lui reste d’amour pour la Vérité, assure Brousson, ne suffit pas à le sauver (/96/). La tiédeur désigne selon lui un état d’impureté, de souillure – qui débute dans le cœur –, et qui a trait à l’insincérité et à la duplicité. Brousson fait du défaut de zèle pour la gloire de Dieu une infirmité (/94/), une irrésolution fatale. Décriant le relâchement de piété et la mauvaise conduite qu’elle induit, il fait de la tiédeur une misère : le tiède est ce chrétien défaillant qui ne répond d’aucun commandement de Jésus-Christ (ni froid, ni bouillant) et qui, négligeant la grâce offerte gratuitement par Dieu, s’expose au malheur de la réjection (/92/). De cette indifférence coupable, il fait une corruption. Plus encore, une marque de défiance envers Dieu qu’il érige en infidélité criminelle, consistant en une façon abjecte de se dérober aux ordonnances divines par amour du Monde et des délices terrestres au détriment de l’« holocauste spirituel » (/78/) que Dieu, assène Brousson, attend des fidèles pour l’avancement de son règne. Associant la tiédeur à l’affection pour la chair, le prédicateur, par un système d’échos bibliques, la dresse en inimitié pour Dieu. En résonance à 1 Jn 5,4 il en fait un abîme de la foi. Comparable à un état de mort spirituelle, elle préfigure la « malédiction éternelle » (/92/). De ce reste d’amour sans efficacité pour le salut qui ne s’apparente pas tant à des braises qu’à des cendres de foi, Brousson dénonce le sacrilège : la tiédeur n’est pas un simple état de somnolence spirituelle mais la manifestation d’une ingratitude (/92/). Dans ce cadre, la froideur est préférable à la tiédeur car elle indique une méconnaissance de la Parole quand la tiédeur témoigne d’un déni de la réception de la grâce et du message évangélique (/92/). Semblable à un reniement de la Loi, la tiédeur est, sous sa plume, la pire des attitudes : elle revient à se soustraire aux voies de la justice après l’avoir connue et en avoir été instruit (/105-106/). À cet égard, la tiédeur présage d’un retranchement.
https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2015-4-page-515.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12461 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Apocalypse 3 : 15, 16 Jeu 25 Nov 2021, 17:15 | |
| En effet, ce forum avait fort bien commencé... (peut-être sais-tu, par proximité géographique, ce qu'est devenu le porteur du pseudonyme ASSAD, que j'avais rencontré une fois et dont j'ai gardé un excellent souvenir, je n'en ai pas la moindre idée).
Soit dit en passant, je retrouve le même éloge de l'intensité dans l'oeuvre de Pasolini dont je viens de reparcourir le versant cinématographique -- et dans celle de Deleuze que j'ai lue en partie entre-temps. Et mes propres objections, qui ne me sont d'ailleurs pas plus propres que mon adhésion à tout cela.
L'article que tu nous rapportes m'intéresse beaucoup, peut-être parce que j'ai eu un certain contact avec ce "protestantisme historique français", que j'ai pu apprécier sans jamais pouvoir (ni sans doute vouloir) m'y intégrer: c'est un pathos que je ressens dans une certaine mesure, mais qui me reste foncièrement étranger. Quoi qu'il en soit, la mise en contexte des "guerres de religions" éclaire puissamment la dramatisation des textes et des enjeux dans la prédication réformée de l'époque: le "terrorisme" (le mot n'existait pas encore) est à double sens, il faut un surcroît de terreur théologique ou idéologique pour résister à la terreur du pouvoir (monarchique et ecclésiastique en l'occurrence) -- chose dont devrait tenir compte toute pensée des "terrorismes" modernes, qui n'y réussit pas davantage. Un détail linguistique entre autres mérite d'être noté, la "timidité" devenue entre-temps trait de caractère anodin et bénin, qui était encore entendue naguère dans le sens nettement plus péjoratif de "lâcheté" par les oreilles et dans les bibles protestantes. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Apocalypse 3 : 15, 16 Jeu 25 Nov 2021, 17:23 | |
| - Citation :
- En effet, ce forum avait fort bien commencé... (peut-être sais-tu, par proximité géographique, ce qu'est devenu le porteur du pseudonyme ASSAD, que j'avais rencontré une fois et dont j'ai gardé un excellent souvenir, je n'en ai pas la moindre idée).
Je l'ai rencontré il y a peu de temps. Je te donnerais des nouvelles en MP. La Tiédeur « Pourquoi méprisons-nous la tiédeur alors qu’elle est la température idéale de la vie ? » À cette question, Philippe Garnier se garde bien de répondre – il faudrait alors défendre la tiédeur avec trop de chaleur. Rien ne justifie non plus de la vomir comme le Dieu de l’Apocalypse. Elle ne mérite ni cet excès d’honneur, ni cette indignité… Alors, quoi ? Si, telle la modération, elle est force d’âme pour Épicure ou Confucius, que dire de cette tiédeur veule, vague fatigue, penchant vers l’inexistence, médiocrité ordinaire et secrètement partagée, qui fait éviter tout désir ou conviction ? Il fallait, comme Philippe Garnier à l’époque où il a écrit ce livre (en 1997, il est aujourd’hui réédité), traverser l’agitation d’une crise pour trouver dans la tiédeur quelque répit coupable avec une ironie bien tempérée. Il y a de l’inventaire à la Perec dans cette suite ciselée de maximes, saynètes et notations, qui épuisent le tiède avec l’air de ne pas y toucher – il craint tant le mouvement ! https://www.philomag.com/livres/la-tiedeur |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12461 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Apocalypse 3 : 15, 16 Jeu 25 Nov 2021, 17:41 | |
| Merci (d'avance). Voir aussi ici. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Apocalypse 3 : 15, 16 Jeu 25 Nov 2021, 17:47 | |
| - Citation :
- Voir aussi ici.
Es-tu sûr d'avoir indiqué le bon lien ? Nous avions analysé le thème de l'ennui/apathie (il me semble).
Dernière édition par free le Jeu 25 Nov 2021, 17:51, édité 1 fois |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12461 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Apocalypse 3 : 15, 16 Jeu 25 Nov 2021, 17:51 | |
| Oui (c'est le bon lien), mais il faut lire (au moins) jusqu'au deuxième paragraphe (du premier post) pour voir (éventuellement) le rapport... L'intensité, par définition, tend indéfiniment à l'intensification (toujours plus, exacerbation, surenchère, autant qu'elle peut), et par sa simple tenue ou durée entraîne d'elle-même fatigue, lassitude, épuisement et modération -- où de nouvelles différences et de nouvelles intensités se re(-)posent et se (re-)creusent en excès et en défaut. Une différence de fond peut-être, c'est que l'Antiquité posait souvent des dualités de principes antagonistes (chaud / froid, lourd /léger, lumière / ténèbres, etc.) là où nous voyons du "positif" et du "négatif" d'un seul "principe", du oui et du non ou du plus et du moins de la même "chose" (chaleur, masse, lumière, etc.). |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Apocalypse 3 : 15, 16 Ven 26 Nov 2021, 11:22 | |
| Je cite à nouveau ce texte que trouve très touchant : Levinas écrit : « Tout […] est égal. L’inconnu aussitôt se fait familier et le nouveau coutumier. Rien n’est nouveau sous le soleil. La crise inscrite dans l’Ecclésiaste, n’est pas dans le péché, mais dans l’ennui ». Marion lui fait écho : « Ce qui intervient ici [dans le Qohelet], sous le nom encore indéterminé de ‘vanité’ répond correctement à ce que provoque le regard d’ennui » ... ... L’ennui est avant tout désintérêt : désintérêt de celui qui regarde un spectacle déjà vu et revu, de celui qui sait, et sent, qu’il ne peut s’attendre à rien de surprenant. S’il n’y a rien qui mérite véritablement le nom de nouveauté (Qo 1, 10), si tout ce qui arrive n’est qu’une répétition de ce qui a déjà été, si l’on sait toujours déjà comment cela finira, il est inévitable que l’attention disparaisse. On échoue à prendre au sérieux les attractions multiformes offertes par le monde et dont le Qohelet dresse une liste détaillée : palais, vignes, troupeaux, esclaves, chanteurs, « des femmes en quantité, délice suprême des hommes » (Qo 2, , richesse, pouvoir. On s’habitue à tout cela bien trop vite. Et, une fois devenu « coutumier », tout cela ennuie. Dans l’ennui, aucune de ces réalités qui normalement attirent toute l’attention de l’existence quotidienne, n’est plus capable de se présenter comme idole, au sens technique que Marion attribue à ce terme : un phénomène capable de capturer le regard, de l’enchanter et de le fixer sur un point qui devient singulier, qui devient un unicum par rapport à tout le reste, un phénomène capable d’occuper le devant de la scène et de reléguer le reste à l’arrière-plan. L’ennui est l’expérience d’un regard qui ne trouve ni repos ni idole, qui transperce tout ce qui lui fait face comme si c’était transparent : un regard qui, malgré lui, se retrouve vide. Et c’est précisément dans l’« être-laissé-vide » (Leergelassenheit) qu’Heidegger identifie le premier des deux caractères fondamentaux de cette « tonalité affective », dans laquelle « toutes choses nous glissent dessus », ne nous « offrent plus rien » et, précisément « nous laissent vides » ... ... Le fait est que le brouillard-vanité estompe les contours. Dans la vapeur ou dans la fumée, la vue se brouille et les choses se confondent les unes aux autres, elles tendent à l’indistinction. La vanité-brouillard n’explique pas, mais exhibe le fait que l’expérience la plus dramatique – intolérable, précisément – du Qohelet n’est pas la finitude humaine face à la mort, bien au contraire : « Alors je félicite les morts qui sont déjà morts plutôt que les vivants qui sont encore vivants » (Qo 4, 2). Le problème est ailleurs, dans la disparition des différences : dans le fait qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil, que « tout est égal » (Levinas) et que « l’ennui (…) confond toutes choses, les hommes et nous-mêmes avec eux, dans une étrange indifférence. » (Heidegger). L’indifférence (subjective) est le contrecoup de l’indifférence (objective), c’est-à-dire de l’impossibilité de maintenir les différences qui, normalement, nous permettent de nous orienter dans un monde qui, justement, devrait être kosmos (ordre) mais qui n’apparaît plus comme tel. La vanité c’est la perte des points de repère, c’est l’indifférence de toutes les différences constitutives de notre existence : entre aujourd’hui et demain (Qo 1, 5), entre la lumière et les ténèbres (Qo 2, 14), entre les paroles et le silence (Qo 6, 11), et même entre les hommes et les bêtes (Qo 3, 19). Quel sens y a-t-il à agir si toutes ces frontières se font perméables et si tout se résout dans une même et indistincte confusion ? Voilà le sens du paradoxe mis en œuvre par l’auto-démenti de l’affirmation 'tout est vanité’ ; une affirmation si pleine de sagesse qu’elle sait très bien qu’entre le sage et l’insensé la différence s’annule : « Alors je me dis en moi-même : "Le sort de l’insensé sera aussi le mien, pourquoi donc avoir été aussi sage ?" Je me dis en moi-même que cela aussi est vanité. Il n’y a pas de souvenir durable du sage ni de l'insensé, et dès les jours suivants, tous deux sont oubliés : le sage meurt bel et bien avec l’insensé. » (Qo 2, 15). Ce qui est intolérable ce n'est pas qu'ils meurent : mais que tous deux, le sage et l’insensé, meurent de la même manière. Ce qui est intolérable donc, ce n'est pas l’anéantissement, le passage au néant en tant que tel, mais la vanité de ce passage :c’est elle (la vanité) et non lui (le néant) qui porte véritable atteinte au sens. https://assets.pubpub.org/q0pisl4b/71608718479464.pdf |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12461 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Apocalypse 3 : 15, 16 Ven 26 Nov 2021, 12:20 | |
| Merci de le rappeler: j'avais (aussi) beaucoup apprécié cet article quand tu nous l'avais présenté ( ici 13.9.2021), j'y ai même repensé depuis sans réussir à le retrouver (ma mémoire récente se perd, elle aussi, dans un certain brouillard, sans disparaître tout à fait). Qohéleth serait en effet l'exemple même du "tiède" selon l'Apocalypse -- du point de vue moral-sacral du "bien" et du "mal", ou de la "justice" et de l'"injustice", on pourrait opposer (peut-être pas "diamétralement") sa via media (cf. 7,14ss) à l'intensification bipolaire des extrêmes dont il était justement question dans mon lien précédent (glacial ou bouillant, que le juste soit toujours plus juste et l'injuste toujours plus injuste). Opposition parfaitement "logique" si l'on considère que Qohéleth (proto-sadducéen teinté d'épicurisme et de scepticisme) réagit déjà à la montée des "eschatologies" liée au développement des "apocalypses"; mais l'opposition à Job (qui n'a rien d'eschatologique ni d'apocalyptique), pour être d'une tout autre nature, n'en est pas moins profonde: violence et apaisement de la dés-illusion sapientiale; on en trouverait une autre entre le Cantique des Cantiques et Qohéleth que la tradition rabbinique attribue tous deux à Salomon, mais à un Salomon jeune et à un Salomon vieux, selon l'ordre du canon hébreu (Cantique puis Qohéleth dans les "Ecrits", ketouvim): de l'enchantement érotique du monde de la jeunesse au désenchantement du monde de l'âge (plus que) "mûr" -- chacun étant "spirituel" à sa façon et "en son temps", mais la distribution des "temps" relève précisément du point de vue "hors-temps" de la vieillesse: c'est ce dont la jeunesse ne veut pas entendre parler, et même la vieillesse lui donne raison. (Au passage: je n'ai pas -- encore -- reçu le MP annoncé...) |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Apocalypse 3 : 15, 16 Ven 26 Nov 2021, 15:49 | |
| "C'est vous qui êtes le sel de la terre. Mais si le sel devient fade, avec quoi le salera-t-on ? Il n'est plus bon qu'à être jeté dehors et foulé aux pieds par les gens" (Mt 5,13).
"Le sel est une bonne chose ; mais si le sel devient fade, avec quoi l'assaisonnera-t-on ?" (Lc 14,34).
La tiédeur et la fadeur semblent être réprouvés.
Un commentaire :
«Vous êtes le sel de la terre, si le sel s'affadit, avec quoi (le) salerat-on? Il ne sert plus à rien, qu'à être jeté dehors et piétiné »: dans cette sentence il y a pour le moins amalgame et confusion entre plusieurs usages du sel. A quoi se joint une ambiguïté de traduction, à savoir: quel est le sujet du verbe «en tini alisthèsetai »? Est-ce la quantité de sel qui s'est affadie? Ou sont-ce les choses qui ont besoin d'être salées? Les traductions habituelles se demandent comment redonner de la «salinité» au sel qui s'est affadi? C'est assez étrange pour le moins! Si une certaine quantité de sel est devenue inutilisable pour une raison ou une autre, ou si elle a été entièrement «consommée», on prend une autre quantité de sel. Mais c'est toujours du sel. En revanche, si le sel comme tel n'était plus du sel, alors on peut se poser la question de savoir avec quoi on le remplacerait dans tous les usages qu'on en fait. Mais si le sel n'était plus du sel, alors il paraît insensé de se poser la question de savoir avec quoi on pourrait le «re-saler».
De plus, comme le terme «terre», le terme «sel» est pris en plusieurs acceptions logiques. Tantôt, au sens de «sel en général» comme dans «Vous êtes le sel de la terre». Il a alors une fonction logique d'attribution d'une qualité. Tantôt, quand il est sujet de verbe, il a un sens partitif. Dans une même phrase, les traductions, par fidélité littérale au texte grec, sont obligées de confondre plus ou moins ces diverses acceptions.
Cette confusion conceptuelle inaperçue, dans la sentence du sel qui s'affadit, me conduit à penser qu'elle est, dans le texte de Mc 9,47-50, ou bien une insertion rédactionnelle à partir d'autres contextes; ou bien, à l'inverse, que le contexte de Me est le lieu originel de ce logion de Jésus, mais qu'il a été déformé sous l'influence d'autres contextes. Ici le contexte psychologique de Jésus avec ses disciples est en effet tout différent de ce qu'il peut être dans Mt et Lc.
https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_2008_num_39_1_3651 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12461 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Apocalypse 3 : 15, 16 Ven 26 Nov 2021, 16:59 | |
| Voir ici (où le même article était déjà cité et commenté). Le rapprochement du "sel" et du "chaud" est a priori intéressant, d'autant qu'il rejoindrait celui du "sel" et du "feu" dans Marc; celui de la fadeur et de la tiédeur fonctionne assez bien en français, mais contrairement au "tiède" qui est un medium ou moyen terme entre "chaud" et "froid", on ne voit pas très bien à quel "contraire" le salé s'opposerait (sucré ? amer ? acide ?) pour faire du "fade" ou de l'"insipide" un "milieu" (cf. ma remarque sur les dualités dans mon dernier post d'hier); du reste, dans les textes il n'y a pas de mot correspondant exactement et exclusivement à "fade" en français moderne: il est question d'un sel affaibli ou "affolé" ( morainô Matthieu 5,13 // Luc 14,34, apparenté à la môria, folie-sottise opposée à la "sagesse" en 1 Corinthiens 1,20ss ou Romains 1,22 p. ex.; l'étymologie de "fade" joue d'ailleurs dans les mêmes parages, cf. fat, fada, fadaise, du même fatuus latin, mais elle ne vient guère à la pensée dans l'usage actuel du mot), ou encore "dessalé" (Marc 9,50, halas an-alon genètai, sel devenant sans sel, qui dit encore plus directement une perte d'" essence": cesser d'être ce que l'on est); cf. encore Colossiens 4,6 et Jacques 3,11s, où l'eau "amère" puis "salée" s'opposent à l'eau douce. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Apocalypse 3 : 15, 16 Lun 29 Nov 2021, 17:06 | |
| L’ouvrage s’ouvre avec un éloge de la tiédeur pour dessiner un portrait-robot du protestant. Vous voyez des qualités à la tiédeur?M.B.:
Il ne faut pas réduire le protestantisme à une de ses tendances. Le propre du protestantisme, c’est justement d’être divers. Je me retrouve assez bien dans une forme de protestantisme que l’on qualifie souvent de tiède. Il entretien une distance à l’égard de soi comme à l’égard de toute forme de principe, serait-il religieux. On est toujours en train de se dire: «Y se pourrait qu’on se trompe». En ce sens, la tiédeur est un garde fou contre le fanatisme et aussi contre l’indifférence. Mais elle n’a rien à voir avec l’indifférence ou le relativisme. Moi, je suis passionnément tiède.
https://www.xn--rforms-bvae.ch/articles/spiritualite/feed/rss/Page-15 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12461 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Apocalypse 3 : 15, 16 Lun 29 Nov 2021, 17:21 | |
| Intéressant. Oui, on peut être "passionnément tiède" (pourquoi pas ? ajouterait le Molyneux de Drôle de drame), avec le surcroît de distance, d'humour ou d'autodérision qu'implique la contradiction même. Comme toutes les insultes et autres qualifications péjoratives, celle-là ne demande qu'à se retourner, pour peu qu'elle rencontre un peu d'"esprit" (de contradiction).
[Que l'école apprenne à (= comment) penser et non quoi penser, ça me paraît de moins en moins vrai, même si ça peut rester un "idéal" -- mais c'est un autre sujet.] |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Apocalypse 3 : 15, 16 Jeu 02 Déc 2021, 17:20 | |
| Le présupposé de l'alternative ainsi posée est une dénonciation de la puissance démoniaque de la réalité politico-sociale de l'empire : dans la manière dont l'idéologie impériale est reçue en Asie, en particulier dans la manière dont les élites locales l'amplifient et lui confèrent, par le culte de l'Empereur à Pergame (Ap 2,13), un caractère explicitement religieux, le visionnaire voit la prétention totalitaire d'agir sur les consciences. De cette analyse résulte l'affirmation de la nécessité d'une dissidence active. Chaque arrangement tactique et chaque recherche de compromis avec l'ordre social signifie un reniement de la foi et une chute dans la "tiédeur" (Ap 3,15-16) et le manque de ferveur (Ap 2,4-5) qui sont reprochés à la plupart des églises d'Asie (Ap 2,1-3,22).
Une théologie du Nouveau Testament De François Vouga
Lien (réduit) |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12461 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Apocalypse 3 : 15, 16 Jeu 02 Déc 2021, 18:00 | |
| Ce livre -- que j'ai parcouru et compulsé, sinon complètement lu, il y a bien longtemps -- m'a laissé un sentiment mitigé: autant j'avais apprécié l'exégèse de Vouga sur des textes particuliers (épîtres de Jacques et de Jean notamment: il m'a ouvert les yeux sur beaucoup de choses), autant son extension à une "théologie du Nouveau Testament", qui impliquait aussi un renversement méthodique (de l'analyse à la synthèse), m'a paru décevante: par ce qu'elle avait précisément de "systématique", sans doute aussi parce que je ne partageais plus vraiment le "point de vue" politico-psychologique du "système" et que je m'éloignais du "systématique" en général, théologique en particulier.
L'anachronisme guette à chaque pas: parler de l'empire romain en termes d'"idéologie" et de "totalitarisme", c'est à coup sûr une façon d'"actualiser" les textes (tout au moins par rapport à une terminologie, à une conceptualisation et à une problématique de la fin du XXe siècle), pas forcément de mieux les comprendre. Il y a néanmoins beaucoup de "bon" à prendre: c'est une lecture (au sens d'"interprétation") possible, stimulante et féconde (de l'Apocalypse entre autres), à condition de ne pas perdre de vue ce qui la sépare de la perspective même des textes -- qui n'est certainement pas celle d'une "autonomie" autofondatrice du "sujet", individuel ou communautaire, à laquelle on n'aboutit que par la confusion de tous les "points de vue" néotestamentaires sous la prépondérance des épîtres aux Romains ou aux Galates (revues par Luther, Kierkegaard ou Barth, outre les influences de Marx, Stirner, Nietzsche, Freud, Sartre, Camus ou Lacan). L'Apocalypse est presque aussi "antipaulinienne" qu'"antiromaine", c'est embarrassant pour une synthèse moderne mais c'est ainsi.
L'aspect "périphérique" ou "marginal" de l'Apocalypse mérite réflexion, parce qu'il est multiple et complexe: l'Asie Mineure est éloignée de Rome, ce qui tend à dramatiser les enjeux de toutes les positions politiques, "loyaliste" et "séparatiste(s)", et donne en particulier au "culte impérial" une importance exceptionnelle; mais elle est aussi éloignée des "centres" juifs ou chrétiens historiques, symboliques ou réels (Judée-Galilée, Mésopotamie-Egypte d'une part, Alexandrie ou Antioche de Syrie, peut-être déjà Rome d'autre part); l'écart "théologique" et "canonique" du livre par rapport au "christianisme", à la "grande Eglise" et au "Nouveau Testament" qui se constituent par synthèse et compromis de multiples tendances (paulinienne, johannique, voire pétrinienne, matthéenne ou lucanienne) participe de la même marginalité, à la fois "corrigée" et compliquée par l'ajout de la "couverture" (introduction-conclusion, y compris les "lettres aux Eglises, chap. 2--3) au "corps" du livre. C'est une perspective "multi-marginale" qui est par définition difficile à cerner, à cadrer ou à mettre "au point" (dans un sens quasi photographique), et qu'il ne faudrait pourtant pas perdre de vue quand on lit l'Apocalypse, notamment pour tout ce qui reflète une exacerbation dualiste des contrastes et une position "extrémiste" ou "intransigeante" (le rejet violent, vomissement viscéral, spasmodique et compulsif des "tièdes" -- qui pourraient bien-être post-pauliniens et/ou proto-catholiques, rappelons que les "deutéro-pauliniennes", Colossiens-Ephésiens, s'adressent à la même région, cf. les mentions de Laodicée en Colossiens 2,1; 4,13ss; l'"ange d'Ephèse" aussi aurait "abandonné son premier amour", selon Apocalypse 2,1ss -- est à entendre sous ce rapport). |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Apocalypse 3 : 15, 16 Lun 13 Déc 2021, 12:08 | |
| - Citation :
- A te lire j'ai repensé (toujours par réaction) à plusieurs autres lectures, fort différentes. En vrac; Qohéleth et son "éloge de la médiocrité" (7,16ss); Jacques et son rejet de "l'âme partagée" (dipsukhos, 1,8; 4,, en tension avec la valorisation philosophique de l'epokhè, la "suspension du jugement"; Nietzsche enfin avec son analyse surprenante mais profonde (elle aussi) de la "sainteté" (chrétienne, bouddhique) comme épicurisme de l'anesthésie (L'antéchrist, § 29ss): c'est parce qu'un rapport "simple" avec la vie devient quelquefois insupportable que l'on peut basculer dans une attitude paradoxale, où l'on se met à distance des "joies" et des "souffrances" immédiates au profit d'une "joie DANS la souffrance" -- dont les arabesques s'étendent à l'infini -- de saint Jean de la Croix (muero porque no muero) à Kierkegaard (ai-je droit au malheur auquel j'aspire?). Mais tout cela -- dont on peut rire sans doute autant que s'y abîmer -- reste, à mon sens, une EXPÉRIENCE, voire une PASSION (au double sens de ce terme).
Le sens de la souffrance Nous vivons dans une époque qui prône des valeurs fondamentales, que nous aurions tort d’ignorer : bien-être, joie, harmonie, bonheur. Toute l’histoire de la philosophie est fondée, il me semble, sur cette quête essentielle qu’est le bonheur de l’individu. Si j’écris aujourd’hui, c’est à la fois pour aller mieux, mais pour aider les autres à aller mieux aussi. Ça n’est pas cathartique, mais bien plus thérapeutique qu’on ne pourrait le penser. Derrida a longuement parlé du pharmakon de Platon, pour montrer comment le penseur grec distinguait la pharmacie-poison de la pharmacie-remède. Par le langage, et la parole discursive, nous tentons, autant que peut ce faire, de découvrir les maux en nous, et dans le discours, afin d’atteindre le Bien et le Bonheur. Or, ce qui dérange dans la souffrance, pour nous modernes, à la différence de la douleur, c’est qu’elle ne fait pas sens d’emblée. Et c’est toute l’importance de la souffrance. Alors que la douleur peut être facilement circonscrite, et qu’elle a une nature plus préventive, la souffrance n’a pas de lieu fixe, ni d’origine identifiable immédiatement. C’est ainsi, parce que la souffrance n’exprime pas un sens d’emblée. Et c’est à chacun de chercher le sens de sa souffrance. Il faudrait donc se garder de dire qu’elle annihile le sens de l’existence, parce qu’elle n’est pas immédiatement compréhensible. Il serait bon aussi de ne pas mépriser la vie parce qu’elle serait incompréhensible, sans un minimum d’efforts, car souvent traversée de souffrances. Il n’y aurait pas plus de logique à se révolter contre la souffrance. Plus on tentera d’agir contre elle, plus elle se renforcera, et plus on sera démuni face à celle-ci. Pour le dire clairement, je pense que la souffrance est à la croisée de la construction de soi, et de la destruction de ce que l’on n’est pas. Ce serait plus juste de le dire comme ça. Paraphrasant Moussa Nabati qui parle de la dépression comme d’une épreuve pour grandir, je dirai que la souffrance est un moyen d’aller au fond de soi, et de bien se connaître. http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2013/12/25/la-souffrance-une-ethique-du-sens-2989276.html |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12461 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Apocalypse 3 : 15, 16 Lun 13 Déc 2021, 14:45 | |
| Le commentaire n'est malheureusement pas à la hauteur des références...
Soit dit en passant, la question du "sens" mériterait d'être posée et questionnée sérieusement, parce qu'elle est complexe et retorse, et la polysémie du mot "sens" en français, du ou des "sens" dits "esthétiques" ou "affectifs" (sensation ou perception, sentiment ou "ressenti", sensibilité, sensualité) au "sens" dit logique ou intellectuel (sens ou signification d'un mot, d'une proposition, d'une phrase, d'un énoncé, et par extension de n'importe quoi) la complique encore: trouver ou inventer un ou du "sens" (intelligible) à une "sensation" (de douleur, de souffrance ou de joie), c'est aussi s'en distanc(i)er ou la mettre à distance, il y a une vertu "anesthésique" ou "insensibilisante" du "sens" intellectuel -- nul ne l'a peut-être mieux pensé(e), dans la modernité occidentale, que Schopenhauer, en "dialogue" avec le bouddhisme ou l'hindouisme. Mais cela nous entraînerait sans doute trop loin de l'Apocalypse, qui serait plutôt réticente à une telle "anesthésie" comme à la "tiédeur" du "ni chaud ni froid"; tout en la pratiquant elle-même à sa façon, car en donnant du "sens" à l'"histoire" grande et petite (de l'empire romain aux "persécutions" d'un certain type de "chrétiens"), elle s'en distancie et s'en console aussi... |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Apocalypse 3 : 15, 16 Mar 14 Déc 2021, 13:30 | |
| Je conclurai le débat par une citation provocante de Lucrèce : « Il est doux, quand sur la mer les vents soulèvent les flots, d’assister de la terre aux rudes épreuves d’autrui : non que la souffrance de personne ne soit un plaisir si grand ; mais voir à quels maux on échappe soi-même est chose douce. Il est doux encore de regarder les grandes batailles de la guerre, rangées parmi les plaines, sans prendre sa part du danger. Mais rien n’est plus doux que d’occuper solidement les hauts lieux fortifiés par la science des sages, régions sereines d’où l’on peut abaisser ses regards sur les autres hommes, les voir errer de toutes parts, et chercher au hasard le chemin de la vie, rivaliser de génie, se disputer la gloire de la naissance, nuit et jour s’efforcer par un labeur sans égal de s’élever au comble des richesses ou de s’emparer du pouvoir. Ô misérables esprits des hommes, ô cœurs aveugles ! Dans quels dangers et dans quelles ténèbres s’écoule ce peu d’instants qu’est la vie ! Ne voyez-vous pas ce que crie la nature ? Réclame-t-elle autre chose que pour le corps l’absence de douleur, et pour l’esprit un sentiment de bien-être, dépourvu de crainte et de sérénité ? »
Toute l’ambiguïté de l’indifférence du sage se trouve exprimée en ces quelques lignes.
http://zenon59.free.fr/L%20indifference%20peut%20elle%20etre%20un%20ideal.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12461 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Apocalypse 3 : 15, 16 Mar 14 Déc 2021, 15:02 | |
| Citation douteuse aussi ("dépourvu... de sérénité" paraît improbable): cf. p. ex. ici.
De toute façon on n'échappe pas à la question (qu'on peut entendre aussi au sens de l'inquisition) de l'"égoïsme", autant qu'un ego (je, moi, sujet et objet) reste impliqué dans l'inaction comme dans l'action, dans l'apathie comme dans la passion, dans l'insouciance comme dans le souci, dans le désintérêt comme dans l'intérêt et le désintéressement, dans le détachement comme dans l'attachement ou l'engagement, dans l'indifférence comme dans la compassion, la pitié ou la cruauté. Cette ombre-là ne nous lâchera pas jusqu'à la mort, et par définition (même et surtout épicurienne) ce n'est pas "nous" qui en ser(i)ons libérés...
En matière d'indifférence, j'aurais tendance à préférer (ce qui n'est donc pas indifférent, et relève toujours d'un "je") celle qui ne se pose pas en modèle, ne regarde pas les différences de haut mais les accepte et les apprécie ou du moins les laisse être, en les embrassant au lieu de les exclure: si l'apathie renonce à la valeur, qu'elle s'épargne aussi le ridicule de s'en accorder une, surtout supérieure... Un prosélytisme de l'indifférence est pour le moins suspect. |
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